Politix 2015/2 n° 110

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Article de revue

Le choix des larmes. La commémoration comme mode de protestation

Pages 7 à 34

Notes

  • [1]
    Clavandier (G.), La mort collective. Pour une sociologie des catastrophes, Paris, CNRS Éditions, 2004 ; Namer (G.), La commémoration en France de 1945 à nos jours, Paris, L’Harmattan, 2000 ; Ben-Amos (A.), Funerals, Politics and Memory in Modern France 1789-1996, Oxford, Oxford University Press, 2000 ; Schwartz (B.), « Mourning and the Making of Sacred Symbol : Durkheim and the Lincoln assassination », Social forces, 70 (2), 1991.
  • [2]
    Parmi les exceptions : Pfaff (S.), Yang (G.), « Double-Edged Rituals and Symbolic Resources of Collective Action : Political Commemoration and the Mobilization of Protest in 1989 », Theory and society, 30 (4), 2001, et Broqua (C.), Agir pour ne pas mourir. Act Up, les homosexuels et le sida, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.
  • [3]
    Offerlé (M.), Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1998, p. 101 ; Fillieule (O.), Stratégies de la rue. Les manifestations en France, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 42 et 383.
  • [4]
    Pour une analyse du cloisonnement disciplinaire qui sépare l’étude des cérémonies de celle de l’action collective, cf. Mariot (N.), « Les formes élémentaires de l’effervescence collective ou l’état d’esprit prêté aux foules », Revue française de science politique, 51 (5), 2001.
  • [5]
    Durkheim (É.), Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Presses universitaires de France, 2005 (1re éd. 1912).
  • [6]
    Favre (P.), « Manifester en France aujourd’hui », in Favre (P.), dir., La manifestation, Paris, Presses de la FNSP, 1990, p. 15.
  • [7]
    Fillieule (O.), op. cit., 1997, p. 44.
  • [8]
    Tartakowsky (D.), Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise XIXe-XXe siècles, Paris, Aubier, 1999 ; Fureix (E.), La France des larmes. Mort et politique à l’âge romantique (1814-1840), Seyssel, Champ Vallon, 2009. Pour une archéologie fine de ce type d’usages contestataires de la mort : Dewerpe (A.), Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Folio-Gallimard, 2006.
  • [9]
    Tartakowsky (D.), op. cit.
  • [10]
    Rihoux (B.), Walgrave (S.), L’année blanche. Un million de citoyens blancs. Qui sont-ils ? Que sont-ils devenus ?, Bruxelles, EVO, 1997.
  • [11]
    Latté (S.), « “Vous ne respectez pas les morts d’AZF”. Ordonner l’émotion en situation commémorative », in Lefranc (S.), Mathieu (L.), dir., Mobilisations de victimes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009. Cf. également, dans une perspective proche : Truc (G.), « La politique aux marges de la commémoration : une ethnographie des cérémonies de commémoration officielle des attentats du 11 mars 2004 à Madrid », in Berger (M.), Cefaï (D.), Gayet-Viaud (C.), Stavo-Debauge (J.), dir., Ethnographies du politique, Bruxelles, Peter Lang, 2011.
  • [12]
    Latté (S.), Les « victimes ». La formation d’une catégorie sociale improbable et ses usages dans l’action collective, Thèse pour le doctorat d’études politiques, EHESS, 2008.
  • [13]
    Michel Offerlé et Jean-Gabriel Contamin rappellent l’intérêt qu’il y a, pour l’étude des modes d’action collective, à raisonner en termes de « significativité » et d’« exemplarité » plutôt que de « représentativité » ou d’« exhaustivité » : Offerlé (M.), « Descendre dans la rue. De la “journée” à la “manif” », in Favre (P.), dir., La manifestation, op. cit. ; Contamin (J. -G.), Contribution à une sociologie des usages pluriels des formes de mobilisation : l’exemple de la pétition en France, Thèse pour le doctorat en science politique, Université Paris 1, 2001.
  • [14]
    Pour une discussion approfondie de ces biais : Fillieule (O.), « On n’y voit rien. Recours aux sources de presse pour l’analyse des mobilisations protestataires », Travaux de science politique, 29, 2007 ; Contamin (J. -G.), « Que faire des analyses événementielles ? », Communication au Congrès de l’Association française de science politique, IEP de Toulouse, septembre 2007.
  • [15]
    Mouriquand (J.), « Les commémorations étouffent le journalisme », Le Monde diplomatique, 4 septembre 2002.
  • [16]
    Le Monde, 30 mai 2005.
  • [17]
    Le Parisien, 10 octobre 2002 ; Progrès de Lyon, 8 décembre 2005 ; Sud-Ouest, 2 et 3 octobre 2005.
  • [18]
    Libération, 4 avril 2005.
  • [19]
    La Voix du Nord, 1er avril 2005.
  • [20]
    Le Monde, 13 juillet 2004.
  • [21]
    Libération, 1er août 2005 ; Ouest-France, 18 juillet 2005.
  • [22]
    Corbin (A.), « Préface », in Corbin (A.), Gérôme (N.), Tartakowsky (D.), Les usages politiques des fêtes aux XIXe-XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994.
  • [23]
    Decrop (G.), Victimes, associations de victimes et prévention des risques collectifs, Rapport pour le Ministère de l’Écologie, 2003, p. 41.
  • [24]
    AFP, 16 octobre 2005.
  • [25]
    Clavandier (G.), La mort collective. Pour une sociologie des catastrophes, Paris, CNRS Éditions, 2004.
  • [26]
    Clavandier (G.), « Que faire des traces d’une catastrophe ? Mémoire des accidents et aménagement », Annales de la recherche urbaine, 95, 2004.
  • [27]
    La Cause du Peuple, n° 31, novembre 1972.
  • [28]
    Le Monde, 5 octobre 2003.
  • [29]
    Résistons ensemble, n° 0, juillet 2002.
  • [30]
    Sud-Ouest, 27 mars 2000.
  • [31]
    Clavandier (G.), op. cit., 2004, p. 127.
  • [32]
    Satiricon, octobre 2002.
  • [33]
    Action. Lettre mensuelle d’Act Up Paris, n° 28, décembre 1994 ; Libération, 27 octobre 1994.
  • [34]
    Le Parisien, 22 janvier 2002.
  • [35]
    La Matinale de France Inter, 4 janvier 2006.
  • [36]
    http://www.starzik.com/mp3/titres/1_Minute_de_Silence-1832963.html
  • [37]
    Dernières nouvelles d’Alsace, 18 janvier 1998.
  • [38]
    Dossier de presse, Ligue contre la violence routière, mai 2003.
  • [39]
    Le Monde, 1er décembre 2006.
  • [40]
    Ainsi des recommandations diffusées par la Ligue contre la violence routière lors d’une journée d’action en 2003 : « Les Marches blanches : être habillé en blanc. Compléter éventuellement ce visuel par une manifestation sonore simple » ; « Sit-in : à certaines occasions, un “sit-in blanc” a été fait à l’endroit où s’était récemment produit un accident mortel d’enfant : il peut se faire sur la chaussée ou sur les bords de la voie, avec ou sans dépôt de gerbe » ; « Bouquet : une action simple, qui ne demande pas beaucoup d’organisation, est de déposer un bouquet de fleurs à l’endroit où un accident récent a eu lieu : c’est un geste très apprécié par les proches des victimes » ; « Lecture d’une liste de noms : collecter les noms des personnes tuées sur une période donnée, en faire la lecture lors d’une manifestation ».
  • [41]
    Broqua (C.), op. cit. Cf. également le dossier « Sida. Deuil, mémoire, nouveaux rituels », Ethnologie française, 28 (1), 1998.
  • [42]
    Snow (D.), Rochford (E.), Worden (S.), Benford (R.), « Frame Alignment Processes, Micromobilization, and Movement Participation », American Sociological Review, 51 (8), 1986.
  • [43]
    Bien que rares et atténuées, les « batailles de chiffres » relatives à l’audience des célébrations victimaires ne disparaissent toutefois pas systématiquement. Ainsi, du communiqué d’une association d’anciens salariés de l’usine AZF à Toulouse : « La Dépêche du Midi n’y pourra rien. Nous étions plus de 350 cette année à nous retrouver sur le site pour nous souvenir. Nous étions, comptabilisés avec précision par le service de gardiennage, 371 anciens salariés et invités auxquels il fallait ajouter le personnel sur le site qui nous a spontanément rejoints autour de la stèle. Plus nombreux encore que l’an dernier pour partager ce moment d’émotion et de souvenir. […] Nous y trouvons un encouragement supplémentaire pour affronter de nouvelles épreuves. Forts de la confiance d’un très grand nombre, nous y sommes prêts. » (Bulletin de l’association AZF-mémoire et solidarité, n° 11, 2005).
  • [44]
    Legrioo.com, 30 août 2005.
  • [45]
    La Dépêche du Midi, 24 septembre 2003.
  • [46]
    Entretien. Travailleur social. Militant de la LCR. Septembre 2002.
  • [47]
    François (B.), Neveu (E.), dir., Espaces publics mosaïques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999.
  • [48]
    Entretien. Fondateur d’une association de familles endeuillées toulousaine. Septembre 2003.
  • [49]
    Ibid.
  • [50]
    AFP, « Entre émotion et colère. Les Toulousains en “commémor-action” », 21 septembre 2002.
  • [51]
    Action. Lettre mensuelle d’Act Up-Paris, n° 28, 1994, p. 6.
  • [52]
    Contamin (J.-G.), « Le choix des armes : les dilemmes pratiques d’un mouvement de doctorants et le modèle des avantages comparatifs », Genèses, 59, 2005, p. 22.
  • [53]
    Rudetzki (F.), Triple peine, Paris, Calmann-Lévy, 2004, p. 293-306.
  • [54]
    Pour des descriptions internes de ces cortèges : Baye (J. -M.), Des enfants assassinés, Paris, Fayard, 1999, p. 381 et suiv. ; Le Monde, 22 mai 1990.
  • [55]
    « Nous, on n’a jamais participé à des marches du souvenir, des lâchers de ballons, des trucs comme ça. Au début, à la fin des années 1980, ces manifestations, c’était très connoté. À chaque disparition d’enfants, vous aviez des marches silencieuses, puis ça se finissait en manifestation pour le rétablissement de la peine de mort. » (Entretien. Ingénieur. Président d’une association de victimes. 2004).
  • [56]
    Dobry (M.), « Calcul, concurrence et gestion du sens : quelques réflexions à propos des manifestations étudiantes de novembre-décembre 1986 », in Favre (P.), dir., La manifestation, Presses de la FNSP, 1990, p. 362-363 ; Siméant (J.), La cause des sans-papiers, Paris, Presses de Sciences Po, 1998, p. 278.
  • [57]
    Largement illustrées par les ouvrages déjà mentionnés de D. Tartakowsky et E. Fureix, ces formes contraintes de « contestation par le deuil » sont également bien renseignées par la littérature consacrée aux régimes autoritaires ou aux contextes de guerre : Pfaff (S.), Yang (G.), « Double-Edged rituals… », art. cit. ; Capdevila (L.), Voldman (D.), Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre XIXe-XXe siècles, Paris, Payot, 2002.
  • [58]
    Tartakowsky (D.), op. cit, p. 213.
  • [59]
    Dobry (M.), art. cit., p. 384.
  • [60]
    Il conviendrait toutefois de prendre en compte les normes funéraires propres à chacun des groupes étudiés qui peuvent être distinctes des processus de déritualisation et de privatisation de la mort observés en France. Cf. Ariès (P.), Essais sur l’histoire de la mort en Occident. Du Moyen Âge à nos jours, Paris, Le Seuil, 2001.
  • [61]
    Progrès de Lyon, 19 juillet 2006 ; Le Bien public, 5 mai 2006 ; Le Bien public, 27 mars 2006 ; Progrès de Lyon, 24 mai 2006.
  • [62]
    AFP, 3 juin 2006 ; Le Monde, 30 mai 2005 ; Le Parisien, 20 mars 2006 ; Le Parisien, 13 septembre 2005 ; La Voix du Nord, 1er avril 2005.
  • [63]
    La Voix du Nord, 1er août 2006 ; Libération, 20 mai 2006 ; Le Parisien, 30 octobre 2005 ; Le Parisien, 6 avril 2005.
  • [64]
    Sur cette mobilisation, voir la collecte de témoignages effectuée par Fabien Jobard et Emmanuelle Cosse dans Vacarme, 21, 2002.
  • [65]
    Le Parisien des 27, 29 et 30 mai 2002, 8, 13 et 25 juin 2002, 8 juillet 2002.
  • [66]
    Le Guennec (N.), Bachmann (C.), Autopsie d’une émeute, Paris, Albin Michel, 1997, p. 78.
  • [67]
    AFP, 27 octobre 2006.
  • [68]
    Clichy magazine, n° 58, décembre 2005.
  • [69]
    La Voix du Nord, 31 mars et 1er avril 2005.
  • [70]
    Communiqué du Collectif des associations congolaises de la région Nord-Pas-de-Calais, avril 2005.
  • [71]
    Tartakowsky (D.), Les manifestations de rue en France, 1918-1968, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 10.
  • [72]
    Des mécanismes similaires sont repérés par J. Siméant à propos de l’usage de la grève de la faim par le mouvement contre la double peine (op. cit., 1997, p. 346).
  • [73]
    Jobard (F.), Bavures policières ? La force de l’ordre et ses usages, Paris, La Découverte, 2002, p. 147 et suiv.
  • [74]
    Le Figaro, 27 novembre 2006 ; AFP, 2 décembre 2006 ; Libération, 4 décembre 2006 ; Le Parisien, 3 et 4 décembre 2006 ; Le Bien public, 3 décembre 2006.
  • [75]
    Affiche d’annonce de la marche du 23 novembre 2007.
  • [76]
    Message de la direction des Boulogne Boys. Novembre 2007.
  • [77]
    Message de remerciement aux participants. 27 novembre 2006.
  • [78]
    Chaumont (J.-M.), La concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997.
  • [79]
    Broqua (C.), op. cit., p. 264.
  • [80]
    Le Parisien, 29 mai 2005 ; Libération, 4 au 5 juin 1983 ; AFP, 21 septembre 2002.
  • [81]
    Pour une analyse de la « politique des émotions », des répertoires ou des « tonalités émotionnelles » mises en œuvre dans l’action collective : Latté (S.), « Des “mobilisations émotionnelles” à la mobilisation des émotions. Les associations de victimes comme objet électif de la sociologie des émotions protestataires », Terrains/Théories, 2, 2014 ; Groves (J.M.), Hearts and Minds. The Controversy over Laboratory Animals, Temple University Press, 2006 ; Crossley (N.), « Changement culturel et mobilisation des patients. Le champ de la contestation psychiatrique au Royaume-Uni », Politix, 19 (73), 2006.

