Politix 2013/4 N° 104

Couverture de POX_104

Article de revue

« Nous vengerons nos pères... »

De l'usage de la colère dans les organisations politiques d'extrême gauche dans les années 1968

Pages 203 à 233

Notes

  • [1]
    Extrait du Chant des Jeunes Gardes, chanson sociale écrite en 1911. Son auteur, Gaston Mardochée Brunswick, juif né à Paris un an après la Commune, prend le pseudonyme de Montéhus en tant que chansonnier.
  • [2]
    Paroles de Sh. An-Ski. Traduction française par Léa et Henri Minczeles, in Minczeles (H.), Histoire générale du BUND, un mouvement révolutionnaire juif, Paris, Denoël, 1999, p. 363-364. Le Bund est l’Union générale des ouvriers juifs de Russie, de Pologne et de Lituanie fondée à l’automne 1897 à Vilna.
  • [3]
    Au sens de Dreyfus-Armand (G.) et al., dir., Les années 68. Le temps de la contestation, Paris, Complexe/IHTP-CNRS, 2000. L’expression privilégie une chronologie longue des événements de 1968, avec en amont l’année 1962 et la fin de la guerre d’Algérie, et, en aval, l’accession du Parti socialiste au pouvoir en 1981.
  • [4]
    Matonti (F.), Pudal (B.), « L’UEC ou l’autonomie confisquée (1956-1968) », in Damamme (D.) et al., dir., Mai-Juin 68, Paris, Éditions de l’Atelier, 2008.
  • [5]
    Gobille (B.), « Mai-Juin 68 : crise du consentement et ruptures d’allégeance », in Damamme (D.) et al., dir., Mai-Juin 68, op. cit.
  • [6]
    Bourdieu (P.), Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001, p. 188.
  • [7]
    Je tiens à remercier les relecteurs/trices anonymes de la revue Politix, F. Haegel, J. Krinsky, L. Mathieu, E. Ollion, et G. Piketty pour leurs précieuses remarques, ainsi que l’association Mémoires d’Humanité et l’agence Gamma-Rapho pour leur aide.
  • [8]
    Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand Soir ou lieu d’apprentissage ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 46. La JCR devient Ligue communiste (LC) en 1969, à l’occasion du congrès qui l’affilie à la IVe Internationale, Front communiste révolutionnaire après sa dissolution par décret ministériel en 1973, et Ligue communiste révolutionnaire (LCR) à partir de décembre 1974 jusqu’à son autodissolution en février 2009.
  • [9]
    Le PCF réclame alors la « paix en Algérie », sans prendre clairement position en faveur du combat du Front de libération nationale (FLN) pour l’indépendance de l’Algérie, ni pour le retrait des troupes françaises d’Algérie. Ce positionnement du PCF joue un rôle important dans l’entrée en dissidence des futurs fondateurs de la JCR, Pattieu (S.), Les camarades des frères. Trotskistes et libertaires dans la guerre d’Algérie, Paris, Syllepse, 2002.
  • [10]
    Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire…, op. cit., p. 177.
  • [11]
    Salles (J.-P.), La Ligue communiste, tentative de construction d’un parti révolutionnaire en France après Mai 68, mémoire de DEA Histoire et civilisations, Université de Poitiers, 1999, p. 3.
  • [12]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, Paris, Stock, 2004, p. 381.
  • [13]
    L’attention est ici portée sur ces trajectoires particulières. Sur les effets pluriels et les modes de gestion différentiels de la transmission du traumatisme chez les « enfants de survivants », cf. notamment Epstein (H.), Le traumatisme en héritage. Conversations avec des fils et filles de survivants de la Shoah, Paris, Gallimard, 2012 [1re éd. 1979] ou Zajde (N.), Enfants de survivants. La transmission du traumatisme chez les enfants des Juifs survivants de l’extermination nazie, Paris, Odile Jacob, 2005 [1re éd. 1993].
  • [14]
    Aminzade (R.), McAdam (D.), « Emotions and Contentious Politics », in Aminzade (R.) et al., eds, Silence and Voice in the Study of Contentious Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; Goodwin (J.), Jasper (J.), Polletta (F.), eds, Passionate Politics. Emotions and Social Movements, Chicago & London, The University of Chicago Press, 2001 ; Gould (D.), « Passionate Political Processes : Bringing Emotions Back into the Study of Social Movements », in Goodwin (J.), Jasper (J.), eds, Rethinking Social Movements : Structure, Meaning, and Emotion, Lanham, Rowman, & Littlefield, 2004 ; Jasper (J.), « The Emotions of Protest : Affective and Reactive Emotions in and around Social Movements », Sociological Forum, 13 (3), 1998.
  • [15]
    Cf. en particulier Mathieu (L.), « Les ressorts sociaux de l’indignation militante. L’engagement au sein d’un collectif départemental du Réseau éducation sans frontière », Sociologie, 1 (3), 2010 ; Traïni (C.), « Les émotions de la cause animale. Histoires affectives et travail militant », Politix, vol. 24, n° 93, 2011 et « Des sentiments aux émotions (et vice-versa). Comment devient-on militant de la cause animale ? », Revue française de science politique, 60 (2), 2010 ; Wahnich (S.), La longue patience du peuple. 1792, naissance de la République, Paris, Payot, 2008.
  • [16]
    Fassin (D.), Rechtman (R.), L’empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, 2007, p. 23.
  • [17]
    Lorde (A.), « De l’usage de la colère : la réponse des femmes au racisme », in Sister Outsider, Genève-Laval, Mamamélis-Trois, 2003.
  • [18]
    Comme l’a récemment souligné Henry Rousso lors d’une journée d’étude consacrée au « traumatisme » organisée dans le cadre du séminaire « Mémoire et usages du passé en Europe », CEE/CERCEC/CRIA/ISP, 10 février 2012.
  • [19]
    Bourdin (J.-C.), Chauvaud (F.), Gaussot (L.), Keller (P.-H.), « Introduction », in Bourdin (J.-C.) et al., dir., Faire justice soi-même. Études sur la vengeance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 7 et p. 10.
  • [20]
    Ibid., p. 11 et p. 13. On soulignera de ce point de vue l’exception que constituent les travaux de Sophie Wahnich sur la révolution française, en particulier La longue patience du peuple…, op. cit., chapitre IV.
  • [21]
    Gruel (L.), La rébellion de 68. Une relecture sociologique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004 ; Hamon (H.), Rotman (P.), Génération, tome 1, Paris, Seuil, 1987 ; Matonti (F.), Pudal (B.), « L’UEC ou l’autonomie confisquée… », art. cité ; Pagis (J.), Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68. Une enquête sur deux générations familiales : des « soixante-huitards » et leurs enfants scolarisés dans deux écoles expérimentales, Vitruve et Ange-Guépin, thèse pour le doctorat de sociologie, EHESS, 2009 ; Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981)…, op. cit. ; Sommier (I.), La violence politique et son deuil. L’après-68 en France et en Italie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998 ; Sommier (I.), La violence révolutionnaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.
  • [22]
    La remarque vaut surtout dans le cas français. La question a par contre fait l’objet de plusieurs études sur l’engagement dans les organisations d’extrême gauche en Allemagne, dans la Fraction armée rouge en particulier, non pas sous l’angle de la vengeance mais plutôt de la culpabilité. Cf. Gaudard (P.-Y.), Le fardeau de la mémoire. Le deuil collectif allemand après le national-socialisme, Paris, Plon, 1997 (on pourra se reporter à la bibliographie fournie p. 278-284).
  • [23]
    Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche en Mai 68. Une génération révolutionnaire marquée par la Shoah, Paris, Albin Michel, 1998.
  • [24]
    Ces biais sont notamment d’ordre méthodologique. Par exemple, l’invitation faite en entretien à ses enquêtés à parler non pas de la période et de leur engagement mais « plutôt [de] la personnalité individuelle, juive, du militant de gauche en tant que radical juif » (Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche…, op. cit., p. 38) constitue une imposition de problématique d’autant plus gênante qu’il s’agit précisément de ce que l’enquête se fixe d’étudier.
  • [25]
    Il serait cependant intéressant de pouvoir réaliser le même travail pour d’autres organisations trotskystes, comme Lutte ouvrière (LO) et l’Organisation communiste internationaliste (OCI), chez les maoïstes ou au PCF, où ce phénomène a aussi existé. Il faudrait alors interroger les caractéristiques sociales et les dispositions spécifiques, les logiques situationnelles, pouvant rendre compte de l’attrait exercé par l’une ou l’autre de ces organisations. L’absence de fichiers de militants fournissant des informations pertinentes pour une telle recherche la rend toutefois très difficile à mettre en œuvre.
  • [26]
    Entretien réalisé le 20 juillet 2005.
  • [27]
    Entretien réalisé le 26 juillet 2005.
  • [28]
    Entretien réalisé le 25 juillet 2005. Les noms et prénoms de nos enquêté.e.s ont été modifiés.
  • [29]
    Ses principaux dirigeants, Daniel Bensaïd, Jeannette Habel (pseudonyme de Jeannette Pienkny), Alain Krivine et Henri Weber ont en 1966 respectivement 20, 28, 25 et 22 ans.
  • [30]
    Ma famille paternelle a été expulsée d’Égypte en 1956 après la crise de Suez, comme de nombreux autres membres de la communauté juive fréquemment apatrides ou de nationalités étrangères. Nés à Alexandrie en 1937, 1939 et 1946, ma tante, mon père et mon oncle se sont engagés politiquement à gauche une fois en France, syndicalement, et en militant à la JCR et dans Révolution ! (pour le second), à Révolution ! puis à la LCR (pour les autres).
  • [31]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 387-388.
  • [32]
    Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche…, op. cit., p. 23.
  • [33]
    « Dès la libération, la Pologne vécut une épidémie de pogroms qui entraîna la fuite des rescapés juifs vers les grands centres. On estime à 1500 le nombre des Juifs assassinés au cours des flambées antisémites depuis la libération jusqu’à l’été 1947 » (Weinstock (N.), Le pain de misère. Histoire du mouvement juif en Europe, tome 3, Paris, La Découverte, 1986, p. 169 et s.).
  • [34]
    Hamon (H.), Rotman (P.), Génération, op. cit., p. 145-147.
  • [35]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., chapitres 3 et 18.
  • [36]
    Entretien avec Marc Danencier.
  • [37]
    Entretien avec Marc Danencier.
  • [38]
    Entretien avec Adrien Cravelszky.
  • [39]
    Entretien avec Anne-Louise Zeilingman. Les extraits suivants sont issus du même entretien.
  • [40]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 381.
  • [41]
    Les termes signifient « La Jeune Garde ».
  • [42]
    Une autonomie toute relative : « Dans le système d’action communiste, l’UJRE est […] utilisée comme “courroie de transmission” auprès des immigrés d’Europe centrale », Spire (A.), Identités communistes juives en France après la Seconde Guerre mondiale, mémoire de maîtrise en sociologie, Université Paris 10 Nanterre, 1995, p. 60.
  • [43]
    Weinstock (N.), Le pain de misère…, op. cit., p. 165.
  • [44]
    Nick (C.), Les trotskistes, Paris, Fayard, 2002, p. 34 ; Hamon (H.), Rotman (P.), Génération, op. cit., chap. 5.
  • [45]
    Faburel (V.), La JCR : avril 1966-juin 1968, mémoire de maîtrise, Université Paris 1, 1988 ; Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 222.
  • [46]
    Spire (A.), Identités communistes juives en France…, op. cit., p. 60.
  • [47]
    Entretien avec Adrien Cravelszky.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Ce qui est plus étonnant pour l’HH, mais lié à l’attachement à l’URSS très répandu chez les Juifs d’Europe orientale après la Seconde Guerre mondiale, cf. infra.
  • [50]
    Entretien avec Adrien Cravelszky.
  • [51]
    Valensi (L.), Fables de la mémoire. La glorieuse bataille des trois rois, Paris, Seuil, 1992, p. 18.
  • [52]
    Nom donné à une mobilisation contre le racisme en 2011 en France, suite à la création d’un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration.
  • [53]
    Entretien avec Anne-Louise Zeilingman.
  • [54]
    Ibid. les citations précédentes proviennent également de cet entretien.
  • [55]
    Précisons qu’auparavant, il a évoqué sa socialisation dans les milieux communistes juifs, qui constituent pour lui une contre-société qui contribue à produire ce sentiment.
  • [56]
    Entretien avec Adrien Cravelszky.
  • [57]
    Cité dans Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche en Mai 68…, op. cit., p. 66. Jeannette Habel est membre de la direction politique de la JCR à sa fondation.
  • [58]
    Goldman (P.), Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, Paris, Seuil, 1975, p. 39.
  • [59]
    Sayad (A.), La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999.
  • [60]
    Ibid., p. 321.
  • [61]
    Hirschman (A.O.), Défection et prise de parole : théorie et applications, Paris, Fayard, 1995.
  • [62]
    Sayad (A.), La double absence…, op. cit., p. 324. Nous mettons le terme entre guillemets puisque la plupart de ces jeunes militants sont nés en France. Ils semblent pourtant avoir hérité d’une part de la condition et des souffrances de l’immigré.
  • [63]
    Bourdieu (P.), « Préface », in Sayad (A.), La double absence…, op. cit., p. 12.
  • [64]
    Sur les effets de l’exterritorialité, cf. également : Jeanpierre (L.), « La place de l’exterritorialité », in Alizart (M.), Kihm (C.), dir., Fresh théorie, Paris, Léo Scheer, 2005 ; Simmel (G.), « Excursus sur l’étranger », in Sociologie. Études sur les formes de la socialisation, Paris, Presses universitaires de France, 1999 [1re éd. 1908], et « L’aventure », in Philosophie de la modernité I, Paris, Payot, 1989 ; Traverso (E.), La pensée dispersée. Figures de l’exil judéo-allemand, Paris, Léo Scheer, 2004, chap. V.
  • [65]
    Pudal (B.), « Ordre symbolique et système scolaire dans les années 1960 », in Damamme (D.) et al., dir., Mai-Juin 68, op. cit., p. 69.
  • [66]
    Halbwachs (M.), La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 [1re éd. 1950].
  • [67]
    Certeau de (M.), L’invention du quotidien, I, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 133.
  • [68]
    Valensi (L.), Fables de la mémoire…, op. cit., p. 8.
  • [69]
    Damamme (D.) et al., dir., Mai-Juin 68, op. cit., p. 12.
  • [70]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 388.
  • [71]
    Cf. infra.
  • [72]
    Sawicki (F.), « Les politistes et le microscope », in CURAPP, Les méthodes au concret. Démarches, formes de l’expérience et terrains d’investigation en science politique, Paris, Presses universitaires de France, 2000.
  • [73]
    Haegel (F.), Lavabre (M.-C.), Destins ordinaires. Identité singulière et mémoire partagée, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 81.
  • [74]
    Neveu (É.), Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 2002 [1re éd. 1996], p. 91.
  • [75]
    Entretien avec Adrien Cravelszky. Sauf mention contraire, les citations signalées par des guillemets dans le texte sont issues de cet entretien.
  • [76]
    C’est le cas aussi bien à l’UJRE qu’à l’HH, comme nous l’avons souligné supra.
  • [77]
    Fossé-Poliak (C.), Mauger (G.), « La politique des bandes », Politix, 14, 1991.
  • [78]
    Notons cependant qu’Adrien retrouve à la JCR un milieu militant qui valorise aussi « le courage des mecs », Cf. Johsua (F.), Anticapitalistes. Une sociologie historique de l’engagement, Paris, La Découverte, à paraître en 2014, chap. 9.
  • [79]
    Blanchard (E.), La police parisienne et les Algériens (1944-1962), Paris, Nouveau Monde, 2011, p. 252-265.
  • [80]
    Codaccioni (V.), Punir les opposants. Une sociologie historique des « procès politiques » en temps de crise. Les interactions répressives entre le PCF et l’État (1947-1962), thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris 1, 2011 (publiée en 2013, CNRS Éditions) ; Dewerpe (A.), Charonne 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Gallimard, 2006.
  • [81]
    Tartakowsky (D.), Les manifestations de rue en France, 1918-1968, Paris, Presses de la Sorbonne, 1997, p. 742.
  • [82]
    Codaccioni (V.), Punir les opposants…, op. cit., p. 185.
  • [83]
    Branche (R.), Thénault (S.), La France en guerre, 1954-1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Autrement, 2008, p. 15.
  • [84]
    Dewerpe (A.), Charonne 8 février 1962…, op. cit., p. 87.
  • [85]
    En métropole, cette violence policière culmine avec les massacres d’État perpétrés lors des manifestations du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 à Paris.
  • [86]
    On pourra voir concernant l’OCI, Yon (K.), « Modes de sociabilité et entretien de l’habitus militant. Militer en bandes à l’AJS-OCI dans les années 1970 », Politix, 70, 2005 ; Stora (B.), La dernière génération d’Octobre, Stock, 2003. Concernant la LCR : Johsua (F.), Anticapitalistes…, opcit. ; Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981)…, op. cit. Concernant les maoïstes : Dressen (M.), De l’amphi à l’établi : les étudiants maoïstes à l’usine (1967-1989), Paris, Belin, 2000.
  • [87]
    Sommier (I.), La violence politique et son deuil…, op. cit., p. 81-84.
  • [88]
    Déjà membre du Parti communiste internationaliste, la section française de la IVe Internationale (trotskyste).
  • [89]
    Les développements sur le FUA sont tirés de Pattieu (S.), Les camarades des frères…, op. cit., p. 190-196.
  • [90]
    La Montagne, bulletin du FUA Sciences, Paris, 1, mars 1962, document 4° P7909 archives BDIC, cité dans Pattieu (S.), Les camarades des frères…, op. cit., p. 191.
  • [91]
    Ibid., p. 190 et 195.
  • [92]
    Entretien avec Marc Danencier.
  • [93]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 381.
  • [94]
    Bernard Lahire, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998, acte I, scène III.
  • [95]
    Entretien avec Jeannette Habel réalisé et cité par Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche en Mai 68…, op. cit., p. 67-68.
  • [96]
    Une exception/exclusion qui n’est évidemment pas due au hasard. Nous avons souligné l’influence de la variable de genre pour expliquer les modes de gestion différentiels de ces dispositions initiales. Les caractéristiques du militantisme à la JCR, comme dans la plupart des organisations politiques d’extrême gauche qui se créent à la fin des années 1960, offrent une opportunité de retournement du stigmate plus facilement accessible aux hommes qu’aux femmes, tant la possibilité du recours à la violence est liée à la construction sociale du genre dans la société, surtout dans la France des années 1960-1970, cf. Johsua (F.), Anticapitalistes…, op. cit.
  • [97]
    Entretien avec Marc Danencier.
  • [98]
    Pour le cas de l’Alliance des jeunes pour le socialisme, organisation étudiante de l’OCI, Yon (K.), « Modes de sociabilité… », art. cité.
  • [99]
    Structure dirigeante restreinte du SO.
  • [100]
    Sommier (I.), La violence politique et son deuil…, op. cit., p. 77-79.
  • [101]
    Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981)…, op. cit. ; Sommier (I.), La violence politique et son deuil…, op. cit., et La violence révolutionnaire, op. cit.
  • [102]
    Entretien avec Marc Danencier. Soulignons cependant qu’il s’agit alors d’une solidarité d’hommes, excluante à l’égard des militantes qui prennent rarement part aux actions violentes. Cet « esprit de corps » rappelle « l’esprit de “club” ou de “clan” » qui a imprégné les mouvements de Résistance durant la Seconde Guerre mondiale (cf. Bourdet (C.), L’aventure incertaine. De la Résistance à la Restauration, Paris, Éditions du Félin, 1998, p. 91 [1re éd. 1975]).
  • [103]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 144.
  • [104]
    Syndicat lié aux milieux d’extrême droite et de l’Algérie française.
  • [105]
    Alors membre du Bureau politique de la LC.
  • [106]
    L’affiche est reproduite dans Rouge, 122, 6 septembre 1971, p. 4.
  • [107]
    Rouge, 124, 20 septembre 1971, p. 7.
  • [108]
    Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981)…, op. cit., p. 88-89.
  • [109]
    Daniel Bensaïd, « NON ! », Rouge, 211, 27 juin 1973.
  • [110]
    JCR, Texte de référence politique issu du 1er congrès national mars 1967, 1968 [2e éd.], p. 61.
  • [111]
    Sur le passage du plan psychologique du vindicatif au plan social du vindicatoire, cf. Verdier (R.), dir., Vengeance. Le face-à-face victime/agresseur, Paris, Autrement, 2004 ; Chamayou (G.), « “Le jour des représailles”. Théories de la vengeance et de la révolution au XIXe siècle », in Bourdin (J.-C.) et al., dir., Faire justice soi-même…, op. cit.
  • [112]
    Deutscher (I.), Essais sur le problème juif, Paris, Payot, 1969, p. 36-37. Par cette expression, Isaac Deutscher désigne les Juifs qui participent de la tradition juive dans leur dépassement même du judaïsme (cf. Traverso (E.), Les marxistes et la question juive. Histoire d’un débat (1843-1943), Paris, Kimé, 1997, p. 65).
  • [113]
    Traduction par Michael Löwy de l’expression « Wunschlandschaft » d’Ernst Bloch, soit une image, même abstraite, même purement négative, ou une « image-souhait » d’une réalité différente, bref une utopie (Löwy (M.), Juifs hétérodoxes. Messianisme, romantisme, utopie, Paris, Éditions de l’Éclat, 2010 ; Bloch (E.), Le principe espérance, Paris, Gallimard, 1991 [1re éd. 1959].
  • [114]
    Traverso (E.), Les marxistes et la question juive…, op. cit., p. 32. Notons que ces conséquences ont fait l’objet d’un débat entre historiens. À ce sujet, cf. Brossat (A.), Klingberg (S.), Le Yiddishland révolutionnaire, Paris, Syllepse, 2009, chap. 5 [1re éd. 1983].
  • [115]
    Après la Seconde Guerre mondiale, il est partagé, notamment, par des formations sionistes-socialistes comme l’Hachomer Hatzaïr, Spire (A.), Identités communistes juives en France…, op. cit., p. 68.
  • [116]
    Ibid., p. 69-70.
  • [117]
    Entretien avec Adrien Cravelszky.
  • [118]
    Tou.te.s les militant.e.s évoqué.e.s dans cet article ont souligné cet aspect de leur attrait pour la JCR, et la LC dans la décennie 1970.
  • [119]
    Traverso (E.), Les marxistes et la question juive…, op. cit., p. 31.
  • [120]
    Dont le Bund fut une des principales composantes, enracinée dans la Yiddishkeit (en tant que communauté de culture), mais étrangère au sionisme, toujours rejeté, ibid.
  • [121]
    Un mouvement qu’a exprimé, avec la poétique qui lui est propre, Rosa Luxemburg dans une lettre adressée à Mathilde Wurm le 16 février 1917 : « Ce “silence sublime de l’immensité” où tant de cris se perdent, il éclate dans ma poitrine si fort qu’il ne saurait y avoir dans mon cœur un petit recoin spécial pour le ghetto : je me sens chez moi dans le vaste monde partout où il y a des nuages, des oiseaux et des larmes », in Badia (G.), Rosa Luxemburg épistolière, Paris, Éditions de l’Atelier, 1995, p. 206.
  • [122]
    Chamayou (G.), « “Le jour des représailles”… », art. cité, p. 162 ; cf. aussi Nahoum-Grappe (V.), Du rêve de vengeance à la haine politique, Paris, Buchet-Chastel, 2003.
  • [123]
    Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche en Mai 68…, op. cit., p. 65. Le large soutien dont bénéficie aujourd’hui en Israël la politique d’occupation du territoire et d’oppression du peuple palestinien en témoigne.
« ... Nous jurons de lutter pour la liberté et nos droits
Contre tous les tyrans et leurs laquais
Nous jurons de vaincre les forces obscures
Ou de tomber en héros dans la bataille
Faisons le serment, un serment à la vie et à la mort
Refrain
Nous jurons de garder notre haine intacte
Envers les assassins et les voleurs de la classe ouvrière
Le tsar, les maîtres, les capitalistes
Nous jurons de les anéantir et de les détruire
Faisons le serment, un serment à la vie et à la mort !
Refrain
Nous jurons de mener la lutte sacrée
Jusqu’à ce que le monde soit transformé
Plus de pauvres, de riches, de maîtres ni d’esclaves !
Que tous deviennent égaux – les forts et les faibles !
Faisons le serment, un serment à la vie et à la mort !
Refrain
Nous jurons fidélité sans bornes au Bund
Lui seul peut maintenant libérer les esclaves
Son drapeau rouge est largement déployé
Nous jurons fidélité, à la vie et à la mort
Faisons le serment, un serment à la vie et à la mort ! »
Le Serment, hymne du Bund [2]

