Politix 2006/3 n° 75

Couverture de POX_075

Article de revue

Jouer les bons citoyens

Les effets contrastés de l'engagement au sein de dispositifs participatifs

Pages 11 à 31

Notes

  • [1]
    Je tiens à remercier Loïc Blondiaux, Dominique Cardon, Daniel Céfaï, Donatella Della Porta et Yves Sintomer pour leurs commentaires sur une première version de ce texte.
  • [2]
    Barber (B.), Démocratie forte, Paris, Desclée de Brouwer, 1984, p. 172.
  • [3]
    Entretien avec Luc L., participant au dispositif participatif de Morsang-sur-Orge, réalisé le 12 décembre 2005.
  • [4]
    Cf. Pateman (C.), Participation and Democratic Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1970 ; Mansbridge (J.), « On the Idea that Participation Makes Better Citizens », in Elkin (S.), Soltan (K.), eds, Citizen Competence and Democratic Institutions, Philadelphia, The Pennsylvania University Press, 1999 ; Barber (B.), Démocratie forte, op. cit.
  • [5]
    Putnam (R.), Making Democracy Work: Civic Traditions in Modern Italy, Princeton, Princeton University Press, 1993 et « Bowling Alone: America’s Declining Social Capital », Journal of Democracy, 6, 1995.
  • [6]
    Parmi les travaux fondateurs de cette approche on peut évoquer Habermas (J.), L’espace public, Paris, Payot, 1993 [1962] et Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997 ; Manin (B.), « Volonté générale ou délibération. Esquisse d’une théorie générale de la délibération politique », Le Débat, 33, 1985 ; Rawls (J.), Libéralisme politique, Paris, PUF, 1995 ; Elster (J.), ed., Deliberative Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. Au sujet de l’intégration de ce paradigme dans la science politique française, voir le numéro spécial de Politix, 15 (57), 2002, « Démocratie et délibération », coordonné par L. Blondiaux et Y. Sintomer.
  • [7]
    Pour une bonne revue de cette littérature, cf. Mendelberg (T.), « The Deliberative Citizen: Theory and Evidence », Research in Micropolitics, 6, 2002 ; Delli Carpini (M. X.), Lomax Cook (F.), Jacobs (L. R.), « Public Deliberation, Discursive Participation, and Citizen Engagement: A Review of the Empirical Literature », Annual Review of Political Science, 7, 2004. Pour une étude à partir de cas français, cf. Blatrix (C.), « The Changing French Democracy. Patchwork Participatory Democracy and Its Impact on Political Participation », communication au colloque de l’ECPR, Edimbourg, 28 mars-2 avril 2003.
  • [8]
    À ce sujet, cf. la très bonne revue de la littérature sur les effets de la délibération : Ryfe (D. M.), « Does Deliberative Democracy Work ? », Annual Review of Political Science, 8, 2005.
  • [9]
    Notre perspective est ouvertement inspirée de Eliasoph (N.), Avoiding Politics. How Americans Produce Apathy in their EverydayLife, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
  • [10]
    Parmi les principaux inspirateurs de la théorie du choix rationnel dans les décisions politiques, on peut évoquer : Downs (A.), An Economic Theory of Democracy, New York, Harper Collins, 1957 ; Arrow (K.), Social Choice and Individual Values, New York, Wiley, 1963 ; Riker (W. H.), Liberalism Against Populism, San Francisco, Freeman, 1982.
  • [11]
    Cf. Schumpeter (J.), Capitalism, Socialism and Democracy, New York, Harper and Brothers, 1942 ; Berelson (B.), Lazarsfeld (P.), McPhee (W.), Voting: A Study of Opinion Formation in a Presidential Campaign, Chicago, University of Chicago Press, 1954 ; Lipset (S. M.), Political Man: The Social Bases of Politics, New York, Doubleday, 1960. L’intégration des théories du choix rationnel au sein du paradigme élitiste des théories démocratiques n’est pas aussi mécanique et chronologique qu’on l’a présenté ici. Ces deux approches sont plus directement entremêlées théoriquement et temporellement.
  • [12]
    Cf. Elster (J.), « The Market and the Forum: Three Varieties of Political Theory », in Elster (J.), Hylland (A.), eds, Foundations of Social Choice Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1986 ; Sunstein (C.), « Preferences and Politics », Philosophy and Public Affairs, 20 (1) 1991 ; Offe (C.), « Micro-Aspects of Democratic Theory: What Makes for the Deliberative Competence of Citizens ? », in Hadenius (A.), ed., Democracy’s Victory and Crisis, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
  • [13]
