Notes
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[1]
1. « Bir ö?renci öldürüldü… Sokak Sava?? oldu » (Un étudiant a été tué… Une situation de guerre de rue), Milliyet, 17 janvier 1977, p. 1..
-
[2]
Sur le phénomène milicien en Turquie dans les années 1970, cf. Bozarslan (H.), « Le phénomène milicien, une composante de la violence politique dans la Turquie des années 1970 », Turcica, 31, 1999.
-
[3]
3. Bozarslan (H.), « Le chaos après le déluge ? Notes sur la crise turque des années 70 », Cultures et conflits, 24-25, 1996.
-
[4]
Sept gouvernements se succèdent entre 1974 et 1980.
-
[5]
Cf. Birand (M. A.), Bilâ (H.), Akar (R.), 12 Eylül. Türkiye’nin milad? (12 septembre. La nouvelle ère de la Turquie), Istanbul, Do?an Kitap, 2006, p. 122.
-
[6]
L’ensemble des organisations d’extrême droite dont il sera question ici forme ce qu’il est convenu d’appeler le « Mouvement nationaliste ». Il s’agit d’un réseau d’organisations centralisé par un parti politique, le Parti de l’action nationaliste (Milliyetçi hareket partisi, MHP), visant à l’encadrement et à la politisation de l’électorat par secteurs d’activité. En Turquie, les organisations et les membres du Mouvement se définissent comme « idéalistes » (ülkücü). Ces différents termes seront donc employés pour désigner le réseau d’organisations constitué par le MHP à partir de la seconde moitié des années 1960.
-
[7]
Les historiens et sociologues de l’État en Turquie adoptent généralement une conception fonctionnaliste de l’État et échouent à proposer un modèle explicatif convaincant de la crise turque de la seconde moitié des années 1970. Face aux mobilisations d’extrême gauche et d’extrême droite et à l’introduction de la violence physique dans leurs répertoires d’action, l’État n’aurait plus réussi à assumer son « rôle » d’arbitre, sa « fonction » d’interlocuteur des forces sociales. De ce contexte ressort l’image d’un État « outsider ». La séquence 1975-1980 est alors considérée comme une parenthèse, fermée par l’intervention militaire du 12 septembre 1980 et le rétablissement du monopole de la contrainte physique et symbolique légitime dans la majeure partie du pays. Le prétexte d’exceptionnalité interdit ainsi l’identification des mécanismes constitutifs de la crise. Cf. notamment Heper (M.), « The “Strong State” and Democracy: The Turkish Case in Comparative and Historical Perspective » in Eisenstadt (S.), ed., Democracy and Modernity, Leiden, E. J. Brill, 1992 ; Heper (M.), The State Tradition in Turkey, Northgate, The Eothen Press, 1985 ; Özbudun (E.), Social Change and Political Participation in Turkey, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1976.
-
[8]
Ergil (D.), Türkiye’de Terör ve ?iddet (Terreur et violence en Turquie), Ankara, Turhan Kitabevi, 1980.
-
[9]
Pusat (D.), Çorum silahl? halk direni?i (La résistance populaire armée de Çorum), Istanbul, Nam Yay?nc?l?k, 1996.
-
[10]
Gourisse (B.), L’État en jeu. Captation des ressources et désobjectivation de l’État en Turquie (1975-1980), thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris I, 2010, p. 425-455.
-
[11]
Dobry (M.), Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de la FNSP, 1992, p. 141.
-
[12]
Ibid., p. 41.
-
[13]
La notion de règle telle que nous la concevons ici correspond à celle d’A. Giddens pour qui les règles « sont liées à la constitution de sens, d’un côté, et à la sanction des modes de conduites sociales, de l’autre ». Elles « ne peuvent se conceptualiser indépendamment des ressources. Celles-ci font référence aux modes selon lesquels les relations transformatrices sont effectivement incorporées dans la production et la reproduction des pratiques sociales. Par conséquent, les propriétés structurelles expriment des formes de domination et de pouvoir ». Giddens (A.), La constitution de la société, Paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 67.
-
[14]
Selon M. Dobry, les processus d’objectivation s’incarnent dans « l’extériorité des rapports sociaux, leur impersonnalité et leur perception sur le mode de “ce qui va de soi”. Sous ces trois aspects, les systèmes ou sociétés complexes s’exposent, lorsque s’y déploient des mobilisations multisectorielles, à de brusques déperditions de l’objectivation des rapports sectoriels ». Dobry (M.), Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 156.
-
[15]
T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???. Iddianame : MHP ve Ülkücü Kurulu?lar (Procureur militaire du commandement de l’état de siège des provinces d’Ankara – Çank?r? – Kastamonu. Réquisitoire : Le MHP et les organisations idéalistes), préparé par le procureur militaire de l’État de siège N. Soyer, 1981.
-
[16]
Pour une analyse critique des relations entre pouvoir politique et pouvoir judiciaire, cf. Briquet (J.?L.), Mafia, justice et politique en Italie. L’affaire Andreotti dans la crise de la République (1992-2004), Paris, Karthala, 2007.
-
[17]
Tanlak (Ö.), ?tiraf. Eski bir ülkücü MHP’yi anlat?yor (Aveux. Un ancien idéaliste explique le MHP), Istanbul, Kaynak Yay?nlar?, 1996.
-
[18]
Bölügiray (N.), Sokaktaki Asker, Bir S?k?yönetim Komutan?n?n 12 Eylül Öncesi An?lar? (Un militaire dans la rue, les mémoires d’avant le 12 septembre d’un commandant de l’état de siège), Istanbul, Milliyet Yay?nlar?, 1989.
-
[19]
La pénétration de l’État représente une activité routinière, illégale mais institutionnalisée, des partis de gouvernement en Turquie. Ce n’est donc pas sa mise en œuvre par le MHP, mais la façon dont le parti l’intègre dans une stratégie plus large reposant également sur la mobilisation multisectorielle et l’usage de la violence physique, qui produit la désobjectivation de l’État pendant la seconde moitié des années 1970.
-
[20]
Les mouvances radicales retenues pour l’analyse peuvent être appréhendées telles des systèmes d’action antagonistes. Elles constituent des réseaux d’organisations alliées coordonnant avec plus ou moins de succès leurs activités, au sein desquels les participants connaissent généralement des insertions multiples.
-
[21]
Afin de ne pas contrevenir à la loi, les individus dont il est question ne sont pas formellement membres du parti. En effet, une décision du conseil des ministres du 23 mars 1979 affirme que « le fait d’être membre d’un parti politique ou d’agir pour le bien ou à l’encontre d’un parti politique ou de participer à des activités politiques est sanctionné d’une peine disciplinaire de renvoi de la profession ». Par ailleurs, l’article 7 de la loi n° 657 sur les fonctionnaires d’État stipule que « les fonctionnaires ne peuvent pas être membres d’un parti politique. Ils ne se comportent pas de façon à désavantager ou privilégier un parti politique ou un individu ; ils agissent, dans l’exercice de leurs fonctions, sans aucune distinction de langue, de religion, de race, de sexe, d’opinion politique, d’idées philosophiques et de religion ». L’article 125 de la loi sur les fonctionnaires prévoit enfin des peines disciplinaires (un renvoi) pour ceux qui tiendraient secrets des informations et des documents contenant des informations susceptibles de nuire à la loi.
-
[22]
T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???. Iddianame…, op. cit., p. 135.
-
[23]
Tanlak (Ö.), ?tiraf. Eski bir ülkücü MHP’yi anlat?yor (Aveux. Un ancien idéaliste explique le MHP), op. cit., p. 133.
-
[24]
T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???…, op. cit., p. 118.
-
[25]
Ibid., p. 134.
-
[26]
Ibid., p. 131.
-
[27]
Ibid., p. 130.
-
[28]
Ibid., p. 110.
-
[29]
Ibid., p. 143.
-
[30]
Ibid., p. 144.
-
[31]
Ibid., p. 89.
-
[32]
Nous retenons des processus de politisation la définition proposée par Jacques Lagroye, pour lequel « la politisation est une requalification des activités sociales les plus diverses, requalification qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activité ». Lagroye (J.), « Les processus de politisation », in Lagroye (J.), dir., La politisation, Paris, Belin, 2003, p. 360.
-
[33]
T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???…, op. cit., p. 167-168.
-
[34]
Ibid., p. 132.
-
[35]
Ibid.
-
[36]
Ibid., p. 169.
-
[37]
Des extraits de conversations entre policiers, reproduites dans les mémoires du commandant de l’état de siège à Adana le montrent : « Ici central, une fusillade a éclaté dans la rue (…), équipes 315 et 320, allez-y sur le champ. – Chien de fasciste ! Tu es devenu un homme, et maintenant tu donnes des ordres ? – Bâtard de communiste ! Vendu ! Fils de… », Bölügiray (N.), Sokaktaki Asker…, op. cit., p. 87.
-
[38]
Ibid., p. 51.
-
[39]
Un document envoyé au bureau juridique de la principale organisation « idéaliste », fait état de recherches menées sur les personnels des tribunaux de Yozgat et de Çank?r?, T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???…,op. cit., p. 187.
-
[40]
Ibid., p. 97.
-
[41]
Tanlak (Ö.), ?tiraf. Eski Ülkücü MHP’yi anlat?yor (Confession. Un ancien idéaliste explique le MHP), op. cit., p. 15.
