Politix 2016/2 n° 114

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Article de revue

La culture du pauvre : un classique revisité

Hoggart, les classes populaires et la mobilité sociale

Pages 21 à 45

Notes

  • [1]
    Willis (P.), « Entrer dans la boîte noire de l’école », in L’école des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers, Marseille, Agone, 2011 (1re éd. 1977), p. 341-384. P. Willis est arrivé en 1968 au centre de recherches de Birmingham, que Richard Hoggart a co-fondé en 1964 et quitté dès 1969-1970, laissant la direction à son autre fondateur, Stuart Hall.
  • [2]
    Hoggart (R.), A sort of clowning, London, Chatto & Windus, 1990 et An Imagined Life, London, Chatto & Windus, 1992.
  • [3]
    Moulin (R.), « La culture du pauvre. À propos du livre de Richard Hoggart », Revue française de sociologie, 12 (2), 1971.
  • [4]
    Coornaert (M.), Cahiers internationaux de sociologie, 51, 1971.
  • [5]
    Verret (M.), « Sur la culture ouvrière », La Pensée, 163, 1972.
  • [6]
    Sur la place de cet intérêt dans la sociologie française de l’après-guerre, Chapoulie (J.-M.), « La seconde naissance de la sociologie française, les États-Unis et la classe ouvrière », Revue française de sociologie, 32 (3), 1991 ; Thuderoz (C.), Sociologie des entreprises, Paris, La Découverte, 2010 (1re éd. 1996), chap. 1 ; Vannier (P.), « Les caractéristiques dominantes de la production du Centre d’études sociologiques (1946-1968) », Revue d’histoire des sciences humaines, 1 (2), 2000. Les deux livres, parus la même année, de Serge Mallet (La nouvelle classe ouvrière, Paris, Le Seuil, 1963) et Pierre Belleville (Une nouvelle classe ouvrière, Paris, Julliard, 1963), leur retentissement et les débats qu’ils ont suscités (Chapoulie (J.-M.), Kourchid (O.), Robert (J.-L.), Sohn (A.-M.), dir., Sociologies et sociologues. La France des années 60, Paris, L’Harmattan, 2005, 3e partie) témoignent de cet intérêt des intellectuels de cette période.
  • [7]
    On le trouve, sous des formes certes diverses, chez Roland Barthes : Mythologies, Paris, Le Seuil, 1970 (1re éd. 1957) ; Edgar Morin : L’Esprit du temps, Paris, Grasset, 1962 ; Herbert Marcuse : L’homme unidimensionnel, Paris, Éditions de Minuit, 1968 (1re éd. 1964) ; Jean Baudrillard : La société de consommation, Paris, Gallimard, 1970.
  • [8]
    Sur la prégnance de cette figure de type « ouvriériste » dans l’imaginaire politique des intellectuels de ces années, Gobille (B.), Mai 68, Paris, La Découverte, 2009, chap. 1 ; Portis (L.), Les classes sociales en France. Un débat inachevé (1789-1989), Paris, Les Éditions ouvrières, 1988, chap. 9 ; Pudal (B.), « Le populaire à l’encan », Politix, 14, 1991 ; Saunier (P.), L’ouvriérisme universitaire, Paris, L’Harmattan, 1993.
  • [9]
    Ce point est notamment souligné par Jacques Revel dans les réflexions qu’il consacre rétrospectivement à la réception de l’ouvrage dans le contexte français des années 1970. Revel (J.), Préface, in Passeron (J.-C.), dir., Richard Hoggart en France, Paris, BPI-Centre Georges Pompidou, 1999.
  • [10]
    Passeron (J.-C.), « Présentation », in Hoggart (R.), La culture du pauvre, Paris, Éditions de Minuit, 1970, p. 14-15.
  • [11]
    Entretien inédit avec J.-C. Passeron réalisé par P. Pasquali le 18 novembre 2010 à Marseille.
  • [12]
    Passeron (J.-C.), « Richard Hoggart, écrivain et sociologue », in Passeron (J.-C.), dir., Richard Hoggart en France, op. cit.
  • [13]
    Neveu (É.), « La culture du pauvre », in Champagne (P.), Chartier (R.), dir., Pierre Bourdieu et les médias, Paris, L’Harmattan/INA, 2004.
  • [14]
    Derek Robbins a souligné de ce point de vue l’importance, dans un contexte de surpolitisation des débats intellectuels, d’importer en France un auteur qui avait aussi l’originalité de ne pas manifester de parti pris politique explicite, ce qui a d’autant plus favorisé son appropriation. Robbins (D.), Bourdieu and Culture, Londres, Sage, 2000, p. 124.
  • [15]
    Rigby (B.), « La “culture populaire” en France et en Angleterre : la traduction française de The Uses of Literacy », in Passeron (J.-C.), dir., Richard Hoggart en France, op. cit.
  • [16]
    Entretien avec Jean-Claude Garcias réalisé par P. Pasquali, le 12 mai 2015 à Paris.
  • [17]
    Hoggart (R.), Proletariato e industria culturale, Rome, Officina Edizioni, 1970 ; As Utilizaçaões da cultura, Lisbonne, Editorial Presença, 1973 ; La Cultura obrera en la sociedad de masas, Buenos Aires, Siglo Veintiuno Editores, 2013.
  • [18]
    Le concept de style de vie n’est présent dans aucune des éditions étrangères, qui ne sont par ailleurs pas dotées d’un index conceptuel, contrairement à la traduction française.
  • [19]
    Compagnon (A.), Les Antimodernes, de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris, Gallimard, 2005, p. 253.
  • [20]
    Dorin (S.), « La métaphore des racines : un obstacle à l’analyse sociologique des dynamiques culturelles », Politix, 74 (2), 2006.
  • [21]
    Hoggart (R.), The Uses of Literacy, Harmondsworth, Penguin Books, 1958 [1957], p. 306, deuxième note.
  • [22]
    Lahire (B.), « Analyse sociologique de soi et cousinages intellectuels. Autobiographe ou auto-analyste ? », Mouvements, 35, 2004.
  • [23]
    Passeron (J.-C.), « Richard Hoggart, écrivain et sociologue », art. cit.
  • [24]
    Passeron (J.-C.), « Que reste-t-il des Héritiers et de La Reproduction aujourd’hui ? », in Chapoulie (J.-M.) et al., Sociologues et sociologies…, op. cit.
  • [25]
    En 1972, selon Passeron (cf. « Mort d’un ami, disparition d’un penseur », Revue européenne des sciences sociales, 125, 2003.)
  • [26]
    Passeron (J.-C.), « Présentation de Marseille à Richard Hoggart, et vice versa », in Passeron (J.-C.), dir., Richard Hoggart en France, op. cit. « Richard Hoggart est bien l’écrivain qui a chronologiquement joué le premier rôle dans ma conversion à la sociologie », écrit Passeron (p. 49).
  • [27]
    Bourdieu (P.), « Le concept de culture (deuxième partie) », séminaire du CSE, 13 mars 1967, ronéo (p. 12 et 19-20 pour les citations). Nous remercions Madeleine Lemaire de nous avoir communiqué ce document. À l’inverse, lorsque Roger Chartier, en 1988, cite La culture du pauvre dans un entretien avec Bourdieu diffusé sur France Culture, ce dernier ne parle pas de Hoggart – silence éloquent – et sa réponse ne porte pas sur ce livre. Cf. Bourdieu (P.), Chartier (R.), Le sociologue et l’historien, Marseille, Agone, p. 48-49. De son côté, Hoggart n’a quasiment pas fait référence non plus à Bourdieu dans ses écrits autobiographiques, traduits ou inédits en français. On peut toutefois noter une allusion critique au sujet du peu d’empathie que ce dernier manifesterait dans ses travaux à l’égard des autodidactes. Cf. sur ce point Hoggart (R.), First and Last Things, London, Aurum Press, 1999, p. 119. En revanche, après la disparition de Bourdieu, Hoggart a salué son Esquisse pour une autoanalyse en louant « L’alliance d’une modestie délicate et d’un engagement rigoureux dans la vie intellectuelle » (Les Inrockuptibles, 426, 28 janvier-3 février 2004, p. 32.).
  • [28]
    Bourdieu (P.), « Le concept de culture… », doc. cit., p. 13-14.
  • [29]
    Grignon (C.), « Comment peut-on être sociologue ? », Revue européenne des sciences sociales, 123, 2002.
  • [30]
    Voir la préface de Jacques Revel au livre collectif édité par Passeron (op. cit.). Revel insiste sur l’importance de La culture du pauvre dans les renouvellements de l’histoire culturelle.
  • [31]
    Entre autres, Alonzo (P.), Hugrée (C.), Sociologie des classes populaires, Paris, Armand Colin, 2010 ; Bereni (L.), Chauvin (S.), Jaunait (A.) et Revillard (A.), Introduction aux études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, 2012 ; Cohen (A.), Lacroix (B.), Riutort (Ph.), dir., Nouveau manuel de science politique, Paris, La Découverte, 2009 ; Cuche (D.), La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 2010 ; Darmon (M.), La socialisation, Paris, Armand Colin, 2007 ; Mauger (G.), La sociologie de la délinquance juvénile, Paris, La Découverte, 2009 ; Siblot (Y.), Cartier (M.), Coutant (I.), Masclet (O.), Renahy (N.), Sociologie des classes populaires contemporaines, Paris, Armand Colin, 2015.
  • [32]
    Beaud (S.), Weber (F.), Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2010.
  • [33]
    Paugam (S.), dir., L’enquête sociologique, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 11.
  • [34]
    Williams (R.), « Working-Class Culture », Universities & Left Review, 2, 1957.
  • [35]
    La critique de Williams soulève une question qui, d’une autre manière, sera au centre des remarques de Michel Verret dans sa recension mentionnée plus haut de 1972, lorsque celui-ci souligne la quasi complète absence, dans l’ouvrage, de ce qui est vécu dans le travail et à l’usine. Rapports avec des militants, situations vécues dans le travail : Williams et Verret pointent l’un et l’autre deux types d’expériences, que l’on ne peut tenir pour négligeables, à partir desquelles se constitue la culture ouvrière, et dont il est très peu question dans La culture du pauvre.
  • [36]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 393.
  • [37]
    Pudal (B.), Prendre parti, Paris, Presses de la FNSP, 1989 ; pour un panorama récent des recherches mobilisant cette idée, cf. Leclercq (C.), Pagis (J.), « Les conséquences biographiques de l’engagement », Sociétés contemporaines, 84 (4), 2011.
  • [38]
    Thompson (E. P.), « Commitment in Politics », Universities and Left Review, 6, 1959 (citations p. 107-113).
  • [39]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 355.
  • [40]
    Steedman (C. K.), Landscape for a Good Woman, New Brunswick, Rutgers University Press, 2010 [1re éd. 1986]. Cf. sur ce point Eribon (D.), La société comme verdict, Paris, Fayard, 2013, p. 213-222.
  • [41]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 96.
  • [42]
    Lagrave (R.-M.), « Se ressaisir », Genre, sexualité & société [En ligne], 4, 2010, consulté le 18 mai 2015.
  • [43]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 117.
  • [44]
    Ibid., p. 117.
  • [45]
    Ibid., p. 119.
  • [46]
    Ibid., p. 124.
  • [47]
    Ibid., p. 138.
  • [48]
    Giraud (B.), Faire la grève, thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris 1, 2009, p. 497-498.
  • [49]
    Palheta (U.), « Luttes de classes, classes en lutte. Stratification scolaire et mobilisation anti-CPE dans un lycée polyvalent », Politix, 82 (2), 2008, p. 174-176.
  • [50]
    Mischi (J.), « Les militants ouvriers de la chasse. Éléments sur le rapport à la politique des classes populaires », Politix, 83 (3), 2008.
  • [51]
    Mischi (J.), « Savoirs militants et rapports aux intellectuels dans un syndicat de cheminots », Actes de la recherche en sciences sociales, 2013, 196-197, p. 145 sq.
  • [52]
    Avril (C.), Les aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014, chap. 6.
  • [53]
    Goulet (V.), Medias et classes populaires. Les usages ordinaires des informations, Paris, INA Éditions, 2010, p. 194, 196 et 365.
  • [54]
    Mayer (N.), « Des votes presque comme les autres », in Braconnier (C.), Mayer (N.), dir., Les inaudibles. Sociologie politique des précaires, Paris, Presses de Sciences Po, 2015. L’auteure met en évidence, chez plusieurs enquêtés, un « pouvoir d’attraction » de Marine Le Pen qui tient précisément au fait que celle-ci est vue par eux comme une exception par rapport à des acteurs politiques perçus comme totalement éloignés (« Elle, au moins, quand elle parle, on comprend ce qu’elle dit »).
  • [55]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 125.
  • [56]
    Ce qui ne signifie pas, on sait à quel point Hoggart y insiste, que celle-ci ne puisse pas donner lieu à la production de ressources propres, à des formes d’autoprotection et des moments de vie heureuse.
  • [57]
    Sur l’évolution de la mobilité sociale dans les classes populaires, Siblot (Y.) et al., Sociologie des classes populaires contemporaines, op. cit., p. 63-68. Cf. aussi Beaud (S.), Pasquali (P.), « Ascenseur ou descenseur social ? Apports et limites des enquêtes de mobilité sociale », Cahiers français, 383, 2014. Sur la diffusion – puis l’arrêt de celle-ci – de la propriété chez les ouvriers : Groux (G.), Lévy (C.), dir., La possession ouvrière. Du taudis à la propriété (XIXe-XXe siècle), Paris, Éditions de l’Atelier, 1993, chap. 4 ; Lambert (A.), « Tous propriétaires ! ». Politiques urbaines et parcours d’accédants dans les lotissements périurbains, 1970-2010, thèse pour le doctorat de sociologie, Paris, EHESS, 2012, p. 75-77 et p. 200-217.
  • [58]
    Maurin (E.), L’égalité des possibles, Paris, Le Seuil, 2002, chap. 2.
  • [59]
    Schwartz (O.), « Peut-on parler des classes populaires ? », La Vie des idées, 13 septembre 2011. En ligne : http://www.laviedesidees.fr/Peut-on-parler-des-classes.html.
  • [60]
    Eckert (H.), Avoir vingt ans à l’usine, Paris, La Dispute, 2006, chap. 4 et 7 ; Beaud (S.), Pialoux (M.), Violences urbaines, violence sociale, Paris, Fayard, 2003, chap. 9.
  • [61]
    Avril (C.), Les aides à domicile, op. cit., chap. 6.
  • [62]
    Cartier (M.), Coutant (I.), Masclet (O.), Siblot (Y.), La France des « petits-moyens ». Enquête sur la banlieue pavillonnaire, Paris, La Découverte, 2008, p. 306.
  • [63]
    Michelat (G.), Simon (M.), Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures, réalignements, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 139-155 ; Amossé (T.), Chardon (O.), « Les travailleurs non qualifiés : une nouvelle classe sociale ? », Économie et statistique, 393-394, 2006 ; Braconnier (C.), Mayer (N.), dir., Les inaudibles, op. cit., p. 105-109 et p. 264-265 ; Pelage (A.), Poullaouec (T.), « “Le haut du panier de la France d’en bas” ? », Revue française des affaires sociales, 2, 2007.
  • [64]
    Sur le thème du « décrochage », Beaud (S.), Pialoux (M.), Retour sur la condition ouvrière, Paris, La Découverte/Poche, 2012(1999), postface à l’édition de 2012, p. 456 sqq.
  • [65]
    Nous reprenons ce point à Siblot (Y.) et al., Sociologie des classes populaires contemporaines, op. cit., p. 96 sqq.
  • [66]
    Sur la « démocratisation ségrégative », Merle (P.), « Le concept de démocratisation d’une institution scolaire : une typologie et sa mise à l’épreuve », Population, 1, 2000, p. 15-50.
  • [67]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 348.
  • [68]
    Beaud (S.), 80 % au bac… et après ?, Paris, La Découverte, 2002.
  • [69]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 348.
  • [70]
    Ibid., p. 348.
  • [71]
    Ibid., p. 348.
  • [72]
    Cf., par exemple, Bendix (R.), Lipset (S.), Social Mobility in Industrial Society, London, Heinemann, 1959, p. 285-287, ainsi que Hollingshead (A.), Ellis (R.), Kirby (E.), « Social Mobility and Mental Illness », American Sociological Review, 19 (5), 1954.
  • [73]
    Parmi les francophones : Naudet (J.), Entrer dans l’élite, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 11-36 ; Pagis (J.), Mai 68, un pavé dans leur histoire, Paris, Presses de Sciences Po, 2014 ; Pasquali (P.), Passer les frontières sociales, Paris, Fayard, 2014 ; Peugny (C.), Le déclassement, Paris, Grasset, 2009. Parmi les anglophones : Lee (E.), Kramer (R.), « Out with the Old, in with the New ? Habitus and Social Mobility at Selective Colleges », Sociology of Education, 1 (86), 2013 ; Ingram (N.), « Within School and beyond the Gate: the Complexities of Being Educationally Succesfull and Working-class », Sociology, 2 (45), 2011.
  • [74]
    Cf. par exemple Amrani (Y.), Beaud (S.), Pays de Malheur !, Paris, La Découverte, 2004.
  • [75]
    Fossé-Poliak (C.), La vocation d’autodidacte, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 31-33. Notons que, dès les années 1970, Richard Sennett et Jonathan Cobb ont critiqué cette tendance et proposé un regard plus nuancé sur cette question dans leur ouvrage, inédit en français, The Hidden Injuries of Class, New York, Knopf, 1972.
  • [76]
    Pasquali (P.), Passer les frontières sociales, op. cit.
  • [77]
    Ibid., p. 353-376.
  • [78]
    Merllié (D.), Les Enquêtes de mobilité sociale, Paris, Presses universitaires de France, 1994 ; Strauss (A.), The Contexts of Social Mobility, New Brunswick, Aldine Transaction, 2006 (1971).
  • [79]
    Grignon (C.), « Des catégories aux hypothèses : la théorisation progressive », Revue européenne des sciences sociales, 142, 2008.
  • [80]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 374.
  • [81]
    Ibid., p. 354.
  • [82]
    Ibid., p. 354.
  • [83]
    Cf., entre autres, Mauger (G.), « Sens pratique et conditions sociales de la pensée pensante », Cités, 2 (38), 2009 et Schütz (A.), L’étranger, Paris, Allia, 2011 (1re éd.1944).
  • [84]
    Pasquali (P.), Passer les frontières sociales, op. cit., p. 377-395. Cf. aussi Naudet (J.), Entrer dans l’élite, op. cit. et, parmi les récents travaux anglo-saxons, Reay (D.) et al., « “Strangers in Paradise” ? Working-class Students in Elite Universities », Sociology, 6 (43), 2009.
  • [85]
    Silverstein (P.), « De l’enracinement et du déracinement : habitus, domesticité et nostalgie structurelle kabyles », Actes de la recherche en sciences sociales, 150, 2003.
  • [86]
    Dorin (S.), « La métaphore des racines… », art. cit.
  • [87]
    Lahire (B.), L’homme pluriel, Paris, Armand Colin, 1998.
  • [88]
    Granfield (R.), « Making It By Faking It: Working-Class Students In an Elite Academic Environment », Journal of Contemporary Ethnography, 20 (3), 1991.

