Politix 2021/2 n° 134

Couverture de POX_134

Article de revue

« Du grand jeu scout » à… « Maintenant on y est pour de vrai ». L’initiation au militantisme chez les collectifs issus de la Manif pour tous

Pages 141 à 165

Notes

  • [1]
    Session « Des jeunes catholiques en quête de radicalité », ECG, Strasbourg, 3 octobre 2015.
  • [2]
    « Quels lendemains pour les Veilleurs ? », La Vie, 16 juillet 2013.
  • [3]
    « Les Veilleurs : cultive-toi et marche », La Vie, 9 avril 2014.
  • [4]
    La Manif pour tous est fondée à l’automne 2012 en réaction au projet de loi sur le mariage pour les couples de même sexe. Elle est initialement constituée en association loi 1901 par un collectif de 37 associations relevant très majoritairement du mouvement familial et du mouvement pro-vie catholiques, dont le réseau dense et coordonné joua un rôle déterminant dans le succès de la mobilisation. S’y adjoignent quelques organisations conservatrices des autres traditions religieuses. En 2013, LMPT organise quatre manifestations nationales dont les deux plus fréquentées, selon les chiffres de la préfecture de police de Paris, rassemblent entre 300 000 et 340 000 et personnes.
  • [5]
    Entretien avec un fondateur « Gavroches », Paris, 4 août 2015.
  • [6]
    Entretien avec une militante « Gavroches », Paris, 16 novembre 2014.
  • [7]
    Voir notamment Tricou (J.), « Entre masque et travestissement. Résistances des catholiques aux mutations de genre en France : le cas des Hommen », Estudos de Religião, 30 (1), 2016 ; Labussière (M.), « Le féminisme comme “héritage à dépasser” : les Antigones, un militantisme féminin à la frontière de l’espace de la cause des femmes », Genre, sexualité & société [en ligne], 18 | Automne 2017 (consulté le 5 février 2018) ; Della Sudda (M.), « Les Vigiles debout », in Dumons (B.) et Gugelot (F.), dir., Catholicisme et identité : regards croisés sur le catholicisme français contemporain (1980-2017), Paris, Karthala, 2017.
  • [8]
    L’autre animatrice du collectif Gavroches a pour sa part été embauchée à la Fondation Ichtus (organisation catholique traditionnaliste). Des carrières journalistiques se sont également consolidées dans la participation à LMPT et aux « veillées », à l’instar d’Eugénie Bastié (Le Figaro) ; dans le champ partisan encore, la notoriété de François-Xavier Bellamy – devenu plus tard tête de liste Les Républicains aux élections européennes de 2019 – a bénéficié pour partie de son passage chez les Veilleurs.
  • [9]
    L’autrice remercie Éric Agrikoliansky ainsi que Jean-Philippe Heurtin et les relecteurs et relectrices anonymes pour leurs précieux conseils et commentaires.
  • [10]
    Agrikoliansky (É.), Collovald (A.), « Mobilisations conservatrices : comment les dominants contestent ? », Politix, 106, 2014.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    Voir sur ce point Tartakowsky (D.), Les droites et la rue. Histoire d’une ambivalence, de 1880 à nos jours, Paris, La Découverte, 2014, et Della Sudda (M.), Les avatars de la « Manif pour tous ». Recompositions autour des questions de genre, mémoire de HDR, IEP de Bordeaux, 2020.
  • [13]
    Le Moigne (F.), « La manifestation catholique (1902-1950) », in Balcou (J.), Provost (G.) et Tranvouez (Y.), dir., Les Bretons et la Séparation (1795-2005), Rennes, PUR, 2006. Voir aussi Tartakowsky, Les droites et la rue…, op. cit. Précédée par les initiatives des Ligues féminines à l’occasion de la loi de 1905, structurée par des organisations de masse et s’inspirant du répertoire séculier de ses adversaires, la manifestation catholique émerge avec la Fédération Nationale Catholique en 1924 contre le projet d’appliquer la loi de séparation à l’Alsace et la Lorraine. L’insurrection du 6 février 1934 amorce un relatif détachement des droites envers la forme manifestante au XXe siècle.
  • [14]
    Béraud (C.) et Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques. Acteurs, enjeux et mobilisations depuis le mariage pour tous, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2015, p. 167.
  • [15]
    Della Sudda (M.), Les avatars de la « Manif pour tous »…, op. cit., p. 94.
  • [16]
    Ibid., p. 132.
  • [17]
    Ibid., p. 130.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Voir en particulier Béraud (C.) et Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques…, op. cit. ; et Déjeans (L.), « L’opposition au Mariage pour tous en France : entre retour du religieux et laïcisation de la religion », ¿ Interrogations ?, n° 25, « Retour du religieux ? », décembre 2017 [en ligne] (consulté le 4 février 2018).
  • [20]
    Rappelant à certains égards la « virtuosité de la pratique » repérée par Kevin Geay chez Civitas : Geay (K.), « “Messire Dieu, premier servi” ». Étude sur les conditions de la prise de parole chez les militants traditionalistes de Civitas », Politix, 106, 2014.
  • [21]
    Voir notamment Brustier (G.), Le Mai 68 conservateur. Que restera-t-il de la Manif pour tous ?, Paris, Cerf, 2014 et Tricou (J)., « Combat culturel, nouvelle évangélisation ou auto-prosélytisme ? Des prêtres à l’épreuve de La Manif pour tous », in Kaouès (F.), Laakili (M.), Prosélytismes religieux, Paris, Éditions du CNRS, 2016.
  • [22]
    Respectivement Hervieu-Léger (D.), Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003 ; Prearo (M.), L’Ipotesi Neocattolica, Milan, Mimesis, 2020.
  • [23]
    « Ce qui va changer dans nos vies lors d’une veillée transforme les choses », veillée du 23 juin 2017. Outre de nombreux énoncés in situ de cet ordre, l’entretien inédit réalisé par Adeline Wintzer avec un leader Veilleurs confirme ce rôle prêté à l’occupation de rue ; opposée au caractère « mortel pour l’âme » d’une soirée de divertissement « dans un canapé », la rue est décrite comme le lieu où « engager sa chair […], on n’est plus dans son abri individuel, c’est instructif » : Wintzer (A.), La Manif pour Tous, mémoire de Master 2, tome 2, IEP de Strasbourg, 2016, p. 138.
  • [24]
    Voir entre autres Prearo (M.), « Le cadrage religieux de la mobilisation “anti-genre” : une étude micro-événementielle du Family Day », Genre, sexualité & société [en ligne], art. cit. ; Della Sudda (M.), « Les Vigiles debout », art. cit. ; Avanza (M.), « Mobilisations anti-“idéologie du gender” et milieux catholiques pro-life en Italie », Sextant, 31, 2015 ; Avanza (M.), « Using a Feminist Paradigm (Intersectionality) to Study Conservative Women: The Case of Pro-life Activists in Italy », Politics & Gender, 2019.
  • [25]
    Avanza (M.) et Della Sudda (M.), « Ripostes catholiques », Genre, sexualité & société [en ligne], art. cit.
  • [26]
    Fillieule (O.), « Tombeau pour Charles Tilly. Répertoires, performances et stratégies d’action », in Agrikoliansky (E.), dir., Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, 2010, p. 94. Visant à « dépasser l’usage relâché et métaphorique de la notion de répertoire » (ibid.), la notion de « répertoire tactique » désigne « l’agencement de performances et d’interactions propre à chaque groupe » (ibid., p. 82).
  • [27]
    Ibid., p. 96. Sur la « dimension dramaturgique » d’une protestation, voir Broqua (C.) & Fillieule (O.) « Chapitre 6. Act Up ou les raisons de la colère » in Traïni (Ch.), dir., Émotions… Mobilisation, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
  • [28]
    L’enquête repose sur l’observation ethnographique à Paris, Bondy et Versailles d’une vingtaine de veillées entre l’automne 2013 et l’été 2017, et de diverses initiatives Gavroches (marchés de rue, concerts, fête de la musique, soirée-débat). Des rassemblements Sentinelles furent également observés à Paris et Strasbourg. Seize entretiens ont été menés avec des participants engagés à différents niveaux d’intensité. Outre l’ethnographie et la veille documentaire, qui fournissent la matière pour cet article, l’enquête a suivi les conversations Twitter – par aspiration et analyse de données – de 47 comptes identifiés comme se rapportant au noyau actif des collectifs étudiés ici.
  • [29]
    Entretien avec un jeune cadre de LMPT participant aux veillées, 13 mai 2014.
  • [30]
    Hendrick (J.), Globalization and Marketized Islam in Turkey: The Case of Fethullah Gülen, PhD dissertation, University of California, 2012.
  • [31]
    Fillieule (O.), « Tombeau pour Charles Tilly », art. cit., p. 96.
  • [32]
    Offerlé (M.), « Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles) », Politix, 81, 2008.
  • [33]
    Béraud (C.), Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques, op. cit.
  • [34]
    Tartakowsky (D.), Les droites et la rue, op. cit.
  • [35]
    En observation à la Manif Pour Tous, Paris, 5 octobre 2014.
  • [36]
    Entretien avec un fondateur Gavroches, Paris, 4 août 2015.
  • [37]
    Sommier (I.), « Diffusion et circulation des mouvements sociaux », in Agrikoliansky (É.), dir., Penser les mouvements sociaux, art. cit.
  • [38]
    Cf. Taylor (V.), « La continuité des mouvements sociaux. La mise en veille du mouvement des femmes », in Fillieule (O.), Le désengagement militant, Paris, Belin, 1989/2005 ; voir aussi Sommier (I.), « Diffusion et circulation des mouvements sociaux », art. cit.
  • [39]
    Parmi lesquelles des métropoles (Lyon, Marseille, Strasbourg) et des villes moyennes (citons notamment Annecy, Chartres, Chambéry, Cherbourg, Clermont-Ferrand, Grenoble, Limoges, Nantes, Orléans, Poitiers, Reims, Rennes, Toulon ou Versailles).
  • [40]
    Della Sudda (M.), « Les Vigiles debout », art. cit.
  • [41]
    Raison du Cleuziou (Y.), Qui sont les cathos aujourd’hui ?, Paris, Desclée de Brouwer, 2015.
  • [42]
    Ce sont là les deux principales branches du scoutisme dit « traditionnel », fondées respectivement en 1958 et 1970 en réaction au processus de modernisation initié au sein des Scouts de France.
  • [43]
    Le mouvement Souverainetés, identité et libertés (SIEL) est un parti souverainiste fondé en 2011 par Paul-Marie Coûteaux et qui intègre le Rassemblement bleu Marine en 2012.
  • [44]
    Entretien avec un fondateur Gavroches, Paris, 4 août 2015.
  • [45]
    La surreprésentation des ENS dans les collectifs de la mouvance s’observe en divers lieux – ainsi des Altercathos, émanation de l’aumônerie catholique de l’ENS Lyon, qui a été très impliquée dans LMPT avant de s’en distancier. On peut encore mentionner le profil de François-Xavier Bellamy, ancien de l’ENS Ulm (philosophie) et passé par les Veilleurs.
  • [46]
    Magali Della Sudda souligne à ce sujet « la mixité de la “Manif pour tous” et la place prépondérante des femmes dans l’organisation du mouvement », « conférant une visibilité aux “femmes de droite” », Della Sudda (M.), Les avatars de la « Manif pour tous »…, op. cit., pp. 10-11. Sur cette question voir aussi Béraud (C.), « Trois sens du mot nature », La bataille du genre, Paris, Fayard, 2021.
  • [47]
    Della Sudda (M.), « “La politique malgré elles”. Mobilisations féminines catholiques en France et en Italie (1900-1914) », Revue française de science politique, 60 (1), 2010.
  • [48]
    Notamment Antigone (J. Anouilh), « Je hais les indifférents » (A. Gramsci), Cyrano de Bergerac (E. Rostand), L’homme révolté (A. Camus), « La rose et le réséda » (L. Aragon), « Révolution » (S. Mrozek).
  • [49]
    Celle-ci a souvent une portée missionnaire et/ou de soutien aux chrétiens d’Orient.
  • [50]
    Sur cet aspect voir le travail très fin de Maël Ginsburger, qui repère également dans le scoutisme « une des origines majeures des Veilleurs » : Ginsburger (M.), Les Veilleurs. Un mouvement social et religieux, Mémoire de Master, ENS Cachan – Université Paris IV, 2015, p. 77.
  • [51]
    Les chants ont en commun de référer à une épreuve et à son dépassement, qu’il s’agisse de L’Espérance (« Reprends courage (…) même le plus noir nuage a toujours sa frange d’or »), du Canon de la paix (« Et nous fondrons des piques pour des faux, (…) la paix sera notre combat ») ou du Chant des Partisans.
  • [52]
    Crédit : « FRANCECATHO – Flickr : Veilleurs_10 », sous licence Creative Commons, https://www.flickr.com/photos/france-catholique/8680653542/in/album-72157633332870307/. Photographie en couleur dans sa version originale.
  • [53]
    Voir aussi Tricou (J.), « Entre masque et travestissement », art. cit.
  • [54]