1Marches silencieuses, veillées commémoratives, inaugurations de stèles, cérémonies autour d’un mémorial, messes anniversaires, fleurissements publics de sépulcres, dévoilements de plaque, minutes de silence, hommages officiels, journées nationales ou internationales du souvenir, etc. Autant de démonstrations publiques d’affliction qui parcourent l’ordinaire de la vie associative et syndicale, mais qui se trouvent pourtant ordinairement boutées hors du champ du répertoire protestataire. Scientifiquement labélisées comme des « rites piaculaires » plutôt que comme des modes d’action collective, les commémorations constituent un objet canonique de l’anthropologie des rites, de la sociologie de la mémoire collective ou de l’histoire de la construction du sentiment national [1]. Elles demeurent en revanche largement délaissées par la sociologie de l’action collective [2]. En témoignent, par exemple, l’absence des pratiques funéraires du bréviaire de quatre-vingt-dix modes d’action que compose Michel Offerlé ou l’embarras d’Olivier Fillieule lorsqu’il hésite à inclure les marches commémoratives parmi les événements manifestants dont il entreprend le décompte [3]. Cette relative atonie de la sociologie des mouvements sociaux à l’endroit des commémorations s’explique par les propriétés prêtées à ce type de cérémonies [4]. D’abord, la pauvreté de leurs décors et la répétitivité de leur déroulement dénotent avec la théâtralité aujourd’hui exigée de l’action collective, au point de paraître les rendre impropres à l’affirmation d’identités politiques. Organisées autour d’un séquençage simple, systématiquement reconduit et relativement indifférent à la situation commémorée (dépôt de gerbes, discours, minute de silence), elles n’offrent que peu de prise à l’analyse de l’expression symbolique des groupes mobilisés. Ensuite, leur sont fréquemment attribuées une visée consensuelle et des « fonctions sociales » (d’intégration communautaire, de légitimation des pouvoirs constitués, d’expiation collective du deuil, de conjuration du malheur) qui semblent par avance interdire à toute expression conflictuelle de venir s’y loger. Enfin, les commémorations se donnent à voir comme le domaine exclusif des affects et des peines partagées. Réunis dans des « paniques de tristesse [5] », ces défilés « émus » s’opposeraient aux cortèges de manifestants « stratèges », orientés par une volonté raisonnée de mettre au jour des griefs et de peser sur des destinataires.

2En première analyse, ces rassemblements du souvenir dérogent donc au principal critère de définition de l’activité manifestante, laquelle est supposée « produire un effet politique par l’expression pacifique d’une opinion ou d’une revendication [6] » ou comporter « directement ou indirectement l’expression d’opinions politiques [7] ». Or, puisque leur fonction manifeste se borne le plus souvent à l’évocation du souvenir, les défilés commémoratifs paraissent destinés à rejoindre la foule fortuite, la parade militaire ou la procession religieuse parmi les regroupements collectifs dépourvus de portée politique.

3Pourtant, l’histoire récente de la « contestation par le deuil » invite à réviser cette partition étanche entre manifestation et commémoration. Dans leurs généalogies des défilés funéraires, Danielle Tartakowsky et Emmanuel Fureix rappellent ainsi la perméabilité entre célébrations commémoratives et pratiques manifestantes [8]. Les rituels du deuil appartiennent, selon ces historiens, à cette série de « manifestations de la rue » qui, au XIXe siècle, préexistent à la « manifestation de rue » tout en en dessinant les contours et en en structurant les habitudes. Tandis que le droit de manifester ne figure pas parmi les libertés publiques garanties par le régime républicain, s’ébranlent dans les travées du Père-Lachaise des cortèges hybrides qui empruntent aux rituels du deuil (l’atmosphère silencieuse, l’éloge solennel, le chapeau bas), tout en y mêlant des fragments de protestation (par le choix des épitaphes, des drapeaux, des couronnes, par la teneur des cris et des oraisons). Le cimetière devient une sorte de lieu neutre où les autorités tolèrent ce qu’elles répriment ordinairement dans les rues parisiennes. Si bien que s’expérimenteront, lors des enterrements libéraux, républicains, communards, puis résistants et communistes, de nouvelles façons d’investir politiquement l’espace urbain. Depuis un demi-siècle, ces formes de manifestation par le deuil ont néanmoins perdu de leur ampleur et les « morts à usages politiques » se sont espacées, à mesure notamment que la rue se libéralisait et que la « culture du deuil civique » s’estompait [9].

4Pourtant, si « la révolution au cimetière » est terminée, nous montrerons dans cet article que les mouvements sociaux n’ont, en réalité, pas tout à fait déserté la commémoration. Ces pratiques se sont plutôt disséminées, diversifiées et routinisées. Elles encombrent aujourd’hui les entrefilets des quotidiens régionaux plus qu’elles ne font la une de la presse nationale. Mais les marches silencieuses et les manifestations du souvenir continuent de prendre place au sein du répertoire d’action contemporain. Ainsi, dans cet entrelacs aux confins des pratiques funèbres et des pratiques politiques, cohabitent des personnes collectives aux degrés d’institutionnalisation diversifiés : des foules incertaines sans autre identité qu’une coprésence éphémère (les Marches blanches belges [10]) ; des collectifs dépourvus d’unité politique, mais soutenus par les affiliations sociales de la vie ordinaire (« Les lycéens de Tourcoing rendent un hommage silencieux à Hassan », « Les familles du Bugaled-Breizh contre l’oubli ») ; des communautés territoriales (« L’adieu d’Évreux au Père Courage », « Bessans pleure son retraité flingueur ») ; des collectivités dotées de porte-parole (« Les cheminots réclament justice », « La colère froide des musulmans du Nord ») ; des groupes institués ou ayant prétention à le devenir (« les victimes du terrorisme », « les parents d’enfants assassinés »). Les initiateurs seront, selon les cas, des personnes privées directement touchées par le drame commémoré, des groupements évanescents en forme de comités de soutien, des organisations permanentes solidement implantées (SOS-Racisme, DAL, Act Up), mais aussi parfois des représentants du champ politique (les marches pour la sécurité impulsées par des élus locaux). Enfin, l’apparente répétitivité des slogans (« Non à la violence », « Non à la mort gratuite ») dissimule l’extrême variabilité des requêtes qui peuvent être individuelles (relogement d’une famille sinistrée) ou collectives (réforme du statut d’une profession, rétablissement de la peine de mort) ; formulées dans les termes de la langue idéologique (« Non à l’État policier », « Le patriarcat tue ») ou dans le registre de l’indignation morale (« Plus jamais ça ») ; adressées à un destinataire clairement identifié ou au contraire sans adversaire.

