Politix 2016/3 n° 115

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Article de revue

Des agents de l’État interchangeables ?

L’ajustement dispositionnel des agents au cœur de l’action publique

Pages 155 à 177

Notes

  • [1]
    Cet article est une version remaniée et enrichie des discussions qui ont suivi une intervention intitulée « Le travail des agents de l’État comme moyen d’interroger ses soubassements sociaux. Réflexions sur l’enrôlement administratif de dispositions issues de socialisations antérieures » au Congrès de l’Association Française de Science Politique le 11 juillet 2013 (dans la session « Saisir l’État à travers ses écrits ordinaires. Enjeux, méthodes, objets », organisée par Jean-Michel Eymeri-Douzans et Gildas Tanguy). Que les participants en soient remerciés.
  • [2]
    Cf. entre autres références dans une littérature abondante : Kesler (J.-F.), L’ENA, la société, l’État, Paris, Berger-Levrault, 1985 ; Kessler (M.-C.), Les grands corps de l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 1986 ; Tanguy (G.), Corps et âmes de l’État. Socio-histoire de l’institution préfectorale (1880-1940), Thèse pour le doctorat de Science Politique, Paris 1, 2009 ; Gervais (J.), La réforme des cadres de l’action publique ou la fabrique d’un « nouveau » corps des Ponts et Chaussées. Impératifs managériaux, logiques administratives et stratégies corporatistes (fin du XXe siècle), Thèse pour le doctorat de science politique, Université Lyon 2, 2007.
  • [3]
    Topalov (C.), dir., Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, Éditions de l’EHESS, 1999 ; Mathiot (P.), Acteurs et politiques de l’emploi en France (1981-1993), Paris, L’Harmattan, 2001 ; Payre (R.), Une science communale ? Réseaux réformateurs et municipalité providence, Paris, CNRS Éditions, 2007.
  • [4]
    Spire (A.), « Histoire et ethnographie d’un sens pratique : le travail bureaucratique des agents du contrôle de l’immigration », in Arborio (A.-M.), Cohen (Y.), Fournier (P.), Hatzfeld (N.), Lomba (C.), Müller (S.), dir., Observer le travail. Histoire, ethnographie, approches combinées, Paris, La Découverte, 2008.
  • [5]
    Dubois (V.), « Ethnographier l’action publique. Les transformations de l’État social au prisme de l’enquête de terrain », Gouvernement & action publique, 2, 2012, p. 84.
  • [6]
    Bongrand (P.), Laborier (P.), « L’entretien dans l’analyse des politiques publiques : un impensé méthodologique ? », Revue française de science politique, 55 (1), 2005.
  • [7]
    Chamboredon (H.), Pavis (F.), Surdez (M.), Willemez (L.), « S’imposer aux s’imposants », Genèses, 16, 1994.
  • [8]
    Musselin (C.), « Sociologie de l’action organisée et analyse des politiques publiques : deux approches pour un même objet ? », Revue française de science politique, 55 (1) 2005, pp. 64-65.
  • [9]
    Weller (J.-M.), L’État au guichet. Sociologie cognitive du travail et modernisation administrative des services publics, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
  • [10]
    Didier (E.), « “Compstat” à Paris : initiative et mise en responsabilité policière », Champ pénal/Penal field [En ligne], 8, 2011.
  • [11]
    Latour (B.), La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La Découverte, 2002, p. 8.
  • [12]
    Bourdieu (P.), « Droit et passe-droit. Le champ des pouvoirs territoriaux et la mise en œuvre des règlements », Actes de la recherche en sciences sociales, 81-82, 1990, p. 87.
  • [13]
    Bourdieu (P.), La noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Éditions de Minuit, 1989, p. 548.
  • [14]
    Biland (É.), « Les ambiguïtés de la sélection par concours dans la fonction publique territoriale. Une institutionnalisation inachevée », Sociologie du travail, 52 (2), 2010.
  • [15]
    Eymeri (J.-M.), La fabrique des énarques, Paris, Economica, 2001.
  • [16]
    Gally (N.), Le marché des hauts fonctionnaires. Une comparaison des politiques de la haute fonction publique en France et en Grande-Bretagne, Thèse pour le doctorat de science politique, Sciences Po Paris, 2012.
  • [17]
    Bourdieu (P.), Sociologie générale, vol. 1, Cours au collège de France 1981-1983, Paris, Le Seuil, 2015, p. 288.
  • [18]
    Dubois (V.), « Politiques au guichet, politique du guichet », in Borraz (O.), Guiraudon (V.), dir., Politiques publiques : changer la société, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 270.
  • [19]
    Dubois (V.), La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica, 2003 (2e éd.).
  • [20]
    Siblot (Y.), Faire valoir ses droits au quotidien. Les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences Po, Paris, 2006.
  • [21]
    Spire (A.), Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Paris, Raisons d’agir, 2008 ; Spire (A.), Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir, 2012.
  • [22]
    Elguezabal (E.), Verbaliser le client. Les contrôleurs du métro, Montreuil, Aux Lieux d’être, 2007 ; Thibault (M.), Ouvriers malgré tout. Enquête sur les ateliers de maintenance des trains de la Régie autonome des transports parisiens, Paris, Seuil, 2013 ; Schwartz (O.), « Sur la question corporative dans le mouvement social de décembre 1995 », Sociologie du travail, 39 (4), 1997.
  • [23]
    Cartier (M.), Les facteurs et leurs tournées. Un service public au quotidien, Paris, La Découverte, 2003.
  • [24]
    Langumier (J.), « Des ouvriers de la fonction publique d’État face aux réformes de modernisation. Enquête auprès des agents d’exploitation de la DDE », Sociétés contemporaines, 58 (2), 2005.
  • [25]
    Corteel (D.), « Devenir éboueur à la “Ville de Paris” et s’en accommoder. Éléments d’analyse des combinaisons possibles du métier et du statut » et Cartier (M.), Le Saout (R.), « Les conditions d’entrée dans la fonction publique territoriale. Enquête auprès d’agents de maîtrise du nettoiement à Nantes Métropole », in Cartier (M.), Retière (J.-N.), Siblot (Y.), dir., Le salariat à statut. Genèses et cultures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
  • [26]
    Avril (C.), Cartier (M.), Siblot (Y.), « Les rapports aux services publics des usagers et agents de milieux populaires : quels effets des réformes de modernisation », Sociétés contemporaines, 58 (2), 2005.
  • [27]
    Le terme de travail administratif tel qu’il est employé tout au long de l’article est une catégorie analytique qui désigne l’ensemble des tâches effectuées par un agent du public (tâches d’écriture, d’enseignement, d’accueil, d’information, etc.) et ne se réduit pas aux seuls actes « administratifs » aux yeux de l’administration ou des enquêtés eux-mêmes.
  • [28]
    Avril (C.), Cartier (M.), Serre (D.), Enquêter sur le travail. Concepts, méthodes, récits, Paris, La Découverte, 2010.
  • [29]
    Bourdieu (P.), Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Le Seuil, Points-Essais, 2000 (1972), p. 261.
  • [30]
    Plus couramment mobilisé pour analyser des métiers longtemps pensés comme « vocationnels », comme celui d’enseignant, ce principe d’analyse est peu fréquent en ce qui concerne les professions plus « administratives ». Nombreux sont les travaux qui, en sociologie de l’éducation, analysent la façon dont le rapport à leur propre origine sociale et expérience scolaire pèse sur les pratiques et conceptions pédagogiques des enseignants. Citons par exemple : Muel-Dreyfus (F.), Le métier d’éducateur, Paris, Minuit, 1983, chapitres 1 et 2 (sur les instituteurs de la Troisième République) ; Demailly (L.), « Contribution à une sociologie des pratiques pédagogiques », Revue française de sociologie, 26 (1), 1985 ; Geay (B.), « Les néo-enseignants face à l’utilitarisme », Actes de la recherche en sciences sociales, 184, 2010 ; Balland (L.), « Un cas d’école. L’entrée dans le métier de professeur d’une “enfant de la démocratisation scolaire” », Actes de la recherche en sciences sociales, 191-192, 2012.
  • [31]
    Serre (D.), Travail, pratiques et dispositions, mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches en sociologie, Saint-Quentin-en-Yvelines, 2012, pp. 222-233.
  • [32]
    Bourdieu (P.), Les méditations pascaliennes, Paris, Le Seuil, 2003 (1997), p. 237. Bourdieu évoque au moment de l’entrée dans un champ l’existence d’un « travail de socialisation spécifique ». Selon lui, « l’acquisition des dispositions spécifiques exigées par un champ s’opère dans la relation entre les dispositions primaires, plus ou moins éloignées de celles qu’appelle le champ, et les contraintes inscrites dans la structure du champ ». Nous remercions Mathieu Hauchecorne de nous avoir signalé ce point.
  • [33]
    Ils ne concernent que 8 % des embauches dans la fonction publique territoriale ; un quart des emplois du secteur public sont en 2010 des contrats de droit privé. Cf. Ernst (E.), « En 2010, 5,5 millions de salariés travaillent dans la fonction publique », Insee Première, 1442, 2013.
  • [34]
    Edel (F.), « Deux siècles de principe d’égale admissibilité aux emplois publics », Revue française d’administration publique, 142, 2012.
  • [35]
    Les concours de catégorie A (notamment l’ENA, le Quai d’Orsay ou les IRA) requièrent un niveau bac + 3, ceux de catégorie B le bac et ceux de catégorie C le BEPC ou aucun diplôme.
  • [36]
    Biland (É.), Israël (L.), « À l’école du droit : les apports de la méthode ethnographique à l’analyse de la formation juridique », Les Cahiers de droit, 52 (3-4), 2011.
  • [37]
    Cartier (M.), « Nouvelles exigences dans les emplois d’exécution des services publics. L’observation des épreuves orales du concours de facteur », Genèses, 42, 2001, p. 82.
  • [38]
    Eymeri (J.-M.), La fabrique des énarques, op. cit., 2001, pp. 21-22.
  • [39]
    De Castro Fontainha (F.), Les (en)jeux du concours : une analyse interactionniste du recrutement à l’École nationale de la magistrature, Thèse pour le doctorat de science politique, Université de Montpellier 1, 2011.
  • [40]
    Extraits de rapports de 1950 et 1956, cités par Boigeol (A.), « Les femmes et les cours. La difficile mise en œuvre de l’égalité des sexes dans l’accès à la magistrature », Genèses, 22, 1996, p. 118.
  • [41]
    Pour reprendre les propositions théoriques avancées dans le numéro 72 de la revue Genèses sur l’observation historique du travail administratif.
  • [42]
    Fortino (S.), La mixité au travail, Paris, La Dispute, 2002, pp. 98-99.
  • [43]
    Pruvost (G.), Profession : policier. Sexe : féminin, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2007, pp. 54-55.
  • [44]
    De Larminat (X.), Hors des murs. L’exécution des peines en milieu ouvert, Paris, Presses universitaires de France, 2014, p. 114.
  • [45]
    On pense par exemple au travail de Rachel Vanneuville sur l’École libre de science politique qui montre l’affinité existant entre goût bourgeois et goût pour l’anglais dans la formation : Vanneuville (R.), La référence anglaise à l’École libre des sciences politiques : la formation de “gentlemen” républicains 1871-1914, Thèse pour le doctorat de science politique, Université de Grenoble 2, 1999.
  • [46]
    Coton (C.), « Capital culturel et capital combattant dans le corps des officiers de l’armée de terre », Actes de la recherche en sciences sociales, 191-192, 2012, p. 17.
  • [47]
    Siméant (J.), Dauvin (P.), Le travail humanitaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 173.
  • [48]
    Darmon (M.), Classes préparatoires. La fabrique d’une jeunesse dominante, Paris, La Découverte, 2013, pp. 305-306.
  • [49]
    Quéré (O.), « La fabrique des cadres intermédiaires de la fonction publique. Enseigner et assigner un positionnement aux attachés dans les Instituts régionaux d’administration », Gouvernement & action publique, 4 (4), 2015.
  • [50]
    Laurens (S.), Une politisation feutrée. Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France (1962-1981), Paris, Belin, 2009.
  • [51]
    Bancaud (A.), La haute magistrature judiciaire entre politique et sacerdoce, ou le culte des vertus moyennes, Paris, LGDJ, 1993.
  • [52]
    Pénissat (E.), L’État des chiffres. Sociologie du service de statistique et des statisticiens du ministère du Travail et de l’Emploi (1945-2008), Thèse pour le doctorat de sociologie, Paris, EHESS, 2009, chap. 3.
  • [53]
    Biland (É.), « Les cultures d’institution », in Lagroye (J.), Offerlé (M.), dir., Sociologie des institutions, Paris, Belin, 2009, p. 192.
  • [54]
    Pudal (R.), « Du Pioupou au “vieux sarce” : ou comment en être : ethnographie d’une socialisation chez les pompiers », Politix, 93, 2011.
  • [55]
    Lahire (B.), L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Armand Colin/Nathan, 2001, p. 92 et s.
  • [56]
    Ce discours, courant en bas de la hiérarchie, est aussi tenu par les énarques eux-mêmes. Cf. Eymeri-Douzans (J.-M.), « L’État au quotidien. Éléments d’observation ethnographique du travail des énarques en administration centrale », in Eymeri-Douzans (J.-M.), Bouckaert (G.), dir., La France et ses administrations. Un état des savoirs, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 335-336.
  • [57]
    Lagroye (J.), « L’institution en pratiques », Revue suisse de science politique, 3-4, 2002, p. 123.
  • [58]
    Bourdieu (P.), La noblesse d’État…, op. cit., p. 263.
  • [59]
    Pasquali (P.), Passer les frontières sociales : comment les « filières d’élite » entrouvrent leurs portes, Paris, Fayard, 2014.
  • [60]
    Spire (A.), Accueillir ou reconduire, op. cit.
  • [61]
    Roussel (V.), « Les changements d’ethos des magistrats », in Commaille (J.), Kaluszynski (M.), dir., La fonction politique de la justice, Paris, La Découverte, 2007.
  • [62]
    Farges (G.), « Le statut social des enseignants français. Au prisme du renouvellement générationnel », Revue européenne des sciences sociales, 49, 2011, p. 174.
  • [63]
    Viguier (F.), « Maintaining the Class: Teachers in the New High Schools of the Banlieues », French Politics, Culture and Society, 24 (3), 2006.
  • [64]
    Meimon (J.), En quête de légitimité. Le ministère de la Coopération (1959-1999), Thèse pour le doctorat de Sciences politiques, Université Lille II, 2005.
  • [65]
    Mouralis (G.), Une épuration allemande. La RDA en procès 1949-2004, Paris, Fayard, 2008.
  • [66]
    Baruch (M.-O.), Azéma (J.-P.), Servir l’État français : l’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997.
  • [67]
    Siblot (Y.), Faire valoir ses droits, op. cit., p. 306.
  • [68]
    Belorgey (N.), L’hôpital sous pression. Enquête sur le « nouveau management public », Paris, La Découverte, 2010.
  • [69]
    Jeannot (G.), « Les fonctionnaires travaillent-ils de plus en plus ? Un double inventaire des recherches sur l’activité des agents publics », Revue française de science politique, 58 (1), 2008.
  • [70]
    Biland (É.), « Les transformations générationnelles de la politisation dans les collectivités territoriales », Politix, 96, 2011.
  • [71]
    Sur le cas des commissaires des R. G. voir Bonelli (L.), « Formation, conservation et reconversion des dispositions antisubversives. L’exemple des Renseignements généraux », in Tissot (S.), Gaubert (C.) et Lechien (M-H.), Reconversions militantes, Pulim, 2005, p. 79-104.
  • [72]
    Becker (H.), « The Career or the Chicago Public School Teacher », American Journal of Sociology, 57 (5), p. 470.
  • [73]
    Charle (C.), « Naissance d’un grand corps. L’Inspection des Finances à la fin du XIXe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, 42, 1982, p. 6.
  • [74]
    Arborio (A.-M.), Un personnel invisible. Les aides-soignantes à l’hôpital, Paris, Anthropos, 2001, pp. 261-291.
  • [75]
    Hmed (C.), Laurens (S.), « Les résistances à l’institutionnalisation », in Lagroye (J.), Offerlé (M.), dir., Sociologie des institutions, op. cit.
  • [76]
    Laurens (S.), « Les agents de l’État face à leur propre pouvoir. Éléments pour une micro-analyse des mots griffonnés en marge des décisions officielles », Genèses, 72, 2008.
  • [77]
    Pinto (L.), « Expérience vécue et exigence scientifique d’objectivité », in Champagne (P.), Lenoir (R.), Merllié (D.), Pinto (L.), Initiation à la pratique sociologique, Paris, Dunod, 1989, p. 47.
  • [78]
    Pour Bourdieu, la transformation est une possibilité d’évolution de l’habitus parmi trois, les deux autres étant l’usure liée à l’absence d’actualisation ou l’inertie. Bourdieu (P.), Méditations pascaliennes, Paris, Le Seuil, 1997, p. 190.
  • [79]
    Avril (C.), Cartier (M.), Serre (D.), Enquêter sur le travail…, op. cit., pp. 113-116.
  • [80]
    Sur le rôle de ces instances de certification internes à l’administration, voir par exemple les travaux en cours de Marion Obert sur le Centre des Hautes Études d’Administration Musulmane délivrant pendant plus d’un demi-siècle aux agents administratifs des certificats de connaissance des « musulmans » utiles dans différentes carrières administratives (notamment militaires et policières mais pas seulement).
  • [81]
    Berger (P.), Luckmann (T.), La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 2006 (1re éd. 1966).
  • [82]
    Cf. entre autres Noiriel (G.), La tyrannie du national, Paris, Calmann-Lévy, 1991 ; Buton (F.), L’administration des faveurs. L’État, les sourds et les aveugles (1789-1885), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009 ; Mazouz (S.), « « Mériter d’être français » : pensée d’État et expérience de naturalisation », Revue Agone, 40, 2008. URL : http://revueagone.revues.org/74.