    Voir sur ce point le précieux travail de généalogie réalisé par Yann Raison du Cleuziou : Raison du Cleuziou (Y.), Une contre-révolution catholique : aux origines de La Manif pour tous, Paris, Seuil, 2019.
  • [55]
    Fakir est un journal bimensuel de gauche, à tonalité satirique, fondé en 1999 par François Ruffin (élu en 2017 député de la Somme, rattaché au groupe La France insoumise). Fondé en 2000, Pièces et main-d’œuvre est un collectif grenoblois d’inspiration luddiste, antitechniciste et anticapitaliste. À noter que chez les antifascistes, ces deux références sont régulièrement soupçonnées de « confusionnisme », c’est-à-dire d’entretenir une ambiguïté rhétorique entre les thèmes de gauche et d’extrême droite.
  • [56]
    Entendu en veillée, place de l’Odéon, 5 octobre 2014.
  • [57]
    La Communauté de l’Emmanuel est très présente dans la mouvance. Voir notamment Brustier (G.), Le Mai 68 conservateur, op. cit. ; Béraud (C.), Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques, op. cit.
  • [58]
    « Une soirée avec les Veilleurs », La Vie, 21 avril 2013.
  • [59]
    « Les Veilleurs : “cultive-toi et marche” » La Vie, 26 août 2014.
  • [60]
    « Veilleurs au nom de leur foi », Pèlerin, 24 juillet 2014.
  • [61]
    Marion (Ph.), « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication, 7, 1997.
  • [62]
    Raison du Cleuziou (Y.), « Les Poissons Roses et Sens Commun. Un renouveau de l’engagement des catholiques en politique ? », Les Cahiers du littoral, 15 (2), 2016.
  • [63]
    Della Sudda (M.), « La contro-mobilitazione cattolica intorno al ‘gender’ : le Sentinelle francesi », Politiche dell’orgoglio. Sessualità, soggettività e movimenti sociali, Pisa, ETS, 2015.
  • [64]
    Constitué suite à la manifestation du 24 mars 2013, le Printemps français est un collectif né d’une scission de LMPT. Défendant un répertoire d’action plus direct et perturbateur qu’une Manif pour tous jugée trop pacifique, il rassemble nombre de membres de mouvances d’extrême droite.
  • [65]
    Avanza (M.), « Mobilisation anti-“idéologie du gender”… », art. cit.
  • [66]
    Lecteurs occasionnels de sciences sociales, ils invoquent en entretien D. Tartakowsky pour expliquer que « la gauche n’a pas le monopole de Gavroche ». La mouvance compte d’ailleurs une autre association nommée « Cosette et Gavroche », fondée en octobre 2012 à Lyon et dont le secrétaire devint par la suite un leader Veilleur. À noter que le personnage de Gavroche était déjà une référence chez divers groupes identitaires.
  • [67]
    « Présentation du mouvement », datée du 26 septembre 2013, www.lesgavroches.org (dernière consultation le 12 janvier 2017). Le site a été fermé après l’été 2018.
  • [68]
    Page d’accueil sur www.lesgavroches.org (dernière consultation le 12 janvier 2017).
  • [69]
    « La culture du débat, c’est d’ailleurs ce qui nous définit ! », sur scène au concert Gavroches le 21 juin 2015.
  • [70]
    Sur les conflits dans la genèse des Veilleurs et la difficulté à obtenir des entretiens, voir également l’enquête de Ginsburger (M.), Les Veilleurs…, op. cit.
  • [71]
    Ce point est très documenté, voir notamment Béraud (C.), Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques, op. cit., et pour le cas italien Avanza (M.), « Mobilisations anti “idéologie du gender” », art. cit., qui montre comment diverses structures dormantes ont consolidé les mobilisations anti-genre sur la Péninsule.
  • [72]
    http://www.ichtus.fr/events/action-politique-et-culturelle/ (dernière consultation le 10 décembre 2016).
  • [73]
    Cucchetti (H.), « “L’Action française contre l’Europe”. Militantisme royaliste, circulations politico-intellectuelles et fabrique du souverainisme français », Politique européenne, 43 (1), 2014.
  • [74]
    Sur l’histoire et le rôle d’Immédiatement, voir également Raison du Cleuziou (Y.), Une contre-révolution catholique…, op. cit.
  • [75]
    https://osp.frejustoulon/a-propos/presentation (dernière consultation le 10 janvier 2019). L’université d’été « Acteurs d’avenir » du Diocèse de Paris a joué un rôle similaire, tout comme l’école de formation spirituelle EVEN à l’église Saint-Germain des Prés.
  • [76]
    Présentation de l’IFP, www.ifpfrance.org (dernière consultation le 30 janvier 2017).
  • [77]
    L’IFP a notamment formé des membres de Sens Commun et plusieurs activistes Internet de la mouvance.
  • [78]
    Entretien, 27 juin 2014.
  • [79]
    Agrikoliansky (É.), Collovald (A.), « Mobilisations conservatrices… », art. cit.
  • [80]
    Wintzer (A.), La Manif pour Tous, op. cit.
  • [81]
    Ibid., extraits d’entretiens avec Arnaud Bouthéon, pp. 130-131.
  • [82]
    Terme entendu plusieurs fois de divers observateurs.
  • [83]
    On peut mentionner entre autres le chant militaire La Strasbourgeoise.
  • [84]
    Le Moigne (F.), « La manifestation catholique », art. cit.
  • [85]
    Rétif (S.), « Ringards, hypocrites et frustrés ? Les militants des associations familiales catholiques face à la réprobation », Politix, 106, 2014. Pour une réflexion sur les « figures Veilleurs » dérivées de cette spiritualité : Ginsburger (M.), Les Veilleurs…, op. cit.
  • [86]
    Sur les rapports intergroupes et le rôle de la police, voir notamment Fillieule (O.), Tartakowsky (D.), « Qu’est-ce qui fait courir les manifestant(e)s ? », La manifestation, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, et Lacroix (I.), « “C’est du vingt-quatre heures sur vingt-quatre !” Les ressorts du maintien de l’engagement dans la cause basque en France », Politix, 102 (2), 2013.
  • [87]
    Entendu régulièrement en veillée.
  • [88]
    Veillée place de l’Odéon, 5 octobre 2014.
  • [89]
    Voir notamment Béraud (C.) et Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques…, op. cit.
  • [90]
    Veillée Place de la Sorbonne, 11 novembre 2014.
  • [91]
    En témoigne le rôle clé de l’instantané photographique publié in situ sur les réseaux sociaux.
  • [92]
    Favre (P.), « 9. Les manifestations de rue entre espace privé et espaces publics », in Favre (P.), Fillieule (O.), Jobard (F.), dir., L’atelier du politiste. Théories, actions, représentations. Paris, La Découverte, 2007.
  • [93]
    Ibid.
  • [94]
    Notamment lorsqu’il s’agit de minorités manifestantes ; voir en particulier Broqua (Ch.), Agir pour ne pas mourir ! Act Up, les homosexuels et le sida, Paris, Presses de Sciences Po, 2005 et Lacroix (I.), « “C’est du vingt-quatre heures sur vingt-quatre !”… », art. cit.
  • [95]
    Sur la clôture des groupes radicaux dans l’extrême-droite catholique, voir Geay (K.), « “Messire Dieu, premier servi”… », art. cit.
  • [96]
    Sur la revendication d’une expertise « anthropologique », voir Béraud (C.), « Un front commun des religions contre le mariage pour tous ? », Contemporary French Civilization, 39 (3), 2014.
  • [97]
    À titre d’exemple, trois chants sont annoncés lors de la veillée à Montmartre le 19 mai 2015 : « Bonsoir, moi je vais vous chanter une chanson qui s’intitule “Reine” et qui a donc été écrite par sainte Thérèse de Lisieux » ; « Bonsoir, alors mon chant à moi s’appelle “Deux saintes” puisque c’est sainte Catherine qui s’adresse à sainte Marguerite » ; « Cette chanson s’appelle “Ode à Jésus”. C’est une prière ».
  • [98]
    Veillée du 5 octobre 2014, place de l’Odéon.
  • [99]
    « Débat de rue » à l’occasion de la Fête des Lumières à Lyon, 10 décembre 2016.
  • [100]
    Bernstein (M.), « Celebration and Suppression: The Strategic uses of Identity by the Lesbian and Gay Movement », The American Journal of Sociology, 103 (3), novembre 1997.
  • [101]
    Au-delà du terrain francilien, le cas de la Gironde confirme ce constat : Della Sudda (M.), Les avatars de la « Manif pour tous »…, op. cit.
  • [102]
    Veillée du 19 mai 2015, esplanade de Montmartre.
  • [103]
    Veillée du 24 juin 2016, cour du Louvre.
  • [104]
    Alduy (C.) et Wahnich (S.), Marine Le Pen prise aux mots, Paris, Seuil, 2015.
  • [105]
    Tels de nombreux retweets ou citations de Marion Maréchal Le Pen, des références anti-islam ou des positionnements en faveur d’une « droite hors-les-murs ». Voir Vroylandt (Th.), « Ethnographie, numérique et statistiques : les Veilleurs de la “Manif pour tous” », Journée d’études « De la constitution d’un corpus aux analyses statistiques », Paris, Université de Nanterre, 10 octobre 2016.
  • [106]
    Hendrick (J.), Globalization and Marketized Islam in Turkey…, op. cit.
  • [107]
    Voir Avanza (M.), « Mobilisations anti-“idéologie du gender”… », art. cit., 2015.
  • [108]
    Veillée du 18 juin 2015, place Vendôme.
  • [109]
    « Ichtus, une présence originale depuis 1946 », Fondation Ichtus, 30 novembre 2012.
  • [110]
    Raison du Cleuziou (Y.), Une contre-révolution catholique …, op. cit. pp. 129-130.
  • [111]
    Charte des Veilleurs, juin 2013.
  • [112]
    Veillée du 5 octobre 2014, place de l’Odéon.
  • [113]
    L’Institut de formation politique en est un autre canal de diffusion : au moment où l’enjeu est de pérenniser les entreprises militantes qui ont émergé de LMPT, la « guerre culturelle » devient un motif central de ses formations. Il s’intensifie tandis que monte en puissance le thème d’une droite « hors les murs », dont les Gavroches et certains Veilleurs sont partie prenante, participant par exemple aux « Rencontres des droites » à Béziers en mai 2016.
  • [114]
    Ludovine de la Rochère, présidente de LMPT, s’adressant aux Veilleurs le 19 juin 2015, place Vendôme à Paris.
  • [115]
    Certains lieux furent plusieurs fois occupés, à l’instar de la place de la Sorbonne (4 veillées). À lui seul le « Quartier latin » a hébergé un quart des lieux de veillées recensés.
  • [116]
    Veillée du 27 juin 2014, quai Voltaire face au musée d’Orsay.
  • [117]
    Veillée du 19 mai 2015, parvis de Montmartre.
  • [118]
    Thème de la veillée du 27 juin 2014 quai Voltaire.
  • [119]
    Entendu in situ à l’occasion de conversations informelles.
  • [120]
    En Île-de-France un autre répertoire de la mouvance, vers lequel ont évolué les Gavroches et qui est dominé par le street art et les contre-cultures urbaines, occupe la périphérie parisienne et s’articule à ce répertoire patrimonial. Pour une mise en perspective cf. Balas (M.) et Tricou (J.), « “Nous, maintenant, on veut poursuivre cette occupation de la rue” : les catholiques attestataires entre contre-culture et défense patrimoniale », Social Compass, 66 (1), mars 2019.
  • [121]
    Très discutée pour ses présupposés essentialistes, cette notion fut lancée dans les années 2000 par Christophe Guilluy, essayiste, et Laurent Bouvet (1968-2021), professeur de sciences politiques. Fondateur du mouvement le Printemps Républicain, qui défend une laïcité identitaire, ce dernier fut l’invité-conférencier d’un dîner Gavroches.
  • [122]
    Pelletier (D.), « L’identité entre sciences sociales et usages politiques », in Dumons (B.) et Gugelot (F.), dir., Catholicisme et identité. Regards croisés sur le catholicisme français contemporain (1980-2017), Paris, Karthala, 2017.
  • [123]
    Ibid.
  • [124]
    Lenoir (R.), « Mouvement familial et classes sociales », Savoir/Agir, vol. 26, n° 4, 2013.
  • [125]
    Ibid.
  • [126]
    Sur le déclassement symbolique des militants catholiques observants, voir notamment Raison du Cleuziou (Y.), Une contra-révolution catholique, op. cit.
  • [127]
    Extrait d’entretien, in Balas (M.) et Tricou (J.), « “Nous, maintenant, on veut poursuivre cette occupation de la rue”… », art. cit. Pour un développement plus approfondi sur cette question et sur la dynamique urbaine de ces répertoires, on renvoie à cet article.
  • [128]
    Voir Béraud (C.), La bataille du genre, op. cit.
  • [129]
    Voir Béraud (C.), Le Catholicisme français à l’épreuve des scandales sexuels, Paris, Seuil, 2021 ; Pelletier (D.), Les catholiques en France de 1789 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2019. À noter que la défaite aux élections européennes, en 2019, du candidat Bellamy passé par LMPT et les Veilleurs fait écho à ce constat.
  • [130]
    Lavizzari (A.) et Prearo (M.), « The anti-gender movement in Italy: Catholic participation between electoral and protest politics », European Societies, 21 (3), 2019.
  • [131]
    Voir aussi Kuhar (R.) et Paternotte (D.) dir., Anti-Gender Campaigns in Europe, Londres, Rowman & Littlefield, 2017.