-
[42]
T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???…, op. cit.,, p. 98.
-
[43]
Dobry (M.), Sociologie des crises politiques, op. cit., p. 154.
-
[44]
La confédération syndicale M?SK s’installe d’ailleurs dans la plupart des entreprises publiques dans lesquelles un nouveau directeur a été nommé par le gouvernement, pour prêter main-forte à la direction et faire taire, parfois par la force, les syndicalistes de gauche. La section locale obtient alors le droit de sélectionner le personnel, qu’elle recrute dans les milieux idéalistes de la ville.
-
[45]
Le Mouvement nationaliste agit comme s’il avait développé une tactique de constitution systématique de fronts avec les organisations de gauche, notamment dans les institutions étatiques dans lesquelles ces dernières étaient jusqu’alors en position de force.
-
[46]
Dobry (M.), Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 141.
-
[47]
Ibid., p. 143.
-
[48]
Zald et Usem montrent comment les coups tactiques d’un protagoniste contribuent à modifier les possibilités tactiques de ses concurrents : Zald (M. N.), Usem (B.), « Movement and Counter Movement Interaction: Mobilization, Tactics, and State Involvement », in Mac Carthy (J. D.), Zald (M. N.), eds, Social Movement in an Organizational Society, Morristown, Transaction Books, 1987.
-
[49]
On dispose d’informations assez détaillées sur ces tactiques de prise de contrôle pour la période couvrant le dernier gouvernement AP (novembre 1979 – septembre 1980), que le MHP soutient depuis l’Assemblée. Le 3 avril 1980, 100 enseignants sont renvoyés de l’Institut d’enseignement de Buca (Buca e?itim enstitüsü) après un remaniement de l’équipe administrative intervenue en faveur du MHP. Le 4 avril 1980, les enseignants diplômés de l’Institut d’enseignement Atatürk (Atatürk e?itim enstitüsü) donnent une conférence de presse pendant laquelle ils dénoncent le fait que les candidats MHP aient été prioritaires dans les choix d’affectation. Le 20 avril, 600 cadres et 1500 fonctionnaires, dont la plupart est membre de l’association de gauche Töb-Der, sont renvoyés du ministère de l’Éducation nationale ou sont mutés à des postes subalternes. En juin, la revue Le monde de l’enseignant (Ö?retmen dünayas?) annonce que depuis l’entrée en fonction du gouvernement AP, 8000 enseignants ont souffert de mutations non désirées, après avoir décliné l’invitation à s’inscrire à l’association idéaliste Ülkü-Bir. « Ay?n aynas? » (Le miroir du mois), Ö?retmen dünyas?, 5, mai 1980, p. 32-33 ; 6, juin 1980, p. 13-15 ; 8, août 1980, p. 31-32.
-
[50]
Le 4 mai 1980, les représentants étudiants du Lycée professionnel de Malatya dénoncent les faveurs dont bénéficient les lycéens sunnites depuis que le nouveau directeur, connu pour sa proximité avec les associations idéalistes locales, est entré en fonction. Le 24 juillet, ce sont les étudiants de l’École supérieure professionnelle (Meslek yüksek okulu) qui dénoncent le fait que les étudiants idéalistes ont reçu les sujets des examens avant les épreuves, et que tous les individus identifiés comme membres des associations étudiantes de gauche et d’extrême gauche ont vu la mention « tricherie » inscrite sur leur copie. « Ay?n aynas? » (Le miroir du mois), Ö?retmen Dünyas?, 5, 6, 8, art. cité.
-
[51]
« Töb-Der, Tüm-Der ve TÜTED süresiz kapat?ld? » (Töb-Der, Tüm-Der et TÜTED ferment pour une durée indéterminée), Milliyet, 8 février 1977, p. 1, 10.
-
[52]
L’interdépendance tactique élargie est définie par Michel Dobry comme le « passage d’une forme routinisée et, surtout, locale d’interdépendance des acteurs à l’intérieur d’un secteur particulier (forme d’interdépendance dans laquelle l’efficacité ou la valeur des ressources et lignes d’action à la disposition des divers acteurs est garantie par le cloisonnement relatif des secteurs les uns par rapport aux autres) à une forme d’interdépendance élargie qui tend à confronter directement les diverses ressources et lignes d’action, cloisonnées jusque-là, et à déterminer dans cette confrontation leur efficacité ou “valeur” », Dobry (M.), Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 160-161.
-
[53]
Briquet (J.?L.), Favarel-Garrigues (G.), « Introduction. Milieux criminels et pouvoir politique », in Briquet (J.?L.), Favarel-Garrigues (G.), dir., Milieux criminels et pouvoir politique. Les ressorts illicites de l’État, Paris, Karthala, 2008, p. 11-12.
-
[54]
Ainsi que le notent Jean-Louis Briquet et Gilles Favarel-Garrigues, « la détention d’un savoir-faire dans l’usage de la violence constitue dans nombre de ces cas une ressource intervenant dans la négociation avec les pouvoirs publics », Briquet (J.?L.), Favarel-Garrigues (G.), « Introduction. Milieux criminels et pouvoir politique », art. cit., p. 11-12.
-
[55]
Yalç?n (S.), « Kayseri’de silahl? bir Ak?nc? Gençlik kamp? hikayesi », Hürriyet, 2 septembre 1980.
-
[56]
Ibid.
1Pendant la seconde moitié des années 1970, les mobilisations sociales et politiques prennent une ampleur alors inédite en Turquie. Regroupés dans des organisations radicales antagonistes, les ouvriers et les étudiants animent quasi continuellement des campagnes locales ou nationales de mouvements sociaux. Les membres de la fonction publique, enseignants comme policiers, se mobilisent également et manifestent dans la rue leur hostilité aux gouvernements. Les altercations entre les militants radicaux sont de plus en plus fréquentes, et le nombre de morts augmente de façon continue. Dès 1977, le quotidien Milliyet déplore « une situation de guerre de rue [1] ». Des milices se constituent et exercent un contrôle territorial sur des quartiers de grandes villes ou en zones rurales. Les assassinats, les attentats et les fusillades deviennent quotidiens. L’État perd le contrôle de parties entières de son territoire, dans lesquelles les habitants subissent la domination de milices, seules capables d’assurer leur sécurité face aux unités du bord adverse [2]. Pendant l’été 1980, les affrontements entre extrêmes causent près de vingt morts par jour. Le nombre de morts passe de 4 en 1974 à 1939 pour les neuf mois de l’année 1980 précédent l’intervention militaire du 12 septembre 1980. Dans les provinces, les représentants de l’État subissent les intimidations et les menaces des groupes militarisés opposés aux partis au pouvoir et désirant garder la main sur des ressources locales. Dans ce contexte, la violence et les illégalismes deviennent des modalités d’action politique routinières. À la veille de l’intervention militaire, la situation politique, économique et sociale est perçue par l’ensemble des acteurs sociaux comme un chaos généralisé [3].
2Politiquement, les gouvernements se succèdent à un rythme soutenu à partir de 1974 [4]. Chaque alternance donne lieu au renouvellement d’une partie importante de l’administration, dont les membres, regroupés en organisations concurrentes, se mobilisent pour soutenir le parti qui a présidé à leur nomination. Si l’État semble donc dépassé dans sa fonction de maintien de l’ordre, il subit également une perte d’autonomie. Il est alors perçu, par l’ensemble des acteurs sociaux, comme une arène de concurrence entre organisations radicales désireuses d’accéder à ses ressources et à ses positions. Dans la presse, les mots « anarchie », « terreur » et « chaos » sont les plus employés pour décrire la situation, et la production scientifique consacrée à la période contribue à en faire une « crise généralisée » ou un chaos total.
3La grande majorité des travaux consacrés à cette crise repose sur les trois postulats : la symétrie des ressources et des positions [5] de l’extrême gauche et du Mouvement nationaliste [6] ; la « faillite » d’un État se incapable de maintenir l’ordre et d’assurer la sécurité de ses populations [7] ; et l’autonomisation de la violence [8], identifiable par la formation d’une conjoncture anarchique [9], ou prérévolutionnaire. Cependant, l’observation donne à voir une situation tout à fait différente. Ainsi, c’est l’asymétrie qui domine entre les protagonistes. Alors que l’extrême gauche regroupe un ensemble d’organisations généralement locales, très peu coordonnées entre elles, et n’accédant jamais au gouvernement, le Mouvement nationaliste bénéficie de la participation du MHP à plusieurs gouvernements de coalition. En outre, le parti préside à l’allocation et à la circulation des ressources dans son système d’action. Il dispose donc d’un avantage certain face à l’extrême gauche et peut mettre en œuvre des activités de pénétration de l’État, quand le MHP est au gouvernement, inenvisageables pour l’extrême gauche. Par ailleurs, il apparaît abusif de caractériser l’ensemble étatique par son absence, ou sa « faillite », puisque les institutions étatiques constituent la grande majorité des sites dans lesquels se déroulent les jeux concurrentiels entre les deux mouvances. L’État est donc au cœur du jeu, puisque les ressources et les positions qu’il permet de contrôler sont les enjeux mêmes des mobilisations radicales antagonistes. Enfin, la violence ne s’autonomise que marginalement des rapports de forces politiques, l’analyse montrant clairement que le niveau de violence n’est jamais aussi élevé que lorsque les activistes « idéalistes » peuvent s’appuyer sur les soutiens qu’il trouvent auprès des membres fonctionnarisés du Mouvement, quand le MHD parvient à pénétrer l’État [10].
