Politix 2018/1 n° 121

Couverture de POX_121

Article de revue

La philanthropie comme investissement

Contribution à l’étude des stratégies de reproduction et de légitimation des élites économiques

Pages 9 à 27

Notes

  • [1]
    Nous remercions les membres du comité éditorial de Politix pour leurs relectures, qui ont significativement contribué à améliorer les textes de ce dossier. Un merci tout particulier à Annie Collovald pour ses remarques et ses conseils, toujours judicieux, et son concours dans la coordination de ce numéro.
  • [2]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes. Sociologie de Wall Street, Paris, Raisons d’agir, 2006.
  • [3]
    Cf. Abélès (M.), Les nouveaux riches. Un ethnologue dans la Silicon Valley, Paris, Odile Jacob, 2002, et McGoey (L.), No Such Thing as a Free Gift : The Gates Foundation and the Price of Philanthropy, London, Verso, 2015.
  • [4]
    D’après Lefèvre (S.), « Pour une approche sociopolitique de la philanthropie financière : plaidoyer pour un programme de recherche », Politique et sociétés, 34 (2), 2015, p. 62-63.
  • [5]
    Observatoire de la Fondation de France, Les fonds et fondations en France de 2001 à 2014, Paris, Fondation de France, 2014.
  • [6]
    McGoey (L.), Thiel (D. J.), West (R. M), « Le philanthro-capitalisme et les “crimes des dominants” », dans ce dossier.
  • [7]
    Lane (R.), « A Golden Age of Philanthropy », Forbes, 2 décembre 2013.
  • [8]
    Bishop (M.), Green (M.), Philanthrocapitalism : How the Rich Can Save the World and Why We Should Let Them, London, Bloomsbury Press, 2008.
  • [9]
    Bishop (M.), Green (M.), « The Birth of Philanthrocapitalism », The Economist, 25 février 2006.
  • [10]
    Bishop (M.), Green (M.), Philanthrocapitalism…, op. cit.
  • [11]
    Hirschman (A.), Les passions et les intérêts, Paris, Presses universitaires de France, 1980.
  • [12]
    Voir également McGoey (L.) et al., « Le philanthro-capitalisme et les “crimes des dominants” », art. cit.
  • [13]
    Sur la notion de « philanthropie de masse », cf. Zunz (O.), La philanthropie en Amérique : argent privé, affaires d’État, Paris, Fayard, 2012. Pour des études sur ce type de mobilisations, voir notamment Lefèvre (S.), ONG & Cie. Mobiliser les gens, mobiliser l’argent, Paris, Presses universitaires de France, 2011, et Collovald (A.), Lechien (M.-H.), Rozier (S.), Willemez (L.), dir., L’humanitaire ou le management des dévouements. Enquête sur un militantisme de « solidarité internationale » en faveur du Tiers-Monde, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
  • [14]
    Selon l’expression de Lefèvre (S.), Duvoux (N.), « État social et pauvreté : présentation du thème », Lien social et politiques, 75, 2016.
  • [15]
    Rozier (S.), « Le mécénat culturel d’entreprise dans la France des années 1980-1990 : une affaire d’État », Genèses, 109, 2017.
  • [16]
    Duprat (C.), Usages et pratiques de la philanthropie. Pauvreté, action sociale et lien social, à Paris, au cours du premier XIXe siècle, 2 vol., Paris, Association pour l’étude de l’histoire de la Sécurité Sociale, 1996.
  • [17]
    Notamment dans l’histoire des sciences sociales : cf. Mazon (B.), Aux origines de l’École des hautes études en sciences sociales. Le rôle du mécénat américain (1920-1960), Paris, Le Cerf, 1988 ; Tournès (L.), Sciences de l’homme et politique. Les fondations philanthropiques américaines en France au XXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011.
  • [18]
    Voir notamment les dossiers coordonnés par Lefèvre (S.), Charbonneau (J.), dir., « Philanthropie et fondations privées : vers une nouvelle gouvernance du social ? », Lien social et politiques, 65, 2011 ; David (T.), Tournès (L.), dir., « Philanthropies transnationales », Monde(s), 6, 2014 ; Lambelet (A.), Lefèvre (S.), dir., « Philanthropies », ethnographiques.org, 34, 2017 ; Duvoux (N.), dir., « Philanthropies et prestige d’État en France, XIXe-XXe siècle », Genèses, 109, 2017.
  • [19]
    Essor généralement daté de l’article de Curti (M.), « The History of American Philanthropy as a Field of Research », American Historical Review, 62, 1957.
  • [20]
    Pour un panorama des travaux américains, cf. Lagemann (E. C.), ed., Philanthropic Foundations : New Scholarship, New Possibilities, Bloomington, Indiana University Press, 1999.
  • [21]
    Dowie (M.), American Foundations. An Investigative History, Cambridge, MIT Press, 2001, p. 16.
  • [22]
    U.S. Commission on Industrial Relations, Industrial Relations : Final Report and Testimony, vol 1, Washington, U.S. Government Printing Office, 1916, cité dans Kiger (J. C.), Historiographic Review of Foundation Literature : Motivations and Perceptions, New York, The Foundation Center, 1987.
  • [23]
    Spire (A.), Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raison d’agir, 2012.
  • [24]
    OCDE, Report on Abuse of Charities for Money Laundering and Tax Evasion, OCDE, Centre for Tax Policy and Administration, 2009.
  • [25]
    Bruno (I.), Didier (E.), Benchmarking. L’État sous pression statistique, Paris, La Découverte, 2013.
  • [26]
    Jevakhoff (A.), Cavaillolès (D.), Le rôle économique des fondations, Paris, Ministère de l’Économie et des Finances/Inspection générale des finances, 2017, p. 7.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    Cf. notamment Bernholz (L.), Cordelli (C.), Reich (B.), « Philanthropy in Democratic Societies », in Reich (R.), Cordelli (C.), Bernholz (L.), eds, Philanthropy in Democratic Societies, Chicago, The University of Chicago Press, 2016.
  • [29]
    Lambelet (A.), « La philanthropie : usages du terme et enjeux de luttes », ethnographiques.org, 34, 2017, http://www.ethnographiques.org/2017/Lambelet/.
  • [30]
    Bourdieu (P.), « Stratégies de reproduction et modes de domination », Actes de la recherche en sciences sociales, 105, 1994, p. 5-6.
  • [31]
    Ibid.
  • [32]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes. Sociologie de Wall Street, Paris, Raisons d’agir, 2006, p. 8.
  • [33]
    Veyne (P.), Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris, Seuil, 1976.
  • [34]
    Le Goff (J.), La naissance du purgatoire, Paris, Gallimard, 1981.
  • [35]
    Chelle (E.), « La philanthropie aux États-Unis et en France. Retour sur une traditionnelle opposition », Sociologie, 8 (4), 2017.
  • [36]
    Weber (M.), « Introduction à l’éthique économique des religions mondiales », Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996, p. 337. Pour une étude revisitant le rapport à l’argent des élites contemporaines à la lumière de la « théodicée du bonheur » wébérienne, cf. Sherman (R.), Uneasy Street. The Anxieties of Affluence, Princeton, Princeton University Press, 2017.
  • [37]
    Mauss (M.), « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », Sociologie et anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, 1950.
  • [38]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes…, op. cit., p. 28.
  • [39]
    O’Connor (A.), « The Ford Foundation and Philanthropic Activism in the 1960s », in Lagemann (E. C.), ed., Philanthropic Foundations…, op. cit. En 1985, la Fondation Ford a été à l’origine de la création d’un groupe de réflexion sur « la crise de l’État-providence » qui allait donner matière aux analyses de Hirschman (A. O), Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard, 1991.
  • [40]
    DiMaggio (P. J.) « Constructing an Organizational Field as a Professional Project : U.S. Art Museums, 1920-1940 », in Powell (W. W.), DiMaggio (P. J.), eds, The New Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1991.
  • [41]
    Brown (R. E.), Rockefeller Medicine Men. Medicine and Capitalism in America, Berkeley, University of California Press, 1979.
  • [42]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes…, op. cit. Pour une analyse similaire sur les élites françaises de la Restauration, cf. Mitsushima (N.), « Aménager, subvertir et contester l’ordre électoral. Philanthropie et politique sous la Restauration (1819-1830) », Genèses, 109, 2017.
  • [43]
    Observatoire de la Fondation de France, Les fonds et fondations de 2001 à 2014 en France, op. cit.
  • [44]
    Cohen (A.), « La structuration atlantique des European Studies. La Fondation Ford et l’institut de la Communauté européenne pour les études universitaires dans la génération d’un “objet” », Revue française de science politique, 67 (1), 2017 ; Guilhot (N.), « “The French Connection”. Éléments pour une histoire des relations internationales en France », Revue française de science politique, 67 (1), 2017.
  • [45]
    Karl (B. D), Katz (S. N.), « The American Private Philanthropic Foundation and the Public Sphere 1890-1930 », Minerva, 19 (2), 1981.
  • [46]
    Buton (F.), « Les deux faces d’une politique philanthropique. La Fondation Mérieux et la surveillance épidémiologique des années 1970 aux années 1990 », dans ce dossier.
  • [47]
    Cité par Guilhot (F.), Financiers, philanthropes…, op. cit., p. 142.
  • [48]
    Calligaro (O.), « Une organisation hybride dans l’arène européenne : Open Society Foundations et la construction du champ de la lutte contre les discriminations », dans ce dossier.
  • [49]
    Nous nous inspirons ici de Nay (O.), Smith (A.), « Les intermédiaires en politique. Médiations et jeux d’institutions », in Nay (O.), Smith (A.), dir., Le gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes dans l’action politique, Paris, Economica, 2002.
  • [50]
    Tournès (L.), dir., L’argent de l’influence. Les fondations américaines et leurs réseaux européens, Paris, Autrement, 2010. Cf. aussi Buton (F.), « Les deux faces d’une politique philanthropique… », art. cit.
  • [51]
    Saunier (P.-Y.), « Administrer le monde ? Les fondations philanthropiques et la Public Administration aux États-Unis (1930-1960) », Revue française de science politique, 53 (2), 2003.
  • [52]
    Cf. Bartley (T.), « Comment les fondations façonnent les mouvements sociaux. L’essor de la certification forestière et la construction d’un champ organisationnel », dans ce dossier.
  • [53]
    Karl (B. D.), Katz (S. N.), « The American Private Philanthropic Foundation and the Public Sphere 1890-1930 », art. cit.
  • [54]
    McGoey (L.), No such Thing as a Free Gift…, op. cit., p. 113-148.
  • [55]
    Gates (B.), « Pourquoi je suis devenu philanthrope », Le Monde, 30-31 octobre 2016.
  • [56]
    Cf. par exemple Monier (A.), « La relation philanthropique, un rapport de domination ? Le cas des Amis Américains des institutions culturelles françaises », dans ce dossier, et Ostrower (F.), Why the Wealthy Give : The Culture of Elite Philanthropy, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1995.
  • [57]
    Cf. McGoey (L.) et al., « Le philanthro-capitalisme et les “crimes des dominants” », art. cit.
  • [58]
    Odendahl (T.), Charity Begins at Home : Generosity and Self-interest among the Philanthropic Elite, New York, Basic Books, 1991 ; Reich (B.), « Philanthropy and caring for the needs of strangers », Social Research, 80 (2), 2013.
  • [59]
    Ce type de fondations, réservé aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, a été créé par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007.
  • [60]
    « Fondations : les grandes écoles mènent le bal », Le Monde, 10 janvier 2018.
  • [61]
    Pinçon (M.), Pinçon-Charlot (M.), Sociologie de la bourgeoisie, Paris, La Découverte.
  • [62]
    D’après un document interne de Philip Morris cité par Tesler (L. E.), Malone (R. E.) « Corporate Philanthropy, Lobbying, and Public Health Policy », American Journal of Public Health, 98 (12), 2008, p. 2124.
  • [63]
    Sur ce sujet, cf. notamment Girel (M.), Science et territoires de l’ignorance, Versailles, Quae, 2017 et Gross (M.), McGoey (L.), eds, Routledge International Handbook of Ignorance Studies, London-New York, Routledge, 2015.
  • [64]
    McGoey (L.), No Such Thing as a Free Gift…, op. cit.
  • [65]
    DiMaggio (P. J.), Powell (W. W.), « The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, 48 (2), 1983.
  • [66]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes…, op. cit., p. 126 ; Berndt (C.), Wirth (M.), « Market, Metrics, Morals : The Social Impact Bond as an Emerging Social Policy Instrument », Geoforum, 90, 2018.
  • [67]
    Cf. les articles de Tim Bartley et Linsey McGoey et al. dans ce dossier. Cf. aussi Tedesco (D.), « American foundations in the Great Bear Rainforest : Philanthrocapitalism, Governmentality, and Democracy », Geoforum, 65, 2015.
  • [68]
    Cf. Medvetz (T.), Think Tanks in America, Chicago, University of Chicago Press, 2012 et O’Connor (A.), « Financing the Counterrevolution », in Schulman (B. J.), Zelizer (J. E.), Rightward Bound. Making America Conservative in the 1970s, Cambridge (Ma.), Harvard University Press, 2008.
  • [69]
    Cf. notamment Arnove (R. F.), ed., Philanthropy and Cultural Imperialism. The Foundations at Home and Abroad, Boston, G. K. Hall, 1980.
  • [70]
    Jenkins (J. C.), Halcli (A.), « Grassrooting the System ? The Development and Impact of Social Movement Philanthropy, 1953-1990 », in Lagemann (E. C.), ed., Philanthropic Foundations…, op. cit.
  • [71]
    Haines (H. H.), « Black Radicalization and the Funding of Civil Rights : 1957-1970 », Social Problems, 32 (1), 1984.
  • [72]
    Cf. Calligaro (O.), « Une organisation hybride dans l’arène européenne », art. cit.
  • [73]
    Cf. l’article que Sylvain Lefèvre consacre dans ce dossier à ces « héritiers rebelles ». Cf. aussi Silver (I.), « Disentangling Class from Philanthropy : The Double-edged Sword of Alternative Giving », Critical Sociology, 33 (3), 2007.
  • [74]
    Suivant les pays, les dons effectués par des particuliers sont déduits de leurs revenus imposables, ou donnent lieu à des crédits d’impôts. En France, ces derniers peuvent atteindre jusqu’à 66 % du montant des dons versés, soit le taux le plus élevé d’Europe. Les entreprises effectuant des dons bénéficient de crédits d’impôts similaires. Cf. Bordiec (S.), « La fabrique des biens philanthropiques. La seconde vie des produits alimentaires dans un territoire rural », dans ce dossier.
  • [75]
  • [76]
    Bourdieu (P.), Boltanski (L.), « La production de l’idéologie dominante », Actes de la recherche en sciences sociales, 2(2-3), 1976, p. 54.
  • [77]
    Cf. notamment Laurens (S.), Les courtiers du capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles, Marseille, Agone, 2015.
  • [78]
    Depecker (T.), Déplaude (M.-O.), « L’industrialisation nuit-elle à la santé ? La Fondation française pour la nutrition dans les années 1970 », in Valat (B.), dir., Les marchés de la santé en France et en Europe au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, à paraître.
  • [79]
    Dans les pays de common law, un trust est un acte juridique par lequel le propriétaire d’un bien (settlor) en confie l’administration à une personne de confiance (trustee) pour le compte d’un tiers (beneficiary). En droit français, une fondation abritante est une fondation qui reçoit et gère dans un cadre contractuel des biens qui lui sont confiés par une fondation dite abritée ou « sous égide ». La plus importante est la Fondation de France. Créée en 1969, elle abrite aujourd’hui plus de huit cents fonds et fondations.
  • [80]
    Cf. notamment Himmelstein (J. L.), Looking Good and Doing Good. Corporate Philanthropy and Corporate Power, Bloomington, Indiana University Press, 1997, et Frumkin (P.), « Private Foundations as Public Institutions : Regulation, Professionalization, and the Redefinition of Organized Philanthropy », in Lagemann (E. C.), ed., Philanthropic Foundations…, op. cit.
  • [81]
    Dowie (M.), American Foundations…, op. cit., p. 7-10.
  • [82]
    Cf. par exemple Rozier (S.), « Le mécénat culturel d’entreprise… », art. cit. ; Alam (T.) « Quand l’expert montre la lune, le sociologue regarde le doigt. L’expertise d’un think tank européen destiné à la promotion d’un PPP en santé », Lien social et politiques, 65, 2011 et, dans le même numéro, Bastien (C.), « L’hétéronomie de la philanthropie européenne ».