5Afin de faire parler ces marches silencieuses souvent réduites au bruit d’une émotion collective uniforme, deux méthodes peuvent être proposées. La première, ethnographique et intensive, a été mise en œuvre dans un précédent travail [11]. Il s’agissait, par l’observation sur plusieurs années des commémorations organisées autour d’un même événement (l’explosion de l’usine AZF survenue à Toulouse en septembre 2001), de déplacer le regard du produit fini – la cérémonie victimaire – vers sa fabrication – les mobilisations locales, les dispositifs normatifs et les rapports de forces qui la font advenir. Une seconde méthode – cartographique et extensive - sera ici sollicitée. En élargissant le spectre des événements commémoratifs envisagés à un corpus de 170 occurrences (cf. encadré), nous esquisserons une cartographie des usages pluriels de la célébration des victimes. Pour ce faire, nous opterons pour une définition volontairement élargie de cette dernière en retenant comme commémoration toute occupation d’un lieu, public ou privé, ouvert ou fermé, organisée dans l’intention d’être publicisée au-delà du cercle restreint de ses participants, et dont un motif au moins est l’hommage à une ou plusieurs personnes blessées, disparues ou décédées. Cette délimitation vise principalement à exclure les pratiques ordinaires du deuil privé (d’où une condition de publicité, la volonté d’être vu et entendu au-delà de la sphère familiale), mais sans préjuger par avance de la nature « politique » de ces rassemblements. En effet, plutôt que d’annexer unilatéralement au territoire de la sociologie des mobilisations un continent d’activités dont on constatera sans cesse l’ambivalence, il s’agira de réintroduire la commémoration sur un continuum qui part des pratiques mémorielles privatives – sans message politique adressé – pour cheminer jusqu’aux commémorations-manifestations – explicitement conçues en vue de la publicisation de problèmes collectifs.

6Pour montrer l’intérêt qu’il y a à réintégrer les commémorations à la boîte à outils de la protestation, nous les interrogerons au prisme du questionnaire classique de la sociologie des mobilisations. Nous décrirons d’abord la manière dont les acteurs braconnent les dispositifs cérémoniels et tordent la séquence rituelle pour y loger des éléments revendicatifs. Puis, nous rapporterons le recours aux cortèges endeuillés aux propriétés des groupes qui s’en saisissent – depuis les supporters du PSG jusqu’aux associations de victimes d’attentats – et aux relations que ces derniers entretiennent avec les forces de l’ordre, les mouvements sociaux adjacents, les alliés convoités et les adversaires désignés, le public qu’ils espèrent enrôler. Nous montrerons ainsi que si le piano de tout mouvement social comporte des touches affectives, certains facteurs pèsent sur le type de partitions émotionnelles jouées en public et favorisent ici l’expression publique du deuil.

Les « commémorations de papier » : conditions d’usage d’une source de presse imparfaite

Le corpus sur lequel s’appuie cette analyse a été constitué par deux voies. Nous avons initialement consigné les événements commémoratifs organisés par la dizaine d’associations nationales de victimes (dans les domaines des accidents collectifs, du terrorisme, des accidents de la route et de la criminalité) que nous avions rencontrées au cours de notre enquête doctorale [12]. Puis, de manière à étendre la gamme et la géographie des événements commémoratifs considérés, nous avons procédé à la recension systématique des 130 « marches silencieuses » rapportées dans la presse durant une période de 15 mois de 2005 à 2006 (à partir de la base Europress comprenant les dépêches AFP, l’essentiel des titres nationaux ainsi que plusieurs quotidiens régionaux). Nous puiserons dans ce corpus de manière illustrative, sans le soumettre à un traitement statistique. D’abord, parce que l’objet de cet article consiste à saisir des « contrastes dramatiques », à établir des écarts et des différences dans l’appropriation d’un même mode d’action plutôt qu’à mesurer des régularités, des fréquences et des distributions [13]. Ensuite, parce que toute recherche de représentativité s’avérait compromise par les « biais de sélection » et les « biais de description [14] » qui travaillent particulièrement ce corpus. En raison de leur caractère localisé (un repli sur la géographie des drames commémorés), de leur audience limitée (qui n’excède que rarement les groupes familiers) et de leur déroulement routinier (garanti par l’encadrement normatif des comportements endeuillés), nombre d’hommages aux victimes se heurtent à la « barrière de l’information ». En outre, la structure des marches silencieuses couvertes par la presse est soumise aux aléas de l’agenda politique (l’omniprésence, par exemple, des marches touchant à la question de l’insécurité urbaine), à la fluctuation conjoncturelle de l’attention journalistique (la forte visibilité, en 2005, des marches « contre le racisme ») et à l’attrait pour le « fait divers » (la forte représentation des commémorations de morts violentes ou d’accidents collectifs remarquables). Enfin, la topique de l’émotion et de la solidarité qui est au cœur des codes du « journalisme de commémoration [15] » conduit à l’abrasion de pièces d’information habituellement centrales dans le traitement des événements protestataires. Dans les comptes rendus de presse, la présence d’associations ou de partis, la qualité des initiateurs réels, l’existence et la nature des revendications ne sont renseignées que de façon parcellaire, tandis que les manifestations de la peine et l’intensité du silence font, à l’inverse, l’objet d’amples commentaires. Le risque est alors grand de prendre ces « commémorations de papier » au pied de la lettre et d’élever en propriétés des « marches silencieuses » ce qui, en fait, relève des normes de leur traitement journalistique : des défilés repliés sur des enjeux émotionnels, confinés à une dimension mémorielle, proto-politiques par la nature de leur message et consensuels dans leurs effets.

« Le silence pour se faire entendre ». Revendiquer dans les creux du rituel

7Le choix du cadre commémoratif n’est pas a priori le plus adéquat à l’expression de revendications. Il dépossède en effet le corps manifestant du répertoire de gestes, de cris, de chants, de formules ludiques, de mots d’ordre vindicatifs qui ornent habituellement le défilé protestataire. Pourtant, même parées des atours de l’hommage aux victimes, nombre de commémorations répondent aux rationalités classiques de l’action collective. L’interpellation des pouvoirs publics y est régulièrement présente et elle emprunte parfois les canaux ordinaires de la transmission des revendications. Ainsi, de nombreuses marches silencieuses s’achèvent, soit par la réception d’une délégation (marche pour Mohamed Bey-Bachir à Perpignan [16]), soit par la remise d’une « lettre ouverte » (à Sartrouville pour demander une meilleure répartition des effectifs policiers, à Montbrison pour dénoncer la fragilisation du petit commerce, à Pau pour exiger la suppression du système des remises de peine [17]), d’une « lettre de protestation » (à Paris pour requérir un plan d’urgence pour la sécurité [18]), d’une motion (à Tourcoing pour l’obtention de la qualification d’un homicide comme crime raciste [19]), d’une proposition de loi (à Schirmeck pour une réforme du régime des libérations conditionnelles [20]), de pétitions (à Bessans pour dénoncer l’inefficacité des mesures prises contre les incivilités ou à Vue pour déplorer l’inaction du Conseil général en matière de sécurité routière [21]).

8Mais surtout les acteurs s’efforcent d’insinuer la protestation dans les creux du rituel funéraire. En effet, si le texte du cortège commémoratif se réduit à une parole faible (standardisée) ou inaudible (car silencieuse), les entrepreneurs de commémoration peuvent l’enrichir d’un paratexte et laisser s’infiltrer la revendication dans l’usage polémique, ou à tout le moins stratégique, des supports de l’hommage. Alors, le parcours mémoriel se mue en interpellation, la minute de silence en slogan, le monument en calicot, la plaque funéraire en placard revendicatif. Il s’agit donc, à la suite d’Alain Corbin, de « traquer l’originalité derrière l’apparente monotonie des formes », « le surgissement de la spontanéité dans le déroulement du programme, la dérision dans la célébration, en un mot, la subversion de l’organisation [22] ».

9Si, dans notre corpus, la construction des parcours commémoratifs relève majoritairement d’une intention purement mémorielle en prenant pour point de départ et d’arrivée des lieux destinés au traitement de la mort (cimetière, église, funérarium, monument aux morts) ou évocateurs du souvenir de la victime (converger vers le lieu d’un accident, ou suivre, à la manière du calvaire, l’ultime trajet d’un enfant disparu), une part non négligeable des cortèges commencent ou s’achèvent devant des lieux politiquement signifiants (mairie, préfecture, palais de justice, plus rarement ministère). Le dessin des trajets incorpore parfois même la revendication jusqu’à devenir un acte d’accusation capable de désigner des responsables ou de montrer des causes. L’itinéraire proposé aux marcheurs par l’association des familles des victimes de l’accident du barrage du Drac épouse ainsi, en mars 1996, la chaîne des responsabilités que dénoncent les parents endeuillés puisque le défilé marque consécutivement quatre arrêts devant l’école, le rectorat, la mairie et l’agence locale d’EDF [23]. En septembre 2005, l’association constituée à la suite du crash d’un avion en Guadeloupe conclut sa marche silencieuse devant la façade (barrée d’un tag « Assassins ») de l’agence de voyages qu’elle estime responsable du deuil de ses membres [24].

10Il en va de même des monuments commémoratifs. Certes, comme le rappelle Gaëlle Clavandier, les stèles du souvenir répondent le plus souvent à une esthétique de l’épure tournée vers l’euphémisation de la violence du drame, l’éviction des causes et l’occultation des responsables [25]. Pourtant, en quelques occasions, le débat architectural se décline en conflit politique. En 1970, l’association des familles de victimes de la discothèque du 5/7 mène ainsi une lutte pour que la stèle commémorative de l’incendie incarne la thèse qu’elle défend. Tandis que les élus locaux lisent dans le drame un symptôme de la crise de l’autorité parentale consécutive au mouvement de 1968, l’association dénonce pour sa part la défectuosité des dispositifs de sécurité et les protections politiques dont auraient bénéficié les patrons de la discothèque. Les parents disposent donc clandestinement, à l’arrière du mémorial, les tourniquets suspectés d’avoir empêché la fuite des danseurs et l’assortissent d’une plaque sans équivoque : « Placés dans le hall d’entrée, ces tourniquets faits par des hommes inconscients et avides d’argent ont provoqué la mort de 144 enfants brûlés vifs le 01.11.1970 [26]. » La tension continuera d’affleurer à chaque commémoration, comme lorsque l’association retourne la gerbe officielle à son envoyeur pour signifier à l’édile de la ville son illégitimité à venir fleurir les victimes : « 144 morts vous remercient. Nous demandons simplement à Monsieur Perrin, maire de Saint-Laurent, de faire son travail. Nous n’avons pas besoin de fleurs [27]. »

11Plus récemment, trois années de polémique ont précédé, à Vitry-sur-Seine, la pose d’une plaque en souvenir d’une jeune fille immolée par son compagnon [28]. Tandis que le collectif fondé pour perpétuer sa mémoire insiste pour que soit consignée sur la pierre la brutalité du décès (« Morte brûlée vive »), la mairie refuse d’avaliser le texte au motif que ses conséquences pourraient être néfastes à la tranquillité publique du quartier. Vandalisée, puis déplacée (au cimetière du Montparnasse devant le sépulcre de Simone de Beauvoir, à Saint-Germain-des-Prés, dans une maison de quartier), la plaque cohabite finalement depuis 2003 avec une stèle distincte de la municipalité.

