Notes
-
[1]
Escalona (F.), La reconversion partisane de la social-démocratie européenne, Paris, Dalloz, 2018 ; Rioufreyt (T.), Les socialistes face à la « Troisième voie » britannique (1997-2015). Un cas de circulation transnationale des idées politiques, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2016.
-
[2]
Voir notamment Gaxie (D.), Lehingue (P.), Enjeux municipaux. La constitution des enjeux politiques dans une élection municipale, Paris, Presses universitaires de France, 1984 ; Sawicki (F.), « Les questions de la protection sociale dans la campagne présidentielle française de 1988 : contribution à l’étude de la formation de l’agenda électoral », Revue française de science politique, 41 (2), 1991 ; Cos (R.), « Dénoncer le programme. Les logiques du désengagement électoral au révélateur des privatisations du gouvernement Jospin », Revue française de science politique, 68 (2), 2018.
-
[3]
Parmi d’autres références récentes portant sur les systèmes partisans d’Europe occidentale, Green-Pedersen (C.), « The Growing Importance of Issue Competition: The Changing Nature of Party Competition in Western Europe », Political Studies, 55 (3), 2007 ; Meguid (B.), Party Competition Between Unequals. Strategies and Electoral Fortunes in Western Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 ; Brouard (S.), Grossman (E.), Guinaudeau (I.), « La compétition partisane française au prisme des priorités électorales : compétition sur enjeux et appropriations thématiques », Revue française de science politique, 62 (2), 2012.
-
[4]
Darmon (M.), « La notion de carrière : un instrument interactionniste d’objectivation », Politix, 82 (2), 2008.
-
[5]
Belorgey, (N.), Chateigner, (F.), Hauchecorne (M.), Penissat (É.), « Théories en milieu militant : Introduction », Sociétés contemporaines, 81 (1), 2011. La notion a également été mobilisée dans le cadre de la sociologie des problèmes publics. Voir notamment Fortané (N.). « La carrière des “addictions”. D’un concept médical à une catégorie d’action publique », Genèses, 78 (1), 2010 ; « La carrière politique de la dopamine. Circulation et appropriation d’une référence savante dans l’espace des drug policies », Revue française de science politique, 64 (1), 2014 ; Gilbert (C.), Henry (E.), « La définition des problèmes publics : entre publicité et discrétion », Revue française de sociologie, 53 (1), 2012.
-
[6]
Cos (R.), Les socialistes croient-ils à leurs programmes ? Démobilisations et recompositions des activités programmatiques au Parti socialiste (1995-2012), thèse de science politique, Université Lille 2, 2017.
-
[7]
Mucchielli (L.), Robert (P.), dir., Crime et sécurité. L’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2002 ; Bonelli (L.), La France a peur. Une histoire sociale de « l’insécurité », Paris, La Découverte, 2010.
-
[8]
Bonelli (L.), La France a peur…, op. cit.
-
[9]
Gaxie (D.), Lehingue (P.), Enjeux municipaux…, op. cit., p. 34.
-
[10]
Ferret (J.), Mouhanna (C.), Peurs sur les villes, Paris, Presses universitaires de France, 2005 ; Le Goff (T.), Les maires, nouveaux patrons de la sécurité ? Étude sur la réactivation d’un rôle politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.
-
[11]
Entretiens avec Daniel Vaillant, 1er mars 2009 et 28 janvier 2016, Paris.
-
[12]
« Propositions », contribution de Lionel Jospin au Congrès de Liévin, reproduit dans Vendredi, 237, 2 septembre 1994.
-
[13]
Parti socialiste, Propositions pour la France, 1995, document dactylographié, archives OURS.
-
[14]
Communiqué du Parti socialiste, « L’état moral et psychologique de la Police nationale », mars 1996, document dactylographié, archives Fondation Jean Jaurès, Fonds Mauroy 1 FP.
-
[15]
« Les acteurs de la démocratie », Vendredi, 287, 10 juin 1996.
-
[16]
Parti socialiste, La Sécurité pour garantir la cohésion sociale, rapport au Bureau national sur la sécurité, février 1997, document dactylographié, archives OURS, p. 1-2.
-
[17]
Le Goff (T.), « Les maires et la sécurité quotidienne : rhétoriques et pratiques de proximité », in Le Bart (C.), Lefebvre (R.), dir., La proximité en politique. Usages, rhétoriques, pratiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
-
[18]
Parti socialiste, 1997, doc. cit. On peut relever l’évolution entre cette position et celle défendue dix ans auparavant par Gilbert Bonnemaison, qui rappelait que « si l’article 2 de la déclaration de 1789 range la “sûreté” au rang des droits naturels et imprescriptibles de l’homme, ce n’est pas, au sens actuel, de “sécurité” mais à celui de garantie contre toute intervention arbitraire de l’État dans la vie privée des citoyens. Ce sont les lettres de cachet qui sont visées et pas la délinquance ». Bonnemaison (G.), La sécurité en libertés, Paris, Syros, 1987, p. 40.
-
[19]
Entretien avec Bruno Le Roux, Épinay-sur-Seine, 10 avril 2009.
-
[20]
Parti socialiste, Changeons d’Avenir, changeons de majorité : nos engagements pour la France, 1997, document dactylographié, archives OURS.
-
[21]
Bruno Le Roux, Une politique de sécurité au plus près du citoyen, Rapport de mission parlementaire, septembre 1997.
-
[22]
Bonelli (L.), La France a peur…, op. cit., p. 107.
-
[23]
Le Goff (T.), « L’insécurité “saisie” par les maires. Un enjeu de politiques municipales », Revue française de science politique, 55 (3), 2005, p. 426.
-
[24]
Des villes sûres pour des citoyens libres : actes du colloque de Villepinte, 24-25 octobre 1997, La Documentation française/Ministère de l’Intérieur, Service de l’information et des relations publiques, p. 88.
-
[25]
Dans l’ouvrage qu’il publie en 2001, Bruno Le Roux présente à nouveau le rapport comme le signe de la « conversion » du Parti socialiste au thème de « la sécurité ». Le Roux (B.), La sécurité pour tous : une exigence de justice sociale, Paris, Balland, 2001, p. 42.
-
[26]
Roché (S.), Police de proximité. Nos politiques de sécurité, Paris, Seuil, 2004 ; « Politique et administration dans la formulation d’une politique publique. Le cas de la police de proximité », Revue française de science politique, 59 (6), 2009.
-
[27]
En ce sens, le cas de Villepinte s’inscrit dans le prolongement de certains travaux récents de sociologie politique analysant les « tournants » supposés marquer les scansions d’une histoire événementielle. Voir notamment Laurens (S.), « “1974” et la fermeture des frontières. Analyse critique d’une décision érigée en turning-point », Politix, 82 (2), 2008 ; Fertikh (K.), « Trois petits tours et puis s’en va… Marxisme et programme de Bad Godesberg du Parti social-démocrate allemand », Sociétés contemporaines, 81 (1), 2011.
-
[28]
Maillard (J.) de, Le Goff (T.) « La tolérance zéro en France. Succès d’un slogan, illusion d’un transfert », Revue française de science politique, 59 (4), 2009.
-
[29]
En juin 2001, un rapport conjoint de l’IGS et de l’IGPN pointe notamment une réussite « partielle ».
-
[30]
Le Goff (T.), « L’insécurité saisie par les maires… », art. cit.
-
[31]
Terral (J.), L’insécurité au Journal télévisé. La campagne présidentielle de 2002, Paris, L’Harmattan, 2004.
-
[32]
Voir par exemple « Les socialistes revendiquent leur rupture avec une “conception un peu angélique” de la sécurité », Le Monde, 26 avril 2001, et « La gauche ne privilégie plus les explications sociales de la délinquance », Le Monde, 4 décembre 2001.
-
[33]
La LSQ prévoit notamment l’extension des pouvoirs des vigiles, des peines de prison ferme pour les voyageurs sans titres de transport, la facilitation des fouilles de véhicules, ou la pénalisation de l’occupation des halls d’immeubles.
-
[34]
Maillard (J.) de, Jobard (F.), Sociologie de la police. Politiques, organisations, réformes, Paris, Armand Colin, 2015.
-
[35]
Roché (S.), Police de proximité…, op. cit.
-
[36]
« Les nouveaux marqueurs de la gauche », Le Monde, 29 août 2002.
-
[37]
« PS : les chantiers oubliés », Libération, 29 août 2002.
-
[38]
« PS : inventaire pour une réforme », Libération, 25 juin 2002.
-
[39]
Moscovici (P.), Un an après, Paris, Grasset, 2003.
-
[40]
Le Canard enchaîné, 24 juillet 2002, cité dans « Julien Dray et le PS : touche pas à ma police », Pour Lire, Pas Lu, 11, octobre 2002.
-
[41]
« Gérard Collomb : “Un coup de barre à gauche du PS serait une erreur” », Le Figaro, 17 avril 2003.
-
[42]
« Être utile », Le Monde, 1er février 2003. L’invocation de l’enjeu « sécurité » demeure une constante de ses productions ultérieures : Le monde comme je le vois (Paris, Gallimard, 2005), et L’impasse (Paris, Flammarion, 2007).
-
[43]
« La sécurité » s’institue également dans les livres-programmes d’autres cadres du parti – notamment dans la perspective de la primaire de 2006. Voir par exemple Jospin (L.), Le monde comme je le vois, Paris, Gallimard, 2005 ; Strauss-Kahn (D.), 365 jours, Paris, Grasset, 2006 ; Delanoë (B.), De l’audace, Paris, Robert Laffont, 2006 ; Valls (M.), Les habits neufs de la gauche, Paris, Robert Laffont, 2006.
-
[44]
Rapport d’information parlementaire présenté par Julien Dray, session ordinaire de 1991-1992, n° 2832.
-
[45]
Entretien avec Julien Dray, Paris, 11 mai 2009.
-
[46]
Ibid.
-
[47]
« “Une poussée du sentiment d’insécurité est peu probable” », Libération, 28 mars 2007.
-
[48]
Sawicki (F.), « Les questions de la protection sociale… », art. cit.
-
[49]
Royal (S.), Le pacte présidentiel, 2007.
-
[50]
Hollande (F.), Le changement c’est maintenant. Mes engagements pour la France, 2012.
-
[51]
Cos (R.), « Les élus socialistes face aux chiffres de la délinquance. Dispositions, positions et prises de position partisanes sur les statistiques policières », Mots. Les langages du politique, 100 (3), 2012.
-
[52]
Lehingue (P.), « Représentation et relégation : “le social” dans les débats politiques locaux », in Gaxie (D.), Collovald (A.), Gaïti (B.), Lehingue (P.), Poirmeur (Y.), Le « social » transfiguré. Sur la représentation politique des préoccupations « sociales », Paris, Presses universitaires de France/CURAPP, 1990, p. 140.
-
[53]
Entretien avec Jean-Jacques Urvoas, Paris, 30 novembre 2011.
