Politix 2016/1 n° 113

Couverture de POX_113

Article de revue

Les représentant.e.s d’intérêt et la campagne présidentielle de 2012. Rapports au politique et formes de coopération avec les candidat.e.s

Pages 117 à 139

Notes

  • [1]
    Entretien avec la présidente d’un cabinet de lobbying, 13 janvier 2012, Paris 7e.
  • [2]
    Une première version de ce texte a bénéficié des commentaires de Philippe Aldrin, Brigitte Gaïti, Étienne Ollion, et Marine de Lassalle, ainsi que ceux des coordinateurs de ce numéro et des deux évaluateurs anonymes de la revue. Qu’ils et elles en soient ici chaleureusement remercié.e.s.
  • [3]
    Pour une vision non économiciste de l’« offre » et de la « demande » politiques, cf. Gaxie (D.), Lehingue (P.), Enjeux municipaux. La construction des enjeux politiques dans une élection municipale, Paris, Presses universitaires de France-CURAPP, 1984, p. 113 et sv.
  • [4]
    Cette forme d’action en campagne a été menée par des groupes aussi divers qu’Alliance Vita, le Laboratoire de l’égalité, l’Union nationale des professions libérales ou Familles de France.
  • [5]
    Les sept « forums » organisés durant la campagne ont ainsi été le fait d’une entreprise (Suez environnement), d’organisations professionnelles (le Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale et la CGPME), d’un syndicat (la CFDT), de coalitions et de collectifs (le Collectif 2012 pour un pacte social et le Forum alternatif de l’eau) et d’une organisation à but non lucratif (la Conférence permanente des coordinations associatives).
  • [6]
    Sur les stratégies de distinction entre les « chargé.e.s de plaidoyer » et les autres représentant.e.s d’intérêt, cf. Ollion (E.), « Des mobilisations discrètes : sur le plaidoyer et quelques transformations de l’action collective contemporaine », Critique internationale, 67, 2015. L’enquête menée pendant la campagne a permis d’observer de telles stratégies ainsi que la conversion à l’influence des ONG les plus actives, au détriment de l’activité de « plaidoyer » sur laquelle elles étaient auparavant focalisées. Plus globalement, analyser ensemble les différents groupes mobilisés permet de souligner le traitement différentiel dont ils font l’objet tant au regard de l’attention médiatique qui leur est accordée qu’en termes d’interactions avec des agents du champ politique.
  • [7]
    Cette circulation entre groupes d’intérêt économiques et organisations du mouvement social a été soulignée par Presthus (R.), Elites in the Policy Process, Cambridge, Cambridge University Press, 1974.
  • [8]
    Nous avons retenu la typologie de douze groupes d’intérêt la plus fréquemment utilisée dans les enquêtes comparées : organisations sans but lucratif, syndicats, organisations professionnelles, coalitions et collectifs, ordres et professions libérales, élu.e.s et collectivités territoriales, entreprises, clubs et think tanks, « secteur public », associations cultuelles et congrégations, cabinets de conseil et divers.
  • [9]
    Concrètement, les dispositifs d’enquête ont permis d’aboutir à la ventilation suivante. La population des représentant.e.s d’intérêt est professionnalisée et davantage porteuse d’intérêts économiques que celle qui agit en temps de campagne. Par ailleurs, 80 % de la population des professionnel.le.s représentent en priorité des intérêts économiques. Ce pourcentage baisse largement en campagne où 42,3 % des groupes mobilisés sont des organisations à but non lucratif, contre 22 % d’organisations et ordres professionnels. Il faut néanmoins prendre en compte les enjeux portés par les groupes en campagne afin d’apprécier si l’économie l’emporte sur le social. De ce point de vue, les demandes « économiques » (au sens de l’Agenda project) sont prépondérantes (15,6 %), suivies par les droits de l’homme et les discriminations (11,6 %) et la santé (11,3 %).
  • [10]
    Sa présentation renvoie à Tilly (C.), « Speaking your Minds without Elections, Surveys, or Social Movements », Public Opinion Quarterly, 47 (4), 1983. Sa discussion est disponible dans Traugott (M.), ed., Repertoires & Cycles of Collective Action, Durham, Duke University, 1995.
  • [11]
    Becker (H. S.), Faulkner (R. R.), « Qu’est-ce qu’on joue maintenant ? » Le répertoire de jazz en action, Paris, La Découverte, 2011.
  • [12]
    Offerlé (M.), « Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles) », Politix, 21 (81), 2008, p. 183.
  • [13]
    Becker (H. S.), Faulkner (R. R.), « Qu’est-ce qu’on joue maintenant ? »…, op. cit., p. 260.
  • [14]
    À ce sujet, voir Courty (G.), Gervais (J.), « Le répertoire d’actions électorales des groupes en campagne » in Courty (G.), Gervais (J.), dir., Le Lobbying électoral, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2016.
  • [15]
    L’enquête par entretien a révélé l’organisation d’événements spécifiques par celles et ceux qui déclaraient pourtant n’avoir « pas agi durant la campagne ».
  • [16]
    Sur ce suivi de cohorte, voir Courty (G.), « Deux leçons de sociologie sur le lobbying. De son invisibilité à son institutionnalisation », in Mekki (M.), Monjal (P.-Y.), dir., Le Lobbying responsable, Paris, L’Harmattan, 2016.
  • [17]
    Nous remercions Thomas Soubiran pour la gestion de cette partie de l’enquête.
  • [18]
    Ce catalogue est inspiré de celui dressé par Charles Tilly dans Contentious Performances, Cambridge, Cambridge University Press, 2008. Nous avons exclu de ce catalogue les actions relevant d’un individu agissant en son nom propre ainsi que les événements organisés pendant la campagne mais sans lien avec elle.
  • [19]
    Nous remercions Julien Fretel de nous avoir mis en contact.
  • [20]
    Les demandes adressées à des membres des équipes de N. Sarkozy et F. Hollande sont restées sans réponse.
  • [21]
    Le calendrier synchronisé des élections présidentielle et législatives n’a donc pas fusionné ces deux campagnes pour les groupes d’intérêt. Le matériel relatif aux législatives a été retiré de notre analyse.
  • [22]
    Cf. supra, note de bas de page n° 9.
  • [23]
    Entretien avec le directeur d’un cabinet de lobbying, 29 mars 2012, Paris 16e.
  • [24]
    C’est le réseau des Maisons du savoir de la francophonie qui ouvre la campagne des groupes d’intérêt par l’envoi d’un questionnaire dès le 6 mars 2010.
  • [25]
    Étonnamment, une « lettre ouverte » n’est pas nécessairement accessible au public ni même obligatoirement envoyée aux candidat.e.s – elle figure alors uniquement sur la page d’accueil du site du groupe mobilisé. La croyance en l’omniscience des candidat.e.s est assez communément partagée par les représentant.e.s d’intérêt les moins compétent.e.s politiquement.
  • [26]
    L’envoi d’un questionnaire invitant les candidat.e.s à prendre position sur le thème dont l’expéditeur défend les intérêts renvoie à une pratique électorale traditionnelle que certain.e.s enquêté.e.s disent avoir utilisée dès l’élection de 1981.
  • [27]
    Ces événements recouvrent par exemple des repas, tels que les trois petits-déjeuners organisés par le think tank Club Jade et l’Ordre des géomètres experts, et les dix déjeuners ou dîners tenus par la Fédération nationale porcine, un club structuré par un cabinet de lobbying (le Club des voitures écologiques) ou des groupes cultuels (Dialogue et démocratie française). D’autres groupes font primer le débat sur la sociabilité – on dénombre ainsi onze « colloques » (de l’Assemblée des femmes à l’Association française des entreprises privées, en passant par la Conférence des présidents d’université), quarante-six « débats » où sont surreprésentées les organisations à but non lucratif (de la Fédération des conseils de parents d’élèves à la LICRA), suivies bien en deçà par les coalitions et les collectifs (du secteur du logement au Manifeste pour une nouvelle politique de la Ville), et les organisations professionnelles (le Conseil national des entreprises d’insertion ou Les Entreprises du médicament). Enfin, les quatre « conventions » organisées durant la campagne font partie des événements utilisés autant pour faire le point entre soi que pour mobiliser autour de soi (le Centre national des Professions de santé, la Confédération des Maisons des Jeunes et de la Culture de France, l’Association des Médecins urgentistes de France, etc.).
  • [28]
    Au regard du nombre élevé d’événements de ce type, les candidat.e.s doivent souvent s’appuyer sur une équipe à même de les représenter. Les candidat.e.s aux équipes et aux budgets de campagne limités ne sont souvent pas représentables, et sont de fait beaucoup moins sollicité.e.s – de l’ordre de vingt fois moins. Pour F. Hollande, cela a représenté plus de cent réceptions auxquelles une quarantaine de membres du PS a participé. Le catalogue constitué permet d’isoler soixante-neuf occasions au cours desquelles les deux candidats du second tour ont eux-mêmes rencontré des représentant.e.s de groupes d’intérêt.
  • [29]
    En Amérique du Nord, les candidat.e.s disposent de « canvassers » (agents électoraux) prêtés ou rémunérés par des groupes pour mobiliser l’électorat ou faire du porte-à-porte. Ils peuvent aussi compter sur les robots d’appel, les camions logistiques, les voitures et les salles de meetings mis à disposition par leurs groupes supporters ; sur ces aspects, voir Boatright (R. G.), Interest Groups and Campaign Finance Reform in the United States and Canada, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2011.
  • [30]
    Sauf exception, telle que le financement de publicités sur des propositions soutenues par N. Sarkozy par le think tank l’Institut Montaigne. Phélippeau (E.), « Le financement de la vie politique française par les entreprises, 1970-2012 », L’Année sociologique, 63 (1), 2013, p. 219.
  • [31]
    Magleby (D.), The Other Campaign. Soft Money and Issue Advocacy in the 2000 Congressional Elections, Latham, Rowman and Littlefield, 2003.
  • [32]
    C’est le cas par exemple lorsque Nicolas Hulot fait signer sur scène son « pacte écologique » aux candidat.e.s à l’élection présidentielle française de 2007.
  • [33]
    Entretien avec la chargée des relations parlementaires, 26 juin 2013, Paris 3e.
  • [34]
    Lors de la présentation de cette enquête devant un parterre d’une quarantaine de lobbyistes, l’un d’entre eux, responsable d’un master professionnel d’affaires publiques, a évoqué la « poubelle » des candidat.e.s auxquel.le.s étaient destinées leurs sollicitations, sans provoquer a priori ni étonnement ni désapprobation dans le public. Note de terrain du petit-déjeuner « Entreprises, fédérations professionnelles et associations dans le débat 2012 », organisé dans un cabinet de lobbying, 9 février 2012, Paris 6e.
  • [35]
    Voir l’opposition que fait M. Weber entre la « religiosité des virtuoses » et celle « des masses » dans Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996.
  • [36]
    Denord (F.), Lagneau-Ymonet (P.), Thine (S.), « Le champ du pouvoir en France », Actes de la recherche en sciences sociales, 190, 2011.
  • [37]
    La structure de cet espace est analysée dans Courty (G.), « Deux leçons de sociologie sur le lobbying… », art. cit., 2016.
  • [38]
    Un tiers de la population étudiée pour l’enquête de 2012 et 50,6 % pour le suivi de cohorte.
  • [39]
    La création de filières et de diplômes spécifiques venant attester et certifier les compétences jugées propres à cet espace par l’octroi d’un titre scolaire consacrant socialement les « lauréats » est un symptôme supplémentaire de la professionnalisation de la représentation des intérêts en France. Bourdieu (P.), La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Éditions de Minuit, 1989.
  • [40]
    On retrouve dans ce pôle plus « politique » des agents à qui le lobbying a redonné une place officielle. Ce sont les représentant.e.s d’intérêt issu.e.s des secteurs économiques (à commencer par ceux structurés autour des monopoles d’État et de l’économie dirigée tels que le transport, l’énergie ou l’agriculture), des syndicats ou de l’humanitaire – qui ont récemment ouvert leurs organigrammes à des « chargé.e.s du plaidoyer » ou des « affaires publiques ».
  • [41]
    D. Gaxie entend par là une forme de « prédisposition […] à adopter spontanément le point de vue de l’entrepreneur ou des professions indépendantes », une « familiarité précoce avec le monde des affaires et des professions libérales » et une « orient[ation] en direction du pôle économique de la classe dominante ». Gaxie (D.), « Les facteurs sociaux de la carrière gouvernementale sous la Cinquième République de 1959 à 1981 », Revue française de sociologie, 24 (3), 1983, p. 10. C’est nous qui soulignons.
  • [42]
    Entretien avec le chargé des relations institutionnelles d’un établissement du secteur public, 20 mars 2012, Paris 7e.
  • [43]
    Entretien avec le responsable de la communication d’une organisation patronale, 20 mars 2012, Paris 8e.
  • [44]
    Dans le suivi de cohorte, la minoration provient de la difficulté à collecter ce type d’informations autrement que par la voie de l’entretien ou le dépouillement de listes de candidat.e.s. Dans le questionnaire, le taux de non-réponse aux questions portant sur les expériences politiques des représentant.e.s d’intérêt est d’environ 42 %, contre 20 % en moyenne pour les questions relatives à leurs études ou à leurs conditions de travail. Cette dimension est d’autant plus difficile à objectiver que les codes de déontologie des lobbyistes excluent les mandats politiques de la liste des fonctions compatibles avec l’exercice de ce métier.
  • [45]
    Entretien avec le responsable de la communication d’une organisation patronale, 20 mars 2012, Paris 8e.
  • [46]
    Entretien avec la présidente d’un cabinet de lobbying, 13 janvier 2012, Paris 7e.
  • [47]
    Joignant (A.), « Compétence politique et bricolage. Les formes profanes du rapport au politique », Revue française de science politique, 57 (6), 2007, p. 806.
  • [48]
    En dehors de la littérature consacrée au financement des campagnes par les groupes d’intérêt, les travaux relatifs à l’Europe ont été publiés dans : Farrell (D. M.), Schmitt–Beck (R.), eds., Non-Party Actors in Electoral Politics. The Role of Interest Groups and Independent Citizens in Contemporary Election Campaigns, Baden-Baden, Nomos, 2008. Pour un bilan de la recherche sur les élections aux États-Unis, cf. Franz (M. M.), Choices and Changes. Interest Groups in the Electoral Process, Philadelphia, Temple University Press, 2008 ; et sur le Canada, Young (L.), Everitt (J.), Advocacy Groups, Vancouver, UBC Press, 2004.
  • [49]
    À l’instar de la subordination des journalistes politiques à l’égard du champ politique : Gaxie (D.), La démocratie représentative, Paris, Montchrestien, 1996 [1re éd. 1994], p. 73.
  • [50]
    Ces deux formules reprennent l’insistance que M. Weber fait porter sur la « chance » dans ses cadrages idéal-typiques du pouvoir (la chance d’imposer sa volonté) et de la domination (la chance de susciter obéissance).
  • [51]
    Cet exemple est issu d’une citation de Valéry Giscard d’Estaing qui confiait à son équipe de campagne en 1974 : « Je crois, de même vous l’avez compris, que depuis deux ou trois jours, toute mon astuce a été de ne pas perdre de voix. Alors c’est pour ça que je n’ai pas écrit aux gentilles tourterelles et autres parce que je me disais “je vais perdre des chasseurs”, n’est-ce pas ? » Depardon Raymond, 1974. Une partie de campagne, 2002.
  • [52]
    « Celui qui est obligé de vivre “de la politique” devra certainement toujours choisir l’un des deux termes de cette alternative : le journalisme et un emploi de fonctionnaire de parti, qui sont les voies directes typiques, ou bien l’une des associations représentatives d’intérêts ». Weber (M.), Le savant et le politique, Paris, La Découverte, 2004, p. 181.
  • [53]
    Voir, par exemple : Baudot (P.-Y.), Revillard (A.), « Faire campagne sans prendre parti. Opportunités et contraintes des campagnes électorales pour les associations de personnes handicapées », in Courty (G.), Gervais (J.), dir., Le lobbying électoral, op. cit.
  • [54]
    Cf., entre autres : Bourdieu (P.), « Effet de champ et effet de corps », Actes de la recherche en sciences sociales, 59, 1985, p. 73.
  • [55]
    Souligné par l’auteur. Roueff (O.), « Les homologies structurales : une magie sociale sans magiciens ? La place des intermédiaires dans la fabrique des valeurs », in Coulangeon (P.), Duval (J.), dir., Trente ans après La Distinction, Paris, La Découverte, 2013, p. 159.
  • [56]
    L’usage de la théorie des échecs développée par John L. Austin ne doit pas laisser penser que seul ce qui est écrit par les représentant.e.s d’intérêt pèse sur les candidat.e.s (Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil, 1970). Nous voulons souligner à quel point tout se joue dans les ressources que ces intermédiaires possèdent et reçoivent de leurs groupes respectifs.
  • [57]
    Roueff (O.), « Les homologies structurales … », art. cit., p. 159.
  • [58]
    Sur l’usage des cadres cognitifs utilisés pour universaliser une cause à un public élargi, voir l’enquête menée sur les droits de l’Homme, les droits de l’environnement et les droits des femmes dans : Keck (M. E.), Sikking (K.), Activists beyond Borders. Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
  • [59]
    Entretien avec une « plume » de F. Bayrou, 6 juin 2013, Paris 5e. Il faut peut-être relire à cette aune la remarque défensive de F. Bayrou qui, interrogé lors d’une interview à propos d’un point de son programme qu’il ne reconnaît pas, affirme : « Ça a été écrit par une commission zélée mais ça n’est pas un mot qui est sorti de ma bouche ! », https://www.youtube.com/watch?v=g4Rt6byFtIc.
  • [60]
    D’où, par exemple, les récits qui font état des tours de passe-passe au cours desquels l’idée ou l’argument d’un.e lobbyiste fait son apparition dans le texte d’un.e candidat.e.
« Quand on a travaillé dans la politique la très grande force qu’on apprend, c’est l’intuition. C’est l’intuition, et apprendre à sentir les choses. C’est pour ça que tout à l’heure vous m’avez posé une question qui est pour moi la question la plus difficile c’est : “Mais comment vous décidez ? Comment vous sentez les trucs et tout ?”… Ben je sais pas. C’est ce que j’ai appris dans la politique [1]. »