1Dans un récent entretien paru dans la traduction française de Learning to labour, Paul Willis dit de Richard Hoggart qu’il est « très connu en France aujourd’hui, mais il est aussi très mal compris [1] ». Il fait ainsi allusion aux critiques, méconnues des lecteurs français, à l’encontre du « conservatisme » du père fondateur des cultural studies qui, dans son ouvrage majeur paru en 1957, The Uses of Literacy, et tout au long de sa vie, a porté un regard pessimiste, sinon désapprobateur, sur la pénétration croissante de la culture de masse et de la musique commerciale dans les classes populaires anglaises. Venant d’un ancien élève en rupture de ban, la critique est peu étonnante. Elle surprend, en revanche, quand on songe au contexte hexagonal, caractérisé par une réception globalement élogieuse et relativement consensuelle de ce livre devenu classique peu après sa traduction française, en 1970, sous le titre La culture du pauvre.

2Parce qu’il a la particularité de penser ensemble les conditions d’existence (économiques, culturelles, politiques) des classes populaires, leurs transformations au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et l’expérience vécue des « boursiers », ce livre a marqué, par sa richesse et sa finesse, plusieurs générations de sociologues, politistes et historiens français. Ses développements sur la part d’autonomie des univers culturellement dominés et sur la part de résistance opposée aux messages publicitaires sont restés célèbres, tout comme son portrait des « déclassés par le haut ». À distance aussi bien du théoricisme marxiste que des thèses sur la moyennisation des sociétés occidentales, Hoggart a bien des raisons d’être un auteur toujours lu et souvent cité. Mais il mérite aussi d’être discuté, et ses analyses interrogées, à la fois en elles-mêmes et pour l’usage qu’il est possible d’en faire aujourd’hui pour qui s’intéresse aux mobilités sociales et aux classes populaires. C’est à cet objectif que le présent article voudrait contribuer.

3Nous nous proposons donc, d’une part, de revenir sur les conditions et les enjeux, inséparablement intellectuels et politiques, qui ont présidé à l’importation et aux appropriations successives de ce livre dans les sciences sociales françaises depuis les années 1970, à l’aide de sources et de matériaux grâce auxquels on peut reconstituer la fabrique d’un « Hoggart français », en grande partie éloigné de ses réceptions dans les pays anglo-saxons. Il s’agira, ce faisant, de permettre des usages plus distanciés et mieux armés de ses analyses, en identifiant les pistes que ce livre a ouvertes, mais aussi celles qu’il a oubliées ou négligées. Nous souhaitons, d’autre part, contribuer à une réflexion sur les conditions sous lesquelles ce livre conserve une pertinence pour la société française d’aujourd’hui, quarante-cinq ans après sa traduction et soixante ans après sa première parution. Loin de nous le projet de démystifier un « grand nom », au prétexte que ses analyses seraient « datées ». L’exercice serait aussi vain qu’un hommage convenu à cette figure intellectuelle récemment disparue, le 10 avril 2014, à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. Nous voudrions plutôt plaider pour un rapport à la fois hoggartien et non hoggartien à Hoggart. Par là, nous aimerions contribuer, après et avec d’autres, aux renouvellements actuels des connaissances sur les trajectoires sociales ascendantes par l’École et sur les recompositions des classes populaires depuis les trois dernières décennies dans la société française. Après avoir vu comment La culture du pauvre est devenu un classique en France, nous reviendrons sur des critiques et des débats méconnus dont l’ouvrage a fait l’objet à sa sortie, notamment en Grande-Bretagne. Nous proposerons ensuite des pistes de discussion sur des aspects du livre, relatifs aux rapports de classe et aux mobilités sociales, qui méritent selon nous d’être réinterrogés à l’aune du contexte actuel de la société française.

Comment La culture du pauvre est devenu un classique

4À mi-chemin entre la littérature et la sociologie, l’ethnographie et l’auto-analyse, l’essai et l’enquête, La culture du pauvre est un livre au statut ambigu. Son auteur est lui-même difficile à classer, excepté sa qualité de spécialiste de littérature anglaise : il fut tour à tour enseignant dans des formations pour adultes, pionnier des cultural studies et co-fondateur d’un centre de recherches à Birmingham, haut fonctionnaire de l’UNESCO, professeur d’université et expert [2]. Si, de part et d’autre de la Manche, son livre est devenu un classique, c’est peut-être parce qu’il s’agit d’un texte et d’un auteur inclassables, propices à des réceptions protéiformes, sinon à des malentendus. Mais si l’ouvrage a si durablement marqué les esprits, c’est d’abord en raison de son originalité.

Un regard neuf sur les classes populaires et la mobilité sociale dans les années 1960-1970

5On peut mesurer l’événement qu’a représenté, pour la sociologie française, la parution de La culture du pauvre en 1970, à travers deux indices. D’une part, l’ouvrage a rapidement suscité des réactions chez un certain nombre de chercheurs sous la forme de comptes rendus dans des revues savantes. D’autre part, le livre était, par ses thèses comme par son style, particulièrement novateur dans le contexte intellectuel de l’époque en France.