12Les conflits autour de ces mémoriaux clandestins peuvent encore se muer en luttes de qualification entre groupes militants et pouvoirs publics. Ainsi de cette façade HLM élevée en monument du souvenir à la suite d’une bavure policière à Dammarie-les-Lys. S’y côtoient messages d’hommage (« On vous aime et on vous oublie pas »), banderoles augmentées de slogans (« Pas de justice, pas de paix », « Police assassin, Justice complice », « La BAC assassine nos frères ») et graffitis dénonciateurs (« Nick la BAC »). Des inscriptions revendiquées comme mémorielles par le comité de soutien à la famille (« une manière non violente d’exprimer notre deuil [29] »), mais requalifiées en « dégradation » et « outrage à agent » par les forces de l’ordre qui choisiront de l’effacer.

Document 1

Du graffiti au mémorial

Document 1

Du graffiti au mémorial

Photographie d’une des banderoles d’hommage accrochées sur la tour du Bas-Moulin à Dammarie-les-Lys, 2002.

13Enfin, lorsque les pouvoirs publics gardent la maîtrise de l’ouvrage, les associations continuent de s’approprier les édifices commémoratifs en les décorant de façon à ce qu’ils témoignent de la discorde. À Toulouse, en 2004, les associations de sinistrés de l’explosion de l’usine AZF recouvrent ainsi la colonne de verre dressée par la mairie à des fins mémorielles par des étoffes orange sur lesquelles figurent trois mots d’ordre : « AZF, une catastrophe pour rien », « AZF, une impunité pour les responsables », « Seveso, Bhopal, Toulouse : à qui le tour ? ». En mars 2000, l’Association de défense des familles des victimes du tunnel du Mont-Blanc drape d’un tissu blanc la plaque commémorative inaugurée la veille par le ministre des Transports pour dénoncer « une cérémonie factice où des politiques viennent déposer des gerbes et serrer des mains [30] ».

Document 2

Du monument aux morts à l’édifice militant

Document 2
Monument commémoratif de l’explosion de l’usine AZF, le 21 septembre 2004.
Document 2
Caricature publiée en octobre 2002 dans le Satiricon, un journal humoristique toulousain.

Du monument aux morts à l’édifice militant

14Manifeste dans l’architecture mémorielle, l’investissement en creux du dispositif commémoratif s’introduit également dans le silence requis pour le recueillement. Certes, la minute de silence est a priori « porteuse d’un sens limité non contradictoire. Elle n’est ni équivoque ou ambiguë, ni plurivoque [31] ». Il s’agit d’une figure imposée qu’on ne peut, sans frais, escamoter, mais dont on craint qu’elle ne dissolve les enjeux d’un problème dans une communion de façade. Ce journal militant, proche des associations de sinistrés toulousaines, s’efforce par exemple de remplir un silence consenti malgré soi et stigmatise l’instrument pour ses effets de forclusion de la revendication : « Les minutes de silence expriment on ne peut mieux cette comédie du souvenir qui impose de se taire au coup de sifflet, et permet de mieux clore les dossiers quand tout le monde a bien pleuré. […] Pourtant, il y a peut-être plus d’esprit commémoratif et de souvenir véritable à changer les minutes de silence en minutes des procès, qui restent à mener pour que les victimes d’AZF, mortes ou blessées, ne le soient pas “Totalement” en vain [32]. »

15En fait, bien des tactiques permettent de charger de sens le silence pour qu’il ne se réduise pas à une démission du discours. Certes, la possibilité de le briser totalement n’est guère disponible qu’aux mouvements dont l’identité publique repose sur des écarts transgressifs. Les activistes d’Act Up s’autorisent, par exemple, des incursions régulières dans l’espace sonore des scènes commémoratives en interrompant de cornes de brume la minute de silence initiée par le Président de la République à l’occasion du 11 novembre ou en assortissant de coups de sifflet l’enterrement d’un de ses dirigeants [33]. De même, les militants toulousains du Collectif Plus jamais ça remplaceront ponctuellement le temps de recueillement par des cris et des bruits de casseroles [34]. Une logique identique de coup médiatique, mais dépourvue cette fois d’intention polémique, a conduit, en 2006, l’association Marc Beltra à décréter une « anti-minute de silence » pour enjoindre le pouvoir politique à allouer des moyens à l’enquête sur la disparition de cet étudiant français en Colombie [35]. Les jeux autour de la minute de silence prennent également parfois le ton du coup publicitaire. Comme lorsque cinq discothèques antillaises de Paris interrompent simultanément, à deux heures du matin, l’agitation d’une nuit festive par une minute de silence visant à annoncer la Marche de commémoration des victimes de l’esclavage colonial du 23 mai 2005 ; ou que le site commercial Starzik.com propose à ses internautes, en téléchargement gratuit, une minute de silence pour « protester de manière symbolique contre la répression chinoise au Tibet [36] ».

16Si des responsables associatifs peuvent annoncer « une marche silencieuse pour se faire entendre » ou affirmer que « le silence est plus éloquent que la parole », c’est surtout parce qu’on l’entoure généralement d’un important travail de commentaire et d’explicitation. En fait polysémique et équivoque, le silence peut signifier le respect pour les autorités présentes, la douleur d’avoir perdu un proche, le recueillement, mais aussi la colère, la réprobation ou la gravité d’un problème réclamant des mesures d’exception. Charge dès lors aux porte-parole de l’interpréter et de lui donner sens, soit par la lecture préalable d’un manifeste, soit par la tenue d’une conférence de presse. En 1998, le président de l’association de défense des victimes du crash du Mont Sainte-Odile décrète ainsi « 87 secondes de silence pour que justice soit rendue aux 87 victimes » et ouvre le recueillement par la recension des revendications adressées au procureur de la République [37]. De la même façon, lors d’une journée d’action organisée en 2003, la Ligue contre la violence routière qualifie la minute de silence « d’acte de non-violence et de résistance » destiné à représenter « le silence qui entoure la mort quotidienne, cachée, occultée de 24 personnes qui perdent la vie chaque jour ». Pour mettre à l’unisson des moments de recueillement dispersés à travers le territoire national, elle préconise de faire précéder le silence de déclarations standards : « Nous diffuserons ce jour-là quatre textes qui expliquent le sens de cette minute […] Le texte “soixante secondes de solidarité” exprime la protestation et le sens profond que nous donnons à ce combat contre la mort et la brutalité [38]. »

17La politisation du silence n’est pas seulement le fait des groupes mobilisés, mais aussi des autorités administratives qui, par leur vigilance, requalifie ce geste ordinaire de l’adieu en geste politique. Ainsi du président de la Ligue nationale de football qui rejette la proposition d’un hommage officiel émise par une association de supporters endeuillés : « Dans ce contexte, une minute de silence n’irait pas dans le sens de l’apaisement, de la sérénité et de la dignité. Une minute de silence dans un stade doit unir et non diviser [39]. »

18Ce jeu d’écarts, petits ou grands, d’aménagements, plus ou moins visibles, de prises de distance, ostensibles ou discrètes, invite finalement à fondre ces deux formes supposées incommensurables de rassemblement que sont la commémoration et la manifestation, en un continuum d’actions, proches ici par leur finalité, mais distinctes par les codes qui en ordonnent le déroulement et les niches qui hébergent les éléments revendicatifs. Si bien que les événements à portée commémorative figurent aujourd’hui en bonne place dans le vade-mecum des organisations rompues au lobbying qui en rationalisent la facture [40]. Dans sa forme la plus pure, cette prise de distance avec les codes ordinaires de l’hommage se décline en pastiche, parodie, emploi ludique et provocateur des pièces les plus normées du répertoire commémoratif. Comme lorsqu’Act Up importe des États-Unis un type particulier d’événements funéraires où la recherche de l’effet politique compte autant que l’évocation mémorielle : dérèglement de l’ordonnancement des commémorations étatiques, déploiement de formes détournées des rites commémoratifs ou braconnage des insignes du deuil en faisant des cercueils et des gerbes de fleurs des accessoires à la théâtralisation des défilés [41].

Commémoration-gigogne et cortège à choix multiples

19Puisque la commémoration a souvent d’autres fins qu’elle-même et qu’elle participe d’une démarche de publicisation des griefs, il convient à présent de comprendre pourquoi un groupe donné, dans un contexte donné, la privilégiera à ses substituts fonctionnels les plus immédiats comme le défilé de rue traditionnel.

20Insistons d’abord sur la structure gigogne des événements mémoriels qui leur permet une extension du spectre des ralliements potentiels. L’imbrication du cortège politique dans un rituel de deuil affecte en effet le « cadre motivationnel » par lequel les entrepreneurs de mobilisation tentent d’agir sur la perception des coûts de l’action et d’augmenter ainsi l’étendue de la population mobilisable [42]. Aucune culture spécifique de la protestation n’est ainsi attendue du commémorant. Même s’il ne dispose pas du stock de gestes et de postures propres à l’expérience manifestante, ce dernier peut se mouvoir sans gêne et sans sentiment d’étrangeté dans un cortège dont l’essentiel des engagements corporels s’apprennent de l’expérience ordinaire du deuil privé. Plus encore, l’exhibition de valeurs éthiques à portée générale, en complément ou à côté de la revendication politique, permet aux novices de s’intégrer à la procession sans autre forme d’adhésion que le partage d’une indignation commune. Pour préserver la possibilité d’usages compassionnels du défilé, les organisateurs aménagent ainsi en son sein un lieu neutre, ouvert à l’appropriation mémorielle ; ce dont témoigne l’effort systématique pour rappeler la nature « digne et apolitique » des marches silencieuses (stéréotype de langage qui participe en fait activement au travail d’extension de la base mobilisable) et pour exiger des soutiens politiques une discrétion de circonstance (refuser par exemple le port de l’écharpe tricolore, la présence de drapeaux partisans ou d’autocollants syndicaux).