1La vision la plus communément partagée d’une élection met en scène trois types d’agents : les partis politiques, les candidats et les électeurs [2]. Consacrant la conception dominante des acteurs légitimes du champ politique, cette perspective ne permet pas de prendre la pleine mesure de la demande politique et passe outre un processus central de la production de l’offre [3]. Il est en effet un quatrième type d’agents qui mène un véritable travail électoral sans chercher pour autant à conquérir des votes : les professionnel.le.s de la représentation des intérêts, communément qualifié.e.s de « lobbyistes » ou de « chargé.e.s de plaidoyer ». Cet article examine les modalités d’une forme particulière de campaigning en déplaçant le regard du travail de sollicitation des électrices et électeurs, effectué par les candidat.e.s et leurs équipes, vers celui réalisé par les représentant.e.s d’intérêt en direction des candidat.e.s. Qu’ils ou elles détiennent un titre à représenter un secteur, un intérêt, une cause, un segment de la société, un groupe ou une activité professionnelle, qu’ils ou elles œuvrent pour le compte des différentes formes d’organisations, ces représentant.e.s portent des revendications, envoient des invitations, font des propositions, émettent des requêtes ou rédigent des questionnaires à destination des candidat.e.s. Plus ou moins professionnalisé.e.s, ces agents représentent des groupes aux modes d’action, aux statuts, aux finalités et aux ressources fort variés, qui jouissent d’un accès inégal au champ politique. Des associations, collectifs et ONG aux entreprises, cabinets de conseil et think tanks, en passant par les syndicats de travailleurs ou les organisations professionnelles, certains groupes se distinguent par leurs rapports au(x) public(s), le caractère ouvertement « militant » de leur engagement et des activités vindicatives ou subversives – ils relèvent alors traditionnellement de la sociologie des mobilisations – quand d’autres se caractérisent par une organisation formalisée et hiérarchique, une participation officielle aux processus décisionnels, leur inclusion dans la politique institutionnelle et la dimension strictement économique des intérêts qu’ils défendent – ils ressortissent plus communément des travaux sur les politiques publiques ou les groupes d’intérêt. Plusieurs arguments nous ont néanmoins conduit.e à dépasser cette stricte division du travail académique dans le cadre de notre étude.

2L’enquête porte en effet non seulement sur une période (la campagne) délimitée par la politique « conventionnelle » mais elle privilégie, en outre, une entrée plutôt institutionnelle qui vient renforcer l’effet de cette focale : elle a été resserrée sur les mobilisations et l’envoi de courriers à l’intention des candidat.e.s en lice, qui relèvent dès lors de modalités de participation formelles, liées à la politique « officielle », qui sont davantage l’apanage des initié.e.s ou des « insiders ». Cette entrée par les pratiques a toutefois amené à constater qu’en temps de campagne il est difficile d’identifier un groupe à sa façon d’agir. À l’exception de certaines formes d’expression de revendication, comme les manifestations d’intersyndicales devant les « QG de campagne », les groupes en campagne recourent à des modalités de mobilisation peu distinctives. Qui a l’apanage d’un « tour de France [4] » ? Le « forum [5] » est-il l’exclusivité d’une catégorie de groupe ? La distribution de ces formes de protestation ne suit pas la logique souvent soulignée par ce que le langage ordinaire et la littérature désignent comme des « mouvements sociaux » ou des « lobbies », incitant de fait à revenir sur des frontières disciplinaires souvent réifiées. Ce retour a semblé d’autant plus important que les dichotomies établies dans le monde académique relèvent, ou font parfois l’objet, d’usages identitaires et de stratégies de distinction de la part des groupes concernés. Certaines ONG revendiquent, par exemple, la pratique du « plaidoyer » contre celle du « lobbying », pour signifier qu’elles agissent en politique dans le but de défendre une cause noble, sans pour autant recourir à des modalités d’action considérées comme exemplaires des milieux d’affaires. Plusieurs éléments empiriques invitent pourtant à ne pas traiter séparément les ONG [6], tant en ce qui concerne leurs pratiques durant la campagne qu’au regard de la similarité des logiques de recrutement des dirigeant.e.s des « groupes d’intérêt » et des « entrepreneurs de cause [7] », ou encore des phénomènes de circulation des représentant.e.s d’intérêt, témoignant de passages de la défense d’intérêts économiques à celle de causes communes (et vice-versa). Nos observations conduisent à l’hypothèse que ces représentant.e.s ont suffisamment de pratiques et de croyances en commun pour former un espace structuré leur permettant de prendre position et d’introduire des enjeux dans le champ politique. En conséquence, afin de rendre l’écriture plus lisible et sans oublier les différences qui caractérisent ces différents groupes, notamment hors des périodes électorales, le terme de « groupes d’intérêt » est utilisé pour désigner l’ensemble des groupes qui se sont mobilisés lors de la campagne présidentielle de 2012 [8], et celui de « représentant.e.s d’intérêt » pour qualifier les agents qui parlent au nom des groupes [9].