Introduction

1En 2015, aux « États généraux du christianisme » organisés par l’hebdomadaire catholique La Vie, une session fit témoigner deux jeunes anciens animateurs des mobilisations contre la loi sur le mariage pour les couples de même sexe. Avec un recul de plusieurs mois sur cet engagement passé, l’un d’eux décrivait son engagement en ces termes : « L’essentiel de la politique ne se joue pas au niveau de la représentation politique. […] Nous sommes contre l’idée d’une représentation qui détiendrait le monopole de ce qui est politique [1]. »

2« Faire de la politique d’une nouvelle manière [2] », « se réapproprier le champ du politique [3] » : chez nombre de jeunes catholiques mobilisés auprès de La Manif pour Tous [4] (LMPT) et qui ont poursuivi l’expérience militante au-delà du vote de la loi en mai 2013, la portée « politique » de l’action collective est fortement revendiquée : « on fait de la politique : la politique électoraliste n’est pas toute la politique [5] ».

3Bénéficiant de l’engagement d’une génération de jeunes adultes, LMPT a constitué une séquence d’initiation à l’action collective – « c’est ce qui s’est passé avec la Manif pour tous qui nous a fait nous intéresser à la politique », déclare ainsi une jeune militante disant s’y être découvert une « haute conscience de la nécessité d’agir [6] ». Dans le courant de l’année 2013, divers collectifs satellitaires ont émergé. Recrutant, à l’instar de LMPT, au sein d’un catholicisme conservateur marqué par une forte identité de classe, les Camping pour tous, Hommen, Antigones, Sentinelles, Veilleurs ou Gavroches [7] notamment ont animé les cortèges de LMPT et structuré l’engagement des manifestants en groupes affinitaires. De ces expérimentations collectives, les deux dernières en particulier furent fondées au moment du vote de la loi et ont contribué à faire émerger des figures militantes ou à renforcer l’engagement d’individus déjà investis dans les mouvements. Ainsi, deux des quatre fondateurs du courant Sens Commun, créé au sein de l’UMP devenue Les Républicains, furent issus des Veilleurs. Revue de référence en matière d’écologie conservatrice, Limite – Revue d’écologie intégrale fut également co-fondée par d’anciens leaders Veilleurs. Il en va de même avec diverses trajectoires de professionnalisation : entre autres exemples, un leader Gavroches a rejoint en 2016 le cabinet du maire d’extrême droite Robert Ménard à Béziers, tandis qu’une fondatrice Veilleurs devenait en 2017 l’attachée parlementaire d’Emmanuelle Ménard, députée de l’Héraut et épouse de ce dernier [8]. Ces collectifs apparaissent ainsi comme des lieux de socialisation militante et invitent à une identification fine des logiques de politisation à l’œuvre [9].

4Ce processus de politisation, en effet, ne va pas de soi. Les travaux récents sur les mobilisations conservatrices ont souligné la méfiance de leurs protagonistes envers les répertoires traditionnels d’action collective [10]. Les dominants, observent Éric Agrikoliansky et Annie Collovad, doivent « apprendre à protester » et il convient d’examiner les « adaptations tactiques » qui soutiennent l’engagement [11]. Chez les catholiques conservateurs, le recours à la pratique manifestante est historiquement marqué par une ambivalence : s’il repose sur une intégration des normes démocratiques et s’il permet d’affirmer une présence catholique, il est discontinu et frappé d’amnésie [12]. Ce phénomène, repéré dès « l’invention de la manifestation catholique [13] » contre le Cartel des gauches dans les années 1920, traverse l’histoire du rapport des droites à la rue. Pour le cas contemporain de LMPT, Céline Béraud et Philippe Portier soulignent la fonction identitaire de la mobilisation chez un public qui se représente en minorité religieuse, et qui saisit là l’occasion « d’une affirmation dans l’espace public comme communauté [14] ». Mais le choix tactique du cortège manifestant résulte, comme le montre Magali Della Sudda, de la « pression concurrentielle [15] » du collectif intégriste Civitas – résolu très tôt à prendre la rue. Sa légitimation ad intra s’est quant à elle construite par effet cumulatif, « au cours même de la protestation [16] », sous l’effet d’une « acculturation par l’action [17] ».

5Pour ces catholiques mobilisés avec LMPT, les stratégies d’adaptation sont ainsi évolutives et conditionnent l’apprentissage militant tout au long de la mobilisation. À la fondation du mouvement à l’automne 2012, elles produisent un double cadrage. D’une part, la mobilisation est présentée comme un événement spontané passant sous silence les engagements antérieurs [18]. D’autre part, l’organisation met en place une rhétorique universaliste qui efface les marqueurs politiques et religieux : LMPT se veut ainsi « a-politique » tout autant qu’« a-confessionnelle [19] ».

6Les mois suivant le vote de la loi sur le mariage pour tous marquent sur ce point une inflexion : la revendication par les jeunes leaders d’un engagement « politique » dans « la rue » ne signale pas simplement qu’ils modèrent leurs efforts de dépolitisation. Il met en lumière l’évolution de leur expérience militante et de son horizon d’attente. Cette redéfinition correspond à un moment précis : celui où s’amorce la fin du cycle manifestant et où des collectifs issus de LMPT se sont autonomisés, inventant des stratégies de rue alternatives au cortège. Le plus remarqué d’entre eux, les Veilleurs, élabore un répertoire tactique adapté à son public : ascétique [20], spiritualisé et littéraire, il se construit en contrepoint à la manifestation et s’accorde davantage aux attentes et savoir-faire de ses participantes et participants. Ce répertoire aux accents élitaires est ajusté à l’ambition d’une politisation « par le combat culturel » : la référence gramscienne à la conquête « métapolitique » s’affirme dans la mouvance au moment de prolonger par d’autres moyens une mobilisation déclinante, et elle trouve dans les Veilleurs l’un de ses principaux relais [21]. L’émergence de ces répertoires alternatifs s’inscrit par là dans le contexte plus général d’« exculturation » et d’« expolitisation » du catholicisme [22], qui fait des offensives anti-genre un outil de reconquête de l’espace public et de politisation de la droite catholique traditionaliste.

7En prenant pour objet les Veilleurs et les Gavroches, on souhaite analyser ce passage à un militantisme de facture politique chez des acteurs jusqu’alors essentiellement socialisés à l’activisme religieux : comment ce que les intéressés nomment « la rue », et qu’ils et elles décrivent comme une expérience « instructive » sinon « transformatrice [23] », a-t-il été un lieu central d’initiation militante ? On analysera ainsi ce processus en considérant les dispositifs de protestation comme un creuset de la politisation, et en examinant l’apparente contradiction entre des transferts religieux et des emprunts aux luttes de gauche.

8Il s’agit de contribuer aux inspirantes élucidations ethnographiques réalisées sur des objets comparables [24], en constatant, avec Martina Avanza et Magali Della Sudda, que « la dimension corporelle de l’engagement est centrale dans la politisation de l’intime telle qu’elle s’opère dans des mouvements qui assument une naturalisation de l’ordre social [25] ». Les techniques du corps et le matériel scénographique, les énoncés en situation, les interactions ad intra et avec des acteurs externes (cortège LMPT, police, riverains et passants) sont autant de matériaux susceptibles de documenter la politisation par ses répertoires in situ et par ses références. L’objet est de saisir ces agencements sur le vif, faisant écho à l’invitation formulée par Olivier Fillieule à investir « les répertoires tactiques, les conditions de leur adoption, de leurs transformations et de leur extension [26] », en prêtant notamment attention à « la morphologie même des performances » et à leur dramaturgie propre [27]. Il s’agit enfin d’enrichir les données recueillies par entretien, dans la mesure où les déclarations des enquêtés relatives à leur trajectoire ne permettent pas toujours de restituer la dynamique de leur politisation : l’ethnographie apporte donc un complément indispensable à l’enquête [28].

9À cet effet, la mobilisation appelle un examen en trois temps. Elle invite, tout d’abord, à analyser les conditions d’émergence des Veilleurs et Gavroches, en étudiant leurs répertoires tactiques, les publics qu’ils mobilisent et les raisons de leur appétence déclarée à « créer de nouvelles méthodes d’action [29] » (I). Il s’agira ensuite d’identifier les transferts de ressources qui soutiennent les performances et leur apprentissage, ainsi que les ambiguïtés stratégiques [30] par lesquelles s’affermissent la cohésion interne des collectifs et leur progressive repolitisation (II). Enfin, en vue d’articuler plus finement « l’observation [aux] significations culturelles qui y sont attachées [31] », on cherchera à saisir le fonctionnement du motif gramscien de « la bataille culturelle » en articulant l’occupation de l’espace urbain avec les enjeux territoriaux et économiques sous-jacents (III).

Public large, noyau politisé : l’émergence de répertoires tactiques adjacents à LMPT

« On va tenter une petite ola » : inconforts et réajustements de répertoire

10À partir du printemps 2013, deux types de vocabulaire manifestant coexistent au sein de LMPT. Le premier a trait aux cortèges et relève du répertoire traditionnel de l’action collective, dont il illustre les évolutions [32] : scénographies ludiques (chars, chorégraphies, musique pop), lobbying institutionnel, mise en œuvre d’une « contre-expertise [33] ». Il procède encore pour les catholiques d’une matrice ancienne, telle l’affirmation d’une autorité dans l’espace public par la procession [34].

11Si les manifestants investissent les cortèges avec un enthousiasme tangible, on repère aussi un certain inconfort chez un public faiblement socialisé à la performance. Les situations révèlent ainsi de nombreux désajustements entre les attendus de l’exercice et son exécution :

12

« Faites du bruit peuple de France ! » Postés sur le char de tête, une jeune femme et un jeune homme sont en charge d’animer l’ensemble du cortège. La consigne énoncée dans les haut-parleurs est l’exhortation coutumière à « faire du bruit » : réitérée en boucle tout au long de la marche, elle apparaît très vite comme l’étalon central de la participation.
En situation, cette consigne est accueillie par un flottement poli. Des familles, des adultes, des grappes de jeunes gens applaudissent brièvement. Ils concèdent quelques clameurs, avant de poursuivre leurs conversations au sein d’un rassemblement que l’entre-soi gratifie d’une convivialité mondaine et enjouée. Nul tintamarre dans cette assemblée, à l’exception des animateurs, appliqués à donner de la voix et laissés en cela à une certaine solitude.
Ceux-ci prennent acte du décalage entre les injonctions et l’exécution. Au micro, une série de « bravo à tous » et de « formidable ! » viennent en renfort pour accréditer la performance, même si ses conditions de mise en œuvre paraissent incertaines : « On va tenter de faire une petite ola », annonce en milieu d’après-midi le jeune animateur. La ola est lancée, quelques bras se lèvent. « Formidable, j’espère que ça marche ! J’espère que ça rend sur les images ! » Cela ne rend pas très bien. « En tout cas, vous êtes formidables ! »
Le public ne se sera montré véritablement « sonore » et démonstratif qu’à trois moments : pour huer les persécuteurs putatifs (Christiane Taubira et Najat Vallaud-Belkacem, ministres respectivement de la Justice et de l’Éducation nationale) ; pour chanter la Marseillaise ; enfin, pour acclamer les cadres de LMPT ainsi que la veillée des Veilleurs annoncée en fin de manifestation [35].

13Cet inconfort à s’inscrire dans des codes hérités d’un répertoire syndical lui-même transformé par le modèle festif de la gay pride est commenté par les enquêtés : « Ça peut pas durer, la techno, l’étendard avec la petite famille… Ce qui était très consensuel montre ses limites, ça cristallise beaucoup de critiques [36]. » Leurs répertoires tactiques ont alors constitué autant d’espaces de réajustement de la pratique manifestante au regard des cortèges LMPT.