21Cette double nature de la commémoration semble particulièrement adaptée aux petits collectifs, sans tradition enracinée, formés localement autour d’un fait divers isolé qu’aucune agence de courtage d’intérêt n’est venue subsumer sous un problème public déjà objectivé. En l’absence de ressources collectives institutionnalisées (notamment de réseaux spécifiques de recrutement), ces entreprises de défense d’intérêt auraient sans doute en contexte ordinaire renoncé à la démonstration publique du nombre. Toutefois, l’ampleur de la mobilisation locale qui a pu suivre immédiatement le drame à l’occasion des obsèques laisse entrevoir l’existence d’une base militante de substitution, certes précaire et évanescente, mais déjà là. La mobilisation se construit alors à partir du ralliement conjoncturel de multiples réseaux locaux qu’aucune affinité politique ne cimente a priori (voisinage, cercle familial et amical, associations de loisirs, sections de parents d’élèves, réseaux paroissiaux) et qu’il va s’agir de perpétuer une fois passée l’indignation du moment. Ici, la stabilité de cette contrainte de recrutement explique la structuration durable du répertoire d’action autour des formes de célébration du souvenir. Le cadre commémoratif est maintenu, quitte à le tordre pour qu’il permette l’expression de la revendication.

22Pour les entreprises militantes établies, la convocation du public circonstanciel des commémorations agit en renfort et non plus en substitution de la base militante. On peut faire l’hypothèse qu’elles conviennent notamment aux contextes de captation de soutiens externes, de désectorisation d’un mouvement ou de ralliement conjoncturel d’organisations dissemblables autour d’une cause commune. Parce que la gamme des biens symboliques distribués s’étend à des prestations mémorielles, les publics du cortège se diversifient et les circuits de recrutement s’ouvrent à des réseaux non spécifiquement militants. Droit au logement (en commémorant régulièrement les incendies d’immeubles vétustes), SOS-racisme et le MRAP (en initiant des marches d’hommage aux victimes de crimes racistes), partagent ainsi le travail de mobilisation avec des associations de quartiers, des organisations communautaires ou des institutions religieuses. Quelle que soit la réalité des effets du registre commémoratif sur l’ampleur et la composition du défilé (des monographies permettraient de les mesurer), le label « marche silencieuse » transforme les manières de compter, de nommer et d’identifier les manifestants. Les comptes rendus de presse se détournent ainsi de l’enjeu classique du « nombre de manifestants [43] » pour ne plus évaluer que la qualité du public et l’authenticité de la peine qu’il exprime. Les affiliations politiques s’effacent alors des récits journalistiques au profit des appartenances territoriales ou professionnelles. Les syndicalistes de la CGT, les activistes de l’antiracisme, les militantes féministes ne pleurent pas les victimes. En revanche, « les convoyeurs expriment leur douleur », « La Duchère se souvient » et « Vitry-sur-Seine s’indigne ». Les foules commémorantes se parent ainsi des privilèges de l’anonymisation par le deuil, si bien que le sentiment d’injustice cesse d’être attribué aux seuls professionnels de l’indignation pour désormais concerner les citoyens « ordinaires » et gagner par ce biais en universalité.

Du jeu sur un malentendu au risque d’être pris aux maux

23Le mélange des genres a pourtant ses limites et la commémoration risque toujours de redevenir ce que les organisateurs ne voulaient pas qu’elle soit, c’est-à-dire, soit une démonstration strictement politique, soit une cérémonie recluse sur le souvenir. Comme à Paris, en 2005, lorsque la marche de soutien aux victimes de l’incendie du boulevard Vincent Auriol se scinde en deux cortèges et qu’une « manifestation bis » se détache sous l’impulsion de militants inquiets que ne soient tues les causes politiques du sinistre [44]. Ou lorsqu’en 2003, à Toulouse, les cérémoniants d’occasion finissent par déserter la scène des hommages aux victimes d’AZF qui, à force d’empiéter sur le terrain politique, ne leur correspond plus : « Il y avait de l’électricité dans l’air. J’étais mal à l’aise, j’étais étrangère. Je suis venue pour me recueillir et je suis tombée dans une manifestation anti-municipalité [45]. » A contrario, les militants plus chevronnés doivent toujours s’accommoder des normes de la procession funéraire qui pèsent sur les postures manifestantes. L’environnement sonore, le rythme du défilé, les attitudes corporelles rappellent sans cesse le poids des résistances incorporées et limitent l’explicitation des revendications. Sans être absents, les éléments de mise en spectacle du cortège (déguisements, banderoles, slogans) demeurent épurés. Ce militant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) – la seule organisation politique à oser des drapeaux partisans lors des commémorations toulousaines – évoque ainsi le dilemme entre la satisfaction des attentes mémorielles et la clarté du message politique :

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« C’était une manifestation bizarre parce que, quand même, des milliers de gens sont venus défiler, mais j’ai pas entendu un seul mot sur la fermeture du site. Je sais pas si tu en as entendu toi, mais moi, j’ai fait le tour des banderoles, je les ai à peu près toutes regardées et je n’en ai pas vu une là-dessus. En tout cas, c’est pas ce qui dominait. Ce qui dominait, c’était la couleur, les ballons, puis la désignation de l’assassin particulier à Toulouse, donc Total. C’était un jour des morts, donc on pouvait parler de catastrophe, certains pouvaient parler d’assassinat, mais c’était pas un jour revendicatif traditionnel. Pourtant, le problème de l’emploi industriel, de l’industrie dans la ville, c’est un problème sérieux, important, qu’il faut politiser. Mais, avec un mot d’ordre clair, je ne suis pas sûr que les gens se seraient investis [46]. »

25Cette tension apparaît également manifeste dans la gestion de la réception journalistique des marches silencieuses. L’hybridation de l’action revendicative sur la commémoration procède en effet d’un jeu d’anticipation sur les attentes médiatiques. La commémoration, en plaçant au centre du dispositif l’expression du malheur privé, est une forme d’investissement de la rue calibrée par rapport aux nouveaux standards de l’écriture journalistique : la supériorité attribuée à la parole profane sur la parole déléguée, le privilège accordé aux émotions dites à la première personne sur les indignations traduites dans la langue idéologique [47]. La cérémonie a dès lors tout de l’événement créé pour, voire, dans certains cas, par les journalistes. Comme le rappelle ce parent endeuillé par l’explosion d’AZF, les entrepreneurs victimaires braconnent et orientent alors la présence journalistique, plus qu’ils ne la suscitent.

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« Le 21, c’est une date pour eux, pour les médias, c’est un repère. Donc le 21, on se manifeste pour eux parce qu’on sait qu’après, c’est fini pour eux. C’est sûr qu’on a une pensée pour les disparus mais, pour moi, le 21, c’est une date, c’est rien d’autre, à la rigueur mon 21, c’est tous les jours ou quand je vais voir mon fils sur sa tombe. Très honnêtement, le 21, c’est un truc médiatique, ça revêt une importance associative parce que c’est l’occasion de se montrer, de s’exprimer collectivement. On est là pour se faire entendre. Mais, sinon, on se recueille chacun dans notre coin [48]. »

27Pourtant, ce jeu sur un malentendu fait toujours encourir le risque que le message ne soit lui-même mal entendu et que la réception journalistique n’érode l’événement de ses dimensions politiques. Les promoteurs de commémoration s’exposent alors à des lectures sélectives qui décrivent un cortège d’individus blessés là où devaient normalement défiler des acteurs « en colère ». Ainsi des frustrations de ce leader sinistré toulousain gêné d’avoir offert aux reporters des larmes qui auraient trouvé place dans l’intimité d’un cimetière, mais qu’il juge contre-productives dans le contexte d’une tribune publique : « Le jour du 21, je me suis vu à la télé et bien sûr les journalistes n’avaient pas oublié de repérer le seul moment où j’ai eu un affaissement moral. Je suis combatif pendant 10 minutes, un petit moment de relâchement et c’est fini. […] Moi, j’étais pas là pour pleurnicher [49]. » Les porte-parole doivent alors s’efforcer de produire des contre-commentaires pour infirmer des interprétations coupables d’avoir pris aux maux la procession endeuillée et rétablir ainsi l’expression d’un mécontentement : « Nous ne sommes pas dans le cas d’une manifestation émotionnelle, on refuse d’être cantonnés à cela [50] » ; « L’enterrement politique de Cleews Vellay a été pour nous une vraie manifestation d’Act Up, conçue et préparée comme telle. […] L’image du cercueil n’est pas celle que les journalistes ont voulu retenir et c’est aussi pourquoi nous la publions en première page, c’est elle qui rend à la mort par sida son vrai sens politique [51]. »

28Finalement, la force de l’institution mémorielle réside là où se logent ses faiblesses : sa structure gigogne brouille la lisibilité du rassemblement, mais étend le spectre des ralliements potentiels ; la centralité des émotions endeuillées ampute l’expression protestataire, mais facilite les réceptions journalistiques ; la concentration sur le drame singulier obstrue le travail de montée en généralité, mais assure le cautionnement de la parole publique.

Les avatars des commémorations pare-feu : le silence ou l’émeute

29La réduction de l’attractivité d’un mode d’action à une série d’avantages et de désavantages risque toutefois de méconnaître la dimension relationnelle du « choix des armes [52] » et d’ignorer que le sens et la valeur d’une technique de publicisation doivent surtout à l’espace de compétition – entre mouvements concurrents, entre groupes mobilisés et autorités publiques – dans lequel elle s’inscrit.

30D’abord, selon le secteur militant, l’hommage aux victimes n’empruntera ni la même forme, ni les mêmes traditions référentes, ni surtout la même signification. Par exemple, pour l’association de victimes du terrorisme SOS-Attentats, la commémoration épouse le modèle de la cérémonie d’État et s’orne des décors de l’officialité. L’association revendique en effet, depuis sa création, une place dans le champ des organisations d’anciens combattants qui lui contestent ce statut. Représentante des « victimes de guerre en temps de paix », l’association ambitionne donc pour ses membres une reconnaissance équivalente à celle offerte aux militaires « morts pour la France » et elle calque son ouvrage commémoratif sur le modèle des honneurs militaires dont elle importe les lieux, les codes et les décors [53] : la levée des couleurs aux Invalides, la sonnerie aux morts, l’hymne national, le patronage d’un parterre d’invités de prestige. À l’inverse, dans le secteur des associations de protection de l’enfance, le registre commémoratif n’évoque pas les ors de la cérémonie d’État, mais bien plutôt l’indignité des manifestations disruptives, incertaines et « manipulées ». Les marches silencieuses, significativement qualifiées en entretien de « manifestations », souffrent en effet de l’héritage suspect des cortèges qui s’organisaient, à la fin des années 1980, après chaque assassinat d’enfant, sous l’impulsion de militants du rétablissement de la peine de mort [54]. Pour les organisations de défense des victimes les plus institutionnalisées, la démonstration publique du deuil correspond donc ici à un recours impudique et risqué aux émotions publiques [55].