1Différentes traditions de sciences sociales s’attachent à étudier l’action publique en la rapportant aux acteurs qui la conçoivent et la mettent en œuvre [1]. La plupart mettent l’accent sur le fait que les agents administratifs s’inscrivent dans des réseaux et sont porteurs de représentations collectives faisant sens dans leur travail. Celles-ci sont tantôt abordées par le biais d’une morphologie des corps administratifs et de leurs fondements sociaux [2], tantôt par l’analyse des secteurs d’action publique ou des nébuleuses réformatrices [3]. D’autres traditions de recherches s’intéressent en priorité à l’activité concrète des agents de l’État, en lien avec l’immédiateté des tâches à effectuer, l’état des règlements à appliquer ou le contexte organisationnel dans lequel elle s’inscrit. Mais peu d’études franchissent le pas d’essayer de saisir ce que l’action publique doit à l’entièreté d’une trajectoire biographique mise au travail par les institutions. On s’autorise rarement à lier explicitement la question de la trajectoire sociale – au sens large et pas seulement professionnelle – des fonctionnaires avec celle de leur activité, que cette dernière consiste à concevoir ou à mettre en œuvre l’action publique.

2Cette prudence collective s’explique en grande partie par des difficultés d’ordre méthodologique. La façon dont les expériences sociales antérieures au travail pèsent sur les pratiques des agents de l’État est difficile à analyser. Comment saisir au cœur d’une enquête le lien entre la trajectoire antérieure des agents et leur travail quotidien au sein d’une administration ? Il est toujours délicat de rapporter une pratique – telle qu’elle est énoncée en entretien ou saisie dans l’observation, les archives [4] – au poids de socialisations antérieures qui par définition ne sont plus accessibles et doivent être reconstituées. Le croisement des techniques d’enquête s’impose mais n’est pas évident, d’autant que l’ethnographie a longtemps été délaissée dans l’étude de l’activité bureaucratique [5]. Les entretiens, lorsqu’ils sont utilisés dans l’analyse des politiques publiques, entrent rarement dans l’épaisseur des trajectoires et des histoires de vie [6] et ce, d’autant plus lorsque les enquêtés sont des dominants aux sommets de l’État souvent réticents à évoquer leur vie privée [7].