14Les Veillées et les Gavroches apparaissent avec le vote de la loi au printemps 2013 et ont connu une évolution en trois étapes. Leurs premiers mois d’existence connaissent un succès médiatique et de fréquentation. De la fin 2013 jusqu’au printemps 2015, s’ensuit une longue et lente période de reflux : cette « phase dépressive [37] » accompagne, en lui survivant de plusieurs mois, la fin de cycle de LMPT ; à l’instar de cette dernière qui se convertit en entreprise de lobbying, elle prépare d’autres modalités de déploiement. En un troisième temps, on observe des reconversions militantes et diverses formes de professionnalisation, cependant que les collectifs qui avaient espacé leurs rassemblements rejoignent à l’été 2018 les structures dormantes [38] de la mouvance. Ces collectifs réapparaissent ponctuellement à l’occasion de mobilisations extérieures à celle-ci (les Veilleurs ont manifesté brièvement aux côtés des Gilets Jaunes) ou internes (Veilleurs et Gavroches ont fait partie du collectif Marchons Enfants ! contre la loi sur la Procréation médicalement assistée à l’automne 2019).

15Avant de décrire ces répertoires et leurs ressorts, il convient d’évoquer leurs publics, au premier rang duquel celui des veillées qui se redistribue ensuite souvent vers d’autres collectifs. Lorsqu’elles émergent, d’abord à Paris à la mi-avril 2013, ces dernières rassemblent chaque semaine entre cinq et trois cents personnes. Marquées par l’entre-soi de la jeunesse catholique bourgeoise, elles essaiment dans une soixantaine d’autres villes [39] où elles comptent quelques dizaines de personnes dont la distribution générationnelle est plus hétérogène [40]. Dans la capitale, la majorité des effectifs est constituée d’un cercle large d’étudiants et jeunes actifs peu familiarisés avec le militantisme politique mais fortement socialisés dans l’associationnisme religieux. Recrutés par réseaux d’interconnaissance, ils sont en grande part issus des cercles scouts, paroisses et communautés charismatiques. Ils s’inscrivent dans la catégorie des « observants » proposée par Yann Raison du Cleuziou pour décrire ces catholiques pratiquants très attachés au magistère romain et à la doctrine sociale de l’Église. Ritualistes, hostiles au libéralisme, convaincus d’entretenir un rapport privilégié à la vérité religieuse, les observants se représentant en dépositaires de l’identité française [41]. La minorité fréquentant les veillées conçoit celles-ci comme une offre complémentaire à LMPT, et une réponse aux affrontements avec les forces de l’ordre qui sont survenus en marge des cortèges au moment du vote de la loi. En 2014, les veillées continuent de réunir une centaine de personnes, avant que les effectifs ne décroissent significativement (ils sont une cinquantaine en 2016).

16Le noyau fondateur des Veilleurs, comme celui des Gavroches, se situe dans ce paysage religieux : constitué d’anciens animateurs et animatrices d’aumônerie ou des JMJ, d’anciens cheftaines et chefs Scouts d’Europe ou Scouts Unitaires de France [42], passé souvent par les maraudes ou d’autres activités caritatives, il a exercé des responsabilités dans diverses organisations ecclésiales de jeunesse où il s’est formé au leadership. Mais il apparaît également politisé par des expériences antécédentes, qu’il s’agisse d’un engagement partisan (Jeunes Populaires, UMP, FN, Siel [43]), syndical (UNI) ou relevant d’associations politiques (l’Action française). Cette politisation antérieure, fermement conservatrice sinon nationaliste, est avec l’âge moyen le principal élément qui distingue ces jeunes leaders des participantes et participants ordinaires de LMPT. En entretien, certains de ces cadres se disent désenchantés par une expérience partisane : « Un parti politique, c’est zéro action, vous ne faites qu’obéir. Dans un parti jamais on n’aurait fait l’action devant le Sénat [44]. » En revanche et pour politisé qu’il soit, ce noyau n’est pas familiarisé avec l’action politique non conventionnelle.

17Un dernier trait détermine le caractère distinctif du répertoire Veilleurs et la disposition de ses cadres à s’intéresser au combat culturel. Ces leaders ont toutes et tous étudié dans le supérieur et, singularité des veillées, les Écoles normales supérieures y sont surreprésentées : trois des quatre principaux animatrices et animateurs Veilleurs ont étudié à l’ENS Ulm (pour l’une) et Lyon (pour les deux autres) respectivement en lettres classiques, lettres modernes et philosophie [45]. Cette prégnance des études classiques en « Humanités », nous le verrons, s’associe aux ressources religieuses des acteurs pour mettre en forme leurs performances et leur ambition idéologique. Un autre trait frappant est la visibilisation de leaders militantes (aussi nombreuses que les hommes, chez les Veilleurs comme chez les Gavroches) ; tout comme dans d’autres secteurs de la mouvance [46] et à l’instar des Ligues féminines qui animaient jadis le catholicisme intransigeant [47], ces engagements produisent une politisation paradoxale de militantes instituées « gardiennes de la loi naturelle » et font émerger des figures publiques de porteuses de cause.

Romantisme de résistance et brouillage des références

18Le printemps 2013 met ainsi en avant une jeunesse militante qui se présente, avec des accents non dénués de prophétisme, en « résistance » pacifique investissant la rue. Le récit collectif des enquêtés fait apparaître une expérience commune transformée en épreuve fondatrice : les Veilleurs et leur spin off les Sentinelles ont en commun un épisode de garde à vue qui a fortement nourri une rhétorique du « maquis » sinon du martyre.

19Les Veilleurs se sont rassemblés selon un rythme quotidien pendant les premières semaines du vote, puis hebdomadaire et enfin mensuel passé l’été 2013. Ils se retrouvent à la nuit tombante, en des places historiques des centres-villes, sous une surveillance policière rapidement réduite a minima. Assis à même le sol que parsèment des lumignons, les jeunes femmes et hommes se relaient au porte-voix pour déclamer quelques classiques d’une littérature d’insoumission [48], livrer un témoignage ou une réflexion, chanter un choral. Entre deux performances, une intervention est donnée par des personnalités liées à LMPT ou par de jeunes membres d’associations catholiques [49]. Discipliné, le public écoute de longues prédications sans intervenir ni débattre, parfois dans des conditions météorologiques (sous la pluie, dans le froid) mettant le corps à l’épreuve.

20Si la démarche Veilleurs se réfère à la désobéissance civile [50], les rassemblements observent en pratique une trame très proche de la veillée scoute, laquelle représente une institution dans la branche adulte (« les Routiers ») du scoutisme traditionaliste. Son chant emblématique, L’Espérance – dont les participants chantent les nombreux couplets de mémoire – est devenu l’hymne des veillées, et s’accompagne d’autres chants et canons populaires dans le même mouvement [51]. Dès décembre 2012 du reste, une circulaire interne à la Fédération des Scouts d’Europe avait appelé libérer les scouts de leurs activités pour la manifestation LMPT de janvier 2013. Cette convergence avec le format scout a joué un rôle déterminant pour acclimater et fidéliser un public à l’occupation de rue, des participants indiquant avoir été séduits en reconnaissant un modèle auquel ils se disent attachés. Les liens de camaraderie procédant de cette sociabilité juvénile ont un effet d’entraînement important sur le public ; mais là où le recrutement par loyauté au groupe de référence est beaucoup plus attesté dans les cortèges LMPT, le public des veillées témoigne d’un intérêt envers « l’innovation » que représente une veillée, conçue par de jeunes gens pour de jeunes gens, en vue de poursuivre la mobilisation.

Veillée du 23 mai 2013 sur la pelouse des Invalides, dans la semaine suivant la promulgation de la loi sur le mariage pour tous[52]

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Veillée du 23 mai 2013 sur la pelouse des Invalides, dans la semaine suivant la promulgation de la loi sur le mariage pour tous[52]

21Ce transfert religieux a également offert un socle d’identification assez solide pour introduire dans les veillées des emprunts séculiers subversifs ou révolutionnaires. En effet, le matériel des veillées puise en partie dans un stock de références progressistes et/ou anticapitalistes, un trait jusqu’alors repéré de manière plus confidentielle dans divers groupes identitaires [53] ou encore dans le « catholicisme contre-culturel » développé par la génération antérieure [54]. Les Veilleurs affichent des portraits de Gandhi, chantent le Chant des partisans, invoquent Les Indignés et Occupy Wall Street, se réfèrent à Pièces et main-d’œuvre ou Fakir[55]. Dans ces rassemblements denses en motifs littéraires et philosophiques, ils citent encore Karl Marx, Michel Foucault et, de manière centrale et récursive, l’Antonio Gramsci du combat culturel. Ces références, qui sont introduites progressivement dans les veillées à la faveur de nouveaux entrants parmi les leaders, accentuent l’antilibéralisme de la mouvance. Un effet escompté est de neutraliser le soupçon d’entreprise réactionnaire tout en réarmant l’imaginaire politique des membres. Plusieurs techniques corporelles, à l’intersection d’univers religieux et séculiers, favorisent l’initiation des participants et participantes : demeurer assis à même le sol (sit-in / veillée scoute ou religieuse), chanter à l’unisson ou prendre la parole en public, applaudir mains en l’air « comme le font les Indignés[56] » mais aussi comme cela se pratique dans le Renouveau charismatique dont certains cadres Veilleurs sont membres [57].

22Les veillées se présentent et sont alors perçues, à la réception, comme une initiative protestataire non violente donc modérée. Cette mise en équivalence entre un registre d’énonciation et son contenu présumé offre aux veillées une carrière médiatique très qualifiante : lorsqu’elles émergent, la presse catholique modérée notamment décrit des « jeunes pacifiques [58] » dont les initiatives « font avancer la réflexion de leurs aînés, y compris à gauche [59] », ou encore « une voie où culture et spiritualité font bon ménage tout en respectant la laïcité française [60] ». Dans les médias catholiques de toute sensibilité comme dans la presse généraliste de droite, des portraits individuels sont publiés, accréditant la médiagénie [61] de leaders jeunes, photogéniques et au discours de rupture articulé. Le cadrage journalistique témoigne ici d’une juvénophilie historiquement repérable chez les catholiques [62] et dont on peut avancer qu’elle s’intensifie avec le vieillissement de l’univers associatif ecclésial.

23En vertu notamment de cette résonance médiatique, les veillées ont essaimé vers d’autres répertoires tactiques à l’intérieur de la mouvance. Ainsi des Sentinelles [63], nées d’une dissidence dans le groupe fondateur des Veilleurs. Rattachées au Printemps français (lui-même dissident de LMPT) [64], elles se réunissent en silence devant les bâtiments officiels (place Vendôme à Paris, devant le Parlement européen à Strasbourg). Les rassemblements sont silencieux, immobiles, station debout. Réunissant dans un premier temps une centaine d’activistes réguliers sur Paris, également dotées de leurs martyrs exemplaires, les Sentinelles, à l’instar des Veilleurs, déploient une performance ascétique où se lisent à nouveau des ressources propres aux espaces de socialisation religieuse. Exporté en Italie en août 2013, le modèle fut très actif dans la lutte anti-genre [65].

24Ainsi encore des « Gavroches » : fondé à Paris en mai 2013, étroitement lié aux Veilleurs et actif jusqu’à l’été 2018, le groupe occupe le secteur du happening et de l’agit-prop autour de performances modérément perturbatrices, concerts « de rue », « actions pédagogiques de rue » et interpellation sur les marchés. Il compte une vingtaine de jeunes femmes et hommes également engagés dans le scoutisme traditionnel ou dans les JMJ. Rapidement et à la faveur des réseaux d’interconnaissance, le collectif devient très populaire chez les jeunes de la mouvance, notamment par ses « bœufs » lors des événements liés à LMPT où il délivre un répertoire musical similaire à celui des rallyes. Reprenant l’imaginaire de la Commune et du personnage de Victor Hugo, à l’image duquel les membres sont costumés – casquette, bretelles, grosses chaussures – et dont ils entendent disputer l’héritage à la gauche [66], les Gavroches déclarent « investir la rue trop longtemps abandonnée [67] ». Visant les minorités sexuelles et culturelles, ils disent vouloir « réinventer un patriotisme fraternel et populaire qui brise l’entre-soi communautariste [68] ». Un trait significatif sous le rapport d’une division du travail est que les Gavroches développent, à l’instar des Veilleurs mais avec un surcroît d’intensité, le discours le plus centré sur la notion d’espace public. Lorsque les premiers présentent un cadre faiblement interactionnel et déconflictualisé, les Gavroches revendiquent une « culture du débat [69] » dont les observations in situ indiquent qu’ils s’emploient à l’éprouver en situation de confrontation argumentative. Leur disposition à ouvrir l’accès au terrain est d’ailleurs intelligible à ce titre, par contraste avec la relative inaccessibilité des leaders Veilleurs, dont le répertoire est d’autant plus sanctuarisé que sa genèse fut conflictuelle [70].