1L’histoire de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) se conjugue avec celle des dissidences constitutives des « années 68 [3] » : en particulier celle qu’a représentée la formation de courants oppositionnels au sein de l’organisation étudiante du Parti communiste français (PCF) au cours de la décennie 1956-1966 [4], à l’origine de la constitution de nouveaux groupes de l’extrême gauche française, et celle – caractéristique de la période et débordant amplement ce cadre – d’une rupture d’allégeance avec l’ordre établi [5]. Cet article propose d’étudier un versant particulier des logiques qui ont pu participer à la « mise en suspens de l’adhésion première à l’ordre établi [6] » caractéristique des engagements critico-sociétaires de ces années contestataires. Il analyse, par le prisme d’une sociologie attentive aux émotions dans l’action collective, le rôle des sentiments de colère et du désir de vengeance éprouvés par une fraction particulière de la génération post-guerre en France, jeunes hommes et femmes d’origine juive (d’Europe orientale pour la plupart) nés dans les dernières années de la Seconde Guerre mondiale ou quelques années après la Libération, pour éclairer sous ce jour les logiques constitutives de leur engagement « communiste révolutionnaire » ; un engagement qui donna naissance à une organisation et à un courant politique qui ont marqué de leur empreinte les « années 68 » en France, et l’histoire sociale et politique de ce pays pendant près d’un demi-siècle [7].