Introduction

1On observe, depuis les années 1990, un essor spectaculaire des organisations philanthropiques dans le monde. Après les investisseurs ayant fait fortune grâce à la dérégulation des marchés financiers dans les années 1980 [2], c’est au tour des fondateurs des nouvelles multinationales de l’informatique et de l’Internet de s’engager dans des carrières de philanthropes [3]. La création de fondations très richement dotées et particulièrement visibles, telles que celle du financier George Soros ou celle du patron de Microsoft Bill Gates, ne doit pas occulter la forte croissance du nombre total d’organisations philanthropiques. Par exemple, au Canada, le nombre de fondations a crû de 70 % entre 1994 et 2014, et trois des dix fondations les plus importantes ont été créées après 2000 [4]. En France, le nombre de fondations a, quant à lui, doublé entre 2001 et 2014, et cinquante fondations ont aujourd’hui un capital supérieur à cent millions d’euros, contre seulement dix en 2001 [5].

2L’essor actuel des organisations philanthropiques est indissociablement lié au développement rapide de nouveaux secteurs économiques, qui a permis à certains entrepreneurs d’accumuler de vastes fortunes. Il doit également être mis en relation avec la forte progression des inégalités de revenus et de patrimoines, qui a été observée dans de très nombreux pays depuis les années 1980. Cette évolution a été favorisée par l’adoption de politiques économiques, financières et fiscales favorables aux dominants par des gouvernements de gauche comme de droite. Certaines de ces politiques ont même cherché à encourager le développement des organisations philanthropiques, soit en simplifiant leur création, soit en encourageant les dons des particuliers et des entreprises par de nouvelles incitations fiscales.