3Les sollicitations des groupes d’intérêt à l’endroit des candidat.e.s font l’objet d’un traitement particulier dans les quartiers généraux (QG) de campagne et donnent lieu, parfois, à des réponses, voire à des rencontres. Or il est une deuxième frontière académique que ce terrain invite à dépasser : celle qui considère les représentant.e.s d’intérêt et le personnel politique comme appartenant à deux univers séparés. À rebours, la sociographie de cette population (cf. encadré infra) montre qu’ils raisonnent de façon similaire, proviennent parfois des mêmes écoles, parlent souvent le même langage et ont quelquefois travaillé ensemble au cours de leur carrière passée. Dépasser l’extériorité des représentant.e.s d’intérêt vis-à-vis du champ politique dans lequel ils prennent et tiennent des positions, sans pour autant y détenir de postes permanents, permet de comprendre comment ils y sont agis autant qu’ils y agissent, et de se demander, non plus seulement comment les groupes « pèsent » sur l’élection, mais également comment l’élection pèse sur eux. Une telle perspective vient, en retour, approfondir notre connaissance du travail électoral en ce qu’elle invite à analyser la division des tâches et les formes de coopération à l’œuvre en temps de campagne.

4L’analyse des pratiques de mobilisation électorale des groupes recensés permet de mettre au jour le répertoire d’action qu’ils déploient en direction des candidat.e.s. Le cadre de cette enquête a été l’occasion de tester la métaphore de Charles Tilly [10] dans sa version interactionniste, le « répertoire en action [11] », en l’appliquant aux groupes d’intérêt qui tentent d’interagir avec les équipes des candidat.e.s. Un répertoire d’action est toujours une « co-construction » et le « choix » des moyens d’action le « produit des structures d’interaction [12] ». En composant le catalogue des actions engagées, nous avons donc isolé des répertoires acquis, intériorisés et plus ou moins maîtrisés – chez Howard Becker et Robert Faulkner ces répertoires individuels sont les morceaux et pièces qu’un.e musicien.ne peut jouer ou bien les tonalités dans lesquelles il ou elle peut s’aventurer. Pour délimiter les contours du répertoire de la représentation d’intérêts, nous avons observé comment les agents en jeu, soit les conseiller.e.s des candidat.e.s d’un côté et les représentant.e.s d’intérêt de l’autre, se coordonnent et, ce faisant, réalisent ensemble un répertoire. Le répertoire entendu comme mode d’« agir ensemble » vient ainsi mettre l’accent sur la reconnaissance dont chaque interactant.e peut bénéficier, leur crédit respectif découlant, en partie, de leur capacité à agir ensemble, conformément aux attentes de leurs publics – soit, en l’occurrence, l’adhérente, le client ou la candidate et, parfois, le journaliste… – publics qui nécessitent « une attention de tous les instants de la part de chaque membre du groupe » pour « s’ajuster et se réajuster en permanence à ce que fait l’autre partie [13] », sans oublier les contraintes qu’impose la concurrence des pairs.

5Saisies par les groupes d’intérêt, les équipes de candidat.e.s accordent néanmoins une attention variée à ces différentes sollicitations. L’inégalité des chances d’être entendus ou reçus qui distingue ces groupes trouve, entre autres, son origine dans la structuration de l’espace des représentant.e.s d’intérêt en France qui oppose des agents aux compétences différenciées qui n’entretiennent pas le même rapport au politique. C’est en se penchant sur les conditions de réception des sollicitations dans les équipes de campagne et les affinités qui rapprochent les représentant.e.s d’intérêt et les entourages politiques que l’on propose d’élargir la scène électorale pour reconsidérer la question de « l’influence » à l’aune des formes d’anticipation intériorisée par ces agents, des collaborations étroites et de la division du travail à l’œuvre entre des groupes et des équipes de candidat.e.s en campagne.

La mobilisation électorale des groupes : « business as usual » ?

62012 n’est pas la première campagne présidentielle à avoir suscité l’effervescence de secteurs variés de la société française [14]. Cette enquête (cf. encadré infra) donne à voir des mobilisations d’intensité variable selon les catégories de groupes concernées. 44,5 % de celles et ceux qui les représentent et portent leurs revendications ont mis en place un dispositif particulier à cette occasion. La campagne présidentielle offre ainsi pour certains groupes une opportunité de mobilisation mais une large majorité des représentant.e.s interrogé.e.s (58,5 %) déclare ne pas avoir modifié son travail quotidien de façon notoire [15].

Note méthodologique

Plusieurs méthodes ont été déployées :
  • La sociographie d’une population de 717 personnes ayant exercé à temps plein le lobbying entre 1998 et 2012 [16]. Elles ont été repérées à partir de la liste des personnes citées comme telles dans la presse politique. Cette source a été largement complétée par les listes des consultant.e.s adhérent.e.s des principales organisations professionnelles de lobbyistes ou des salarié.e.s en charge des « relations institutionnelles » – l’Association pour les relations avec les pouvoirs publics, l’Association française des conseils en lobbying, l’Association française des consultants en affaires publiques, Syntec Relations publiques et, pour la période plus récente, le Groupe des nouveaux lobbyistes, les réseaux « Base » et « PubAffairesParis », ou encore le Centre d’études des directeurs d’associations professionnelles et l’Association des avocats lobbyistes. Les contours de cette population ont enfin été affinés grâce aux hubs et aux groupes de lobbyistes sur les réseaux LinkedIn et Viadeo.
  • Des entretiens semi-directifs ont été menés avec des membres d’équipes de candidat.e.s et, surtout, de représentant.e.s de groupes d’intérêt. L’échantillon a couvert vingt-cinq personnes, dont certaines rencontrées plusieurs fois.
  • Onze observations directes ont également été menées lors de « séminaires », « conférences », « forums » et « dîners-débats » organisés par des groupes ou des lobbyistes, et lors de deux séances de présentation de notre enquête, suivies par plus d’une cinquantaine de représentant.e.s d’intérêt.
  • Un questionnaire destiné aux représentant.e.s d’intérêt, mis en ligne entre mars et juin 2012 et diffusé via les organisations susmentionnées ainsi que deux groupes créés sur LinkedIn et Viadeo. Il aborde les trajectoires scolaires et les positions professionnelles occupées au cours de la carrière. Il se poursuit par les pratiques électorales et les spécificités du travail pendant une élection. Il se termine par des expériences concrètes de campagnes électorales – en 2012 et lors des campagnes précédentes. Ce questionnaire a été ouvert par 220 personnes, 163 réponses sont exploitables [17].
  • La composition d’un catalogue des actions[18] consistant soit en l’organisation d’un événement, soit en un envoi à destination des candidat.e.s (une idée, une information, une demande de rendez-vous, une proposition ou une question). Ce catalogue a été composé à partir d’une veille quotidienne ciblée sur Internet et des informations recueillies auprès de différents contacts (journalistes, chercheur.e.s, consultant.e.s, responsables des public affairs et membres d’équipes de campagne), ainsi que des archives d’équipes de candidat.e.s en campagne à commencer par l’intégralité de celles conservées par l’équipe de François Bayrou [19]. Les autres, plus morcelées, sont issues des équipes de campagne d’Eva Joly et de Jean-Luc Mélenchon [20]. Le catalogue comprend les actions menées dans le cadre des élections présidentielle et législatives et conforte la place première de l’élection présidentielle (82 % des groupes ont agi dans ce cadre et seulement 7,2 % des groupes ont élaboré une stratégie en deux temps afin de préparer le quinquennat à venir [21]). Ce catalogue comporte 1 007 actions, 84,6 % d’entre elles ayant été menées par plus de 1 500 groupes d’intérêt. Il recense 1 646 documents d’un volume de 5 371 pages dans lesquelles sont formulées des questions ou des propositions (plus de 6 500).
Globalement, la population des groupes mobilisés en campagne offre une surface sociale plus large que celle des lobbyistes étudié.e.s. La raison tient à la fois à l’entrée en campagne d’une forte proportion de groupes peu habitués à agir dans le champ politique et au fait que nombre de représentant.e.s d’ONG et d’associations échappent au repérage des institutions et des organisations de lobbyistes, souvent du fait de stratégies de distinction et de logiques différentes de présentation de soi.

Visibilité et invisibilisation des groupes dans la campagne

7Douze catégories de groupes d’intérêt [22] se mobilisent lors des campagnes électorales. La campagne présidentielle apparaît comme une période d’effervescence particulièrement intense pour les associations qui figurent en première position des groupes mobilisés (42,3 % des actions cataloguées). L’apparent dynamisme de ces mobilisations associatives ne doit pourtant pas masquer les importantes disparités que recouvre la catégorie « association » selon les causes défendues et les moyens utilisés. Ces organisations sont très hétérogènes, tant par leurs ressources (les plus gros budgets sont de 500 000 euros) et les objectifs qu’elles affichent que par le degré de professionnalisme de leurs équipes (les plus amateurs n’énoncent pas toujours des requêtes claires quand les professionnel.le.s transmettent des demandes chiffrées ou des propositions argumentées et rédigées). Les deuxième et troisième places dans le catalogue des mobilisations reviennent à des groupes plus homogènes : les organisations et ordres professionnels (22 %) et les syndicats de salarié.e.s (14,2 %). Arrivent ensuite, par ordre décroissant, les représentant.e.s des élu.e.s et des collectivités, les cercles et les think tanks, les entreprises (privées et publiques) et les congrégations, la dernière position étant occupée par les agences et les consultant.e.s en « affaires publiques ». Ce catalogue répertorie ainsi de multiples enjeux (du sport aux droits des animaux, de la fiscalité à la politique internationale, des enjeux mémoriels à la santé), à l’exception notable des intérêts militaires et des organisations liées à la défense. La hiérarchie des groupes qui ont agi pendant la campagne doit néanmoins être relue et interrogée à l’aune du questionnaire et de la population des représentant.e.s d’intérêt observée. Le catalogue minore ainsi les démarches entreprises par des groupes qui auraient emprunté d’autres canaux que le courrier, l’internet et la presse pour se mobiliser et s’adresser aux candidat.e.s. Échappent ainsi à cette fresque les contacts directs, téléphoniques ou par e-mail, les rendez-vous hors agenda officiel et les échanges organisés en dehors des QG, dans les bureaux des assemblées, des ministères ou de l’Élysée. Il faut donc pondérer à la hausse l’action des entreprises et, plus encore, celle des cabinets de lobbying qui agissent mais sont peu visibles dans la mesure où, soit seule la dirigeante intervient, soit seul le nom du client représenté apparaît dans notre catalogue. Interrogé au début de l’année 2012, un consultant dont le cabinet n’apparaît pas nommément derrière les faits de campagne recensés augure « que ce sera plutôt une bonne année », indiquant par là que ses services sont sollicités dans le cadre de la campagne. S’il précise alors n’avoir « rien fait à cette occasion qui serait vraiment différent ou neuf », il s’empresse aussitôt d’ajouter qu’en réalité, la campagne, « c’est business as usual[23] ! ».