2La JCR est fondée en avril 1966 par une centaine de militants exclus de l’Union des étudiants communistes (UEC) et de la Jeunesse communiste (JC), quelques dizaines de membres de l’organisation de jeunesse du Parti socialiste unifié et quelques anciens du Parti communiste internationaliste (PCI) [8]. Elle est pour l’essentiel issue d’une opposition de gauche, courant qui s’est constitué au sein de l’UEC sur la base de son opposition au stalinisme, avec une critique de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) comme « État ouvrier bureaucratiquement dégénéré » et d’une condamnation de la position du PCF sur la guerre d’Algérie, jugée insuffisamment radicale [9]. Ainsi, dès le départ, l’anti-stalinisme et l’internationalisme sont constitutifs de l’identité de la JCR. À sa fondation, elle se caractérise par une très forte homogénéité sociale, n’étant quasiment composée que d’étudiants et de lycéens. En 1969, elle en compte encore 70 %, avec 20 % d’enseignants et 10 % de salariés [10]. La moyenne d’âge la même année est de vingt ans [11]. Mais l’organisation de jeunesse a une autre particularité, liée à la proportion très importante de militants d’origine juive dans ses rangs. Ces militants sont pour la plupart issus de familles juives d’Europe orientale ayant émigré en France pour fuir les persécutions antisémites. Leurs familles ont souvent été personnellement touchées, parfois meurtries, par la traque et le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. L’étude des trajectoires individuelles de ces militants révèle l’existence d’origines, d’histoires familiales et la fréquentation d’instances socialisatrices communes, au fondement d’une expérience vécue génératrice d’émotions individuellement ressenties, mais collectivement partagées par ses membres. Les sentiments de peur, d’indignation et de colère, enfin le désir de vengeance que cette communauté d’expériences a suscité parmi ces « survivants de la deuxième génération [12] » apparaissent comme le produit de cette trajectoire de groupe et centraux pour rendre compte de leur engagement à la JCR [13]. L’article, qui analyse ces trajectoires, voudrait montrer que les émotions, produites dans et par des conditions sociales et historiques particulières, peuvent être traitées comme des objets sociologiques à part entière. Dans la lignée de travaux qui ont développé une sociologie des émotions pour étudier les mouvements sociaux [14], nous adopterons cette perspective d’analyse afin d’éclairer les logiques qui ont contribué à structurer ces engagements « communistes révolutionnaires » dans les « années 68 ». Cette sociologie attentive aux émotions, à leurs conditions sociohistoriques de production et à leurs effets [15], nous permettra en particulier de « concevoir le traumatisme comme une ressource [16] », non pas théorique, mais pratique, quand un contexte politique spécifique et un cadre militant original créent une opportunité de conversion de la colère en puissance d’agir [17], permettant de transmuer un désir de vengeance individuelle en revanche sociale. Cette étude nous amènera à traiter sociologiquement la question de la vengeance. Point aveugle des études sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale [18], elle n’a pas fait l’objet de nombreux travaux historiques. Il faut dire que la vengeance est un objet d’étude difficile, et avant tout parce qu’elle est « unanimement délégitimée dans le champ social. […] Pour l’historiographie, pratiquement muette, elle est éloignée des grands affrontements donnant naissance à de nouvelles sociétés, et se tient à l’écart des heurts entre individus qu’il conviendrait d’étudier [19] ». Parfois – rarement – évoquée dans une perspective historique, sous la forme de la vengeance sociale, « en particulier au moment des répressions, comme par exemple au lendemain des journées de juin 1848 […], la vengeance fait partie des objets qu’on peut dire non répertoriés sociologiquement [20] ». À travers elle, c’est la question des liens entre le traumatisme de la Shoah et l’engagement à l’extrême gauche en mai-juin 1968 qui est posée. Souvent évoquée [21], elle a cependant rarement été explicitement constituée en objet de l’analyse [22], à l’exception de l’ouvrage de Yaïr Auron consacré aux Juifs d’extrême gauche en Mai 68 en France [23]. Source précieuse, bien que non dénuée de biais [24], ce travail indique que les phénomènes traités dans cet article sont repérables dans d’autres organisations d’extrême gauche à la même époque. Il fait cependant l’économie d’une étude précise des processus de politisation des acteurs, des conditions du passage à l’engagement et du rôle spécifique des structures militantes, placés au cœur des questionnements de notre article qui se centre, pour cela, sur le seul cas de la JCR [25].

3L’article se fonde sur trois types de sources : orales, constituées de trois entretiens « récits de vie » réalisés avec des militants qui rejoignent la JCR entre 1966 et 1970 (Marc Danencier [26], Adrien Cravelszky [27] et Anne-Louise Zeilingman [28]) ; écrites, à partir de témoignages livrés par des acteurs de cette histoire dans des ouvrages à caractère autobiographique et en sollicitant des sources secondaires qui complètent nos matériaux d’enquête et les mettent en perspective ; enfin iconographiques, à partir d’archives photographiques d’actions militantes et d’une reproduction de matériel partisan. À partir de ces différents matériaux, nous mettrons au jour les principales caractéristiques de la socialisation politique de ces jeunes militants d’origine juive, puis nous montrerons en quoi et comment celle-ci a pu être génératrice d’émotions qui ont contribué, dans un contexte spécifique que nous analyserons, à structurer des engagements politiques « communistes révolutionnaires ».

Des survivants de la deuxième génération

4Outre la jeunesse de ses effectifs [29], la JCR présente une particularité forte à sa fondation, qui perdure tout au long de ses premières années d’existence :

« [La JCR] comptait dans ses rangs une part disproportionnée de jeunes militant(e)s d’origine juive. Ce fut la génération des Recanati, des Cyroulnik, des Najman, des Cucharts, des Harrari, des Rzepsky, des Rubinstein, des Landau, des Czalcsinsky, des Milewsky, des Rogozinsky, des Pieckny, des Weisgal, des Zeliksonn, des Maler, des Rotman, des Baruch, des Meyer, des Rosenfeld, des Rosvègue, des Rosenzweig, des Meyer, des Mikhaïlovitch, des Blum, des Roterdam, des Barsony, des Tauber, des Treiner, des Johsua [30], des Chaouat, des Hassoun, des Slyper, des Dreyfus, des Trat, des Godchau, des Sidi, des Cohen, des Bénichou, des Samary, des Bortein, des Weber, des Krivine… […] C’étaient, pour la plupart, des fils et des filles de survivants [31]. »
Le phénomène est encore plus marquant au niveau de la direction de l’organisation puisque « sur les douze membres du bureau politique de la Ligue à ses débuts, s’ajoutaient à [Daniel] Bensaïd dix autres juifs originaires d’Europe de l’Est et un seul membre non juif [32] ». Les jeunes militants de la JCR constituent à l’origine un groupe aux trajectoires familiales, sociales et individuelles bien particulières et présentant de fortes homologies. Nous en présenterons les principales caractéristiques à partir des trajectoires de cinq militants, retenues pour leur exemplarité au regard du phénomène étudié et permettant également de le saisir dans sa diversité (du point de vue du genre, des formes de socialisation primaire et de la place dans l’organigramme du parti).

Des rescapés

5Tous sont nés dans les dernières années de la Seconde Guerre mondiale ou au cours des premières années qui ont suivi la Libération : Henri Weber en 1944, Daniel Bensaïd en 1946, Marc Danencier en 1947, Adrien Cravelszky en 1949 et Anne-Louise Zeilingman en 1951. À l’exception d’Henri Weber, tous sont nés en France. Ils sont pour la plupart issus de familles juives ashkénazes (de Pologne, de Russie et d’Ukraine) ayant émigré en France pour fuir les persécutions antisémites. Leurs familles ont été personnellement touchées, parfois meurtries, par la traque et le génocide des Juifs. Henri Weber est né à Leninabad en URSS, dans le camp de travail où ses parents, juifs polonais qui ont émigré en URSS après la signature du pacte germano-soviétique, sont réfugiés et assignés à résidence durant la guerre. Son père est horloger, profession qui lui permet de se rendre utile à la réparation des montres des soldats de l’Armée rouge, et de passer ainsi la guerre avec sa femme et son fils. Au retour en Pologne, ils constatent que la famille restée sur place a été décimée. Les Weber s’y réinstallent cependant, jusqu’à ce que les violences antisémites – qui reprennent immédiatement après la fin de la guerre [33] – ne les chassent définitivement et qu’ils émigrent pour la France. La famille vit rue Popincourt à Paris. Avec son jeune frère, Henri Weber grandit dans un milieu modeste, dans lequel la culture et la littérature sont fortement valorisées. Les enfants sont poussés à « réussir » leurs études. Ils sont aussi très jeunes inscrits dans une organisation de jeunesse sioniste-socialiste, l’Hachomer Hatzaïr, qui les envoie travailler durant l’été en kibboutz en Israël. Henri baigne dans un milieu politisé à gauche, critique à l’égard de l’URSS et du stalinisme. Après son baccalauréat, il entre à la Sorbonne, s’oriente en sociologie et rejoint l’UEC, où il milite dans le secteur Lettres [34].

6Daniel Bensaïd est né à Toulouse en 1946. Sa mère, issue d’un milieu modeste parisien de petits artisans du faubourg Saint-Antoine, débute comme apprentie modiste à quatorze ans après l’obtention de son certificat d’études et part vivre de son métier en 1931 à Oran. Elle y rencontre un jeune homme, juif, garçon de café et champion de boxe amateur, Haïm Bensaïd. Malgré les récriminations du milieu colonial des Français d’Algérie, ils se marient et s’installent quelques années plus tard à la lisière de l’agglomération toulousaine pour tenir le Bar des Amis. Le 29 décembre 1943, Haïm Bensaïd est raflé par la Gestapo. Le certificat de « non-appartenance à la race juive » que son épouse obtient auprès d’une paroisse généreuse lui sauve la vie (il reste en sursis à Drancy jusqu’à la Libération) et en fait l’un des seuls survivants de sa famille. Ses frères, René et Jules, les enfants de ce dernier, Roger et Reine, sont raflés dans le convoi 87 et n’en reviennent pas. Jules serait mort à Dachau. René a sans doute été frappé à mort dès la prison Saint-Michel de Toulouse [35].

7Marc Danencier est issu d’un milieu populaire et a grandi à Paris. Son père était ouvrier ajusteur et sa mère femme au foyer. Ils se rencontrent en Allemagne pendant la guerre. Prisonnier de guerre, le père de Marc rencontre sa femme, d’origine ukrainienne, à Göttingen. Celle-ci a été déportée par les nazis à l’âge de dix-huit ans, avec sa sœur de deux ans sa cadette, dans un camp pour femmes, au cours des rafles des populations slaves par les nazis pour fournir les usines allemandes en main-d’œuvre. Elle travaille dans une usine d’optique installée à côté du camp des prisonniers qui travaillaient en usine le jour et dans une ferme le soir où ils « chapardaient […] et qui se sont débrouillés pour donner à manger aux femmes parce qu’elles étaient dans une condition encore pire qu’eux. […] C’est comme ça qu’il y a des liens qui se sont faits [36]. » Après la guerre, le couple s’installe en France. La mère de Marc reste sans nouvelle de sa famille jusqu’en 1963, pensant jusque-là « que tout le monde était mort, […] la petite ville où ils vivaient [avait été] complètement brûlée, il y avait eu des exactions [37] ». L’histoire familiale de Marc est donc intimement liée à celle des exactions nazies au cours de la guerre. Mais elle demeure longtemps déconnectée de ses origines juives, que Marc ne découvre que bien plus tard lors d’un séjour en Ukraine.

8Adrien Cravelszky est aussi né à Paris dans une famille juive russe et polonaise. Ses grands-parents paternels, juifs, membres du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), émigrent en France en 1910 pour fuir la répression politique et les pogroms. Dès leur arrivée, ils s’intègrent dans la communauté juive communiste de Paris. D’abord membres de la SFIO, puis du PCF à partir de 1920, ils font partie de la Main-d’œuvre immigrée (MOI) pendant la guerre. Leur fils aîné est arrêté, déporté à Auschwitz et y meurt. Leur fils cadet est le père d’Adrien. Sa mère est née à Vilna en Pologne. Elle arrive en France à six ans, en 1929, avec ses parents de tradition « plutôt socialiste [38] », qui émigrent pour fuir l’antisémitisme. Pendant la guerre, ils sont arrêtés, déportés et assassinés à Auschwitz. La mère d’Adrien échappe à la rafle, se retrouve seule à Paris où elle rejoint des cousins et rencontre par leur biais son futur mari. Ils auront deux enfants, Adrien et son frère jumeau.

9Anne-Louise Zeilingman, enfin, est née en 1951. Elle est la fille unique « d’une famille d’artisans, juive, d’Europe de l’Est [39] » marquée par l’expérience de l’antisémitisme et du génocide. Son père est né en 1912 et arrive en France à l’âge de huit ans avec sa famille qui « fuyait l’antisémitisme tout simplement », tout comme sa mère qui a quitté l’URSS avec sa famille pour les mêmes raisons. À son propos Anne-Louise précise : « Ma mère [n’]a pas été déportée, sa famille non plus. Mais c’est une famille de trouillards. Elle a porté l’étoile comme la plupart des Juifs ici. Mais elle, je crois qu’il y a une tare familiale dont je ne connais pas trop l’histoire, mais il y a une tare familiale très prononcée. » Cette tare familiale, c’est la peur. La peur et l’angoisse sont des éléments constitutifs de sa socialisation primaire dans un cadre familial d’autant plus angoissant que ses parents, qui n’avaient pas fait d’études et « n’avai[en]t strictement aucune culture politique […] ne savai[en]t pas transmettre [leur] histoire parce qu’ils ne savaient pas la formuler ». Anne-Louise grandit dans cette « famille pas très sécurisante parce que pas très sécurisée », où la peur est omniprésente et paralyse la parole.

10La terreur, la traque et la fuite, la stigmatisation, les discriminations et les humiliations, les violences et la déportation, les assassinats, les chambres à gaz et les disparitions constituent l’écheveau douloureux des mémoires familiales des jeunes militants d’origine juive qui rejoignent la JCR fin 1960-début 1970. Ils appartiennent à une génération particulière, post-guerre, de « survivants de la deuxième génération » qui ont « grandi avec ces fantômes, l’ombre du judéocide sur les talons [40] ». Nombre d’entre eux ont, de plus, connu une socialisation de type communautaire dans le cadre d’organisations de jeunesse juives pendant l’enfance et l’adolescence.