25Si pour ces collectifs, l’apprentissage du militantisme se construit dans l’expérience pratique de la rue, il importe de souligner le travail de transmission opéré par les générations antérieures. À l’occasion de LMPT, des réseaux jusqu’alors plutôt confidentiels se sont remobilisés ou ont connu un regain de sollicitation [71]. On peut citer parmi d’autres la Fondation Ichtus, originellement créée par le catholique maurrassien Jean Ousset, et qui a organisé avec les collectifs évoqués ici plusieurs événements de « formation à l’action politique et culturelle [72] ». Ou encore les membres de la revue Immédiatement (1996-2005), promotrice entre autres d’un « gramscisme national-républicain [73] », qui ont joué un rôle central dans la formation intellectuelle de certains leaders Veilleurs et soutenu en 2015 la création par ceux-ci de la revue Limite[74]. Certains diocèses œuvrent également en arrière-plan, à l’instar du diocèse de Fréjus-Toulon dont l’archevêque fut un soutien majeur de LMPT : son université d’été, destinée aux jeunes catholiques et conçue comme une formation à « l’engagement des chrétiens en politique [75] », a connu un important succès de fréquentation entre 2013 et 2015. À l’été 2015, elle s’est illustrée en invitant Marion Maréchal Le Pen, une invitation défendue par nos enquêtes sur Twitter et qui témoigne de réagencements en matière d’identification partisane au sein de cette droite catholique. On peut enfin mentionner l’Institut de Formation politique, fondé en 2004 pour former de jeunes « auditeurs » aux « méthodes de base d’une action politique efficace [76] », et situé dans un périmètre libéral-conservateur allant de la droite républicaine à l’extrême droite. L’IFP a lui aussi connu un fort regain d’activité entre 2013 et 2015, renforçant la socialisation au sein de la mouvance et accompagnant les conversions militantes [77]. Plusieurs membres des collectifs évoqués ici y ont étudié, l’IFP jouant un rôle de consolidation a posteriori, une fois ces collectifs constitués et actifs.

26Avec le soutien parfois discret de tels aînés, LMPT et ses cortèges ont ainsi suscité des innovations de répertoires chez une minorité de jeunes acteurs, les érigeant en référence au sein de la mouvance et préparant des engagements ultérieurs. Comment, à présent, ces rassemblements politisent-ils leurs participantes et participants ?

Transferts de ressources et ambiguïtés stratégiques : économie d’un apprentissage

« On a grandi avec les scouts sur le terreau de la grande aventure »

27Le réajustement évoqué plus haut s’opère donc par le transfert, à petite échelle, de techniques et savoir-faire disponibles notamment dans les mouvements de jeunesse catholique ; soulignant l’enthousiasme qu’a suscité chez ses pairs cette découverte de « la rue », un jeune enquêté rapportait : « on a grandi avec les scouts sur le terreau de la grande aventure au fond des bois. Là c’est pareil, sauf que ça s’est concrétisé, du grand jeu scout à… “maintenant on y est pour de vrai” [78] ». De tels transferts de savoirs ne sont pas surprenants dans la mesure où les mobilisations conservatrices ont pour particularité de se nourrir de techniques et de connaissances étrangères aux espaces militants [79]. Ce travail ne suscite pas seulement une adaptation des ressources et dispositions : il contribue également à renouveler les répertoires des intéressés.

28Les cadres de LMPT, qui travaillent dans les métiers juridiques ou de la communication et du lobbying, illustrent à leur échelle ces transferts de savoirs professionnels et les innovations consécutives. L’enquête d’Adeline Wintzer montre par exemple de manière inédite ce que le vocabulaire manifestant de LMPT doit au management du sport [80]. Directeur de cabinet de Frigide Barjot au temps fort de la mobilisation, Arnaud Bouthéon « venu du sport business » raconte ainsi comment il est venu à commander les accessoires et produits dérivés de LMPT au Stade de France, institution du rugby francilien. En activant « les leviers du sport business » et « les codes […] de l’événementiel », il s’agissait de donner l’image de « manifestants supporters » pour rompre avec celle de « la France moisie [des opposants au] PACS » parée d’un discours « religieux, gris et pleurnichard [81] ». Chez les Veilleurs et leurs dérivés, les ressources mobilisées par les enquêtés sont pour la plupart antécédentes à leur entrée dans la vie active : mais elles relèvent bien d’une logique semblable. On a souligné le recours à des savoir-faire religieux. Il en va de même avec la maîtrise des codes conversationnels et la palette de références littéraires dans les veillées : liées au capital scolaire et culturel des leaders, ces ressources nourrissent tout autant le contenu des performances et leur orientation gramscienne qu’elles soutiennent ad extra leur carrière médiatique.

29Sur le plan des performances, ce travail de transfert offre un certain jeu. On formule ici l’hypothèse selon laquelle, associé au sentiment de légitimité propre à la classe sociale de référence, le défaut de culture militante autorise une certaine licence dans les scénographies manifestantes. À l’appui de cette hypothèse, leurs critères de « réussite » auprès de leur public : nombre d’observatrices et observateurs, dont l’autrice de cet article, ont pu être frappés par certaines « naïvetés [82] » des dispositifs évoqués ici, à l’instar des patchworks de références faiblement articulées, d’emprunts parfois approximatifs, de saynètes un peu enfantines, de longs monologues catéchétiques dépourvus d’interactions. Pour éclairer l’efficacité de tels répertoires tactiques, il faut alors s’attarder sur le caractère initiatique de telles actions.

30Nourri par les épisodes de répression policière, le premier ressort est le récit héroïsant de « résistance » présenté en interne et en externe par ces collectifs, dans une mise en scène de l’affrontement à l’État constitutive de la culture politique des mobilisés et dont le capital scolaire et culturel des leaders soutient le travail de narration. Porté par le lexique de la « bataille » et du « combat », par les noms à consonance soldatesque de ces collectifs et par leur matériel symbolique [83], ce récit marque une bascule dans le format protestataire : il réhabilite à la marge une métaphore martiale de la manifestation catholique qui était propre au premier XXe siècle et avait disparu après Vichy [84]. Il offre ainsi aux intéressés d’actualiser la « spiritualité de combat » dont Sophie Rétif montre qu’elle organise dans ce segment de population un rapport à la fois de mission et de confrontation au monde [85].

31Pour mobiliser, cette invocation de « la Résistance » appelle en situation certaines conditions de félicité. Il lui faut manifester l’affrontement avec l’adversaire désigné (« l’État totalitaire ») sans toutefois recourir à des stratégies perturbatrices, sous peine de fragiliser la légitimité de l’initiative auprès du groupe de référence. Il en résulte, d’une part, que les veillées franciliennes ne sont jamais déclarées à la préfecture. Postés en lisière du regroupement et régulièrement évoqués par les animateurs de la veillée, les CRS sont un élément de la scénographie : donnant à voir l’adversaire putatif, ils contribuent au fil des interactions à renforcer la cohésion des manifestants [86]. Mais l’on y vérifie, d’autre part, que la veillée « ne fait pas trop de bruit » et ne « dérange pas [87] » les riverains, qui sont aussi ceux des beaux quartiers : outre la consigne des applaudissements silencieux, les animateurs s’interrompent fréquemment pour baisser le niveau sonore des enceintes et modèrent l’assemblée en les rares occurrences où celle-ci réagit bruyamment. La protestation doit ainsi tenir en tension entre une illégalité revendiquée et une inoffensivité présumée : « notre rassemblement n’est pas légal mais il est légitime » / « Il ne s’agit pas de se cacher, mais de toucher par nos paroles et non par le bruit [88] ».

32De cette dramaturgie protestataire, l’assemblée est la principale destinataire – elle, plutôt que cet espace public qu’il semble ne pas falloir déranger. De même que pour certains concerts Gavroches et à l’instar d’autres secteurs de la mouvance [89], les veillées jouent un rôle de réassurance et de recharge de la mobilisation. Ainsi de cette veillée place de la Sorbonne où, le dos tourné à la place et au boulevard, assise entre les jets d’eau l’isolant du reste de la place et de son activité ordinaire, l’assemblée se décrit comme « unie » par une « expérience de communion [90] ». La performance institue d’abord ses propres acteurs et, par une forme d’entre-soi public, consiste à faire l’expérience collective de sa propre mobilisation [91]. Ces observations exemplifient « la part autocentrée des démonstrations de rue » analysée par Pierre Favre lorsqu’il insiste sur l’importance de « la communauté qui se forme et ce qui s’y ressent [92] » de sorte que l’action manifestante « est en elle-même sa propre fin [93] ». Repéré en maints autres objets [94], le renforcement de la cohésion interne n’évacue pas la visée externe de la protestation. Néanmoins, la dimension éminemment initiatique et à certains égards élitaire de la veillée nous semble accentuer à la fois sa visée interne et le travail de frontière opéré avec l’extérieur [95], expliquant entre autres pourquoi les Veilleurs n’interpellent jamais les passants – l’interaction est exclusivement à l’initiative des passants – et prennent souvent place en retrait des circulations piétonnes.

Reconfessionnalisation et politisation des causes : les cadrages à l’épreuve des situations

33Romantisme de résistance, empiétement éphémère et autoréférence contribuent à faire des veillées, des Gavroches ou des Sentinelles des adjuvants à la politisation de leurs membres. Il en va de même de l’assertion par les Veilleurs selon laquelle ce sont, à l’instar de LMPT, des dispositifs « a-confessionnels » : une telle contrainte de sécularisation induit en effet un important effort de cadrage socio-politique ou juridique [96]. Ainsi se comprend la centralité du lexique de l’« espace public » chez ces militantes et militants, qui participe de leur succès médiatique et soutient leur socialisation politique. Pour autant, et comme en passagers clandestins, les références religieuses structurent les rassemblements : résonance catéchétique des introductions, requalifications chrétiennes des lieux et de l’histoire, chants pieux [97]. Elles interviennent notamment lorsque la veillée formule une aporie :

34

Le thème de la veillée porte sur « la loi » et les dilemmes de l’obéissance. Une jeune philosophe fait office de fil conducteur. Entre deux interventions, elle met en énigme : « Manifestement le légalisme n’est pas une solution à notre problème. Alors […], pourquoi la loi est-elle nécessaire ? ».
Ici, un petit chœur grégorien interprète une pièce. Elle s’intitule Jesus, legifer noster. Puis le coordinateur principal prend solennellement la parole, suggérant que la performance se veut performative : « Très clairement, la vérité transcende l’être qui la communique. Puisse-t-elle vous avoir transcendés. »
Ainsi la veillée donne-t-elle à entendre, en réponse à l’aporie, « la vérité » dont le groupe se veut dépositaire : logée dans la trame d’un chant, sous les traits du seul législateur légitime, « Jésus ». La jeune philosophe reprend ensuite le micro. Par le même retournement rhétorique qui agrégea Gramsci à l’argumentaire Veilleurs, elle invoque à présent Foucault et le biopouvoir, soustrayant ces références aux adversaires idéologiques (« coucou nos amis de 1968 »). Le combat contre le mariage pour tous, explique-t-elle, n’est pas conservateur « mais libérateur » car il veut « libérer une loi indexée sur une norme [98] ».

35À l’instar des Gavroches consacrant tel « débat de rue » à « l’enracinement du christianisme dans l’identité de la France [99] », ces insertions religieuses, qui s’intensifient à mesure que la mobilisation se rétracte, forgent l’identité stratégique [100] des collectifs : elles constituent la référence catholique en ressource pour l’engagement, consolident les frontières internes du groupe et euphémisent les références progressistes.

36À son tour le cadrage des veillées, présenté comme « a-politique », requiert l’observation in situ. Le format contemplatif et ritualisé des veillées opère en faveur d’un tel cadrage ; néanmoins, ce trait reste à articuler aux interventions des invités et aux situations d’énonciation. Selon leur statut (universitaire, enseignant, élu, militant) et le domaine d’intérêt associé, ces oratrices et orateurs ont progressivement introduit un large éventail de causes ou de motifs politiques clivants : antifiscalisme et critique de l’État, « identité culturelle » et présumée menace migratoire, défense d’un « patrimoine », environnement, réforme scolaire. Au long des veillées observées, l’ensemble de ces motifs a été commenté, esquissant une pluralité de causes bien au-delà des enjeux de genre, et préfigurant l’extension des sujets politiques évoquée supra[101]. Ainsi le terme « apolitique » ne décrit-il pas tant l’éviction de marqueurs idéologiques, qu’un dispositif a-partisan et soucieux d’afficher un registre publiquement acceptable. À certains moments, cet effort est mis à l’épreuve :

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La veillée démarre sur l’esplanade de Montmartre. Des agents municipaux viennent s’inquiéter du bruit. Au micro, le coordinateur regarde alentour les marchands à la sauvette et sourit : « je ne suis pas sûr qu’on soit les seuls sans autorisation ». Des rires tempérés s’élèvent. Un homme se lève alors et crie : « Les sans-papiers aussi, messieurs les flics ! ». D’un bloc, l’assemblée se tourne vers lui. Des « chut ! » fusent, on le fait se rasseoir, on le sermonne [102].