6Peu après sa publication, le livre est salué par plusieurs sociologues français, qui soulignent son originalité et sa fécondité. Raymonde Moulin lui consacre une longue et élogieuse note de lecture dans la Revue française de sociologie[3], Monique Coornaert une recension circonstanciée dans les Cahiers internationaux de sociologie[4], Michel Verret une étude approfondie et nuancée dans La Pensée[5]. Quoique différentes par leur forme et leur contenu, ces recensions ont en commun d’insister sur deux aspects : l’importance des apports du livre sur la question des modes d’être des membres des classes populaires d’une part, les rapports entre cultures de classe et société globale d’autre part. La culture du pauvre est ainsi, pour R. Moulin, l’un des très rares livres au sujet des cultures populaires qui réussit à éviter à la fois « l’aristocratisme et le populisme » ; l’ouvrage rompt, par ailleurs, avec une clairvoyance « prophétique » selon elle, avec la thèse, alors répandue, de la résorption des différences et disparités culturelles dans les sociétés modernes sous l’effet de la « culture de masse ».

7Au-delà des revues savantes, il faut replacer ce livre dans le contexte politico-intellectuel de la période 1960-1970 en France pour comprendre ce qu’il avait d’objectivement novateur et en quoi il constituait un événement. De la Libération aux années 1960, la classe ouvrière a occupé une place éminente dans les préoccupations des intellectuels français, particulièrement chez les sociologues [6]. L’horizon marxiste était, par ailleurs, largement dominant parmi les intellectuels après 1968. On pourrait donc penser qu’un livre affirmant la persistance des différences matérielles et culturelles entre les classes sociales, dans les sociétés occidentales de l’après-guerre, n’introduisait rien de très original. Ce serait méconnaître cependant ce qui, dans La culture du pauvre, impliquait une profonde remise en cause d’idées reçues. On n’insistera pas ici sur la récusation du thème de l’homogénéisation culturelle, que développaient à l’époque de nombreux auteurs [7]. Ce qu’il faut davantage souligner, c’est que le livre innovait fortement aussi, à ce moment en France, par sa manière de parler du monde ouvrier et des classes dominées. En posant, tout d’abord, dès les premières pages que le « style de vie » dont il allait être question était partagé par tout un ensemble de couches modestes – que la traduction française allait appeler « classes populaires » –, il s’écartait de la représentation très ouvriéro-centrée des classes dominées qui prévalait en France depuis deux décennies. Par ailleurs, tout en consacrant une infinie attention au sens des comportements populaires et à leurs ressources propres, l’ouvrage se singularisait par un refus de l’héroïsation des classes populaires, à un moment où la tendance était forte, chez les intellectuels français, à croire en une « classe ouvrière » mobilisée et porteuse d’une « mission historique [8] ». Il suffit ici de songer, par exemple, à l’insistance de Hoggart sur le caractère minoritaire de l’engagement politique et sur la présence d’une forme de conformisme au sein des classes populaires. Enfin, et surtout, l’aspect le plus original de La culture du pauvre résidait dans le déploiement, au-delà ou en deçà de l’étude des classes populaires, d’une réflexion continue sur les obstacles à la compréhension des groupes dominés par les intellectuels. L’ouvrage ne cesse de montrer comment la relation des intellectuels aux classes populaires, lors même qu’elle prend la forme d’une volonté des premiers de connaître les secondes, se déploie sur le fond d’une distance sociale qui tend nécessairement à produire, dans le regard de ceux-là sur celles-ci, des distorsions, des incompréhensions, des biais : réactions ethnocentriques, ou au contraire représentations enchantées, sous-estimation de l’autonomie culturelle ou surestimation de la combativité politique, etc. Il n’existait guère d’équivalent, à cette époque, d’un décentrement du regard tel que celui que le livre opérait et qu’il exigeait des lecteurs. Il y a là d’ailleurs un fait que l’on peut être tenté d’oublier, maintenant que le livre est devenu un classique : l’ouvrage avait de quoi « dérouter » ses lecteurs [9], et sa pleine reconnaissance est en grande partie tributaire de ses appropriations savantes en France, au fil des décennies depuis sa parution.

Les appropriations savantes d’un « Hoggart français »

8Insister sur les contextes de réception de La culture du pauvre ne doit pas faire oublier que cette traduction est aussi le fruit d’une entreprise éditoriale qui, comme dans toute importation intellectuelle, s’inscrit dans des luttes et des stratégies dont le livre en lui-même n’est qu’un élément. Si le préfacier, Jean-Claude Passeron, ne cite pas de noms, on peut lire entre les lignes de sa présentation une critique radicale, d’une part des « mass-médiologues » (notamment Edgar Morin), d’autre part des marxistes (en particulier les althussériens), qui n’est que la poursuite par d’autres moyens d’un programme de recherche collectif propre au Centre de sociologie européenne (CSE) [10]. Directeur à la fois du CSE et de la collection « Le sens commun », aux prestigieuses éditions de Minuit, Pierre Bourdieu a joué un rôle crucial dans cette importation, ne serait-ce qu’en arrivant à persuader le patron des éditions de Minuit, Jérôme Lindon : ce dernier, comme le raconte J.-C. Passeron dans un entretien inédit [11], voyait en Hoggart « un Dickens du XXe siècle » obsolète et craignait un échec commercial.

9De là l’insistance de J.-C. Passeron, dans une préface qu’il jugera plus tard « chaussée de plomb sociologique [12] », sur la scientificité d’un livre apparemment étranger à la science, appuyée selon lui sur une « méthode » semblable à celle de Malinowski, sur « un inventaire ethnographique en sa forme la plus classique » et sur un « projet théorique » au fondement de « tout un corps d’hypothèses systématiquement reliées entre elles », préfigurant les travaux précurseurs de Herbert Gans, Peter Wilmott et Michael Young. Un rien amusé, J.-C. Passeron se souvient dans l’entretien précité de la réaction de Lindon à la lecture de sa préface : « Il m’a dit : “C’est de la broderie d’or sur un habit en guenilles !” » De là aussi un index, confectionné par J.-C. Passeron, qui forge des concepts et des catégories librement inspirés du texte original : « attention oblique » (« in an oblique way »), « consommation nonchalante » (terme absent du texte initial), « quête du salut culturel » (« the place of culture ») et « déclassés par le haut » (« anxious »), autant de termes qui sont aujourd’hui attribués à Hoggart lui-même.

10C’était sans doute le prix à payer pour, comme l’écrit Érik Neveu [13], « enrôler des alliés » et « acquérir de l’armement » contre les adversaires du moment [14]. Il en a résulté un livre accessible et agréable à lire, tiré d’un texte initial aussi dense qu’ardu, dont le sociologue anglais Brian Rigby a souligné les difficultés d’une traduction sans trahisons [15]. Tout ceci, bien sûr, s’est fait avec l’accord d’Hoggart, sur la base du travail de Françoise et Jean-Claude Garcias, deux jeunes anglicistes sollicités par Luc Boltanski (alors membre du CSE) qui s’emploient délibérément à reformuler certains passages d’un ouvrage « un peu gnian-gnian » à leur goût et « trop moraliste envers les ouvriers [16] ». Une comparaison systématique avec les éditions italienne, espagnole et portugaise montre que la française est, de loin, celle qui contient le plus grand nombre de coupes, d’élagages, de transpositions et de choix de traduction qui atténuent considérablement les jugements de valeur par rapport à l’édition originale [17]. Beaucoup moins littérale et intégrale que les autres, cette version est aussi la plus adaptée au pays importateur et au langage sociologique, c’est-à-dire aussi la plus sujette à des appropriations ad hoc et décontextualisées. Le titre lui-même, en jouant sur les deux sens de l’expression « du pauvre » (propre aux classes populaires/qualitativement altérée), comme le sous-titre (qui ajoute le concept wébérien de « style de vie »), sert autant à « naturaliser » un auteur étranger (à la France et à la discipline sociologique), selon l’expression de J.-C. Passeron, qu’à dénaturaliser les évidences les mieux partagées sur ce que « populaire » veut dire, quand on parle de classes ou de culture [18].

11Au-delà des enjeux intellectuels, l’intérêt de Bourdieu et Passeron pour Hoggart résidait aussi dans des affinités de trajectoire. Le dernier chapitre de La culture du pauvre, consacré au déracinement des « boursiers » et des « autodidactes », avait quelques raisons de parler à deux sociologues normaliens d’origine provinciale et populaire (père métayer, facteur puis receveur des Postes pour l’un, père employé et mère institutrice pour l’autre). D’autant que, à ce moment-là, chacun d’eux revenait à son monde d’origine, Bourdieu en étudiant le célibat paysan dans son Béarn natal, Passeron plus indirectement, à travers une recherche sur l’autodidaxie. En entretien, ce dernier raconte par ailleurs que, comme pour beaucoup de khâgneux de leur génération, l’opposition boursiers/héritiers, forgée en 1924 par Albert Thibaudet, « premier critique littéraire de l’entre-deux-guerres [19] », faisait partie de leur culture, tout comme les romans de formation, de Stendhal à Flaubert en passant par Nizan, où la mobilité sociale est au centre du récit. Le thème du déracinement, si présent dans les enquêtes ethnologiques de Bourdieu en Algérie, était en vogue depuis longtemps dans la culture littéraire française, de Barrès à Péguy en passant par Gide et Maurras, dont la « Querelle du Peuplier » sur les individus « transplantés » pouvait encore avoir quelque écho [20]. D’ailleurs, dans une note qui a disparu dans l’édition française, Hoggart évoque lui-même les « romans dont le protagoniste [est] un homme de classe moyenne déclassé [en italique et en français] […] [21] ». L’existence préalable d’un minimum de références ou de préoccupations communes à l’auteur et ses importateurs n’était sans doute pas pour rien dans leur collaboration ultérieure et, plus largement, dans la naissance d’un « cousinage intellectuel » reposant en partie sur un même intérêt pour l’auto-socioanalyse [22].

12Bourdieu et Passeron pouvaient être d’autant plus enclins à se reconnaître dans le portrait hoggartien du « boursier » qu’ils ont découvert Hoggart pendant la rédaction des Héritiers[23], dont le dernier chapitre de La culture du pauvre constitue à bien des égards le pendant. Ces résonances n’étaient pas seulement personnelles : en témoignent les nombreuses lettres, pleines d’émotion et de reconnaissance, qu’ils ont reçues d’anciens boursiers lecteurs des Héritiers[24]. C’est dire si la fabrication d’un « Hoggart français », loin de se réduire à une conjoncture ou à un « coup éditorial », est pour une part essentielle l’histoire de la rencontre de trajectoires analogues. On comprend mieux, du même coup, l’évolution contrastée des rapports de Bourdieu et Passeron à La culture du pauvre, lorsque leur binôme se défait, peu après la parution de La Reproduction[25]. De fait, seul Passeron a continué de se référer à Hoggart, et de plus en plus souvent, au point de l’estimer décisif dans son entrée en sociologie [26]. Bourdieu, en revanche − ce point, qui ne peut être développé ici, mériterait d’ailleurs explication −, s’est abstenu dans ses livres de citer un auteur qui était pourtant très présent dans ses séminaires au CSE avant 1968. Ainsi, le 13 mars 1967, il évoque longuement The Uses of Literacy, « une des rares bonnes descriptions de ce que c’est de vivre le monde comme ouvrier », retenant d’Hoggart l’idée « qu’il y a toute une logique, toute une syntaxe, toute une philosophie de l’existence […] bref toute une sociologie à faire de cet univers qu’on décrit [en général] de façon négative – quand on le décrit ! [27] ». Il ne tarit pas d’éloges :

13

« Hoggart a dû accéder à un certain type de culture académique – ce qui est assez miraculeux, c’est qu’il est professeur de littérature – pour se poser un problème académique : que lisent les ouvriers, question d’historien de la littérature. Par cette médiation, de proche en proche il a récupéré une expérience culturelle. C’est assez miraculeux. […] Le plus souvent, l’accès à la culture académique est vécu comme reniement de l’autre et le fait de mettre la culture académique au service de la culture – au sens ethnologique – non académique est quelque chose qui fait éclater [cette tendance] [28]. »

14Bourdieu renvoie alors dos à dos le racisme de classe et le populisme, deux écueils que, selon lui, tout sociologue se doit d’éviter, en suivant l’exemple « assez miraculeux » de cet intellectuel anglais de première génération. Paradoxalement, Hoggart va fonctionner ensuite comme référence pour un discours d’une tout autre nature, puisqu’il sera cette fois dirigé contre Bourdieu : il s’agit de la critique du « légitimisme » de La distinction formulée quinze ans plus tard par Passeron et un autre ancien collaborateur de Bourdieu, Claude Grignon, démissionnaire du CSE après l’élection de ce dernier au Collège de France [29]. Publié en 1989 mais élaboré dès 1982 dans un séminaire à l’EHESS sur les cultures populaires, Le Savant et le populaire marque une nouvelle étape dans les appropriations savantes d’un « Hoggart français ». Le changement de contexte politico-intellectuel se traduit par un autre usage de La culture du pauvre : le livre n’est plus une arme contre les mass-médiologues et certains marxistes, mais un antidote à ce qui est présenté comme des excès de la théorie de la légitimité culturelle. Cette appropriation a considérablement enrichi les débats et les résultats des sciences sociales. Mais, dans le même temps, elle a contribué à faire de ce « Hoggart français » un moyen d’examiner les limites d’autres approches, plutôt qu’un auteur lui-même soumis à la critique théorique ou empirique. Ce statut particulier tient sans doute à l’ambiguïté de son œuvre : comment revisiter une analyse mi-savante mi-littéraire, vieille d’un demi-siècle et si intimement liée à un vécu personnel, sans risquer l’anachronisme ou l’attaque ad hominem ?