3Même si aux États-Unis le volume des dons rapporté au produit intérieur brut reste stable depuis les années 1960 [6], on assisterait aujourd’hui, selon certains analystes, à un nouvel « âge d’or » de la philanthropie [7]. L’époque actuelle serait analogue à celle qu’ont connue les États-Unis un siècle plus tôt, avec la création par des capitaines d’industrie ayant accumulé des fortunes considérables en un temps record, tels Andrew Carnegie et John D. Rockefeller, de fondations dont les ressources financières et les ambitions affichées étaient sans commune mesure avec les organisations alors existantes [8]. Tout comme leurs illustres prédécesseurs, les nouveaux philanthropes prétendent apporter des solutions aux grands problèmes de leur époque : accès à l’éducation, lutte contre les grandes épidémies, sécurité alimentaire, changement climatique, etc.

4Pour décrire ce nouvel âge de la philanthropie, de nombreuses expressions ont vu le jour depuis les années 1990, telles que celles de strategic philanthropy, de venture philanthropy ou, plus récemment, de philanthrocapitalism. Cette dernière notion est apparue sous la plume de deux journalistes, Matthew Bishop et Michael Green, dans le cadre d’un dossier de l’hebdomadaire libéral The Economist sur « le business du don » en 2006 [9]. Dans un ouvrage paru en 2008, significativement intitulé Philantrocapitalism : How the Rich Can Save the World and Why We Should Let Them[10], ils développent plus largement l’idée selon laquelle les années 2000 se caractériseraient à la fois par le développement de nouvelles manières de faire de la philanthropie, davantage soucieuses d’efficacité et de résultats, et par l’apparition d’une nouvelle génération d’entrepreneurs affirmant œuvrer en vue du bien commun dans le cadre de leurs activités économiques. Réactualisant l’idée selon laquelle le « doux commerce » œuvre pour l’intérêt général [11], ils en viennent à affirmer que le capitalisme bien compris, tel que pratiqué par des entrepreneurs avisés, serait naturellement philanthropique, et pourrait donc être à même d’apporter des solutions à des problèmes que les États, de plus en plus impuissants, seraient incapables de résoudre [12].

5Cet article vise précisément à discuter ces prétentions, et à proposer des pistes d’analyse pour l’étude des pratiques philanthropiques contemporaines. S’appuyant sur un ensemble de recherches récentes conduites par des chercheurs francophones sur la philanthropie et sur les philanthropic studies qui se sont développées aux États-Unis depuis les années 1950, il s’intéresse à un ensemble spécifique de pratiques philanthropiques : celles des élites économiques. Par conséquent, nous ne nous intéresserons pas ici à la « philanthropie de masse », c’est-à-dire aux actions charitables reposant sur le recueil de dons d’un faible montant auprès d’un très grand nombre d’individus, ni aux mondes associatif ou humanitaire plus largement, qui nous semblent reposer sur des formes distinctes de mobilisation (travail bénévole, street fundraising, management des dévouements, etc. [13]). Nous défendrons l’idée que du point de vue des élites économiques, la philanthropie doit être comprise comme un investissement, qui leur permet de convertir une fraction de leur capital économique en d’autres formes de capitaux (social, culturel, politique…) pour assurer la reproduction de ce capital global. Nous montrerons que ce cadre d’analyse présente un double intérêt. D’une part, il conduit à mettre en évidence les stratégies des organisations philanthropiques pour maximiser les effets de leurs dons, et surtout pour inciter d’autres acteurs, publics et privés, à les compléter. D’autre part, il amène à s’intéresser aux bénéfices que ces dons procurent non pas à leurs destinataires, mais aux donateurs eux-mêmes.

La philanthropie : un chantier pour les sciences sociales

6Malgré la publicité nouvelle donnée aux pratiques philanthropiques ces dernières années, comme en témoignent pour le cas de la France la multiplication des sujets dans la presse économique et financière et l’achat d’espaces publicitaires dans les médias (« Mon ISF, j’ai préféré le transformer en don »), les chercheurs et le grand public savent en fin de compte peu de choses à leur sujet. Dans un pays où la notion même de « philanthropie » semblait faire référence à une « préhistoire de l’État social [14] » et n’était d’ailleurs guère utilisée par les acteurs du secteur (qui, jusqu’aux années 1990 au moins, lui préféraient le terme jugé moins marqué de « mécénat [15] »), les recherches sur le sujet sont longtemps restées la chasse gardée des historiens, notamment dix-neuvièmistes [16]. Les rares travaux d’histoire à s’être intéressés à la philanthropie dans la France du XXe siècle se sont quant à eux souvent focalisés sur l’héritage laissé par de grandes fondations américaines [17].

7Depuis la fin des années 2000, un champ de recherches francophones sur la philanthropie s’est cependant peu à peu constitué, autour de réseaux de recherche, de journées d’études, de séminaires ou de colloques qui ont été à l’origine de plusieurs publications collectives [18]. Le développement de ces travaux n’a toutefois rien de comparable avec l’essor déjà ancien des philanthropic studies aux États-Unis [19], qui se sont appuyées sur des formations universitaires et des centres de recherche souvent financés par les fondations elles-mêmes [20]. Ce type d’initiatives a débouché sur une littérature à la tonalité souvent plus hagiographique que critique, tendant à présenter les fondations comme « la pierre angulaire sur laquelle repose la société civile [21] ».

8Pourtant, la philanthropie avait fait l’objet de critiques virulentes dès le début du XXe siècle. La célébration contemporaine de la figure héroïque de l’entrepreneur « philanthrocapitaliste » tranche avec l’humeur populiste et antimonopoliste qui balayait les États-Unis à l’ère progressiste. Les prétentions philanthropiques d’un Rockefeller ou d’un Carnegie faisaient alors l’objet de critiques virulentes, allant de la dénonciation populaire du « baron voleur » (robber baron) se découvrant une vocation philanthropique pour faire oublier ses crimes, à la publication de rapports du Congrès dénonçant le contrôle de l’économie américaine par un petit nombre d’individus désireux d’accroître encore davantage leurs moyens d’influence [22].

9Le faible écho rencontré aujourd’hui par les points de vue critiques sur la philanthropie est d’autant plus problématique qu’il n’a sans doute jamais été aussi facile pour de riches particuliers ou de grandes entreprises multinationales d’échapper à l’impôt [23], et que la constitution de fondations ou de trusts est l’une des modalités d’organisation de cette évasion fiscale [24]. Enfin, alors même que les entrepreneurs de philanthropie contemporains insistent sur l’efficience de leurs investissements et sur l’évaluation de leur « impact », les organisations philanthropiques ne rendent guère de comptes publics sur leurs activités, à l’exception des rapports d’activité et documents de reporting financier qu’elles transmettent à l’administration fiscale.

10La question de la transparence et de la redevabilité (accountability) des fondations se pose d’autant plus à un moment où les États sont soumis à des pressions de plus en plus fortes pour rendre des comptes sur leur « performance [25] ». Alors qu’en France, l’État est investi d’un pouvoir général de surveillance des fondations, le contrôle de l’autorité administrative sur les actes des fondations est quasiment inexistant. Ainsi que le reconnaissait récemment un rapport de l’Inspection générale des finances, non seulement « les obligations [des fondations] vis-à-vis des pouvoirs publics sont limitées [26] », mais beaucoup ne les satisfont pas et ne transmettent pas leurs comptes à l’État. En outre, très peu de moyens sont dévolus au contrôle de l’activité des fondations, et notamment de l’orientation de leurs activités vers l’intérêt général [27]. Or rien ne garantit que les intérêts ou les préférences des dominants coïncident avec « l’intérêt général », et que les fonds distribués par les fondations bénéficient au plus grand nombre.

Resituer la philanthropie contemporaine dans des pratiques élitaires

11La philanthropie a fait l’objet de nombreuses tentatives de définition [28]. Certains auteurs ont tenté de la caractériser par ses buts, tels qu’ils sont reconnus dans les textes de loi (« d’utilité publique », « non lucratifs », « charitables ») ou proclamés dans les legs des philanthropes (« pour le progrès du genre humain », le « bien-être de l’humanité », etc.). Des batailles juridiques intenses ont d’ailleurs été menées pour interpréter ces termes et définir le périmètre des activités pouvant se réclamer de la philanthropie et des privilèges fiscaux associés [29]. D’autres travaux ont cherché à définir la philanthropie par sa position intermédiaire entre l’État et le marché, que ce soit comme une forme de contribution de certains acteurs privés à « l’intérêt général », ou une émanation des contre-pouvoirs issus de la « société civile ». Dans cette définition extensive, la philanthropie engloberait une grande partie du monde associatif, des fondations les plus puissantes aux associations caritatives – et jusqu’à certaines entreprises à but lucratif si l’on en croit les chantres du « philanthrocapitalisme ».