Un répertoire d’actions électorales dérivé du répertoire traditionnel

8Le répertoire d’action électorale des représentant.e.s d’intérêt passe d’abord par l’écriture : plus de 90 % des groupes catalogués ont écrit au moins une fois aux candidat.e.s, certains d’entre eux ayant produit jusqu’à quatre écrits au cours de la campagne. C’est le cas par exemple du collectif « Pour un big-bang des politiques jeunesse ! » qui a rédigé une plateforme, un appel, une pétition et un communiqué, ou de l’Association des Paralysés de France qui est l’auteure d’un pacte, d’une affiche, d’un « plaidoyer » et d’une publicité. Si la pratique scripturaire s’inscrit dans le travail ordinaire de représentation des groupes d’intérêt, le rythme soutenu de la campagne oblige néanmoins leurs représentant.e.s à adapter les pratiques de leur répertoire. Le catalogue s’ouvre dès mars 2010, au milieu du travail routinier de la session parlementaire, par les premiers envois aux candidat.e.s pressenti.e.s [24]. Le rythme s’accélère à partir de janvier 2012 quand les équipes de campagne reçoivent plus de dix écrits par jour. Le pic est atteint en mars, avec une moyenne de vingt-cinq courriers quotidiens. Le catalogue se clôt en juin 2012, avec les derniers courriers de félicitation ou de remerciements envoyés aux deux candidats en lice au second tour. La forme épistolaire traditionnelle l’emporte encore sur la correspondance numérique, avec une prépondérance de « lettres ouvertes [25] », suivies par des « propositions » et des « questionnaires [26] ». Comparé à la vie politique ordinaire, on trouve très peu de projets de loi fournis « clés en main » et un volume comparable de « livres blancs ». Quelles que soient leurs formes, ces écrits partagent un registre singulier d’expressions (« proposer », « débattre », « demander », « publier », mais surtout « interpeller » figurent parmi les verbes les plus utilisés) et une caractéristique commune : la concision. C’est là une autre contrainte imposée par la campagne dont l’intensité enjoint ses divers protagonistes à « faire court ». À l’exception de quelques rares groupes qui ont publié des ouvrages de plus deux cents pages, la norme est à l’argumentaire précis autour d’un nombre limité de demandes ou de propositions, et nombre d’entre eux ont trouvé dans l’année 2012 l’occasion de se limiter à douze propositions.

9La deuxième forme de mobilisation dérivée de leur répertoire traditionnel d’action en politique consiste à mobiliser un auditoire en organisant des événements tels que des conférences, des meetings, des petits-déjeuners, des happenings et des manifestations variées pour débattre publiquement de l’élection et discuter des actions menées par leur groupe, parfois en présence de candidat.e.s ou de leurs représentant.e.s, voire des médias. Ces événements, qui ont concerné 19,7 % des groupes catalogués [27], ne visent pas nécessairement à faire nombre et rassemblent des auditoires variés – du seul « staff de direction » au public aléatoire d’une salle de spectacle ouverte à tou.te.s. La première « rencontre nationale » en vue de préparer le futur quinquennat est ainsi organisée en mai 2011, à l’initiative des professionnel.le.s du logement et de l’habitat, la campagne s’intensifiant à partir de février 2012 lorsque quatre événements quotidiens en moyenne sont organisés. L’action des groupes d’intérêt pendant la campagne est ainsi largement animée de palabres. Elle consiste à entendre lors de dîners, à écouter pendant des « colloques », à interroger lors de rassemblements, à dialoguer dans des « forums », à débattre et à informer leurs membres, les journalistes, le public ou les candidat.e.s et leurs équipes, du ou des sujets qui les préoccupent [28]. Leurs formes sont aussi très variées : de la manifestation avec banderoles et slogans devant un QG de campagne, à des réunions dans des théâtres en passant par des formes plus originales telles que des « tours de France », des « caravanes » ou des « concerts débats ».

10Dans le cadre de ces mobilisations, les groupes s’investissent de façon variable, mais ceux qui agissent plusieurs fois ou en utilisant plusieurs pièces du répertoire sont les plus rares. Ils ne sont pas non plus égaux devant les retombées médiatiques dont font l’objet leurs manifestations (28,5 % en ont bénéficié avec des formules extrêmement variées allant du simple communiqué à un article faisant la « une ») ni devant la possibilité de rencontrer un.e candidat.e, que seuls 19,3 % d’entre eux ont néanmoins explicitement demandée. Contrairement à ce qu’il se passe en Amérique du Nord, rien ne permet d’affirmer que les groupes tiennent le rôle d’auxiliaires ou de mercenaires dans la campagne [29] : ils ne participent pas à la collecte des voix et ne se chargent pas de publiciser des enjeux pour le compte d’un.e candidat.e [30]. En France, les groupes d’intérêt sont plus distants, autonomes et détachés des partis, même si certains partagent leurs idées et adhèrent à certains pans de leurs programmes, allant même jusqu’à donner des consignes de vote. Seulement 3,8 % des groupes catalogués s’y risquent néanmoins, certains de façon indirecte – en appelant par exemple à voter pour les candidat.e.s ayant pris position contre la corrida –, les autres visant plus explicitement à faire échouer N. Sarkozy (ou élire F. Hollande). Certains d’entre eux ont eu recours à une pièce relativement ancienne du répertoire d’actions électorales des groupes d’intérêt consistant à enrôler publiquement des candidat.e.s, afin qu’ils ou elles défendent l’intérêt d’une profession ou d’un secteur d’activité après l’élection. Pendant la campagne, cela prend la forme de tableaux de bord consignant les positions de chaque candidat.e, et peut se manifester par la signature solennelle d’un « pacte ». Il s’agit là de ce que David Magleby qualifie d’« outside campaigns[31] » par lesquelles des groupes, parallèlement aux candidat.e.s, mènent leur propre campagne en faveur des intérêts qu’ils défendent, en utilisant les médias et des formes variées d’intervention, tout en ayant l’objectif d’« influencer » le processus électoral [32]. Les groupes entendent néanmoins ne pas être à leur tour enrôlés dans des stratégies politiques partisanes, et veillent à marquer leur distance lorsqu’ils participent à des universités d’été par exemple – ce fut le cas de Greenpeace à l’égard tant de l’UMP que du PS et du MoDem à l’été 2011 [33] – ou aux « forums » organisés pour structurer le programme d’un.e candidat.e – formule utilisée par F. Bayrou en février 2012.

11Si la campagne est, pour certains groupes, un moment d’effervescence, les mobilisations qu’elle génère s’inscrivent dans une forme de continuité avec leurs activités hors période électorale et avec le répertoire d’action traditionnellement utilisé dans le champ politique. Le catalogue donne ainsi un premier aperçu de l’éventail des pratiques et des groupes mobilisés. En autorisant le croisement de ces deux dimensions avec les réponses obtenues de la part des candidat.e.s, ce recensement vient également confirmer une découverte classique de la sociologie politique : les chances de produire un effet dans la campagne sont faibles et très inégalement réparties. L’analyse de cette inégalité des chances en campagne invite à déplacer le regard des groupes mobilisés vers les agents qui les représentent.

Des représentant.e.s d’intérêt inégaux.ales devant la campagne

12La grande majorité des groupes qui se mobilisent en sollicitant l’attention des candidat.e.s ou de leurs équipes n’est pas écoutée ; leurs courriers restent sans réponse (89,1 % n’obtiennent pas de réponse des deux candidats présents au second tour), ils ne sont pas reçus (60,1 % des demandes de rencontre des deux mêmes candidats n’ont pas été honorées), et aucune suite n’est donnée à leurs demandes répétées (seuls 29,7 % de ceux qui ont envoyé quatre documents ont reçu une réponse). La persistance de leur engouement et les raisons d’agir des auteur.e.s de ces demandes dont les professionnel.le.s savent à quel point elles ont peu de chances d’aboutir [34] tiennent à leur illusio et à des motivations plus domestiques liées à leur recherche de légitimité au sein de leur espace : montrer que l’on fait pression est un sous-produit de la direction des groupes d’intérêt. Pendant la campagne, la crédibilité d’un.e représentant.e repose ainsi, comme pour les virtuoses de la religion de Max Weber [35], sur l’accomplissement de quelques exploits. Écrire à des candidat.e.s est de ces exploits qui se suffisent à eux-mêmes. Nul besoin d’en prouver l’efficacité : arguer que cela a été fait permet en soi de rassurer la représentante sur sa crédibilité au sein du groupe.

13Certaines, néanmoins, parviennent à se faire entendre et décrochent un rendez-vous ou se voient gratifiées de la présence d’une candidate, ou d’une conseillere, lors d’un événement qu’elles organisent. Comment expliquer, dès lors, que les sollicitations de La Voix de l’Enfant, reconnu comme le porteur d’une cause légitime incarnée par une actrice célèbre, soient restées lettre morte auprès des candidat.e.s alors que d’autres entrepreneurs de causes voisines ont été reçus, voire sollicités ? Démêler les raisons qui permettent d’expliquer de telles inégalités, en se penchant sur les conditions de possibilité d’une rencontre entre certain.e.s représentant.e.s d’intérêt et des agents politiques, invite à examiner la sociologie des agents concernés et de leurs pratiques.