15Sans approfondir ici les formes et les raisons de cette routinisation paradoxale (en ce qu’il s’agit d’un auteur qui, à l’origine, servait à déroutiniser les sciences sociales), notons qu’elle va de pair avec une visibilité éditoriale et académique croissante de Hoggart en France. Un premier indice est la parution en 1991, aux éditions Gallimard/Le Seuil/EHESS, dans une collection (« Hautes Études ») aussi prestigieuse que celle où avait été publié La culture du pauvre, du premier volume de son autobiographie, préfacé par Grignon, réédité en 2013 au format poche – signe de la reconnaissance durable accordée à l’auteur – dans la collection « Points » des éditions du Seuil. Un autre signe de cette tendance s’observe dans les références, toujours élogieuses, dont il est l’objet bien au-delà des sociologues, particulièrement chez des historiens comme Roger Chartier ou Jacques Revel [30]. Enfin, La culture du pauvre occupe désormais une place éminente dans des manuels de sociologie et de science politique, thématiques [31] ou généralistes. Dans ce dernier cas, le livre figure ainsi par exemple parmi les cinq ouvrages majeurs en langue anglaise que Stéphane Beaud et Florence Weber citent dans le Guide de l’enquête de terrain[32] (Outsiders de Howard Becker, Street corner society de William F. Whyte, Asiles d’Erving Goffman et Le Parler ordinaire de William Labov). Et, dès les premières pages du manuel de méthodologie dirigé par Serge Paugam, il sert à illustrer, aux côtés de Durkheim, la « rupture avec les prénotions [33] ».

Des chantiers à rouvrir : critiques oubliées et débats méconnus

16La banalisation progressive des références à Hoggart dans les sciences sociales françaises et l’absence relative d’usages critiques de son œuvre font courir le risque d’une routinisation des débats. Pour se prémunir des effets délétères d’une réception trop respectueuse, comme c’est souvent le cas avec des auteurs classiques, il nous semble nécessaire de rouvrir des discussions, aujourd’hui oubliées, que l’ouvrage avait suscité dès sa parution chez des historiens et des sociologues, notamment en Grande-Bretagne. Ce retour aux textes permet de dégager des limites et des potentialités heuristiques qu’une simple « relecture » du livre, pris isolément, ne suffit pas à déceler.

Rapports de classe, luttes politiques et mobilités sociales

17Raymond Williams a été le premier à avoir pointé les limites de The Uses of Literacy[34]. En 1957, il reproche d’abord à Hoggart d’avoir « pris la partie pour le tout » en érigeant en attributs de classe des traits culturels propres à des traditions régionales (celle du Nord de l’Angleterre). Hoggart aurait construit un « discours des classes populaires » dont l’existence ne va pas autant de soi, selon Williams, que le discours des classes moyennes et supérieures, qui sont selon lui davantage affranchies de leurs ancrages territoriaux. En somme, ce qui, chez Hoggart, s’apparente à une culture de classe relativement homogène, renvoie pour Williams à un fonds commun d’expériences culturelles hétérogènes que l’appartenance à une même condition sociale ne suffit pas à unifier. Faute de mesurer le poids de cette diversité interne, le modèle hoggartien présenterait donc une image simplifiée des rapports de classe.

18Williams pointe aussi l’opposition, trop schématique selon lui, que construit Hoggart lorsqu’il parle du rapport à la politique dans les classes populaires, entre une majorité à distance des luttes et une minorité politisée qui serait isolée, voire opposée aux intérêts majoritaires. Pour lui les militants, en dépit de leur petit nombre, ont précisément la particularité de défendre les intérêts de la majorité, de reformuler des valeurs individuelles ou familiales en action collective et, surtout, d’étendre des revendications sectorielles à des domaines plus larges. Ces minorités (que l’édition française de l’ouvrage tend à traduire par « déracinés », « déclassés » ou « autodidactes », sans toujours suivre le texte original) ne sont pas pour Williams extérieures aux classes populaires, mais au cœur même de leur quotidien et de l’élaboration de leur « culture [35] ». Il est vrai que même si Hoggart admet l’importance d’une longue tradition de résistance et d’émancipation ancrée localement dans des syndicats, des universités populaires et des clubs de lecture issus du travaillisme, il n’insiste guère sur leur rôle positif en dehors de quelques passages dans sa conclusion. En fait, ce désaccord entre Williams et Hoggart s’explique en partie par une différence d’approches sur la question des effets politiques des mobilités sociales ascendantes. Évoquant les conséquences potentielles de l’ouverture du système scolaire anglais, après les années 1950, aux enfants de famille modeste, Hoggart écrit dans sa conclusion à La culture du pauvre :

19

« Il n’est donc pas sans conséquences que la démocratisation relative de l’enseignement prive les classes populaires de leurs éléments les plus critiques et les plus actifs, et cela dans le moment même où ces classes auraient le plus grand besoin d’esprit critique pour se défendre contre certaines des influences les plus douteuses de la presse à grande diffusion [36]. »

20Pour Williams, cette vision est empreinte d’un pessimisme qui tend à exagérer non seulement l’ampleur des mobilités ascendantes, mais leur portée réelle sur la cohésion des classes populaires et sur la combativité du mouvement ouvrier. S’il reconnaît la pertinence des analyses que propose Hoggart des expériences individuelles, souvent douloureuses ou déroutantes, du changement de groupe social, il estime en revanche que, au plan collectif, ces expériences ne suffisent pas à ébranler le capital de conscience et de combativité politiques des classes populaires. Sans aller jusqu’à dire, comme le feront plus tard certains politistes [37], que le déplacement social peut favoriser, sous certaines conditions, un rapport critique au monde social et, dans certains cas, l’entrée dans une carrière militante, Williams considère donc, contrairement à Hoggart, que les conséquences politiques des ascensions sociales ne sont, au mieux, qu’individuelles et marginales.

Conceptions de l’histoire et analyse des transformations socioculturelles

21Le débat Williams/Hoggart cache une opposition entre deux traditions politiques (marxiste vs. social-démocrate). Il s’explique aussi par la présence dans l’ouvrage d’un schéma historique qui repose sur une partition discutable – visible dans le plan du livre – entre tradition (la culture des classes populaires) et nouveauté (les mass media, la publicité et la littérature grand public), qui tend parfois à magnifier les époques les plus lointaines. C’est cet aspect qu’Edward P. Thompson met en cause en 1959, dans un article où il brocarde ironiquement « les mésusages d’Hoggart [38] ». Reprochant à ce dernier de manquer de sources historiques et d’un corpus documentaire suffisants, il estime qu’il s’est rendu victime de préjugés évolutionnistes et d’une nostalgie à l’égard de l’ancienne classe ouvrière. Faute de prêter attention à l’histoire longue, Hoggart se serait enfermé dans des descriptions sentimentalistes qui minimisent les conflits internes et surévaluent l’importance de la famille dans la vie de cette classe, au détriment des sociabilités professionnelles et politiques.

22Les critiques de Thompson peuvent sembler sévères, mais elles ont le mérite de nous inviter aujourd’hui à relire La culture du pauvre en prenant du recul par rapport à ses appropriations françaises, particulièrement sur la question des capacités de résistance des classes populaires aux discours dominants. R. Moulin soulignait déjà, dans sa recension pourtant très élogieuse, que si Hoggart développe tout au long de son livre une critique très claire du thème de l’assujettissement des masses à la puissance des médias, il n’est pas sans céder lui-même à certains moments, dans la seconde partie, à une vision qu’elle juge « apocalyptique ». Au fil de l’ouvrage, surtout dans la version originale, il se montre en effet de plus en plus pessimiste sur la situation, à l’avenir, des classes populaires face aux « tentations » de la « culture de masse ». De ce point de vue, son chapitre sur les « déracinés » constitue moins l’aboutissement logique du raisonnement exposé tout au long du livre, qu’une sorte d’excursus paradoxal où, parlant désormais des mobilités sociales, Hoggart semble suspendre, sinon contredire, sa thèse principale : les souffrances des « boursiers » et des « autodidactes » sont là pour incarner dans ses formes extrêmes la menace d’altération sociale, culturelle et politique que feraient peser, sur les classes populaires et sur la société entière, les discours de la modernité libératrice et de la société sans classe, dont font justement partie les célébrations consensuelles des ascensions individuelles. De là ces passages où Hoggart verse dans une nostalgie non dénuée de populisme, comme ici :

23

« S’il était né trente ans plus tôt, [le boursier] n’aurait pas fait d’études, mais il aurait eu le destin de ces personnalités populaires qui alliaient à l’intelligence l’énergie et l’initiative permettant de survivre et se faire respecter dans la jungle des taudis. […] Il a perdu l’allant et l’insouciance du gavroche, sa promptitude à sauter sur l’occasion, sa hardiesse et son insolence, sans acquérir pour autant l’assurance […] du jeune bourgeois élevé dans une école privée [39]. »

24Une autre critique formulée en Grande-Bretagne dès les années 1980 mérite d’être mentionnée : elle vient de chercheuses féministes qui ont reproché à Hoggart sa vision parfois très conservatrice des rapports de genre en milieux populaires, mais aussi l’absence des femmes dans le chapitre sur les « boursiers » et les « autodidactes », comme l’a souligné en 1986 l’historienne anglaise Carolyn Steedman, militante féministe d’origine populaire [40]. Hoggart ne pouvait certes guère anticiper, en 1957, les effets de la féminisation des systèmes scolaires occidentaux et l’essor des mouvements féministes en Europe dans les années 1960-1970. Mais, quelle que soit l’époque considérée, ses descriptions de la vie de famille dans les classes populaires sont marquées par un certain essentialisme, qui apparaît dans le portrait de la mère s’identifiant toujours pleinement à sa fonction domestique et familiale, et dans celui du père « maître chez lui [41] ». À rebours de ces figures, Steedman évoque l’histoire de sa propre mère, aux antipodes de l’image de la « bonne mère », et affirme que bien des pères en milieux populaires peuvent s’avérer absents, faibles ou lâches. Ce renversement de perspective invite à repenser la place du genre dans les mobilités sociales, dans le sillage des réflexions de Rose-Marie Lagrave au sujet des auto-analyses de Bourdieu et de Didier Eribon : « [Leurs] trajectoires ne sont pas ressaisies à partir de leur position d’homme, mais fréquemment à travers le prisme de la réussite et de la consécration sociale. Or, tout laisse penser que les réseaux sociaux et culturels qu’ils ont su construire autour d’eux […] ne sont pas étrangers aux ressources détenues ou accumulées en tant qu’homme, et que souvent les femmes ne détiennent qu’à travers des hommes [42]. »

Pour un usage réflexif du modèle hoggartien : deux pistes de discussion

25Pour qui veut étudier de façon compréhensive les mobilités sociales en milieux populaires, La culture du pauvre est un livre clé. Il comporte des passages essentiels sur le rapport au monde des « autres », le sens de l’appartenance au groupe et les attitudes face au présent et à l’avenir. Ces aspects, comme le portrait du « boursier », sont restés célèbres. Mais, statut de classique oblige, ils sont plus souvent cités que discutés, alors qu’une discussion s’impose compte tenu de la place de Hoggart dans les sciences sociales françaises : qu’apportent ses analyses sur le rapport des membres des classes populaires à leur appartenance et au monde des « autres » ? Que signifie pour eux le franchissement des frontières sociales comme perspective ou comme expérience ? Quelle pertinence ont ses analyses pour étudier la société française d’aujourd’hui ? Nous souhaitons contribuer à cette réflexion en nous concentrant sur deux points importants du livre : la structure « Eux »/« Nous », analysée au chapitre 3, et le portrait du « boursier » dans le chapitre final.