38Ces observations font série avec d’autres indices in situ de politisation, parmi lesquels des références à l’Action française – dont des revues sont vendues en marge de certaines veillées en périphérie parisienne, tandis qu’une citation de Maurras introduit l’annonce officielle d’une veillée à Paris. Plus tard, l’Action française y assurera la sécurité d’une « veillée nationale » des Veilleurs [103]. Ces éléments épars rappellent les ambivalences sémiotiques et sémantiques analysées par Cécile Alduy et Stéphane Wahnich dans le discours du Front national [104]. C’est d’ailleurs dans les échanges Twitter entre le noyau des assidus, qui, à l’usage, offrent l’espace conversationnel le plus caractérisé par un « entre-soi en public », que les identifications politiques s’explicitent [105]. Une ambiguïté stratégique [106] apparaît ainsi selon les différentes scènes – médias, performances publiques, réseaux sociaux – où se modulent les identités politiques de ces acteurs. Elle contribue à renforcer l’ancrage politique d’une mobilisation initialement circonscrite à la loi sur le mariage pour tous. En matière de mobilisations anti-genre, cette discrète politisation du répertoire semble pointer une singularité de l’espace français au regard d’autres scènes nationales [107].

L’horizon d’une hégémonie culturelle

39L’effort de politisation se construit en revanche tout à fait explicitement dans ce que le collectif nomme « la bataille culturelle pour réconcilier l’anthropologie, la politique et la culture [108] » : c’est en articulant à sa dimension initiatique l’horizon d’une hégémonie culturelle que le dispositif ambitionne d’abord de politiser. Cet emprunt à Antonio Gramsci inspiré notamment d’Alain de Benoist, et dont les cercles et clubs de droite s’étaient emparés dans les années 1970, a circulé jusqu’à notre objet par divers intermédiaires au sein de la génération antérieure. Parmi ceux-ci, l’Institut Ichtus, qui met en avant la manière dont la lecture de Gramsci a orienté les méthodes de son fondateur Jean Ousset [109]. Les membres de la revue Immédiatement jouèrent également un rôle de mentorat auprès des Veilleurs qui introduisirent Gramsci dans les veillées avant de fonder la revue Limite. Faisant en effet de la littérature et des arts une « ressource de réarmement militant » contre la culture de masse et le matérialisme libéral, ces prédécesseurs « pensent le combat culturel comme l’arène principale du combat politique [110] ». Relevons que chez l’auteur italien, l’hégémonie culturelle renvoyait à une conquête catholique, offrant à l’emprunt gramscien une plausibilité et une certaine efficacité auprès de nos enquêtés. Le principe selon lequel « la médiation de la culture, de la philosophie et des arts [111] » doit armer des actions concrètes est énoncé au sein des veillées : « Par le culturel, par les disciplines qui enrichissent le patrimoine, il s’agit de s’augmenter […]. Les veillées vous adressent un appel à s’engager [112]. » L’horizon de la « bataille culturelle » constitue ainsi dans les veillées, comme dans les happenings Gavroches, une stratégie de politisation qui se veut édifiante (œuvrer à « l’éveil de la conscience »), subversive, et ambitionne une influence idéologique à long terme.

40Cette stratégie converge avec LMPT, où la référence gramscienne se diffuse sous l’influence notamment des Veilleurs [113] et qui leur attribue un rôle « essentiel » pour « reprendre la main du point de vue culturel [114] ». Cependant, la prééminence donnée à la bataille culturelle renforce aussi la dimension distinctive des veillées, y compris dans leur rapport au répertoire Manif pour tous. Prenant le contrepied des actions de masse et marquant leur différence avec le modèle « du sport business » qui a inspiré LMPT, leur format contemplatif et littéraire représente les Veilleurs en avant-garde cultivée, apte à mobiliser un répertoire singulier, à former des militantes et des militants « augmentés » – et enfin à « reprendre la main » sur un patrimoine d’exception.

41Pour illustrer ce dernier point et préciser l’attraction qu’ont exercée les veillées au sein de la mouvance, il convient d’articuler la narration du « combat culturel » à ce qu’elles firent concrètement en termes d’occupation de l’espace. Il n’est d’abord pas indifférent qu’elles aient privilégié des institutions culturelles ou académiques : près d’un quart des lieux de veillées recensés prirent place devant des musées (Petit Palais, Musée d’Orsay, Louvre, Centre Pompidou), théâtres (Marigny, Odéon, Comédie française), institutions savantes (Institut de France) ou universitaires (Sorbonne [115]) de prestige. Mais, de manière plus saillante et transversale encore, la « conquête de l’espace public » s’y est construite comme une réappropriation « des plus belles places de Paris [116] » et de ces « lieux tout à fait extraordinaires [117] » dont le plus souvent un exposé introductif situait le lien « d’enracinement » qu’ils entretenaient avec les participants, cherchant à articuler étroitement « culture et territoire [118] ». L’exaltation par les happening Gavroches du « patrimoine choisi, le patrimoine de ce peuple fier », l’évocation récursive dans les conversations de « ces Français déshérités » et d’un « héritage à préserver [119] » : si dans la mouvance la conquête de l’espace urbain ne se joue pas seulement dans les centres-villes, notamment à l’initiative des Gavroches [120], la « bataille » nommée « culturelle » en une référence inégalement maîtrisée à Antonio Gramsci est aussi territoriale et patrimoniale.

Cartographie des veillées parisiennes. 53 lieux ont été identifiés sur les 63 veillées qui se sont tenues entre le 16 avril 2013 et le 9 mai 2018. Sont privilégiés l’hyper-centre et les beaux quartiers : axe Sorbonne-Hôtel de ville ; axe Palais Royal-Champs Élysées ; secteur Invalides-quais de Seine

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Cartographie des veillées parisiennes. 53 lieux ont été identifiés sur les 63 veillées qui se sont tenues entre le 16 avril 2013 et le 9 mai 2018. Sont privilégiés l’hyper-centre et les beaux quartiers : axe Sorbonne-Hôtel de ville ; axe Palais Royal-Champs Élysées ; secteur Invalides-quais de Seine

42Ce syntagme mobilisateur, dont l’efficacité se loge dans sa polysémie, revêt ainsi divers usages selon les contextes d’énonciation : l’expression tantôt énonce une stratégie militante de pénétration médiatique et institutionnelle ; tantôt réfère à un combat construit comme « civilisationnel » chez des enquêtés qui relaient la rhétorique d’une « insécurité culturelle [121] » ; tantôt enfin, et inséparablement, désigne une lutte pour une conservation patrimoniale au sens matériel du terme.

43La manière dont fonctionne « la bataille culturelle » tend à confirmer comment, dans le sillage de la « bascule mémorielle [122] » que met au jour Denis Pelletier pour les années 1970, la patrimonialisation des lieux et des biens – matériels comme symboliques – devient pour le catholicisme conservateur un enjeu majeur de sa condition minoritaire [123]. Elle conforte aussi l’analyse de Rémi Lenoir selon laquelle, si LMPT lutte pour défendre une structure sociale reposant sur le modèle familial traditionnel, c’est en vertu d’enjeux « indissociablement moraux, économiques et culturels [124] ». Mobilisant le travail de Thomas Piketty dans Le capital au XXIe siècle, Rémi Lenoir estime ainsi que cette mobilisation « tient moins à une conjoncture politique […] qu’à l’importance croissante de l’héritage sous toutes ses formes dans le patrimoine des classes supérieures et des catégories supérieures des classes moyennes [125] ». Conjugué à la cartographie des veillées et au discours qui les accompagne in situ, ce constat renforce l’hypothèse du ressenti d’une menace de déclassement, non seulement symbolique [126] mais aussi socio-économique. Un ressenti qui fait dire à un jeune acteur d’un collectif voisin : « Notre génération c’est les derniers châteaux qui partent, on n’a plus rien ! Alors on continue de danser la valse à nos mariages pour se faire croire qu’on a un peu d’aura, mais on n’a plus rien, on est walou, on est classe moyenne ! [127] »

Conclusion

44Les collectifs qui ont émergé de la Manif pour Tous ont été amenés à mettre en œuvre diverses stratégies d’adaptation. L’ethnographie des veillées et des Gavroches montre que, bien plus que le recours à des mobilisations discrètes, apprendre à protester publiquement est un enjeu central pour cette génération de catholiques observants peu socialisés au militantisme. S’il fut une contrainte, leur défaut de culture militante a aussi offert une latitude pour ajuster leur manière de manifester, sans soumettre le succès du répertoire à l’aguerrissement de ses leaders.

45L’observation des répertoires tactiques met ainsi en évidence un transfert de compétences acquises dans d’autres univers de socialisation : telle la formation académique, et tel l’espace religieux, au premier rang duquel le scoutisme traditionnel dont le modèle exerce une force d’attraction et sert le recrutement du public néophyte. Les acteurs recourent encore à des emprunts à la sphère séculière et militante, détournant les références de leurs adversaires idéologiques de sorte à renouveler l’imaginaire politique tout en l’alignant sur l’univers de référence des enquêtes.

46D’autant qu’à rebours du discours public des enquêtés l’examen des performances montre une reconfessionnalisation de la protestation. Le cadrage séculier peine d’autant à se maintenir que l’enrôlement de motifs religieux, qui s’intensifie à mesure que décline la protestation, contribue à fabriquer de la cohésion ; en ce sens, il offre des points d’appui à l’engagement en même temps qu’il en fixe les limites et les frontières. De même, l’observation in situ met à jour une progressive politisation de la cause, que corroborent les conversions militantes ultérieures. Déjà perceptible dans un certain romantisme prophétique, la fonction initiatique de ces répertoires se confirme alors dans leur inclinaison à privilégier la réassurance et la cohésion interne.

47Pas tout à fait séculiers, traversés de performances ludiques ou esthétiques, différentiés du cortège qu’ils animent tout en s’autonomisant, ces répertoires alternatifs aux manifestations de masse contribuent à acclimater leur public à l’occupation de rue. Par leur recrutement, leurs références et leur format, les veillées en particulier cherchent à former des militantes et militants virtuoses. Elles se prêtent ainsi à une stratégie de politisation consistant à engager le « combat culturel » pour poursuivre une lutte perdue au plan législatif. Mais la polysémie du « combat culturel » rend également compte d’enjeux patrimoniaux, tant ces initiatives manifestent l’inquiétude à réinvestir un « patrimoine » qui est aussi territorial et matériel. Cette référence au combat culturel n’émerge pas ex nihilo : plutôt qu’un « mai 68 à l’envers » spontané, la séquence post-LMPT révèle aussi le soutien discret mais prégnant de collectifs antérieurs.

48Les acteurs étudiés ici (et les collectifs similaires) sont une minorité aujourd’hui en relatif sommeil dont on ne saurait surestimer l’influence, d’autant que le mariage pour tous semble en passe d’être accepté chez les catholiques [128] et que la crise des abus sexuels dans l’Église catholique remobilise un catholicisme plus classique et modéré [129]. La présente enquête cherche surtout à éclairer la capacité de renouvellement des mobilisations conservatrices. À l’instar du cas italien, en se saisissant du mariage pour tous – puis de la PMA – pour « réactiver la participation politique des catholiques dans la sphère publique [130] », ces initiatives ont contribué à structurer un réseau de militantes et militants formés, et à réarmer des stratégies de politisation. Inscrites dans des coalitions et réseaux internationaux [131], actives dans le travail de recomposition à la droite de la droite, elles sont susceptibles d’inspirer à leur tour les initiatives ultérieures.