-
[54]
Ibid.
-
[55]
Cos (R.), « Le projet socialiste (dé)saisi par les primaires. Procédures “rénovatrices” et production programmatique », in Lefebvre (R.), Treille (É.), dir., Les primaires ouvertes en France. Adoption, codification, mobilisation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.
-
[56]
« Communiqué du Parti socialiste », 15 mars 2006, document dactylographié, Fonds Pierre Moscovici, Archives OURS, 98 APO.
-
[57]
Archives personnelles d’un membre du réseau Urvoas, anonyme.
-
[58]
Bachelot (C.), « Groupons-nous et demain… ». Sociologie des groupes dirigeants du Parti socialiste français depuis 1993, thèse de science politique, IEP Paris, 2008.
-
[59]
Sécurité. La gauche peut tout changer, Paris, Éditions du Moment, 2011.
-
[60]
« François Rebsamen présente à AEF Sécurité globale son équipe et ses premières pistes de travail sur la sécurité », dépêche AEF n° 4915, 13 décembre 2011.
-
[61]
Hollande (F.), Le changement…, doc. cit.
1En mars 1981, en pleine campagne présidentielle, alors que la loi « Sécurité et liberté » vient tout juste d’être promulguée par le gouvernement de Raymond Barre, Pierre Mauroy cherche à démarquer son camp de ses principaux adversaires : « La droite dit : “La première liberté, c’est la sécurité.” Nous disons au contraire : la première sécurité, c’est la liberté. » Plus de trente ans plus tard, en mars 2012, lors d’une autre élection présidentielle, le candidat François Hollande assure cette fois que « la sécurité est la première des libertés » – et reprend, ce faisant, une rhétorique couramment utilisée à droite et à l’extrême droite.
2Ce renversement symbolique signale un glissement de long terme du discours socialiste contemporain. Alors que ce thème est longtemps resté absent des textes du parti, « la sécurité » constitue, depuis le milieu des années 1990, une figure obligée des programmes du PS. Elle fait régulièrement l’objet de rapports et de colloques internes et relève, à partir du début des années 2000, d’un secrétariat national spécifique. Certains dirigeants du parti, parmi les plus éminents, ont publié des ouvrages entièrement consacrés au sujet. Pour la première fois en 2008, « la sécurité » est inscrite dans la « déclaration de principes » du parti. Depuis une vingtaine d’années, certains socialistes revendiquent même une « conversion », également diagnostiquée en miroir et depuis leurs positions propres par un ensemble d’exégètes – journalistes, militants critiques, ou universitaires.
3Comment rendre compte sociologiquement de ce glissement idéologique ? Pour saisir les déplacements de l’offre des partis, la littérature française et internationale met généralement l’accent sur les effets de la compétition politique. Hormis quelques rares travaux traitant de mutations doctrinales [1] ou certaines enquêtes qui se focalisent sur la dynamique d’une campagne singulière [2], cette littérature s’applique généralement à comparer, dans l’espace et dans le temps, le contenu des programmes pour souligner les calculs stratégiques modulant l’offre politique des partis. En particulier, l’abondante littérature traitant de la « compétition sur enjeux » (issue competition) [3] pointe les raisons multiples pour lesquelles les équipes partisanes peuvent avoir intérêt à se positionner sur les thèmes de l’adversaire : saper la singularité distinctive d’un concurrent, contenir l’émergence d’un nouveau parti de niche, prévenir les critiques du camp adverse, etc. Cette littérature présente l’intérêt de déployer des analyses de longue portée appuyant des descriptions d’ensemble (les modulations tendancielles des formes prises par la compétition politique), et des explications plus spécifiques (les effets différenciés des systèmes partisans sur l’hybridation thématique des offres en concurrence). Elle présente néanmoins deux limites importantes. D’une part, le recours à des protocoles statistiques pour faciliter la comparaison implique de réduire les idées partisanes à la manière dont elles sont formulées dans les programmes électoraux. Partant, on apprend peu de choses sur l’économie symbolique des partis, c’est-à-dire sur la manière dont les acteurs mobilisent les idées politiques dans le cadre de leurs activités ordinaires (l’écriture d’ouvrages, la mise à jour des textes doctrinaux, l’élaboration de propositions techniques, etc.). D’autre part, ces approches tendent à concentrer l’analyse de l’évolution idéologique des partis sur les effets de campagnes qui, le plus souvent, sont eux-mêmes assimilés à des effets du système partisan. En conséquence, elles courent le risque d’appauvrir la compréhension des logiques par lesquelles les idées circulent en milieu partisan.
4Que signifie, en pratique, se convertir à une idée de l’adversaire ? Pour répondre à cette question, l’article s’inscrit dans la suite de certains développements récents de l’histoire sociale des idées qui recourent à la notion de carrière, empruntée à la sociologie interactionniste [4], pour étudier les usages militants des références savantes [5]. Adossé à la volonté de dépasser l’opposition entre analyse internaliste (l’examen du contenu des idées) et analyse externaliste (l’examen de leurs usages), ce parti pris poursuit un triple objectif : mieux restituer les idées politiques dans leurs contextes de production et de circulation, suivre les requalifications successives dont elles peuvent faire l’objet, et rendre compte du caractère contingent, non nécessaire, de leur trajectoire.
5S’il ne se donne pas comme un programme de recherche rigide, le recours à la notion de carrière invite tout d’abord à être attentif aux propriétés construites de « la sécurité » (son inscription dans le clivage gauche-droite, sa saillance au sein des agendas politique et médiatique, les luttes de cadrage auxquelles elle donne prise, etc.), mais aussi à celles du milieu partisan où, précisément, cette carrière se déroule. L’analyse des opérations de traduction symboliques de « la sécurité » consiste ainsi non seulement à en décrire les modalités (les justifications idéologiques de ce glissement), mais aussi à dégager le contexte multiforme qui rend possible cette subversion d’une convention instituée de la compétition partisane. Ensuite, la notion de carrière permet de souligner que la trajectoire de « la sécurité » n’obéit pas à un processus linéaire, qu’aurait souverainement engagé le « tournant » du colloque de Villepinte en 1997. Si la conversion du parti s’objective sous la forme de motifs discursifs, de productions textuelles et de positions institutionnelles, elle a autant dépendu des entreprises assumées en la matière qu’elle n’a été contrainte par les échecs et les reflux. Enfin et surtout, la lecture processuelle permet de mesurer combien la conversion du parti demeure, au fond, très erratique. Celle-ci est en effet loin de se donner comme l’opération magique qui ouvrirait un circuit séquentiel « achevé » (appropriation doctrinale, élaboration programmatique, mobilisation du thème en campagne et traduction en politiques publiques). « La sécurité » fait l’objet d’appropriations très différenciées selon les différentes conjonctures politiques analysées (l’élaboration des programmes, les séquences de campagne ou de gouvernement), et les propriétés des acteurs qui s’en saisissent (leader du parti, candidat ou jeune élu dominé dans les jeux partisans). En ce sens, la carrière de « la sécurité » fonctionne comme un bon analyseur des conditions de possibilité pour un parti de se mobiliser – ou non – autour des idées politiques.
6L’enquête, issue d’un travail doctoral [6], s’appuie sur l’analyse de discours publics (presse interne, programmes, textes de conventions, communiqués, ouvrages, notes de think tanks, etc.) et de traces moins visibles mais qui permettent de restituer les conditions ordinaires de production de l’offre socialiste (rapports internes, prévisionnels, comptes rendus de réunions du secteur « sécurité » du parti, etc.). Outre l’analyse quantitative d’un corpus de presse, elle s’appuie sur une vingtaine d’entretiens réalisés avec certains des principaux acteurs (anciens ministres, députés, secrétaires nationaux) s’étant investis dans cet enjeu, ainsi qu’avec certains de leurs interlocuteurs parmi les plus réguliers (universitaires, hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, syndicalistes policiers).
7Située au croisement des espaces internes du parti, des arènes gouvernementales et des conjonctures de campagne, la carrière socialiste de « la sécurité » est reconstituée de façon processuelle, en suivant trois séquences successives. La première se situe au milieu des années 1990 et correspond aux différentes mobilisations internes qui permettent à un groupe d’entrepreneurs politiques d’importer le thème de « la sécurité » au sein des arènes centrales où s’élabore le discours du parti. La deuxième, qui s’ouvre en 1997 après la victoire de la coalition de gauche plurielle, donne à voir un mouvement paradoxal : alors que « la sécurité » est érigée en seconde priorité gouvernementale, la campagne présidentielle de 2002 rapatrie le stigmate de « l’angélisme » des socialistes. La troisième séquence, qui prend place dans la décennie ultérieure, donne à voir une autre configuration singulière, où l’institutionnalisation partisane de « la sécurité » se traduit davantage par l’évitement programmatique de l’enjeu que par la promotion des options de politiques publiques qui s’élaborent au sein du parti.
La mise à l’agenda socialiste de « la sécurité »
8Si les réformes en matière de sécurité publique et de lutte contre la délinquance ont toujours constitué un domaine d’intervention de fait des différents gouvernements socialistes (locaux et nationaux), la cristallisation d’un ensemble de logiques à la fois externes et internes à l’espace partisan contribue, au milieu des années 1990, à ce que le thème de « la sécurité » soit inscrit à l’agenda du parti lui-même.
Le courtage jospinien des intérêts locaux
9Au début des années 1980, le « problème de l’insécurité » occupe déjà une place importante au sein de l’agenda politique [7]. À cette époque néanmoins, les controverses autour de la loi « Sécurité et liberté » votée sous la responsabilité d’Alain Peyrefitte demeurent assez déconnectées des activités programmatiques qui prennent place au sein du PS : le discours socialiste sur les questions policières est erratique et peu structuré. De fait, les 110 propositions de François Mitterrand ne comportent aucune proposition relative à « la sécurité ». Plus que la mise en œuvre d’un programme préalablement élaboré, c’est davantage la détention même des prérogatives gouvernementales qui conduit par la suite les ministres de l’Intérieur socialistes à endosser différents plans de réforme, qui visent pour l’essentiel à « moderniser » la police nationale (Pierre Joxe, entre 1984 et 1986 puis entre 1988 et 1991) et à réviser l’organisation territoriale des forces de police (Philippe Marchand, entre 1991 et 1992). En parallèle, les pouvoirs locaux sont incités à s’inscrire dans les schémas d’action publique visant à prévenir et à réprimer la délinquance. En décembre 1982, le député-maire d’Épinay-sur-Seine Gilbert Bonnemaison a remis au Premier ministre Pierre Mauroy un rapport préparé dans le cadre d’une « commission des maires sur la sécurité », qui préconise un traitement localisé du « sentiment d’insécurité ». Mais là encore, davantage que ce qui relèverait d’une doctrine socialiste en matière de sécurité, ce travail s’inscrit avant tout au sein des scènes de l’action publique locale.