3L’invisibilité des dispositions sociales, notamment de classe, est peut-être aussi accentuée par certains héritages théoriques qui orientent la pratique d’enquête lorsqu’il est question d’action publique. L’approche de la sociologie des organisations s’appuie sur le postulat de la rationalité limitée et sous contraintes des acteurs [8] et invite à considérer en premier lieu leurs appartenances professionnelles et leurs contextes d’exercice, ignorant leurs propriétés sociales. L’analyse cognitive de l’action publique met, de son côté, l’accent sur le déroulement technique et cognitif en jeu dans les pratiques [9] et aborde les identités des acteurs plutôt sous l’angle de leur capacité de « conformer le monde » à leurs propres volontés [10]. Ces travaux ont tendance à autonomiser la subjectivité des agents de leurs expériences passées, assimilant parfois l’exploration des origines sociales des fonctionnaires à « une dénonciation » ou à une attaque contre l’institution [11]. Pour ne pas courir le risque d’une surinterprétation des biographies des agents, plusieurs recherches préfèrent ainsi laisser dans l’ombre la façon dont les dispositions de ces derniers peuvent influencer le rapport à leur fonction ou la réalisation de leur travail.

4Faire un lien entre origines sociales et contenu du travail est enfin d’autant plus compliqué dans le cas des agents de l’État que la rhétorique de l’universel, sur laquelle s’est construite la légitimité de l’action étatique, suppose une invisibilité des caractéristiques sociales et individuelles des agents. La force du discours sur l’intérêt général, porté par les institutions d’État, tend à faire méconnaître la réalité du travail administratif comme faisant appel à un sens pratique ayant d’autres fondements sociaux que les règlements. Dans l’analyse wébérienne, les agents de l’État doivent agir au « nom » de l’intérêt public et la légitimité de l’action bureaucratique – et donc son efficacité – repose sur le recours à de grands principes généraux. Le « monopole de la violence symbolique légitime s’affirme dans la prétention du fonctionnaire » à adopter le point de vue « départicularisé, déprivatisé, du serviteur à la fois neutre et compétent de l’intérêt général [12] ». Parce que l’administration agit au nom de l’intérêt général, elle soumet ses agents à des normes de travail censément régies par des principes universels [13] et doit neutraliser ses exigences pour ne pas les faire apparaître comme des exigences sociales dont les prérequis (scolaires, linguistiques, culturels) ne seraient pas uniformément distribués dans l’espace social. Cette neutralisation est d’autant plus difficile à surmonter dans l’analyse qu’elle s’appuie, surtout au milieu et en haut de la hiérarchie, sur les nombreux niveaux d’intermédiation qui existent au sein de l’État entre la pratique et les dispositions des agents : le filtre complexe des concours administratifs [14], le poids de la formation par les grandes écoles [15], les distorsions provoquées par le marché de la fonction publique [16]. Ces éléments, largement détaillés par la littérature, peuvent être lus comme autant de moments de formation de nouvelles dispositions qui rendraient finalement secondaire ou obscure la question des effets de l’origine sociale initiale des agents sur l’action publique.

5Pour toutes ces raisons méthodologiques, théoriques et spécifiques à l’objet « État », l’idée d’un rôle joué par les dispositions sociales incorporées au travers des socialisations primaires et secondaires est souvent écartée. L’agent de l’État évoque « l’idée d’un personnage relativement substituable [17] » et son travail tend à se faire méconnaître comme lieu de renforcement – ou de disqualification – de dispositions acquises avant l’entrée en fonction. Seuls les travaux portant sur les agents occupant des positions modestes dans la hiérarchie administrative semblent connaître une forme de régime d’exception. Depuis les années 1990, les enquêtes ethnographiques sortant d’une « vision interne des organisations bureaucratiques [18] » et s’intéressant aux caractéristiques sociales des petits fonctionnaires et à leurs effets sur les pratiques de travail sont nombreuses. Depuis l’ouvrage désormais classique de Vincent Dubois sur les guichetiers de deux caisses d’allocations familiales [19], les études se sont multipliées sur les agents de base de différentes institutions, à la Poste et dans un centre social [20], dans les administrations de l’immigration et des impôts [21], mais aussi sur les contrôleurs, ouvriers et conducteurs de la RATP [22], les facteurs [23], les ouvriers de la direction départementale de l’Équipement [24], les agents de nettoiement [25]… Partant du constat récurrent que les apprentissages et les rôles professionnels à ces bas niveaux hiérarchiques sont diffus et peu formalisés, ces travaux arrivent à saisir des phénomènes de transfert de dispositions extra-professionnelles au travail, la socialisation primaire semblant alors se substituer à une socialisation professionnelle défaillante. Ils mettent également au jour les effets de la position et de la trajectoire sociale des agents sur leur travail et leur rapport au travail, par exemple sur la distance plus ou moins grande aux usagers ou les différentes modalités d’adhésion au « service public ».

6Dans la continuité de ces travaux sur l’État « vu d’en bas », qui considèrent que la vie administrative est trop souvent autonomisée de la vie sociale [26], le projet de cet article est de proposer des pistes de recherche pour traiter, au cœur de l’enquête, la question de l’actualisation, de l’enrôlement et de la transformation des dispositions par et pour les logiques du travail administratif [27]. Il défend l’hypothèse que, quels que soient le niveau hiérarchique et le domaine d’action, les agents de l’État – comme tous les travailleurs [28] – investissent leur être social au travail, leurs expériences passées similaires transférant des schèmes « permettant de résoudre les problèmes de même forme [29] » et dont ils ont déjà pu tester les résultats. La matière première sur laquelle se constitue l’ethos des fonctionnaires n’est pas faite que de règlements et de droit, ou de dévouement à l’intérêt général. Elle est aussi le produit de l’ensemble des dispositions produites par l’exposition répétée des agents à certaines expériences sociales faites avant l’entrée dans la carrière administrative et/ou à côté de la scène professionnelle (dans les sphères privée, scolaire, militante ou associative par exemple) [30]. En revenant sur la question de l’origine sociale des agents de l’État à partir de l’angle concret de la socialisation professionnelle, et en mobilisant les outils de la sociologie du travail, il s’agit d’analyser ce que le travail administratif réclame ou convoque quotidiennement sous des formes implicites, faisant fonctionner à son service de façon routinisée des dispositions acquises antérieurement ou extérieurement à la scène professionnelle. Le premier enjeu de cette réflexion bibliographique est donc de contribuer à ouvrir des pistes de recherche pour surmonter les difficultés qui se présentent à ceux souhaitant faire le lien entre l’histoire des agents et leurs pratiques.

7Le second enjeu est d’ordre théorique. Notre thèse est que l’ajustement dispositionnel est au cœur du fonctionnement de l’État et que l’analyse de ses mécanismes peut constituer un objet d’études en soi. En croisant les résultats et les méthodes de différentes enquêtes, l’article souhaite montrer l’intérêt qu’il y a à dépasser l’alternative pensant la question des dispositions acquises avant l’entrée en fonction uniquement sur le registre de la neutralisation (en cas de formation institutionnelle) ou sur celui du transfert (en cas d’absence de formation explicite) [31]. À tous les niveaux hiérarchiques, mais selon des formes différentes, la socialisation en poste intègre la socialisation antérieure et la transforme dans un même mouvement. Si l’on reprend la distinction qu’opère tardivement Bourdieu entre les « dispositions primaires » et les « dispositions spécifiques » que l’on acquiert en entrant dans un champ d’activité, il s’agit de se demander ce que la plus ou moins grande facilité à intégrer des dispositions spécifiques au jeu administratif doit aux dispositions déjà incorporées par les agents [32]. L’entrée en fonction implique une exposition à un processus continu de socialisation qui peut réactiver, actualiser mais aussi disqualifier à travers les besoins du travail administratif, certaines façons de faire acquises antérieurement. Le travail des agents de l’État repose sur des dispositions de classe, de genre ou – sous une forme moins systématisée – certaines dispositions inégalement distribuées dans l’espace social et dont la localisation sociale renseigne sur l’affinité qui existe entre certains groupes sociaux et certains rôles administratifs.

8Nous dégagerons quatre entrées qui permettent à l’enquêteur d’identifier ces dispositions (d’un point de vue méthodologique) et de questionner leur rôle (d’un point de vue problématique) dans la réalisation du travail et le rapport à celui-ci. La première, l’entrée par les concours, donnera accès au processus de sélection des dispositions compatibles avec les exigences du futur poste. La deuxième entrée, celle par la socialisation en poste, permettra d’étudier les modalités de l’enrôlement de ces dispositions tandis que l’entrée suivante, axée sur les moments de tensions ou de crises, interrogera les cas de désajustement. La quatrième et dernière entrée, par les marges des activités et des carrières, posera pour finir la question des conditions du maintien en poste. Ces différentes entrées, en questionnant les modes d’articulation entre socialisations antérieures et exigences du poste, porteront la réflexion d’abord sur des mécanismes d’ajustement puis sur des situations de désajustement, des plus exacerbées et visibles aux plus courantes et discrètes.

L’entrée par les concours. Étudier le processus de sélection des dispositions compatibles

9Même s’ils ne sont pas le seul mode d’accès à la fonction publique [33], les concours se sont imposés au cours du XXe siècle comme le moyen de garantir un droit d’accès égal à tous aux fonctions d’État [34]. L’analyse de leur fonctionnement réel, au-delà des principes et des discours, est cruciale pour comprendre comment les dispositions des candidats peuvent jouer un rôle dès le recrutement. En agissant comme filtre scolaire, mais aussi comme filtre social, les concours participent à la sélection des dispositions considérées comme compatibles avec les exigences futures du rôle administratif.