31Ensuite, si l’adoption du répertoire des gestes endeuillés s’inscrit dans des univers de sens et procède donc de la manipulation de symboles, il doit aussi être rapporté à des univers de rareté[56] et donc à la gestion de contraintes. Au regard de l’histoire de la protestation par le deuil, le registre commémoratif fait en effet figure de répertoire de substitution, mis en œuvre par défaut, en dernier recours, lorsque sont épuisées les opportunités légales d’occuper la voie publique. Libéraux des monarchies censitaires, militants socialistes dans le Paris de fin de siècle, maquisards de la France occupée, dissidents des régimes communistes, sectateurs maoïstes des années 1970, etc., tous commémorent sous le contrôle étroit d’un appareil répressif qui tolère des niches, mais interdit la rue [57] ; l’interaction entre les groupes mobilisés et les acteurs du maintien de l’ordre fournissant alors la matrice explicative principale du recours au braconnage des rituels funéraires.

32Or cette fonction d’« espace-abri [58] » dévolue, autrefois ou ailleurs, au deuil politique ne saurait être considérée comme la survivance d’un passé révolu ou comme une propriété exotique réservée aux seuls contextes autoritaires. Michel Dobry note, dans ce sens, tout l’intérêt qu’il y a à « s’interroger sur la prohibition institutionnalisée de certains modes d’action (dont justement la manifestation) dans des zones particulièrement “sensibles” de l’espace social [59] ». De fait, le double processus de libéralisation et de pacification de l’activité protestataire ne touche pas de manière uniforme les différentes régions du monde social. Dès lors, même s’il se raréfie, l’usage des motifs commémoratifs comme bouclier capable de protéger la mobilisation de l’intervention des forces de l’ordre reste prégnant lorsque les entrepreneurs de protestation appartiennent à des groupes particulièrement visés par l’activité répressive.

33Notre corpus de presse offre ainsi un faisceau d’indices convergents pour nourrir l’hypothèse du rôle déterminant des acteurs du maintien de l’ordre dans le recours aux défilés muets. Se dessine en effet une géographie sociale des marches mémorielles nettement contre-intuitive tant elle s’écarte de la cartographie habituelle des pratiques manifestantes. Une large part des événements renseignés s’organisent en effet dans des quartiers dits « sensibles » où l’occupation collective de la voie publique fait l’objet d’une vigilance resserrée. Par ailleurs, parmi les défunts honorés par un cortège posthume, on relève la forte représentation des victimes d’origine étrangère, presque toutes issues de l’immigration africaine ou maghrébine [60] : des populations mobilisées à la fois plus exposées, mais aussi plus vulnérables à l’attention policière. Enfin, en renfort de cette hypothèse répressive, on relève qu’un nombre non négligeable des marches silencieuses se déploie dans des conjonctures marquées par une conflictualité, effective ou latente, entre le groupe endeuillé et les forces de l’ordre. Les comptes rendus de presse recueillis font ainsi régulièrement état de tensions, d’interpellations ou d’émeutes alors que s’organise le défilé. Qu’il s’agisse de crimes à caractère raciste (à Givors, Nevers, Oullins [61]), de règlements de compte (à Saint-Étienne, Perpignan, Bagnolet, L’Haÿ-les-Roses, Tourcoing [62]) ou d’accidents survenus à la suite d’arrestations (à Sallaumines, Montpellier, Clichy, Aubervilliers [63]), les acteurs mobilisés agissent sous surveillance, sur un territoire étroitement quadrillé pour prévenir les risques de vengeance privée ou de « violences urbaines ».

34La routinisation, depuis les années 1980, des marches silencieuses organisées par des comités de soutien aux victimes de « bavures policières » illustre particulièrement l’univers de contraintes dans lequel prennent place ces commémorations pare-feu. Ainsi de la mobilisation initiée, en 2002, à Dammarie-les-Lys, par le frère de la victime d’une course-poursuite avec la BAC [64]. Ce groupe expérimente dès les premiers jours les coûts associés aux instruments ordinaires de l’action collective. Une opération de tractage s’achève par l’arrestation de plusieurs militants et par le déploiement de cars de CRS devant le domicile familial. Quatre jours plus tard, le comité et la famille se rendent en délégation au ministère de la Justice, mais un détachement policier leur en bloque l’accès. Le groupe sera par ailleurs décimé par une dizaine de condamnations pour outrage (les tracts « La BAC tue encore, la justice couvre toujours » valent au frère de la victime une condamnation) et le Conseil général met à pied deux de ses salariés pour avoir participé à une manifestation de soutien. Se sachant vulnérables aux jeux de disqualification qui rendent ici poreuses les frontières entre la manifestation et l’émeute, entre la militance et la délinquance, les leaders de la mobilisation devront donc sans cesse réaffirmer la nature pacifique de la protestation et s’efforcer d’aligner les actions protestataires sur le calendrier et les formes funéraires en multipliant, après un défilé d’obsèques, les marches silencieuses et les rassemblements mémoriels [65].

35Les responsables de l’ordre public agissent donc sur le recours à la manifestation commémorative en étalonnant les coûts différentiels des modes d’action alternatifs. Ils peuvent également dissuader du deuil politique en enjoignant à la privatisation des pratiques funéraires, comme dans cette réponse adressée par le maire de Melun aux organisateurs d’une marche silencieuse : « Je me suis étonné de la demande d’une telle manifestation compte tenu que de nombreuses personnes se tuent malheureusement sur la voie publique et que la douleur des familles n’est pas suivie d’une manifestation publique [66]. » Une troisième solution consiste pour les pouvoirs publics à prescrire eux-mêmes la tenue d’un défilé commémoratif. Ainsi des marches négociées qu’initient des élus, soit pour prévenir, soit pour endiguer, des formes plus radicales d’action collective. À la suite des émeutes de 2005, le maire de Clichy se félicite dans ces termes : « Avec la marche de ce matin, on est passé du regard des médias uniquement à travers la vision des pierres qui sont jetées, et qui appellent des réponses de type policières ou judiciaires, à un regard sur ce que nous sommes vraiment, c’est-à-dire des gens calmes et dignes, qui commémorent un traumatisme [67]. » En effet, l’édile socialiste, les familles endeuillées, une association de soutien aux victimes et les autorités cultuelles musulmanes [68] ont conjointement négocié le retour aux voies conventionnelles du défilé mémoriel. Un consensus sur la forme de l’action qui n’interdira pas aux motifs éclectiques de s’épanouir tout au long du cortège, puisque certains cérémoniants militent pour un retour à l’ordre, d’autres pour le retrait du dispositif policier et la libération des émeutiers interpellés, la famille pour l’ouverture d’une enquête judiciaire, les militants socioculturels pour une réforme de la politique de la ville.

36Cette entreprise de pacification de l’espace de la protestation peut enfin constituer pour des agences intermédiaires de représentation (organisations communautaires, autorités religieuses) des épreuves de représentativité. À la suite d’un meurtre intercommunautaire à Tourcoing, le Collectif des associations congolaises de la région Nord-Pas-de-Calais appelle ainsi à une manifestation commémorative dans le but explicite de réduire le spectre des actions disponibles aux membres de la communauté qu’ils représentent [69] :

37

« Les responsables de la Communauté congolaise ont très vite réagi en soutenant la famille et en trouvant une salle afin d’y organiser le deuil. Après quelques réunions consultatives, la stratégie et la volonté de la Communauté congolaise étaient claires : pour éviter la vengeance, la violence et la haine entre les communautés, il était préférable qu’une action collective se substitue à des initiatives individuelles incontrôlables. D’où l’idée de canaliser toutes les énergies afin d’organiser une marche silencieuse et pacifique. Cette marche avait pour tout objet de responsabiliser les jeunes Congolais au lieu de verser dans la violence en réaction au meurtre de leur sœur. C’est ainsi que le Comité organisateur avait décidé d’occuper les jeunes en leur confiant les tâches de responsabilité dans le déroulement de la marche. L’encadrement de la manifestation ainsi que la sécurité ont été un succès tel que les forces de l’ordre (Police, CRS, RG…) parquées tout autour de la ville de Tourcoing avaient jugé inutile toute intervention. Cela a fait la fierté de la jeunesse congolaise qui a été exemplaire et félicitée pour cette marque de citoyenneté par les autorités de la ville, la presse et la police [70]. »

38Ni surgissement spontané d’une émotion collective, ni appropriation subie d’un mode d’action prescrit, la marche silencieuse résulte donc d’une interaction complexe entre l’entourage des victimes qui s’épargnent les coûts d’une répression légale, les organisations alliées (LDH, MRAP, SOS-Racisme) qui, gênées par des manifestations disruptives, retrouvent le jeu réglé des messages de soutien, les acteurs du maintien de l’ordre qui peuvent se féliciter d’un retour au calme et les représentants politiques qui redirigent les plaintes vers des canaux institutionnels de traitement.

Les commémorations-processions. Réhabiliter le groupe et restaurer la pureté biographique des victimes

39Aux ressorts pragmatiques qui règlent le recours au registre commémoratif peuvent enfin s’adjoindre des enjeux identitaires et une dimension expressive. Par analogie avec les « manifestations-processions » qu’évoque Danielle Tartakowsky, on parlera alors de « commémorations-processions » pour qualifier des cortèges « dépourvus d’interlocuteurs » et « dont la fonction première est de construire une image du groupe en usant le plus souvent de marques symboliques [71] ».

40La tenue d’une marche silencieuse procède en effet dans de nombreux cas d’une configuration où un élément au moins empêche la mise en œuvre d’une opposition transparente entre une victime et son bourreau. Le schéma actanciel est brouillé, soit par la participation supposée de la victime à sa propre victimation (suicide, mort à la suite d’une rixe, d’un vol ou d’une arrestation), soit par des doutes sur sa qualité morale (détention d’un casier judiciaire), soit par un soupçon de culpabilité nourri de préjugés raciaux ou sociaux. C’est notamment le cas lorsqu’un groupe ou un individu candidat au statut de victime fait l’objet d’une mise en cause par l’institution judiciaire, comme dans les affaires de bavures policières dont la victime est régulièrement incriminée pour son action directe dans le drame (excès de vitesse) ou pour le rôle précipitant de son comportement (légitime défense). La forte représentation des rixes et des bagarres mortelles parmi les événements générateurs de marches silencieuses peut également être rapportée à ce type de contraintes de justification. Tandis que le lieu d’habitation, les antécédents judiciaires ou l’origine nationale de la victime rendent immédiatement plausible, aux yeux des enquêteurs et des médias, l’hypothèse d’un règlement de comptes, l’entourage s’emploie à récuser la possibilité d’une faute initiale du défunt dont ils doivent démontrer la probité.