Les professionnel.le.s du lobbying en France, une population entre cadres et « élite au pouvoir[36] »

La comparaison entre la campagne et la vie politique ordinaire est passée par une enquête sur la population des professionnel.le.s de la représentation des intérêts en France et sa morphologie.
Majoritairement masculine (près de 58 % d’hommes), la population enquêtée des professionnel.le.s de la représentation des intérêts est néanmoins davantage féminisée que celle des professionnel.le.s de la politique auprès desquel.le.s elle agit. Si le domaine des relations publiques comporte relativement plus de femmes que d’autres secteurs des métiers du conseil, elles accèdent plus rarement aux postes de direction. Dans notre enquête, la population suivie depuis 1998 s’avère plus féminisée que celle ayant répondu au questionnaire (l’écart est de 8 %), ce qui tendrait à contrecarrer l’hypothèse d’une féminisation accrue des nouvelles générations entrant dans le lobbying, les répondants aux questionnaires étant plus jeunes que la population suivie (65 % ont moins de 46 ans contre 38 % pour la cohorte des 717) mais également davantage issus des organisations professionnelles, dont on sait à quel point elles sont peu féminisées comparées aux agences de communication et de « relations publiques ». L’âge médian de notre population est de 52 ans (les plus jeunes avaient 26 ans en 2012 – ils sont nés en 1986 – et le plus âgé 89 ans – il est né en 1923) et l’âge moyen est de 56,4 ans (contre 55 ans à l’Assemblée nationale).
La forte concentration de cette population sur Paris (plus de 91 % des répondants au questionnaire y travaillent et 86 % de la cohorte des 717) témoigne du moindre développement des directions territoriales de gestion des « affaires publiques ». À cette forte centralisation s’ajoute une très faible européanisation des lobbyistes en charge des institutions françaises. Les carrières entre ces deux univers sont étanches et les systèmes politiques européen et national doivent dès lors être pensés comme des univers autonomes. Ainsi, les spécialistes du lobbying des institutions européennes interviennent peu dans la vie politique nationale (de 2,5 à 6,5 %), et ces mêmes spécialistes arrivent difficilement à passer d’un système à l’autre au cours de leur carrière.
Les effets des logiques du recrutement élitiste s’observent par les diplômes et le type de carrières étudiantes. À l’instar des élites politiques, les lobbyistes sont « surdiplômé.e.s », tant en ce qui concerne le nombre de diplômes dont ils ou elles peuvent se prévaloir qu’en ce qui relève du niveau des diplômes obtenus. Les titulaires d’un diplôme inférieur ou égal au bac sont rares (entre 2,5 et 4 %) et la grande majorité des lobbyistes est titulaire d’un Master (plus de 83,5 % ont au moins un Master 1), principalement en provenance d’un établissement d’enseignement supérieur public et, pour la plupart, d’un IEP.
Si les données relatives aux origines sociales des parents sont inconnues, les résultats cumulés des trajectoires scolaires et universitaires donnent à voir un groupe professionnel qui répond aux logiques de recrutement des élites, en privilégiant les enfants issus des catégories sociales conformes aux attentes de l’enseignement supérieur. Plus précisément, cette sociographie montre que la population des lobbyistes en France se situe entre les cadres et l’« élite au pouvoir ». Ces bornes permettent d’objectiver tant l’écart entre leurs diplômes (du plus commun, le master, au plus rare, le passage par Polytechnique ou l’ENA) qu’entre leurs revenus (du salaire ordinaire de tout début de carrière, autour de 1 500 euros nets par mois, aux émoluments réservés aux rares ancien.ne.s ministres et hauts fonctionnaires dans les cabinets dont les chiffres d’affaires dépassent 4,5 millions d’euros par an). Si celles et ceux qui cumulent le plus de capitaux et qui exercent leur activité au sein des groupes les plus prestigieux apparaissent dans le Who’s who ? la technique du suivi de cohorte donne à voir la population des lobbyistes professionnel.le.s dans son ensemble (6 % uniquement figurent dans le Who’s who ?), des sommets du pouvoir jusqu’aux intermittent.e.s de la profession, des plus conformes à la représentation prônée par les associations de lobbyistes à celles et ceux qui lui échappent.

14Les représentant.e.s d’intérêt ne forment pas néanmoins une population homogène. Les plus adapté.e.s aux conditions et aux règles implicites d’une campagne présentent des trajectoires idoines, grâce auxquelles ils ou elles ont pu accumuler des ressources spécifiques leur offrant un accès privilégié au champ politique. Porter la focale sur les représentant.e.s des groupes qui reçoivent le plus d’attention de la part des agents politiques en mettant au jour les caractéristiques qui les distinguent permet de délimiter les contours d’un nouveau corps de professionnel.le.s agissant dans le champ politique. Il s’agit de celles et ceux qui s’apparentent le plus à des professionnel.le.s de la politique, du fait de leurs trajectoires dans le champ du pouvoir et des ressources dont ils et elles disposent.

La structure de l’espace de la représentation des intérêts et les deux façons de faire campagne

15La représentation des intérêts est de plus en plus affaire de professionnel.le.s qui ont suivi des voies consacrées pour l’accès à ces métiers fondés sur des savoir-faire spécifiques. La sociographie de cette population montre que le type de trajectoire professionnelle suivi est un indicateur important des chances de « succès » auprès des candidat.e.s. Plus encore, ces trajectoires différenciées façonnent le type d’activités envisageables parmi celles qui composent l’espace du travail de représentation des intérêts. Car il y a plusieurs façons d’exercer ce métier dont l’orientation apparaît déterminante en temps de campagne. Plus précisément, l’accès à l’espace de la représentation des intérêts en France est principalement gouverné par deux logiques de recrutement, qui renvoient à des trajectoires scolaires et professionnelles distinctes et à des conceptions différentes de ce métier [37] : le pôle des « communicant.e.s [38] » s’oppose au pôle des « politiques ».

16D’un côté, cet espace est composé de professionnel.le.s issu.e.s du monde du conseil et, dans une moindre mesure, du journalisme. Provenant davantage des écoles de commerce, des écoles d’ingénieurs et des écoles de journalisme, les individus qui composent ce pôle sont plus jeunes, beaucoup plus internationalisés et parfois totalement dépourvus d’expérience en politique. On retrouve là davantage de nouveaux entrants qui accèdent à leur poste directement après des études supérieures. Leur présence témoigne de la création récente de cursus spécialisés qui ont fait du lobbying une voie d’entrée directe sur le marché du travail [39]. Leurs métiers sont davantage tournés vers les médias et l’opinion publique et ils marquent leur préférence pour les sondages et les campagnes de presse au détriment des interventions directes auprès des candidat.e.s et des élu.e.s. De l’autre côté, l’espace de la représentation des intérêts est composé d’agents qui peuvent être perçus comme des professionnel.le.s de la vie politique, du fait de la nature de leur carrière [40]. C’est dans ce second pôle que l’on trouve celles et ceux qui ont reçu le plus de réponses, et de réponses positives dans le cas des demandes de rencontre des candidat.e.s. Il s’agit d’individus relativement plus âgés et plus professionnalisés. On retrouve là davantage de lobbyistes ayant suivi des cursus en droit et en science politique. Plus politisé.e.s, ces lobbyistes sont majoritairement d’ancien.ne.s assistant.e.s parlementaires (49,5 % de la population totale) et d’ancien.ne.s membres de cabinets ministériels (23 % de la population totale). Ils partagent une conception du métier orientée vers le champ politique et travaillent davantage avec et sur les institutions. Alors que les lobbyistes du pôle « communicant » apparaissent d’abord comme des courtiers en provenance d’autres champs, ceux-ci font figure de véritables professionnels de la politique. Ils et elles partagent d’ailleurs l’un des traits caractéristiques du métier politique, à savoir la multipositionnalité dans le champ du pouvoir. Les individus concernés cumulent ainsi les positions et les ressources, conjuguant par exemple des mandats dans la représentation institutionnelle des intérêts (en chambre de commerce notamment) et des responsabilités dans des commissions officielles. Les trajectoires professionnelles des lobbyistes de ce pôle sont fortement imbriquées avec le champ politique, non seulement du fait de leurs passages en cabinet ministériel, en collectivités territoriales ou dans des postes d’assistant.e.s parlementaires, mais également en raison de leur expérience du rituel électoral.

Quand domine la maîtrise des règles du jeu électoral

17Dans son analyse des données sociographiques du personnel politique, Daniel Gaxie signalait l’importance du tropisme économique [41] qui frappe les agents du champ politique sous la Ve République. Trente ans plus tard, l’analyse des données sociographiques des lobbyistes montre l’importance du tropisme politique qui touche ces agents. Celui-ci se manifeste notamment dans l’orientation des représentant.e.s d’intérêt vers le champ politique et le fait que 11,6 à 15 % de notre échantillon ont été candidat.e.s à des élections, quels que soient leurs types – des départementales aux européennes en passant par les sénatoriales, même si les législatives et les municipales arrivent en tête. Interrogé à ce sujet, l’un d’eux, ancien élu local, répond, sur le mode de l’évidence : « C’est fréquent [42] ! » Lors des élections, nombre de représentant.e.s d’intérêt officient également comme conseiller.e.s des candidats ou en tant qu’expert.e.s auprès de leurs équipes :

18

« Disons que j’ai passé quatre ans en cabinet ministériel et puis sur le terrain, vraiment dans le cadre de la politique locale […] je sais bien ce que c’est que la politique et je sais que la campagne aussi est permanente, et j’ai vu une campagne locale comme les régionales […] C’est une très bonne école. […] voilà, j’ai une formation en science politique, j’ai quatre ans d’exercice en communication politique derrière moi, à différents échelons, et j’aime beaucoup la politique, j’ai un bon instinct [43] ! »

19La participation à l’élection en tant que « supporter » d’un.e candidat.e est certainement minorée dans nos enquêtes du fait du taux élevé de non-réponses aux questions touchant à ces sujets [44]. En dépit des fortes réticences des enquêté.e.s à aborder leur engagement en politique, nos résultats indiquent que toutes élections confondues (de la présidentielle aux cantonales) près de 26 % ont prodigué des conseils à un.e candidat.e et 25,3 % ont fait partie d’une équipe de campagne.

20Ce tropisme politique se manifeste également dans le rôle central joué par la détention de compétences proprement politiques, telle que la connaissance du jeu électoral. Les représentant.e.s d’intérêt les plus actif.ve.s, les plus écouté.e.s et les plus reçu.e.s lors de la campagne sont celles et ceux qui montrent la plus grande maîtrise de ces compétences. Le processus de traitement de leurs demandes par les équipes des candidat.e.s impose ainsi un cadre et un certain nombre de règles non écrites du jeu politique dont la connaissance oppose les représentant.e.s de groupes qui les connaissent, en partagent les conventions et sont habitué.e.s à travailler auprès des équipes ministérielles et parlementaires, à celles et ceux qui, en temps de campagne, s’improvisent en porteurs d’une revendication ou d’un programme à destination de candidat.e.s dont ils ne connaissent ni les membres de l’équipe ni même parfois l’adresse postale. Comprendre le jeu électoral à la manière d’un.e professionnel.le de la politique est ainsi apparu comme un élément très clivant du portefeuille de compétences politiques qui oppose les représentant.e.s d’intérêt des deux pôles, en garantissant aux plus politisé.e.s un quasi-monopole de ce courtage particulier.