10En associant à chaque catégorie de postes un concours requérant un niveau scolaire minimal [35], l’administration fait correspondre à l’état de la distribution du capital scolaire dans une société un état des postes susceptibles d’être occupés par les différents groupes sociaux. Il présélectionne les futurs fonctionnaires en s’assurant que ceux ayant réussi à passer le filtre d’une série d’épreuves scolaires sont prédisposés scolairement et/ou socialement à occuper leur poste. Chaque concours administratif n’est dans les faits « ouvert » qu’à certains agents sociaux, préalablement orientés et sélectionnés par l’institution scolaire et universitaire. La réussite dans certaines matières techniques dépend par exemple des parcours scolaires antérieurs dans certaines institutions et pas seulement du niveau scolaire atteint. Comme le montrent Émilie Biland et Liora Israël, le droit administratif enseigné à Sciences Po prépare ainsi bien plus au concours de l’ENM que la même matière enseignée à HEC [36] : l’observation des modes d’apprentissage et de formation antérieurs à l’épreuve des concours peut aider à comprendre les chances inégales de succès en montrant les continuums pratiques qui existent entre certaines façons de se familiariser à des corpus de savoir et la façon dont la restitution de ces savoirs est attendue dans le cadre du concours.

11Filtre scolaire, les concours sont également un véritable filtre social qui trie, en fonction des futurs postes, les dispositions acquises lors de socialisations antérieures. Les épreuves généralistes ou les questions portant sur la « personnalité » du candidat sont à cet égard révélatrices. À partir d’observations des épreuves orales au concours de la poste (de catégorie C), Marie Cartier montre comment le jury valorise ou disqualifie chez les candidats au métier de facteur des attitudes corporelles et des réponses socialement différenciées. Elle analyse les épreuves orales « comme des interactions donnant à voir des processus d’ajustement ou de désajustement entre les exigences de la Poste et les parcours individuels des candidats [37] ». La préférence du jury se porte sur les profils issus du tertiaire et faisant preuve de docilité à l’égard des nouvelles normes commerciales de la Poste, au détriment des profils d’hommes de condition ouvrière, moins à l’aise à l’oral et mettant en avant la recherche de la « sécurité d’emploi » du fait de leur expérience de la précarité. L’implicite social de la sélection apparaît également à travers les questions sur les activités sportives et associatives qui, sous couvert de porter sur la « personnalité » des candidats, évaluent leur profil social. Le même mécanisme est à l’œuvre, parfois de façon explicite, au concours de l’ENA [38] ou à celui de l’ENM. Là aussi, les questions sur la « personnalité » et les « goûts culturels » jouent un rôle essentiel dans les épreuves orales. Cet enjeu est cependant maîtrisé par les candidats qui ont appris en classe préparatoire au concours à disséminer lors de l’oral de culture générale des « perches » afin que le jury soit tenté de creuser en ce sens [39]. La mise en scène des aspérités sociales fait donc partie des compétences scolaires acquises, mais elle doit être appliquée de façon suffisamment nuancée pour que le jury n’y sente pas « la fiche préparée » et ait le sentiment d’avoir contribué à sélectionner un futur juge « ajusté » au poste et au caractère « bien trempé ».

12Si les jugements sur la personnalité permettent de sélectionner certaines dispositions de classe, ils peuvent être aussi le moyen de privilégier sans le dire certaines dispositions de genre. Les rapports des jurys de l’ENM analysés par Anne Boigeol cherchent ainsi, dans les années qui suivent l’ouverture de la magistrature aux femmes, à montrer que celles-ci n’ont pas les qualités qui conviennent, parce qu’elles sont « trop timides ou trop nerveuses » à l’oral et « n’ont pas les qualités d’autorité, de raisonnement, de présence d’esprit et de maîtrise de soi » indispensables à l’exercice de la justice [40]. Le regard qu’A. Boigeol porte sur les archives permet ici de rejoindre les objectifs d’une ethnographie historique du travail administratif, de saisir l’administration comme « une institution vécue [41] » en analysant les traces laissées dans les archives du travail d’ajustement qui s’est opéré au moment du concours. D’une manière générale, l’imposition de modèles genrés d’accomplissement professionnel lors des sélections est un puissant révélateur du tri dispositionnel en jeu dans le fonctionnement administratif. Plusieurs enquêtes montrent d’ailleurs que les questions posées aux hommes et aux femmes sont différentes au cours d’un même concours, les femmes étant plus souvent interrogées sur leur aptitude au commandement dans les concours de cadre [42] ou sur leur façon de voir leur place dans un environnement majoritairement masculin dans les concours de police [43].

13Il est donc possible de mobiliser des méthodes qui contribuent à envisager les concours comme un moment de sélection des dispositions les plus compatibles avec la représentation dominante des postes à occuper. Pour ce faire, la lecture des rapports de jurys est essentielle pour expliciter les critères retenus mais d’autres outils existent tels que l’observation des concours et des délibérations, comme on l’a vu, ou encore l’analyse statistique de l’évolution des profils des admis au regard de celui des admissibles et des candidats. Xavier de Larminat démontre ainsi l’existence d’un « choix délibéré de l’administration pénitentiaire [44] » de privilégier, dans les concours d’agents de probation, les candidats issus de formations de droit (et non de travail social) en les sursélectionnant à l’oral (61 % de profils juridiques parmi les reçus contre 34 % parmi les candidats).

14Le travail de sélection et de tri se poursuit au-delà des concours dans certaines institutions qui soumettent l’entrée définitive dans un corps administratif à un passage par une formation. Le filtre initial des concours s’affine alors à travers un classement des candidats à la sortie dont dépend leur orientation dans une hiérarchie prédéterminée de postes. Là encore les ressources valorisées sont spécifiques et en apparence non scolaires [45]. Dans ses travaux sur l’armée, Christel Coton montre comment l’institution militaire invisibilise les origines sociales mais également les ressources scolaires des agents en valorisant un capital combattant qui permet de ne pas afficher comme critère de sélection les compétences scolaires [46].

15Les concours cristallisent le travail de sélection que font les institutions, à travers leurs jurys et leurs classements, pour sélectionner les dispositions les plus compatibles avec la représentation dominante des postes à occuper. Derrière des critères de sélection qui se donnent à voir comme scolaires ou neutres s’expriment des catégories de l’entendement et des attentes qui peuvent être genrées mais aussi sociales. Cependant, si la sélection initiale par le biais des concours permet d’exclure les profils inadéquats, elle ne suffit pas à assurer la conformité des agents à leur poste. De la même manière que les organisations humanitaires recrutent leurs personnels avec le souci premier « d’éliminer les candidats exprimant des raisons d’agir considérées comme illégitimes [47] », mais sans considérer que la connaissance du monde des ONG soit absolument essentielle, les administrations misent également sur une adéquation probable et anticipée plus que sur une adéquation effective entre les dispositions et les exigences du futur emploi. La socialisation en poste, qui renvoie à un apprentissage sur le tas au fil de l’activité professionnelle et des interactions de travail, joue un rôle majeur dans l’enrôlement de ces dispositions. La prise de fonction est le début d’un travail d’ajustement plus invisible que l’État opère parmi ses agents sous la forme d’une mise au travail et d’une adaptation des dispositions incorporées antérieurement à l’entrée en fonction.

L’entrée par la socialisation en poste. Étudier le processus d’enrôlement des dispositions préalablement acquises

16Si le concours sélectionne et classe, le travail qu’exercent les agents au sein de l’État oriente et actualise leurs propensions à agir, à formaliser, à écrire, à catégoriser. Il n’y a pas d’un côté des groupes sociaux porteurs de valeurs et de l’autre un État qui puiserait dans ces groupes des agents immédiatement aptes à ses besoins. Le travail administratif favorise l’actualisation de dispositions acquises antérieurement et dans d’autres circonstances tout en en réorientant la finalité pratique et en les transformant. Les agents doivent en effet se former en s’ajustant à une série d’attentes en situation qui sont médiatisées par l’ensemble d’un système administratif et qui s’expriment sous des formes bureaucratiques. La socialisation en poste qui « fabrique » des fonctionnaires est – comme la socialisation en classe préparatoire analysée par Muriel Darmon – une « prise institutionnelle sur les personnes », une « mise en condition [48] », dont les effets sont pour partie propres aux dispositifs et pour une autre part structurés par le passé social des agents.

17L’apprentissage des compétences scripturales en est un exemple. Ces compétences sont pour partie le produit de formations institutionnalisées. Dans le cas des agents sortis des IRA, les dispositions scolaires ont été retravaillées en formation lors de longs cours d’écriture et ont été réorientées vers un travail d’écriture spécifique visant à « rendre le droit transparent » voire « ludique [49] » pour leurs supérieurs hiérarchiques. Pour les administrateurs civils aussi, l’écriture des notes administratives, que celles-ci s’adressent aux échelons hiérarchiques inférieurs ou aux directeurs d’administration centrale, suppose la maîtrise d’un savoir-faire de base, codifié, mais cette dernière ne suffit pas. Les compétences scripturales requises impliquent également la maîtrise d’attendus discursifs qui diffèrent d’une direction à l’autre en fonction de l’histoire de chacune et de sa position au sein des administrations d’État. L’écriture doit être ajustée à la fonction et est plus ou moins instituée en enjeu dans la socialisation au poste selon que l’on considère telle ou telle direction. Parfois collective, la rédaction suppose l’inscription dans une division du travail d’écriture, l’acquisition d’un sens du jeu administratif, et aussi la connaissance de l’horizon d’attente des interlocuteurs politiques qui peuvent être les destinataires premiers ou secondaires de ces écrits [50]. Pour les hauts fonctionnaires, il s’agit donc de développer des dispositions spécifiques au-delà du « substrat commun » lié à la formation à l’ENA. Enfin, ces compétences scripturales spécifiques et acquises sur le tas sont plus ou moins facilement appropriables selon les dispositions acquises antérieurement. Alain Bancaud montre que les qualités d’écriture valorisées chez les hauts magistrats de la Cour de cassation sont en affinité étroite avec des dispositions linguistiques et culturelles caractéristiques de leur origine bourgeoise (rigueur grammaticale, capacité d’abstraction, ascétisme de la forme) [51]. De la même façon, la « posture scientifique » de « neutralité » des chargés d’études de la DARES doit beaucoup à leurs trajectoires sociales, scolaires et matrimoniales qui les relient étroitement au monde de l’enseignement supérieur et de la recherche [52].