4Il y a donc lieu de reprendre à nouveaux frais l’analyse de la crise politique turque de la seconde moitié des années 1970, en s’attachant à étudier les stratégies d’implantation dans l’État des acteurs en conflit, ainsi que les effets d’agrégation et de composition de leurs activités tactiques. Nos résultats contribuent à une sociologie des situations de crises politiques prolongées, caractérisées par la perte de capacité de l’État à exercer ses monopoles de violence physique et symbolique légitimes. Ils permettent plus généralement de rendre compte de situations de crises politiques qui diffèrent sensiblement des conjonctures critiques analysées par Michel Dobry dans sa Sociologie des crises politiques. En effet, alors que les crises analysées par Michel Dobry ne durent que quelques semaines (mai 1968), parfois quelques jours (février 1934), la crise turque s’étend sur cinq années, ce qui laisse présumer de la persistance ou de l’adaptation des capacités tactiques des agents au cours du temps. Dans les conjonctures critiques identifiées par l’auteur de la Sociologie des crises politiques, la désectorisation rapide des jeux sociaux produit une forte volatilité de la valeur des ressources, produisant une inhibition des capacités tactiques des agents. Dans le cas turc, on observe bien un « décloisonnement […] des logiques sectorielles [11] », un « désenclavement des espaces de confrontation [12] », un élargissement des « espaces d’interdépendance », ainsi qu’une désobjectivation des institutions, notamment étatiques, mais ce sont les stratégies fluctuantes des acteurs, menées sur des temps longs (à l’horizon d’une législature, ou d’un gouvernement), visant à l’implantation dans l’État et à l’accumulation de ressources, qui contribuent à l’intensification de ces mécanismes de crise. Ainsi, on n’observe pas de régression vers les habitus, ni d’incertitude généralisée des calculs, mais bien au contraire un usage stratégique de la diffusion des mobilisations, de la violence et du désordre. Ici, c’est la mise en œuvre et la confrontation de tactiques d’accès aux ressources publiques qui produisent la modification des règles [13] des jeux étatiques et politiques.
5Nous faisons l’hypothèse que les mécanismes constitutifs de la crise – politisation des institutions publiques et perte d’objectivité de l’État [14], multisectorisation des mobilisations et diffusion de l’usage de la violence irrégulière – résultent d’initiatives tactiques mises en œuvre par les protagonistes du conflit, et plus particulièrement par le Mouvement nationaliste. Afin de tester l’hypothèse, nous analyserons la façon dont la mise en œuvre, par le Mouvement nationaliste, de ce qu’on peut identifier comme une stratégie d’accès au pouvoir reposant sur le triptyque participation électorale – pénétration de l’État – violence physique, a contribué à la formation et à l’intensification des processus constitutifs de la crise. Il s’agit donc de comprendre comment le Mouvement nationaliste a réussi, grâce aux ressources et aux positions dont il a pu disposer, à gagner en influence dans le jeu qui l’oppose à l’extrême gauche, mais également sur le cours du jeu, en contribuant à la modification des règles des jeux étatiques (politisation et désobjectivation de l’État) et politiques (diffusion des mobilisations et usage routinier de la violence comme mode d’interaction politique).
6Plusieurs types de sources sont utilisés dans ce travail. Les activités étudiées étant essentiellement illégales et toujours sujettes à polémiques, elles sont généralement cachées ou tues, dans les documents d’archive consultables ou lors des entretiens réalisés avec d’anciens militants. La multiplication des sources et la comparaison systématique des informations qu’elles proposent ont ainsi permis de vérifier la véridicité de chacune d’elle et de disposer d’un faisceau d’informations concordantes pour chacun des points abordés. Le réquisitoire préparé par le procureur militaire du commandement de l’état de siège des provinces d’Ankara, Çank?r? et Kastamonu pour le procès du MHP et des institutions idéalistes, tenu à partir du 29 avril 1981 [15], constitue la source la plus riche, et paradoxalement la moins mobilisée à ce jour, pour étudier les activités du Mouvement nationaliste. Des précautions doivent bien sûr être prises dans l’utilisation des données du réquisitoire, afin de ne pas importer dans le champ de la production scientifique les arguments des institutions de justice militaire [16]. On ne saurait trop se méfier d’une production émanant d’un tribunal convoqué par les militaires quelques mois après leur prise du pouvoir, dont l’action visait à l’interdiction d’un parti identifié comme l’un des principaux acteurs des troubles ayant mené au coup d’État du 12 septembre 1980. Si les informations contenues dans ce document sont généralement justes, leur présentation, ainsi que l’analyse qu’en fait le procureur apparaissent souvent biaisées, l’objectif des militaires résidant dans l’élimination du Mouvement nationaliste et dans la justification de leur intervention. Les données proposées restent néanmoins vérifiables, notamment grâce à la mobilisation de sources de presse ou de mémoires de militants. Nous avons ainsi mené un travail de comparaison et de vérification systématique des informations proposées par le réquisitoire en menant le dépouillement de deux des plus grands quotidiens nationaux de l’époque, Cumhuriyet et Milliyet, parus entre janvier 1977 et décembre 1980, et en mobilisant des mémoires et des témoignages d’anciens militants [17] ou de protagonistes des arènes officielles [18] en poste avant le coup d’État.
7Nos propos suivent chacun des processus constitutifs de la crise, ceci afin de mieux analyser leur concaténation. Dans un premier temps, nous montrerons comment la pénétration de l’ensemble étatique par le Mouvement nationaliste a provoqué une désobjectivation de l’État par la politisation des pratiques de ses membres et les possibilités qu’elle a offertes aux membres du Mouvement d’intensifier leurs activités de violence physique. Nous étudierons ensuite la façon dont les mobilisations « idéalistes » dans les arènes étatiques ont provoqué la diffusion des mobilisations et l’entrée en cohérence des rythmes et des enjeux sectoriels. Nous analyserons alors comment la violence est devenue une modalité routinière d’interaction et d’action politique et, par effet de rétroaction, a participé à l’intensification des mécanismes qui avaient contribué à la faire advenir.
Captation des ressources étatiques et désobjectivation de l’État
Les modalités de la pénétration « idéaliste » de l’État
8En Turquie davantage que dans la plupart des pays européens, l’historicité des « pratiques de l’État » donne à voir de nombreux cas de chevauchement des sphères sociales, politiques et administratives. Des pratiques de captation des ressources étatiques, mises en œuvre par les acteurs sociaux et politiques dominants, sont observables au moins depuis la proclamation de la République en 1923. À Ankara, l’État donne ainsi l’image d’un ensemble perméable aux forces politiques qui accèdent au gouvernement, exposé aux tactiques partisanes visant à l’instrumentaliser et à le soumettre à leurs propres intérêts. Par le contrôle des nominations et des promotions dans la fonction publique, les partis au pouvoir s’assurent un mode de rétribution efficace de leurs soutiens, tout en disposant du concours d’une administration acquise à leur cause [19].
9Au cours des années 1970, les systèmes d’action [20] d’extrême droite et d’extrême gauche disposent des positions nécessaires pour prendre part à la captation des ressources publiques. Les formes de ces captations diffèrent selon les opportunités stratégiques dont ils disposent. Seul le Mouvement nationaliste parvient à faire de la pénétration de l’État un mode de captation de ses ressources. Aucune organisation d’extrême gauche n’accédant au gouvernement, elles ne peuvent jamais intervenir dans les nominations au sein des institutions centrales. Exclues des réseaux collusifs donnant accès à la distribution des emplois, les organisations d’extrême gauche ne peuvent s’imposer que par la mobilisation, qui leur permet ponctuellement de dominer les rapports de forces internes aux institutions. En devenant un partenaire gouvernemental du Parti de la justice (Adalet Partisi, AP, centre droit) entre mars 1975 et janvier 1978, le MHP parvient quant à lui à investir les institutions centrales et déconcentrées de l’État en captant ce qu’on peut identifier comme leurs « ressources d’autorité ». Il gagne un pouvoir d’intervention sur le recrutement et les carrières des membres de multiples institutions publiques, et notamment des ministères qu’il contrôle. Une fois au gouvernement, il pénètre l’État en court-circuitant les procédures de recrutement réglementaires de la fonction publique et en leur substituant des modes de valorisation des profils individuels qui lui sont propres. Il s’emploie alors à recruter les cadres des échelons supérieurs des institutions publiques, qui mènent ensuite, à leur niveau, une politique de recrutement partisan.