10Au début des années 1990, le parti en tant qu’organisation n’est donc pas perçu par les socialistes comme un espace privilégié pour la production d’un corpus programmatique dédié à « la sécurité ». À partir des années 1993-1994, cet enjeu bénéficie toutefois d’une attention croissante de la part de certains dirigeants. Cette préoccupation nouvelle s’inscrit dans un contexte électoral critique. Lors des élections législatives de mars 1993, le PS a perdu 218 de ses 275 députés ; avec seulement 17 % des voix, il n’est plus si éloigné des 12 % totalisés par le Front national. Cette perte accélérée des positions de pouvoir résulte notamment d’une forte baisse parmi les catégories populaires. À l’époque, cette préoccupation est notamment portée dans les instances dirigeantes par Gérard Le Gall, politologue spécialiste des sondages d’opinion, qui diagnostique un important reflux du vote socialiste dans les zones urbaines qui seraient affectées par les questions d’insécurité [8]. L’évitement de « la sécurité » dans le débat politique peut d’autant plus être perçu comme un facteur déterminant de l’effondrement électoral du parti qu’il résonne avec l’incertitude « fonctionnelle » du rôle mayoral, qui frappe en particulier les élus locaux des villes populaires. La loi du 5 avril 1884 dispose en effet que le maire est « garant » de la sécurité de sa commune et chargé de la répression des atteintes à la tranquillité publique, alors que les politiques policières sont nationalisées depuis 1941. La Fédération nationale des élus socialistes et républicains (FNESR) constitue notamment l’un des espaces où se formulent les problèmes posés par cette « surcharge de rôle [9] », conduisant les maires à mettre en scène leur volontarisme en matière de répression de la délinquance alors même qu’elle ne relève que marginalement de leurs compétences [10].
11Mais ce double contexte ne devient réellement déterminant qu’avec le concours de relais internes qui accordent une importance spécifique aux questions d’insécurité. C’est tout particulièrement le cas d’un réseau articulé autour de Lionel Jospin et de la section du 18e arrondissement de Paris qui contribue rapidement à importer cet enjeu au cœur de l’appareil partisan. D’après Daniel Vaillant [11], cet intérêt se serait formulé dès la première moitié des années 1980, alors que Lionel Jospin est député de la 27e circonscription de Paris et conseiller du 18e arrondissement. C’est notamment la campagne municipale de 1983 au cours de laquelle Alain Juppé stigmatise le « laxisme » de la gauche en matière de sécurité qui contribue à conduire Lionel Jospin et son équipe à investir cette thématique. La contribution présentée en son nom propre au congrès de Liévin, en 1994, atteste de cet intérêt durable pour les questions de sécurité. Seul parmi les autres contributions, le texte ménage, aux côtés des questions économiques, sociales ou diplomatiques, un volet intitulé « Aborder de front les problèmes de sécurité et de police » :
« J’ai parlé un jour d’un “humanisme populaire”. Je voulais indiquer par là que nous devions veiller à ce que les principes humanistes de la gauche soient pleinement compris et partagés par les milieux populaires, au lieu d’être ressentis par eux, souvent, comme lointains, voire étrangers à leurs concrètes conditions de vie et aux problèmes qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne. La prise en compte des conditions sociales – chômage, exclusion, précarité de la vie, dégradation du milieu ambiant, immigration mal répartie – dans lesquelles se produit souvent la délinquance, est indispensable à une politique de gauche et doit justifier des programmes d’ampleur dans ces domaines. Mais ceci ne saurait être présenté comme une excuse aux comportements individuels, au point qu’ils échappent aux rigueurs de la loi [12]. »
13Loin d’expirer au terme du congrès, la ligne de « l’humanisme populaire » bénéficie de la victoire de Lionel Jospin lors de la primaire interne en février 1995, qui permet au candidat à l’élection présidentielle d’étendre au parti tout entier l’affichage d’une préoccupation pour « la sécurité ». Le programme électoral permet ainsi de concrétiser un ensemble de réflexions jusqu’alors confinées au sein du club jospinien « Pour une renaissance » – dont un sous-groupe a produit, à la fin de l’année 1994, un « diagnostic » sur les questions de sécurité. Piloté par Clotilde Valter (inspectrice générale de l’administration et ancienne membre du cabinet de Lionel Jospin au ministère de l’Éducation nationale), ce groupe associe notamment des professionnels spécialisés sur les questions de sécurité – comme Jean-Marc Erbès, directeur de l’Institut des hautes études sur la sécurité intérieure jusqu’en 1995 et chef de l’IGA jusqu’en 1994, ou Christophe Lannelongue et Christian Vigouroux, deux hauts fonctionnaires de gauche membres d’anciens cabinets du ministère de l’Intérieur. Le rapport produit par ce petit groupe sert de point de référence à la formulation du programme électoral, qui évoque une démarche générale « de prévention, de dissuasion, de répression », et les axes de « développement d’une politique de sécurité : élaborer des contrats d’objectifs de sécurité dans les quartiers, les villes ou les agglomérations avec la participation de tous les acteurs de terrain [13] ». Si la formulation demeure très générale, elle traduit, pour la première fois depuis la fondation du parti d’Épinay, l’incorporation dans un programme présidentiel d’une préoccupation socialiste pour la sécurité.
Acclimater « la sécurité » au socialisme… et vice versa
14Au terme de la campagne présidentielle de 1995, « la sécurité » fait l’objet d’une seconde forme d’appropriation partisane : la nouvelle configuration qui s’ouvre avec la prise de contrôle de L. Jospin sur la direction conduit à transposer l’enjeu dans l’ordinaire partisan. Bruno Le Roux, ancien adjoint au maire d’Épinay-sur-Seine, maire de la ville depuis 1995 et conseiller général de Seine-Saint-Denis, est nommé délégué national à la sécurité. Héritier d’une partie du capital politique de son prédécesseur, Gilbert Bonnemaison, il s’approprie à son tour les enjeux relatifs à « l’insécurité ». Avec Daniel Vaillant, désormais numéro deux de l’organigramme socialiste et qui a entre-temps conquis la mairie du 18e arrondissement de Paris, il engage une série d’initiatives inséparablement symboliques et programmatiques. En mars 1996, ils font ainsi valider par le bureau national – la principale instance directionnelle du parti – un premier communiqué de presse portant sur « l’état moral et psychologique de la Police nationale [14] ». Trois mois plus tard, en juin 1996, la convention nationale de la Villette portant sur « les acteurs de la démocratie » constitue la première fenêtre par laquelle les résultats des groupes de travail sont mis en lumière. Le texte d’orientation présenté par la commission nationale d’élaboration – dont sont membres les deux promoteurs – évoque un dispositif général de sécurité publique associant prévention, dissuasion et sanction [15].
15Surtout, quelques semaines avant l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, en février 1997, les deux responsables socialistes soumettent à la validation du bureau national un rapport intitulé La sécurité pour garantir la cohésion sociale. Résultat final des sessions de travail réunies depuis 1995, le texte invoque la nécessité d’en finir avec le « laxisme », et en appelle à la restauration de la « fermeté la plus grande » à l’encontre des actes délinquants. Pour ce faire, il propose de développer une politique de « sécurité de proximité », et « d’organiser une police républicaine au service des citoyens [16] ». Le document est adopté le 5 mars 1997 par le bureau national. Alors que le thème de « la sécurité » avait été intégré au programme présidentiel de 1995 à la faveur de la victoire à la primaire, il fait ici l’objet d’une série de consécrations collégiales qui en facilitent la normalisation au sein du parti.
16Daniel Vaillant et Bruno Le Roux font valider leurs orientations par l’entremise d’un travail d’acclimatation symbolique, chargé de rendre « la sécurité » compatible avec les canons hérités de la culture socialiste. Loin d’exister comme une invention doctrinale cohérente, ce travail idéologique a émergé comme un bricolage rhétorique associant trois dimensions en partie contradictoires : le braconnage d’un certain nombre de marqueurs de l’adversaire, la neutralisation partisane de l’enjeu, et le métissage de celui-ci avec une lecture plus « socialisante ». Les réformateurs puisent tout d’abord dans un lexique traditionnellement usité par la droite et l’extrême droite. Les termes de « laxisme » et d’« angélisme » sont régulièrement repris et dénoncés au nom de la séparation qui opposerait la réalité telle qu’elle est, et qu’assumerait ceux qui sont aux prises avec les réalités locales des quartiers populaires, et une représentation plus « morale » qui pécherait par idéalisme. Cette opposition constitue bientôt l’un des registres les plus évidents par lesquels les acteurs entreprennent de raconter leur propre histoire. C’est à la croisée du vocabulaire de l’adversaire et de la rhétorique du « pragmatisme » typique du discours dépolitisé des élus locaux [17] que se fixent les premières formes de ce qui deviendra l’un des topoï récurrents du discours socialiste, opposant l’« angélisme » des milieux judiciaires ou d’un électorat de centre-ville peu concerné par les problématiques d’insécurité à la nécessité de prendre acte de la « responsabilité individuelle » des délinquants pour satisfaire une revendication populaire.
17En cherchant à inscrire la sécurité au rang des principales valeurs « républicaines », l’effort des entrepreneurs de sécurité a aussi consisté à mobiliser un marqueur traditionnel de l’adversaire, qui permettait de concilier une identité globalement consensuelle, une valeur historique de la gauche et un référent professionnel du monde policier. L’un des ressorts symboliques de l’appropriation à gauche d’un thème de droite se loge ainsi dans la plasticité de l’invocation républicaine, que l’on peut ramasser sous la forme d’un syllogisme implicite : la sécurité est une question républicaine ; la gauche est républicaine ; donc la sécurité est de gauche. Plus encore, la sécurité a été présentée comme un droit : au prix d’un anachronisme historique, le rapport validé en mars 1997 pose ainsi que, « inscrite dans la Déclaration des droits de l’Homme, la sûreté est un droit pour les citoyens. La sécurité des personnes et des biens est un devoir pour l’État et une valeur républicaine [18]. » L’invocation d’un texte fondamental et consensuel permet ainsi de contester la légitimité d’une réception du motif « sécurité » bornée par les grands principes du clivage gauche-droite.