21Comment se concrétise, dès lors, ce savoir-faire électoral ? Considérant l’intensité et le rythme des campagnes, la bonne maîtrise du temps et le choix du moment opportun d’intervention apparaissent cruciaux. Il s’agit également de savoir sélectionner les candidat.e.s pertinent.e.s à contacter, ce qui requiert du « flair » et un certain sens du jeu lorsque la liste « officielle » complète n’intervient que tardivement (en janvier pour le cas de l’élection présidentielle d’avril-mai 2012), alors que beaucoup des programmes ont déjà été présentés et que les équipes ont déjà commencé à recevoir et à entendre des représentant.e.s d’intérêt. Cela exige, enfin, d’acquérir le sens du placement dans cette période qui commence à l’entre-deux-tours de la présidentielle et qui dure jusqu’à la présentation officielle du nouveau gouvernement. Les plus expérimenté.e.s savent prendre contact avec les candidat.e.s non élu.e.s aux premier et second tours, pour les remercier de les avoir écouté.e.s. Cette attention est redoublée d’une inscription des législatives dans la continuité des actions menées en amont de la présidentielle. Ce placement va jusqu’à la prise de contact avec les nouveaux et nouvelles ministres, avant même leur nomination. En entretien, les lobbyistes s’appuient ainsi sur la légitimité tirée de leur expérience en politique pour se prévaloir d’un savoir-faire spécifique, d’une forme d’« instinct [45] », d’« intuition » et de capacité à « sentir les choses [46] ». Notre enquête montre combien le passage par un poste relevant directement du champ politique compte dans l’ajustement d’un.e lobbyiste aux exigences d’une campagne électorale. À cet élément essentiel du portefeuille de campagne s’ajoute un dégradé de compétences qui permet aux plus expérimenté.e.s d’adopter des pratiques ajustées aux attentes des équipes de campagne, telles que la maîtrise de la langue politique, la bonne compréhension des règles du jeu politique et le savoir-faire médiatique. En définitive, celles et ceux qui voient leurs actions auprès des candidat.e.s couronnées de succès sont les tributaires de compétences quasi identiques à celle des professionnel.le.s de la politique. Dans chacune de ces dimensions, les plus « politiques » des professionnelles du lobbying montrent leur aisance à lire leur « boussole politique [47] » et à maintenir les ressources leur permettant de trouver les bons interlocuteurs aux bons moments.

22Pour comprendre comment des représentant.e.s d’intérêt font faire des choses aux agents politiques et pourquoi certain.e.s bénéficient d’une plus grande écoute politique, il convient également d’appréhender la représentation des intérêts au regard des logiques du champ politique. Restituer les conditions de possibilité d’une rencontre ou d’une écoute implique dès lors l’étude des agents qui reçoivent les sollicitations des lobbyistes et celle des modalités de traitement dont ces demandes font l’objet.

L’influence électorale ou le travail des « magicien.ne.s »

23Le lobbying en campagne électorale est généralement perçu et interprété de façon univoque comme l’action de groupes d’intérêt sur un.e candidat.e. Les travaux existants se focalisent sur des groupes, leurs budgets, leurs activités, leurs méthodes ou leurs réseaux [48]. Ce sont des caractéristiques primordiales du champ politique dans son ensemble qui sont ainsi délibérément ignorées : son autonomie, ses logiques, son fonctionnement et ses impératifs. Or notre enquête révèle combien les lobbyistes doivent se conformer aux règles du champ politique et se voient imposer son rythme, sa dynamique et son agenda, ce qui tend à les placer dans une relation ancillaire, ou une « subordination structurale [49] », vis-à-vis de la structure de l’offre politique. Plus encore, ces travaux négligent tant les individus qui agissent au nom des groupes que les autres interactant.e.s de cette relation : les agents politiques et leur entourage. Ceux-ci sont perçus comme les destinataires passifs des tentatives, amorcées ou abouties, de groupes d’intérêt toujours à l’initiative et en mouvement. Pour neutraliser ces conceptions partiales et partielles de l’interaction entre candidat.e.s et représentant.e.s d’intérêt, la proposition formulée à partir de données sociographiques a été mise à l’épreuve du terrain, à savoir que plus les représentant.e.s d’intérêt auront une fine connaissance des impératifs politiques et des règles du jeu en temps de campagne, et plus ils ou elles seront à même de formuler une demande ayant des « chances » d’aboutir. À cette formule s’ajoute une variante qui s’intègre dans l’étude de la co-construction du répertoire d’action en campagne : plus l’équipe d’un.e candidat.e sera composée de conseiller.e.s expérimenté.e.s et doté.e.s de ressources suffisantes, moins elle aura de « chances [50] » de trouver incongrues certaines demandes en provenance de groupes d’intérêt ou de se sentir démunie devant des sollicitations allant de « l’élevage porcin » aux « gentilles tourterelles [51] ».

Homologies structurales et travail d’intermédiation

24Cette enquête n’a pas vocation à objectiver l’ensemble des pratiques développées par les représentant.e.s d’intérêt pendant une élection et intègre peu les séquences où priment les relations interpersonnelles et la sociabilité (les rencontres non publicisées, les dîners dans un cadre plus ou moins privé, les relations intimes, etc.). Elle nous permet néanmoins de sonder certaines des raisons qui président au refus de rencontrer un.e représentant.e d’intérêt, ou qui expliquent la promptitude d’une équipe de campagne à répondre aux sollicitations d’un.e autre. Les équipes de campagne sont organisées de façons différentes selon les candidat.e.s, elles développent leurs propres routines et suivent certaines règles et procédures pour faire face à l’afflux de demandes en provenance des groupes comme des journalistes. En 2012, les demandes transmises à N. Sarkozy, alors président de la République, étaient réparties entre l’Élysée et différents ministères, parmi les conseiller.e.s qui rédigeaient les réponses avant de les faire valider par Emmanuelle Mignon, chargée du programme du candidat. Dans le cas de F. Hollande, les courriers nécessitant des « positions programmatiques » étaient traités par des expert.e.s, regroupé.e.s par binômes et par pôles, sous la coordination de Constance Rivière, devenue par la suite directrice adjointe du cabinet du candidat élu. Pour F. Bayrou, c’est un « pôle études », animé par des « plumes » et placé sous la responsabilité du directeur de cabinet du Mouvement démocrate, qui était au centre du traitement des demandes reçues par le candidat, tandis que chez Europe Écologie-Les Verts, E. Joly travaillait avec une équipe chargée de mettre directement en ligne toutes ses réponses aux groupes d’intérêt.

25Indépendamment de la structuration et du modus operandi des équipes des candidat.e.s, un certain nombre de conseillers, de chargées de mission, d’expertes ou de « plumes » ont pour rôle de répondre aux sollicitations diverses en provenance des groupes d’intérêt. Or tout comme la sociographie des professionnel.le.s de la représentation des intérêts témoigne, pour la moitié d’entre eux, des expériences politiques qui ont ponctué leurs trajectoires, celle des auxiliaires du champ politique objective, quoique dans une bien moindre mesure, des passages par les champs dont ils et elles assurent l’expertise dans les « QG », certain.e.s y ayant tenu un poste de représentant.e d’intérêt. Ces métiers offrent toujours d’honorables et rémunératrices voies de reconversion en cas d’alternance politique, un phénomène que soulignait déjà Max Weber dans sa conférence sur le métier politique, à propos des effets de l’aléa électoral [52]. On constate ainsi une forte porosité entre ces deux univers d’activité. Dans le cadre des campagnes électorales, ce type de circulation s’observe dans la composition des équipes qui entourent les candidat.e.s. Il est remarquable que des conseillères spécialisées sur un thème soient précisément issues de l’univers à propos duquel elles informent le candidat [53]. Cette circulation reprend après la campagne : par exemple, parmi les douze « plumes » qui composent le « pôle études » de F. Bayrou, plusieurs se destinent aux « relations institutionnelles » et suivent des masters professionnels en « affaires publiques », l’une d’entre elles, bénévole, est consultante dans un cabinet de conseil en « affaires publiques et communication stratégique », et une autre est partie travailler pour un lobby agroalimentaire à Bruxelles après l’élection. Cette circulation croisée va jusqu’à produire la fusion de deux fonctions en une seule et même personne : une consultante devient l’experte d’une équipe de campagne qui remplit elle-même le questionnaire qu’elle a envoyé à un candidat – cas extrême relevé lors de notre enquête. On peut aisément avancer l’hypothèse selon laquelle les « plumes », ou les conseiller.e.s en général, seront plus sensibles aux représentant.e.s d’intérêt s’ils ou elles convoitent ce métier ou l’ont exercé par le passé. Chaque porteur d’une demande trouvera d’autant plus facilement dans l’offre politique un contact et une écoute qu’il ou elle lui est homologue. À rebours d’une vision unilatérale de la relation entre ces deux parties, qui ferait du personnel politique de simples marionnettes aux mains des lobbyistes, cela nous amène à envisager que ces dernier.e.s promeuvent des intérêts en affinité avec les thèmes auxquels des agents politiques sont déjà sensibilisés, du fait de la proximité de leurs habitus primaires et de l’harmonie de leurs parcours.

26Une telle formulation fait néanmoins l’économie d’une démonstration plus poussée visant à explorer les ressorts concrets de ce qu’on appelle communément l’influence, qui fait coïncider les intérêts représentés avec les attentes du personnel politique. Cette rencontre est généralement entourée d’un mystérieux halo rappelant la « magie sociale » qui préside à « l’affinité des dispositions » et à « l’orchestration spontanée des habitus [54] » via les homologies structurales. C’est le statut causal de cette magie et l’existence même d’effets des homologies structurales qu’Olivier Roueff discute quand il affirme que ces dernières « sont des conditions nécessaires mais non suffisantes de possibilité du travail d’ajustement entre l’offre et la demande […] pris en charge par les intermédiaires [55] ». Dans le cadre des actions menées par les groupes en campagne, l’acte magique estampillé du sceau de l’influence est accompli par deux « intermédiaires » : le lobbyiste et la conseillère, dont le rôle ici partagé est de cadrer les « conditions de félicité [56] » d’une rencontre entre une demande, portée par des intérêts plus ou moins particuliers, et une offre politique proposée par un.e candidat.e. C’est à un travail d’intermédiation que ces deux catégories d’agents s’attellent, le représentant faisant le lien entre sa cliente ou son employeur et l’équipe de campagne, quand la conseillère met en relation la demande avec les attentes du ou de la candidat.e. Parmi les représentant.e.s des groupes, les « “magiciens” de l’homologie structurale [57] » se situent davantage parmi celles et ceux qui sont issu.e.s des cursus de science politique (dont les IEP) et qui trouvent dans la structure du champ politique une écoute proportionnelle à leur proximité sociale avec les professionnel.le.s de la politique. L’homologie fonctionne ainsi d’autant mieux que celles chargées de mettre en mots l’offre politique intègrent d’anciennes lobbyistes et que la demande est énoncée par d’anciennes professionnelles de la politique.