Des socialisations primaires marquées par un « entre-soi » communautaire

11L’étude des socialisations primaires de ces jeunes militants révèle aussi une forte influence de la fréquentation d’organisations juives qui tissent le maillage d’une véritable contre-culture, renforçant chez eux un sentiment d’« entre-soi » communautaire et contribuant à leur socialisation politique. On peut en particulier citer le rôle de deux organisations : l’Hachomer Hatzaïr (HH) [41], un mouvement de jeunesse sioniste-socialiste, et la Commission centrale de l’enfance (CCE), organisation de jeunesse de l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE) fondée en avril 1943, dans la clandestinité, pour doter les communistes juifs d’une structure « autonome [42] ». L’HH a été une des principales forces de la résistance juive en Pologne, notamment à Varsovie. En Diaspora, sa particularité était d’orienter son activité vers l’éducation sioniste : « son objectif n’était nullement de participer aux luttes ouvrières sur place, mais de préparer une avant-garde qui constituerait le noyau d’un prolétariat juif en Palestine [43] », ce qui constitua un motif de rupture pour de futurs membres de la JCR, Henri Weber et Charles Michaloux notamment [44]. L’HH avait également la particularité de former les enfants juifs aux pratiques d’autodéfense. Henri Weber y apprend un ensemble de techniques qui doivent permettre au groupe de se défendre collectivement, savoirs et savoir-faire qu’il réinvestit quelques années plus tard, quand la JCR se crée, en contribuant à organiser son Service d’ordre (SO) [45]. Quant à la CCE, son activité se développe surtout à la Libération, elle consiste alors « à rassembler les enfants dispersés et à les “réinsérer dans la vie” en leur proposant des structures d’accueil. Après avoir créé des maisons d’enfants prenant en charge les enfants de déportés, la CCE met en place des colonies de vacances et des patronages […]. Pour beaucoup de ces enfants d’immigrés, la CCE fut le lieu propice d’une transmission d[’une] double appartenance, yiddish et communiste [46] ».

12C’est le cas pour Adrien Cravelszky, dont les grands-parents paternels sont communistes. Avec son frère jumeau, ils passent « toute [leur] jeunesse dans les organisations de jeunesse du mouvement juif communiste [47] », notamment la CCE. Sa socialisation primaire s’opère dans cet entre-soi protecteur et au sein de ce qui constitue alors une véritable « contre-société » communiste juive :

13

« Il y avait une société qui était la société du Parti […], on passait les week-ends avec les organisations de jeunesse, mes vacances, […], je fais des colos, on apprend un peu le yiddish, et le rythme […] est lié aux grands rendez-vous du mouvement ouvrier. C’est-à-dire qu’on fait le 1er mai, la fête de l’Huma, on apprend les chants révolutionnaires, on commémore le ghetto de Varsovie… Et moi en plus, souvent notre grand-mère, quand elle nous a le mercredi soir, […] elle nous emmenait aux réunions de l’UJRE […] où on assistait à des heures de discours en yiddish, qu’on comprenait pas, mais on entendait “Prolétarienne”, “Révolution” ! […] Bien sûr, pour moi, dans ma tête depuis tout petit je suis communiste. Il y a deux camps : l’Union soviétique d’un côté et le capitalisme de l’autre [48]. »

14Cette éducation yiddish et communiste est spécifique à la CCE. Cependant, on retrouve aussi bien à l’HH que dans les colonies de vacances du Fonds social juif unifié (FSJU) que fréquente Anne-Louise de dix à seize ans, la valorisation d’une identité juive liée à un projet d’organisation sociale collective et collectiviste incarné par le Kibboutz. Ces organisations sont aussi des gardiennes du souvenir de la Shoah, qui se transmet par des récits, des images, des commémorations qui rappellent sans cesse aux enfants qu’ils sont des « survivants ». Elles sont alors structurées par une culture de la riposte : face aux risques d’agressions, les enfants doivent apprendre à rendre les coups. Enfin, à la CCE comme à l’HH, il faudrait souligner le poids des références à la Révolution russe, au marxisme, à l’URSS et à l’Armée rouge, véritables objets d’admiration [49]. À l’exception du sionisme prôné par l’HH et le FSJU, farouchement rejeté par les militants de la JCR, ces orientations expliquent que les deux milieux s’interpénètrent : « Quand en 1966 s’est créée la JCR, […] sur vingt-trois moniteurs [les jeunes cadres de la CCE] il y en a dix-neuf qui sont à la JCR ou proches [50]. » Adrien Cravelszky rencontre d’ailleurs Alain Krivine par le biais d’un ami de cette même association.

15Quel que soit le cadre, leur socialisation dans ces organisations de jeunesse juives permet d’éclairer un levier important de « la mnémotechnique [soit] les moyens de production et de transmission du souvenir. Textes ou actions collectives, rituels civiques ou religieux, moyens sonores ou iconographie [51] » constituent autant d’outils de la transmission de souvenirs de la Shoah et d’une mémoire du génocide, y compris pour les militants dont le cadre familial est cadenassé par la peur et la parole paralysée, comme Anne-Louise.

D’ici nous sommes d’ailleurs, d’ailleurs nous sommes d’ici [52]

16Celle-ci est scolarisée dans un lycée public situé avenue des Gobelins à Paris, où se crée un Comité d’action lycéen (CAL) en 1968. Tout comme les colonies de vacances du FSJU, le CAL représente pour elle une ouverture sur le monde, qui la sort d’un milieu familial enfermant, clôturé vis-à-vis de l’extérieur. Si le CAL l’attire autant à cette époque, c’est qu’elle peut y côtoyer « des gens de [s]on âge, des Français qui avaient un autre rapport à la vie ». Elle précise : « J’étais aussi très attirée parce que je voyais des familles, alors j’emploie le mot volontairement, je voyais des familles françaises, ce qui veut dire que j’avais bien aussi intégré ce que voulaient faire passer mes parents, c’est-à-dire qu’être juif, c’est pas être français [53]. » Cette dernière phrase est surprenante à plus d’un titre. D’abord, elle rend compte chez Anne-Louise, qui est née en France, qui est française, d’un sentiment fortement incorporé d’extranéité par rapport à la communauté nationale. Anne-Louise est née en France certes, mais elle ne se sent pas vraiment française, pas comme « eux », ces enfants de « familles françaises ». Pour ses parents, Juifs d’Europe de l’Est qui ont fui l’antisémitisme et qui ont « porté l’étoile », pour Anne-Louise elle-même, pourtant née en France, et sans doute aussi pour un nombre non négligeable de « familles françaises » dans la France d’après la Seconde Guerre mondiale, on peut être né sur le sol français, détenir des papiers d’identité français, avoir été scolarisé dans les écoles de la République française, on en demeure malgré tout exclu, rivé à l’extérieur parce qu’« être juif, c’est pas être français [54] ». Ces émotions, également éprouvées par Adrien Cravelszky à l’adolescence (« Pour moi, j’étais un étranger en France. […] J’étais, je me sentais français, mais pas tout à fait français. Alors, c’est par ma judéité [55], il y avait quand même aussi l’antisémitisme [56] »), par Jeannette Habel (« Chez mes parents, on disait : “Il faut se méfier des Français.” Il était clair que nous ne nous sentions pas français [57] ») et par d’autres jeunes juifs de l’opposition de gauche au sein de l’UEC, comme Pierre Goldman (« Je les [paysans normands] regardai et pensai que je n’étais pas français. Et j’avais toujours su que je n’étais pas polonais [58] »), expriment le commun sentiment d’une double absence – à la terre d’exil et à celle d’accueil – qui caractérise les trajectoires d’émigration/immigration [59] de ces familles juives ayant fui les persécutions antisémites et trouvé refuge en France. Ces propos montrent bien que « du seul point de vue de l’appartenance nationale ou, ce qui revient au même, selon le seul critère de la nationalité, l’immigration réalise une manière d’existence tout à fait particulière, spécifique, au sein de la nation [60] », et que cette condition caractérise encore le mode d’existence des enfants de la deuxième génération.

17La « prise de parole [61] » des militants de la JCR par le biais de leur engagement politique peut d’ailleurs en ce sens aussi être pensée comme une subversion par rapport à l’obligation de neutralité politique et d’une neutralité éthique constitutives de la condition de l’« immigré [62] ». Leur militantisme critico-sociétaire pourrait sous ce jour être considéré comme un moyen mis en œuvre pour sortir de la condition d’exclu en affirmant dans l’action subversive (à double titre donc) leur légitime appartenance à la communauté. Pour comprendre les conditions de possibilité de leur entrée en dissidence, il faut en tout cas prendre au sérieux le rôle exercé par le positionnement social particulier « de ces “personnes déplacées”, dépourvues de place appropriée dans l’espace social et de lieu assigné dans les classements sociaux [63] », qu’elles appartiennent à la première ou à la deuxième génération d’immigrés [64]. Leur double extériorité, au lieu d’origine et au lieu d’arrivée, les place en grande partie en dehors des assignations sociales qui segmentent et hiérarchisent le corps social en un ensemble de catégories héritées, incorporées, faites corps et partant, invisibilisées pour ceux qui en font l’objet. Cette position sociale atypique est ainsi de nature à leur révéler l’arbitraire du monde social et de ses classements, les logiques de domination qui les sous-tendent, contribuant à favoriser « des fractures subjectives avec “ce qui va de soi” [65] ».

18Les trajectoires familiales de ces jeunes gens d’origine juive d’Europe de l’Est, militants à la JCR, leur socialisation primaire au sein de la famille et dans le cadre d’organisations de jeunesse juives leur ont transmis une mémoire de l’émigration/immigration, et des souffrances qu’elles engendrent, et une mémoire du génocide des Juifs fondée sur des mémoires familiales de la tragédie, des mémoires institutionnelles véhiculées par des dépositaires du souvenir (organisations juives notamment), ensemble mémoriel composite à l’origine d’une « mémoire collective [66] » de la Shoah.

19« La mémoire, nous rappelle Michel de Certeau, “est faite d’éclats particuliers” [67]. Or les éclats ont la propriété de se répandre au loin, et de refaire surface là où on ne s’attend pas à les trouver [68]. » L’analyse de nos matériaux d’enquête, et en particulier celle des entretiens réalisés avec des militants « historiques » de la LCR, nous a effectivement amenée « à étendre la focale historique des origines de Mai-Juin 68 [69] » pour envisager la révolte de cette fraction particulière de la jeunesse (des rescapés de la deuxième génération, fils et filles de survivants de la Shoah) comme un éclat lointain des traumatismes de la Seconde Guerre mondiale.

Du désir de vengeance individuelle à la revanche sociale

20Nous avons montré que les trajectoires individuelles des militants de la JCR sont pour beaucoup d’entre elles marquées du sceau de cette tragédie. D’après Daniel Bensaïd, membre fondateur de la JCR et dirigeant de la LCR jusqu’à sa dissolution : « C’est probablement l’un des secrets de la motivation intrépide qui animait notre service d’ordre des années soixante-dix. Notre guerre n’était pas finie [70]. » Il conçoit ainsi un lien de causalité entre ces caractéristiques du recrutement à la LCR et celles du militantisme en son sein au cours de la décennie 1970, en particulier la combativité et le recours à des actions violentes. L’analyse de nos matériaux d’enquête confirme en grande partie cette hypothèse, bien que d’autres facteurs doivent également être avancés pour en rendre compte, à commencer par les spécificités du contexte politique français des années 1950-1960, qui contribuent à expliquer le façonnage du rapport à la violence dans l’expression des antagonismes politiques et sociaux [71]. Il faut de plus expliciter pour quelles raisons et de quelles manières ces trajectoires familiales et personnelles ont pu induire un type spécifique de pratique militante, et pourquoi ceux et celles qui ont connu ces trajectoires familiales ont trouvé à la JCR un cadre de militantisme qui convenait particulièrement bien à leurs dispositions initiales. C’est ce que permet de saisir une sociologie de l’engagement attentive aux émotions des protagonistes. Afin d’analyser plus finement les processus de production sociohistorique de ces émotions, et leurs effets sur l’engagement et les pratiques militantes, nous aurons recours au microscope [72] en focalisant l’analyse sur un cas. Nous pensons effectivement qu’« à y regarder de plus près, on peut penser voir “mieux” et peut-être plus. Ce “plus” peut par exemple renvoyer aux processus et aux liaisons qui vont donner cohérence à des systèmes de valeurs, et à des comportements partagés et mesurés en tant que tels, mais portés en dernière instance par des individus [73] ». La trajectoire d’Adrien Cravelszky révèle ainsi des chaînons complexes qui permettent d’éclairer la trajectoire d’engagement à la lumière de ses dispositions, en mettant au jour le rôle de la colère et du désir de vengeance dans le processus de politisation, celui du contexte politique qui fournit une opportunité de conversion de la colère en puissance d’agir, enfin celui joué par le parti politique, qui opère un précieux exercice de transfert en permettant de transmuer le désir de vengeance individuelle en revanche sociale, transformant ce faisant « un cas en cause [74] ».