18Cette tentative visant à dépouiller le mot de sa gangue la plus droitière s’est enfin doublée d’une série d’opérations consistant à placer la lutte contre l’insécurité au cœur de la lutte contre les inégalités, tout en se démarquant de la posture « sociologique » :
« Le rapport [de 1997], nous on se dit qu’il faut trouver un moyen de le faire adopter à l’unanimité par le bureau national du Parti socialiste. Et donc qu’il faut ramener le thème de la sécurité au thème de la lutte contre une injustice, une inégalité. Donc il faut bien sûr ne pas nier le fait que la sécurité est la première des libertés, mais ça c’est la phraséologie de la droite. Il faut dire que l’insécurité aujourd’hui a une dimension qui est une dimension sociale puisque… [il s’agit] non pas de l’expliquer socialement, c’est-à-dire “ah bah voilà, c’est les pauvres, ceux qui font ça c’est les…” – mais dire qu’il y a plus d’insécurité dans les endroits où se cumulent déjà le plus d’inégalités, le plus d’insécurité sociale, le plus d’insécurité au niveau éducation, et que c’est une injustice qui s’ajoute [19]. »
20En somme, la conversion du discours partisan sur l’enjeu « sécurité » appelle une série d’opérations de marquage/démarquage/remarquage de l’enjeu de façon à le rendre compatible avec l’offre historique du parti. Il ne faut toutefois pas surestimer l’efficace de ce travail, pour cette raison simple qu’il est difficile d’évaluer combien il aura été nécessaire. L’incorporation discursive de « la sécurité » ne va certes pas de soi, et n’est pas sans avoir suscité certaines oppositions internes : au sein du bureau national, certaines responsables issues du milieu judiciaire, comme Adeline Hazan (ancienne présidente du Syndicat de la magistrature) ou Françoise Seligmann (alors présidente d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme), ont été hostiles à ce virage. Mais ces divisions réfractent davantage un principe de division interne à l’État, entre le ministère de la Justice et celui de l’Intérieur, qu’elles ne sont converties dans les luttes ordinaires du parti : le caractère très secondaire de ces oppositions provient ainsi de ce qu’elles n’ont pas épousé les lignes de partage instituées entre la « gauche » et la « droite » du parti – la Gauche socialiste, le courant de gauche le plus structuré du PS, compte même parmi les principaux partisans de cette conversion. Au total, les luttes attenantes à la captation d’une thématique identifiée à droite sont demeurées très ponctuelles et secondaires : tant les communiqués que le texte de la convention thématique ou le rapport présenté en bureau national ont tous été validés à l’unanimité.
21L’annonce d’élections législatives anticipées est l’occasion de prolonger le travail conduit dans le cadre du rapport. Le programme (dont le volet « sécurité » est directement rédigé à la mairie du 18e arrondissement) annonce l’objectif d’« assurer la sécurité des Français » et traduit le cadrage fixé par le rapport :
« La montée de la violence contre les personnes et les biens inquiète légitimement nos concitoyens. La sécurité est un des droits fondamentaux de la personne humaine. Comble de l’injustice : ce sont les plus fragiles et les plus démunis parmi les Français qui sont le plus souvent victimes de l’insécurité. Nous donnerons la priorité à la sécurité de proximité en affectant, dans le cadre des emplois de proximité, 35 000 personnes à des contrats locaux de sécurité. Par redéploiement, 10 000 fonctionnaires de police seront affectés à cette mission prioritaire et 5 000 seront recrutés, pour un total de 50 000 agents supplémentaires [20]. »
23Entre 1994 et 1997, l’appropriation socialiste de « la sécurité » résulte du croisement d’une multiplicité de logiques externes et internes : l’agenda national, les intérêts mayoraux, une crise électorale, le réagencement des positions de pouvoir partisan, l’intervention d’un personnel de renfort, ou encore l’imperméabilité des clivages intra-partisans à la question « sécurité ». La banalisation discursive de l’enjeu, sa consécration programmatique ou l’émergence de positions organisationnelles qui lui sont directement liées situent ainsi la conversion du parti à la fois en deçà de ce qui serait un aggiornamento en grande pompe, et au-delà d’un pur effet du système partisan tel qu’il se cristallise en campagne.
Heurts et malheurs d’une bonne volonté sécuritaire
24La victoire de la coalition de « gauche plurielle » aux législatives de 1997 déplace la carrière de « la sécurité » au niveau des arènes gouvernementales, et conduit à son objectivation sous la forme d’une série de politiques publiques – dont, en particulier, la police de proximité. Mais, loin de se traduire selon un schéma linéaire et séquentiel (après s’être « converti », le parti « mettrait en œuvre » ses orientations), cette seconde phase correspond dans les faits à deux brouillages successifs : d’une part, l’enjeu échappe au parti lui-même ; d’autre part, il devient progressivement l’un des principaux carburants de la crise électorale de 2001-2002. La « priorité gouvernementale » se retourne alors contre ses promoteurs.
« Villepinte », un turning point ?
25La campagne éclair de 1997 (quatre semaines à peine entre l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et le premier tour) n’est pas le lieu d’oppositions saillantes sur la sécurité : cadrée d’abord sous l’angle du « coup » chiraquien, puis articulée par les propositions du PS en matière économique et sociale, elle ne cristallise ni les efforts des équipes partisanes ni l’attention médiatique (aucun article du Monde, de Libération ou du Figaro n’est spécifiquement consacré au thème de la sécurité). Pourtant, le 1er juin 1997, au lendemain de la victoire de la gauche et à l’occasion de son discours de politique générale le 19 juin, le nouveau Premier ministre place « la sécurité » au rang de seconde priorité de l’action gouvernementale. La consécration gouvernementale de « la sécurité » résulte ainsi moins de la hiérarchie d’un agenda fixé par la campagne qu’elle ne traduit le travail de conversion entrepris par Lionel Jospin et ses proches depuis plusieurs années.
26Néanmoins, cette priorisation de l’agenda se confronte rapidement aux jeux liés au fonctionnement de la coalition : c’est à Jean-Pierre Chevènement, qui a quitté le PS en 1993 après s’être opposé à la ratification du traité de Maastricht pour créer le Mouvement des citoyens, qu’échoit finalement le ministère de l’Intérieur. Si ce choix apparaît cohérent avec l’objectif de décoller le stigmate de l’« angélisme » de l’image de la gauche, il revient également à donner les clés du secteur à un acteur suffisamment doté en capital politique pour assumer son propre agenda. Les ressources symboliques du ministre lui permettent notamment de contrer les tentatives de certains réformateurs socialistes de garder la main sur la conduite des réformes. Jean-Pierre Chevènement écarte ainsi de façon ostentatoire un rapport parlementaire rapidement conduit après l’élection par Bruno Le Roux, fraîchement élu à l’Assemblée nationale, proposant de traduire le programme socialiste en redéployant 10 000 des 80 000 fonctionnaires de police pour assurer la sécurité de proximité [21].
27C’est à cette aune qu’il faut analyser le colloque de Villepinte qui se tient les 24 et 25 octobre 1997. « Villepinte » est couramment présenté (dans la presse, dans les analyses critiques et militantes ou dans le discours des enquêtés) comme un moment fondateur du ralliement des socialistes à la « sécurité ». Dans sa thèse sur la construction du problème public de « l’insécurité », Laurent Bonelli écrit que « le colloque de Villepinte occupe une place à part, en ce qu’il constitue l’officialisation d’une nouvelle doctrine de “gauche” en matière de sécurité [22] ». Tanguy Le Goff note également que « le tournant symbolique des élites politiques socialistes sur le terrain de la sécurité s’opère, dans les discours, lors du colloque de Villepinte [23] ». Cette lecture mérite néanmoins d’être affinée. Certes, le colloque répond à l’objectif d’afficher une doctrine gouvernementale en matière de sécurité, et donne l’occasion au Premier ministre de réaffirmer un certain nombre de motifs antérieurement fixés : d’une part, l’abandon du principe de division « libertés vs sécurité » que les socialistes empruntaient naguère au champ judiciaire ; d’autre part, l’affirmation de « la sécurité » comme un « droit fondamental » et comme une « valeur » qu’il faut réhabiliter au sein des « zones de non-droit » [24].
28Est-ce à dire que le colloque a signé « l’aggiornamento » du PS sur les questions de sécurité ? Le colloque, patronné par un ministre non-socialiste (bien qu’issu des rangs du PS), s’inscrit dans l’agenda gouvernemental davantage qu’il ne vise à marquer un repositionnement du Parti socialiste en la matière (dont on vient de voir qu’il est déjà intervenu). Par ailleurs, il s’apparente davantage à une tentative de consécration de « la sécurité » en grande cause consensuelle et soustraite aux clivages partisans : outre les interventions à la tribune des différents membres du gouvernement, le colloque s’adosse à des ateliers présidés par des personnalités issues de différentes formations politiques (trois parlementaires socialistes, deux RPR et une communiste). Les autres membres des ateliers agrègent également des personnalités politiques (adjoints au maire, maires, parlementaires, etc.) issus de plusieurs familles politiques, ainsi que des professionnels de différents secteurs (police, justice, secteurs pénitentiaires et associatifs, transports, éducation, université, entreprises privées, etc.).
29Surtout, le colloque n’est pas investi par le parti lui-même, y compris de la part des réformateurs les plus actifs. La tenue du colloque se fait en l’absence de Clotilde Valter, Daniel Vaillant et Bruno Le Roux. L’occultation des travaux conduits à l’initiative du PS est d’autant plus manifeste qu’il n’en est fait aucune référence : alors qu’il pouvait être l’occasion de consacrer symboliquement le travail doctrinal effectué par les réformateurs ou de reconnaître la sécurité comme une attribution des maires, le colloque s’inscrit d’abord dans l’action spécialisée du ministère de l’Intérieur et dans la stratégie gouvernementale incarnée par Lionel Jospin. Il n’est donc pas évident que les acteurs socialistes du colloque aient cherché à déterminer par avance quelles en seraient les interprétations ultérieures, ou a fortiori qu’il ait été investi sur le mode du « grand tournant ».
30Dans les premiers temps qui suivent le colloque, le statut de Villepinte ne fait pas consensus, et se trouve même au cœur de certaines luttes d’appropriation : dans Libération, Bruno Le Roux – grand perdant de l’opération – tient ainsi à préciser que « faire de Villepinte le virage de la gauche serait une erreur [25] ». Mais ces luttes demeurent confinées aux quelques élus spécialisés, et n’accèdent pas au statut de controverse publique. Dans les mois ultérieurs à la tenue du colloque, celui-ci ne fait pas non plus l’objet d’une couverture qui signalerait la mise en discussion médiatique du « virage » opéré par les socialistes. Ce n’est que dans les années ultérieures que le colloque a été mobilisé dans le commentaire journalistique, essentiellement comme un étalon des objectifs gouvernementaux – d’abord dans le cadre des projets de réformes débattus en 1999 (l’ordonnance de 1945 régissant le statut des mineurs fait l’objet de luttes intragouvernementales, alors que les Contrats locaux de sécurité et la réforme de la police de proximité commencent à être évalués) ; puis au moment des élections municipales et présidentielle de 2001-2002, alors que le thème de « l’insécurité » fait l’objet d’un double investissement politique et médiatique.
Le colloque de Villepinte dans la presse généraliste
Le colloque de Villepinte dans la presse généraliste
Corpus constitué d’une recherche par mots clés dans la base Europresse [« colloque de Villepinte » & Jospin & sécurité] à partir de : Le Monde, Le Figaro, Libération, L’Humanité, Les Échos, Le Point, L’Express [n = 93]31La première séquence du mandat gouvernemental de la gauche plurielle en matière de sécurité publique est ainsi caractérisée par un double confinement : de son traitement ministériel d’abord (Sébastien Roché a bien montré combien le déploiement tortueux de la réforme de la police de proximité s’inscrivait d’abord dans l’ordinaire des luttes internes aux services du ministère de l’Intérieur [26]) ; des controverses partisanes ensuite (le colloque de Villepinte réunit les différentes obédiences, et les parlementaires de droite sont alors avant tout soucieux de pouvoir bénéficier de l’implantation de la police de proximité dans leur circonscription) [27].