18La maîtrise des compétences rédactionnelles propres au poste ne peut donc se penser indépendamment de la socialisation faite sur le tas mais l’appropriation plus ou moins aisée de ces compétences fait intervenir autant les compétences scolaires préalablement acquises que des dispositions sociales plus anciennes et liées à la socialisation primaire [53]. Socialisation en poste et socialisations antérieures jouent de façon combinée dans l’apprentissage des compétences attendues et la conformation aux exigences du poste. Cette articulation, plus ou moins visible, ne vaut pas que pour les compétences scripturales. Le même travail d’analyse peut être mené à propos du travail relationnel par exemple. Comme le montre Romain Pudal, se socialiser au métier de pompier consiste à maîtriser des outils techniques mais aussi à saisir sur le tas ce que l’on a informellement mais aussi moralement et « éthiquement » (au double sens d’éthique professionnelle et d’éthique absolue) le droit de dire ou de ne pas dire à une victime d’un accident de la route pour la maintenir éveillée [54]. Les pompiers apprennent en situation, par le biais des remarques informelles des pairs, comment se comporter. Mais ces normes relationnelles sont plus ou moins faciles à appliquer et suscitent plus ou moins l’adhésion des agents selon leurs savoir-faire relationnels antérieurs et la distance sociale ressentie avec les publics, comme cela a été abondamment montré dans la littérature.

19La socialisation au poste est donc une entrée essentielle pour saisir les mécanismes d’ajustement dispositionnel. Celle-ci ne passe cependant pas toujours par un apprentissage entre pairs et/ou avec la hiérarchie, elle peut aussi correspondre à une adaptation à un environnement technique contraignant. Le travail scriptural, comme le travail relationnel, est ainsi de plus en plus fortement encadré par l’outil informatique et par des délais temporels qui contribuent à homogénéiser les façons de faire et à établir des chaînes d’interdépendances extrêmement contraignantes entre les agents.

20L’ajustement des dispositions antérieurement acquises aux exigences de l’institution ne peut donc être conçu comme un simple transfert en cas de socialisation professionnelle non formalisée. Il implique de la part de l’institution et des agents un véritable travail d’ajustement dont les formes et les modalités varient en fonction des contextes professionnels. Comme le rappelle Bernard Lahire, les dispositions sont des propriétés relationnelles qui ne se manifestent que dans des circonstances particulières, « sous condition [55] ». L’institution avec ses attentes, ses contraintes, sa division du travail, délimite ce qui du passé incorporé peut être actualisé ou non au travail. Les dispositions ne sont pas des tendances à agir générales et transposables quel que soit le contexte puisque leur efficacité dépend aussi du contrôle du groupe et notamment de la capacité de la socialisation en poste à venir contrecarrer, transformer ou se substituer à la socialisation primaire. Le contrôle plus ou moins fort des institutions sur leurs membres conditionne le mode de déploiement des dispositions antérieurement acquises en dehors de la scène professionnelle.

21Saisir ces éléments n’est pas toujours évident pour l’enquêteur. Une méthode consiste, comme l’ont fait les auteurs cités, à travailler en entretien la question de « l’entrée en poste » en privilégiant les surprises ou les doutes qui ont marqué la prise de fonctions ou une réaffectation. Suivant la même logique, l’adaptation continue au poste peut être travaillée en mobilisant diverses techniques car aucun concours, aucune formation ne peuvent garantir à eux seuls une sélection et un affinement aussi répétés et aussi sûrs que la pratique quotidienne et la mise en situation concrète (qui transparaît du vieil adage « on apprend sur le tas » si souvent invoqué par les fonctionnaires dans les entretiens [56]). Les résultats de ce travail d’ajustement ne sont cependant pas assurés : celui-ci se déploie tout au long de la carrière professionnelle et peut se heurter à des difficultés liées à certains changements du côté de l’institution ou des agents.

L’entrée par les changements et les tensions. Étudier la genèse et les effets des désajustements

22Les cas de désajustement entre dispositions des agents et exigences de l’institution restent un terrain d’enquête à approfondir pour qui s’intéresse au fonctionnement bureaucratique. Comme le souligne Jacques Lagroye, « la compatibilité des dispositions et des exigences de l’institution, d’ailleurs inégalement pressantes selon la position qu’on y occupe, est une question majeure pour le chercheur qui veut rendre compte des pratiques, c’est-à-dire non seulement des gestes accomplis, mais aussi de la manière de les effectuer, qui peut être “aisée” ou “maladroite”, “naturelle” ou forcée, juste ou excessive [57] ». Les cas d’incompatibilité, qui peuvent se traduire par des embarras vécus sur un mode personnel ou par des conflits, des tensions voire des mobilisations collectives, sont révélateurs de l’activité administrative ordinaire. Plusieurs cas de figure peuvent être dégagés.

23La première forme de contradictions entre dispositions des agents et exigences de l’institution concerne les cas d’individus aux parcours inhabituels au regard du recrutement dominant. La présence d’agents d’origine sociale modeste est par exemple statistiquement improbable dans la haute administration mais ils sont néanmoins quelques-uns à y avoir accédé par le biais des concours et à être passés par une grande école. Or ce type de déplacement, même réussi, n’élimine pas le « décalage pratique » et le système d’attentes « déphasées » lié à « l’improbabilité de [leur] présence [58] ». Sans tomber dans l’idée caricaturale du transfuge « tiraillé » entre deux mondes qui peine à rendre compte de ces mobilités [59], ces décalages peuvent produire de l’incertitude dans la réalisation des tâches et l’adhésion aux missions. Aux guichets des préfectures, les agents en charge de l’immigration « réfractaires » à la morale du maintien de l’ordre national et aux pratiques – souvent racistes – qui en découlent sont ceux qui sont dotés d’un capital culturel plus élevé que leurs collègues et qui ont des convictions politiques qu’ils jugent en contradiction avec ce qui leur est demandé [60].

24Les désajustements peuvent aussi provenir d’un changement de recrutement que l’institution n’a pas maîtrisé. Violaine Roussel rapporte ainsi les nouvelles pratiques des juges d’instruction dans les années 1990, lors des scandales politico-financiers, à leur plus grande distance sociale à l’égard des élites politiques et économiques que leurs prédécesseurs [61]. Ces redéfinitions des attentes liées aux rôles administratifs se font silencieusement et progressivement. Ces évolutions peuvent contribuer à redéfinir le poste ou créer des situations de tensions. Plusieurs travaux ont attiré l’attention sur les transformations du groupe enseignant, caractérisé à la fois par une élévation du niveau social de recrutement et par un sentiment accru de dévalorisation sociale. Cette « relation en chiasme [62] » creuse la distance avec les nouveaux publics et participe à un certain nombre de difficultés rencontrées par les enseignants, dans le maintien de l’ordre en classe par exemple [63]. Il s’agit alors de saisir comment ces désajustements peuvent venir nourrir une transformation des logiques modales d’occupation d’un poste en ouvrant parfois de nouvelles façons d’exercer son travail au-delà des prescriptions usuelles sédimentées par l’histoire ou, a minima, en ébranlant et en dénaturalisant les façons de travailler anciennes sans pour autant en permettre de nouvelles.

25Un autre type de contradictions entre dispositions des agents et exigences du poste résulte de changements dans les normes et objectifs de travail. Ces derniers peuvent survenir par exemple en raison d’une réorientation brutale des objectifs officiels de l’institution suite à un changement politique [64]. Lorsqu’un corps de fonctionnaires ou une administration connaissent de tels changements, il est souvent prévu pour ces agents désajustés au fil de leur carrière des programmes de reclassement voire, de façon plus brutale, des programmes disciplinaires [65]. Il est alors possible pour l’enquêteur de mobiliser les archives pour saisir la façon dont l’institution gère le réagencement et la production d’une nouvelle mise en correspondance des titres et des postes, comme le montrent par exemple les travaux sur Vichy ou l’épuration [66]. Des changements structurels peuvent aussi survenir avec l’évolution des façons mêmes d’envisager les modes de gestion des personnels. Aujourd’hui, ces situations de tensions se multiplient dans le contexte des réformes managériales qui viennent bouleverser les habitudes de travail. Les origines sociales des agents déjà en poste peuvent alors affleurer dans les confrontations avec l’encadrement. Yasmine Siblot explique comment le « sens pratique du service public [67] », tel qu’il a été construit par des guichetiers d’origine populaire sur le terrain, entre en décalage voire en opposition avec les nouvelles politiques d’accueil des publics dans les quartiers. En ébranlant la synchronie entre les schèmes de perception propres aux groupes sociaux les plus populaires et les définitions localisées du service public, certaines réformes contemporaines remettent en cause les accords sur le sens du travail tels qu’ils s’étaient stabilisés dans les services. Ces situations de décalage, liées à la managérialisation des services publics, se retrouvent aussi fréquemment à l’hôpital [68] ou dans divers établissements ou services sociaux. Si la dimension prescriptrice était par le passé quasiment absente du travail administratif [69] alors qu’elle s’accroît aujourd’hui, par le biais d’une évaluation de plus en plus quantitative du travail, cela peut s’expliquer par le fait que l’administration ne bénéficie plus du soutien fourni « par en bas » par les schèmes et dispositions de classe jusqu’ici enrôlés silencieusement pour les besoins du travail quotidien.