À vif : à la violence opposer la violence

21L’extermination d’une partie de ses membres n’a jamais été occultée dans la famille Cravelszky. Depuis tout petit, Adrien et son frère jumeau ont su que leurs grands-parents maternels et leur oncle paternel avaient été déportés et assassinés à Auschwitz. Et pour Adrien, « ça voulait dire TOUTE la famille [75] ». Cette conscience du fait que « les fascistes avaient tué toute la famille du côté de [s]a mère » suscite chez lui une immense colère et une « indignation », ainsi qu’un rapport spécifique à la violence, qu’il pense avoir partagé avec un certain nombre de ses camarades de l’époque :

22

« Adrien C : Il y a pas mal de gens qui ont cette trajectoire-là, qui se sont bagarrés, et pas que pour des histoires de fachos, qui ont un rapport à la violence… Il y a une violence familiale qui est, ce qui a été transmis est très violent, comme culpabilité, comme, et puis la violence qu’ont subie les parents, ils l’ont transmise. Donc il y a un rapport à la violence qui est un peu différent.
Florence Johsua : Par rapport à des militants[il m’interrompt]
Adrien C : Quand tu vois des militants qui viennent de milieux classiques, bon : t’es un jeune lycéen, t’évite de cogner. Il faut avoir la force politique de la conviction [pour cogner], c’est pas facile de taper sur quelqu’un, pas facile, je le dis avec aucune fierté, c’est pas facile. Mais comme dans beaucoup de ces jeunes que j’ai rencontrés, pour ceux qui ont été un peu loubards et pour ceux qui ont été dans les histoires de l’Holocauste, du fascisme, où il y a eu des morts, il y a une haine profonde de ça, franchir le cap de la violence a pas été compliqué, il était même assez inextricablement lié à la pratique politique. Bon, c’étaient des moyens justes pour une cause juste. Alors la fin justifie pas toujours les moyens, mais là c’était vécu comme ça. »

23Ce rapport spécifique à la violence, lié à son histoire familiale, s’exprime d’abord chez Adrien dans le cadre d’une violence tous azimuts, dans « la bagarre », qu’elle s’organise dans le cadre des organisations du milieu communiste qu’il fréquente depuis l’enfance (la CCE puis la JC, qu’il intègre en 1963) ou dans la rue « avec des loubards ». Compte alors surtout pour lui le besoin de cogner, ce qui peut déjà être analysé comme une conséquence de sa socialisation politique dans les milieux juifs communistes français d’après-guerre, qui éduquent les enfants juifs rescapés à ne plus se laisser faire, à refuser « la passivité [76] ». Au début de l’adolescence, il répond à la violence de son histoire familiale par une violence brute, pas encore véritablement apprivoisée ni canalisée, qui est essentiellement une violence de rue, en bandes. Cependant les caractéristiques de la période ainsi que les dissonances aiguës entre les valeurs véhiculées dans ces bandes et celles qu’il a incorporées dans le cadre de sa socialisation primaire, le conduisent à abandonner « la politique des bandes [77] » pour choisir la politique tout court :

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« Adrien C : Il y a une chose qui jouait […], même si le côté au début du rock’n’roll et compagnie me plaisait beaucoup et me déguiser en petit voyou, il y a une chose qui a été la limite, c’est que, en étant militant de famille communiste, j’avais beaucoup de mal à partager ce qu’étaient les valeurs véhiculées dans les bandes. […]
Florence Johsua : C’était quoi qui était valorisé dans ce monde-là ?
Adrien C. : Les balèzes, le courage – mais le courage des mecs [78] –, des rapports assez hiérarchisés, des rapports de violence gratuite sur ceux qui étaient plus faibles, […] on s’attaque à des gens alors qu’on était très nombreux qui étaient pas très nombreux. J’ai vu des agressions d’homosexuels. Ça correspondait pas du tout à ce que moi je partageais [comme valeurs]. »

25Surtout, le contexte politique français des années 1950 et 1960 explique comment cette violence va être canalisée et transformée en activité politique. En cette période de guerre froide, l’anticommunisme imprègne toutes les sphères de l’appareil d’État et fournit en particulier sa feuille de route au travail policier [79]. Il justifie l’usage d’une stratégie policière coercitive en matière de maintien de l’ordre, qui s’exerce contre les opposants communistes puis contre les militants indépendantistes et anticolonialistes par le biais d’un usage répété, réglementé, banalisé, et finalement exacerbé de la répression par les forces de police [80]. Or « le régime et ses orientations influent sur la structure des manifestations [81] ». Le façonnage du rapport à la violence dans l’expression des antagonismes politiques et sociaux est alors diffus et doit être analysé comme le résultat d’une escalade conflictuelle et d’une adaptation tactique des opposants au régime à la radicalisation de la répression étatique [82]. Le début des années 1960, en particulier, voit se déployer une extrême violence de l’appareil répressif d’État aussi bien en Algérie que sur le territoire métropolitain qui apparaît comme un des espaces où la guerre, au sens de l’affrontement entre deux camps sur la question de l’indépendance de l’Algérie, existe [83]. La période est marquée par une polarisation de l’activité politique qui entraîne une politisation importante de camps qui s’opposent autour de la question de l’indépendance de l’Algérie. En témoignent alors la création, en février 1961, de l’Organisation armée secrète (OAS), mais aussi les réactions de rejet de l’OAS qui s’expriment au sein de la population et la politisation à l’œuvre parmi ceux qui s’opposent à « l’Algérie française », notamment dans les milieux lycéens et étudiants.

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Source : Mémoires d’Humanité (AD Seine-Saint-Denis). Manifestation contre l’Organisation de l’armée secrète (OAS) à Stains : des manifestants tiennent trois pancartes « A bas l’OAS », « OAS assassin », « Halte au fascisme ». Stains (93), 7 décembre 1961 (cote 83Fi/25 3).
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Source : Mémoires d’Humanité (AD Seine Saint-Denis). Rassemblement dans la cour de la Sorbonne des étudiants lors d’une manifestation contre l’OAS à la suite du procès de Salan. Paris (75), place de la Sorbonne, 24 mai 1962 (cote 100-18/62 2139 - 1666).

26Il faut resituer les pratiques militantes de l’époque dans ce cadre contextuel. La brutalité des répertoires d’action policiers et les mesures d’exception qu’autorise la constitution de 1958 éclairent « la manière dont la violence peut être pensée, légitimée, instituée et, finalement, incorporée et exercée [84] » sans retenue par les forces de police [85]. Le traumatisme de la Shoah chez les militants d’origine juive doit sous ce jour être considéré comme un facteur important – parmi d’autres – qui expliquent le façonnage du rapport à la violence, car ce contexte contribue également à expliquer la diffusion de répertoires d’action politique qui n’excluent pas le recours à la violence parmi les opposants, notamment chez les militants d’extrême gauche. Dans ce cas, d’autres facteurs peuvent également être évoqués, comme l’influence d’un modèle dominant de militantisme inspiré du « révolutionnaire professionnel » de Lénine, valorisant des attributs et qualités socialement codées comme « masculines » et « viriles », comme la combativité (au sens large) et l’aptitude au recours à la violence, mais aussi les conséquences des rapports conflictuels, souvent physiquement violents, qui opposent les militants de la LCR et des organisations trotskystes à ceux du PCF ou de la CGT dans le cadre du militantisme au quotidien (diffusion de tracts à la sortie des usines, vente du journal, tenue de réunions publiques ou de manifestations). L’ensemble de ces facteurs explique que les organisations d’extrême gauche des « années 68 », tout en se distinguant par des modes de sociabilité et des modèles militants spécifiques [86], aient développé une aptitude au recours à la violence.

27Chez les membres de la JCR, cette pratique militante s’est d’abord souvent exercée par le biais d’un « antifascisme militant [87] ». À la même époque, en effet, divers groupuscules d’extrême droite connaissent un développement et rassemblent des militants très actifs qui interviennent dans et autour des établissements scolaires. Le contrôle des universités et des lycées devient un enjeu de luttes qui opposent les militants d’extrême droite à leurs adversaires « antifascistes ». C’est dans ce contexte très particulier que les émotions de colère et de haine qu’Adrien Cravelszky ressent vis-à-vis des « fascistes » vont trouver un moyen d’être converties en une puissance d’agir.

Le rôle des luttes de libération nationale et du militantisme antifasciste

28Les lycées étant devenus l’objet d’un rapport de force entre les militants d’extrême droite et leurs adversaires, l’activité « antifasciste » d’Adrien Cravelszky se développe d’abord dans le cadre lycéen, où il croise et se rapproche d’autres jeunes ayant connu des histoires familiales similaires à la sienne :

29

« On commence d’abord à interdire l’expression publique de l’extrême droite dans les bahuts, il y a beaucoup de bagarres […]. Il y avait bien sûr très profondément l’idée qu’il fallait régler les comptes à tous ceux qui n’avaient pas encore payé […]. D’ailleurs à l’époque, mon frère comme moi, lorsqu’on voyait des… quand on se battait avec l’extrême droite – même pour tous les jeunes dont je te parle, de la CCE – je voyais plus des SS que des jeunes Français. Ça faisait une violence qui restait politique, mais qui donnait une radicalité peut-être plus importante. »

30C’est à l’occasion de la mise en place d’un SO pour empêcher la venue d’un groupe d’extrême droite devant le lycée Voltaire à Paris en 1964, qu’Adrien Cravelszky se rapproche d’Alain Krivine, alors enseignant d’histoire dans cet établissement, parce que, ce jour-là, « y’a les fachos qui menacent d’attaquer […] et qu’est-ce que je vois : le prof avec des gants en cuir prêt à faire le coup de poing contre les fachos ! […] Du coup on discute, on se rencontre, on commence à faire des réunions. » Et par ce biais, il fait la connaissance d’autres membres de l’opposition de gauche au sein de l’UEC.

31Il faut insister sur les liens entre cet « antifascisme militant » et l’opposition de gauche. Ils permettent en effet de mieux comprendre la dynamique qui va conduire à la fondation de la JCR en 1966, et d’expliquer la proportion importante de militants d’origine juive dans les rangs de cette nouvelle organisation de jeunesse. Pour faire face à l’activisme croissant des groupuscules d’extrême droite en direction du milieu universitaire et pour empêcher les partisans de l’OAS de vendre leurs journaux ou de distribuer leurs tracts dans ces zones, le secteur Sorbonne-Lettres de l’UEC (qui regroupe plusieurs membres de l’opposition de gauche, dont Alain Krivine [88], Marie-Noëlle Thibault et Pierre Goldman) impulse, après le putsch d’Alger en avril 1961, la création d’un Front universitaire antifasciste (FUA) [89]. L’objectif initial se résume à « tenir le Quartier Latin » et des groupes d’autodéfense sont rapidement constitués, malgré l’opposition de la direction du PCF. L’antifascisme du FUA est effectivement directement lié à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, qui fait partie des principaux motifs de dissension entre l’opposition de gauche et la direction du PCF. Prenant appui sur la radicalisation d’une partie de la jeunesse scolarisée autour de la question algérienne, le FUA mobilise largement, son activité consiste principalement à se battre contre les partisans de l’Algérie française, à « “rosser” les fascistes [90] ». On y retrouve de nombreux jeunes d’origine juive, partageant les caractéristiques familiales et personnelles décrites en amont. Ce mouvement va constituer un socle militant soudé par la solidarité développée dans le cadre des actions contre les « fascistes », mais aussi en réaction aux condamnations exprimées par le PCF, contribuant ainsi à la bataille politique au sein de l’UEC :

32

« Pour l’extrême gauche, l’intérêt réside aussi dans l’accentuation des contradictions au sein de l’UEC. Ce que les entristes du PCI ne sont pas parvenus à réaliser dans le PCF, c’est-à-dire la structuration d’un courant d’opposition interne basé sur des critiques “de gauche” de la politique de la direction, les jeunes du PCI ont réussi à le faire dans l’UEC grâce au FUA. […]. La lutte antifasciste est l’occasion de faire converger la bataille politique dans l’UEC avec une expérience concrète de travail “de masse” que constitue le FUA [91]. »

33Effectivement, pour nombre de militants l’investissement à la JCR, puis à la LC et à la LCR, a commencé par le biais d’un activisme antifasciste et de ces « bastons avec les fachos [92] ». Le premier contact avec l’organisation, en particulier, s’effectue souvent dans ce cadre. Et fréquemment, la décision de s’engager provient davantage des affinités électives nouées au cours de ces batailles qu’elle ne résulte de convictions politiques solidement ancrées. Ces affinités procèdent d’une détestation « viscérale » de l’extrême droite qui se comprend resituée à la lumière de leurs trajectoires familiales. Ces dernières expliquent également le partage d’un même cadre de perception des rapports de force et de violence qui s’expriment à cette époque autour des luttes de libération nationale, qui les conduit à analyser ces événements en référence au nazisme. Les jeunes militants d’extrême droite sont perçus comme des « SS », l’activité antifasciste s’engage par fidélité à une histoire (personnelle) pour « conclu[re] ce combat qu[e les parents] avaient mal mené puisqu’ils avaient réussi à faire que leurs parents avaient été arrêtés », et la lutte antifasciste est « viscérale au sens où la plupart ont été directement touchés dans leur famille, et qu’on tape pour venger nos parents ». Ce cadre de perception, qui est unanimement partagé par les jeunes « survivants de la deuxième génération [93] », l’est également au sein de l’organisation de jeunesse dans son ensemble et y perdure longtemps. La brochure éditée par la Ligue communiste (LC) en février 1973 sur « les bandes armées du pouvoir » en illustre la prégnance :

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Source : Ligue communiste, brochure « Les bandes armées du pouvoir. 2 », supplément Rouge (hebdomadaire de la LC) n° 191, 10 février 1973. Le cadran gauche reproduit la page de garde, où l’on peut voir en haut à gauche le symbole des « SS » nazis et, comme en miroir en haut à droite, celui de l’organisation d’extrême droite Ordre nouveau. Le cadran de droite reproduit un dessin satirique de la page 26.