Le retour du stigmate
32À partir de la seconde moitié de l’année 2000, et le remplacement de Jean-Pierre Chevènement par Daniel Vaillant, ce double confinement explose. Le nouveau ministre entreprend d’accélérer le calendrier de la réforme de la police de proximité en généralisant le dispositif, jusqu’alors demeuré au stade de l’expérimentation. Mais, loin de signer la reprise en main socialiste de « la sécurité », cette seconde étape se télescope avec une série d’événements qui, catalysés par le resserrement du calendrier électoral, contribuent à retourner la « priorité gouvernementale » en stigmate du pouvoir en place. À la fin du mois de janvier 2001, soit deux mois avant les élections municipales, Jacques Chirac engage une séquence intense de politisation du thème de « l’insécurité », à propos duquel la droite était jusqu’alors restée relativement discrète. Celle-ci importe et mobilise abondamment la symbolique martiale de la « tolérance zéro [28] », qui peut faire fond de l’augmentation sensible du chiffre de la délinquance générale (-1,9 % en 1997, +2 % en 1998, +0,07 % en 1999, puis +5,70 % en 2000 et 7,70 % en 2001). La concomitance entre la généralisation du dispositif et l’évolution de la statistique policière, doublée des premières évaluations mitigées des expérimentations [29], crée ainsi les conditions d’une critique du bilan gouvernemental. La force sociale et l’efficace polémique de la statistique policière contribuent largement au cadrage des élections municipales [30].
33Après l’été 2001, la cristallisation d’une série d’événements contingents contribue à prolonger la séquence critique. Le 11 Septembre, les manifestations policières de novembre, les controverses autour de la loi sur la présomption d’innocence (votée en 2000, mais opportunément rapatriée par la droite dans le débat public), ainsi qu’une série de faits divers fragilisent les positions gouvernementales – puis bientôt les prises de position assumées durant la campagne présidentielle. Les tensions identitaires liées à la saturation polémique de l’enjeu « sécurité » se déposent toutes entières dans une déclaration de Lionel Jospin en plein cœur de la campagne présidentielle. Le 3 mars 2002, celui qui est à la fois l’un des premiers artisans de la conversion de son parti, et le principal comptable des échecs imputés à son gouvernement, affirme sur TF1 son « regret de constater que l’insécurité a progressé pendant ces cinq années ».
« J’ai péché par naïveté, non par rapport à l’insécurité, car j’étais très conscient qu’il fallait mobiliser des moyens […]. Au fond je me suis dit : si on fait régresser le chômage, on va faire reculer l’insécurité parce que c’est quand même une des raisons, cette précarité, ce sous-emploi. On a fait reculer le chômage, ça n’a pas eu un effet direct sur l’insécurité. »
35Alors que le discours de l’ancien premier secrétaire a consisté depuis plusieurs années à se démarquer d’une représentation « sociale-préventionniste » de la délinquance, Lionel Jospin endosse lui-même le stigmate dont il cherche à défaire son parti. Tout semble avoir fonctionné comme si, sur fond de couverture médiatique maximale de l’enjeu [31], de résultats jugés défavorables et des attaques de l’adversaire, la campagne avait suscité une forme de conformation paradoxale au rôle : il aura fallu dénier sa trajectoire et ses décisions passées pour ensuite se distinguer de ce que l’on pense incarner d’un stigmate collectif.
36Cette distinction consiste, en pratique, à prolonger le durcissement de la politique déjà engagée durant les mois précédents (outre les attaques de plus en plus récurrentes contre « l’angélisme [32] », le gouvernement a revu sa loi sur la présomption d’innocence et fait voter celle sur la sécurité quotidienne [33]). Dans le programme du candidat, préparé dans les arcanes du gouvernement, la sécurité figure au premier titre des priorités budgétaires. Le deuxième volet des « Cinq France » qui organisent le texte est baptisé « Une France sûre », et développe un long passage sur la sécurité. Quoique le discours ménage un souci de distinction maintenu avec l’adversaire (critique de « l’attitude de ceux qui exploitent l’émotion et la peur », refus de « stigmatiser la jeunesse de notre pays »), celui-ci marque une série d’inflexions. Outre la fuite en avant institutionnelle que les propositions dénotent (contrat national de sécurité, loi de programmation pluriannuelle, ministère de la Sécurité publique, haut conseil pour la sécurité, etc.), le programme se distingue surtout par l’accent placé sur la justice des mineurs : le texte invite à briser le « tabou » de l’ordonnance de 1945, par une réforme que le Premier ministre avait refusée à son ministre de l’Intérieur dans la première moitié du mandat, lorsque Jean-Pierre Chevènement réclamait sa remise en cause. Sans citer explicitement la « tolérance zéro », le texte en reprend les accents : « Je refuse l’impunité : tout délit doit trouver sa sanction. » De fait, comme l’ont signalé plusieurs commentateurs à l’époque, de nombreuses propositions rejoignent (ou même empruntent à) l’offre défendue par Jacques Chirac : la réforme de l’ordonnance de 1945, mais aussi la création d’un « grand ministère » de la sécurité, ou encore la création de « structures fermées » pour les mineurs délinquants. Avec l’extension des comparutions immédiates pour les mineurs, le candidat socialiste va même au-delà de ce que préconise son adversaire UMP. C’est donc tout le paradoxe du mandat de Lionel Jospin qu’il se sera ouvert sur la mise à l’agenda de « la sécurité » alors que celle-ci n’avait pas constitué un enjeu de campagne, mais que cette tentative de maîtriser cet agenda aura finalement servi les intérêts de l’adversaire – qui a imprimé certains des thèmes et propositions dominants de la campagne.
37Cet effet boomerang ne s’est pas achevé avec le terme de la compétition présidentielle et a en partie pu prospérer, dans les mois consécutifs à la campagne, sur l’objectivation progressive de « la sécurité » sous la forme d’une politique publique. La police de proximité est généralement considérée comme une « idée » de gauche, en référence à la politique mise en œuvre sous le mandat Jospin. Ce marquage n’existe pourtant pas dans les gènes de la mesure. Dans la première moitié des années 1990, il s’agit d’un motif réformateur dont les grandes lignes, inspirées notamment du community policing britannique et canadien [34], sont communes aux ministres de l’Intérieur successifs, indépendamment de leur affiliation partisane. En janvier 1995, quelques semaines avant le début de la campagne présidentielle, la création d’une « police de proximité » est mentionnée dans la Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité (LOPS) présentée par Charles Pasqua. À gauche, le concept de « police de proximité » est d’ailleurs laissé à l’écart des différents efforts discursifs pour ajuster « la sécurité » à la culture symbolique du PS. Jusqu’au début des années 2000, les controverses afférentes à la police de proximité, à sa légitimité et à ses modalités demeurent essentiellement confinées aux espaces savants et ministériels [35]. Durant la campagne présidentielle de 2002, l’insistance de Jacques Chirac sur « l’impunité zéro » ne remet pas non plus directement en cause le principe même de la réforme.
38C’est en fait une décision de Nicolas Sarkozy qui accélère l’inscription de la police de proximité dans le clivage gauche-droite, et que symbolise la condamnation publique, à Toulouse, du dispositif encadré par le Directeur départemental de la sécurité publique, Jean-Pierre Havrin (membre du cabinet de Jean-Pierre Chevènement au moment de l’engagement de la réforme). La réforme est interrompue en 2003, contribuant à réagencer cette opposition non plus autour de l’enjeu lui-même, mais des doctrines policières.
39Après avoir été rendue possible par l’entreprise d’un certain nombre d’acteurs partisans, la carrière gouvernementale de « la sécurité » aura ainsi bien moins consisté dans la transposition du travail antérieur, qu’elle n’aura retourné une entreprise volontariste en son contraire : l’autonomie des logiques propres au travail gouvernemental d’une part, et surtout la politisation-retour engagée par l’adversaire d’autre part, auront renversé une « priorité » partisane en stigmate du pouvoir en place.
Une institutionnalisation en trompe-l’œil
40Les mobilisations partisanes qui prennent place au tournant des années 2000 traduisent à la fois les effets de l’intense conjoncture de politisation de 2001-2003 et de la dynamique de plus longue portée par laquelle le thème se routinise au sein du parti. Mais cette nouvelle séquence de la carrière traduit, en 2007 comme en 2012, une contradiction : les logiques qui garantissent la stabilisation de « la sécurité » à l’intérieur du parti sont aussi celles qui entravent les tentatives de conversion proprement programmatiques de l’enjeu.
Les ressorts entrepreneuriaux d’une routinisation
41La banalisation de « la sécurité » à l’intérieur du parti doit d’abord aux débats immédiatement consécutifs à la défaite et qui visent à fixer le sens de celle-ci. Alors que ces débats auraient pu accueillir une remise en cause de la ligne adoptée durant les derniers mois (comme c’est alors le cas sur les questions économiques et sociales), « la sécurité » est d’abord présentée comme un thème ayant été insuffisamment assumé, avant et durant la campagne : par voie de presse ou dans les ouvrages qui paraissent dans les semaines consécutives au scrutin, Laurent Fabius [36], Henri Weber [37], Jean-Christophe Cambadélis [38], Pierre Moscovici [39], Manuel Valls [40] ou Gérard Collomb [41] valident le constat, également formulé par Lionel Jospin lui-même [42], selon lequel la gauche doit davantage s’accaparer « la sécurité ». Ainsi, non seulement les logiques de fixation du sens du scrutin ménagent une place importante à l’enjeu, mais la défaite et la crise facilitent sa circulation et son appropriation par les dirigeants socialistes.
42Cette forme de routinisation excède le moment où se déploient les exégèses du traumatisme de 2002. « La sécurité » est désormais régulièrement évoquée dans les motions de congrès et alimente le répertoire discursif de certains élus de banlieue parisienne, comme Manuel Valls (député-maire d’Évry), François Pupponi (maire de Sarcelles), Dominique Lefebvre (maire de Cergy) ou Jean-Pierre Blazy (député-maire de Gonesse). Le thème suscite même progressivement une littérature ad hoc dont il n’est pas évident qu’elle ait eu beaucoup d’équivalents sur d’autres enjeux (voir tableau) [43].