12Plutôt que de donner ici une définition de plus de « la » philanthropie, nous proposons de nous intéresser aux usages élitaires de celle-ci. La pratique de la philanthropie peut être dans ce cadre analysée comme l’une des stratégies – conscientes ou non – dont disposent les élites et familles les plus dotées en capital économique (grands patrons de l’industrie, du commerce ou de la finance, héritiers ou bâtisseurs de fortunes) pour assurer les conditions de leur reproduction, mais sans s’y limiter. Elle participe ainsi à ce que Pierre Bourdieu appelait les stratégies de reproduction, parmi lesquelles nous intéressent ici les « stratégies successorales » (qui visent à transmettre un patrimoine entre générations) et les « stratégies d’investissement économique [30] ». Ces dernières peuvent être comprises au sens restreint du terme (c’est-à-dire orientées vers la perpétuation du seul capital économique), mais aussi au sens large comme des « stratégies d’investissement social, orientées vers l’instauration ou l’entretien de relations sociales directement utilisables ou mobilisables », ou encore des « stratégies d’investissement symbolique », qui visent à « conserver et augmenter un capital de reconnaissance [31] ». Selon les termes de Nicolas Guilhot, il ne s’agit donc pas d’étudier la philanthropie pour elle-même, mais d’y voir plutôt un « phénomène de second ordre qui ne peut se concevoir que sur le fond d’une pratique d’accumulation de la richesse, qui est nécessairement première [32] », et non comme une pratique autonome dont la signification sociale serait uniquement de l’ordre du don désintéressé ou du dévouement à une cause. Présentée de tout temps comme la solution aux problèmes des pauvres, la philanthropie pourrait plus proprement être définie comme la solution de ce qu’il faut bien appeler un « problème de riche » : que faire d’une accumulation soudaine et massive de capital ? Comment la transmettre aux générations suivantes, éviter sa captation par l’impôt ou sa dilapidation par les héritiers, tout en la protégeant de la vindicte populaire ? Comment contrôler cette fortune dans l’au-delà, et peut-être avant tout, comment la mériter d’abord dans ce monde ?

13Ce problème épineux a trouvé des solutions diverses selon les époques et les sociétés : émulation entre élites évergètes qui rivalisaient de dons à la collectivité dans la Rome antique [33], cérémonies telles que le potlatch donnant lieu à l’ostentation et à la destruction compétitive de biens précieux, sans oublier les indulgences, purgatoires et autres formes de réglementation religieuse qui permettaient aux riches rendus coupables d’accumulation de racheter leurs péchés en donnant à l’Église ou à la communauté [34]. L’organisation philanthropique moderne qui naît aux États-Unis à la fin du XIXe siècle hérite de certaines de ces pratiques, tout en les sécularisant [35]. Il ne s’agit plus, dès lors, de détruire sa fortune, de la dépenser sans compter ou de la confier à la communauté pour gagner le salut dans l’au-delà, mais bien de concevoir la philanthropie comme un investissement. Les retours attendus de cet investissement ne se limitent pas aux seuls bénéfices économiques. Ils sont également d’ordre politique et symbolique, voire psychologique : par ses actions, le philanthrope peut par exemple espérer accumuler du prestige, de la notoriété ou de l’influence, gagner le respect de ses concurrents ou la considération des siens, mais aussi la conviction personnelle de mériter son bonheur [36]. De même que le « don archaïque » étudié par Marcel Mauss [37], le don philanthropique est un outil de domination qui instaure une relation de dette morale envers le donateur, dont la collectivité s’acquitte par toutes sortes de rétributions symboliques qui accroissent son prestige (hommages, invitations, nominations à des postes de pouvoir, etc.). La philanthropie n’est pas destructrice de richesses, ni redistributive à la façon de l’État social : loin d’être l’antithèse du processus d’accumulation du capital, elle en est à la fois le produit et le moteur, en permettant notamment de convertir le capital monétaire en d’autres espèces de capitaux (social, culturel, scientifique, politique, etc.) nécessaires à la reproduction du capital, tout en soustrayant à l’État des ressources fiscales [38].

14Il ne faudrait pas voir pour autant dans ces pratiques le produit d’une stratégie unifiée : si elles participent à la reproduction du capital, elles sont aussi le résultat de luttes internes aux classes dominantes. En impulsant des programmes contre la pauvreté dans les années 1960 ou en organisant la riposte intellectuelle aux critiques du Welfare State dans les années 1980, la Fondation Ford s’est par exemple positionnée dans un espace de luttes entre fondations « libérales » et « conservatrices [39] ». Aux contributions de George Soros ou de Warren Buffet au financement de campagnes électorales du Parti démocrate depuis les années 2000, a répondu l’investissement massif des frères Koch dans les causes libertariennes et conservatrices. Ces luttes idéologiques reflètent souvent des luttes de pouvoir entre élites consacrées et parvenus, reproduites dans plusieurs champs. En finançant le développement des musées d’art dans les années 1920-1940, la Carnegie Corporation a ainsi contribué à l’émergence de nouvelles élites de museum professionals qui ont imposé une nouvelle définition de l’« art pour le public » au détriment de la conception de l’« art pour l’art » portée par les élites traditionnelles soutenues par des fondations familiales [40]. En réformant les conditions d’accès à la profession médicale, la Fondation Rockefeller a privilégié une nouvelle élite de médecins « scientifiques » et les a préservés de la concurrence d’autres professions et de sectes médicales, tout en créant les conditions d’émergence du marché de la santé tel qu’il existe aujourd’hui aux États-Unis [41]. Dans les années 1980-1990 encore, la philanthropie a été une ressource stratégique dans les luttes qui ont opposé le capitalisme financier porté par les propriétaires-actionnaires de Wall Street au vieux capitalisme industriel [42]. Ainsi comprise, la philanthropie n’est pas seulement un instrument aux mains des « puissants » mais est aussi un terrain de lutte : elle est une activité, présentée le plus souvent comme apolitique et neutre, à travers laquelle différentes fractions des élites tentent notamment d’imposer une conception particulière du bien public.

Investir et démultiplier les dons

15Comprendre les dons philanthropiques comme des investissements permet de rendre compte d’une préoccupation majeure des philanthropes et des cadres des fondations : comment maximiser « l’impact » des investissements réalisés, ou comment s’assurer de leur « efficience » ? Pour ces acteurs, cette question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’ils sont parfaitement conscients du caractère très limité de leurs ressources par rapport à celles des gouvernements, même lorsqu’ils sont à la tête des fondations les plus riches du monde. Le montant des subventions versées par les organisations philanthropiques reste faible par rapport aux dépenses des gouvernements. En France, l’ensemble des dépenses effectuées par les fondations en 2014 n’était que de 7,5 milliards d’euros, ce qui est bien peu si on rapporte cette somme aux budgets cumulés de l’État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale [43]. Étant donné le développement très important des États et de leurs domaines d’intervention depuis le début du XXe siècle, les organisations philanthropiques ne peuvent donc pas – ou plus – prétendre se substituer aux autorités publiques, et développent en conséquence toutes sortes de stratégies en vue d’orienter les activités d’autres acteurs (États, collectivités locales, organisations internationales, universités, instituts de recherche, associations, etc.) et une partie de leurs ressources vers leurs propres priorités.

16Dès la fin du XIXe siècle, les organisations philanthropiques ont entrepris d’influer sur les politiques des gouvernants en réalisant des investissements massifs dans la production et la diffusion des savoirs qu’elles considéraient comme utiles pour le gouvernement des sociétés. Les fondations Rockefeller et Ford, par exemple, ont largement soutenu le développement des sciences sociales, et plus particulièrement des domaines de recherches susceptibles d’éclairer les choix des gouvernants, tels que les area studies, les development studies, les European studies ou encore la théorie des relations internationales [44]. En soutenant ces domaines de savoir, et les institutions qui les enseignent, les organisations philanthropiques visent également à influer sur la formation des futures élites : si Barry Karl et Stanley Katz ont montré le rôle majeur qu’ont joué de grandes fondations américaines dans la formation et la socialisation des élites politiques et administratives des États-Unis dans l’entre-deux-guerres [45], cela n’est spécifique ni à cette époque, ni à ce pays. Par exemple, François Buton montre comment la Fondation Mérieux a entrepris de former à partir des années 1970 les acteurs de la santé publique à « l’épidémiologie de terrain », dans l’espoir de transformer les modes d’intervention de l’État français dans le domaine de la santé [46]. De même, Nicolas Guilhot a décrit comment George Soros a créé l’Université d’Europe centrale à Budapest, avec pour finalité explicite de « contribuer à former un nouveau corps de dirigeants », convaincus des bienfaits de l’économie de marché [47]. Les individus visés par ces programmes ou ces institutions de formation ne le sont pas uniquement pour leur appartenance – supposée ou anticipée – aux élites administratives, économiques ou politiques. Toujours à propos d’Open Society Foundations, Oriane Calligaro montre que celle-ci propose aussi des formations en management à des responsables associatifs « de niveau intermédiaire [48] ».