Le MHP et le Mouvement nationaliste (1969-1980)
Lors des élections législatives du 14 octobre 1973, le MHP n’obtient que 3,4 % des suffrages exprimés et trois postes de députés, mais ni l’AP (Parti de la justice, centre droit) ni le CHP (Parti républicain du peuple, centre gauche) ne disposent du nombre de députés nécessaire pour gouverner seuls. En mars 1975, l’AP parvient à constituer un premier gouvernement de coalition, le gouvernement de Front nationaliste (Milliyetçi Cephe). Le MHP y négocie habilement sa participation et obtient deux ministères. Lors des élections législatives du 5 juin 1977, le MHP obtient 6,4 % des suffrages exprimés et 16 sièges de député. Un second gouvernement de Front nationaliste (ikinci Milliyetçi Cephe) est formé, qui reste aux affaires du 21 juillet 1977 au 5 janvier 1978 et dans lequel le MHP occupe cinq ministères. Son passage au gouvernement lui permet d’obtenir la nomination de militants et de sympathisants dans les institutions et les entreprises publiques du pays. Il dirige ses efforts vers les institutions sécuritaires et judiciaires – qui lui permettent d’assurer l’impunité à ses activistes –, l’enseignement supérieur – qui représentent un vivier de militants potentiels –, et les entreprises publiques – dans lesquelles il recrute les clientèles électorales de ses sections locales.
La véritable militarisation du Mouvement nationaliste intervient en 1978, quand il perd ses positions gouvernementales. Des groupes clandestins armés sont constitués, qui mènent une politique de déstabilisation du gouvernement par l’intensification de la violence, notamment en organisant plusieurs pogroms dirigés contre les populations suspectées d’apporter leurs voix au parti de centre gauche alors au pouvoir.
En novembre 1979, le MHP renouvelle son soutien au Parti de la justice, mais refuse de participer au gouvernement que celui-ci prévoit de constituer. Il semble préférer une position lui assurant de ne pas subir électoralement les déconvenues que le nouveau gouvernement allait rencontrer à coup sûr, dans une période de crise économique et sociale inédite dans le pays. C’est donc depuis l’assemblée qu’il soutient le nouveau gouvernement minoritaire, formé par le parti de centre droit jusqu’à l’intervention militaire du 12 septembre 1980. Pendant cette période, il ne participe donc pas au gouvernement, mais parvient à retrouver des positions dans l’ensemble étatique, en menaçant l’AP de rompre l’accord passé, et en faisant peser la menace d’une nouvelle vague de violence, qu’avait rencontrée le gouvernement précédent.
Lorsque les militaires prennent le pouvoir le 12 septembre 1980, le MHP est fermé. Les cadres du Mouvement, ainsi qu’une grande partie de ses militants, sont jugés puis emprisonnés, tout comme le sont ceux de l’ensemble des organisations politiques et syndicales du pays.
10Le 21 juillet 1977, Gün Sazak est nommé ministre des Douanes et des Monopoles du second gouvernement de Front nationaliste. Dès son entrée en fonction, il recrute au ministère des militants du parti et des associations qui lui sont liées. Ce personnel partisan [21] facilite les relations entre le parti et ses sections implantées en Europe, sert d’intermédiaire entre les cadres du parti et les activités du ministère et fait de celui-ci l’un des bastions du MHP. Il suffit alors de se rendre dans les institutions rattachées au ministère avec une lettre de recommandation signée du ministre, d’un cadre du ministère ou d’Alparslan Türke?, le président du MHP, pour être recruté [22]. Le plus souvent, il s’agit de contrôler les postes placés aux plus hauts échelons des institutions visées, pour que leurs détenteurs mènent à leur niveau une politique de recrutement pro-partisane. C’est ce qui se passe lorsque Agâh Oktay Güner, ministre du Commerce MHP du second gouvernement de Front nationaliste (juillet 1977-janvier 1978), nomme Abdurrahman Sa?kaya au poste de directeur général de la gigantesque usine de production de textile Antbirlik à Antalya. Le nouveau directeur mène alors un travail de grande ampleur de recrutement d’« idéalistes » de la province [23]. La même logique est appliquée au ministère de la Santé, quand le ministre Gökçek fait nommer à plusieurs postes de directeurs d’hôpitaux des individus proches du parti, chargés de recruter leur personnel parmi les supporters locaux du MHP.
11En novembre 1979, au terme de près de deux ans de présence du CHP (centre gauche) au gouvernement, l’AP (centre droit) parvient à former un gouvernement minoritaire, soutenu à l’assemblée par le MHP, qui refuse l’exercice du pouvoir et mise sur la dégradation de la situation sociale. Le soutien « conditionnel » qu’il accorde au gouvernement AP, qui ne peut se passer de ses alliés à l’assemblée, lui permet de regagner quelque influence. De nombreux cas de pénétration des institutions d’État par le MHP sont observables pendant cette période. Le ministère de l’Intérieur, et la direction générale de la Sécurité qui en dépend, deviennent une cible privilégiée du parti, qui réussit à y faire nommer un nombre important de militants [24] en court-circuitant les procédures de recrutement de l’institution. Dans la police, le MHP encourage le recrutement de certains de ses membres par le soutien de cadres locaux, en transmettant aux instances compétentes des listes de militants ou de sympathisants en vue de leur recrutement [25]. Parfois, il s’agit de démarches individuelles. Ainsi, le 3 septembre 1980, un commissaire en poste à la direction de la Sécurité d’Izmir écrit au président général du MHP. Il lui fait part de son souhait de voir un individu, présenté comme membre du parti, profiter d’une nomination à venir au département du Renseignement [26].
12D’autres documents suggèrent que cette pratique fut véritablement organisée par le parti [27], comme ce fut le cas dans les institutions du ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Les membres « idéalistes » de ces institutions parviennent régulièrement à y faire inscrire des étudiants membres du parti ou sympathisants. Ils leur garantissent parfois également d’obtenir leurs diplômes [28]. Une fois en poste, ce personnel met sur pied des associations sectorielles. Le procureur militaire du procès du MHP, tenu à partir d’avril 1981, affirme à leur propos que « le but de ces associations est, en s’organisant dans les institutions d’État, de produire des rapports sur les personnels communistes y travaillant, les faire transférer, éliminer les personnels et les cadres qui ne partagent pas leurs vues politiques, assurer un soutien financier à Ülkü-Bir [l’association d’enseignants « idéalistes »] en rassemblant des cotisations, s’arranger pour faire renvoyer les membres communistes de l’institution tout en s’assurant qu’à leur place des idéalistes soient nommés et essayer d’être influents dans la sphère étatique [29] ». Dans chaque institution investie par le Mouvement nationaliste, un responsable est désigné et des sections sont créées, qui envoient des rapports réguliers à des responsables nationaux nommés par le parti. Par ailleurs, des séminaires sont organisés toutes les deux semaines à Ankara, auxquels sont conviés les présidents de sections et les personnes influentes des associations idéalistes. On y discute de la doctrine « idéaliste » et de la façon d’organiser le noyautage [30]. Plus généralement, lors des séances de formation dispensées par le parti, certains modules sont réservés à cette activité de noyautage et de mobilisation interne aux institutions. Ainsi, une séance s’intitule « importance de l’éducation dans le mouvement idéaliste, l’éducation dans nos activités de noyautage, l’éducation pour pénétrer les foules, l’éducation encore pour conquérir l’État », une autre est consacrée aux « noyautage (kadrola?ma), massification (kitlele?me) et étatisation (devletle?me) [31] ». En ce sens, il n’est pas permis de douter de l’aspect organisé et planifié de cette démarche. On peut en outre considérer que l’interconnaissance et les liens politiques, qui deviennent les deux principes de nomination dans l’État vont à l’encontre de tout un arsenal juridique visant à protéger les frontières de l’État, et à conférer aux fonctionnaires des valeurs de service public par une socialisation profonde à l’État. Grâce à ses positions gouvernementales, le parti peut substituer aux règles de droit organisant l’accès à la fonction publique un mode de valorisation des profils individuels qui lui est propre.
Politisation des pratiques des fonctionnaires et désobjectivation de l’État
13Les activités de captation développées par le Mouvement nationaliste influent sur les règles des jeux étatiques en provoquant la politisation [32] des pratiques des fonctionnaires. Sur les sites concernés, les agents de la fonction publique en viennent, dans la pratique quotidienne de leur profession, à marginaliser les membres du camp opposé et à soutenir ceux de leur système d’action. Une fois en poste, les fonctionnaires du Mouvement nationaliste mènent des activités de renseignement pour le parti. Plusieurs documents retrouvés au siège du MHP en attestent. Cet extrait d’un rapport émanant d’un service non désigné illustre la façon dont les militants fonctionnarisés produisent de l’information sur les rapports de forces internes aux institutions :
« Rapport d’information sur la situation de notre direction de région (bölge). […] La situation des cinquante et une personnes en service est la suivante. Neuf idéalistes, sept MSP [Milli Selamet Partisi, Parti du salut national, droite islamiste], dix AP, six d’organisations de gauche. Les autres sont généralement CHP ou neutres. Aucun de nos huit amis idéalistes n’est cadre, tous sont des fonctionnaires. Conclusion : le personnel de notre nouvelle direction va doubler d’ici peu de temps. Pour nous assurer d’une influence dans notre bureau, il nous faudra disposer de davantage de membres dans le personnel qui sera nommé. Il faudra nous assurer que nous ayons au moins quelques amis parmi les cadres (par exemple le directeur, ou un directeur adjoint) qui seront bientôt nommés [33]. »
15Des rapports retrouvés au siège du parti lors des investigations précédant son procès contenaient les noms, prénoms et lieux d’exercices d’officiers de police, principalement en activité dans les grandes villes du pays. Sur ces fiches, des évaluations subjectives basées sur les idées politiques des fonctionnaires étaient mentionnées et il était indiqué si ceux-ci partageaient, ou non, les vues de l’auteur. Selon le procureur, les correspondances retrouvées par la justice prouvent que dès « 1976 et 1977 une partie des officiers de police et des fonctionnaires travaillant à la direction de la sûreté d’Ankara produit des évaluations basées sur les préférences politiques de leurs collègues, spécifiant s’ils sont de gauche ou de droite. Des suggestions sont ajoutées à ces évaluations [34] ». Dans une lettre envoyée au président du MHP, le président des services juridiques de la province de Hakkari l’informe que « le personnel des services juridiques d’Hakkari a été classé selon ses idées politiques et ses croyances, [et que] cette évaluation s’appuie sur des sources fiables [35] ». Par ce travail de rassemblement de données sur le personnel des institutions, le parti peut évaluer son influence et identifier les individus qu’il pourra approcher. Une lettre envoyée par un militant en poste au ministère de l’Intérieur au président du MHP témoigne de ces activités :
« Le préfet de ……, était kurdiste dans sa jeunesse, mais il a changé avec le temps. Il est entré au MSP pour devenir préfet. Puis s’est rapproché de l’AP. Son but est d’entrer au Parlement. Si une proposition lui est faite par le MHP, il peut l’accepter. […] S’il est approché de façon intelligente, il peut être utilisé [36]. »
17Grâce à ces descriptions et conseils, le parti dispose des informations nécessaires pour passer des transactions avec les fonctionnaires en poste. Ces activités de renseignement servent le parti dans la compétition électorale, mais également dans les rapports de concurrence qu’il entretient avec la gauche.