Bruno Le Roux, La sécurité pour tous. Une exigence de justice sociale, Balland, 2001
Daniel Vaillant, La sécurité, priorité à gauche, Plon, 2003
Jean-Pierre Blazy, Les socialistes et la sécurité, Bruno Le Prince, 2006
Christophe Caresche, Peine perdue. Pour une autre politique de sécurité et de justice, Seuil, 2006
Manuel Valls, Sécurité : la gauche peut tout changer, Éditions du Moment, 2011
Jean-Jacques Urvoas, 11 propositions chocs pour rétablir la sécurité, Fayard/Fondation Jean-Jaurès, 2011
Parti socialiste (préface de Martine Aubry), Sécurité. Le fiasco de Sarkozy, les propositions du PS, Jean-Claude Gawsewitch, 2011
43De façon plus souterraine, une autre dynamique dont la genèse est contemporaine de la séquence critique de 2001-2002 contribue à l’objectivation de « la sécurité » au sein du milieu socialiste. L’enjeu acquiert une valeur d’échange auprès de certains entrepreneurs socialistes – et plus précisément de certains outsiders du jeu interne qui, jeunes élus de banlieue, sont soit marginalisés dans les débats internes, soit peuvent mobiliser l’enjeu comme une ressource palliative à leur absence de mandat national. C’était déjà le cas de Bruno Le Roux, éphémère « responsable national à la sécurité » avant de devenir député en 1997. Ce ressort entrepreneurial devient plus visible avec la création, en 2000, d’un secrétariat national à la sécurité, occupé successivement par Julien Dray, député de la circonscription de l’Essonne mais marginalisé du fait d’un contentieux durable avec Lionel Jospin, puis par Delphine Batho – avant que celle-ci ne se concentre, à partir de 2007, sur son nouveau mandat de parlementaire.
44Déjà auteur d’un rapport parlementaire alarmiste en 1992 pointant la montée de « la violence des jeunes dans les banlieues [44] », Julien Dray a progressivement investi les problématiques de délinquance : il s’est rendu aux États-Unis pour observer la politique new-yorkaise en matière de politiques policières, expérience à partir de laquelle il signe, en 1999, le premier ouvrage socialiste spécifiquement consacré aux questions de violence et de sécurité. En entretien, il construit la cohérence de son parcours en enchâssant trois éléments : les violences commises par les « bandes » contre les manifestations lycéennes en 1990, la campagne des législatives de 1993 dans la 10e circonscription de l’Essonne (qui comprend notamment la ville de Grigny et la cité de La Grande Borne) – où, « plus que de chômage, on [lui] parle de violence [45] » – et la spécialisation de fait qu’il endosse par la suite à l’intérieur d’un groupe parlementaire décimé. L’énigme que représente a priori le ralliement d’un ancien trotskyste et cofondateur de SOS Racisme à « la sécurité » se lève aussi pourvu que l’on interprète celle-ci non comme un génotype « droitier » par essence, mais comme un matériau idéel soumis au travail symbolique d’élaboration d’une identité stratégique. En l’espèce, celui qui compte alors parmi les trois principaux animateurs du courant « Gauche socialiste » bricole une conception idéelle convoquant à la fois les figures antérieures (les très accueillantes « valeurs républicaines »), mais aussi une rhétorique en prise avec les aspérités de son parcours.
« Nous, on a toujours considéré qu’il y avait une montée générale de la violence qui était liée à l’évolution du mode de production capitaliste. Voilà, paradoxalement on revient à des références marxistes. Nous, on a théorisé qu’on rentrait dans ce qu’on appelle “le siècle de la peur”. C’est une formule qu’on a mise en avant. C’est-à-dire qu’il y avait une individualisation des rapports sociaux, et que cette individualisation des rapports sociaux elle était anxiogène, et qu’en étant anxiogène elle créait ces peurs. Et que toute la lecture des événements du monde était de plus en plus anxiogène. Voilà pourquoi nous on n’est pas sur l’insécurité, on est sur la violence, et la peur.
– Q : Parce que l’insécurité…
– Elle affaiblit la portée du concept. Elle relativise cette montée générale de la violence [46]. »
46À l’invocation républicaine et à l’arrière-fond marxisant s’ajoute un dernier braconnage, adossé cette fois aux expériences étrangères. Julien Dray contribue ainsi à importer le mot d’ordre travailliste « tough with the crime, though with the causes of crime ». Cette importation ne doit pas tromper – d’abord parce que Julien Dray lui-même indique n’avoir jamais eu de relations soutenues avec les représentants du Labour, ensuite parce que le contenu de la doctrine que labellise le slogan recouvre plutôt des ponctions dans le répertoire de la « tolérance zéro » (le député reprend à son compte l’idée qui fonde sa philosophie, à savoir qu’aucun acte ne peut rester impuni sous peine d’inciter à la récidive et à l’aggravation des infractions). Mais elle atteste de ce travail de modelage et de stylisation du thème par lequel celui-ci est mobilisé.
47Produit de la configuration antérieure et de l’investissement d’un entrepreneur de cause, la création du secrétariat national stabilise la consécration collégiale de l’enjeu et facilite son intégration à l’ordinaire partisan. En octobre 2001 à Évry sont organisées les « rencontres nationales de la sécurité », à l’occasion desquelles Julien Dray présente un rapport intitulé Mieux prévenir, Mieux punir. Validé en bureau national, il sert de point d’appui au projet socialiste élaboré dans le cadre du parti. Progressivement – en particulier après que Delphine Batho a remplacé Julien Dray en 2003 –, le secrétariat permet d’ajuster le discours socialiste à l’actualité : l’évolution des statistiques policières, les initiatives législatives des différents gouvernements, les « faits divers », ou les incendies de voiture lors de la Saint-Sylvestre sont autant de faits médiatiques à l’occasion desquels la secrétaire nationale, par l’entremise du blog qu’elle entretient, peut équiper son parti d’une forme de contre-expertise (une centaine de communiqués entre janvier 2004 et novembre 2008, soit un peu moins de deux par mois). Elle produit et fait valider par les instances dirigeantes plusieurs rapports ou notes, établissant des bilans critiques de l’action de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, et rend possible l’intégration, en 2008, de « la sécurité » dans la nouvelle Déclaration de principes du parti.
48En somme, les années 2000 correspondent à une séquence d’institutionnalisation partisane du thème. La conversion du Parti socialiste à « la sécurité » existe ainsi trois fois – en ce sens qu’elle correspond non seulement à l’importation d’une thématique, mais aussi à la routinisation d’une préoccupation, et enfin au travail de captation de l’enjeu selon les intérêts des entreprises politiques internes au parti.
Les logiques du laconisme programmatique
49Cette institutionnalisation partisane de « la sécurité » s’est-elle pour autant traduite par une intensification de ses usages programmatiques ? La trajectoire de l’enjeu est loin d’avoir suivi un schéma séquentiel, et ce pour deux raisons. La première renvoie à l’effet propre exercé par les configurations de campagne, qui contribuent puissamment à définir la valeur d’usage des différents thèmes. Alors que le baromètre Sofres donnait une augmentation de 20 % à 60 % des « préoccupations » pour l’insécurité entre 1999 et 2002, ce glissement s’est ensuite inversé jusqu’à 2006 (pour retomber dans l’étiage des 20 %) [47]. L’agenda électoral de 2007 s’est avéré particulièrement volatile, quand celui de 2012 a d’abord été marqué par le cadrage économique qui s’est imposé à la suite de la crise financière : en 2007, et plus encore en 2012, « la sécurité » a été reléguée à une place beaucoup plus secondaire qu’en 2002 (voir graphique).
50En 2007 et a fortiori en 2012 – et quoiqu’il soit particulièrement délicat d’objectiver la part des stratégies partisanes dans la structuration de l’agenda de campagne –, on a également pu observer un mécanisme similaire à ce que Frédéric Sawicki avait identifié dans le cas des offres politiques en matière de sécurité sociale lors de la présidentielle de 1988 [48]. Malgré les polémiques autour de « l’ordre juste » et les émeutes de la Gare du Nord en 2006-2007 ou l’affaire Merah en 2012, aucune des équipes partisanes n’a cherché à alimenter la controverse sur les enjeux de sécurité. En 2007 pas plus qu’en 2012, l’expression de « police de proximité » n’est présente dans les programmes socialistes, qui évoquent brièvement une « police de quartier [49] », puis « une présence régulière des services de police au contact des habitants [50] ». Nicolas Sarkozy lui-même pouvait difficilement se prévaloir d’un bilan positif en matière de lutte contre « l’insécurité » : non seulement le chiffre des atteintes aux personnes (l’un des plus mobilisés dans les joutes partisanes [51]) n’a cessé d’augmenter (+14 % entre 2002 et 2006, puis +8 % entre 2007 et 2011), mais le mandat présidentiel de l’ancien « premier flic de France » a vu baisser notoirement les effectifs de la Police nationale – deux chiffres polémiques que les socialistes ont régulièrement mobilisés.
L’insécurité dans le traitement médiatique des campagnes présidentielle de 2002, 2007 et 2012 (presse écrite)
L’insécurité dans le traitement médiatique des campagnes présidentielle de 2002, 2007 et 2012 (presse écrite)
Nombre d’occurrences des associations entre l’« insécurité » et les candidats dans la presse écrite les douze derniers mois précédant le premier tour des élections présidentielles de 2002, 2007 et 2012 [base Europresse]. La recherche a été effectuée selon les combinaisons de mots clés [« insécurité » & Chirac & Jospin] en 2002, [« insécurité » & Sarkozy & socialiste/Royal] en 2007, [« insécurité » & Sarkozy & socialiste/Hollande] en 2012 [n = 780]51Mais cette « propension générale au laconisme [52] » n’est pas sans lien avec des logiques plus endogènes au parti. Loin de traduire une forme de bureaucratisation partisane du traitement de l’enjeu « sécurité », la période 2002-2012 conduit plutôt à saisir le caractère éminemment chaotique et fragmenté des circuits programmatiques socialistes. Cette caractéristique générale renvoie à deux dimensions cumulées. La première correspond à la faible légitimité du secrétariat national, dont l’autorité ne va jamais de soi, et dont il n’est jamais garanti par avance que les travaux puissent préfigurer l’offre endossée par le parti ou son candidat. En 2002, de son propre aveu, Julien Dray n’était pas parvenu à rencontrer Lionel Jospin et à imposer tant son interprétation que ses propositions en matière de lutte contre « la violence ». Si, en 2007, les propositions portées par Delphine Batho ont été en partie reprises par Ségolène Royal (plan de prévention précoce de la violence, brigade des mineurs, meilleure répartition des effectifs policiers), c’est moins parce que la secrétaire nationale en titre était la dépositaire sui generis de l’offre partisane en matière de sécurité que parce qu’elle a précocement rallié une candidate… qui avait fait campagne contre l’appareil du parti.