17Une deuxième stratégie majeure des organisations philanthropiques, étroitement liée à la précédente, consiste à développer des activités de courtage et de médiation entre divers acteurs qui concourent à la production et à la promotion de leurs programmes. Pour jouer ce rôle d’intermédiaire ou de « passeur », les fondations consacrent d’importantes ressources à la constitution de réseaux autour d’elles [49]. Elles le font en organisant de nombreux événements susceptibles d’étendre et de consolider ces réseaux (colloques, remises de prix, séminaires résidentiels, fellowships, etc. [50]), mais aussi en soutenant ou créant des organisations (tels que des instituts de recherche ou des think tanks) qui permettront de structurer le domaine d’activité qu’elles veulent développer. Par exemple, dans son étude sur la genèse de la science administrative, Pierre-Yves Saunier montre que l’action des fondations ne s’est pas limitée seulement à verser de l’argent à des institutions universitaires, mais a aussi consisté à organiser ce nouveau domaine de recherche, notamment en impulsant la création d’associations savantes spécialisées, aux États-Unis puis à l’échelle internationale [51]. Tim Bartley a proposé de qualifier ces pratiques de stratégies de « construction de champs [52] » : pour une fondation donnée, elles consistent à soutenir la création d’institutions ou d’instruments qui vont contribuer à structurer un « champ organisationnel » spécialisé, de sorte que même les acteurs (professionnels, responsables associatifs ou politiques, chercheurs, etc.) ne bénéficiant pas des subsides de la fondation soient contraints d’orienter leurs activités en fonction de ses priorités.

18Enfin, les organisations philanthropiques veillent à attribuer leurs subventions de manière à en maximiser les effets. Elles le font principalement de deux manières. D’une part, elles concentrent leurs financements ou leurs gratifications sur des individus ou des organisations sélectionnés en fonction de leur surface sociale, ou du moins en fonction de leur capacité supposée à devenir des acteurs incontournables dans leur domaine. D’autre part, à côté de ces stratégies d’enrôlement, elles tentent de faire en sorte que les récipiendaires de leurs subsides soient contraints de les compléter par leurs propres ressources. Une pratique courante consiste ainsi à attribuer des financements couplés (matching funds), dont le versement est conditionné par l’obtention par le récipiendaire d’un autre financement équivalent. De manière plus indirecte, les financements versés par les organisations philanthropiques peuvent avoir pour effet de conduire leurs bénéficiaires ou d’autres acteurs à les compléter par leurs propres ressources. Par exemple, les investissements coûteux consentis par certaines fondations (construction d’un musée, d’un hôpital, d’une bibliothèque, etc.) peuvent se traduire ensuite par des dépenses non négligeables pour les autorités publiques, chargées d’assurer l’entretien et le fonctionnement des équipements ainsi créés : Barry Karl et Stanley Katz rappellent que les fonds versés par Carnegie pour la construction de milliers de bibliothèques aux États-Unis n’incluaient pas les achats de livres, tandis que les collectivités bénéficiaires devaient s’engager à livrer le terrain et à verser des frais de fonctionnement annuels atteignant 10 % du montant total du don [53]. Enfin, contraintes de diversifier leurs sources de financement, des institutions publiques peuvent être amenées à aligner leurs priorités sur celles des fondations qui les subventionnent, et ce même lorsque les subventions de ces dernières sont très inférieures aux dotations publiques [54].

19Les organisations philanthropiques ne sont donc pas seulement soucieuses de l’efficience de leurs investissements, elles s’efforcent aussi de démultiplier le montant des investissements ainsi réalisés en obligeant d’autres acteurs à donner de l’argent ou à mettre à leur disposition leurs personnels ou leurs moyens administratifs. Autrement dit, pour une fondation, un don sera jugé d’autant plus réussi qu’il aura permis d’orienter les ressources d’autres acteurs (publics ou privés) vers ses priorités ou ses programmes, et que l’engagement de ces « partenaires » se poursuivra au-delà du sien. Dans un texte intitulé « Pourquoi je suis devenu philanthrope », Bill Gates expliquait ainsi que sa fondation devait jouer un rôle de « catalyseur », « les secteurs public et privé [étant] une grosse partie de la solution [55] ». Mais là où Bill Gates présente les relations devant se développer entre les organisations philanthropiques, les grandes entreprises et les gouvernements comme des relations de « collaboration » et de « complémentarité », c’est tout autre chose qui se joue : c’est la capacité des grandes fondations à orienter l’allocation des ressources de certains gouvernements pour la résolution des problèmes qu’elles jugent prioritaires, en y appliquant leurs propres solutions.

Quels bénéficiaires des dons ?

20Même s’il faut veiller à ne pas céder à une interprétation purement cynique ou instrumentale des pratiques philanthropiques – tant celles-ci font partie du style de vie de certaines fractions des élites économiques –, il ne faut pas tomber non plus dans le travers opposé, qui consiste à décrire avant tout les bienfaits supposés des fondations philanthropiques pour la société. En analysant les dons philanthropiques comme des investissements plutôt que comme des subventions, nous proposons de centrer l’analyse sur leurs auteurs plutôt que sur leurs destinataires. Pour les riches donateurs et les membres des fondations, les dons sont source de bénéfices, à la fois individuels et collectifs, directs et indirects. Siéger au conseil d’administration d’une fondation, participer aux divers événements organisés par celle-ci ou encore avoir accès aux réseaux qu’elle a constitués au fil du temps constituent par exemple un des moyens à la disposition d’un riche entrepreneur pour conforter ou étendre son capital de relations sociales, et l’attester [56]. Mais si effectuer un don particulièrement munificent peut être source de prestige et de reconnaissance sociale pour son auteur, il peut aussi rejaillir sur ses pairs (en donnant une image positive des riches et de leur civisme supposé). Le caractère volontaire des dons – apparemment effectués en dehors de toute obligation sociale – semble ainsi doter leurs auteurs de qualités morales particulières, et ce d’autant plus qu’ils sont importants. Autrement dit, non seulement la philanthropie donne, dans l’espace public, une image positive des riches donateurs, mais elle contribue à tempérer, ou même à taire, les critiques qui pourraient être formulées à leur égard [57]. Par ailleurs, les traces durables laissées par certains donateurs ou organisations philanthropiques dans l’espace public (des mentions de leurs noms gravés dans les halls des musées aux institutions ou chaires universitaires portant leur nom) relèguent dans l’oubli, ou au moins relativisent, les conditions contestables dans lesquelles sont souvent amassées les grandes fortunes.

21Néanmoins, les bénéfices que procure la pratique de la philanthropie aux élites économiques ne sont pas uniquement d’ordre symbolique. Nombre d’investissements réalisés par des organisations philanthropiques – telle la Fondation Louis Vuitton mentionnée dans l’éditorial de ce dossier – bénéficient avant tout aux membres des classes supérieures. Il en va de même des dons versés à toutes sortes d’institutions publiques ou privées : opéras, orchestres, musées, établissements d’enseignement les plus prestigieux, etc. [58]. Par exemple, en France, les « fondations académiques [59] » qui ont réussi à collecter le plus grand volume de dons sont celles de grandes écoles telles que HEC (160 millions d’euros collectés entre 2008 et 2017) ou l’École polytechnique (80 millions), loin devant celles des universités, accueillant pourtant un bien plus grand nombre d’étudiants (35 millions pour la fondation de l’Université de Strasbourg créée en 2010, et seulement 1,5 million pour celle de l’Université Paris-Sud [60]). Ce faisant, les pratiques philanthropiques relèvent pour une part du « collectivisme pratique » propre à la bourgeoisie, qui consiste à mettre à la disposition de ses homologues certaines de ses ressources, avec pour effet de démultiplier les ressources accessibles par chacun [61]. Les dons philanthropiques viennent ainsi soutenir ou renforcer des institutions occupant une place importante dans les pratiques culturelles et les stratégies de reproduction collectives (notamment scolaires) des classes dominantes.

22Les pratiques philanthropiques peuvent aussi avoir pour objectif, parfois de manière très directe, de soutenir certaines activités économiques. Cela est particulièrement vrai des fondations ou des programmes philanthropiques développés par certaines sociétés. Par exemple, dans un article consacré au cigarettier américain Philip Morris, Laura Tesler et Ruth Malone ont montré comment celui-ci a développé, sur fond de procès intentés par des États américains aux industriels du tabac, une campagne visant « à façonner un environnement politique, réglementaire et social qui permette à l’entreprise de réaliser ses objectifs commerciaux [62] ». Cette campagne a notamment consisté à soutenir financièrement des associations humanitaires sélectionnées avant tout en fonction du caractère consensuel de leurs actions et de leur visibilité, de manière à maximiser les chances de retombées médiatiques positives pour l’entreprise, et à faciliter l’obtention de soutiens de la part de certains législateurs. Il s’agit, ainsi que le montrent les recherches sur les stratégies de production d’ignorance – c’est-à-dire sur les stratégies visant à occulter certains problèmes ou, du moins, à les redéfinir à leur avantage [63] – d’associer le nom de l’entreprise à des causes valorisées, et non plus seulement aux méfaits du tabac pour la santé. Quant aux organisations philanthropiques créées par de riches particuliers, elles sont sans doute d’autant plus prédisposées à soutenir des programmes développés en partenariat avec de grandes entreprises qu’ils démontrent qu’il est possible de faire de « bonnes actions » tout en faisant de « bonnes affaires ». En 2008, la Fondation Bill et Melinda Gates a ainsi noué un partenariat avec le groupe Monsanto, qui lui a permis de distribuer des semences de maïs OGM en Afrique sans verser de royalties à ce dernier (mais en lui permettant de s’introduire sur des marchés qui lui étaient jusqu’alors fermés) [64].