26Les situations de contradictions dispositionnelles sont donc diverses et peuvent résulter d’une modification des caractéristiques des agents recrutés ou d’une transformation des normes institutionnelles. Les deux mouvements jouent d’ailleurs souvent de façon concomitante en se renforçant l’un l’autre, comme le montrent les multiples travaux étudiant des cas de tensions générationnelles. Le sentiment de désajustement des anciennes générations découle en effet tout autant de la mise en cause de leurs pratiques professionnelles avec l’émergence de nouvelles formes de régulation du travail que de la confrontation aux nouvelles générations dotées de dispositions différentes. Dans le secteur social par exemple, les professionnels appartenant aux générations plus anciennes, souvent d’origine populaire, issus de formations du travail social et attachés à une vision militante du métier, se sentent en décalage vis-à-vis des nouvelles générations socialement plus élevées, scolairement plus dotées, issues de formations disciplinaires universitaires axées sur la gestion ou le droit et plus à l’aise avec les nouvelles procédures de travail. Émilie Biland montre par exemple que la politisation, au sens d’appartenance partisane et d’appropriation militante du rôle, n’a pas le même sens pour les différentes générations de cadres territoriaux et que cela façonne leurs manières de travailler avec les élus et les administrés et d’investir leur rôle (sur le mode du dévouement et de la disponibilité ou sur celui de la technicité) [70].

27Un programme de recherche possible consiste à analyser les effets sur les pratiques de ces désajustements et leur gestion par l’institution. Mais il ne faut pas pour autant conclure que les désajustements se soldent forcément par des sanctions ou des conflits. Au-delà des reclassements ou des « mises au placard » visibles et bruyantes, les écarts entre les dispositions importées et les attentes de l’institution donnent le plus souvent lieu à un travail d’ajustement spécifique, dans la continuité de la socialisation en poste décrite plus haut. Pour l’enquêteur, il importe de prêter attention à des éléments qui ne sont pas nécessairement présentés par les agents comme constituant le cœur du travail administratif mais qui sont cependant essentiels pour comprendre le fonctionnement d’une bureaucratie et ses mécanismes continus de resocialisation [71].

L’entrée par les marges. Étudier les conditions et les modalités du maintien en poste

28Une difficulté particulière réside dans l’analyse des modalités d’ajustement et de désajustement ordinaires, en dehors des moments exceptionnels d’arrivée dans le poste, de « crise » de l’institution ou de conflits déclarés. Partir de l’étude des « marges », qu’il s’agisse des positions reléguées et peu valorisées, ou des activités situées en marge du déroulement officiel de l’activité, est une stratégie d’enquête qui permet de travailler sur des modalités informelles d’ajustement a minima. Les agents en poste ne sont en effet pas tous totalement « ajustés » du point de vue de l’institution et la diversité des façons d’exercer son travail invite à s’interroger sur les modalités de maintien en poste des agents de l’État même lorsque leurs dispositions ne sont pas en totale concordance avec les exigences de la fonction.

29Les phénomènes de spécialisation et de « carrière horizontale », pour reprendre les termes de Becker quand il étudie la carrière des institutrices circulant d’un poste à l’autre tout en restant au même degré hiérarchique [72], permettent de penser les placements différenciés selon les trajectoires. L’orientation des agents au sein de la cotation implicite des emplois s’effectue aussi en fonction de la distribution invisible qu’opère l’ajustement pratique au poste, c’est-à-dire selon la conformation plus ou moins aisée aux attentes des postes administratifs. Christophe Charle en donne un exemple en établissant une typologie des différentes carrières des inspecteurs des finances à la fin du XIXe siècle selon leur origine sociale [73]. À l’autre bout de l’échelle sociale et professionnelle, dans l’univers hospitalier, Anne-Marie Arborio montre comment la carrière horizontale des aides-soignantes obéit à une logique institutionnelle mais répond aussi à des ressources sociales différenciées et pour partie héritées [74]. Les agents se sentant trop en décalage adoptent ainsi parfois d’eux-mêmes des stratégies pour changer de poste.

30Pour saisir ces processus d’ajustements informels et discrets, l’attention peut être portée sur les marges du travail proprement dit comme les moments de pause ou les plaisanteries, de plus en plus couramment étudiés par la sociologie du travail comme des temps révélateurs où s’apprennent les hiérarchies, les normes du groupe, les postures valorisées. Travailler les marges du travail administratif en les envisageant comme des espaces éventuels de resocialisation permet de ne pas perdre de vue ce que requiert en situation le travail administratif au-delà du seul respect des règlements. Ce qui se joue dans les marges du travail administratif le plus formel est souvent utile à l’institution pour s’assurer en dernier recours de la loyauté de ses agents et garantir le bon fonctionnement des services. Les résistances à l’institutionnalisation participent même parfois au processus de production de l’institution [75]. Ainsi, Sylvain Laurens a montré comment dans certains bureaux de l’administration des étrangers dans les années 1970, l’existence de marges de manœuvre peut servir les besoins les plus immédiats de l’institution et être intégrée à certains processus décisionnels. Comme l’attestent les mots griffonnés échangés entre les agents d’un même service et subsistant parfois dans les archives [76], l’expression de ces résistances ou de ces doutes n’est jamais totalement disqualifiée dans les interactions propres à l’instruction des dossiers. Les agents des ministères disposent parfois de suffisamment de marge de manœuvre pour que soient exprimées des remarques personnelles dans le cadre d’échanges internes et semi-privés avec leurs supérieurs. Ces formes de « dissidence licite [77] » ne sont pas une défaillance des attentes institutionnelles mais au contraire sans doute une condition nécessaire au maintien de l’illusio. L’existence de ces processus de resocialisation et de ces résistances collectivement contrôlées révèle combien le travail administratif doit continuellement « faire avec » (aux deux sens du terme) l’histoire incorporée des agents et ne repose pas seulement sur leur face « professionnelle ».

31Enfin, immergé dans un collectif de travail qui voit ses règles de travail évoluer, les agents même s’ils sont initialement ou progressivement désajustés peuvent engager un processus de conversion et de transformation volontaire [78], qui s’apparente à une « resocialisation professionnelle [79] ». Certains agents s’engagent par exemple volontairement dans des programmes de formation continue pour certifier sous une forme plus ou moins scolaire le fait qu’ils souhaitent rester dans la course d’une carrière modale malgré un décalage initial [80]. De façon plus générale, les formations continues jouent souvent un rôle important dans les conversions professionnelles. Ces processus volontaires d’ajustement ont été analysés dans le cas d’assistantes sociales qui, confrontées à leur mandat de surveillance des familles, ne pouvaient l’assumer sans mauvaise conscience du fait de leur propre origine sociale et de leur proximité passée avec les familles populaires. Confrontées à ces contradictions entre histoire incorporée et histoire institutionnelle et les vivant sur un mode douloureux, plusieurs ont engagé des tentatives de conversion aux nouvelles exigences de leur travail. Toutes n’ont pas abouti et la comparaison des cas de conversion réussie et de conversion inachevée permet de réfléchir aux conditions de possibilité de transformation des dispositions acquises antérieurement. Dans la continuité des travaux de Peter Berger et Thomas Luckmann [81], Delphine Serre montre que trois conditions sont nécessaires à la conversion. Le futur converti doit s’approprier des « rhétoriques de légitimation » qui lui offrent une nouvelle représentation de lui-même ; il doit disposer d’« appareils de conversation » avec des autrui significatifs, qui lui permettent de maintenir sa vision du monde ; et il doit participer à des « rituels de maintenance de la réalité » pour obtenir la reconnaissance nécessaire à la poursuite de sa conversion. Les assistantes sociales qui, après avoir été récalcitrantes face au recours à la justice y adhèrent finalement, remplissent ces conditions : elles intègrent des rhétoriques issues des savoirs du psychisme qui leur donnent des arguments légitimant cet acte, elles échangent régulièrement avec des pairs en cas de doutes et elles soumettent les cas qui leur posent problème à des commissions qui les soutiennent dans leur processus de transformation. La conversion suppose donc un discours à intérioriser, des personnes avec qui s’affilier, et des instances institutionnelles de validation. L’efficacité de ce processus de conversion dépend en outre – et c’est un facteur peu présent chez Berger et Luckmann – des trajectoires et des dispositions du converti éventuel. La réussite de la conversion implique des dispositions qui permettent de s’approprier les rhétoriques justifiant les nouvelles pratiques, soit par exemple une sensibilité à la psychanalyse, qui est socialement construite. Saisir ces éléments en entretien ou en observation suppose une attention particulière au vocabulaire mobilisé mais aussi aux pratiques culturelles nouvelles et revendiquées (comme la mise en avant de la lecture de livres ou de magazines fortement marqués par le vocabulaire psychologique dans le cas des assistantes sociales). Comme pour la socialisation en poste de début de carrière, l’efficacité de la resocialisation professionnelle dépend des dispositions initialement acquises et de la façon dont elles permettent une appropriation aisée ou pas de nouveaux schèmes de pensée et d’action.

32On ne peut imaginer un rapport de domination bureaucratique qui n’enrôle pas au quotidien et à des fins pratiques, si ce n’est l’ensemble de l’être social de ses fonctionnaires, du moins une part de leurs dispositions et de leurs expériences antérieures ou extérieures au travail. Peu visible en raison du mythe professionnel du fonctionnaire dévoué au service public, cet enrôlement bureaucratique des dispositions fait apparaître comme de simples « compétences » ou des « besoins professionnels » ce qui est de l’ordre du sens pratique. Le risque est grand dès lors pour la sociologie de l’État de méconnaître le travail administratif comme expérience de domination sociale renforçant ou disqualifiant des dispositions acquises avant l’entrée en fonction. On l’aura compris, nous défendons là l’idée que le chantier de recherche déjà ouvert par certains travaux pourrait être approfondi et systématisé : ne plus postuler que les mécanismes de l’action étatique résident dans les objectifs déclamés ou des référentiels mais plutôt s’intéresser à la façon dont le travail administratif actualise ou transforme les socialisations antérieures ou extérieures à l’entrée dans l’administration des agents. Ce premier moment de réflexion permettrait en retour d’analyser comment le fonctionnement bureaucratique prend constamment appui sur les dispositions des agents recrutés et consiste à les intégrer tout en les ajustant et les transformant en permanence.