18On remarque donc que les principes générateurs des pratiques et des sociabilités des fonctionnaires relèvent davantage de leurs positions politiques que des normes de neutralité qu’impose théoriquement leur fonction. Dans la police, par exemple, la concurrence entre Pol-Bir, l’association de policiers du Mouvement nationaliste, et Pol-Der l’association de gauche, aboutit à la politisation des interactions et des pratiques professionnelles. Dans l’exercice de leurs fonctions, les policiers nationalistes et socialistes s’insultent, se battent et abandonnent toute neutralité lorsqu’il s’agit de rétablir l’ordre [37]. Il arrive ainsi que les policiers envoyés sur les lieux d’affrontements entre groupes d’extrême gauche et d’extrême droite en viennent à prendre part aux altercations, chacun d’eux se rangeant d’un côté ou de l’autre des deux camps en présence [38].
19La politisation des pratiques professionnelles se repère enfin dans le soutien quotidien qu’apporte le personnel « idéaliste » aux sections et militants du Mouvement. En cas de fermeture par la justice de sections locales d’associations, les cadres du parti utilisent les réseaux constitués dans l’administration provinciale pour invalider la décision [39]. C’est ainsi qu’en février 1978, le responsable de la section d’Izmir sollicite et obtient l’aide du préfet de province après la fermeture de la première chambre des Foyers idéalistes de Bornova [40]. Mise à part la période de gouvernement CHP (qui donne à voir des arrangements locaux plus contrastés), lorsque des militants sont arrêtés par la police à la suite d’une opération armée, la branche locale du MHP contacte des cadres du parti (dirigeants ou élus), qui, par l’entremise d’un ministre MHP ou AP, les font libérer en s’entretenant avec le commissaire compétent [41]. Cette implantation du parti dans l’État lui permet donc d’assurer une certaine impunité à ses activistes. Parfois, le parti s’assure de soutiens plus élevés dans l’administration. Des notes prises par Necati Gültekin, le secrétaire général du MHP, dans son agenda montrent ainsi qu’un chef de la sûreté (Emniyet Müdürü), dont le nom n’est pas précisé, a été remercié lors d’un conseil de la présidence du MHP pour sa médiation dans l’autorisation de port d’arme accordée à certains militants du parti [42].
20Ces activités de pénétration des institutions étatiques, mises en œuvre par le MHP, remettent en cause « l’extériorité des rapports sociaux, leur impersonnalité et leur perception sur le mode de “ce qui va de soi” [43] », qui tendaient à objectiver et à consolider l’État par les pratiques de ses membres et dans les perceptions de ses publics. Par ailleurs, si les partis de gouvernement ont régulièrement utilisé les positions de la fonction publique comme mode de rétribution de leurs militants et comme moyens de distribution de multiples passe-droits à leurs clientèles électorales, ils ne s’en sont jamais servis comme modalité d’intensification d’activités de violence physique irrégulière. Cet usage que fait le MHP de ses positions dans les arènes étatiques comme ressources mobilisables dans la mise en œuvre de la violence est donc novatrice en Turquie. C’est également par cette connexion qu’il opère entre arènes officielles et activités de violence irrégulière qu’il contribue à la désobjectivation de l’État comme garant du maintien de l’ordre et de la sécurité, les administrés tendant à s’en remettre aux organisations captatrices pour assurer leur protection. Ainsi, pendant la seconde partie des années 1970, les policiers ou les enseignants ne sont plus perçus comme des agents de l’État, mais comme des membres de l’un ou de l’autre des ensembles mobilisés dans les institutions.
Diffusion des mobilisations et entrée en cohérence des rythmes et des enjeux sectoriels
21Les mobilisations conflictuelles qui apparaissent en Turquie dans les années 1970 se déroulent dans la plupart des cas dans des secteurs se caractérisant par leur proximité avec le champ étatique. L’Education nationale, la Police, les institutions judiciaires ainsi que les administrations déconcentrées, mais également les entreprises et les coopératives publiques (de la coopérative agricole Tari? à Izmir à la société de Radio et de Télévision de Turquie) deviennent progressivement des sites de conflit. Cette diffusion du conflit trouve sa dynamique dans la tactique d’implantation du Mouvement nationaliste dans l’État. Dès son accès au gouvernement, le MHP préside à la création d’organisations censées l’aider à intensifier sa présence dans les institutions publiques. Son personnel s’emploie alors à la marginalisation de ceux qui refusent d’adhérer à la nouvelle association du Mouvement, aux premiers rangs desquels se trouvent les membres des associations d’extrême gauche, soutenant électoralement le CHP de centre gauche [44].
22Partout où des organisations « idéalistes » se constituent, des relations de concurrence se structurent autour d’une ligne de division voyant s’opposer les supporters des partis de la coalition de Front nationaliste – à laquelle participe le MHP – aux « progressistes », « gauchistes » ou « socialistes », membres d’associations professionnelles concurrentes [45]. Les associations du Mouvement nationaliste profitent de la structure organisationnelle de ce dernier pour coordonner leurs activités et servir la tactique d’accès au pouvoir du parti, dont le succès doit assurer la pérennité des positions occupées dans l’État. L’activité tactique « idéaliste » provoque donc une reconfiguration des jeux sectoriels. Pour l’extrême gauche, elle permet l’identification d’un adversaire commun, dont chaque représentant sectoriel est un concurrent direct. Partout, le conflit idéologique se dévoile en conflit d’intérêts, dont la défense nécessite la coordination intersectorielle. Se produit alors un « décloisonnement […] des logiques sectorielles [46] », et un « désenclavement des espaces de confrontation, ou, si l’on préfère, des arènes ou lieux de compétition propres aux divers secteurs [47] », qui tendent à produire une bipolarisation généralisée des arènes étatiques.
23Dans les institutions de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur par exemple, les activités de pénétration menées par le Mouvement nationaliste entraînent une multicatégorisation des mobilisations de gauche [48]. À partir de l’année 1975-1976, le MHP dispose des positions nécessaires pour passer des accords avec les personnels en place. Nous l’avons vu, sa présence au gouvernement lui confère tout un ensemble de ressources lui permettant de négocier l’accès à ces institutions avec le personnel en fonction ou de le forcer en intervenant directement dans les nominations. Les administrations et le personnel technique sont renouvelés, les enseignants membres d’associations de gauche sont mutés et les étudiants militants ou sympathisants des organisations étudiantes révolutionnaires sont renvoyés ou perdent toute possibilité d’obtenir leur diplôme. Certains lycées, écoles professionnelles ou instituts de formation des enseignants deviennent [49] ainsi, dans le jargon du parti, des « institutions libérées » (kurtar?lm?? kurulu?lar), dans lesquelles l’administration dispose du pouvoir de mise à pied ou de mutation du personnel technique et enseignant opposé à la ligne « idéaliste ». Le personnel partisan, ainsi que les étudiants inscrits pour leur proximité avec le Mouvement nationaliste peuvent également y exercer des pressions (physiques et administratives) sur les étudiants qui leur sont hostiles [50]. Ces activités tendent à produire une entrée en cohérence des revendications et des mobilisations étudiantes, enseignantes et techniques animées par les diverses organisations de gauche, en homogénéisant les revendications de ces populations menacées de perdre leur emploi ou leur statut d’étudiant et soucieuses de leur propre sécurité physique. À l’école, mais cela est aussi vrai dans d’autres institutions publiques, ce sont les activités tactiques du Mouvement nationaliste qui, en homogénéisant les revendications des associations catégorielles d’extrême gauche et les risques encourus par leurs membres, ont encouragé la coordination des mobilisations sur ces sites.