52La configuration ultérieure donne à voir un agencement différent d’une même logique. En 2009 et après quelques mois de latence, Jean-Jacques Urvoas, alors primo-député du Finistère, est nommé secrétaire national à la sécurité par Martine Aubry. Choisi cette fois pour des raisons contingentes, peu familier d’une thématique absente de ses problématiques territoriales, il investit celle-ci sur la base de ses dispositions propres. Docteur en droit public et maître de conférences en science politique, il prend rapidement contact avec de nombreux chercheurs (sociologues, politistes et juristes) et développe une approche plus intellectualisée du thème, tant du point de vue de son cadrage que des mesures qui en découlent – « on ne peut pas travailler différemment que ce qu’on est quoi. Moi je suis prof de fac, donc je travaille avec des livres », explique-t-il en entretien [53]. Mais son faible capital politique ne lui permet pas d’étendre ses conceptions au niveau du parti lui-même. Une séquence parmi d’autres, racontée en entretien, permet de prendre la mesure de ce confinement. En novembre 2010, le parti organise un « forum » à Créteil, qui doit d’une part permettre aux différents élus locaux de faire remonter leurs expériences en matière de gestion de « la sécurité », et d’autre part présenter les conceptions et propositions du parti en la matière.
« Je bâtis tout mon propos de conclusion – parce que c’est moi qui dois conclure – sur le thème : la sécurité n’est pas un droit. Un droit pour moi, je suis juriste hein, pour moi c’est un truc opposable. Alors, c’est un devoir peut-être pour l’État de protéger, ça je veux bien l’admettre, mais ça peut pas être un droit parce que je peux pas dire à quelqu’un : “tu seras jamais malade”. Je peux lui dire “si t’es malade, tu seras soigné”. Alors le jour de Créteil, je fais tout mon truc, parce que j’écris lentement en plus, donc je fais ça le week-end – Créteil c’est un mardi ou un mercredi je crois. Le jour de Créteil, je lis dans Le Monde la tribune libre de Martine Aubry : “la sécurité est un droit”. Pire, “fondamental” ! Voilà, youpi ! […] Moralité, elle m’a planté tout mon discours de Créteil, que j’ai été obligé de réécrire [54]. »
54Au fond, la plasticité relative de l’idée « sécurité » constitue à la fois l’une des conditions par lesquelles les mobilisations de l’enjeu peuvent être reconduites, et en même temps le signe que, loin d’exister comme un socle idéologique cohérent et partagé, « la sécurité » circule d’abord sous la forme d’une vulgate relativement rudimentaire – il s’agit d’une valeur « républicaine » appelant une meilleure territorialisation des dispositifs d’action publique, notamment policiers. Les efforts de développement idéologique ou de sophistication programmatique de l’enjeu existent bien plus comme une succession d’initiatives singulières que comme l’actualisation d’un corpus doctrinal que labelliseraient les procédures de validation collégiale.
55Cette logique de fond a été catalysée par une seconde dynamique. Le développement d’un effet-primaires a en effet renforcé les logiques classiques suivant lesquelles le travail de production programmatique est toujours contraint par l’intensité des luttes internes [55]. Cet effet s’est manifesté selon deux formes distinctes en 2006 et en 2011. La primaire interne de 2006 est ainsi l’occasion de politiser une question dont on a pourtant vu qu’elle faisait peu débat au sein du parti. Le 15 mars 2006, Delphine Batho fait valider par le bureau national une note résumant les travaux de la « commission du Projet chargée de la sécurité ». On peut notamment y lire que « pour 2007, le Parti socialiste se fixera comme un de ses objectifs prioritaires l’instauration d’un “ordre juste” et d’une “sécurité” durable [56] ». C’est la montée de Ségolène Royal dans les sondages qui conduit, dans les semaines qui suivent, à la dénonciation unanime, au sein du parti, d’un slogan (bientôt retourné en… « juste l’ordre ») que ses instances avaient pourtant collectivement validé : le clivage pro- et anti-sécuritaires est opportunément réactivé par la compétition interne.
56Le travail trans-courant a été à nouveau phagocyté par la primaire de 2011. En deux ans, Jean-Jacques Urvoas s’est intensément investi dans ses fonctions de secrétaire national. Il a constitué un réseau de plusieurs dizaines de personnes, structuré des réunions thématiques consacrées à des sujets variés (« déontologie et formation de la police », « renseignement et information générale », « évaluation des politiques de sécurité », etc. [57]). Entre juin 2009 et novembre 2011, il signe deux notes, deux essais et un rapport pour le compte du think tank Terra Nova, plus d’une cinquantaine de communiqués sur son blog, et un livre chez Fayard. Il prépare le contenu du forum de Créteil : les archives qu’il nous a remises de la gestation du texte contiennent douze versions intermédiaires, contenant plusieurs dizaines de propositions parfois très techniques (création d’un service national d’identification des avoirs criminels, expérimentation de programmes comportementaux pour prévenir la récidive, transformation de l’Observatoire national de la délinquance en autorité administrative indépendante, etc.). En somme, et contrairement à nombre de secrétaires nationaux qui privilégient leur mandat de député [58], Jean-Jacques Urvoas a très largement investi le thème dont il était responsable.
57Pris au jeu de l’enjeu, le secrétariat national aura pourtant vu l’enjeu repris par les jeux. « La sécurité » est notamment mobilisée par Manuel Valls, qui a de longue date fait du thème un élément central de son identité stratégique. Maire d’Évry depuis 2001, celui-ci a régulièrement adossé son répertoire distinctif à ses réalisations en matière d’ordre public (installation de la vidéosurveillance, armement et doublement des effectifs de la Police municipale, etc.). Dans le cadre de sa candidature à la primaire de 2011, il signe un ouvrage personnel entièrement consacré au sujet [59], dans lequel il déroule ses propres propositions. Au terme de la primaire, à la suite peut-être d’une faute tactique (Jean-Jacques Urvoas ne soutient François Hollande que la veille du second tour, à un moment où la victoire de celui-ci fait peu de doutes), et du fait sans doute d’un capital politique trop faible, le secrétaire national est écarté au profit de François Rebsamen – proche historique de François Hollande – qui est désigné référent sur les questions de sécurité durant la campagne. Celui-ci reconstitue autour de lui son propre réseau policier, issu notamment de l’époque lointaine où il était membre du cabinet de Pierre Joxe, et s’écarte publiquement du travail accompli par le secrétaire national en titre [60]. Le programme final aura donc été élaboré ad hoc, dans une relative urgence, et se contente de quatre objectifs : « une nouvelle sécurité de proximité », des « zones de sécurité prioritaires », le doublement du nombre de centres éducatifs fermés pour les mineurs, et la création « chaque année [de] 1 000 postes supplémentaires pour la justice, la police et la gendarmerie [61] ».
58Le trait le plus singulier de la trajectoire mouvementée de « la sécurité » tient ainsi à ce qu’elle aura moins procédé de son marquage initial à la droite du champ politique qu’elle n’aura renvoyé aux propriétés du mode de production programmatique socialiste. La banalisation du thème à l’intérieur du parti ne s’est pas accompagnée d’une intensification des mobilisations électorales autour du thème. Surtout, le développement d’une expertise sectorielle au sein des instances dédiées est resté déconnecté du travail de mise en programme, conduit durant la campagne et indépendamment des travaux conduits au niveau du secrétariat national.
59***
60À la fois parce qu’elle médiatise une contrainte électorale (se positionner sur un enjeu jugé sensible pour sa clientèle électorale), mais aussi parce qu’elle peut être perçue comme une ressource (certains acteurs ont intérêt à la faire exister), la conversion du Parti socialiste à « la sécurité » a bien eu lieu – d’un triple point de vue : le thème a fait l’objet d’un travail de transposition partisane, s’est progressivement imposé comme une figure obligée des offres électorales, et s’est objectivé au sein du parti par le truchement d’un ensemble de positions institutionnelles et de supports discursifs.
61Cette conversion n’aura toutefois jamais vraiment pris la forme d’un aggiornamento, et s’est d’abord traduite sous la forme d’une série de glissements itératifs : le thème a été mis à l’agenda du parti, sans être ensuite investi dans la campagne des élections législatives de 1997 ; il a pourtant ensuite été institué en seconde priorité gouvernementale, tout en étant confié à un ministre non-socialiste peu intéressé à ce sujet ; la campagne présidentielle de 2002 a moins été l’occasion d’assumer cette « priorité » que de subir le stigmate que le travail partisan visait précisément à gommer ; le thème s’est par la suite effacé des mobilisations électorales, alors que son traitement ordinaire tendait à se solidifier. Cette conversion est ainsi loin d’exister sous la forme d’une séquence linéaire (prise en charge thématique, élaboration programmatique, mobilisation électorale et mise en œuvre gouvernementale).
62La notion de « carrière » permet, de ce point de vue, de mieux décomposer les différentes appropriations dont un même thème peut faire l’objet. « La sécurité » est d’abord un enjeu de la compétition partisane (à la fois emblème de l’adversaire et déterminant potentiel des verdicts électoraux) ; ponctuellement, elle a été appropriée comme la composante d’un corpus idéologique (le patrimoine républicain) ; elle peut être utilisée comme un outil de classement du monde social (analyseur du vote populaire, elle peut aussi servir à interpréter la condition sociale des habitants des banlieues) ; elle est accaparée comme un trophée dans le cadre des jeux internes (au sein du parti ou d’un gouvernement) ; elle peut enfin – quoique plus rarement – être associée à un ensemble de politiques publiques. Selon les contextes dans lesquels elle est mobilisée, « la sécurité » est ainsi soumise à des investissements différents, qui peuvent chacun supporter des croyances sacerdotales autant que des calculs plus détachés. L’institutionnalisation de « la sécurité » se joue et se déjoue ainsi selon les différentes aspérités qu’offre l’enjeu pour les acteurs qui s’en saisissent, c’est-à-dire selon que la valeur de cet enjeu peut ou non se monnayer sur des marchés politiques différenciés.
Mots-clés éditeurs : conversion, campagnes électorales, insécurité, idées politiques, programmes électoraux, carrière, sécurité, histoire sociale des idées, parti socialiste
Date de mise en ligne : 11/10/2019
https://doi.org/10.3917/pox.126.0135Notes
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[1]
Escalona (F.), La reconversion partisane de la social-démocratie européenne, Paris, Dalloz, 2018 ; Rioufreyt (T.), Les socialistes face à la « Troisième voie » britannique (1997-2015). Un cas de circulation transnationale des idées politiques, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2016.
-
[2]
Voir notamment Gaxie (D.), Lehingue (P.), Enjeux municipaux. La constitution des enjeux politiques dans une élection municipale, Paris, Presses universitaires de France, 1984 ; Sawicki (F.), « Les questions de la protection sociale dans la campagne présidentielle française de 1988 : contribution à l’étude de la formation de l’agenda électoral », Revue française de science politique, 41 (2), 1991 ; Cos (R.), « Dénoncer le programme. Les logiques du désengagement électoral au révélateur des privatisations du gouvernement Jospin », Revue française de science politique, 68 (2), 2018.