33Faire le lien entre des représentations et des pratiques d’un côté, saisies au présent ou à travers leurs traces, et des socialisations antérieures qui ne sont plus directement accessibles de l’autre, reste une gageure, à tel point qu’elle est souvent invoquée pour justifier le renoncement à cet objectif d’analyse. Ces difficultés méthodologiques, bien réelles, partent cependant du postulat jamais discuté que les entretiens biographiques, en tant que restitutions des socialisations passées, seraient la seule façon de travailler sur les dispositions. Or cet outil ne prend sens qu’en lien avec d’autres modes de recueil de données et les travaux évoqués jusqu’ici montrent que de multiples dispositifs d’enquête peuvent être mis en place. Le lien entre une disposition et une pratique ne peut être solidement établi sur la base d’un seul portrait mais suppose le constat de récurrences dans un raisonnement délibérément comparatif. La compréhension des mécanismes d’ajustement est guidée par ce qui est connu de la trajectoire des enquêtés mais doit aussi être nourrie par des études statistiques, un travail sur archives, et la lecture d’autres enquêtes menées sur des agents aux parcours semblables et aux pratiques éventuellement proches. Les moments d’ajustement dispositionnel au poste, et les mécanismes qu’ils mettent en jeu, se saisissent dans le va-et-vient entre l’histoire sociale des enquêtés – histoire collective et non individuelle – et les interactions dans lesquelles ils sont pris.

34L’attention portée aux moments de rencontre entre dispositions des agents et processus de bureaucratisation pourrait potentiellement nourrir non seulement « une sociologie des agents de l’État » mais une sociologie de l’action publique au sens large en montrant comment intérêt public et intérêt privé, légitimation de l’action publique et formes privées de justification pour soi-même et pour les autres de son travail participent à la production de l’action publique. Si la sociologie politique ou la socio-histoire de l’État a depuis longtemps montré tout l’effet sur la société des catégories d’action publique [82], ce programme de recherche pourrait être prolongé en intégrant que ces mêmes catégories d’action publique ne peuvent être mises en œuvre sur le plan concret que par des agents porteurs de dispositions liées à des expériences sociales extérieures ou antérieures à l’entrée dans l’administration. L’analyse interne de l’État s’en trouverait dès lors décloisonnée et réarrimée au reste du monde social.