Les conditions de validité du « Eux »/«Nous » hoggartien

26On le sait : selon Hoggart, l’opposition « Eux »/« Nous » régit fortement la manière dont les membres des classes populaires se perçoivent et vivent leurs rapports avec les autres groupes. « Eux » est un « personnage aux cent visages, produit de la transposition urbaine de l’ancienne relation entre la chaumière et le château », écrit Hoggart [43]. Ce « monde des autres », selon lui, est « d’abord celui des patrons [44] » et, plus largement, de tous ceux qui sont « au-dessus du panier », ceux qui ont pouvoir sur « nous », et que la société traite toujours mieux que « nous ». Hoggart souligne le caractère très englobant de la catégorie « Eux » dans les taxinomies populaires : « Eux », ce sont aussi ceux qui ont un statut simplement plus élevé (petits fonctionnaires, instituteurs, assistantes sociales, policiers), et qui sont perçus comme « des serviteurs pour les classes aisées [45] » ; les seuls, dans cet ensemble, qui ne soient pas considérés comme appartenant au monde des « autres » sont ceux avec lesquels existent des relations personnalisées. « Nous », ce sont les ouvriers, les employés, les « petites gens », y compris ceux qui ne sont pas nécessairement « tout en bas » mais pour qui la vie est dure et comporte peu de promesses. Même si, quand l’occasion se présente, une « fierté outragée » reprend le dessus pour montrer qu’« on a sa dignité [46] ».

27Cette opposition exerce, selon Hoggart, deux types d’effets sur les expériences vécues des membres des classes populaires. En premier lieu, un sentiment extrêmement vif de coupure : d’« eux » il n’y a rien de positif à attendre, ils chercheront toujours à « nous » dominer ou à faire passer leurs intérêts avant les nôtres ; la meilleure attitude vis-à-vis d’« eux » est de limiter au maximum les contacts, de préserver sa dignité en face d’« eux », surtout de maintenir sa distance face à tout ce qui vient d’« eux ». Le second effet consiste dans un sentiment, ici encore très vif selon Hoggart dans les classes populaires, d’appartenir à un même groupe, un même ensemble, de constituer un « nous » unifié par « l’acceptation en commun des conditions communes de vie [47] ». Cela ne signifie pas qu’il y ait présence, chez la plupart des membres de ces classes, d’une forme politisée de conscience de classe : on a vu plus haut que Hoggart est peu porté à accepter une telle idée. Ce sentiment passe par d’autres mécanismes, en particulier par la force des liens quotidiens de sociabilité et d’entraide au sein des groupes concrets (le voisinage particulièrement), liens qui sont eux-mêmes le produit du partage de conditions de vie difficiles et de la rareté des perspectives d’évasion sociale.

28La question que nous souhaitons poser est la suivante : pour qui étudie les classes populaires dans la société française actuelle, quelle valeur présente une telle grille de description ? Un constat essentiel s’impose tout d’abord. Les enquêtes récentes menées en France dans les milieux populaires livrent maints exemples de perceptions du monde social relevant clairement de la structure « Eux »/« Nous », même si les formulations peuvent différer. D’un côté, un pôle subalterne de l’espace social ou du monde du travail, auquel les enquêtés ont le sentiment d’appartenir ; de l’autre, un pôle du haut, pouvant s’incarner dans diverses figures (patrons, dirigeants, cadres, acteurs politiques, intellectuels, hauts diplômés…) ; par rapport à ce dernier pôle, des enquêtés manifestant de forts sentiments de coupure, de défiance, voire d’antagonisme (le haut est perçu comme nettement éloigné du bas ainsi que peu soucieux, peu respectueux de celui-ci). On peut donner de nombreux exemples d’occurrences d’une telle structure repérées au cours des enquêtes : perceptions d’ouvriers, à l’occasion d’une enquête en usine, à propos des comportements des patrons [48], vision des employeurs chez des jeunes des sections professionnelles d’un lycée polyvalent [49], vision des strates supérieures chez des ouvriers ruraux [50], ambivalence d’ouvriers syndicalistes à l’égard des intellectuels [51], sentiments d’employées dans une association d’aide à domicile à l’égard de la direction de la structure et des personnes à hauts diplômes [52], sentiments d’habitants d’une cité à l’égard du monde du « haut [53] », perception des responsables politiques chez des enquêtés appartenant au monde des précaires [54].

29Ces constats suffisent-ils pour autant à régler la question de l’usage qui peut être fait aujourd’hui de ce modèle ? La réponse, selon nous, est négative. Des différences, qui ne sont pas secondaires, nous séparent du contexte dans lequel Hoggart écrit et du modèle qu’il élabore à partir de celui-ci. Deux raisons notamment obligent à s’écarter de l’analyse hoggartienne.

30La première tient à la forme de la condition populaire telle qu’elle se présente dans La culture du pauvre. Celle-ci présente une double caractéristique. Elle n’offre, en premier lieu, que très peu de chances d’évasion sociale, et plus largement de maîtrise de l’avenir ; les espérances d’ascension, que ce soit au sein de la condition populaire ou en en sortant, y sont très faibles. Elle se caractérise, en second lieu, par un univers de vie des classes populaires fortement coupé du monde extérieur : le quartier est l’espace central de la vie quotidienne, tandis que la sociabilité, qui est à la fois riche et routinisée, est pour l’essentiel circonscrite à la famille, au groupe local, à l’entre-soi. Hoggart souligne ainsi « l’importance accordée aux relations de bon voisinage, de camaraderie et de coopération » chez les membres des classes populaires [55]. Cette combinaison d’aspects, caractéristique de la condition d’une grande partie du monde ouvrier des années 1950, est fondamentale dans la condition populaire hoggartienne [56]. Or, sur ce double plan, celle des classes populaires dans la France d’aujourd’hui ne saurait à l’évidence être décrite en ces termes. D’une part, les possibilités d’ascension sociale offertes aux membres des milieux populaires dans la société française d’aujourd’hui se sont élargies (moindre soumission à la reproduction sociale, démocratisation scolaire, diffusion de l’accès à la propriété du logement et à l’habitat pavillonnaire), même si l’on ne saurait oublier que ces ascensions sont souvent de faible ampleur, ni surtout que cette tendance, à partir des années 1990, a largement cessé de se poursuivre [57]. D’autre part, les relations des membres des classes populaires avec le monde extérieur se sont considérablement accrues, que ce soit par suite de l’ouverture de plusieurs catégories de biens à la consommation de masse, de la tertiarisation des emplois qui conduit aujourd’hui une grande partie des membres de ces classes à travailler au contact d’usagers ou de clients [58], de la pénétration de l’école dans le quotidien des jeunes et des familles, ou de la place occupée par les médias dans leurs univers de vie [59].

31Ces transformations n’ont certes pas atteint les diverses fractions populaires de manière uniforme, et leurs effets ne sont pas univoques. Elles n’en ont pas moins été suffisamment durables et profondes pour affecter la manière dont la structure « Eux »/« Nous » fonctionne aujourd’hui en France dans ces classes, et de ce point de vue elles nous éloignent de Hoggart. Tout d’abord, le « Eux »/« Nous » des classes populaires hoggartiennes s’inscrit dans un rapport au monde social où ce n’est pas seulement avec « eux » qu’il y a clivage objectivement et subjectivement ; il y a, plus largement, coupure forte avec l’ensemble du monde extérieur. Le « Eux »/« Nous » des milieux populaires dans la société française d’aujourd’hui a de grandes chances de s’inscrire dans des rapports au monde social fonctionnant différemment, où le clivage avec le « eux » coexiste avec des relations, des contacts plus développés et nombreux – et qui peuvent l’être dans certains cas nettement plus – avec le monde extérieur. De cette manière déjà, le modèle hoggartien apparaît désajusté. Par ailleurs, dans celui-ci, la condition populaire étant fortement verrouillée, le clivage « Eux »/ « Nous » structure les relations de l’ensemble des membres des classes populaires avec l’ensemble des groupes plus élevés ; ceux-ci font nécessairement, en bloc, partie du « eux », vis-à-vis desquels « nous » devons maintenir nos distances. Dans les enquêtes effectuées dans la France d’aujourd’hui en revanche, où une partie des membres des catégories populaires est relativement dotée en ressources, les données font apparaître, chez ceux qui présentent de telles caractéristiques, des logiques nettement plus ambivalentes. De jeunes ouvriers professionnels possédant un « bac pro » recherchent la proximité avec le monde des techniciens [60]. Des aides à domicile possédant certaines ressources sociales recherchent la proximité avec des personnes âgées et des employées de bureau proches de la petite bourgeoisie [61]. Des « petits-moyens » accédant à la propriété dans un quartier pavillonnaire disent leur satisfaction d’avoir réduit l’écart avec les autres groupes sociaux, de pouvoir vivre « comme les autres » [62]. À l’égard des groupes plus élevés, lorsque leur position n’est pas très éloignée de la leur, les membres des classes populaires en ascension dans la société française d’aujourd’hui sont susceptibles de manifester des désirs, non de maintien pur et simple des distances, mais au contraire de réduction des écarts. Cela ne signifie pas qu’ils n’aient pas leurs formes de distance par rapport à ces derniers, liées à la permanence des frontières qui continuent à les séparer d’eux ; mais leurs aspirations sont aussi au rapprochement avec eux ; les deux tendances coexistent.

32La seconde raison obligeant à s’écarter du modèle hoggartien est que des données et analyses convergentes font apparaître que, dans la France d’aujourd’hui, la force du sentiment d’appartenir à un même groupe, de partager un même destin collectif, qui est si centrale dans La culture du pauvre, ne va plus de soi au sein des classes populaires. La constitution de sentiments d’appartenance à une même condition ou une même classe est devenue, dans les groupes les plus dominés, sensiblement plus difficile que ce que l’on observait dans les années 1950-1970. Qu’il s’agisse des ouvriers, des « travailleurs non qualifiés », des populations les plus précaires, des mécanismes de divers types, dont l’existence n’est en soi pas nouvelle mais dont le poids est aujourd’hui particulièrement fort, tendent à affaiblir la possibilité de se rattacher subjectivement à des « nous » consistants [63]. Les causes de ce phénomène ont été abondamment décrites : dégradation des relations d’emploi et de travail, concurrence entre individus ou repli sur la famille et sur soi dans des situations de vulnérabilité de plus en plus fréquentes, dévalorisation du statut d’ouvrier, tensions entre générations, ethnicisation des rapports sociaux, etc. Ces évolutions n’impliquent pas que le « nous », dans les classes populaires, ait été détruit, mais il est à la fois plus incertain, plus complexe et plus fragile.