Mots-clés éditeurs : Les Veilleurs, combat culturel, répertoires d’action, politisation, droite catholique, performances, apprentissage militant

Date de mise en ligne : 10/02/2022

https://doi.org/10.3917/pox.134.0141

Notes

  • [1]
    Session « Des jeunes catholiques en quête de radicalité », ECG, Strasbourg, 3 octobre 2015.
  • [2]
    « Quels lendemains pour les Veilleurs ? », La Vie, 16 juillet 2013.
  • [3]
    « Les Veilleurs : cultive-toi et marche », La Vie, 9 avril 2014.
  • [4]
    La Manif pour tous est fondée à l’automne 2012 en réaction au projet de loi sur le mariage pour les couples de même sexe. Elle est initialement constituée en association loi 1901 par un collectif de 37 associations relevant très majoritairement du mouvement familial et du mouvement pro-vie catholiques, dont le réseau dense et coordonné joua un rôle déterminant dans le succès de la mobilisation. S’y adjoignent quelques organisations conservatrices des autres traditions religieuses. En 2013, LMPT organise quatre manifestations nationales dont les deux plus fréquentées, selon les chiffres de la préfecture de police de Paris, rassemblent entre 300 000 et 340 000 et personnes.
  • [5]
    Entretien avec un fondateur « Gavroches », Paris, 4 août 2015.
  • [6]
    Entretien avec une militante « Gavroches », Paris, 16 novembre 2014.
  • [7]
    Voir notamment Tricou (J.), « Entre masque et travestissement. Résistances des catholiques aux mutations de genre en France : le cas des Hommen », Estudos de Religião, 30 (1), 2016 ; Labussière (M.), « Le féminisme comme “héritage à dépasser” : les Antigones, un militantisme féminin à la frontière de l’espace de la cause des femmes », Genre, sexualité & société [en ligne], 18 | Automne 2017 (consulté le 5 février 2018) ; Della Sudda (M.), « Les Vigiles debout », in Dumons (B.) et Gugelot (F.), dir., Catholicisme et identité : regards croisés sur le catholicisme français contemporain (1980-2017), Paris, Karthala, 2017.
  • [8]
    L’autre animatrice du collectif Gavroches a pour sa part été embauchée à la Fondation Ichtus (organisation catholique traditionnaliste). Des carrières journalistiques se sont également consolidées dans la participation à LMPT et aux « veillées », à l’instar d’Eugénie Bastié (Le Figaro) ; dans le champ partisan encore, la notoriété de François-Xavier Bellamy – devenu plus tard tête de liste Les Républicains aux élections européennes de 2019 – a bénéficié pour partie de son passage chez les Veilleurs.
  • [9]
    L’autrice remercie Éric Agrikoliansky ainsi que Jean-Philippe Heurtin et les relecteurs et relectrices anonymes pour leurs précieux conseils et commentaires.
  • [10]
    Agrikoliansky (É.), Collovald (A.), « Mobilisations conservatrices : comment les dominants contestent ? », Politix, 106, 2014.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    Voir sur ce point Tartakowsky (D.), Les droites et la rue. Histoire d’une ambivalence, de 1880 à nos jours, Paris, La Découverte, 2014, et Della Sudda (M.), Les avatars de la « Manif pour tous ». Recompositions autour des questions de genre, mémoire de HDR, IEP de Bordeaux, 2020.
  • [13]
    Le Moigne (F.), « La manifestation catholique (1902-1950) », in Balcou (J.), Provost (G.) et Tranvouez (Y.), dir., Les Bretons et la Séparation (1795-2005), Rennes, PUR, 2006. Voir aussi Tartakowsky, Les droites et la rue…, op. cit. Précédée par les initiatives des Ligues féminines à l’occasion de la loi de 1905, structurée par des organisations de masse et s’inspirant du répertoire séculier de ses adversaires, la manifestation catholique émerge avec la Fédération Nationale Catholique en 1924 contre le projet d’appliquer la loi de séparation à l’Alsace et la Lorraine. L’insurrection du 6 février 1934 amorce un relatif détachement des droites envers la forme manifestante au XXe siècle.
  • [14]
    Béraud (C.) et Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques. Acteurs, enjeux et mobilisations depuis le mariage pour tous, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2015, p. 167.
  • [15]
    Della Sudda (M.), Les avatars de la « Manif pour tous »…, op. cit., p. 94.
  • [16]
    Ibid., p. 132.
  • [17]
    Ibid., p. 130.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Voir en particulier Béraud (C.) et Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques…, op. cit. ; et Déjeans (L.), « L’opposition au Mariage pour tous en France : entre retour du religieux et laïcisation de la religion », ¿ Interrogations ?, n° 25, « Retour du religieux ? », décembre 2017 [en ligne] (consulté le 4 février 2018).
  • [20]
    Rappelant à certains égards la « virtuosité de la pratique » repérée par Kevin Geay chez Civitas : Geay (K.), « “Messire Dieu, premier servi” ». Étude sur les conditions de la prise de parole chez les militants traditionalistes de Civitas », Politix, 106, 2014.
  • [21]
    Voir notamment Brustier (G.), Le Mai 68 conservateur. Que restera-t-il de la Manif pour tous ?, Paris, Cerf, 2014 et Tricou (J)., « Combat culturel, nouvelle évangélisation ou auto-prosélytisme ? Des prêtres à l’épreuve de La Manif pour tous », in Kaouès (F.), Laakili (M.), Prosélytismes religieux, Paris, Éditions du CNRS, 2016.
  • [22]
    Respectivement Hervieu-Léger (D.), Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003 ; Prearo (M.), L’Ipotesi Neocattolica, Milan, Mimesis, 2020.
  • [23]
    « Ce qui va changer dans nos vies lors d’une veillée transforme les choses », veillée du 23 juin 2017. Outre de nombreux énoncés in situ de cet ordre, l’entretien inédit réalisé par Adeline Wintzer avec un leader Veilleurs confirme ce rôle prêté à l’occupation de rue ; opposée au caractère « mortel pour l’âme » d’une soirée de divertissement « dans un canapé », la rue est décrite comme le lieu où « engager sa chair […], on n’est plus dans son abri individuel, c’est instructif » : Wintzer (A.), La Manif pour Tous, mémoire de Master 2, tome 2, IEP de Strasbourg, 2016, p. 138.
  • [24]
    Voir entre autres Prearo (M.), « Le cadrage religieux de la mobilisation “anti-genre” : une étude micro-événementielle du Family Day », Genre, sexualité & société [en ligne], art. cit. ; Della Sudda (M.), « Les Vigiles debout », art. cit. ; Avanza (M.), « Mobilisations anti-“idéologie du gender” et milieux catholiques pro-life en Italie », Sextant, 31, 2015 ; Avanza (M.), « Using a Feminist Paradigm (Intersectionality) to Study Conservative Women: The Case of Pro-life Activists in Italy », Politics & Gender, 2019.
  • [25]
    Avanza (M.) et Della Sudda (M.), « Ripostes catholiques », Genre, sexualité & société [en ligne], art. cit.
  • [26]
    Fillieule (O.), « Tombeau pour Charles Tilly. Répertoires, performances et stratégies d’action », in Agrikoliansky (E.), dir., Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, 2010, p. 94. Visant à « dépasser l’usage relâché et métaphorique de la notion de répertoire » (ibid.), la notion de « répertoire tactique » désigne « l’agencement de performances et d’interactions propre à chaque groupe » (ibid., p. 82).
  • [27]
    Ibid., p. 96. Sur la « dimension dramaturgique » d’une protestation, voir Broqua (C.) & Fillieule (O.) « Chapitre 6. Act Up ou les raisons de la colère » in Traïni (Ch.), dir., Émotions… Mobilisation, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
  • [28]
    L’enquête repose sur l’observation ethnographique à Paris, Bondy et Versailles d’une vingtaine de veillées entre l’automne 2013 et l’été 2017, et de diverses initiatives Gavroches (marchés de rue, concerts, fête de la musique, soirée-débat). Des rassemblements Sentinelles furent également observés à Paris et Strasbourg. Seize entretiens ont été menés avec des participants engagés à différents niveaux d’intensité. Outre l’ethnographie et la veille documentaire, qui fournissent la matière pour cet article, l’enquête a suivi les conversations Twitter – par aspiration et analyse de données – de 47 comptes identifiés comme se rapportant au noyau actif des collectifs étudiés ici.
  • [29]
    Entretien avec un jeune cadre de LMPT participant aux veillées, 13 mai 2014.
  • [30]
    Hendrick (J.), Globalization and Marketized Islam in Turkey: The Case of Fethullah Gülen, PhD dissertation, University of California, 2012.
  • [31]
    Fillieule (O.), « Tombeau pour Charles Tilly », art. cit., p. 96.
  • [32]
    Offerlé (M.), « Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles) », Politix, 81, 2008.
  • [33]
    Béraud (C.), Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques, op. cit.
  • [34]
    Tartakowsky (D.), Les droites et la rue, op. cit.
  • [35]
    En observation à la Manif Pour Tous, Paris, 5 octobre 2014.
  • [36]
    Entretien avec un fondateur Gavroches, Paris, 4 août 2015.
  • [37]
    Sommier (I.), « Diffusion et circulation des mouvements sociaux », in Agrikoliansky (É.), dir., Penser les mouvements sociaux, art. cit.
  • [38]
    Cf. Taylor (V.), « La continuité des mouvements sociaux. La mise en veille du mouvement des femmes », in Fillieule (O.), Le désengagement militant, Paris, Belin, 1989/2005 ; voir aussi Sommier (I.), « Diffusion et circulation des mouvements sociaux », art. cit.
  • [39]
    Parmi lesquelles des métropoles (Lyon, Marseille, Strasbourg) et des villes moyennes (citons notamment Annecy, Chartres, Chambéry, Cherbourg, Clermont-Ferrand, Grenoble, Limoges, Nantes, Orléans, Poitiers, Reims, Rennes, Toulon ou Versailles).
  • [40]
    Della Sudda (M.), « Les Vigiles debout », art. cit.
  • [41]
    Raison du Cleuziou (Y.), Qui sont les cathos aujourd’hui ?, Paris, Desclée de Brouwer, 2015.
  • [42]
    Ce sont là les deux principales branches du scoutisme dit « traditionnel », fondées respectivement en 1958 et 1970 en réaction au processus de modernisation initié au sein des Scouts de France.
  • [43]
    Le mouvement Souverainetés, identité et libertés (SIEL) est un parti souverainiste fondé en 2011 par Paul-Marie Coûteaux et qui intègre le Rassemblement bleu Marine en 2012.
  • [44]
    Entretien avec un fondateur Gavroches, Paris, 4 août 2015.
  • [45]
    La surreprésentation des ENS dans les collectifs de la mouvance s’observe en divers lieux – ainsi des Altercathos, émanation de l’aumônerie catholique de l’ENS Lyon, qui a été très impliquée dans LMPT avant de s’en distancier. On peut encore mentionner le profil de François-Xavier Bellamy, ancien de l’ENS Ulm (philosophie) et passé par les Veilleurs.
  • [46]
    Magali Della Sudda souligne à ce sujet « la mixité de la “Manif pour tous” et la place prépondérante des femmes dans l’organisation du mouvement », « conférant une visibilité aux “femmes de droite” », Della Sudda (M.), Les avatars de la « Manif pour tous »…, op. cit., pp. 10-11. Sur cette question voir aussi Béraud (C.), « Trois sens du mot nature », La bataille du genre, Paris, Fayard, 2021.
  • [47]
    Della Sudda (M.), « “La politique malgré elles”. Mobilisations féminines catholiques en France et en Italie (1900-1914) », Revue française de science politique, 60 (1), 2010.
  • [48]
    Notamment Antigone (J. Anouilh), « Je hais les indifférents » (A. Gramsci), Cyrano de Bergerac (E. Rostand), L’homme révolté (A. Camus), « La rose et le réséda » (L. Aragon), « Révolution » (S. Mrozek).
  • [49]
    Celle-ci a souvent une portée missionnaire et/ou de soutien aux chrétiens d’Orient.
  • [50]
    Sur cet aspect voir le travail très fin de Maël Ginsburger, qui repère également dans le scoutisme « une des origines majeures des Veilleurs » : Ginsburger (M.), Les Veilleurs. Un mouvement social et religieux, Mémoire de Master, ENS Cachan – Université Paris IV, 2015, p. 77.
  • [51]
    Les chants ont en commun de référer à une épreuve et à son dépassement, qu’il s’agisse de L’Espérance (« Reprends courage (…) même le plus noir nuage a toujours sa frange d’or »), du Canon de la paix (« Et nous fondrons des piques pour des faux, (…) la paix sera notre combat ») ou du Chant des Partisans.
  • [52]
    Crédit : « FRANCECATHO – Flickr : Veilleurs_10 », sous licence Creative Commons, https://www.flickr.com/photos/france-catholique/8680653542/in/album-72157633332870307/. Photographie en couleur dans sa version originale.
  • [53]
    Voir aussi Tricou (J.), « Entre masque et travestissement », art. cit.
  • [54]