Notes

  • [1]
    Cet article est une version remaniée et enrichie des discussions qui ont suivi une intervention intitulée « Le travail des agents de l’État comme moyen d’interroger ses soubassements sociaux. Réflexions sur l’enrôlement administratif de dispositions issues de socialisations antérieures » au Congrès de l’Association Française de Science Politique le 11 juillet 2013 (dans la session « Saisir l’État à travers ses écrits ordinaires. Enjeux, méthodes, objets », organisée par Jean-Michel Eymeri-Douzans et Gildas Tanguy). Que les participants en soient remerciés.
  • [2]
    Cf. entre autres références dans une littérature abondante : Kesler (J.-F.), L’ENA, la société, l’État, Paris, Berger-Levrault, 1985 ; Kessler (M.-C.), Les grands corps de l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 1986 ; Tanguy (G.), Corps et âmes de l’État. Socio-histoire de l’institution préfectorale (1880-1940), Thèse pour le doctorat de Science Politique, Paris 1, 2009 ; Gervais (J.), La réforme des cadres de l’action publique ou la fabrique d’un « nouveau » corps des Ponts et Chaussées. Impératifs managériaux, logiques administratives et stratégies corporatistes (fin du XXe siècle), Thèse pour le doctorat de science politique, Université Lyon 2, 2007.
  • [3]
    Topalov (C.), dir., Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, Éditions de l’EHESS, 1999 ; Mathiot (P.), Acteurs et politiques de l’emploi en France (1981-1993), Paris, L’Harmattan, 2001 ; Payre (R.), Une science communale ? Réseaux réformateurs et municipalité providence, Paris, CNRS Éditions, 2007.
  • [4]
    Spire (A.), « Histoire et ethnographie d’un sens pratique : le travail bureaucratique des agents du contrôle de l’immigration », in Arborio (A.-M.), Cohen (Y.), Fournier (P.), Hatzfeld (N.), Lomba (C.), Müller (S.), dir., Observer le travail. Histoire, ethnographie, approches combinées, Paris, La Découverte, 2008.
  • [5]
    Dubois (V.), « Ethnographier l’action publique. Les transformations de l’État social au prisme de l’enquête de terrain », Gouvernement & action publique, 2, 2012, p. 84.
  • [6]
    Bongrand (P.), Laborier (P.), « L’entretien dans l’analyse des politiques publiques : un impensé méthodologique ? », Revue française de science politique, 55 (1), 2005.
  • [7]
    Chamboredon (H.), Pavis (F.), Surdez (M.), Willemez (L.), « S’imposer aux s’imposants », Genèses, 16, 1994.
  • [8]
    Musselin (C.), « Sociologie de l’action organisée et analyse des politiques publiques : deux approches pour un même objet ? », Revue française de science politique, 55 (1) 2005, pp. 64-65.
  • [9]
    Weller (J.-M.), L’État au guichet. Sociologie cognitive du travail et modernisation administrative des services publics, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
  • [10]
    Didier (E.), « “Compstat” à Paris : initiative et mise en responsabilité policière », Champ pénal/Penal field [En ligne], 8, 2011.
  • [11]
    Latour (B.), La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La Découverte, 2002, p. 8.
  • [12]
    Bourdieu (P.), « Droit et passe-droit. Le champ des pouvoirs territoriaux et la mise en œuvre des règlements », Actes de la recherche en sciences sociales, 81-82, 1990, p. 87.
  • [13]
    Bourdieu (P.), La noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Éditions de Minuit, 1989, p. 548.
  • [14]
    Biland (É.), « Les ambiguïtés de la sélection par concours dans la fonction publique territoriale. Une institutionnalisation inachevée », Sociologie du travail, 52 (2), 2010.
  • [15]
    Eymeri (J.-M.), La fabrique des énarques, Paris, Economica, 2001.
  • [16]
    Gally (N.), Le marché des hauts fonctionnaires. Une comparaison des politiques de la haute fonction publique en France et en Grande-Bretagne, Thèse pour le doctorat de science politique, Sciences Po Paris, 2012.
  • [17]
    Bourdieu (P.), Sociologie générale, vol. 1, Cours au collège de France 1981-1983, Paris, Le Seuil, 2015, p. 288.
  • [18]
    Dubois (V.), « Politiques au guichet, politique du guichet », in Borraz (O.), Guiraudon (V.), dir., Politiques publiques : changer la société, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 270.
  • [19]
    Dubois (V.), La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica, 2003 (2e éd.).
  • [20]
    Siblot (Y.), Faire valoir ses droits au quotidien. Les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences Po, Paris, 2006.
  • [21]
    Spire (A.), Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Paris, Raisons d’agir, 2008 ; Spire (A.), Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir, 2012.
  • [22]
    Elguezabal (E.), Verbaliser le client. Les contrôleurs du métro, Montreuil, Aux Lieux d’être, 2007 ; Thibault (M.), Ouvriers malgré tout. Enquête sur les ateliers de maintenance des trains de la Régie autonome des transports parisiens, Paris, Seuil, 2013 ; Schwartz (O.), « Sur la question corporative dans le mouvement social de décembre 1995 », Sociologie du travail, 39 (4), 1997.
  • [23]
    Cartier (M.), Les facteurs et leurs tournées. Un service public au quotidien, Paris, La Découverte, 2003.
  • [24]
    Langumier (J.), « Des ouvriers de la fonction publique d’État face aux réformes de modernisation. Enquête auprès des agents d’exploitation de la DDE », Sociétés contemporaines, 58 (2), 2005.
  • [25]
    Corteel (D.), « Devenir éboueur à la “Ville de Paris” et s’en accommoder. Éléments d’analyse des combinaisons possibles du métier et du statut » et Cartier (M.), Le Saout (R.), « Les conditions d’entrée dans la fonction publique territoriale. Enquête auprès d’agents de maîtrise du nettoiement à Nantes Métropole », in Cartier (M.), Retière (J.-N.), Siblot (Y.), dir., Le salariat à statut. Genèses et cultures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
  • [26]
    Avril (C.), Cartier (M.), Siblot (Y.), « Les rapports aux services publics des usagers et agents de milieux populaires : quels effets des réformes de modernisation », Sociétés contemporaines, 58 (2), 2005.
  • [27]
    Le terme de travail administratif tel qu’il est employé tout au long de l’article est une catégorie analytique qui désigne l’ensemble des tâches effectuées par un agent du public (tâches d’écriture, d’enseignement, d’accueil, d’information, etc.) et ne se réduit pas aux seuls actes « administratifs » aux yeux de l’administration ou des enquêtés eux-mêmes.
  • [28]
    Avril (C.), Cartier (M.), Serre (D.), Enquêter sur le travail. Concepts, méthodes, récits, Paris, La Découverte, 2010.
  • [29]
    Bourdieu (P.), Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Le Seuil, Points-Essais, 2000 (1972), p. 261.
  • [30]
    Plus couramment mobilisé pour analyser des métiers longtemps pensés comme « vocationnels », comme celui d’enseignant, ce principe d’analyse est peu fréquent en ce qui concerne les professions plus « administratives ». Nombreux sont les travaux qui, en sociologie de l’éducation, analysent la façon dont le rapport à leur propre origine sociale et expérience scolaire pèse sur les pratiques et conceptions pédagogiques des enseignants. Citons par exemple : Muel-Dreyfus (F.), Le métier d’éducateur, Paris, Minuit, 1983, chapitres 1 et 2 (sur les instituteurs de la Troisième République) ; Demailly (L.), « Contribution à une sociologie des pratiques pédagogiques », Revue française de sociologie, 26 (1), 1985 ; Geay (B.), « Les néo-enseignants face à l’utilitarisme », Actes de la recherche en sciences sociales, 184, 2010 ; Balland (L.), « Un cas d’école. L’entrée dans le métier de professeur d’une “enfant de la démocratisation scolaire” », Actes de la recherche en sciences sociales, 191-192, 2012.
  • [31]
    Serre (D.), Travail, pratiques et dispositions, mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches en sociologie, Saint-Quentin-en-Yvelines, 2012, pp. 222-233.
  • [32]
    Bourdieu (P.), Les méditations pascaliennes, Paris, Le Seuil, 2003 (1997), p. 237. Bourdieu évoque au moment de l’entrée dans un champ l’existence d’un « travail de socialisation spécifique ». Selon lui, « l’acquisition des dispositions spécifiques exigées par un champ s’opère dans la relation entre les dispositions primaires, plus ou moins éloignées de celles qu’appelle le champ, et les contraintes inscrites dans la structure du champ ». Nous remercions Mathieu Hauchecorne de nous avoir signalé ce point.
  • [33]
    Ils ne concernent que 8 % des embauches dans la fonction publique territoriale ; un quart des emplois du secteur public sont en 2010 des contrats de droit privé. Cf. Ernst (E.), « En 2010, 5,5 millions de salariés travaillent dans la fonction publique », Insee Première, 1442, 2013.
  • [34]
    Edel (F.), « Deux siècles de principe d’égale admissibilité aux emplois publics », Revue française d’administration publique, 142, 2012.
  • [35]
    Les concours de catégorie A (notamment l’ENA, le Quai d’Orsay ou les IRA) requièrent un niveau bac + 3, ceux de catégorie B le bac et ceux de catégorie C le BEPC ou aucun diplôme.
  • [36]
    Biland (É.), Israël (L.), « À l’école du droit : les apports de la méthode ethnographique à l’analyse de la formation juridique », Les Cahiers de droit, 52 (3-4), 2011.
  • [37]
    Cartier (M.), « Nouvelles exigences dans les emplois d’exécution des services publics. L’observation des épreuves orales du concours de facteur », Genèses, 42, 2001, p. 82.
  • [38]
    Eymeri (J.-M.), La fabrique des énarques, op. cit., 2001, pp. 21-22.
  • [39]
    De Castro Fontainha (F.), Les (en)jeux du concours : une analyse interactionniste du recrutement à l’École nationale de la magistrature, Thèse pour le doctorat de science politique, Université de Montpellier 1, 2011.
  • [40]
    Extraits de rapports de 1950 et 1956, cités par Boigeol (A.), « Les femmes et les cours. La difficile mise en œuvre de l’égalité des sexes dans l’accès à la magistrature », Genèses, 22, 1996, p. 118.
  • [41]
    Pour reprendre les propositions théoriques avancées dans le numéro 72 de la revue Genèses sur l’observation historique du travail administratif.
  • [42]
    Fortino (S.), La mixité au travail, Paris, La Dispute, 2002, pp. 98-99.
  • [43]
    Pruvost (G.), Profession : policier. Sexe : féminin, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2007, pp. 54-55.
  • [44]
    De Larminat (X.), Hors des murs. L’exécution des peines en milieu ouvert, Paris, Presses universitaires de France, 2014, p. 114.
  • [45]
    On pense par exemple au travail de Rachel Vanneuville sur l’École libre de science politique qui montre l’affinité existant entre goût bourgeois et goût pour l’anglais dans la formation : Vanneuville (R.), La référence anglaise à l’École libre des sciences politiques : la formation de “gentlemen” républicains 1871-1914, Thèse pour le doctorat de science politique, Université de Grenoble 2, 1999.
  • [46]
    Coton (C.), « Capital culturel et capital combattant dans le corps des officiers de l’armée de terre », Actes de la recherche en sciences sociales, 191-192, 2012, p. 17.
  • [47]
    Siméant (J.), Dauvin (P.), Le travail humanitaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 173.
  • [48]
    Darmon (M.), Classes préparatoires. La fabrique d’une jeunesse dominante, Paris, La Découverte, 2013, pp. 305-306.
  • [49]
    Quéré (O.), « La fabrique des cadres intermédiaires de la fonction publique. Enseigner et assigner un positionnement aux attachés dans les Instituts régionaux d’administration », Gouvernement & action publique, 4 (4), 2015.
  • [50]
    Laurens (S.), Une politisation feutrée. Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France (1962-1981), Paris, Belin, 2009.
  • [51]
    Bancaud (A.), La haute magistrature judiciaire entre politique et sacerdoce, ou le culte des vertus moyennes, Paris, LGDJ, 1993.
  • [52]
    Pénissat (E.), L’État des chiffres. Sociologie du service de statistique et des statisticiens du ministère du Travail et de l’Emploi (1945-2008), Thèse pour le doctorat de sociologie, Paris, EHESS, 2009, chap. 3.
  • [53]
    Biland (É.), « Les cultures d’institution », in Lagroye (J.), Offerlé (M.), dir., Sociologie des institutions, Paris, Belin, 2009, p. 192.
  • [54]
    Pudal (R.), « Du Pioupou au “vieux sarce” : ou comment en être : ethnographie d’une socialisation chez les pompiers », Politix, 93, 2011.
  • [55]
    Lahire (B.), L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Armand Colin/Nathan, 2001, p. 92 et s.
  • [56]
    Ce discours, courant en bas de la hiérarchie, est aussi tenu par les énarques eux-mêmes. Cf. Eymeri-Douzans (J.-M.), « L’État au quotidien. Éléments d’observation ethnographique du travail des énarques en administration centrale », in Eymeri-Douzans (J.-M.), Bouckaert (G.), dir., La France et ses administrations. Un état des savoirs, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 335-336.
  • [57]
    Lagroye (J.), « L’institution en pratiques », Revue suisse de science politique, 3-4, 2002, p. 123.
  • [58]
    Bourdieu (P.), La noblesse d’État…, op. cit., p. 263.
  • [59]
    Pasquali (P.), Passer les frontières sociales : comment les « filières d’élite » entrouvrent leurs portes, Paris, Fayard, 2014.
  • [60]
    Spire (A.), Accueillir ou reconduire, op. cit.
  • [61]
    Roussel (V.), « Les changements d’ethos des magistrats », in Commaille (J.), Kaluszynski (M.), dir., La fonction politique de la justice, Paris, La Découverte, 2007.
  • [62]
    Farges (G.), « Le statut social des enseignants français. Au prisme du renouvellement générationnel », Revue européenne des sciences sociales, 49, 2011, p. 174.
  • [63]
    Viguier (F.), « Maintaining the Class: Teachers in the New High Schools of the Banlieues », French Politics, Culture and Society, 24 (3), 2006.
  • [64]
    Meimon (J.), En quête de légitimité. Le ministère de la Coopération (1959-1999), Thèse pour le doctorat de Sciences politiques, Université Lille II, 2005.
  • [65]
    Mouralis (G.), Une épuration allemande. La RDA en procès 1949-2004, Paris, Fayard, 2008.
  • [66]
    Baruch (M.-O.), Azéma (J.-P.), Servir l’État français : l’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997.
  • [67]
    Siblot (Y.), Faire valoir ses droits, op. cit., p. 306.
  • [68]
    Belorgey (N.), L’hôpital sous pression. Enquête sur le « nouveau management public », Paris, La Découverte, 2010.
  • [69]
    Jeannot (G.), « Les fonctionnaires travaillent-ils de plus en plus ? Un double inventaire des recherches sur l’activité des agents publics », Revue française de science politique, 58 (1), 2008.
  • [70]
    Biland (É.), « Les transformations générationnelles de la politisation dans les collectivités territoriales », Politix, 96, 2011.
  • [71]
    Sur le cas des commissaires des R. G. voir Bonelli (L.), « Formation, conservation et reconversion des dispositions antisubversives. L’exemple des Renseignements généraux », in Tissot (S.), Gaubert (C.) et Lechien (M-H.), Reconversions militantes, Pulim, 2005, p. 79-104.
  • [72]
    Becker (H.), « The Career or the Chicago Public School Teacher », American Journal of Sociology, 57 (5), p. 470.
  • [73]
    Charle (C.), « Naissance d’un grand corps. L’Inspection des Finances à la fin du XIXe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, 42, 1982, p. 6.
  • [74]
    Arborio (A.-M.), Un personnel invisible. Les aides-soignantes à l’hôpital, Paris, Anthropos, 2001, pp. 261-291.
  • [75]
    Hmed (C.), Laurens (S.), « Les résistances à l’institutionnalisation », in Lagroye (J.), Offerlé (M.), dir., Sociologie des institutions, op. cit.
  • [76]
    Laurens (S.), « Les agents de l’État face à leur propre pouvoir. Éléments pour une micro-analyse des mots griffonnés en marge des décisions officielles », Genèses, 72, 2008.
  • [77]
    Pinto (L.), « Expérience vécue et exigence scientifique d’objectivité », in Champagne (P.), Lenoir (R.), Merllié (D.), Pinto (L.), Initiation à la pratique sociologique, Paris, Dunod, 1989, p. 47.
  • [78]
    Pour Bourdieu, la transformation est une possibilité d’évolution de l’habitus parmi trois, les deux autres étant l’usure liée à l’absence d’actualisation ou l’inertie. Bourdieu (P.), Méditations pascaliennes, Paris, Le Seuil, 1997, p. 190.
  • [79]
    Avril (C.), Cartier (M.), Serre (D.), Enquêter sur le travail…, op. cit., pp. 113-116.
  • [80]
    Sur le rôle de ces instances de certification internes à l’administration, voir par exemple les travaux en cours de Marion Obert sur le Centre des Hautes Études d’Administration Musulmane délivrant pendant plus d’un demi-siècle aux agents administratifs des certificats de connaissance des « musulmans » utiles dans différentes carrières administratives (notamment militaires et policières mais pas seulement).
  • [81]
    Berger (P.), Luckmann (T.), La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 2006 (1re éd. 1966).
  • [82]
    Cf. entre autres Noiriel (G.), La tyrannie du national, Paris, Calmann-Lévy, 1991 ; Buton (F.), L’administration des faveurs. L’État, les sourds et les aveugles (1789-1885), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009 ; Mazouz (S.), « « Mériter d’être français » : pensée d’État et expérience de naturalisation », Revue Agone, 40, 2008. URL : http://revueagone.revues.org/74.
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