33Que conclure, dès lors ? Ce qui précède ne signifie pas que la pertinence du « Eux »/« Nous » hoggartien pour aborder la société française d’aujourd’hui serait finalement faible. Les exemples cités plus haut plaident déjà en sens contraire. Surtout, si l’on considère l’ampleur du « décrochage » vers le bas subi depuis les années 1980-1990 par une partie des classes populaires sous l’effet du chômage et de la précarité [64], la perduration le plus souvent, dans la condition des ouvriers et des employés, des traits les plus classiques du « travail subalterne [65] », le caractère socialement ségrégatif qui n’a cessé d’accompagner la démocratisation scolaire [66], il y a tout lieu de supposer que la structure « Eux »/« Nous » continue de correspondre à une forme de rapport au monde social répandue dans les milieux populaires de la France d’aujourd’hui, et qu’en ce sens elle demeure une grille d’analyse pertinente.

34Les évolutions précédemment évoquées ont en revanche une autre conséquence. Elles signifient que de très substantielles différences existent entre les formes que revêt cette structure dans le modèle de condition populaire décrit par Hoggart, et celles qu’elle est susceptible de prendre dans la France d’aujourd’hui. À la différence du modèle hoggartien, le « Eux »/« Nous » des classes populaires dans l’actuelle société française doit être pensé dans le cadre de classes populaires fortement différenciées socialement, au sein desquelles certaines fractions sont relativement dotées en ressources sociales ; on a vu les effets qui peuvent en résulter sur les relations de celles-ci avec les groupes plus élevés. À la différence de ce modèle encore, le « Eux »/« Nous » des classes populaires dans la société française d’aujourd’hui s’inscrit dans des relations nettement accrues des membres de ces classes avec le monde extérieur. Enfin, dans un contexte où le rattachement subjectif des individus à des « nous » est devenu plus fragile et incertain dans les classes dominées, l’ancrage au sein de celles-ci d’une telle structure de perception ne peut guère avoir la force que lui reconnaissait Hoggart. La grille hoggartienne ne peut donc conserver sa valeur qu’à la condition de ne pas oublier ce qui nous en sépare, et les effets qui en résultent sur les formes sous lesquelles elle fonctionne. En somme, sur cette question, il faut se tenir près, mais aussi à distance de Hoggart.

Déracinement ou déplacement ? Du boursier hoggartien aux boursiers contemporains

35Un autre point mérite débat : l’analyse des effets et des expériences vécues de l’ascension sociale dans La culture du pauvre. Ce point est abordé par Hoggart principalement à travers la question des difficultés d’adaptation des personnes qui s’élèvent socialement par le biais de l’École ou de pratiques culturelles en dehors des cadres scolaires. De là la place éminente, à la fin du livre, de la figure du « boursier » et, dans la version française, de celle des « déclassés par le haut » que les traducteurs ont rendu par « autodidactes ». Par « boursier », Hoggart entendait « tout garçon d’origine populaire, qui grâce au système des bourses, poursuit ses études jusqu’à l’université [67] ». Il est bien sûr nécessaire d’actualiser cette définition à l’aune des changements survenus, de part et d’autre de la Manche, dans l’enseignement secondaire (allongement des carrières scolaires et banalisation du statut de lycéen) et les universités (forte féminisation et massification des effectifs, dégradation de la valeur des cursus universitaires au profit des écoles, petites ou grandes) depuis la sortie de The Uses of Literacy[68]. Mais il nous paraît plus nécessaire encore d’examiner à nouveaux frais la tendance, visible chez Hoggart, à établir une équivalence entre déplacement social et déracinement.

36Pour Hoggart, les (rares) ascensions sociales que connaissent des personnes issues des classes populaires favorisent un rapport profondément ambivalent au monde social et à soi-même, source de tensions et de dilemmes. Le boursier, écrit-il, « est amené à entrer en conflit, un jour ou l’autre, avec son entourage familial. Il se trouve en effet au point de rencontre et de friction de deux cultures » et « apprend vite à utiliser deux accents, peut-être même à se composer deux personnages et à obéir alternativement à deux codes culturels [69] ». Certes, explique-t-il, ces cas de dédoublement ne sont pas toujours synonymes de déviance ou de troubles psychiques. « Tous les “déclassés par le haut” ne sont pas des névrosés, même si tous connaissent une expérience de l’anxiété », prévient-il ainsi [70]. Conscient du « risque de donner une importance indue au phénomène pathologique [pris] pour objet », Hoggart prenait donc soin de souligner la spécificité des « cas où le déracinement a été particulièrement pénible » par rapport à ceux des boursiers « tout à fait à l’aise dans leur peau » ou qui ont atteint un « équilibre relatif » entre leur nouvel univers et leur milieu d’origine [71]. Ces précautions étaient salutaires à une époque où les spécialistes de la mobilité sociale, notamment aux États-Unis, consacraient maintes études à démontrer des corrélations entre mobilité sociale et pathologies mentales [72]. Reste que, une fois posées, ces nuances disparaissent aussitôt dans le portrait du boursier qu’il dresse minutieusement dans les pages suivantes.

37Les analyses d’Hoggart sur les expériences du déplacement social présentent encore aujourd’hui un grand intérêt, si l’on en juge par les récents travaux sur la question, francophones ou anglophones [73]. Son portrait du boursier conserve ainsi une évidente validité dans les cas où le déplacement social s’accompagne non d’un éloignement, mais d’une rupture durable avec les liens, les habitudes et les repères originels. Cependant, deux raisons au moins imposent de se tenir, ici aussi, à la fois près et à distance d’Hoggart. D’une part, les changements structurels évoqués plus haut, et notamment la banalisation relative pour les générations les plus récentes des contacts prolongés avec la culture scolaire, invitent à prendre davantage au sérieux la réflexivité et les marges de manœuvre [74] dont disposent ceux qui franchissent les frontières sociales, au lieu de privilégier, comme le choisit Hoggart, une analyse exclusivement en termes de tensions subies et inconscientes.

38De ces marges de manœuvre, il n’est guère question dans La culture du pauvre. Cela n’est pas sans lien avec la structure « Eux »/« Nous » dont nous avons parlé. Dans la mesure où ce modèle implique, on l’a vu, une séparation extrêmement tranchée entre les classes populaires et les autres classes, les boursiers n’ont guère de chances de se vivre autrement que sur le mode de la souffrance et de la trahison, puisqu’ils seraient à la fois dans l’obligation et dans l’incapacité de choisir entre « eux » et « nous ». Situés dans un entre-deux, ils entretiendraient donc avec leurs « racines » un rapport forcément malheureux et douloureux.

39D’autre part, au-delà de la nécessaire actualisation empirique du modèle hoggartien, une autre raison invite à être prudent dans l’usage qu’on peut en faire pour étudier des mobilités sociales : il se pourrait que, déjà à son époque, ce modèle comportait un certain nombre de faiblesses, peut-être en partie dues à la prégnance des affects personnels de son auteur malgré ses efforts d’auto-objectivation, mais aussi et surtout à des partis pris interprétatifs non explicités qui l’ont amené, en dépit de ses précautions initiales, à se focaliser quasi exclusivement sur les cas d’ascension sociale les plus douloureux. L’équivalence postulée entre déplacement et déracinement pose problème, quelle que soit la période considérée, pour qui entend rendre compte de la variété des effets possibles des mobilités sociales, selon les contextes, les positions et les scansions biographiques des trajectoires sociales. L’importance donnée, dans le chapitre final, au thème du déracinement et à la figure du déraciné est telle (et ici la traduction suit fidèlement le texte original, où le terme uprooting est très présent), en effet, qu’on voit mal comment un déplacement dans l’espace social peut induire autre chose qu’une expérience durablement ambivalente, fondamentalement malheureuse, à certains égards pathétique, pour ne pas dire pathologique. Ce n’est donc pas un hasard si dans l’édition originale Hoggart utilise souvent le terme « anxious », là où ses traducteurs ont préféré parler de « déclassés ».

40Il y a donc chez Hoggart une tendance à insister sur une seule dimension de l’ambivalence dont il est question. Tout ce qui, dans un déplacement social, s’apparente à un « voyage » enrichissant, à une conquête lucide voire à une libération heureuse, se limite à la portion congrue [75]. La centralité d’une figure (le boursier malheureux) et d’un schème explicatif (le déracinement douloureux) laisse peu de place à d’autres pistes interprétatives. Pour permettre un élargissement de la perspective, la relecture contextualisée doit être prolongée par une revisite empirique du modèle du boursier hoggartien à l’aune d’enquêtes récentes auprès de jeunes en cours de mobilité sociale ascendante. Prenons, à titre d’exemple, le cas d’étudiants d’origine populaire bénéficiaires de l’ouverture sociale des classes préparatoires et des grandes écoles. Une ethnographie longitudinale de leurs trajectoires a abouti à deux résultats [76]. D’une part, le franchissement des frontières sociales implique bien des situations éprouvantes ou déroutantes, ce qui converge avec les analyses hoggartiennes. Mais, d’autre part, le suivi qualitatif d’une même cohorte montre que, à cursus scolaire et à origines sociales équivalents, ces étudiants sont loin de faire tous la même expérience du changement de milieu et que seule une minorité d’entre eux se rapproche du boursier à la Hoggart. Tout dépend, en effet, des points de départ (positions et trajectoires des parents et des membres de la fratrie, type de résidence familiale, type de socialisation primaire, etc.) et d’arrivée (projets d’avenir, résultats obtenus au fil des semestres, réorientations éventuelles, etc.) de chaque trajectoire.

41Il n’est évidemment pas question ici de nier l’existence, ni même l’importance d’une forme d’anxiété qui est l’effet possible (et non mécanique) du brouillage des appartenances engendré par un changement plus ou moins radical de position, de condition et de dispositions sociales. Il s’agit plutôt d’inviter à un usage plus contrôlé de la figure du boursier hoggartien. Certes, les discours et pratiques des « boursiers » contemporains, dont font partie les bénéficiaires de l’ouverture sociale, témoignent clairement de ce sentiment d’ambivalence et, dans certains cas, de malaise, qui caractérise le boursier hoggartien. Pour autant, l’équivalence qu’Hoggart établissait entre déplacement et déracinement perd de son évidence dès lors qu’on prolonge l’enquête suffisamment longtemps pour repérer des variations intra (chez une même personne) et interindividuelles (selon les profils et trajectoires), qui font apparaître d’autres expériences que celles de la honte de soi ou de la fierté ambiguë [77]. En prenant le temps de nouer avec les enquêtés des relations de confiance, d’écouter attentivement leurs anecdotes souvent lourdes de sens, d’observer l’évolution de leurs styles de vie (scolaires, culturels, corporels, etc.) et de leurs pratiques de sociabilité, les limites de la figure du boursier hoggartien deviennent visibles. Ainsi, la mise en relation des propos qu’ils tiennent en entretien et des postures qu’ils adoptent le reste du temps selon les scènes sociales fait apparaître que, tout en tenant un même discours sur la nécessité de « rester fidèle à soi-même », ils opèrent « en silence » des transformations de leurs dispositions selon des rythmes et des modalités qui dépendent notamment de leur posture à l’égard de leur nouvel univers social (mimétisme, confrontation ou évitement).

42Que faire alors, au final, du boursier hoggartien quand on s’intéresse aux expériences des « boursiers » contemporains ? D’un côté, on doit reconnaître à Hoggart le mérite d’avoir su restituer, à travers son portrait du boursier, des phénomènes négligés par la majorité des chercheurs de son époque, obsédés par les comparaisons statistiques internationales [78]. D’un autre, on ne saurait reprendre pour argent comptant une figure qui, comme l’a noté C. Grignon, relève plus du stéréotype que de l’idéal-type sociologique [79]. De fait, c’est dans le dernier chapitre de l’ouvrage que l’on trouve le plus de jugements de valeur, par exemple quand Hoggart qualifie les « déclassés par le haut » d’« infirmes affectifs » oscillant entre le « cynisme » et le « ressentiment [80] » ; ou quand il estime que le « boursier » n’est « capable que d’une seule attitude devant la vie et la culture : c’est le réalisme du calculateur, l’acharnement à réussir [81] ».