23De manière plus subtile, la philanthropie peut aussi avoir pour effet de favoriser la diffusion de manières de faire et de penser issues du monde des affaires dans des secteurs où elles ne sont pas prédominantes ou qui se sont même définis contre lui (tels que ceux de la culture, de l’éducation, ou encore de l’aide sociale). Ce faisant, elle participe non seulement à la légitimation mais aussi à l’extension de l’ordre capitaliste par des processus d’« isomorphisme institutionnel [65] ». Les industriels philanthropes de la fin du XIXe siècle prétendaient apporter des solutions « rationnelles » à la question sociale, inspirées des méthodes de gestion développées dans la grande industrie. De la même manière, des financiers ayant fait fortune dans les années 1990 grâce à la dérégulation des marchés financiers ont prétendu révolutionner les manières de faire de la philanthropie et la rendre plus « efficace » en voulant y importer des techniques issues du monde de la haute finance, telles que, par exemple, les « obligations à impact social » (impact social bonds) [66]. Les organisations philanthropiques tendent ainsi à défendre des modalités de gestion des problèmes sociaux inspirées du jeu de la concurrence et des marchés, supposées plus efficaces que des modes d’intervention reposant principalement sur la réglementation et le contrôle par des institutions gouvernementales [67]. À partir de la fin des années 1960, certaines d’entre elles ont joué un rôle majeur dans le financement de nombreux instituts de recherche et think tanks, dont les plus conservateurs (Société du Mont-Pèlerin, Heritage Foundation, Ludwig von Mises Institute, American Enterprise Institute, etc.) ont largement contribué à définir et diffuser l’orthodoxie néolibérale [68].

24Enfin, des travaux d’inspiration gramscienne ont développé l’idée selon laquelle la philanthropie est un instrument à disposition des élites pour « canaliser » les mouvements sociaux et favoriser (ou « coopter ») les organisations modérées au détriment de celles jugées trop radicales [69]. Expressions d’un conservatisme « éclairé », les organisations philanthropiques ne soutiendraient des mouvements sociaux ou des changements que dans la mesure où ils aideraient à préserver l’ordre établi à moindres frais. Leur action aurait ainsi pour effet de réduire les chances de succès d’entrepreneurs promouvant des changements plus profonds. En étudiant la contribution de fondations américaines à divers mouvements sociaux dans les années 1960-1970 (notamment les mouvements des droits civiques, pacifiste, féministe et écologiste), Craig Jenkins et Abigail Halcli ont par exemple mis en évidence une tendance générale à l’abandon des modes d’action les plus contestataires à mesure que les financements philanthropiques affluaient à destination des organisations militantes [70]. Cette « philanthropie de mouvement social » jouerait ainsi un rôle non négligeable dans ce que des sociologues américains appellent le radical flank effect, en finançant des organisations modérées quand celles-ci menacent de se faire déborder sur leur gauche par des organisations plus radicales [71].

25À côté de ces stratégies, d’autres mécanismes, plus indirects, ont été observés. Le premier réside dans le fait que les organisations philanthropiques transforment les mouvements mêmes qu’elles soutiennent. Proposant des formations aux cadres jugés les plus prometteurs de ces organisations et leur faisant bénéficier de leurs propres ressources en expertise, elles favorisent un processus de professionnalisation en leur sein [72]. Ce processus est renforcé par le fait que ces mêmes cadres doivent régulièrement construire des projets répondant aux critères fixés par les fondations pour obtenir de nouveaux financements ou leur simple renouvellement. Le second mécanisme, que nous avons déjà exposé, consiste à susciter la création, relativement à une question donnée, de « champs organisationnels » obligeant les mouvements sociaux concernés à ajuster leurs stratégies en fonction des nouvelles règles du jeu fixées par les fondations.

26La thèse de la canalisation des mouvements sociaux par les organisations philanthropiques peut enfin être employée pour décrire la division sociale du travail de domination : les activités philanthropiques offrent ainsi des carrières aux individus occupant des positions dominées au sein des classes dominantes (telles les femmes par rapport aux hommes) ou en porte-à-faux vis-à-vis de leur milieu social [73]. Cela permet sans doute d’expliquer que certains d’entre eux soutiennent des mouvements sociaux contestataires, sinon « anticapitalistes ». Toutefois, de tels engagements demeurent marginaux au sein des organisations philanthropiques, qui restent principalement orientées vers la préservation de l’ordre établi, qu’elles revendiquent ouvertement une orientation « conservatrice » telle que l’Heritage Foundation, ou qu’elles entendent construire un monde meilleur par des voies « réformistes » plutôt que révolutionnaires, comme Open Society Foundations.

Des « amis du genre humain » aux entrepreneurs de philanthropie

27Dans les pays occidentaux, la philanthropie est aujourd’hui largement encouragée par les États, principalement par le biais d’incitations fiscales [74]. Loin d’être la propriété inaliénable de riches particuliers ou d’entreprises, l’argent des organisations philanthropiques est indissociablement de l’argent public et privé. Par exemple, lorsque la fondation du groupe Michelin décide de subventionner la rénovation de la « galerie des Carrosses » du château de Versailles, elle y investit des sommes qui correspondent majoritairement à des dépenses fiscales [75]. Présumées agir en vue de l’intérêt général, et en l’absence de réel contrôle par les pouvoirs publics de leurs activités, les organisations philanthropiques et leurs dirigeants décident souvent seuls de la manière dont leurs subventions sont distribuées. En fin de compte, à travers les avantages fiscaux dont ils font bénéficier les organisations philanthropiques, les États subventionnent, et donc soutiennent les stratégies de reproduction et de légitimation des élites économiques.

28De riches philanthropes ou cadres de fondations sont certainement convaincus de la sincérité de leur engagement et de leur volonté de faire le bien. Beaucoup sont tout autant convaincus de ne pas faire de politique, sinon au sens le plus le noble du terme. Il en découle que les organisations philanthropiques tendent à être présentées et vues comme des « lieux neutres [76] » et dépolitisés, c’est-à-dire comme des lieux où des responsables éclairés rencontrent des intellectuels éclairants et délibèrent sur les meilleures manières possibles d’œuvrer pour « l’intérêt général ». La production d’expertise et la constitution de réseaux savants représentent ainsi une activité majeure des organisations philanthropiques, et l’un des principaux ressorts de leur influence. En ce sens, les fondations mobilisent des registres d’action ressemblant à ceux d’organisations représentant officiellement des intérêts économiques [77]. Elles en diffèrent toutefois par le fait qu’elles dénient servir prioritairement de tels intérêts, ce qui se traduit par des stratégies visant à afficher leur distance ou leur autonomie par rapport aux intérêts économiques, à les masquer, ou encore à les présenter comme coïncidant avec le bien public [78].

29Cette spécificité des organisations philanthropiques par rapport à des organisations soutenant plus ouvertement les intérêts des élites économiques soulève des questions qui ont été peu explorées jusqu’à présent. Dans quelle mesure la distance affichée par rapport aux donateurs permet-elle aux cadres des organisations philanthropiques de revendiquer une certaine autonomie ? Le rôle de ces agents intermédiaires dans la gestion des organisations philanthropiques, la définition de leurs politiques et l’attribution de leurs fonds, est sans doute d’autant plus grand que les fondateurs sont décédés, que ces derniers ou leurs héritiers sont nombreux ou divisés, ou encore que l’administration de leurs biens est transférée à d’autres organisations, telles que les trusts dans le droit anglo-saxon et les fondations dites « abritantes » dans le droit français [79].