27Ces deux catégories d’intermédiaires se situent dans un rapport d’homologie structurale dans leurs champs respectifs, les conseiller.e.s ou les « plumes » étant au candidat ou à la candidate ce que les représentant.e.s d’intérêt sont à leurs clients ou à leurs employeurs. Elles sont fréquemment en interaction (quoique sur une période généralement réduite mais parfois suivie dans le temps) pour savoir si la demande fera l’objet d’une réponse, sous quelle forme et quand, les échéances des réponses faisant régulièrement l’objet de négociations directes. À tel point que l’on peut déceler entre elles des formes de coopération, voire de division du travail. Ces deux parties échangent des documents, des appels téléphoniques et des « textos » et opèrent un certain nombre de transactions jusqu’à pouvoir, pour l’une, faire valider la réponse de la candidate et, pour l’autre, faire remonter la réponse à sa cliente ou son employeur. L’avancée des unes scelle celle des autres. L’annonce de la réponse obtenue ou du rendez-vous pris vaut satisfaction des membres du groupe devant le « travail d’influence » effectué, et sonne de la même teinte dans le QG où les potentiels électeurs en vue lors de cette rencontre viennent récompenser le travail électoral effectué. Au-delà de ces formes de coopération, les activités professionnelles de ces intermédiaires présentent de fortes similarités. Le travail d’argumentation des « plumes » vient rappeler celui que mènent les « chargé.e.s de plaidoyer » qui s’appliquent à traduire et à universaliser les demandes de leurs clients avant de les transmettre aux agents politiques [58]. Il est même arrivé que les fiches d’un candidat qui inspirent les réponses de ses « plumes » aux groupes d’intérêt soient rédigées par une collaboratrice bénévole lobbyiste dans un cabinet européen [59].

28De même, représentant.e.s d’intérêt et conseiller.e.s des candidat.e.s opèrent un certain nombre d’arbitrages aux fins de conférer plus ou moins de valeur à une demande. Le représentant tâche d’anticiper les attentes des candidat.e.s et s’applique, par exemple, à valoriser la demande d’un secteur agricole en l’adaptant aux « catégories de l’entendement » politique. De son côté, la « plume » participe à l’évaluation de la valeur conférée à la demande en consignant (dans la fiche de validation) les informations relatives à l’importance qu’il convient d’accorder à cette sollicitation. Elle interprète la demande, en retient les éléments les plus profitables électoralement, voire en fait usage selon les impératifs du candidat et de la campagne [60]. Conseiller.e.s politiques et représentant.e.s d’intérêt contribuent, chacun.e à leur niveau, et dans l’attente d’une validation de leur « formule » par leur supérieur.e, à fixer la valeur d’une partie des biens politiques. À partir de leurs univers d’activités respectifs, ils et elles participent ainsi à la détermination de la valeur octroyée à une proposition électorale, chacun.e en fonction de leurs normes et de leur capacité à s’imposer dans leur propre champ. Cette « cotation » est d’autant plus rapide et incontestée que, dans chaque champ, les agents sont dotés des mêmes habitus ou d’habitus homologues.

Conclusion

29Inscrit dans une tradition d’enquête que la recherche française tend à ignorer, cet article entend combler une double cécité. Celle qui touche la sociologie électorale, qui n’accorde pas de place aux groupes d’intérêt, et celle dont sont victimes les travaux sur les groupes d’intérêt, qui ignorent le moment électoral et cantonnent le personnel politique à un rôle passif. Nous avons souhaité tenir ensemble la pluralité des rapports au politique qu’entretiennent les représentant.e.s d’intérêt, quelles que soient leurs compétences et leur maîtrise des règles du jeu électoral. Si la rationalité de nombreux groupes en campagne repose sur leur préemption d’un droit à l’écoute des futurs gouvernants, l’enquête indique combien ce rapport utilitariste à la politique renvoie à une compétence assez rare, présente parmi les plus professionnalisé.e.s des lobbyistes. La campagne, vécue sur le mode profane par nombre d’enquêté.e.s, offre d’autres rétributions, davantage orientées vers des objectifs domestiques liés à des impératifs de différenciation et de légitimité au sein de l’espace social qui les rétribue. En retour, nous gageons que les travaux sur les groupes d’intérêt ont beaucoup à apprendre des recherches qui documentent et éclairent les façons dont les agents politiques lisent, interprètent, reçoivent, comprennent, traduisent et jugent les demandes formulées par les porteurs d’intérêt. Intégrer l’agent politique, ses attentes, ses impératifs et ses contraintes dans sa relation aux groupes pendant la campagne permet d’affiner notre compréhension des logiques de production des biens politiques et, plus précisément, celles de la fabrique des enjeux électoraux. Dépasser l’altérité présumée entre ces deux catégories de professionnel.le.s de la représentation permet ainsi d’envisager des formes de recomposition de l’économie du travail politique. C’est en enquêtant sur les pratiques et le travail des représentant.e.s d’intérêt que l’on s’autorise à explorer le rôle qu’ils et elles tiennent dans le champ politique, les raisons pour lesquelles ils et elles sont parfois amené.e.s à participer à la production programmatique et aux processus décisionnels, ce qu’ils et elles apportent, ou non, à l’appareillage cognitif des candidat.e.s, à la fabrique des enjeux électoraux et au cadrage des débats de campagne.