34L’attrait qu’exerce la JCR pour Adrien Cravelszky est lié à son orientation politique (la critique antistalinienne qu’elle développe répond parfaitement à l’exigence de démocratie qu’il défend depuis plusieurs années au sein des organisations de jeunesse du mouvement communiste). Mais il se comprend aussi à l’aune des affinités électives tissées dans le cadre de ces actions « antifascistes » et d’une pratique militante qui, prônant la combativité et la légitimité du recours à la violence contre l’extrême droite, correspond parfaitement aux dispositions qu’il a incorporées durant l’enfance et l’adolescence et lui procure une opportunité d’extériorisation de sa colère et d’assouvissement de son désir de vengeance sans trahir les valeurs transmises dans son cadre familial et à l’UJRE :

« Il y a une chose qui joue, qui fait que j’ai ma place là [à la JCR qu’il rejoint en 1967], c’est que la radicalité prônée dans l’action, les manifs, l’action antifasciste, les mots d’ordre proposés sur la solidarité internationale, correspondent exactement au besoin que j’ai de m’identifier à un mouvement qui veut faire la révolution, […] à l’idée que le fascisme se combat, qu’à la violence il faut opposer la violence, […]. On pouvait pas faire que des petites manifs alors que des gens étaient en train de mourir les armes à la main […]. J’avais une indignation qui pouvait trouver une réponse qu’en répondant à ces violences que par une même violence. »
Il faut souligner que les mobilisations en soutien des luttes de libération nationale, en faveur de l’indépendance algérienne puis du peuple vietnamien, présentent alors pour ces militants des configurations de type binaire opposant deux camps – la puissance colonisatrice contre un peuple luttant pour son indépendance, ou encore les capitalistes contre les communistes – qui favorisent chez eux une identification à leur propre histoire. Étant donné le poids de la référence du nazisme dans leurs perceptions, leur analyse et le codage qu’ils font des événements liés aux luttes de libération nationale, un parallèle est opéré avec la Seconde Guerre mondiale (les nazis contre les forces alliées / la Gestapo contre les résistants, etc.). Ils ne se contentent pas de soutenir ces peuples en lutte, ils sont des leurs, ils se reconnaissent en eux. Cette analogie pratique favorise le passage à l’action [94]. Jeannette Habel, à propos de cette époque, a insisté sur cet aspect de leur solidarité : « Nous ne voyions pas cela comme la lutte d’autres peuples. C’était toujours la même chose. La colonisation, l’extrême droite, le fascisme n’avaient pas changé. Il y avait des points communs qui subsistaient même après la guerre, l’impérialisme, mais aussi l’antisémitisme. Ce fut au début une identification spontanée, puis par la suite un soutien, un choix politique. Il y avait dans l’OAS […] quelque chose qui rappelait la croix gammée… [95] ». Ainsi, conclure le combat contre les nazis passe pour ces jeunes hommes et femmes par une lutte contre les forces « impérialistes » engagées en Algérie et au Vietnam. Cela nourrit l’action militante d’une insolence inouïe, qui exprime autant la colère et la révolte que la fierté. Il y a du défi et de la dignité retrouvée, qui s’affirment dans la démonstration de force dans la rue, dans les caractères qui dessinent en lettres de feu l’affirmation « FNL Vaincra » sur la banderole hissée en tête d’une manifestation à l’appel du Comité Vietnam National (CVN), que la JCR a contribué à créer le 30 novembre 1966 avec Jean-Paul Sartre, Laurent Schwartz et Pierre Vidal-Naquet :

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Source : Gérard-Aimé Photographies, Agence Gamma-Rapho. Quartier Latin, 21 février 1968, manifestation à l’appel du CVN. En haut, une banderole en lettres de feu proclame « FNL Vaincra ». En bas, on aperçoit à droite (gants en cuir et lunettes) Alain Krivine, au même niveau à gauche Henri Weber, et en arrière-plan, Daniel Bensaïd, membres de la JCR, qui défilent lors de cette manifestation.

35Ainsi, à l’exception d’Anne-Louise [96], les militants de notre corpus ont été « bagarreurs » très jeunes, ils ont pris une part active dans les « bastons avec les fachos [97] » à la sortie ou à l’intérieur même de leurs établissements scolaires, ainsi que dans des batailles de rue. Le premier contact avec la JCR, via ses militants, s’est souvent effectué dans ce cadre. L’organisation politique va alors leur offrir une opportunité de réinvestissement de ces dispositions à la violence dans un cadre militant, qui canalise et organise l’expression de la colère et du désir de vengeance de manière rationnelle, en la dirigeant contre un ennemi politique, et en en transformant également la nature : par son intermédiaire, le désir de vengeance individuelle est transmué en projet de revanche sociale.

Prendre le parti de transformer son cas en cause

36Dans le parti, le désir de vengeance est encadré par un SO. Fondé dès l’origine, il est conçu comme une tâche militante comme une autre : à charge de chacun d’assurer la défense du groupe. Il devient mixte dès 1971, ce qui distingue la LC de beaucoup d’autres organisations politiques d’extrême gauche dont le SO demeure exclusivement masculin [98]. Il est par ailleurs sous le contrôle direct de sa direction politique, dont deux à trois membres sont responsables et font à ce titre partie de la Commission technique (CT) [99]. Le SO devient un instrument de légitimation de la nouvelle organisation dans le champ politique, et de démarcation par rapport aux autres organisations d’extrême gauche [100]. Le groupe formé dans les bagarres contre les militants d’extrême droite évoqué plus haut va en partie rejoindre la JCR à sa fondation, comme l’a indiqué Adrien Cravelszky :

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« On est devenu un noyau qui va entrer à la JCR et qui a donné une auréole. C’était une organisation qui mettait en pratique ce qu’elle disait et qui pour défendre ce qu’elle disait créait les conditions du rapport de force. »

38L’activité du SO excède ainsi rapidement la tâche militante de défense de l’organisation pour mettre en œuvre une violence offensive contre l’extrême droite [101]. Il remplit aussi une fonction « identitaire » au sens où il active et réactive quotidiennement les liens de solidarité entre ses membres, comme y a insisté Marc Danencier : « C’était ça aussi la CT, le SO, on laissait personne derrière nous. […] On arrivait à vingt, on partait à vingt. On chargeait les fafs à la fac d’Assas, on était vingt [en repartant], on n’était pas dix-huit ou dix-neuf ! […] On a eu cette espèce d’esprit de corps, cette solidarité, cette convivialité entre nous [102]. »

39Le SO est un des rouages organisationnels qui convertit la peur et la colère en puissance d’agir en la dirigeant contre un ennemi politique générique (« fascistes », « bourgeoisie », « État »). Ce travail de conversion s’opère notamment en refusant la peur et en la retournant à l’encontre de l’adversaire. Daniel Bensaïd, membre de la CT dans ces « années 68 », précise : « Nous connaissions par cœur le testament du Che : harceler partout l’ennemi, que nulle part il ne se sente en sécurité [103]. » En 1971, à la suite d’une distribution de tracts par des militants de la LC à l’usine Citroën (Rennes), la Confédération française du travail (CFT) [104] placarde dans le 13e arrondissement de Paris où réside Henri Weber [105] une affiche avec sa photographie et l’adresse de son domicile, l’accusant d’« inculque[r] aux jeunes de ce pays le mépris de la patrie et des parents, le plaisir de la drogue et la débauche » et concluant par cette menace : « Attention à toi Weber ! [106] » Œil pour œil, dent pour dent, Rouge riposte en publiant sous le titre « à bon entendeur salut ! » une liste révélant les noms, adresses et secteurs d’activité des principaux dirigeants de la CFT [107]. Après 1968, en effet, la CT « réalise un travail d’enquête sur les groupes d’extrême droite, tentant de mettre à jour les réseaux, les connexions entre ces groupes et les hommes du pouvoir gaulliste, les Services d’Action Civique (SAC) notamment [108] ». Le militantisme antifasciste est alors chargé d’une dimension vengeresse, où se rejoue la résistance de façon substitutiste. De ce point de vue, l’action militante leur permet d’éprouver une puissance d’agir inédite, que n’offrait pas auparavant le Parti communiste malgré l’énorme supériorité numérique de ses adhérents et le poids de son appareil. Adrien Cravelszky en rend compte en ces termes, en rattachant la force de ce sentiment à son histoire familiale :

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« [C’étaient des militants] qui croyaient que tout est possible en étant si peu. […] Je suis d’une génération où mes parents sont sortis d’une nuit noire de quatre ans, une nuit noire de quatre ans, et donc l’idée qu’à très peu on pouvait renverser le monde, ça renvoie un peu à cette idée des gens qui sont sortis de la nuit noire à très peu alors qu’ils avaient pas beaucoup de moyens. »

41Ces jeunes militants ont grandi avec l’ombre du judéocide sur les talons, mais ils se sont aussi construits grâce au souvenir de la Résistance. Quelques jours après l’attaque par le SO de la LC du meeting d’Ordre nouveau le 21 juin 1973 à la Mutualité à Paris, et la dissolution consécutive de la LC par décret ministériel, Daniel Bensaïd publie un édito dans Rouge, intitulé « NON ! » où l’on peut lire :

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« Sous prétexte de lutter contre l’immigration sauvage, [les dirigeants d’Ordre nouveau] cultivent le racisme. Sous prétexte de contrôle, ils veulent remettre l’étoile jaune à la poitrine des Juifs et le croissant d’or à celle des Arabes. […] En concevant ainsi la riposte, nous avons pris nos responsabilités ; […] Qui parle ici d’avilir ? Ceux qui tiennent réunion au son des hymnes du IIIe Reich, sur des croix gammées, qui font le salut nazi ? Les porte-parole d’un gigantesque avilissement collectif ? Les héritiers d’Hitler et de Goebbels ? Ou encore les policiers qui déjà piétinent les livres de notre local ? Nous nous souvenons. De tout. Mieux parfois que ceux qui ont vécu cette époque. La génération militante d’aujourd’hui est née de ses cendres. Les démissions, les responsabilités, les héroïsmes aussi du mouvement ouvrier d’alors font partie de notre éducation. C’est pourquoi nous tenons à dire NON à temps [109]. »

43L’organisation politique est donc l’outil par lequel le désir de vengeance peut s’exercer d’une manière rationalisée. Cependant, en prenant parti, les militants en transforment la nature et l’objectif. L’engagement partisan permet d’encadrer l’expression de la colère, mais en inscrivant ce désir de vengeance dans un cadre universaliste, il opère également un exercice de transfert. En raccordant ces pratiques à un projet politique internationaliste « se réclamant du marxisme-révolutionnaire [110] », qui ne se limite pas à l’expression d’un désir de représailles, ses militants sortent du champ particulier de la vengeance individuelle pour rentrer de plain-pied dans celui, universel, de la lutte de classes [111]. Ici, la prise en compte des représentations qui structurent l’imaginaire et les cadres de pensée de ces jeunes gens d’origine juive est fondamentale pour comprendre comment ce phénomène a pu profiter aux organisations du mouvement ouvrier. La conversion de ces « Juifs non-juifs [112] » à la cause du mouvement ouvrier ne peut effectivement s’expliquer en dehors de leur inscription dans un « paysage de désir [113] » sous le signe de l’étoile rouge. Elle est impensable en dehors d’Octobre 1917 et de ses conséquences pour les populations juives d’Europe orientale et centrale :

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« La révolution délivra les Juifs russes et essaya d’extirper l’antisémitisme de l’immense campagne slave. Au cours de la guerre civile, la population juive se rallia massivement à l’Armée rouge (souvent la seule défense existante contre les pogroms) et son intelligentsia fut recrutée en bloc au sein de l’appareil d’État soviétique. Non plus minorité discriminée et opprimée, les Juifs russes furent reconnus comme une nation de culture moderne. Pendant les vingt années qui suivirent la révolution d’Octobre, la culture yiddish – sous toutes ses formes, scientifiques, littéraires ou artistiques – fut encouragée et connut un grand développement [114]. »

45Leur attachement à l’URSS, qui déborde largement les limites du mouvement communiste [115], est aussi intrinsèquement lié à la mémoire de la résistance soviétique face à l’invasion hitlérienne, qui a suscité une identification entre Armée rouge et rempart contre le nazisme et a contribué à structurer un imaginaire dans lequel le prestige de l’Armée rouge et le souvenir de la bataille de Stalingrad constituent des images mythiques dont la force a effacé le souvenir de la politique soviétique de 1939 à 1941, et l’accord Ribbentrop-Molotov [116].

46Cette vision mythifiée de l’URSS – élevée au rang de « patrie du socialisme [117] » – et de l’Armée rouge est particulièrement nette chez Adrien Cravelszky eu égard aux spécificités de sa socialisation primaire. Ironie du sort, c’est aussi parce qu’il a intensément incorporé les valeurs, représentations et symboles transmis et valorisés dans ces milieux juifs communistes après la Seconde Guerre mondiale en France que l’organisation de jeunesse dissidente (la JCR, en lien avec le PCI) exerce sur lui une attirance particulière, qu’il résume en expliquant : « Ce qui était extraordinaire quand on a rencontré le PCI […], c’est comme si on rencontrait les représentants historiques de la Révolution russe à travers les descendants du Grand chef de l’Armée rouge ! ».