43On touche ici aux limites d’un livre devenu classique en sciences sociales mais qui n’en demeure pas moins, à l’origine, inscrit dans un registre littéraire et polémique. Le problème ne se réduit toutefois pas à cette ambiguïté ; il réside avant tout dans une contradiction à l’intérieur même de son raisonnement. Ainsi, alors qu’Hoggart insiste sur l’« attention oblique » et le « je m’en fichisme » des membres des classes populaires, il semble estimer que ce genre d’attitudes ne concerne pas ceux qui en sortent ou tentent d’en sortir. « Pendant presque une moitié de sa vie, écrit-il par exemple, le boursier ne réagit qu’aux stimuli directement liés au système scolaire, un peu comme le cheval de trait que ses œillères empêchent de découvrir autre chose que la route devant lui [82] ». Privé de tout recul sur ce qu’il fait et sur lui-même, le boursier hoggartien est donc voué à (se) vivre durablement en porte à faux. Pourtant, bien des auteurs ont noté que la découverte d’autres univers sociaux favorise une réflexivité à l’égard des croyances et jugements ordinairement vécus sur le mode du taken for granted[83]. Des cas de « boursiers » contemporains montrent qu’il existe divers moyens d’atténuer ou neutraliser les tensions induites par des appartenances incompatibles, des injonctions contradictoires ou des dispositions antagonistes. Par exemple, certaines pratiques (transferts vers leur milieu d’origine de ressources économiques, relationnelles ou culturelles acquises dans le nouveau groupe ; présence accrue auprès de leurs proches pour effacer la distance sociale ; écriture réflexive) jouent un rôle essentiel dans la compartimentation ou la mise en relation de leurs univers sociaux d’appartenance [84].

44En dépit de ses apports, le modèle hoggartien appelle donc deux grandes révisions en ce qui concerne les mobilités sociales. D’une part, il est nécessaire de manier avec une plus grande prudence le thème des racines et le schème enracinement/déracinement, qui sont au cœur de La culture du pauvre. L’anthropologue Paul Silverstein a bien montré ce que ce thème et ce schème peuvent parfois avoir de normatif ou de réducteur, en sciences sociales, dès lors qu’ils présupposent l’existence d’identités sociales ou culturelles figées, unitaires et « authentiques » dont les descriptions savantes ne sont jamais totalement exemptes d’un projet plus ou moins implicite de dénonciation morale ou de réhabilitation symbolique [85]. Ce n’est donc pas un hasard si ces métaphores arboricoles ont été abondamment critiquées ou abandonnées par nombre d’anthropologues au cours des trois dernières décennies [86], dans la mesure où elles font obstacle à une appréhension plus réaliste des multiples appartenances et des rapports différenciés à ces appartenances, qui ne sont pas seulement fondées sur la classe. D’autre part, rien n’oblige à considérer qu’un déplacement social est synonyme de déracinement, au sens de rupture radicale, durable et éprouvante avec le groupe social d’origine. Ce serait omettre que des dispositions ou des appartenances plurielles peuvent coexister plus ou moins pacifiquement chez une même personne [87], et que les « prises de distance » avec les anciennes habitudes et les vieilles amitiés peuvent ne durer qu’un temps – en l’occurrence, celui qu’il faut pour trouver ce qu’on appelle communément la « bonne distance [88] ». Cela reviendrait, surtout, à réserver cette équivalence aux personnes issues des milieux populaires, alors qu’on raisonnerait sans doute plutôt en termes de multipositionnalité ou de capital social pour des individus originaires d’autres milieux qui connaissent un déplacement social ou un brouillage de leurs appartenances.

Conclusion

45Les recherches françaises sur les classes populaires et les mobilités sociales ont, aujourd’hui encore, rendez-vous avec La culture du pauvre. Cet ouvrage est bien plus qu’une ethnographie remarquable d’un monde populaire particulier. Il donne à voir des aspects de la condition et des modes d’être populaires – structure « Eux »/« Nous », tensions pouvant accompagner les processus de sortie de la classe – qui conservent une grande pertinence pour la société française contemporaine. Il conserve aussi une valeur irremplaçable par son style de description qui récuse autant l’enchantement que le mépris ou la condescendance. Ce livre, en un mot, ne peut pas ne pas continuer à faire durablement référence dans les sciences sociales. Pourtant, nous devons aussi savoir nous tenir à distance d’Hoggart. Nous le devons parce qu’il est indispensable de tenir compte de ce qui éloigne la condition populaire contemporaine du modèle hoggartien. Et nous le devons aussi parce qu’indépendamment des changements historiques, c’est le cadre intellectuel forgé par Hoggart en son temps qui nécessite, sur certains plans, d’être interrogé, comme le firent dès les années 1950-1960 certains de ses pairs en Grande-Bretagne.

46Maintenir vivant le lien avec Hoggart, en même temps qu’être prêts à le quitter : ces deux exigences, est-il besoin de le dire, n’ont rien d’incompatible. Reconnaître l’apport essentiel qu’a représenté et représente encore une œuvre qui a su, avec une force singulière, donner à voir et à entendre le point de vue des dominés, ne saurait signifier s’installer dans une relation non critique à cette œuvre. Car, nul ne l’ignore, constituer nos héritages intellectuels en objet de réflexion et d’analyse, c’est contribuer à accroître le potentiel heuristique des sciences sociales.