24Les mobilisations deviennent également multisectorielles. Les agendas et les rythmes sectoriels s’harmonisent sous l’effet de ces campagnes aux revendications partagées. Pendant les périodes de gouvernement AP ou de Front nationaliste, beaucoup de ces campagnes communes visent à soutenir les membres d’associations victimes des activités de pénétration mises en œuvre par les partis de gouvernement. À chaque fois, il s’agit de dénoncer le fascisme du gouvernement de Front nationaliste tout en exprimant des revendications sectorielles ou en soutenant les mouvements animés par d’autres organisations. Ainsi, quand le préfet d’Ankara parvient à faire fermer Töb-Der, Tüm-Der et TÜTED, trois associations de fonctionnaires de gauche, le 7 février 1977, une campagne de soutien à ces associations est animée par les organisations étudiantes et la confédération syndicale révolutionnaire D?SK. Le CHP, sans doute soucieux de préserver les soutiens électoraux qu’il trouve dans ces associations, réclame leur réouverture, alors que le gouvernement de Front nationaliste accueille favorablement la décision du préfet [51]. Toutes les organisations mobilisées critiquent alors la « fascisation » de la fonction publique menée par le gouvernement, ainsi que le travail de sape mené à l’encontre des organisations « progressistes ».
25Il n’apparaît pas que ce décloisonnement des logiques sectorielles s’accompagne d’une « évasion des calculs », ou d’une perte des capacités tactiques des acteurs. Au contraire, seule l’observation des activités tactiques permet de comprendre l’entrée en cohérence des mobilisations et la déspécification des jeux et des enjeux sectoriels qui résultent de « coups » joués par le Mouvement nationaliste afin de diversifier ses sites d’implantation et multiplier ses possibilités d’accès aux ressources publiques. Par ailleurs, l’entrée en cohérence des mobilisations animées par les organisations d’extrême gauche ne peut pas non plus être appréhendée comme le résultat d’une perte de capacité tactique des acteurs sociaux. La participation à des campagnes initiées dans d’autres secteurs correspond toujours à une volonté de modifier des rapports de forces locaux. Elle donne l’occasion de dénoncer le sort similaire subi localement (difficultés d’accès à l’emploi, marginalisation, etc.), de publiciser et d’universaliser des revendications sectorielles (ayant trait aux rémunérations ou au déroulement des carrières par exemple), en relayant, en s’appropriant et en transformant des revendications formulées par des organisations victimes du même traitement dans d’autres secteurs.
26La volonté du Mouvement nationaliste d’étendre son influence dans les institutions publiques aboutit à la multiplication des sites de confrontation, à la bipolarisation des espaces de concurrence et à l’entrée en cohérence des mobilisations. C’est en ce sens qu’on peut considérer que les activités de captation déployées par le Mouvement nationaliste dans l’État ne lui donnent pas uniquement un avantage au jeu. Elles lui confèrent une influence sur le déroulement de l’échange de coups avec l’extrême gauche. Il acquiert la maîtrise du rythme et des modalités de l’interaction. On peut alors considérer que l’activité du MHP place ses concurrents dans une situation d’« interdépendance tactique élargie [52] », dans laquelle le système d’action idéaliste peut user de sa multipositionnalité et de la forte coordination de ses éléments pour prendre le dessus sur ses concurrents directs.
La diffusion de la violence comme modalité routinière d’interaction politique
La continuité des activités conventionnelles et non-conventionnelles au Mouvement nationaliste
27La modification des règles des jeux politiques se caractérise également par la transformation des modalités d’action politique et d’accès aux ressources, identifiable dans la façon dont les illégalismes et l’usage irrégulier de la violence deviennent « des leviers d’accumulation de ressources économiques et politiques, de contrôle social et territorial, […] des instruments d’exercice du pouvoir [53] ». Violence et illégalismes s’épanouissent dans les interstices qu’offre la faiblesse des moyens de l’État, mais ces activités ne se réalisent pas « malgré » l’État, puisqu’elles se pérennisent grâce aux contacts dont les groupes disposent dans son appareil. Si les institutions publiques semblent hors-jeu en tant qu’acteurs autonomes, les rapports de forces qu’elles abritent sont déterminants. Les formes, les rythmes et l’intensité des activités de violence s’articulent aux rapports de forces entre les réseaux coalitionnels du Mouvement nationaliste et ceux de l’extrême gauche dans les arènes situées aux différents niveaux de l’action publique (des arènes municipales aux arènes nationales). Cependant, alors que les activités de violence mises en œuvre par les organisations d’extrême gauche sont en quelque sorte séparées des autres activités des groupes, peu organisées, ou mobilisées par des groupes autonomisés des organisations mères ou des militants désireux d’en découdre avec les « idéalistes », on constate une continuité entre les activités de violence et les autres, plus conventionnelles, mises en œuvre par les membres du Mouvement nationaliste. Ainsi, c’est grâce aux relations collusives entretenues avec les protagonistes des arènes officielles que se développent ces activités : le niveau de violence n’est jamais aussi élevé que quand le système d’action « idéaliste » bénéficie de soutiens dans l’administration, dans des zones où il est politiquement minoritaire. C’est quand le MHP accède aux pratiques de nomination dans la fonction publique que les sections locales du Mouvement passent le plus souvent à l’action – les soutiens qu’elles trouvent auprès des organes déconcentrés de l’État leur permettant de tenir tête aux municipalités de gauche. L’asymétrie de ressources observée entre les deux systèmes d’action intervient une fois de plus dans les opportunités dont ils bénéficient, puisque c’est la coordination des sous-unités du Mouvement nationaliste et les positions occupées par le MHP dans les arènes centrales qui permettent aux « idéalistes » d’imposer localement la violence comme ressource mobilisable dans la compétition politique, syndicale ou économique.
Intensification et diffusion de l’usage de la force : l’effet surgénérateur de l’usage de la violence sur les processus de crise
28Au niveau local, la constitution de milices, ou d’unités spécialisées dans le travail de violence permet notamment d’obtenir le départ de populations connues pour le soutien électoral qu’elles apportent au camp opposé (c’est ce qui se passe dans les villes de Kahramanmara?, Çorum ou Malatya, lorsque les milices « idéalistes » s’attaquent aux populations connues pour apporter leur soutien électoral au CHP de centre gauche). Les unités mises en place dans la plupart des grandes villes du pays se chargent d’éliminer les responsables locaux des organisations adverses. Les attentats et fusillades à l’aveugle visent à intimider et à briser la mobilisation de l’autre camp, en particulier quand ils sont perpétrés dans des lieux de rassemblement, tels les cafés, salons de thé, librairies, locaux de partis ou d’associations, bâtiments des facultés et foyers universitaires dans lesquels l’adversaire est en position de force. Au Mouvement nationaliste, la violence s’intègre donc à une tactique plus large d’accès aux ressources. La forte coordination de son système d’action permet au MHP de se servir de la menace que font peser les milices ou les groupes militarisés comme ressource dans les négociations qu’il mène pour l’accès aux activités de captation [54]. Lorsqu’un gouvernement minoritaire AP se forme en novembre 1979, le MHP négocie des positions dans l’appareil d’État en échange de son soutien conditionnel au gouvernement depuis l’assemblée. Mais l’AP semble également lui accorder une influence dans l’État afin de ne pas avoir à subir les conséquences d’une nouvelle vague de violence, qu’avait dû supporter le gouvernement précédent lors de son entrée en fonction. Le MHP peut alors se servir des activités de violence des sections militarisées de son système d’action pour accéder à l’occupation de positions dans l’administration. Ces activités lui confèrent ainsi des ressources de violence lui permettant de faire peser sur le gouvernement la menace d’une intensification du conflit si l’accès aux positions publiques ne lui est pas reconnu. L’intensification et la généralisation de l’usage de la violence sont donc porteuses d’effets de rétroaction, puisqu’elles fonctionnent comme des mécanismes surgénérateurs des activités de captation et de la désobjectivation de l’État.
29À partir de 1979 s’opère une généralisation de l’usage de la violence comme modalité d’action politique. Face aux exactions du MHP, l’extrême gauche se militarise, et des groupes extérieurs aux deux mouvances s’arment afin de se défendre ou de prendre part, eux aussi, à la captation et à la redistribution des ressources étatiques. D’autres, affiliés aux partis politiques modérés, mettent en place des formations aux sports de combat et des unités destinées à tenir tête aux sections « idéalistes » ou d’extrême gauche qui les menacent dans les arènes locales. C’est le cas de l’Association des Ak?nc?lar (Ak?nc?lar Derne?i), dont les membres sont généralement affiliés au MSP [droite islamiste], qui met en place à partir de 1979 une trentaine de camps de formation à l’action armée [55], afin de former « les frères de religion aux fonctions qu’ils prendront dans la lutte difficile qui se prépare [56] ». Cette diffusion de la violence doit alors être analysée comme le signe d’une modification généralisée des règles des jeux politiques, les groupes politiques tendant à intégrer ce mode d’action à leurs interactions. À la fin de la décennie, mobilisations, pénétrations des arènes publiques et violence deviennent les trois piliers de l’action politique du Mouvement nationaliste et de l’extrême gauche, mais aussi d’un nombre croissant d’acteurs, certains partis et groupes modérés reproduisant ces pratiques afin d’accéder aux ressources ou pour garder la main sur celles qu’ils contrôlent.