47La fascination exercée par Léon Trotsky puise ses racines loin, tout comme l’internationalisme qui caractérise l’engagement des militants à la JCR. Ce dernier contribue aussi à expliquer le rapprochement qui s’opère sur un mode affinitaire entre Adrien et la JCR, ainsi que pour d’autres jeunes hommes et femmes d’origine juive à la même époque [118]. Adrien Cravelszky en rend compte en ces termes :

48

« Quand j’ai rencontré ces militants de la JCR, comme ils avaient une dimension internationale très forte, […] comme j’avais pas une très forte sensibilité à la diaspora juive ou à l’identité juive au sens communautaire du terme, moi j’avais plutôt un intérêt culturel même si j’étais très lié à la communauté juive communiste, et ben l’internationalisme de la JCR […] est rentré parfaitement [en accord] avec le malaise de ma définition identitaire en France : d’un seul coup, […] moi qui supportais pas les frontières, il y a quelqu’un qui proposait de faire péter toutes les frontières. […] [À cette époque-là] j’ai envie de me sentir de tous les pays et pas d’un pays. »

49Cette façon de penser une réponse au questionnement identitaire lié à sa judéité s’inscrit dans le sillon d’une tradition politique ancienne qui a résulté de « l’élaboration d’un complexe de théories et de courants de pensée que l’on pourrait réunir sous la définition de judéo-marxiste [119] », à laquelle a adhéré une partie du mouvement ouvrier juif d’Europe orientale dans la première moitié du XXe siècle [120]. À l’instar de nombreux marxistes juifs avant eux, ces jeunes militants d’origine juive refusent le particularisme et l’option sioniste, et trouvent dans le mouvement ouvrier et l’internationalisme socialiste l’instrument d’une assimilation de type universaliste, via une identification au « Prolétariat » plutôt qu’à une identité juive [121]. Pour ces « Juifs non-juifs », le marxisme sera l’arme de transformation du monde, et celle de leur émancipation.

50De ce point de vue, il conviendrait de souligner que les luttes de libération nationale jouent à cette époque d’autant plus intensément ce rôle d’activateur de l’engagement qu’elles entrent doublement en résonance avec les trajectoires personnelles de ces jeunes militants : en répondant à leur aspiration internationaliste, mais aussi parce qu’elles dessinent une perspective de transformation sociale de type universaliste : à Cuba et au Vietnam en particulier, la perspective socialiste/communiste de transformation du monde est consubstantielle des combats de libération.

51*

52Nous avons voulu montrer en quoi une sociologie de l’engagement attentive aux émotions des protagonistes, à leurs conditions sociales et historiques de production et à leurs effets, peut s’avérer utile pour mieux comprendre les logiques de l’entrée en dissidence d’une fraction particulière de la génération post-guerre au cours des « années 68 » en France. Les sentiments de colère et de haine ont tendance à être conçus comme négatifs et traités de façon normative, pourtant la sociologie des mouvements sociaux a mis en lumière leur rôle dans l’émergence des mobilisations, quand la colère est transformée en puissance d’agir. Le désir de vengeance lui-même « témoigne du sens moral de ceux qui sont encore capables de l’éprouver, de leur sensibilité à l’injustice et de leur capacité d’indignation encore intactes [122] ». Le cas du militantisme à la JCR révèle comment la colère peut devenir un moteur d’engagement sous une forme universaliste. L’étude indique également que la politisation de type « marxiste-révolutionnaire » des jeunes militants d’origine juive dans les « années 68 » ne doit rien à une hypothétique « propension juive, influencée par les affres du destin, à soutenir les peuples opprimés dans leur lutte pour leur indépendance et leur libération nationale [123] ». C’est au contraire en mettant au jour la configuration très particulière formée par la rencontre entre des dispositions incorporées favorisant la colère et le désir de représailles, un contexte qui ouvre une voie d’extériorisation de la violence subie et un cadre organisationnel et politique qui opère une conversion de cette colère en puissance d’agir, transformant le désir de vengeance individuelle en revanche sociale, que s’éclairent les logiques de ces engagements « marxistes-révolutionnaires ». La rupture d’allégeance avec l’ordre établi caractéristique des « années 68 » peut en partie être analysée sous ce jour, via la focale de l’engagement à la JCR, comme un éclat lointain des traumatismes de la Seconde Guerre mondiale : une histoire de colère – qui est consubstantiellement celle d’une libération : quand la peur change de camp.