30Les travaux qui se sont intéressés aux processus de professionnalisation et de bureaucratisation des grandes fondations suggèrent ainsi que les relations entre les cadres des fondations et les donateurs ou leurs héritiers ne sont pas exempts de tensions [80]. Par exemple, comme l’a montré Mark Dowie à propos de la Fondation Ford, le décès du fondateur a été suivi d’une lutte de pouvoir qui a mis aux prises les membres de sa famille avec ses associés, avocats et personnes de confiance (trustees) ; au bout d’une génération, l’administration de la fondation est passée sous le contrôle d’« experts » issus pour la plupart du monde universitaire, puis sous celui de « philantrocrates professionnels [81] ». Des recherches sur le recrutement et le travail des membres de ces organisations (salariés, bénévoles, membres des conseils d’administration ou des comités d’experts, etc.) permettraient de documenter plus précisément la réalité de leur autonomie vis-à-vis des donateurs, et ses limites. De même, des enquêtes pourraient être menées sur les entrepreneurs en philanthropie, c’est-à-dire sur les acteurs – notamment privés – qui cherchent à favoriser le développement des organisations philanthropiques (par exemple en faisant évoluer la réglementation fiscale sur les donations) ou à élaborer et diffuser des « standards de bonnes pratiques ». Quels types d’acteurs sont-ils plus particulièrement investis dans ce travail politique de mobilisation et de représentation des organisations philanthropiques (consultants, agences de relations publiques, think tanks, grandes fondations, regroupements de fondations tels que la Fondation de France ou le Centre français des fonds et fondations [82]) ? De telles recherches sur les professionnels de la philanthropie et sur leur travail permettraient ainsi de mieux documenter non seulement comment peut s’institutionnaliser un monde de la philanthropie caractérisé par des pratiques et des représentations communes, mais aussi comment de riches entrepreneurs ou héritiers s’engagent aujourd’hui dans des carrières de philanthropes. Bref, de mieux comprendre comment s’institue et se perpétue la philanthropie comme pratique élitaire, pour mieux évaluer le rôle des stratégies de reproduction individuelles ou collectives dans le processus global d’accumulation et de reproduction du capital.


Mots-clés éditeurs : reproduction sociale, capitalisme, État, élites, philanthropie, pouvoir, fondations philanthropiques, légitimation

Date de mise en ligne : 11/05/2018.