30*
31La configuration sociopolitique turque de la seconde moitié des années 1970 se caractérise donc par la co-occurrence de deux processus distincts : la modification des règles des jeux politiques (multisectorisation des mobilisations et diffusion de la violence) et celle des règles des jeux étatiques (politisation et désobjectivation des institutions étatiques). Ces processus sont liés, puisque ce sont les activités de captation des ressources étatiques mises en œuvre par le MHP qui lui permettent d’intensifier l’usage de la violence physique comme mode d’accès aux ressources et qui provoquent la désobjectivation de l’État et la multisectorisation des mobilisations. L’analyse a montré l’importance de l’observation des initiatives du Mouvement nationaliste dans la réalisation de ces processus, celui-ci parvenant à imposer les modes d’action, le rythme et les sites du conflit à ses concurrents. Les différentes lignes d’action du Mouvement, que l’on peut résumer par le triptyque participation électorale – captation des ressources publiques – violence armée, servent donc autant sa tactique d’accès au pouvoir qu’elles intensifient les processus de crise.
32L’application stricte du modèle analytique des crises politiques proposé par Michel Dobry aurait conduit à considérer qu’il n’y a pas de crise politique en Turquie entre 1975 et 1980. En effet, les processus de crise observés ne sont nullement subis et ne procèdent pas d’une inhibition de l’activité tactique des acteurs, mais plutôt de leur adaptation. Ainsi, le Mouvement nationaliste cherche à modifier à son avantage les règles du jeu politique. Il n’y a donc pas de régression vers les habitus, ni d’incertitude généralisée des calculs, mais un usage stratégique de la violence et du désordre. Cependant, les processus constitutifs de la crise turque n’induisent pas l’abandon des thèses de Michel Dobry, ils encouragent davantage à les nourrir par l’intégration de ces résultats. Ainsi, la fréquence du recours à la violence par certains acteurs politiques, permise et accompagnée par des forces de l’ordre prises dans un processus de désobjectivation des institutions étatiques, ainsi que la politisation de nombreux secteurs sociaux exposés à la désectorisation des mobilisations autorisent à qualifier la situation de crise politique. En outre, des concepts clés de l’œuvre de Michel Dobry permettent d’analyser les processus observés. La notion d’unidimensionnalité de l’identité sert la compréhension des moments où se forment des « opérateurs d’identification à vocation universelle » qui font sens dans l’ensemble de l’espace social (le gauchiste, le fasciste, etc.) ; et celle de « désectorisation des jeux » permet de comprendre les modalités par lesquelles se réalisent la déspécification des enjeux sectoriels et le désenclavement des espaces de confrontation.
33Le cas turc permet donc de progresser dans la compréhension des situations de crise caractérisées par la perte de capacité de l’État à exercer ses monopoles de violence physique et symbolique légitimes. Nous avons pu montrer que la transformation des propriétés structurelles des jeux étatiques et politiques résulte des activités tactiques de certains de leurs protagonistes. De ce point de vue, l’analyse semble devoir autant se consacrer aux conjonctures courtes d’action qu’aux conditions structurelles de possibilité des activités des protagonistes des jeux sociaux. Ainsi, le Mouvement nationaliste, qui, par ses positions, ses ressources et ses modes d’action, tient un rôle déterminant dans le déclenchement et l’intensification des processus de crise, reproduit des activités de pénétration de l’État tout à fait banales pour les partis de gouvernement en Turquie. Mais son innovation réside dans l’usage qu’il fait des positions étatiques acquises pour diffuser le conflit et le radicaliser par la violence. La compréhension des configurations socio-historiques proches de celles de la Turquie des années 1970 semble donc pouvoir progresser grâce à l’analyse des modalités par lesquelles les pratiques des agents participent à l’actualisation des règles formelles et informelles des jeux sociaux, ceci sans pour autant souscrire à une vision stratégiste et intentionnaliste des tactiques mises en œuvre par les agents, mais en prêtant attention à la façon dont leurs ressources, leurs positions et les contraintes qu’ils rencontrent façonnent les opportunités tactiques dont ils peuvent se saisir.
Notes
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[1]
1. « Bir ö?renci öldürüldü… Sokak Sava?? oldu » (Un étudiant a été tué… Une situation de guerre de rue), Milliyet, 17 janvier 1977, p. 1..
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[2]
Sur le phénomène milicien en Turquie dans les années 1970, cf. Bozarslan (H.), « Le phénomène milicien, une composante de la violence politique dans la Turquie des années 1970 », Turcica, 31, 1999.
-
[3]
3. Bozarslan (H.), « Le chaos après le déluge ? Notes sur la crise turque des années 70 », Cultures et conflits, 24-25, 1996.
-
[4]
Sept gouvernements se succèdent entre 1974 et 1980.
-
[5]
Cf. Birand (M. A.), Bilâ (H.), Akar (R.), 12 Eylül. Türkiye’nin milad? (12 septembre. La nouvelle ère de la Turquie), Istanbul, Do?an Kitap, 2006, p. 122.
-
[6]
L’ensemble des organisations d’extrême droite dont il sera question ici forme ce qu’il est convenu d’appeler le « Mouvement nationaliste ». Il s’agit d’un réseau d’organisations centralisé par un parti politique, le Parti de l’action nationaliste (Milliyetçi hareket partisi, MHP), visant à l’encadrement et à la politisation de l’électorat par secteurs d’activité. En Turquie, les organisations et les membres du Mouvement se définissent comme « idéalistes » (ülkücü). Ces différents termes seront donc employés pour désigner le réseau d’organisations constitué par le MHP à partir de la seconde moitié des années 1960.
-
[7]
Les historiens et sociologues de l’État en Turquie adoptent généralement une conception fonctionnaliste de l’État et échouent à proposer un modèle explicatif convaincant de la crise turque de la seconde moitié des années 1970. Face aux mobilisations d’extrême gauche et d’extrême droite et à l’introduction de la violence physique dans leurs répertoires d’action, l’État n’aurait plus réussi à assumer son « rôle » d’arbitre, sa « fonction » d’interlocuteur des forces sociales. De ce contexte ressort l’image d’un État « outsider ». La séquence 1975-1980 est alors considérée comme une parenthèse, fermée par l’intervention militaire du 12 septembre 1980 et le rétablissement du monopole de la contrainte physique et symbolique légitime dans la majeure partie du pays. Le prétexte d’exceptionnalité interdit ainsi l’identification des mécanismes constitutifs de la crise. Cf. notamment Heper (M.), « The “Strong State” and Democracy: The Turkish Case in Comparative and Historical Perspective » in Eisenstadt (S.), ed., Democracy and Modernity, Leiden, E. J. Brill, 1992 ; Heper (M.), The State Tradition in Turkey, Northgate, The Eothen Press, 1985 ; Özbudun (E.), Social Change and Political Participation in Turkey, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1976.
-
[8]
Ergil (D.), Türkiye’de Terör ve ?iddet (Terreur et violence en Turquie), Ankara, Turhan Kitabevi, 1980.
-
[9]
Pusat (D.), Çorum silahl? halk direni?i (La résistance populaire armée de Çorum), Istanbul, Nam Yay?nc?l?k, 1996.
-
[10]
Gourisse (B.), L’État en jeu. Captation des ressources et désobjectivation de l’État en Turquie (1975-1980), thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris I, 2010, p. 425-455.
-
[11]
Dobry (M.), Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de la FNSP, 1992, p. 141.
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[12]
Ibid., p. 41.
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[13]
La notion de règle telle que nous la concevons ici correspond à celle d’A. Giddens pour qui les règles « sont liées à la constitution de sens, d’un côté, et à la sanction des modes de conduites sociales, de l’autre ». Elles « ne peuvent se conceptualiser indépendamment des ressources. Celles-ci font référence aux modes selon lesquels les relations transformatrices sont effectivement incorporées dans la production et la reproduction des pratiques sociales. Par conséquent, les propriétés structurelles expriment des formes de domination et de pouvoir ». Giddens (A.), La constitution de la société, Paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 67.
-
[14]
Selon M. Dobry, les processus d’objectivation s’incarnent dans « l’extériorité des rapports sociaux, leur impersonnalité et leur perception sur le mode de “ce qui va de soi”. Sous ces trois aspects, les systèmes ou sociétés complexes s’exposent, lorsque s’y déploient des mobilisations multisectorielles, à de brusques déperditions de l’objectivation des rapports sectoriels ». Dobry (M.), Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 156.
-
[15]
T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???. Iddianame : MHP ve Ülkücü Kurulu?lar (Procureur militaire du commandement de l’état de siège des provinces d’Ankara – Çank?r? – Kastamonu. Réquisitoire : Le MHP et les organisations idéalistes), préparé par le procureur militaire de l’État de siège N. Soyer, 1981.
-
[16]
Pour une analyse critique des relations entre pouvoir politique et pouvoir judiciaire, cf. Briquet (J.?L.), Mafia, justice et politique en Italie. L’affaire Andreotti dans la crise de la République (1992-2004), Paris, Karthala, 2007.
-
[17]
Tanlak (Ö.), ?tiraf. Eski bir ülkücü MHP’yi anlat?yor (Aveux. Un ancien idéaliste explique le MHP), Istanbul, Kaynak Yay?nlar?, 1996.
-
[18]
Bölügiray (N.), Sokaktaki Asker, Bir S?k?yönetim Komutan?n?n 12 Eylül Öncesi An?lar? (Un militaire dans la rue, les mémoires d’avant le 12 septembre d’un commandant de l’état de siège), Istanbul, Milliyet Yay?nlar?, 1989.