Notes

  • [1]
    Entretien avec la présidente d’un cabinet de lobbying, 13 janvier 2012, Paris 7e.
  • [2]
    Une première version de ce texte a bénéficié des commentaires de Philippe Aldrin, Brigitte Gaïti, Étienne Ollion, et Marine de Lassalle, ainsi que ceux des coordinateurs de ce numéro et des deux évaluateurs anonymes de la revue. Qu’ils et elles en soient ici chaleureusement remercié.e.s.
  • [3]
    Pour une vision non économiciste de l’« offre » et de la « demande » politiques, cf. Gaxie (D.), Lehingue (P.), Enjeux municipaux. La construction des enjeux politiques dans une élection municipale, Paris, Presses universitaires de France-CURAPP, 1984, p. 113 et sv.
  • [4]
    Cette forme d’action en campagne a été menée par des groupes aussi divers qu’Alliance Vita, le Laboratoire de l’égalité, l’Union nationale des professions libérales ou Familles de France.
  • [5]
    Les sept « forums » organisés durant la campagne ont ainsi été le fait d’une entreprise (Suez environnement), d’organisations professionnelles (le Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale et la CGPME), d’un syndicat (la CFDT), de coalitions et de collectifs (le Collectif 2012 pour un pacte social et le Forum alternatif de l’eau) et d’une organisation à but non lucratif (la Conférence permanente des coordinations associatives).
  • [6]
    Sur les stratégies de distinction entre les « chargé.e.s de plaidoyer » et les autres représentant.e.s d’intérêt, cf. Ollion (E.), « Des mobilisations discrètes : sur le plaidoyer et quelques transformations de l’action collective contemporaine », Critique internationale, 67, 2015. L’enquête menée pendant la campagne a permis d’observer de telles stratégies ainsi que la conversion à l’influence des ONG les plus actives, au détriment de l’activité de « plaidoyer » sur laquelle elles étaient auparavant focalisées. Plus globalement, analyser ensemble les différents groupes mobilisés permet de souligner le traitement différentiel dont ils font l’objet tant au regard de l’attention médiatique qui leur est accordée qu’en termes d’interactions avec des agents du champ politique.
  • [7]
    Cette circulation entre groupes d’intérêt économiques et organisations du mouvement social a été soulignée par Presthus (R.), Elites in the Policy Process, Cambridge, Cambridge University Press, 1974.
  • [8]
    Nous avons retenu la typologie de douze groupes d’intérêt la plus fréquemment utilisée dans les enquêtes comparées : organisations sans but lucratif, syndicats, organisations professionnelles, coalitions et collectifs, ordres et professions libérales, élu.e.s et collectivités territoriales, entreprises, clubs et think tanks, « secteur public », associations cultuelles et congrégations, cabinets de conseil et divers.
  • [9]
    Concrètement, les dispositifs d’enquête ont permis d’aboutir à la ventilation suivante. La population des représentant.e.s d’intérêt est professionnalisée et davantage porteuse d’intérêts économiques que celle qui agit en temps de campagne. Par ailleurs, 80 % de la population des professionnel.le.s représentent en priorité des intérêts économiques. Ce pourcentage baisse largement en campagne où 42,3 % des groupes mobilisés sont des organisations à but non lucratif, contre 22 % d’organisations et ordres professionnels. Il faut néanmoins prendre en compte les enjeux portés par les groupes en campagne afin d’apprécier si l’économie l’emporte sur le social. De ce point de vue, les demandes « économiques » (au sens de l’Agenda project) sont prépondérantes (15,6 %), suivies par les droits de l’homme et les discriminations (11,6 %) et la santé (11,3 %).
  • [10]
    Sa présentation renvoie à Tilly (C.), « Speaking your Minds without Elections, Surveys, or Social Movements », Public Opinion Quarterly, 47 (4), 1983. Sa discussion est disponible dans Traugott (M.), ed., Repertoires & Cycles of Collective Action, Durham, Duke University, 1995.
  • [11]
    Becker (H. S.), Faulkner (R. R.), « Qu’est-ce qu’on joue maintenant ? » Le répertoire de jazz en action, Paris, La Découverte, 2011.
  • [12]
    Offerlé (M.), « Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles) », Politix, 21 (81), 2008, p. 183.
  • [13]
    Becker (H. S.), Faulkner (R. R.), « Qu’est-ce qu’on joue maintenant ? »…, op. cit., p. 260.
  • [14]
    À ce sujet, voir Courty (G.), Gervais (J.), « Le répertoire d’actions électorales des groupes en campagne » in Courty (G.), Gervais (J.), dir., Le Lobbying électoral, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2016.
  • [15]
    L’enquête par entretien a révélé l’organisation d’événements spécifiques par celles et ceux qui déclaraient pourtant n’avoir « pas agi durant la campagne ».
  • [16]
    Sur ce suivi de cohorte, voir Courty (G.), « Deux leçons de sociologie sur le lobbying. De son invisibilité à son institutionnalisation », in Mekki (M.), Monjal (P.-Y.), dir., Le Lobbying responsable, Paris, L’Harmattan, 2016.
  • [17]
    Nous remercions Thomas Soubiran pour la gestion de cette partie de l’enquête.
  • [18]
    Ce catalogue est inspiré de celui dressé par Charles Tilly dans Contentious Performances, Cambridge, Cambridge University Press, 2008. Nous avons exclu de ce catalogue les actions relevant d’un individu agissant en son nom propre ainsi que les événements organisés pendant la campagne mais sans lien avec elle.
  • [19]
    Nous remercions Julien Fretel de nous avoir mis en contact.
  • [20]
    Les demandes adressées à des membres des équipes de N. Sarkozy et F. Hollande sont restées sans réponse.
  • [21]
    Le calendrier synchronisé des élections présidentielle et législatives n’a donc pas fusionné ces deux campagnes pour les groupes d’intérêt. Le matériel relatif aux législatives a été retiré de notre analyse.
  • [22]
    Cf. supra, note de bas de page n° 9.
  • [23]
    Entretien avec le directeur d’un cabinet de lobbying, 29 mars 2012, Paris 16e.
  • [24]
    C’est le réseau des Maisons du savoir de la francophonie qui ouvre la campagne des groupes d’intérêt par l’envoi d’un questionnaire dès le 6 mars 2010.
  • [25]
    Étonnamment, une « lettre ouverte » n’est pas nécessairement accessible au public ni même obligatoirement envoyée aux candidat.e.s – elle figure alors uniquement sur la page d’accueil du site du groupe mobilisé. La croyance en l’omniscience des candidat.e.s est assez communément partagée par les représentant.e.s d’intérêt les moins compétent.e.s politiquement.
  • [26]
    L’envoi d’un questionnaire invitant les candidat.e.s à prendre position sur le thème dont l’expéditeur défend les intérêts renvoie à une pratique électorale traditionnelle que certain.e.s enquêté.e.s disent avoir utilisée dès l’élection de 1981.
  • [27]
    Ces événements recouvrent par exemple des repas, tels que les trois petits-déjeuners organisés par le think tank Club Jade et l’Ordre des géomètres experts, et les dix déjeuners ou dîners tenus par la Fédération nationale porcine, un club structuré par un cabinet de lobbying (le Club des voitures écologiques) ou des groupes cultuels (Dialogue et démocratie française). D’autres groupes font primer le débat sur la sociabilité – on dénombre ainsi onze « colloques » (de l’Assemblée des femmes à l’Association française des entreprises privées, en passant par la Conférence des présidents d’université), quarante-six « débats » où sont surreprésentées les organisations à but non lucratif (de la Fédération des conseils de parents d’élèves à la LICRA), suivies bien en deçà par les coalitions et les collectifs (du secteur du logement au Manifeste pour une nouvelle politique de la Ville), et les organisations professionnelles (le Conseil national des entreprises d’insertion ou Les Entreprises du médicament). Enfin, les quatre « conventions » organisées durant la campagne font partie des événements utilisés autant pour faire le point entre soi que pour mobiliser autour de soi (le Centre national des Professions de santé, la Confédération des Maisons des Jeunes et de la Culture de France, l’Association des Médecins urgentistes de France, etc.).
  • [28]
    Au regard du nombre élevé d’événements de ce type, les candidat.e.s doivent souvent s’appuyer sur une équipe à même de les représenter. Les candidat.e.s aux équipes et aux budgets de campagne limités ne sont souvent pas représentables, et sont de fait beaucoup moins sollicité.e.s – de l’ordre de vingt fois moins. Pour F. Hollande, cela a représenté plus de cent réceptions auxquelles une quarantaine de membres du PS a participé. Le catalogue constitué permet d’isoler soixante-neuf occasions au cours desquelles les deux candidats du second tour ont eux-mêmes rencontré des représentant.e.s de groupes d’intérêt.
  • [29]
    En Amérique du Nord, les candidat.e.s disposent de « canvassers » (agents électoraux) prêtés ou rémunérés par des groupes pour mobiliser l’électorat ou faire du porte-à-porte. Ils peuvent aussi compter sur les robots d’appel, les camions logistiques, les voitures et les salles de meetings mis à disposition par leurs groupes supporters ; sur ces aspects, voir Boatright (R. G.), Interest Groups and Campaign Finance Reform in the United States and Canada, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2011.
  • [30]
    Sauf exception, telle que le financement de publicités sur des propositions soutenues par N. Sarkozy par le think tank l’Institut Montaigne. Phélippeau (E.), « Le financement de la vie politique française par les entreprises, 1970-2012 », L’Année sociologique, 63 (1), 2013, p. 219.
  • [31]
    Magleby (D.), The Other Campaign. Soft Money and Issue Advocacy in the 2000 Congressional Elections, Latham, Rowman and Littlefield, 2003.
  • [32]
    C’est le cas par exemple lorsque Nicolas Hulot fait signer sur scène son « pacte écologique » aux candidat.e.s à l’élection présidentielle française de 2007.
  • [33]
    Entretien avec la chargée des relations parlementaires, 26 juin 2013, Paris 3e.
  • [34]
    Lors de la présentation de cette enquête devant un parterre d’une quarantaine de lobbyistes, l’un d’entre eux, responsable d’un master professionnel d’affaires publiques, a évoqué la « poubelle » des candidat.e.s auxquel.le.s étaient destinées leurs sollicitations, sans provoquer a priori ni étonnement ni désapprobation dans le public. Note de terrain du petit-déjeuner « Entreprises, fédérations professionnelles et associations dans le débat 2012 », organisé dans un cabinet de lobbying, 9 février 2012, Paris 6e.
  • [35]
    Voir l’opposition que fait M. Weber entre la « religiosité des virtuoses » et celle « des masses » dans Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996.
  • [36]
    Denord (F.), Lagneau-Ymonet (P.), Thine (S.), « Le champ du pouvoir en France », Actes de la recherche en sciences sociales, 190, 2011.
  • [37]
    La structure de cet espace est analysée dans Courty (G.), « Deux leçons de sociologie sur le lobbying… », art. cit., 2016.
  • [38]
    Un tiers de la population étudiée pour l’enquête de 2012 et 50,6 % pour le suivi de cohorte.
  • [39]
    La création de filières et de diplômes spécifiques venant attester et certifier les compétences jugées propres à cet espace par l’octroi d’un titre scolaire consacrant socialement les « lauréats » est un symptôme supplémentaire de la professionnalisation de la représentation des intérêts en France. Bourdieu (P.), La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Éditions de Minuit, 1989.
  • [40]
    On retrouve dans ce pôle plus « politique » des agents à qui le lobbying a redonné une place officielle. Ce sont les représentant.e.s d’intérêt issu.e.s des secteurs économiques (à commencer par ceux structurés autour des monopoles d’État et de l’économie dirigée tels que le transport, l’énergie ou l’agriculture), des syndicats ou de l’humanitaire – qui ont récemment ouvert leurs organigrammes à des « chargé.e.s du plaidoyer » ou des « affaires publiques ».
  • [41]
    D. Gaxie entend par là une forme de « prédisposition […] à adopter spontanément le point de vue de l’entrepreneur ou des professions indépendantes », une « familiarité précoce avec le monde des affaires et des professions libérales » et une « orient[ation] en direction du pôle économique de la classe dominante ». Gaxie (D.), « Les facteurs sociaux de la carrière gouvernementale sous la Cinquième République de 1959 à 1981 », Revue française de sociologie, 24 (3), 1983, p. 10. C’est nous qui soulignons.
  • [42]
    Entretien avec le chargé des relations institutionnelles d’un établissement du secteur public, 20 mars 2012, Paris 7e.
  • [43]
    Entretien avec le responsable de la communication d’une organisation patronale, 20 mars 2012, Paris 8e.
  • [44]
    Dans le suivi de cohorte, la minoration provient de la difficulté à collecter ce type d’informations autrement que par la voie de l’entretien ou le dépouillement de listes de candidat.e.s. Dans le questionnaire, le taux de non-réponse aux questions portant sur les expériences politiques des représentant.e.s d’intérêt est d’environ 42 %, contre 20 % en moyenne pour les questions relatives à leurs études ou à leurs conditions de travail. Cette dimension est d’autant plus difficile à objectiver que les codes de déontologie des lobbyistes excluent les mandats politiques de la liste des fonctions compatibles avec l’exercice de ce métier.
  • [45]
    Entretien avec le responsable de la communication d’une organisation patronale, 20 mars 2012, Paris 8e.
  • [46]
    Entretien avec la présidente d’un cabinet de lobbying, 13 janvier 2012, Paris 7e.
  • [47]
    Joignant (A.), « Compétence politique et bricolage. Les formes profanes du rapport au politique », Revue française de science politique, 57 (6), 2007, p. 806.
  • [48]
    En dehors de la littérature consacrée au financement des campagnes par les groupes d’intérêt, les travaux relatifs à l’Europe ont été publiés dans : Farrell (D. M.), Schmitt–Beck (R.), eds., Non-Party Actors in Electoral Politics. The Role of Interest Groups and Independent Citizens in Contemporary Election Campaigns, Baden-Baden, Nomos, 2008. Pour un bilan de la recherche sur les élections aux États-Unis, cf. Franz (M. M.), Choices and Changes. Interest Groups in the Electoral Process, Philadelphia, Temple University Press, 2008 ; et sur le Canada, Young (L.), Everitt (J.), Advocacy Groups, Vancouver, UBC Press, 2004.
  • [49]
    À l’instar de la subordination des journalistes politiques à l’égard du champ politique : Gaxie (D.), La démocratie représentative, Paris, Montchrestien, 1996 [1re éd. 1994], p. 73.
  • [50]
    Ces deux formules reprennent l’insistance que M. Weber fait porter sur la « chance » dans ses cadrages idéal-typiques du pouvoir (la chance d’imposer sa volonté) et de la domination (la chance de susciter obéissance).
  • [51]
    Cet exemple est issu d’une citation de Valéry Giscard d’Estaing qui confiait à son équipe de campagne en 1974 : « Je crois, de même vous l’avez compris, que depuis deux ou trois jours, toute mon astuce a été de ne pas perdre de voix. Alors c’est pour ça que je n’ai pas écrit aux gentilles tourterelles et autres parce que je me disais “je vais perdre des chasseurs”, n’est-ce pas ? » Depardon Raymond, 1974. Une partie de campagne, 2002.
  • [52]
    « Celui qui est obligé de vivre “de la politique” devra certainement toujours choisir l’un des deux termes de cette alternative : le journalisme et un emploi de fonctionnaire de parti, qui sont les voies directes typiques, ou bien l’une des associations représentatives d’intérêts ». Weber (M.), Le savant et le politique, Paris, La Découverte, 2004, p. 181.
  • [53]
    Voir, par exemple : Baudot (P.-Y.), Revillard (A.), « Faire campagne sans prendre parti. Opportunités et contraintes des campagnes électorales pour les associations de personnes handicapées », in Courty (G.), Gervais (J.), dir., Le lobbying électoral, op. cit.
  • [54]
    Cf., entre autres : Bourdieu (P.), « Effet de champ et effet de corps », Actes de la recherche en sciences sociales, 59, 1985, p. 73.
  • [55]
    Souligné par l’auteur. Roueff (O.), « Les homologies structurales : une magie sociale sans magiciens ? La place des intermédiaires dans la fabrique des valeurs », in Coulangeon (P.), Duval (J.), dir., Trente ans après La Distinction, Paris, La Découverte, 2013, p. 159.
  • [56]
    L’usage de la théorie des échecs développée par John L. Austin ne doit pas laisser penser que seul ce qui est écrit par les représentant.e.s d’intérêt pèse sur les candidat.e.s (Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil, 1970). Nous voulons souligner à quel point tout se joue dans les ressources que ces intermédiaires possèdent et reçoivent de leurs groupes respectifs.
  • [57]
    Roueff (O.), « Les homologies structurales … », art. cit., p. 159.
  • [58]
    Sur l’usage des cadres cognitifs utilisés pour universaliser une cause à un public élargi, voir l’enquête menée sur les droits de l’Homme, les droits de l’environnement et les droits des femmes dans : Keck (M. E.), Sikking (K.), Activists beyond Borders. Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
  • [59]
    Entretien avec une « plume » de F. Bayrou, 6 juin 2013, Paris 5e. Il faut peut-être relire à cette aune la remarque défensive de F. Bayrou qui, interrogé lors d’une interview à propos d’un point de son programme qu’il ne reconnaît pas, affirme : « Ça a été écrit par une commission zélée mais ça n’est pas un mot qui est sorti de ma bouche ! », https://www.youtube.com/watch?v=g4Rt6byFtIc.
  • [60]
    D’où, par exemple, les récits qui font état des tours de passe-passe au cours desquels l’idée ou l’argument d’un.e lobbyiste fait son apparition dans le texte d’un.e candidat.e.
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