Notes

  • [1]
    Willis (P.), « Entrer dans la boîte noire de l’école », in L’école des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers, Marseille, Agone, 2011 (1re éd. 1977), p. 341-384. P. Willis est arrivé en 1968 au centre de recherches de Birmingham, que Richard Hoggart a co-fondé en 1964 et quitté dès 1969-1970, laissant la direction à son autre fondateur, Stuart Hall.
  • [2]
    Hoggart (R.), A sort of clowning, London, Chatto & Windus, 1990 et An Imagined Life, London, Chatto & Windus, 1992.
  • [3]
    Moulin (R.), « La culture du pauvre. À propos du livre de Richard Hoggart », Revue française de sociologie, 12 (2), 1971.
  • [4]
    Coornaert (M.), Cahiers internationaux de sociologie, 51, 1971.
  • [5]
    Verret (M.), « Sur la culture ouvrière », La Pensée, 163, 1972.
  • [6]
    Sur la place de cet intérêt dans la sociologie française de l’après-guerre, Chapoulie (J.-M.), « La seconde naissance de la sociologie française, les États-Unis et la classe ouvrière », Revue française de sociologie, 32 (3), 1991 ; Thuderoz (C.), Sociologie des entreprises, Paris, La Découverte, 2010 (1re éd. 1996), chap. 1 ; Vannier (P.), « Les caractéristiques dominantes de la production du Centre d’études sociologiques (1946-1968) », Revue d’histoire des sciences humaines, 1 (2), 2000. Les deux livres, parus la même année, de Serge Mallet (La nouvelle classe ouvrière, Paris, Le Seuil, 1963) et Pierre Belleville (Une nouvelle classe ouvrière, Paris, Julliard, 1963), leur retentissement et les débats qu’ils ont suscités (Chapoulie (J.-M.), Kourchid (O.), Robert (J.-L.), Sohn (A.-M.), dir., Sociologies et sociologues. La France des années 60, Paris, L’Harmattan, 2005, 3e partie) témoignent de cet intérêt des intellectuels de cette période.
  • [7]
    On le trouve, sous des formes certes diverses, chez Roland Barthes : Mythologies, Paris, Le Seuil, 1970 (1re éd. 1957) ; Edgar Morin : L’Esprit du temps, Paris, Grasset, 1962 ; Herbert Marcuse : L’homme unidimensionnel, Paris, Éditions de Minuit, 1968 (1re éd. 1964) ; Jean Baudrillard : La société de consommation, Paris, Gallimard, 1970.
  • [8]
    Sur la prégnance de cette figure de type « ouvriériste » dans l’imaginaire politique des intellectuels de ces années, Gobille (B.), Mai 68, Paris, La Découverte, 2009, chap. 1 ; Portis (L.), Les classes sociales en France. Un débat inachevé (1789-1989), Paris, Les Éditions ouvrières, 1988, chap. 9 ; Pudal (B.), « Le populaire à l’encan », Politix, 14, 1991 ; Saunier (P.), L’ouvriérisme universitaire, Paris, L’Harmattan, 1993.
  • [9]
    Ce point est notamment souligné par Jacques Revel dans les réflexions qu’il consacre rétrospectivement à la réception de l’ouvrage dans le contexte français des années 1970. Revel (J.), Préface, in Passeron (J.-C.), dir., Richard Hoggart en France, Paris, BPI-Centre Georges Pompidou, 1999.
  • [10]
    Passeron (J.-C.), « Présentation », in Hoggart (R.), La culture du pauvre, Paris, Éditions de Minuit, 1970, p. 14-15.
  • [11]
    Entretien inédit avec J.-C. Passeron réalisé par P. Pasquali le 18 novembre 2010 à Marseille.
  • [12]
    Passeron (J.-C.), « Richard Hoggart, écrivain et sociologue », in Passeron (J.-C.), dir., Richard Hoggart en France, op. cit.
  • [13]
    Neveu (É.), « La culture du pauvre », in Champagne (P.), Chartier (R.), dir., Pierre Bourdieu et les médias, Paris, L’Harmattan/INA, 2004.
  • [14]
    Derek Robbins a souligné de ce point de vue l’importance, dans un contexte de surpolitisation des débats intellectuels, d’importer en France un auteur qui avait aussi l’originalité de ne pas manifester de parti pris politique explicite, ce qui a d’autant plus favorisé son appropriation. Robbins (D.), Bourdieu and Culture, Londres, Sage, 2000, p. 124.
  • [15]
    Rigby (B.), « La “culture populaire” en France et en Angleterre : la traduction française de The Uses of Literacy », in Passeron (J.-C.), dir., Richard Hoggart en France, op. cit.
  • [16]
    Entretien avec Jean-Claude Garcias réalisé par P. Pasquali, le 12 mai 2015 à Paris.
  • [17]
    Hoggart (R.), Proletariato e industria culturale, Rome, Officina Edizioni, 1970 ; As Utilizaçaões da cultura, Lisbonne, Editorial Presença, 1973 ; La Cultura obrera en la sociedad de masas, Buenos Aires, Siglo Veintiuno Editores, 2013.
  • [18]
    Le concept de style de vie n’est présent dans aucune des éditions étrangères, qui ne sont par ailleurs pas dotées d’un index conceptuel, contrairement à la traduction française.
  • [19]
    Compagnon (A.), Les Antimodernes, de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris, Gallimard, 2005, p. 253.
  • [20]
    Dorin (S.), « La métaphore des racines : un obstacle à l’analyse sociologique des dynamiques culturelles », Politix, 74 (2), 2006.
  • [21]
    Hoggart (R.), The Uses of Literacy, Harmondsworth, Penguin Books, 1958 [1957], p. 306, deuxième note.
  • [22]
    Lahire (B.), « Analyse sociologique de soi et cousinages intellectuels. Autobiographe ou auto-analyste ? », Mouvements, 35, 2004.
  • [23]
    Passeron (J.-C.), « Richard Hoggart, écrivain et sociologue », art. cit.
  • [24]
    Passeron (J.-C.), « Que reste-t-il des Héritiers et de La Reproduction aujourd’hui ? », in Chapoulie (J.-M.) et al., Sociologues et sociologies…, op. cit.
  • [25]
    En 1972, selon Passeron (cf. « Mort d’un ami, disparition d’un penseur », Revue européenne des sciences sociales, 125, 2003.)
  • [26]
    Passeron (J.-C.), « Présentation de Marseille à Richard Hoggart, et vice versa », in Passeron (J.-C.), dir., Richard Hoggart en France, op. cit. « Richard Hoggart est bien l’écrivain qui a chronologiquement joué le premier rôle dans ma conversion à la sociologie », écrit Passeron (p. 49).
  • [27]
    Bourdieu (P.), « Le concept de culture (deuxième partie) », séminaire du CSE, 13 mars 1967, ronéo (p. 12 et 19-20 pour les citations). Nous remercions Madeleine Lemaire de nous avoir communiqué ce document. À l’inverse, lorsque Roger Chartier, en 1988, cite La culture du pauvre dans un entretien avec Bourdieu diffusé sur France Culture, ce dernier ne parle pas de Hoggart – silence éloquent – et sa réponse ne porte pas sur ce livre. Cf. Bourdieu (P.), Chartier (R.), Le sociologue et l’historien, Marseille, Agone, p. 48-49. De son côté, Hoggart n’a quasiment pas fait référence non plus à Bourdieu dans ses écrits autobiographiques, traduits ou inédits en français. On peut toutefois noter une allusion critique au sujet du peu d’empathie que ce dernier manifesterait dans ses travaux à l’égard des autodidactes. Cf. sur ce point Hoggart (R.), First and Last Things, London, Aurum Press, 1999, p. 119. En revanche, après la disparition de Bourdieu, Hoggart a salué son Esquisse pour une autoanalyse en louant « L’alliance d’une modestie délicate et d’un engagement rigoureux dans la vie intellectuelle » (Les Inrockuptibles, 426, 28 janvier-3 février 2004, p. 32.).
  • [28]
    Bourdieu (P.), « Le concept de culture… », doc. cit., p. 13-14.
  • [29]
    Grignon (C.), « Comment peut-on être sociologue ? », Revue européenne des sciences sociales, 123, 2002.
  • [30]
    Voir la préface de Jacques Revel au livre collectif édité par Passeron (op. cit.). Revel insiste sur l’importance de La culture du pauvre dans les renouvellements de l’histoire culturelle.
  • [31]
    Entre autres, Alonzo (P.), Hugrée (C.), Sociologie des classes populaires, Paris, Armand Colin, 2010 ; Bereni (L.), Chauvin (S.), Jaunait (A.) et Revillard (A.), Introduction aux études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, 2012 ; Cohen (A.), Lacroix (B.), Riutort (Ph.), dir., Nouveau manuel de science politique, Paris, La Découverte, 2009 ; Cuche (D.), La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 2010 ; Darmon (M.), La socialisation, Paris, Armand Colin, 2007 ; Mauger (G.), La sociologie de la délinquance juvénile, Paris, La Découverte, 2009 ; Siblot (Y.), Cartier (M.), Coutant (I.), Masclet (O.), Renahy (N.), Sociologie des classes populaires contemporaines, Paris, Armand Colin, 2015.
  • [32]
    Beaud (S.), Weber (F.), Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2010.
  • [33]
    Paugam (S.), dir., L’enquête sociologique, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 11.
  • [34]
    Williams (R.), « Working-Class Culture », Universities & Left Review, 2, 1957.
  • [35]
    La critique de Williams soulève une question qui, d’une autre manière, sera au centre des remarques de Michel Verret dans sa recension mentionnée plus haut de 1972, lorsque celui-ci souligne la quasi complète absence, dans l’ouvrage, de ce qui est vécu dans le travail et à l’usine. Rapports avec des militants, situations vécues dans le travail : Williams et Verret pointent l’un et l’autre deux types d’expériences, que l’on ne peut tenir pour négligeables, à partir desquelles se constitue la culture ouvrière, et dont il est très peu question dans La culture du pauvre.
  • [36]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 393.
  • [37]
    Pudal (B.), Prendre parti, Paris, Presses de la FNSP, 1989 ; pour un panorama récent des recherches mobilisant cette idée, cf. Leclercq (C.), Pagis (J.), « Les conséquences biographiques de l’engagement », Sociétés contemporaines, 84 (4), 2011.
  • [38]
    Thompson (E. P.), « Commitment in Politics », Universities and Left Review, 6, 1959 (citations p. 107-113).
  • [39]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 355.
  • [40]
    Steedman (C. K.), Landscape for a Good Woman, New Brunswick, Rutgers University Press, 2010 [1re éd. 1986]. Cf. sur ce point Eribon (D.), La société comme verdict, Paris, Fayard, 2013, p. 213-222.
  • [41]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 96.
  • [42]
    Lagrave (R.-M.), « Se ressaisir », Genre, sexualité & société [En ligne], 4, 2010, consulté le 18 mai 2015.
  • [43]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 117.
  • [44]
    Ibid., p. 117.
  • [45]
    Ibid., p. 119.
  • [46]
    Ibid., p. 124.
  • [47]
    Ibid., p. 138.
  • [48]
    Giraud (B.), Faire la grève, thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris 1, 2009, p. 497-498.
  • [49]
    Palheta (U.), « Luttes de classes, classes en lutte. Stratification scolaire et mobilisation anti-CPE dans un lycée polyvalent », Politix, 82 (2), 2008, p. 174-176.
  • [50]
    Mischi (J.), « Les militants ouvriers de la chasse. Éléments sur le rapport à la politique des classes populaires », Politix, 83 (3), 2008.
  • [51]
    Mischi (J.), « Savoirs militants et rapports aux intellectuels dans un syndicat de cheminots », Actes de la recherche en sciences sociales, 2013, 196-197, p. 145 sq.
  • [52]
    Avril (C.), Les aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014, chap. 6.
  • [53]
    Goulet (V.), Medias et classes populaires. Les usages ordinaires des informations, Paris, INA Éditions, 2010, p. 194, 196 et 365.
  • [54]
    Mayer (N.), « Des votes presque comme les autres », in Braconnier (C.), Mayer (N.), dir., Les inaudibles. Sociologie politique des précaires, Paris, Presses de Sciences Po, 2015. L’auteure met en évidence, chez plusieurs enquêtés, un « pouvoir d’attraction » de Marine Le Pen qui tient précisément au fait que celle-ci est vue par eux comme une exception par rapport à des acteurs politiques perçus comme totalement éloignés (« Elle, au moins, quand elle parle, on comprend ce qu’elle dit »).
  • [55]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 125.
  • [56]
    Ce qui ne signifie pas, on sait à quel point Hoggart y insiste, que celle-ci ne puisse pas donner lieu à la production de ressources propres, à des formes d’autoprotection et des moments de vie heureuse.
  • [57]
    Sur l’évolution de la mobilité sociale dans les classes populaires, Siblot (Y.) et al., Sociologie des classes populaires contemporaines, op. cit., p. 63-68. Cf. aussi Beaud (S.), Pasquali (P.), « Ascenseur ou descenseur social ? Apports et limites des enquêtes de mobilité sociale », Cahiers français, 383, 2014. Sur la diffusion – puis l’arrêt de celle-ci – de la propriété chez les ouvriers : Groux (G.), Lévy (C.), dir., La possession ouvrière. Du taudis à la propriété (XIXe-XXe siècle), Paris, Éditions de l’Atelier, 1993, chap. 4 ; Lambert (A.), « Tous propriétaires ! ». Politiques urbaines et parcours d’accédants dans les lotissements périurbains, 1970-2010, thèse pour le doctorat de sociologie, Paris, EHESS, 2012, p. 75-77 et p. 200-217.
  • [58]
    Maurin (E.), L’égalité des possibles, Paris, Le Seuil, 2002, chap. 2.
  • [59]
    Schwartz (O.), « Peut-on parler des classes populaires ? », La Vie des idées, 13 septembre 2011. En ligne : http://www.laviedesidees.fr/Peut-on-parler-des-classes.html.
  • [60]
    Eckert (H.), Avoir vingt ans à l’usine, Paris, La Dispute, 2006, chap. 4 et 7 ; Beaud (S.), Pialoux (M.), Violences urbaines, violence sociale, Paris, Fayard, 2003, chap. 9.
  • [61]
    Avril (C.), Les aides à domicile, op. cit., chap. 6.
  • [62]
    Cartier (M.), Coutant (I.), Masclet (O.), Siblot (Y.), La France des « petits-moyens ». Enquête sur la banlieue pavillonnaire, Paris, La Découverte, 2008, p. 306.
  • [63]
    Michelat (G.), Simon (M.), Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures, réalignements, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 139-155 ; Amossé (T.), Chardon (O.), « Les travailleurs non qualifiés : une nouvelle classe sociale ? », Économie et statistique, 393-394, 2006 ; Braconnier (C.), Mayer (N.), dir., Les inaudibles, op. cit., p. 105-109 et p. 264-265 ; Pelage (A.), Poullaouec (T.), « “Le haut du panier de la France d’en bas” ? », Revue française des affaires sociales, 2, 2007.
  • [64]
    Sur le thème du « décrochage », Beaud (S.), Pialoux (M.), Retour sur la condition ouvrière, Paris, La Découverte/Poche, 2012(1999), postface à l’édition de 2012, p. 456 sqq.
  • [65]
    Nous reprenons ce point à Siblot (Y.) et al., Sociologie des classes populaires contemporaines, op. cit., p. 96 sqq.
  • [66]
    Sur la « démocratisation ségrégative », Merle (P.), « Le concept de démocratisation d’une institution scolaire : une typologie et sa mise à l’épreuve », Population, 1, 2000, p. 15-50.
  • [67]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 348.
  • [68]
    Beaud (S.), 80 % au bac… et après ?, Paris, La Découverte, 2002.
  • [69]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 348.
  • [70]
    Ibid., p. 348.
  • [71]
    Ibid., p. 348.
  • [72]
    Cf., par exemple, Bendix (R.), Lipset (S.), Social Mobility in Industrial Society, London, Heinemann, 1959, p. 285-287, ainsi que Hollingshead (A.), Ellis (R.), Kirby (E.), « Social Mobility and Mental Illness », American Sociological Review, 19 (5), 1954.
  • [73]
    Parmi les francophones : Naudet (J.), Entrer dans l’élite, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 11-36 ; Pagis (J.), Mai 68, un pavé dans leur histoire, Paris, Presses de Sciences Po, 2014 ; Pasquali (P.), Passer les frontières sociales, Paris, Fayard, 2014 ; Peugny (C.), Le déclassement, Paris, Grasset, 2009. Parmi les anglophones : Lee (E.), Kramer (R.), « Out with the Old, in with the New ? Habitus and Social Mobility at Selective Colleges », Sociology of Education, 1 (86), 2013 ; Ingram (N.), « Within School and beyond the Gate: the Complexities of Being Educationally Succesfull and Working-class », Sociology, 2 (45), 2011.
  • [74]
    Cf. par exemple Amrani (Y.), Beaud (S.), Pays de Malheur !, Paris, La Découverte, 2004.
  • [75]
    Fossé-Poliak (C.), La vocation d’autodidacte, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 31-33. Notons que, dès les années 1970, Richard Sennett et Jonathan Cobb ont critiqué cette tendance et proposé un regard plus nuancé sur cette question dans leur ouvrage, inédit en français, The Hidden Injuries of Class, New York, Knopf, 1972.
  • [76]
    Pasquali (P.), Passer les frontières sociales, op. cit.
  • [77]
    Ibid., p. 353-376.
  • [78]
    Merllié (D.), Les Enquêtes de mobilité sociale, Paris, Presses universitaires de France, 1994 ; Strauss (A.), The Contexts of Social Mobility, New Brunswick, Aldine Transaction, 2006 (1971).
  • [79]
    Grignon (C.), « Des catégories aux hypothèses : la théorisation progressive », Revue européenne des sciences sociales, 142, 2008.
  • [80]
    Hoggart (R.), La culture du pauvre, op. cit., p. 374.
  • [81]
    Ibid., p. 354.
  • [82]
    Ibid., p. 354.
  • [83]
    Cf., entre autres, Mauger (G.), « Sens pratique et conditions sociales de la pensée pensante », Cités, 2 (38), 2009 et Schütz (A.), L’étranger, Paris, Allia, 2011 (1re éd.1944).
  • [84]
    Pasquali (P.), Passer les frontières sociales, op. cit., p. 377-395. Cf. aussi Naudet (J.), Entrer dans l’élite, op. cit. et, parmi les récents travaux anglo-saxons, Reay (D.) et al., « “Strangers in Paradise” ? Working-class Students in Elite Universities », Sociology, 6 (43), 2009.
  • [85]
    Silverstein (P.), « De l’enracinement et du déracinement : habitus, domesticité et nostalgie structurelle kabyles », Actes de la recherche en sciences sociales, 150, 2003.
  • [86]
    Dorin (S.), « La métaphore des racines… », art. cit.
  • [87]
    Lahire (B.), L’homme pluriel, Paris, Armand Colin, 1998.
  • [88]
    Granfield (R.), « Making It By Faking It: Working-Class Students In an Elite Academic Environment », Journal of Contemporary Ethnography, 20 (3), 1991.
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