-
[19]
La pénétration de l’État représente une activité routinière, illégale mais institutionnalisée, des partis de gouvernement en Turquie. Ce n’est donc pas sa mise en œuvre par le MHP, mais la façon dont le parti l’intègre dans une stratégie plus large reposant également sur la mobilisation multisectorielle et l’usage de la violence physique, qui produit la désobjectivation de l’État pendant la seconde moitié des années 1970.
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[20]
Les mouvances radicales retenues pour l’analyse peuvent être appréhendées telles des systèmes d’action antagonistes. Elles constituent des réseaux d’organisations alliées coordonnant avec plus ou moins de succès leurs activités, au sein desquels les participants connaissent généralement des insertions multiples.
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[21]
Afin de ne pas contrevenir à la loi, les individus dont il est question ne sont pas formellement membres du parti. En effet, une décision du conseil des ministres du 23 mars 1979 affirme que « le fait d’être membre d’un parti politique ou d’agir pour le bien ou à l’encontre d’un parti politique ou de participer à des activités politiques est sanctionné d’une peine disciplinaire de renvoi de la profession ». Par ailleurs, l’article 7 de la loi n° 657 sur les fonctionnaires d’État stipule que « les fonctionnaires ne peuvent pas être membres d’un parti politique. Ils ne se comportent pas de façon à désavantager ou privilégier un parti politique ou un individu ; ils agissent, dans l’exercice de leurs fonctions, sans aucune distinction de langue, de religion, de race, de sexe, d’opinion politique, d’idées philosophiques et de religion ». L’article 125 de la loi sur les fonctionnaires prévoit enfin des peines disciplinaires (un renvoi) pour ceux qui tiendraient secrets des informations et des documents contenant des informations susceptibles de nuire à la loi.
-
[22]
T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???. Iddianame…, op. cit., p. 135.
-
[23]
Tanlak (Ö.), ?tiraf. Eski bir ülkücü MHP’yi anlat?yor (Aveux. Un ancien idéaliste explique le MHP), op. cit., p. 133.
-
[24]
T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???…, op. cit., p. 118.
-
[25]
Ibid., p. 134.
-
[26]
Ibid., p. 131.
-
[27]
Ibid., p. 130.
-
[28]
Ibid., p. 110.
-
[29]
Ibid., p. 143.
-
[30]
Ibid., p. 144.
-
[31]
Ibid., p. 89.
-
[32]
Nous retenons des processus de politisation la définition proposée par Jacques Lagroye, pour lequel « la politisation est une requalification des activités sociales les plus diverses, requalification qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activité ». Lagroye (J.), « Les processus de politisation », in Lagroye (J.), dir., La politisation, Paris, Belin, 2003, p. 360.
-
[33]
T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???…, op. cit., p. 167-168.
-
[34]
Ibid., p. 132.
-
[35]
Ibid.
-
[36]
Ibid., p. 169.
-
[37]
Des extraits de conversations entre policiers, reproduites dans les mémoires du commandant de l’état de siège à Adana le montrent : « Ici central, une fusillade a éclaté dans la rue (…), équipes 315 et 320, allez-y sur le champ. – Chien de fasciste ! Tu es devenu un homme, et maintenant tu donnes des ordres ? – Bâtard de communiste ! Vendu ! Fils de… », Bölügiray (N.), Sokaktaki Asker…, op. cit., p. 87.
-
[38]
Ibid., p. 51.
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[39]
Un document envoyé au bureau juridique de la principale organisation « idéaliste », fait état de recherches menées sur les personnels des tribunaux de Yozgat et de Çank?r?, T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???…,op. cit., p. 187.
-
[40]
Ibid., p. 97.
-
[41]
Tanlak (Ö.), ?tiraf. Eski Ülkücü MHP’yi anlat?yor (Confession. Un ancien idéaliste explique le MHP), op. cit., p. 15.
-
[42]
T. C. Ankara – Çank?r? – Kastamonu ?lleri S?k?yönetim Komutanl??? Askeri Sac?l???…, op. cit.,, p. 98.
-
[43]
Dobry (M.), Sociologie des crises politiques, op. cit., p. 154.
-
[44]
La confédération syndicale M?SK s’installe d’ailleurs dans la plupart des entreprises publiques dans lesquelles un nouveau directeur a été nommé par le gouvernement, pour prêter main-forte à la direction et faire taire, parfois par la force, les syndicalistes de gauche. La section locale obtient alors le droit de sélectionner le personnel, qu’elle recrute dans les milieux idéalistes de la ville.
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[45]
Le Mouvement nationaliste agit comme s’il avait développé une tactique de constitution systématique de fronts avec les organisations de gauche, notamment dans les institutions étatiques dans lesquelles ces dernières étaient jusqu’alors en position de force.
-
[46]
Dobry (M.), Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 141.
-
[47]
Ibid., p. 143.
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[48]
Zald et Usem montrent comment les coups tactiques d’un protagoniste contribuent à modifier les possibilités tactiques de ses concurrents : Zald (M. N.), Usem (B.), « Movement and Counter Movement Interaction: Mobilization, Tactics, and State Involvement », in Mac Carthy (J. D.), Zald (M. N.), eds, Social Movement in an Organizational Society, Morristown, Transaction Books, 1987.
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[49]
On dispose d’informations assez détaillées sur ces tactiques de prise de contrôle pour la période couvrant le dernier gouvernement AP (novembre 1979 – septembre 1980), que le MHP soutient depuis l’Assemblée. Le 3 avril 1980, 100 enseignants sont renvoyés de l’Institut d’enseignement de Buca (Buca e?itim enstitüsü) après un remaniement de l’équipe administrative intervenue en faveur du MHP. Le 4 avril 1980, les enseignants diplômés de l’Institut d’enseignement Atatürk (Atatürk e?itim enstitüsü) donnent une conférence de presse pendant laquelle ils dénoncent le fait que les candidats MHP aient été prioritaires dans les choix d’affectation. Le 20 avril, 600 cadres et 1500 fonctionnaires, dont la plupart est membre de l’association de gauche Töb-Der, sont renvoyés du ministère de l’Éducation nationale ou sont mutés à des postes subalternes. En juin, la revue Le monde de l’enseignant (Ö?retmen dünayas?) annonce que depuis l’entrée en fonction du gouvernement AP, 8000 enseignants ont souffert de mutations non désirées, après avoir décliné l’invitation à s’inscrire à l’association idéaliste Ülkü-Bir. « Ay?n aynas? » (Le miroir du mois), Ö?retmen dünyas?, 5, mai 1980, p. 32-33 ; 6, juin 1980, p. 13-15 ; 8, août 1980, p. 31-32.
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[50]
Le 4 mai 1980, les représentants étudiants du Lycée professionnel de Malatya dénoncent les faveurs dont bénéficient les lycéens sunnites depuis que le nouveau directeur, connu pour sa proximité avec les associations idéalistes locales, est entré en fonction. Le 24 juillet, ce sont les étudiants de l’École supérieure professionnelle (Meslek yüksek okulu) qui dénoncent le fait que les étudiants idéalistes ont reçu les sujets des examens avant les épreuves, et que tous les individus identifiés comme membres des associations étudiantes de gauche et d’extrême gauche ont vu la mention « tricherie » inscrite sur leur copie. « Ay?n aynas? » (Le miroir du mois), Ö?retmen Dünyas?, 5, 6, 8, art. cité.
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[51]
« Töb-Der, Tüm-Der ve TÜTED süresiz kapat?ld? » (Töb-Der, Tüm-Der et TÜTED ferment pour une durée indéterminée), Milliyet, 8 février 1977, p. 1, 10.
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[52]
L’interdépendance tactique élargie est définie par Michel Dobry comme le « passage d’une forme routinisée et, surtout, locale d’interdépendance des acteurs à l’intérieur d’un secteur particulier (forme d’interdépendance dans laquelle l’efficacité ou la valeur des ressources et lignes d’action à la disposition des divers acteurs est garantie par le cloisonnement relatif des secteurs les uns par rapport aux autres) à une forme d’interdépendance élargie qui tend à confronter directement les diverses ressources et lignes d’action, cloisonnées jusque-là, et à déterminer dans cette confrontation leur efficacité ou “valeur” », Dobry (M.), Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 160-161.
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[53]
Briquet (J.?L.), Favarel-Garrigues (G.), « Introduction. Milieux criminels et pouvoir politique », in Briquet (J.?L.), Favarel-Garrigues (G.), dir., Milieux criminels et pouvoir politique. Les ressorts illicites de l’État, Paris, Karthala, 2008, p. 11-12.
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[54]
Ainsi que le notent Jean-Louis Briquet et Gilles Favarel-Garrigues, « la détention d’un savoir-faire dans l’usage de la violence constitue dans nombre de ces cas une ressource intervenant dans la négociation avec les pouvoirs publics », Briquet (J.?L.), Favarel-Garrigues (G.), « Introduction. Milieux criminels et pouvoir politique », art. cit., p. 11-12.
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[55]
Yalç?n (S.), « Kayseri’de silahl? bir Ak?nc? Gençlik kamp? hikayesi », Hürriyet, 2 septembre 1980.
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[56]
Ibid.