41La commémoration s’apparente alors à une entreprise de réhabilitation menée par les proches du défunt en vue de la restauration de sa pureté biographique [72]. La marche silencieuse fonctionne en effet comme un instrument qui, indépendamment de la biographie de la victime, entoure cette dernière d’une « moralité conjoncturelle [73] ». Par leur scénographie propre – les portraits brandis par les participants, les banderoles d’hommage, la manifestation publique de la douleur et de la peine –, ces défilés concourent à clarifier la distribution des rôles, à rétablir l’innocence du défunt défini désormais par ses identités sociales primaires (un fils, un copain, un adolescent) plutôt que par son identification judiciaire (un délinquant, un cambrioleur, un fuyard). Lors de ces manifestations à valeur défensive, chaque élément du rituel cesse d’être une figure obligée pour se muer en preuve de la valeur du groupe mobilisé et, par métonymie, de la victime. La discipline du cortège, le respect du silence, l’exhibition sur les banderoles de principes éthiques inattaquables, la participation des « officiels » ou la présence de personnes qui, par leur statut, expriment des formes de vertus (des enfants, des mères de famille, des enseignants, des travailleurs sociaux), deviennent autant de pièces capables d’attester la droiture du défunt.

42Le recours aux motifs commémoratifs s’inscrit donc dans une démonstration de respectabilité individuelle, mais aussi collective. En témoignent les expressions publiques de deuil des supporters du PSG à la suite du décès, en 2006, d’un ultra pris sur le vif d’une agression antisémite [74]. Dans un contexte de surveillance et de soupçon, l’organisation de cérémonies d’hommage se donne explicitement pour fin la restauration de l’image publique d’un « monde supporter » que les associations représentatives estiment « méprisé et dénigré par les pouvoirs publics [75] ». Les supports ordinaires du deuil (crêpes noirs, gerbes portées en tête de cortège, recueillement genoux à terre, oraison prononcée par les parents endeuillés) se fondent ici dans la culture du supporteurisme : hommages inscrits sur des tifos dans les stades, drapeaux et étendards repliés en signe de tristesse, fumigènes substitués aux bougies dans les moments de recueillement, minute de silence qui se prolonge toute la durée d’un match (la pratique entrant ici en résonance avec les traditionnelles « grèves des encouragements »). Les marches silencieuses font pour leur part l’objet d’un étroit travail d’encadrement et d’autodiscipline prescrit par les dirigeants des clubs de supporters : « La discipline la plus stricte doit être respectée » ; « Il est capital de respecter quelques règles élémentaires de conduite afin d’assurer le bon déroulement de l’hommage. Ainsi, le comportement et la tenue de chacun se devront d’être exemplaires. À nous de montrer la maturité du mouvement supporter en France [76]. » Annoncés avec insistance comme « non revendicatifs », les cortèges de 2006 devront avoir pour « simple but de marcher silencieusement et au passage de montrer à la presse que nous avons une “face” [77] ».

Document 3

Honorer, démontrer, dénoncer

Document 3

Honorer, démontrer, dénoncer

Affiche de l’appel à commémorer la mort de Julien Quémener, le 23 novembre 2007.

43Cet usage de la commémoration comme forme de restauration de l’honneur individuel et comme démonstration de la dignité collective apparaît finalement commun à un ensemble de groupes qui, en dépit de leurs différences, se rejoignent dans le fait qu’ils s’affrontent à la gestion publique d’un stigmate ou à une présomption culturelle de culpabilité. Que l’on songe par exemple à la voie commémorative qu’emprunte l’entreprise de reconnaissance de victimes de la Shoah confrontées, au sortir de la guerre, au reproche de la passivité [78] ; à l’emploi récurrent de la marche silencieuse par les organisations féministes dans le cadre de leurs campagnes contre les violences sexuelles, des crimes où le spectre de la « victime coupable » demeure têtu ; ou encore à la protestation par le deuil des malades du sida dont le destin put être interprété sur le registre de la faute et de la punition. Les conclusions que tire Christophe Broqua de ce dernier cas méritent sans doute d’être étendues : la commémoration vise à l’abolition du « clivage entre victimes innocentes et morts méritées » et à la « transformation du statut des défunts réhabilités en “victimes innocentes” et héroïques [79] ».

Conclusion

44Manifestations catch-all susceptibles de faire tenir ensemble des publics dispersés ; lieux neutres où des organisations dissemblables accordent leurs slogans dans le silence ; cortèges prêts-à-porter immédiatement ajustés aux prescriptions journalistiques ; défilés incarnés capables d’articuler la cause et le fait divers, le nombre et le témoignage ; abris protecteurs préservés de l’intervention policière par l’enclos normatif du deuil ; processions en forme de panégyriques qui célèbrent les groupes en honorant les morts, etc. Sans doute toute commémoration n’est-elle pas « politique ». De même, tout, dans la commémoration, ne relève-t-il pas de la sociologie politique. Pourtant, au prisme de ses usages, la cérémonie du souvenir cesse d’être l’antonyme de la manifestation. Au Rond-point du 21 septembre à Toulouse, dans les jardins des Invalides, dans les travées du Parc des princes, les frontières entre les deux formes d’action se rejouent sans cesse. Au sein d’un même cortège, cérémoniants et manifestants cohabitent (ou parfois s’opposent), rites funéraires et motifs revendicatifs s’enchevêtrent (mais quelquefois s’excluent). Cette porosité s’instille jusque dans la bataille des commentaires après-coup à l’occasion desquels journalistes, élus et militants s’affrontent pour assigner aux défilés leur véritable « nature » : « La marche silencieuse s’est vite transformée en manifestation revendicative », « Les obsèques de deux policiers tournent en manif » ; « Nous ne sommes plus dans la commémoration, mais dans la commémore-action [80]. »

45Cette exhumation des usages contemporains du répertoire commémoratif invite finalement la sociologie des émotions protestataires à se détourner de son questionnement initial (les causes émotionnelles de l’action collective) pour mieux envisager des « styles émotionnels » que les acteurs composent pour se faire entendre, choquer ou apitoyer [81]. En effet, loin d’une traduction immédiate du malheur subi, l’adoption du registre de la protestation par le deuil se comprend avant tout au regard des médiations sociales et politiques qui organisent les postures affectives adoptées dans l’action collective et qui déterminent la valeur comparée des émotions publicisées : la nature des publics visés, les jeux relationnels entre mouvements et contre-mouvements, les interactions avec les autorités publiques, les emprunts à des traditions référentes, etc.


Date de mise en ligne : 06/10/2015.