Notes

  • [1]
    Extrait du Chant des Jeunes Gardes, chanson sociale écrite en 1911. Son auteur, Gaston Mardochée Brunswick, juif né à Paris un an après la Commune, prend le pseudonyme de Montéhus en tant que chansonnier.
  • [2]
    Paroles de Sh. An-Ski. Traduction française par Léa et Henri Minczeles, in Minczeles (H.), Histoire générale du BUND, un mouvement révolutionnaire juif, Paris, Denoël, 1999, p. 363-364. Le Bund est l’Union générale des ouvriers juifs de Russie, de Pologne et de Lituanie fondée à l’automne 1897 à Vilna.
  • [3]
    Au sens de Dreyfus-Armand (G.) et al., dir., Les années 68. Le temps de la contestation, Paris, Complexe/IHTP-CNRS, 2000. L’expression privilégie une chronologie longue des événements de 1968, avec en amont l’année 1962 et la fin de la guerre d’Algérie, et, en aval, l’accession du Parti socialiste au pouvoir en 1981.
  • [4]
    Matonti (F.), Pudal (B.), « L’UEC ou l’autonomie confisquée (1956-1968) », in Damamme (D.) et al., dir., Mai-Juin 68, Paris, Éditions de l’Atelier, 2008.
  • [5]
    Gobille (B.), « Mai-Juin 68 : crise du consentement et ruptures d’allégeance », in Damamme (D.) et al., dir., Mai-Juin 68, op. cit.
  • [6]
    Bourdieu (P.), Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001, p. 188.
  • [7]
    Je tiens à remercier les relecteurs/trices anonymes de la revue Politix, F. Haegel, J. Krinsky, L. Mathieu, E. Ollion, et G. Piketty pour leurs précieuses remarques, ainsi que l’association Mémoires d’Humanité et l’agence Gamma-Rapho pour leur aide.
  • [8]
    Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand Soir ou lieu d’apprentissage ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 46. La JCR devient Ligue communiste (LC) en 1969, à l’occasion du congrès qui l’affilie à la IVe Internationale, Front communiste révolutionnaire après sa dissolution par décret ministériel en 1973, et Ligue communiste révolutionnaire (LCR) à partir de décembre 1974 jusqu’à son autodissolution en février 2009.
  • [9]
    Le PCF réclame alors la « paix en Algérie », sans prendre clairement position en faveur du combat du Front de libération nationale (FLN) pour l’indépendance de l’Algérie, ni pour le retrait des troupes françaises d’Algérie. Ce positionnement du PCF joue un rôle important dans l’entrée en dissidence des futurs fondateurs de la JCR, Pattieu (S.), Les camarades des frères. Trotskistes et libertaires dans la guerre d’Algérie, Paris, Syllepse, 2002.
  • [10]
    Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire…, op. cit., p. 177.
  • [11]
    Salles (J.-P.), La Ligue communiste, tentative de construction d’un parti révolutionnaire en France après Mai 68, mémoire de DEA Histoire et civilisations, Université de Poitiers, 1999, p. 3.
  • [12]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, Paris, Stock, 2004, p. 381.
  • [13]
    L’attention est ici portée sur ces trajectoires particulières. Sur les effets pluriels et les modes de gestion différentiels de la transmission du traumatisme chez les « enfants de survivants », cf. notamment Epstein (H.), Le traumatisme en héritage. Conversations avec des fils et filles de survivants de la Shoah, Paris, Gallimard, 2012 [1re éd. 1979] ou Zajde (N.), Enfants de survivants. La transmission du traumatisme chez les enfants des Juifs survivants de l’extermination nazie, Paris, Odile Jacob, 2005 [1re éd. 1993].
  • [14]
    Aminzade (R.), McAdam (D.), « Emotions and Contentious Politics », in Aminzade (R.) et al., eds, Silence and Voice in the Study of Contentious Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; Goodwin (J.), Jasper (J.), Polletta (F.), eds, Passionate Politics. Emotions and Social Movements, Chicago & London, The University of Chicago Press, 2001 ; Gould (D.), « Passionate Political Processes : Bringing Emotions Back into the Study of Social Movements », in Goodwin (J.), Jasper (J.), eds, Rethinking Social Movements : Structure, Meaning, and Emotion, Lanham, Rowman, & Littlefield, 2004 ; Jasper (J.), « The Emotions of Protest : Affective and Reactive Emotions in and around Social Movements », Sociological Forum, 13 (3), 1998.
  • [15]
    Cf. en particulier Mathieu (L.), « Les ressorts sociaux de l’indignation militante. L’engagement au sein d’un collectif départemental du Réseau éducation sans frontière », Sociologie, 1 (3), 2010 ; Traïni (C.), « Les émotions de la cause animale. Histoires affectives et travail militant », Politix, vol. 24, n° 93, 2011 et « Des sentiments aux émotions (et vice-versa). Comment devient-on militant de la cause animale ? », Revue française de science politique, 60 (2), 2010 ; Wahnich (S.), La longue patience du peuple. 1792, naissance de la République, Paris, Payot, 2008.
  • [16]
    Fassin (D.), Rechtman (R.), L’empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, 2007, p. 23.
  • [17]
    Lorde (A.), « De l’usage de la colère : la réponse des femmes au racisme », in Sister Outsider, Genève-Laval, Mamamélis-Trois, 2003.
  • [18]
    Comme l’a récemment souligné Henry Rousso lors d’une journée d’étude consacrée au « traumatisme » organisée dans le cadre du séminaire « Mémoire et usages du passé en Europe », CEE/CERCEC/CRIA/ISP, 10 février 2012.
  • [19]
    Bourdin (J.-C.), Chauvaud (F.), Gaussot (L.), Keller (P.-H.), « Introduction », in Bourdin (J.-C.) et al., dir., Faire justice soi-même. Études sur la vengeance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 7 et p. 10.
  • [20]
    Ibid., p. 11 et p. 13. On soulignera de ce point de vue l’exception que constituent les travaux de Sophie Wahnich sur la révolution française, en particulier La longue patience du peuple…, op. cit., chapitre IV.
  • [21]
    Gruel (L.), La rébellion de 68. Une relecture sociologique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004 ; Hamon (H.), Rotman (P.), Génération, tome 1, Paris, Seuil, 1987 ; Matonti (F.), Pudal (B.), « L’UEC ou l’autonomie confisquée… », art. cité ; Pagis (J.), Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68. Une enquête sur deux générations familiales : des « soixante-huitards » et leurs enfants scolarisés dans deux écoles expérimentales, Vitruve et Ange-Guépin, thèse pour le doctorat de sociologie, EHESS, 2009 ; Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981)…, op. cit. ; Sommier (I.), La violence politique et son deuil. L’après-68 en France et en Italie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998 ; Sommier (I.), La violence révolutionnaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.
  • [22]
    La remarque vaut surtout dans le cas français. La question a par contre fait l’objet de plusieurs études sur l’engagement dans les organisations d’extrême gauche en Allemagne, dans la Fraction armée rouge en particulier, non pas sous l’angle de la vengeance mais plutôt de la culpabilité. Cf. Gaudard (P.-Y.), Le fardeau de la mémoire. Le deuil collectif allemand après le national-socialisme, Paris, Plon, 1997 (on pourra se reporter à la bibliographie fournie p. 278-284).
  • [23]
    Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche en Mai 68. Une génération révolutionnaire marquée par la Shoah, Paris, Albin Michel, 1998.
  • [24]
    Ces biais sont notamment d’ordre méthodologique. Par exemple, l’invitation faite en entretien à ses enquêtés à parler non pas de la période et de leur engagement mais « plutôt [de] la personnalité individuelle, juive, du militant de gauche en tant que radical juif » (Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche…, op. cit., p. 38) constitue une imposition de problématique d’autant plus gênante qu’il s’agit précisément de ce que l’enquête se fixe d’étudier.
  • [25]
    Il serait cependant intéressant de pouvoir réaliser le même travail pour d’autres organisations trotskystes, comme Lutte ouvrière (LO) et l’Organisation communiste internationaliste (OCI), chez les maoïstes ou au PCF, où ce phénomène a aussi existé. Il faudrait alors interroger les caractéristiques sociales et les dispositions spécifiques, les logiques situationnelles, pouvant rendre compte de l’attrait exercé par l’une ou l’autre de ces organisations. L’absence de fichiers de militants fournissant des informations pertinentes pour une telle recherche la rend toutefois très difficile à mettre en œuvre.
  • [26]
    Entretien réalisé le 20 juillet 2005.
  • [27]
    Entretien réalisé le 26 juillet 2005.
  • [28]
    Entretien réalisé le 25 juillet 2005. Les noms et prénoms de nos enquêté.e.s ont été modifiés.
  • [29]
    Ses principaux dirigeants, Daniel Bensaïd, Jeannette Habel (pseudonyme de Jeannette Pienkny), Alain Krivine et Henri Weber ont en 1966 respectivement 20, 28, 25 et 22 ans.
  • [30]
    Ma famille paternelle a été expulsée d’Égypte en 1956 après la crise de Suez, comme de nombreux autres membres de la communauté juive fréquemment apatrides ou de nationalités étrangères. Nés à Alexandrie en 1937, 1939 et 1946, ma tante, mon père et mon oncle se sont engagés politiquement à gauche une fois en France, syndicalement, et en militant à la JCR et dans Révolution ! (pour le second), à Révolution ! puis à la LCR (pour les autres).
  • [31]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 387-388.
  • [32]
    Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche…, op. cit., p. 23.
  • [33]
    « Dès la libération, la Pologne vécut une épidémie de pogroms qui entraîna la fuite des rescapés juifs vers les grands centres. On estime à 1500 le nombre des Juifs assassinés au cours des flambées antisémites depuis la libération jusqu’à l’été 1947 » (Weinstock (N.), Le pain de misère. Histoire du mouvement juif en Europe, tome 3, Paris, La Découverte, 1986, p. 169 et s.).
  • [34]
    Hamon (H.), Rotman (P.), Génération, op. cit., p. 145-147.
  • [35]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., chapitres 3 et 18.
  • [36]
    Entretien avec Marc Danencier.
  • [37]
    Entretien avec Marc Danencier.
  • [38]
    Entretien avec Adrien Cravelszky.
  • [39]
    Entretien avec Anne-Louise Zeilingman. Les extraits suivants sont issus du même entretien.
  • [40]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 381.
  • [41]
    Les termes signifient « La Jeune Garde ».
  • [42]
    Une autonomie toute relative : « Dans le système d’action communiste, l’UJRE est […] utilisée comme “courroie de transmission” auprès des immigrés d’Europe centrale », Spire (A.), Identités communistes juives en France après la Seconde Guerre mondiale, mémoire de maîtrise en sociologie, Université Paris 10 Nanterre, 1995, p. 60.
  • [43]
    Weinstock (N.), Le pain de misère…, op. cit., p. 165.
  • [44]
    Nick (C.), Les trotskistes, Paris, Fayard, 2002, p. 34 ; Hamon (H.), Rotman (P.), Génération, op. cit., chap. 5.
  • [45]
    Faburel (V.), La JCR : avril 1966-juin 1968, mémoire de maîtrise, Université Paris 1, 1988 ; Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 222.
  • [46]
    Spire (A.), Identités communistes juives en France…, op. cit., p. 60.
  • [47]
    Entretien avec Adrien Cravelszky.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Ce qui est plus étonnant pour l’HH, mais lié à l’attachement à l’URSS très répandu chez les Juifs d’Europe orientale après la Seconde Guerre mondiale, cf. infra.
  • [50]
    Entretien avec Adrien Cravelszky.
  • [51]
    Valensi (L.), Fables de la mémoire. La glorieuse bataille des trois rois, Paris, Seuil, 1992, p. 18.
  • [52]
    Nom donné à une mobilisation contre le racisme en 2011 en France, suite à la création d’un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration.
  • [53]
    Entretien avec Anne-Louise Zeilingman.
  • [54]
    Ibid. les citations précédentes proviennent également de cet entretien.
  • [55]
    Précisons qu’auparavant, il a évoqué sa socialisation dans les milieux communistes juifs, qui constituent pour lui une contre-société qui contribue à produire ce sentiment.
  • [56]
    Entretien avec Adrien Cravelszky.
  • [57]
    Cité dans Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche en Mai 68…, op. cit., p. 66. Jeannette Habel est membre de la direction politique de la JCR à sa fondation.
  • [58]
    Goldman (P.), Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, Paris, Seuil, 1975, p. 39.
  • [59]
    Sayad (A.), La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999.
  • [60]
    Ibid., p. 321.
  • [61]
    Hirschman (A.O.), Défection et prise de parole : théorie et applications, Paris, Fayard, 1995.
  • [62]
    Sayad (A.), La double absence…, op. cit., p. 324. Nous mettons le terme entre guillemets puisque la plupart de ces jeunes militants sont nés en France. Ils semblent pourtant avoir hérité d’une part de la condition et des souffrances de l’immigré.
  • [63]
    Bourdieu (P.), « Préface », in Sayad (A.), La double absence…, op. cit., p. 12.
  • [64]
    Sur les effets de l’exterritorialité, cf. également : Jeanpierre (L.), « La place de l’exterritorialité », in Alizart (M.), Kihm (C.), dir., Fresh théorie, Paris, Léo Scheer, 2005 ; Simmel (G.), « Excursus sur l’étranger », in Sociologie. Études sur les formes de la socialisation, Paris, Presses universitaires de France, 1999 [1re éd. 1908], et « L’aventure », in Philosophie de la modernité I, Paris, Payot, 1989 ; Traverso (E.), La pensée dispersée. Figures de l’exil judéo-allemand, Paris, Léo Scheer, 2004, chap. V.
  • [65]
    Pudal (B.), « Ordre symbolique et système scolaire dans les années 1960 », in Damamme (D.) et al., dir., Mai-Juin 68, op. cit., p. 69.
  • [66]
    Halbwachs (M.), La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 [1re éd. 1950].
  • [67]
    Certeau de (M.), L’invention du quotidien, I, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 133.
  • [68]
    Valensi (L.), Fables de la mémoire…, op. cit., p. 8.
  • [69]
    Damamme (D.) et al., dir., Mai-Juin 68, op. cit., p. 12.
  • [70]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 388.
  • [71]
    Cf. infra.
  • [72]
    Sawicki (F.), « Les politistes et le microscope », in CURAPP, Les méthodes au concret. Démarches, formes de l’expérience et terrains d’investigation en science politique, Paris, Presses universitaires de France, 2000.
  • [73]
    Haegel (F.), Lavabre (M.-C.), Destins ordinaires. Identité singulière et mémoire partagée, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 81.
  • [74]
    Neveu (É.), Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 2002 [1re éd. 1996], p. 91.
  • [75]
    Entretien avec Adrien Cravelszky. Sauf mention contraire, les citations signalées par des guillemets dans le texte sont issues de cet entretien.
  • [76]
    C’est le cas aussi bien à l’UJRE qu’à l’HH, comme nous l’avons souligné supra.
  • [77]
    Fossé-Poliak (C.), Mauger (G.), « La politique des bandes », Politix, 14, 1991.
  • [78]
    Notons cependant qu’Adrien retrouve à la JCR un milieu militant qui valorise aussi « le courage des mecs », Cf. Johsua (F.), Anticapitalistes. Une sociologie historique de l’engagement, Paris, La Découverte, à paraître en 2014, chap. 9.
  • [79]
    Blanchard (E.), La police parisienne et les Algériens (1944-1962), Paris, Nouveau Monde, 2011, p. 252-265.
  • [80]
    Codaccioni (V.), Punir les opposants. Une sociologie historique des « procès politiques » en temps de crise. Les interactions répressives entre le PCF et l’État (1947-1962), thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris 1, 2011 (publiée en 2013, CNRS Éditions) ; Dewerpe (A.), Charonne 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Gallimard, 2006.
  • [81]
    Tartakowsky (D.), Les manifestations de rue en France, 1918-1968, Paris, Presses de la Sorbonne, 1997, p. 742.
  • [82]
    Codaccioni (V.), Punir les opposants…, op. cit., p. 185.
  • [83]
    Branche (R.), Thénault (S.), La France en guerre, 1954-1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Autrement, 2008, p. 15.
  • [84]
    Dewerpe (A.), Charonne 8 février 1962…, op. cit., p. 87.
  • [85]
    En métropole, cette violence policière culmine avec les massacres d’État perpétrés lors des manifestations du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 à Paris.
  • [86]
    On pourra voir concernant l’OCI, Yon (K.), « Modes de sociabilité et entretien de l’habitus militant. Militer en bandes à l’AJS-OCI dans les années 1970 », Politix, 70, 2005 ; Stora (B.), La dernière génération d’Octobre, Stock, 2003. Concernant la LCR : Johsua (F.), Anticapitalistes…, opcit. ; Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981)…, op. cit. Concernant les maoïstes : Dressen (M.), De l’amphi à l’établi : les étudiants maoïstes à l’usine (1967-1989), Paris, Belin, 2000.
  • [87]
    Sommier (I.), La violence politique et son deuil…, op. cit., p. 81-84.
  • [88]
    Déjà membre du Parti communiste internationaliste, la section française de la IVe Internationale (trotskyste).
  • [89]
    Les développements sur le FUA sont tirés de Pattieu (S.), Les camarades des frères…, op. cit., p. 190-196.
  • [90]
    La Montagne, bulletin du FUA Sciences, Paris, 1, mars 1962, document 4° P7909 archives BDIC, cité dans Pattieu (S.), Les camarades des frères…, op. cit., p. 191.
  • [91]
    Ibid., p. 190 et 195.
  • [92]
    Entretien avec Marc Danencier.
  • [93]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 381.
  • [94]
    Bernard Lahire, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998, acte I, scène III.
  • [95]
    Entretien avec Jeannette Habel réalisé et cité par Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche en Mai 68…, op. cit., p. 67-68.
  • [96]
    Une exception/exclusion qui n’est évidemment pas due au hasard. Nous avons souligné l’influence de la variable de genre pour expliquer les modes de gestion différentiels de ces dispositions initiales. Les caractéristiques du militantisme à la JCR, comme dans la plupart des organisations politiques d’extrême gauche qui se créent à la fin des années 1960, offrent une opportunité de retournement du stigmate plus facilement accessible aux hommes qu’aux femmes, tant la possibilité du recours à la violence est liée à la construction sociale du genre dans la société, surtout dans la France des années 1960-1970, cf. Johsua (F.), Anticapitalistes…, op. cit.
  • [97]
    Entretien avec Marc Danencier.
  • [98]
    Pour le cas de l’Alliance des jeunes pour le socialisme, organisation étudiante de l’OCI, Yon (K.), « Modes de sociabilité… », art. cité.
  • [99]
    Structure dirigeante restreinte du SO.
  • [100]
    Sommier (I.), La violence politique et son deuil…, op. cit., p. 77-79.
  • [101]
    Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981)…, op. cit. ; Sommier (I.), La violence politique et son deuil…, op. cit., et La violence révolutionnaire, op. cit.
  • [102]
    Entretien avec Marc Danencier. Soulignons cependant qu’il s’agit alors d’une solidarité d’hommes, excluante à l’égard des militantes qui prennent rarement part aux actions violentes. Cet « esprit de corps » rappelle « l’esprit de “club” ou de “clan” » qui a imprégné les mouvements de Résistance durant la Seconde Guerre mondiale (cf. Bourdet (C.), L’aventure incertaine. De la Résistance à la Restauration, Paris, Éditions du Félin, 1998, p. 91 [1re éd. 1975]).
  • [103]
    Bensaïd (D.), Une lente impatience, op. cit., p. 144.
  • [104]
    Syndicat lié aux milieux d’extrême droite et de l’Algérie française.
  • [105]
    Alors membre du Bureau politique de la LC.
  • [106]
    L’affiche est reproduite dans Rouge, 122, 6 septembre 1971, p. 4.
  • [107]
    Rouge, 124, 20 septembre 1971, p. 7.
  • [108]
    Salles (J.-P.), La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981)…, op. cit., p. 88-89.
  • [109]
    Daniel Bensaïd, « NON ! », Rouge, 211, 27 juin 1973.
  • [110]
    JCR, Texte de référence politique issu du 1er congrès national mars 1967, 1968 [2e éd.], p. 61.
  • [111]
    Sur le passage du plan psychologique du vindicatif au plan social du vindicatoire, cf. Verdier (R.), dir., Vengeance. Le face-à-face victime/agresseur, Paris, Autrement, 2004 ; Chamayou (G.), « “Le jour des représailles”. Théories de la vengeance et de la révolution au XIXe siècle », in Bourdin (J.-C.) et al., dir., Faire justice soi-même…, op. cit.
  • [112]
    Deutscher (I.), Essais sur le problème juif, Paris, Payot, 1969, p. 36-37. Par cette expression, Isaac Deutscher désigne les Juifs qui participent de la tradition juive dans leur dépassement même du judaïsme (cf. Traverso (E.), Les marxistes et la question juive. Histoire d’un débat (1843-1943), Paris, Kimé, 1997, p. 65).
  • [113]
    Traduction par Michael Löwy de l’expression « Wunschlandschaft » d’Ernst Bloch, soit une image, même abstraite, même purement négative, ou une « image-souhait » d’une réalité différente, bref une utopie (Löwy (M.), Juifs hétérodoxes. Messianisme, romantisme, utopie, Paris, Éditions de l’Éclat, 2010 ; Bloch (E.), Le principe espérance, Paris, Gallimard, 1991 [1re éd. 1959].
  • [114]
    Traverso (E.), Les marxistes et la question juive…, op. cit., p. 32. Notons que ces conséquences ont fait l’objet d’un débat entre historiens. À ce sujet, cf. Brossat (A.), Klingberg (S.), Le Yiddishland révolutionnaire, Paris, Syllepse, 2009, chap. 5 [1re éd. 1983].
  • [115]
    Après la Seconde Guerre mondiale, il est partagé, notamment, par des formations sionistes-socialistes comme l’Hachomer Hatzaïr, Spire (A.), Identités communistes juives en France…, op. cit., p. 68.
  • [116]
    Ibid., p. 69-70.
  • [117]
    Entretien avec Adrien Cravelszky.
  • [118]
    Tou.te.s les militant.e.s évoqué.e.s dans cet article ont souligné cet aspect de leur attrait pour la JCR, et la LC dans la décennie 1970.
  • [119]
    Traverso (E.), Les marxistes et la question juive…, op. cit., p. 31.
  • [120]
    Dont le Bund fut une des principales composantes, enracinée dans la Yiddishkeit (en tant que communauté de culture), mais étrangère au sionisme, toujours rejeté, ibid.
  • [121]
    Un mouvement qu’a exprimé, avec la poétique qui lui est propre, Rosa Luxemburg dans une lettre adressée à Mathilde Wurm le 16 février 1917 : « Ce “silence sublime de l’immensité” où tant de cris se perdent, il éclate dans ma poitrine si fort qu’il ne saurait y avoir dans mon cœur un petit recoin spécial pour le ghetto : je me sens chez moi dans le vaste monde partout où il y a des nuages, des oiseaux et des larmes », in Badia (G.), Rosa Luxemburg épistolière, Paris, Éditions de l’Atelier, 1995, p. 206.
  • [122]
    Chamayou (G.), « “Le jour des représailles”… », art. cité, p. 162 ; cf. aussi Nahoum-Grappe (V.), Du rêve de vengeance à la haine politique, Paris, Buchet-Chastel, 2003.
  • [123]
    Auron (Y.), Les Juifs d’extrême gauche en Mai 68…, op. cit., p. 65. Le large soutien dont bénéficie aujourd’hui en Israël la politique d’occupation du territoire et d’oppression du peuple palestinien en témoigne.
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