-
[3]
Parmi d’autres références récentes portant sur les systèmes partisans d’Europe occidentale, Green-Pedersen (C.), « The Growing Importance of Issue Competition: The Changing Nature of Party Competition in Western Europe », Political Studies, 55 (3), 2007 ; Meguid (B.), Party Competition Between Unequals. Strategies and Electoral Fortunes in Western Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 ; Brouard (S.), Grossman (E.), Guinaudeau (I.), « La compétition partisane française au prisme des priorités électorales : compétition sur enjeux et appropriations thématiques », Revue française de science politique, 62 (2), 2012.
-
[4]
Darmon (M.), « La notion de carrière : un instrument interactionniste d’objectivation », Politix, 82 (2), 2008.
-
[5]
Belorgey, (N.), Chateigner, (F.), Hauchecorne (M.), Penissat (É.), « Théories en milieu militant : Introduction », Sociétés contemporaines, 81 (1), 2011. La notion a également été mobilisée dans le cadre de la sociologie des problèmes publics. Voir notamment Fortané (N.). « La carrière des “addictions”. D’un concept médical à une catégorie d’action publique », Genèses, 78 (1), 2010 ; « La carrière politique de la dopamine. Circulation et appropriation d’une référence savante dans l’espace des drug policies », Revue française de science politique, 64 (1), 2014 ; Gilbert (C.), Henry (E.), « La définition des problèmes publics : entre publicité et discrétion », Revue française de sociologie, 53 (1), 2012.
-
[6]
Cos (R.), Les socialistes croient-ils à leurs programmes ? Démobilisations et recompositions des activités programmatiques au Parti socialiste (1995-2012), thèse de science politique, Université Lille 2, 2017.
-
[7]
Mucchielli (L.), Robert (P.), dir., Crime et sécurité. L’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2002 ; Bonelli (L.), La France a peur. Une histoire sociale de « l’insécurité », Paris, La Découverte, 2010.
-
[8]
Bonelli (L.), La France a peur…, op. cit.
-
[9]
Gaxie (D.), Lehingue (P.), Enjeux municipaux…, op. cit., p. 34.
-
[10]
Ferret (J.), Mouhanna (C.), Peurs sur les villes, Paris, Presses universitaires de France, 2005 ; Le Goff (T.), Les maires, nouveaux patrons de la sécurité ? Étude sur la réactivation d’un rôle politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.
-
[11]
Entretiens avec Daniel Vaillant, 1er mars 2009 et 28 janvier 2016, Paris.
-
[12]
« Propositions », contribution de Lionel Jospin au Congrès de Liévin, reproduit dans Vendredi, 237, 2 septembre 1994.
-
[13]
Parti socialiste, Propositions pour la France, 1995, document dactylographié, archives OURS.
-
[14]
Communiqué du Parti socialiste, « L’état moral et psychologique de la Police nationale », mars 1996, document dactylographié, archives Fondation Jean Jaurès, Fonds Mauroy 1 FP.
-
[15]
« Les acteurs de la démocratie », Vendredi, 287, 10 juin 1996.
-
[16]
Parti socialiste, La Sécurité pour garantir la cohésion sociale, rapport au Bureau national sur la sécurité, février 1997, document dactylographié, archives OURS, p. 1-2.
-
[17]
Le Goff (T.), « Les maires et la sécurité quotidienne : rhétoriques et pratiques de proximité », in Le Bart (C.), Lefebvre (R.), dir., La proximité en politique. Usages, rhétoriques, pratiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
-
[18]
Parti socialiste, 1997, doc. cit. On peut relever l’évolution entre cette position et celle défendue dix ans auparavant par Gilbert Bonnemaison, qui rappelait que « si l’article 2 de la déclaration de 1789 range la “sûreté” au rang des droits naturels et imprescriptibles de l’homme, ce n’est pas, au sens actuel, de “sécurité” mais à celui de garantie contre toute intervention arbitraire de l’État dans la vie privée des citoyens. Ce sont les lettres de cachet qui sont visées et pas la délinquance ». Bonnemaison (G.), La sécurité en libertés, Paris, Syros, 1987, p. 40.
-
[19]
Entretien avec Bruno Le Roux, Épinay-sur-Seine, 10 avril 2009.
-
[20]
Parti socialiste, Changeons d’Avenir, changeons de majorité : nos engagements pour la France, 1997, document dactylographié, archives OURS.
-
[21]
Bruno Le Roux, Une politique de sécurité au plus près du citoyen, Rapport de mission parlementaire, septembre 1997.
-
[22]
Bonelli (L.), La France a peur…, op. cit., p. 107.
-
[23]
Le Goff (T.), « L’insécurité “saisie” par les maires. Un enjeu de politiques municipales », Revue française de science politique, 55 (3), 2005, p. 426.
-
[24]
Des villes sûres pour des citoyens libres : actes du colloque de Villepinte, 24-25 octobre 1997, La Documentation française/Ministère de l’Intérieur, Service de l’information et des relations publiques, p. 88.
-
[25]
Dans l’ouvrage qu’il publie en 2001, Bruno Le Roux présente à nouveau le rapport comme le signe de la « conversion » du Parti socialiste au thème de « la sécurité ». Le Roux (B.), La sécurité pour tous : une exigence de justice sociale, Paris, Balland, 2001, p. 42.
-
[26]
Roché (S.), Police de proximité. Nos politiques de sécurité, Paris, Seuil, 2004 ; « Politique et administration dans la formulation d’une politique publique. Le cas de la police de proximité », Revue française de science politique, 59 (6), 2009.
-
[27]
En ce sens, le cas de Villepinte s’inscrit dans le prolongement de certains travaux récents de sociologie politique analysant les « tournants » supposés marquer les scansions d’une histoire événementielle. Voir notamment Laurens (S.), « “1974” et la fermeture des frontières. Analyse critique d’une décision érigée en turning-point », Politix, 82 (2), 2008 ; Fertikh (K.), « Trois petits tours et puis s’en va… Marxisme et programme de Bad Godesberg du Parti social-démocrate allemand », Sociétés contemporaines, 81 (1), 2011.
-
[28]
Maillard (J.) de, Le Goff (T.) « La tolérance zéro en France. Succès d’un slogan, illusion d’un transfert », Revue française de science politique, 59 (4), 2009.
-
[29]
En juin 2001, un rapport conjoint de l’IGS et de l’IGPN pointe notamment une réussite « partielle ».
-
[30]
Le Goff (T.), « L’insécurité saisie par les maires… », art. cit.
-
[31]
Terral (J.), L’insécurité au Journal télévisé. La campagne présidentielle de 2002, Paris, L’Harmattan, 2004.
-
[32]
Voir par exemple « Les socialistes revendiquent leur rupture avec une “conception un peu angélique” de la sécurité », Le Monde, 26 avril 2001, et « La gauche ne privilégie plus les explications sociales de la délinquance », Le Monde, 4 décembre 2001.
-
[33]
La LSQ prévoit notamment l’extension des pouvoirs des vigiles, des peines de prison ferme pour les voyageurs sans titres de transport, la facilitation des fouilles de véhicules, ou la pénalisation de l’occupation des halls d’immeubles.
-
[34]
Maillard (J.) de, Jobard (F.), Sociologie de la police. Politiques, organisations, réformes, Paris, Armand Colin, 2015.
-
[35]
Roché (S.), Police de proximité…, op. cit.
-
[36]
« Les nouveaux marqueurs de la gauche », Le Monde, 29 août 2002.
-
[37]
« PS : les chantiers oubliés », Libération, 29 août 2002.
-
[38]
« PS : inventaire pour une réforme », Libération, 25 juin 2002.
-
[39]
Moscovici (P.), Un an après, Paris, Grasset, 2003.
-
[40]
Le Canard enchaîné, 24 juillet 2002, cité dans « Julien Dray et le PS : touche pas à ma police », Pour Lire, Pas Lu, 11, octobre 2002.
-
[41]
« Gérard Collomb : “Un coup de barre à gauche du PS serait une erreur” », Le Figaro, 17 avril 2003.
-
[42]
« Être utile », Le Monde, 1er février 2003. L’invocation de l’enjeu « sécurité » demeure une constante de ses productions ultérieures : Le monde comme je le vois (Paris, Gallimard, 2005), et L’impasse (Paris, Flammarion, 2007).
-
[43]
« La sécurité » s’institue également dans les livres-programmes d’autres cadres du parti – notamment dans la perspective de la primaire de 2006. Voir par exemple Jospin (L.), Le monde comme je le vois, Paris, Gallimard, 2005 ; Strauss-Kahn (D.), 365 jours, Paris, Grasset, 2006 ; Delanoë (B.), De l’audace, Paris, Robert Laffont, 2006 ; Valls (M.), Les habits neufs de la gauche, Paris, Robert Laffont, 2006.
-
[44]
Rapport d’information parlementaire présenté par Julien Dray, session ordinaire de 1991-1992, n° 2832.
-
[45]
Entretien avec Julien Dray, Paris, 11 mai 2009.
-
[46]
Ibid.
-
[47]
« “Une poussée du sentiment d’insécurité est peu probable” », Libération, 28 mars 2007.
-
[48]
Sawicki (F.), « Les questions de la protection sociale… », art. cit.
-
[49]
Royal (S.), Le pacte présidentiel, 2007.
-
[50]
Hollande (F.), Le changement c’est maintenant. Mes engagements pour la France, 2012.
-
[51]
Cos (R.), « Les élus socialistes face aux chiffres de la délinquance. Dispositions, positions et prises de position partisanes sur les statistiques policières », Mots. Les langages du politique, 100 (3), 2012.
-
[52]
Lehingue (P.), « Représentation et relégation : “le social” dans les débats politiques locaux », in Gaxie (D.), Collovald (A.), Gaïti (B.), Lehingue (P.), Poirmeur (Y.), Le « social » transfiguré. Sur la représentation politique des préoccupations « sociales », Paris, Presses universitaires de France/CURAPP, 1990, p. 140.
-
[53]
Entretien avec Jean-Jacques Urvoas, Paris, 30 novembre 2011.
-
[54]
Ibid.
-
[55]
Cos (R.), « Le projet socialiste (dé)saisi par les primaires. Procédures “rénovatrices” et production programmatique », in Lefebvre (R.), Treille (É.), dir., Les primaires ouvertes en France. Adoption, codification, mobilisation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.
-
[56]
« Communiqué du Parti socialiste », 15 mars 2006, document dactylographié, Fonds Pierre Moscovici, Archives OURS, 98 APO.
-
[57]
Archives personnelles d’un membre du réseau Urvoas, anonyme.
-
[58]
Bachelot (C.), « Groupons-nous et demain… ». Sociologie des groupes dirigeants du Parti socialiste français depuis 1993, thèse de science politique, IEP Paris, 2008.
-
[59]
Sécurité. La gauche peut tout changer, Paris, Éditions du Moment, 2011.
-
[60]
« François Rebsamen présente à AEF Sécurité globale son équipe et ses premières pistes de travail sur la sécurité », dépêche AEF n° 4915, 13 décembre 2011.
-
[61]
Hollande (F.), Le changement…, doc. cit.