https://doi.org/10.3917/pox.110.0007

Notes

  • [1]
    Clavandier (G.), La mort collective. Pour une sociologie des catastrophes, Paris, CNRS Éditions, 2004 ; Namer (G.), La commémoration en France de 1945 à nos jours, Paris, L’Harmattan, 2000 ; Ben-Amos (A.), Funerals, Politics and Memory in Modern France 1789-1996, Oxford, Oxford University Press, 2000 ; Schwartz (B.), « Mourning and the Making of Sacred Symbol : Durkheim and the Lincoln assassination », Social forces, 70 (2), 1991.
  • [2]
    Parmi les exceptions : Pfaff (S.), Yang (G.), « Double-Edged Rituals and Symbolic Resources of Collective Action : Political Commemoration and the Mobilization of Protest in 1989 », Theory and society, 30 (4), 2001, et Broqua (C.), Agir pour ne pas mourir. Act Up, les homosexuels et le sida, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.
  • [3]
    Offerlé (M.), Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1998, p. 101 ; Fillieule (O.), Stratégies de la rue. Les manifestations en France, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 42 et 383.
  • [4]
    Pour une analyse du cloisonnement disciplinaire qui sépare l’étude des cérémonies de celle de l’action collective, cf. Mariot (N.), « Les formes élémentaires de l’effervescence collective ou l’état d’esprit prêté aux foules », Revue française de science politique, 51 (5), 2001.
  • [5]
    Durkheim (É.), Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Presses universitaires de France, 2005 (1re éd. 1912).
  • [6]
    Favre (P.), « Manifester en France aujourd’hui », in Favre (P.), dir., La manifestation, Paris, Presses de la FNSP, 1990, p. 15.
  • [7]
    Fillieule (O.), op. cit., 1997, p. 44.
  • [8]
    Tartakowsky (D.), Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise XIXe-XXe siècles, Paris, Aubier, 1999 ; Fureix (E.), La France des larmes. Mort et politique à l’âge romantique (1814-1840), Seyssel, Champ Vallon, 2009. Pour une archéologie fine de ce type d’usages contestataires de la mort : Dewerpe (A.), Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Folio-Gallimard, 2006.
  • [9]
    Tartakowsky (D.), op. cit.
  • [10]
    Rihoux (B.), Walgrave (S.), L’année blanche. Un million de citoyens blancs. Qui sont-ils ? Que sont-ils devenus ?, Bruxelles, EVO, 1997.
  • [11]
    Latté (S.), « “Vous ne respectez pas les morts d’AZF”. Ordonner l’émotion en situation commémorative », in Lefranc (S.), Mathieu (L.), dir., Mobilisations de victimes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009. Cf. également, dans une perspective proche : Truc (G.), « La politique aux marges de la commémoration : une ethnographie des cérémonies de commémoration officielle des attentats du 11 mars 2004 à Madrid », in Berger (M.), Cefaï (D.), Gayet-Viaud (C.), Stavo-Debauge (J.), dir., Ethnographies du politique, Bruxelles, Peter Lang, 2011.
  • [12]
    Latté (S.), Les « victimes ». La formation d’une catégorie sociale improbable et ses usages dans l’action collective, Thèse pour le doctorat d’études politiques, EHESS, 2008.
  • [13]
    Michel Offerlé et Jean-Gabriel Contamin rappellent l’intérêt qu’il y a, pour l’étude des modes d’action collective, à raisonner en termes de « significativité » et d’« exemplarité » plutôt que de « représentativité » ou d’« exhaustivité » : Offerlé (M.), « Descendre dans la rue. De la “journée” à la “manif” », in Favre (P.), dir., La manifestation, op. cit. ; Contamin (J. -G.), Contribution à une sociologie des usages pluriels des formes de mobilisation : l’exemple de la pétition en France, Thèse pour le doctorat en science politique, Université Paris 1, 2001.
  • [14]
    Pour une discussion approfondie de ces biais : Fillieule (O.), « On n’y voit rien. Recours aux sources de presse pour l’analyse des mobilisations protestataires », Travaux de science politique, 29, 2007 ; Contamin (J. -G.), « Que faire des analyses événementielles ? », Communication au Congrès de l’Association française de science politique, IEP de Toulouse, septembre 2007.
  • [15]
    Mouriquand (J.), « Les commémorations étouffent le journalisme », Le Monde diplomatique, 4 septembre 2002.
  • [16]
    Le Monde, 30 mai 2005.
  • [17]
    Le Parisien, 10 octobre 2002 ; Progrès de Lyon, 8 décembre 2005 ; Sud-Ouest, 2 et 3 octobre 2005.
  • [18]
    Libération, 4 avril 2005.
  • [19]
    La Voix du Nord, 1er avril 2005.
  • [20]
    Le Monde, 13 juillet 2004.
  • [21]
    Libération, 1er août 2005 ; Ouest-France, 18 juillet 2005.
  • [22]
    Corbin (A.), « Préface », in Corbin (A.), Gérôme (N.), Tartakowsky (D.), Les usages politiques des fêtes aux XIXe-XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994.
  • [23]
    Decrop (G.), Victimes, associations de victimes et prévention des risques collectifs, Rapport pour le Ministère de l’Écologie, 2003, p. 41.
  • [24]
    AFP, 16 octobre 2005.
  • [25]
    Clavandier (G.), La mort collective. Pour une sociologie des catastrophes, Paris, CNRS Éditions, 2004.
  • [26]
    Clavandier (G.), « Que faire des traces d’une catastrophe ? Mémoire des accidents et aménagement », Annales de la recherche urbaine, 95, 2004.
  • [27]
    La Cause du Peuple, n° 31, novembre 1972.
  • [28]
    Le Monde, 5 octobre 2003.
  • [29]
    Résistons ensemble, n° 0, juillet 2002.
  • [30]
    Sud-Ouest, 27 mars 2000.
  • [31]
    Clavandier (G.), op. cit., 2004, p. 127.
  • [32]
    Satiricon, octobre 2002.
  • [33]
    Action. Lettre mensuelle d’Act Up Paris, n° 28, décembre 1994 ; Libération, 27 octobre 1994.
  • [34]
    Le Parisien, 22 janvier 2002.
  • [35]
    La Matinale de France Inter, 4 janvier 2006.
  • [36]
    http://www.starzik.com/mp3/titres/1_Minute_de_Silence-1832963.html
  • [37]
    Dernières nouvelles d’Alsace, 18 janvier 1998.
  • [38]
    Dossier de presse, Ligue contre la violence routière, mai 2003.
  • [39]
    Le Monde, 1er décembre 2006.
  • [40]
    Ainsi des recommandations diffusées par la Ligue contre la violence routière lors d’une journée d’action en 2003 : « Les Marches blanches : être habillé en blanc. Compléter éventuellement ce visuel par une manifestation sonore simple » ; « Sit-in : à certaines occasions, un “sit-in blanc” a été fait à l’endroit où s’était récemment produit un accident mortel d’enfant : il peut se faire sur la chaussée ou sur les bords de la voie, avec ou sans dépôt de gerbe » ; « Bouquet : une action simple, qui ne demande pas beaucoup d’organisation, est de déposer un bouquet de fleurs à l’endroit où un accident récent a eu lieu : c’est un geste très apprécié par les proches des victimes » ; « Lecture d’une liste de noms : collecter les noms des personnes tuées sur une période donnée, en faire la lecture lors d’une manifestation ».
  • [41]
    Broqua (C.), op. cit. Cf. également le dossier « Sida. Deuil, mémoire, nouveaux rituels », Ethnologie française, 28 (1), 1998.
  • [42]
    Snow (D.), Rochford (E.), Worden (S.), Benford (R.), « Frame Alignment Processes, Micromobilization, and Movement Participation », American Sociological Review, 51 (8), 1986.
  • [43]
    Bien que rares et atténuées, les « batailles de chiffres » relatives à l’audience des célébrations victimaires ne disparaissent toutefois pas systématiquement. Ainsi, du communiqué d’une association d’anciens salariés de l’usine AZF à Toulouse : « La Dépêche du Midi n’y pourra rien. Nous étions plus de 350 cette année à nous retrouver sur le site pour nous souvenir. Nous étions, comptabilisés avec précision par le service de gardiennage, 371 anciens salariés et invités auxquels il fallait ajouter le personnel sur le site qui nous a spontanément rejoints autour de la stèle. Plus nombreux encore que l’an dernier pour partager ce moment d’émotion et de souvenir. […] Nous y trouvons un encouragement supplémentaire pour affronter de nouvelles épreuves. Forts de la confiance d’un très grand nombre, nous y sommes prêts. » (Bulletin de l’association AZF-mémoire et solidarité, n° 11, 2005).
  • [44]
    Legrioo.com, 30 août 2005.
  • [45]
    La Dépêche du Midi, 24 septembre 2003.
  • [46]
    Entretien. Travailleur social. Militant de la LCR. Septembre 2002.
  • [47]
    François (B.), Neveu (E.), dir., Espaces publics mosaïques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999.
  • [48]
    Entretien. Fondateur d’une association de familles endeuillées toulousaine. Septembre 2003.
  • [49]
    Ibid.
  • [50]
    AFP, « Entre émotion et colère. Les Toulousains en “commémor-action” », 21 septembre 2002.
  • [51]
    Action. Lettre mensuelle d’Act Up-Paris, n° 28, 1994, p. 6.
  • [52]
    Contamin (J.-G.), « Le choix des armes : les dilemmes pratiques d’un mouvement de doctorants et le modèle des avantages comparatifs », Genèses, 59, 2005, p. 22.
  • [53]
    Rudetzki (F.), Triple peine, Paris, Calmann-Lévy, 2004, p. 293-306.
  • [54]
    Pour des descriptions internes de ces cortèges : Baye (J. -M.), Des enfants assassinés, Paris, Fayard, 1999, p. 381 et suiv. ; Le Monde, 22 mai 1990.
  • [55]
    « Nous, on n’a jamais participé à des marches du souvenir, des lâchers de ballons, des trucs comme ça. Au début, à la fin des années 1980, ces manifestations, c’était très connoté. À chaque disparition d’enfants, vous aviez des marches silencieuses, puis ça se finissait en manifestation pour le rétablissement de la peine de mort. » (Entretien. Ingénieur. Président d’une association de victimes. 2004).
  • [56]
    Dobry (M.), « Calcul, concurrence et gestion du sens : quelques réflexions à propos des manifestations étudiantes de novembre-décembre 1986 », in Favre (P.), dir., La manifestation, Presses de la FNSP, 1990, p. 362-363 ; Siméant (J.), La cause des sans-papiers, Paris, Presses de Sciences Po, 1998, p. 278.
  • [57]
    Largement illustrées par les ouvrages déjà mentionnés de D. Tartakowsky et E. Fureix, ces formes contraintes de « contestation par le deuil » sont également bien renseignées par la littérature consacrée aux régimes autoritaires ou aux contextes de guerre : Pfaff (S.), Yang (G.), « Double-Edged rituals… », art. cit. ; Capdevila (L.), Voldman (D.), Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre XIXe-XXe siècles, Paris, Payot, 2002.
  • [58]
    Tartakowsky (D.), op. cit, p. 213.
  • [59]
    Dobry (M.), art. cit., p. 384.
  • [60]
    Il conviendrait toutefois de prendre en compte les normes funéraires propres à chacun des groupes étudiés qui peuvent être distinctes des processus de déritualisation et de privatisation de la mort observés en France. Cf. Ariès (P.), Essais sur l’histoire de la mort en Occident. Du Moyen Âge à nos jours, Paris, Le Seuil, 2001.
  • [61]
    Progrès de Lyon, 19 juillet 2006 ; Le Bien public, 5 mai 2006 ; Le Bien public, 27 mars 2006 ; Progrès de Lyon, 24 mai 2006.
  • [62]
    AFP, 3 juin 2006 ; Le Monde, 30 mai 2005 ; Le Parisien, 20 mars 2006 ; Le Parisien, 13 septembre 2005 ; La Voix du Nord, 1er avril 2005.
  • [63]
    La Voix du Nord, 1er août 2006 ; Libération, 20 mai 2006 ; Le Parisien, 30 octobre 2005 ; Le Parisien, 6 avril 2005.
  • [64]
    Sur cette mobilisation, voir la collecte de témoignages effectuée par Fabien Jobard et Emmanuelle Cosse dans Vacarme, 21, 2002.
  • [65]
    Le Parisien des 27, 29 et 30 mai 2002, 8, 13 et 25 juin 2002, 8 juillet 2002.
  • [66]
    Le Guennec (N.), Bachmann (C.), Autopsie d’une émeute, Paris, Albin Michel, 1997, p. 78.
  • [67]
    AFP, 27 octobre 2006.
  • [68]
    Clichy magazine, n° 58, décembre 2005.
  • [69]
    La Voix du Nord, 31 mars et 1er avril 2005.
  • [70]
    Communiqué du Collectif des associations congolaises de la région Nord-Pas-de-Calais, avril 2005.
  • [71]
    Tartakowsky (D.), Les manifestations de rue en France, 1918-1968, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 10.
  • [72]
    Des mécanismes similaires sont repérés par J. Siméant à propos de l’usage de la grève de la faim par le mouvement contre la double peine (op. cit., 1997, p. 346).
  • [73]
    Jobard (F.), Bavures policières ? La force de l’ordre et ses usages, Paris, La Découverte, 2002, p. 147 et suiv.
  • [74]
    Le Figaro, 27 novembre 2006 ; AFP, 2 décembre 2006 ; Libération, 4 décembre 2006 ; Le Parisien, 3 et 4 décembre 2006 ; Le Bien public, 3 décembre 2006.
  • [75]
    Affiche d’annonce de la marche du 23 novembre 2007.
  • [76]
    Message de la direction des Boulogne Boys. Novembre 2007.
  • [77]
    Message de remerciement aux participants. 27 novembre 2006.
  • [78]
    Chaumont (J.-M.), La concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997.
  • [79]
    Broqua (C.), op. cit., p. 264.
  • [80]
    Le Parisien, 29 mai 2005 ; Libération, 4 au 5 juin 1983 ; AFP, 21 septembre 2002.
  • [81]
    Pour une analyse de la « politique des émotions », des répertoires ou des « tonalités émotionnelles » mises en œuvre dans l’action collective : Latté (S.), « Des “mobilisations émotionnelles” à la mobilisation des émotions. Les associations de victimes comme objet électif de la sociologie des émotions protestataires », Terrains/Théories, 2, 2014 ; Groves (J.M.), Hearts and Minds. The Controversy over Laboratory Animals, Temple University Press, 2006 ; Crossley (N.), « Changement culturel et mobilisation des patients. Le champ de la contestation psychiatrique au Royaume-Uni », Politix, 19 (73), 2006.
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