    Voir sur ce point le précieux travail de généalogie réalisé par Yann Raison du Cleuziou : Raison du Cleuziou (Y.), Une contre-révolution catholique : aux origines de La Manif pour tous, Paris, Seuil, 2019.
  • [55]
    Fakir est un journal bimensuel de gauche, à tonalité satirique, fondé en 1999 par François Ruffin (élu en 2017 député de la Somme, rattaché au groupe La France insoumise). Fondé en 2000, Pièces et main-d’œuvre est un collectif grenoblois d’inspiration luddiste, antitechniciste et anticapitaliste. À noter que chez les antifascistes, ces deux références sont régulièrement soupçonnées de « confusionnisme », c’est-à-dire d’entretenir une ambiguïté rhétorique entre les thèmes de gauche et d’extrême droite.
  • [56]
    Entendu en veillée, place de l’Odéon, 5 octobre 2014.
  • [57]
    La Communauté de l’Emmanuel est très présente dans la mouvance. Voir notamment Brustier (G.), Le Mai 68 conservateur, op. cit. ; Béraud (C.), Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques, op. cit.
  • [58]
    « Une soirée avec les Veilleurs », La Vie, 21 avril 2013.
  • [59]
    « Les Veilleurs : “cultive-toi et marche” » La Vie, 26 août 2014.
  • [60]
    « Veilleurs au nom de leur foi », Pèlerin, 24 juillet 2014.
  • [61]
    Marion (Ph.), « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication, 7, 1997.
  • [62]
    Raison du Cleuziou (Y.), « Les Poissons Roses et Sens Commun. Un renouveau de l’engagement des catholiques en politique ? », Les Cahiers du littoral, 15 (2), 2016.
  • [63]
    Della Sudda (M.), « La contro-mobilitazione cattolica intorno al ‘gender’ : le Sentinelle francesi », Politiche dell’orgoglio. Sessualità, soggettività e movimenti sociali, Pisa, ETS, 2015.
  • [64]
    Constitué suite à la manifestation du 24 mars 2013, le Printemps français est un collectif né d’une scission de LMPT. Défendant un répertoire d’action plus direct et perturbateur qu’une Manif pour tous jugée trop pacifique, il rassemble nombre de membres de mouvances d’extrême droite.
  • [65]
    Avanza (M.), « Mobilisation anti-“idéologie du gender”… », art. cit.
  • [66]
    Lecteurs occasionnels de sciences sociales, ils invoquent en entretien D. Tartakowsky pour expliquer que « la gauche n’a pas le monopole de Gavroche ». La mouvance compte d’ailleurs une autre association nommée « Cosette et Gavroche », fondée en octobre 2012 à Lyon et dont le secrétaire devint par la suite un leader Veilleur. À noter que le personnage de Gavroche était déjà une référence chez divers groupes identitaires.
  • [67]
    « Présentation du mouvement », datée du 26 septembre 2013, www.lesgavroches.org (dernière consultation le 12 janvier 2017). Le site a été fermé après l’été 2018.
  • [68]
    Page d’accueil sur www.lesgavroches.org (dernière consultation le 12 janvier 2017).
  • [69]
    « La culture du débat, c’est d’ailleurs ce qui nous définit ! », sur scène au concert Gavroches le 21 juin 2015.
  • [70]
    Sur les conflits dans la genèse des Veilleurs et la difficulté à obtenir des entretiens, voir également l’enquête de Ginsburger (M.), Les Veilleurs…, op. cit.
  • [71]
    Ce point est très documenté, voir notamment Béraud (C.), Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques, op. cit., et pour le cas italien Avanza (M.), « Mobilisations anti “idéologie du gender” », art. cit., qui montre comment diverses structures dormantes ont consolidé les mobilisations anti-genre sur la Péninsule.
  • [72]
    http://www.ichtus.fr/events/action-politique-et-culturelle/ (dernière consultation le 10 décembre 2016).
  • [73]
    Cucchetti (H.), « “L’Action française contre l’Europe”. Militantisme royaliste, circulations politico-intellectuelles et fabrique du souverainisme français », Politique européenne, 43 (1), 2014.
  • [74]
    Sur l’histoire et le rôle d’Immédiatement, voir également Raison du Cleuziou (Y.), Une contre-révolution catholique…, op. cit.
  • [75]
    https://osp.frejustoulon/a-propos/presentation (dernière consultation le 10 janvier 2019). L’université d’été « Acteurs d’avenir » du Diocèse de Paris a joué un rôle similaire, tout comme l’école de formation spirituelle EVEN à l’église Saint-Germain des Prés.
  • [76]
    Présentation de l’IFP, www.ifpfrance.org (dernière consultation le 30 janvier 2017).
  • [77]
    L’IFP a notamment formé des membres de Sens Commun et plusieurs activistes Internet de la mouvance.
  • [78]
    Entretien, 27 juin 2014.
  • [79]
    Agrikoliansky (É.), Collovald (A.), « Mobilisations conservatrices… », art. cit.
  • [80]
    Wintzer (A.), La Manif pour Tous, op. cit.
  • [81]
    Ibid., extraits d’entretiens avec Arnaud Bouthéon, pp. 130-131.
  • [82]
    Terme entendu plusieurs fois de divers observateurs.
  • [83]
    On peut mentionner entre autres le chant militaire La Strasbourgeoise.
  • [84]
    Le Moigne (F.), « La manifestation catholique », art. cit.
  • [85]
    Rétif (S.), « Ringards, hypocrites et frustrés ? Les militants des associations familiales catholiques face à la réprobation », Politix, 106, 2014. Pour une réflexion sur les « figures Veilleurs » dérivées de cette spiritualité : Ginsburger (M.), Les Veilleurs…, op. cit.
  • [86]
    Sur les rapports intergroupes et le rôle de la police, voir notamment Fillieule (O.), Tartakowsky (D.), « Qu’est-ce qui fait courir les manifestant(e)s ? », La manifestation, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, et Lacroix (I.), « “C’est du vingt-quatre heures sur vingt-quatre !” Les ressorts du maintien de l’engagement dans la cause basque en France », Politix, 102 (2), 2013.
  • [87]
    Entendu régulièrement en veillée.
  • [88]
    Veillée place de l’Odéon, 5 octobre 2014.
  • [89]
    Voir notamment Béraud (C.) et Portier (Ph.), Métamorphoses catholiques…, op. cit.
  • [90]
    Veillée Place de la Sorbonne, 11 novembre 2014.
  • [91]
    En témoigne le rôle clé de l’instantané photographique publié in situ sur les réseaux sociaux.
  • [92]
    Favre (P.), « 9. Les manifestations de rue entre espace privé et espaces publics », in Favre (P.), Fillieule (O.), Jobard (F.), dir., L’atelier du politiste. Théories, actions, représentations. Paris, La Découverte, 2007.
  • [93]
    Ibid.
  • [94]
    Notamment lorsqu’il s’agit de minorités manifestantes ; voir en particulier Broqua (Ch.), Agir pour ne pas mourir ! Act Up, les homosexuels et le sida, Paris, Presses de Sciences Po, 2005 et Lacroix (I.), « “C’est du vingt-quatre heures sur vingt-quatre !”… », art. cit.
  • [95]
    Sur la clôture des groupes radicaux dans l’extrême-droite catholique, voir Geay (K.), « “Messire Dieu, premier servi”… », art. cit.
  • [96]
    Sur la revendication d’une expertise « anthropologique », voir Béraud (C.), « Un front commun des religions contre le mariage pour tous ? », Contemporary French Civilization, 39 (3), 2014.
  • [97]
    À titre d’exemple, trois chants sont annoncés lors de la veillée à Montmartre le 19 mai 2015 : « Bonsoir, moi je vais vous chanter une chanson qui s’intitule “Reine” et qui a donc été écrite par sainte Thérèse de Lisieux » ; « Bonsoir, alors mon chant à moi s’appelle “Deux saintes” puisque c’est sainte Catherine qui s’adresse à sainte Marguerite » ; « Cette chanson s’appelle “Ode à Jésus”. C’est une prière ».
  • [98]
    Veillée du 5 octobre 2014, place de l’Odéon.
  • [99]
    « Débat de rue » à l’occasion de la Fête des Lumières à Lyon, 10 décembre 2016.
  • [100]
    Bernstein (M.), « Celebration and Suppression: The Strategic uses of Identity by the Lesbian and Gay Movement », The American Journal of Sociology, 103 (3), novembre 1997.
  • [101]
    Au-delà du terrain francilien, le cas de la Gironde confirme ce constat : Della Sudda (M.), Les avatars de la « Manif pour tous »…, op. cit.
  • [102]
    Veillée du 19 mai 2015, esplanade de Montmartre.
  • [103]
    Veillée du 24 juin 2016, cour du Louvre.
  • [104]
    Alduy (C.) et Wahnich (S.), Marine Le Pen prise aux mots, Paris, Seuil, 2015.
  • [105]
    Tels de nombreux retweets ou citations de Marion Maréchal Le Pen, des références anti-islam ou des positionnements en faveur d’une « droite hors-les-murs ». Voir Vroylandt (Th.), « Ethnographie, numérique et statistiques : les Veilleurs de la “Manif pour tous” », Journée d’études « De la constitution d’un corpus aux analyses statistiques », Paris, Université de Nanterre, 10 octobre 2016.
  • [106]
    Hendrick (J.), Globalization and Marketized Islam in Turkey…, op. cit.
  • [107]
    Voir Avanza (M.), « Mobilisations anti-“idéologie du gender”… », art. cit., 2015.
  • [108]
    Veillée du 18 juin 2015, place Vendôme.
  • [109]
    « Ichtus, une présence originale depuis 1946 », Fondation Ichtus, 30 novembre 2012.
  • [110]
    Raison du Cleuziou (Y.), Une contre-révolution catholique …, op. cit. pp. 129-130.
  • [111]
    Charte des Veilleurs, juin 2013.
  • [112]
    Veillée du 5 octobre 2014, place de l’Odéon.
  • [113]
    L’Institut de formation politique en est un autre canal de diffusion : au moment où l’enjeu est de pérenniser les entreprises militantes qui ont émergé de LMPT, la « guerre culturelle » devient un motif central de ses formations. Il s’intensifie tandis que monte en puissance le thème d’une droite « hors les murs », dont les Gavroches et certains Veilleurs sont partie prenante, participant par exemple aux « Rencontres des droites » à Béziers en mai 2016.
  • [114]
    Ludovine de la Rochère, présidente de LMPT, s’adressant aux Veilleurs le 19 juin 2015, place Vendôme à Paris.
  • [115]
    Certains lieux furent plusieurs fois occupés, à l’instar de la place de la Sorbonne (4 veillées). À lui seul le « Quartier latin » a hébergé un quart des lieux de veillées recensés.
  • [116]
    Veillée du 27 juin 2014, quai Voltaire face au musée d’Orsay.
  • [117]
    Veillée du 19 mai 2015, parvis de Montmartre.
  • [118]
    Thème de la veillée du 27 juin 2014 quai Voltaire.
  • [119]
    Entendu in situ à l’occasion de conversations informelles.
  • [120]
    En Île-de-France un autre répertoire de la mouvance, vers lequel ont évolué les Gavroches et qui est dominé par le street art et les contre-cultures urbaines, occupe la périphérie parisienne et s’articule à ce répertoire patrimonial. Pour une mise en perspective cf. Balas (M.) et Tricou (J.), « “Nous, maintenant, on veut poursuivre cette occupation de la rue” : les catholiques attestataires entre contre-culture et défense patrimoniale », Social Compass, 66 (1), mars 2019.
  • [121]
    Très discutée pour ses présupposés essentialistes, cette notion fut lancée dans les années 2000 par Christophe Guilluy, essayiste, et Laurent Bouvet (1968-2021), professeur de sciences politiques. Fondateur du mouvement le Printemps Républicain, qui défend une laïcité identitaire, ce dernier fut l’invité-conférencier d’un dîner Gavroches.
  • [122]
    Pelletier (D.), « L’identité entre sciences sociales et usages politiques », in Dumons (B.) et Gugelot (F.), dir., Catholicisme et identité. Regards croisés sur le catholicisme français contemporain (1980-2017), Paris, Karthala, 2017.
  • [123]
    Ibid.
  • [124]
    Lenoir (R.), « Mouvement familial et classes sociales », Savoir/Agir, vol. 26, n° 4, 2013.
  • [125]
    Ibid.
  • [126]
    Sur le déclassement symbolique des militants catholiques observants, voir notamment Raison du Cleuziou (Y.), Une contra-révolution catholique, op. cit.
  • [127]
    Extrait d’entretien, in Balas (M.) et Tricou (J.), « “Nous, maintenant, on veut poursuivre cette occupation de la rue”… », art. cit. Pour un développement plus approfondi sur cette question et sur la dynamique urbaine de ces répertoires, on renvoie à cet article.
  • [128]
    Voir Béraud (C.), La bataille du genre, op. cit.
  • [129]
    Voir Béraud (C.), Le Catholicisme français à l’épreuve des scandales sexuels, Paris, Seuil, 2021 ; Pelletier (D.), Les catholiques en France de 1789 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2019. À noter que la défaite aux élections européennes, en 2019, du candidat Bellamy passé par LMPT et les Veilleurs fait écho à ce constat.
  • [130]
    Lavizzari (A.) et Prearo (M.), « The anti-gender movement in Italy: Catholic participation between electoral and protest politics », European Societies, 21 (3), 2019.
  • [131]
    Voir aussi Kuhar (R.) et Paternotte (D.) dir., Anti-Gender Campaigns in Europe, Londres, Rowman & Littlefield, 2017.

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