https://doi.org/10.3917/pox.121.0009

Notes

  • [1]
    Nous remercions les membres du comité éditorial de Politix pour leurs relectures, qui ont significativement contribué à améliorer les textes de ce dossier. Un merci tout particulier à Annie Collovald pour ses remarques et ses conseils, toujours judicieux, et son concours dans la coordination de ce numéro.
  • [2]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes. Sociologie de Wall Street, Paris, Raisons d’agir, 2006.
  • [3]
    Cf. Abélès (M.), Les nouveaux riches. Un ethnologue dans la Silicon Valley, Paris, Odile Jacob, 2002, et McGoey (L.), No Such Thing as a Free Gift : The Gates Foundation and the Price of Philanthropy, London, Verso, 2015.
  • [4]
    D’après Lefèvre (S.), « Pour une approche sociopolitique de la philanthropie financière : plaidoyer pour un programme de recherche », Politique et sociétés, 34 (2), 2015, p. 62-63.
  • [5]
    Observatoire de la Fondation de France, Les fonds et fondations en France de 2001 à 2014, Paris, Fondation de France, 2014.
  • [6]
    McGoey (L.), Thiel (D. J.), West (R. M), « Le philanthro-capitalisme et les “crimes des dominants” », dans ce dossier.
  • [7]
    Lane (R.), « A Golden Age of Philanthropy », Forbes, 2 décembre 2013.
  • [8]
    Bishop (M.), Green (M.), Philanthrocapitalism : How the Rich Can Save the World and Why We Should Let Them, London, Bloomsbury Press, 2008.
  • [9]
    Bishop (M.), Green (M.), « The Birth of Philanthrocapitalism », The Economist, 25 février 2006.
  • [10]
    Bishop (M.), Green (M.), Philanthrocapitalism…, op. cit.
  • [11]
    Hirschman (A.), Les passions et les intérêts, Paris, Presses universitaires de France, 1980.
  • [12]
    Voir également McGoey (L.) et al., « Le philanthro-capitalisme et les “crimes des dominants” », art. cit.
  • [13]
    Sur la notion de « philanthropie de masse », cf. Zunz (O.), La philanthropie en Amérique : argent privé, affaires d’État, Paris, Fayard, 2012. Pour des études sur ce type de mobilisations, voir notamment Lefèvre (S.), ONG & Cie. Mobiliser les gens, mobiliser l’argent, Paris, Presses universitaires de France, 2011, et Collovald (A.), Lechien (M.-H.), Rozier (S.), Willemez (L.), dir., L’humanitaire ou le management des dévouements. Enquête sur un militantisme de « solidarité internationale » en faveur du Tiers-Monde, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
  • [14]
    Selon l’expression de Lefèvre (S.), Duvoux (N.), « État social et pauvreté : présentation du thème », Lien social et politiques, 75, 2016.
  • [15]
    Rozier (S.), « Le mécénat culturel d’entreprise dans la France des années 1980-1990 : une affaire d’État », Genèses, 109, 2017.
  • [16]
    Duprat (C.), Usages et pratiques de la philanthropie. Pauvreté, action sociale et lien social, à Paris, au cours du premier XIXe siècle, 2 vol., Paris, Association pour l’étude de l’histoire de la Sécurité Sociale, 1996.
  • [17]
    Notamment dans l’histoire des sciences sociales : cf. Mazon (B.), Aux origines de l’École des hautes études en sciences sociales. Le rôle du mécénat américain (1920-1960), Paris, Le Cerf, 1988 ; Tournès (L.), Sciences de l’homme et politique. Les fondations philanthropiques américaines en France au XXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011.
  • [18]
    Voir notamment les dossiers coordonnés par Lefèvre (S.), Charbonneau (J.), dir., « Philanthropie et fondations privées : vers une nouvelle gouvernance du social ? », Lien social et politiques, 65, 2011 ; David (T.), Tournès (L.), dir., « Philanthropies transnationales », Monde(s), 6, 2014 ; Lambelet (A.), Lefèvre (S.), dir., « Philanthropies », ethnographiques.org, 34, 2017 ; Duvoux (N.), dir., « Philanthropies et prestige d’État en France, XIXe-XXe siècle », Genèses, 109, 2017.
  • [19]
    Essor généralement daté de l’article de Curti (M.), « The History of American Philanthropy as a Field of Research », American Historical Review, 62, 1957.
  • [20]
    Pour un panorama des travaux américains, cf. Lagemann (E. C.), ed., Philanthropic Foundations : New Scholarship, New Possibilities, Bloomington, Indiana University Press, 1999.
  • [21]
    Dowie (M.), American Foundations. An Investigative History, Cambridge, MIT Press, 2001, p. 16.
  • [22]
    U.S. Commission on Industrial Relations, Industrial Relations : Final Report and Testimony, vol 1, Washington, U.S. Government Printing Office, 1916, cité dans Kiger (J. C.), Historiographic Review of Foundation Literature : Motivations and Perceptions, New York, The Foundation Center, 1987.
  • [23]
    Spire (A.), Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raison d’agir, 2012.
  • [24]
    OCDE, Report on Abuse of Charities for Money Laundering and Tax Evasion, OCDE, Centre for Tax Policy and Administration, 2009.
  • [25]
    Bruno (I.), Didier (E.), Benchmarking. L’État sous pression statistique, Paris, La Découverte, 2013.
  • [26]
    Jevakhoff (A.), Cavaillolès (D.), Le rôle économique des fondations, Paris, Ministère de l’Économie et des Finances/Inspection générale des finances, 2017, p. 7.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    Cf. notamment Bernholz (L.), Cordelli (C.), Reich (B.), « Philanthropy in Democratic Societies », in Reich (R.), Cordelli (C.), Bernholz (L.), eds, Philanthropy in Democratic Societies, Chicago, The University of Chicago Press, 2016.
  • [29]
    Lambelet (A.), « La philanthropie : usages du terme et enjeux de luttes », ethnographiques.org, 34, 2017, http://www.ethnographiques.org/2017/Lambelet/.
  • [30]
    Bourdieu (P.), « Stratégies de reproduction et modes de domination », Actes de la recherche en sciences sociales, 105, 1994, p. 5-6.
  • [31]
    Ibid.
  • [32]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes. Sociologie de Wall Street, Paris, Raisons d’agir, 2006, p. 8.
  • [33]
    Veyne (P.), Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris, Seuil, 1976.
  • [34]
    Le Goff (J.), La naissance du purgatoire, Paris, Gallimard, 1981.
  • [35]
    Chelle (E.), « La philanthropie aux États-Unis et en France. Retour sur une traditionnelle opposition », Sociologie, 8 (4), 2017.
  • [36]
    Weber (M.), « Introduction à l’éthique économique des religions mondiales », Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996, p. 337. Pour une étude revisitant le rapport à l’argent des élites contemporaines à la lumière de la « théodicée du bonheur » wébérienne, cf. Sherman (R.), Uneasy Street. The Anxieties of Affluence, Princeton, Princeton University Press, 2017.
  • [37]
    Mauss (M.), « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », Sociologie et anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, 1950.
  • [38]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes…, op. cit., p. 28.
  • [39]
    O’Connor (A.), « The Ford Foundation and Philanthropic Activism in the 1960s », in Lagemann (E. C.), ed., Philanthropic Foundations…, op. cit. En 1985, la Fondation Ford a été à l’origine de la création d’un groupe de réflexion sur « la crise de l’État-providence » qui allait donner matière aux analyses de Hirschman (A. O), Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard, 1991.
  • [40]
    DiMaggio (P. J.) « Constructing an Organizational Field as a Professional Project : U.S. Art Museums, 1920-1940 », in Powell (W. W.), DiMaggio (P. J.), eds, The New Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1991.
  • [41]
    Brown (R. E.), Rockefeller Medicine Men. Medicine and Capitalism in America, Berkeley, University of California Press, 1979.
  • [42]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes…, op. cit. Pour une analyse similaire sur les élites françaises de la Restauration, cf. Mitsushima (N.), « Aménager, subvertir et contester l’ordre électoral. Philanthropie et politique sous la Restauration (1819-1830) », Genèses, 109, 2017.
  • [43]
    Observatoire de la Fondation de France, Les fonds et fondations de 2001 à 2014 en France, op. cit.
  • [44]
    Cohen (A.), « La structuration atlantique des European Studies. La Fondation Ford et l’institut de la Communauté européenne pour les études universitaires dans la génération d’un “objet” », Revue française de science politique, 67 (1), 2017 ; Guilhot (N.), « “The French Connection”. Éléments pour une histoire des relations internationales en France », Revue française de science politique, 67 (1), 2017.
  • [45]
    Karl (B. D), Katz (S. N.), « The American Private Philanthropic Foundation and the Public Sphere 1890-1930 », Minerva, 19 (2), 1981.
  • [46]
    Buton (F.), « Les deux faces d’une politique philanthropique. La Fondation Mérieux et la surveillance épidémiologique des années 1970 aux années 1990 », dans ce dossier.
  • [47]
    Cité par Guilhot (F.), Financiers, philanthropes…, op. cit., p. 142.
  • [48]
    Calligaro (O.), « Une organisation hybride dans l’arène européenne : Open Society Foundations et la construction du champ de la lutte contre les discriminations », dans ce dossier.
  • [49]
    Nous nous inspirons ici de Nay (O.), Smith (A.), « Les intermédiaires en politique. Médiations et jeux d’institutions », in Nay (O.), Smith (A.), dir., Le gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes dans l’action politique, Paris, Economica, 2002.
  • [50]
    Tournès (L.), dir., L’argent de l’influence. Les fondations américaines et leurs réseaux européens, Paris, Autrement, 2010. Cf. aussi Buton (F.), « Les deux faces d’une politique philanthropique… », art. cit.
  • [51]
    Saunier (P.-Y.), « Administrer le monde ? Les fondations philanthropiques et la Public Administration aux États-Unis (1930-1960) », Revue française de science politique, 53 (2), 2003.
  • [52]
    Cf. Bartley (T.), « Comment les fondations façonnent les mouvements sociaux. L’essor de la certification forestière et la construction d’un champ organisationnel », dans ce dossier.
  • [53]
    Karl (B. D.), Katz (S. N.), « The American Private Philanthropic Foundation and the Public Sphere 1890-1930 », art. cit.
  • [54]
    McGoey (L.), No such Thing as a Free Gift…, op. cit., p. 113-148.
  • [55]
    Gates (B.), « Pourquoi je suis devenu philanthrope », Le Monde, 30-31 octobre 2016.
  • [56]
    Cf. par exemple Monier (A.), « La relation philanthropique, un rapport de domination ? Le cas des Amis Américains des institutions culturelles françaises », dans ce dossier, et Ostrower (F.), Why the Wealthy Give : The Culture of Elite Philanthropy, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1995.
  • [57]
    Cf. McGoey (L.) et al., « Le philanthro-capitalisme et les “crimes des dominants” », art. cit.
  • [58]
    Odendahl (T.), Charity Begins at Home : Generosity and Self-interest among the Philanthropic Elite, New York, Basic Books, 1991 ; Reich (B.), « Philanthropy and caring for the needs of strangers », Social Research, 80 (2), 2013.
  • [59]
    Ce type de fondations, réservé aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, a été créé par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007.
  • [60]
    « Fondations : les grandes écoles mènent le bal », Le Monde, 10 janvier 2018.
  • [61]
    Pinçon (M.), Pinçon-Charlot (M.), Sociologie de la bourgeoisie, Paris, La Découverte.
  • [62]
    D’après un document interne de Philip Morris cité par Tesler (L. E.), Malone (R. E.) « Corporate Philanthropy, Lobbying, and Public Health Policy », American Journal of Public Health, 98 (12), 2008, p. 2124.
  • [63]
    Sur ce sujet, cf. notamment Girel (M.), Science et territoires de l’ignorance, Versailles, Quae, 2017 et Gross (M.), McGoey (L.), eds, Routledge International Handbook of Ignorance Studies, London-New York, Routledge, 2015.
  • [64]
    McGoey (L.), No Such Thing as a Free Gift…, op. cit.
  • [65]
    DiMaggio (P. J.), Powell (W. W.), « The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, 48 (2), 1983.
  • [66]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes…, op. cit., p. 126 ; Berndt (C.), Wirth (M.), « Market, Metrics, Morals : The Social Impact Bond as an Emerging Social Policy Instrument », Geoforum, 90, 2018.
  • [67]
    Cf. les articles de Tim Bartley et Linsey McGoey et al. dans ce dossier. Cf. aussi Tedesco (D.), « American foundations in the Great Bear Rainforest : Philanthrocapitalism, Governmentality, and Democracy », Geoforum, 65, 2015.
  • [68]
    Cf. Medvetz (T.), Think Tanks in America, Chicago, University of Chicago Press, 2012 et O’Connor (A.), « Financing the Counterrevolution », in Schulman (B. J.), Zelizer (J. E.), Rightward Bound. Making America Conservative in the 1970s, Cambridge (Ma.), Harvard University Press, 2008.
  • [69]
    Cf. notamment Arnove (R. F.), ed., Philanthropy and Cultural Imperialism. The Foundations at Home and Abroad, Boston, G. K. Hall, 1980.
  • [70]
    Jenkins (J. C.), Halcli (A.), « Grassrooting the System ? The Development and Impact of Social Movement Philanthropy, 1953-1990 », in Lagemann (E. C.), ed., Philanthropic Foundations…, op. cit.
  • [71]
    Haines (H. H.), « Black Radicalization and the Funding of Civil Rights : 1957-1970 », Social Problems, 32 (1), 1984.
  • [72]
    Cf. Calligaro (O.), « Une organisation hybride dans l’arène européenne », art. cit.
  • [73]
    Cf. l’article que Sylvain Lefèvre consacre dans ce dossier à ces « héritiers rebelles ». Cf. aussi Silver (I.), « Disentangling Class from Philanthropy : The Double-edged Sword of Alternative Giving », Critical Sociology, 33 (3), 2007.
  • [74]
    Suivant les pays, les dons effectués par des particuliers sont déduits de leurs revenus imposables, ou donnent lieu à des crédits d’impôts. En France, ces derniers peuvent atteindre jusqu’à 66 % du montant des dons versés, soit le taux le plus élevé d’Europe. Les entreprises effectuant des dons bénéficient de crédits d’impôts similaires. Cf. Bordiec (S.), « La fabrique des biens philanthropiques. La seconde vie des produits alimentaires dans un territoire rural », dans ce dossier.
  • [75]
  • [76]
    Bourdieu (P.), Boltanski (L.), « La production de l’idéologie dominante », Actes de la recherche en sciences sociales, 2(2-3), 1976, p. 54.
  • [77]
    Cf. notamment Laurens (S.), Les courtiers du capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles, Marseille, Agone, 2015.
  • [78]
    Depecker (T.), Déplaude (M.-O.), « L’industrialisation nuit-elle à la santé ? La Fondation française pour la nutrition dans les années 1970 », in Valat (B.), dir., Les marchés de la santé en France et en Europe au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, à paraître.
  • [79]
    Dans les pays de common law, un trust est un acte juridique par lequel le propriétaire d’un bien (settlor) en confie l’administration à une personne de confiance (trustee) pour le compte d’un tiers (beneficiary). En droit français, une fondation abritante est une fondation qui reçoit et gère dans un cadre contractuel des biens qui lui sont confiés par une fondation dite abritée ou « sous égide ». La plus importante est la Fondation de France. Créée en 1969, elle abrite aujourd’hui plus de huit cents fonds et fondations.
  • [80]
    Cf. notamment Himmelstein (J. L.), Looking Good and Doing Good. Corporate Philanthropy and Corporate Power, Bloomington, Indiana University Press, 1997, et Frumkin (P.), « Private Foundations as Public Institutions : Regulation, Professionalization, and the Redefinition of Organized Philanthropy », in Lagemann (E. C.), ed., Philanthropic Foundations…, op. cit.
  • [81]
    Dowie (M.), American Foundations…, op. cit., p. 7-10.
  • [82]
    Cf. par exemple Rozier (S.), « Le mécénat culturel d’entreprise… », art. cit. ; Alam (T.) « Quand l’expert montre la lune, le sociologue regarde le doigt. L’expertise d’un think tank européen destiné à la promotion d’un PPP en santé », Lien social et politiques, 65, 2011 et, dans le même numéro, Bastien (C.), « L’hétéronomie de la philanthropie européenne ».
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