    Cf. Sunstein (C.), « The Law of Group Polarization », The Journal of Political Philosophy, 10 (2), 2003 ; Kuklinski (J.), ed., Citizens and Politics: Perspectives from Poltical Psychology, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
  • [14]
    Cf. Gardner (H.), The Mind’s New Science: A History of the Cognitive Revolution, New York, Basic, 1985.
  • [15]
    Sur cette question épistémologique importante, cf. Mills (C. W.), « Situated Actions and Vocabularies of Motive », American Sociological Review, 5, 1940. Pour une interprétation contemporaine, cf. Trom (D.), « Grammaires de la mobilisation et vocabulaires des motifs », in Céfaï (D.), Trom (D.), dir., Les formes de l’action collective. Mobilisations dans des arènes publiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001. Voir également Trom (D.), « De la réfutation de l’effet NIMBY considérée comme une pratique militante. Notes pour approche pragmatique de l’activité revendicative », Revue française de science politique, 49 (1), 1999.
  • [16]
    On pense notamment au concept de « force civilisatrice de l’hypocrisie » cher à Jon Elster (Elster (J.), « Argumenter et négocier dans deux assemblées constituantes », Revue française de science politique, 44 (2), 1994).
  • [17]
    Cf. Cardon (D.), Heurtin (J.-P.), Lemieux (C.), « Parler en public », Politix, 31, 1995 ; Céfaï (D.), « Qu’est-ce qu’une arène publique ? Quelques pistes pour une approche pragmatiste », in Céfaï (D.), Joseph (I.), dir., L’héritage du pragmatisme. Conflits d’urbanité et épreuves de civisme, Paris, Éditions de l’Aube, 2002 et « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, 75, 1996.
  • [18]
    L’expression « bon citoyen » n’est jamais utilisée par les acteurs en situation ; elle est davantage issue de la littérature théorique sur les effets de la délibération et de la participation politique. Il nous semble néanmoins qu’il existe de bonnes manières de s’engager dans un dispositif participatif – et par conséquent de mauvaises manières également. En ce sens, l’expression « bon citoyen » renvoie à la compétence des acteurs en situation de mise en jeu et de mobilisation de la citoyenneté. Notre ambition n’est pas ici d’offrir une analyse exhaustive de la compétence politique en soit, mais d’étudier le type d’engagement requis des participants à des discussions publiques dans des arènes participatives. La compétence politique requiert bien plus qu’un engagement adéquat dans des espaces publics et sa définition dépend de la théorie de la démocratie sous-jacente (cf. Theiss-Morse (E.), « Conceptualizations of Good Citizenship and Political Participation », Political Behavior, 15 (4), 1993).
  • [19]
    Cf. Le Bart (C.), Lefebvre (R.), dir., La proximité en politique. Usages, rhétoriques, pratiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
  • [20]
    Réunion du Comité de quartier Wallon, Morsang-sur-Orge, 23 février 2006.
  • [21]
    Notes d’observation. Comité de quartier Langevin, Morsang-sur-Orge, 4 novembre 2005.
  • [22]
    Intervention de Marjolaine Rauze, maire de la ville. Réunion publique, 1er octobre 2005, Morsang-sur-Orge.
  • [23]
    De telles mobilisations ont ainsi été orchestrées autour de la création d’une maison de retraite, de l’opposition à la création d’un nouveau couloir aérien ou d’une requête de création d’un commissariat dans la ville. Les arènes participatives apparaissent à ce titre comme des espaces de mobilisation de la population pour des élus tentant de modifier des rapports de force institutionnels à leur avantage.
  • [24]
    Cf. Nonjon (M.), « Professionnels de la participation : savoir gérer son image militante », Politix, 70, 2005, p. 104.
  • [25]
    Réunion n.1 du groupe de travail du quartier Garbatella, Rome, 17 février 2005.
  • [26]
    À Morsang-sur-Orge, les quatre animatrices du service citoyenneté sont ainsi membres du PCF, alors qu’à Rome les facilitateurs des discussions sont issus d’une association visant à promouvoir la démocratie participative, idéologiquement proche du centre social qui a servi de tremplin politique au conseiller municipal au budget participatif.
  • [27]
    Cf. Hirschman (A.), Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995 [1970]. On peut également considérer que la participation même à ces dispositifs participatifs constitue en soi une forme de « prise de parole », dans la mesure où elle équivaut à un engagement – par la simple présence – en faveur de la démarche participative. La logique de la « prise de parole » peut néanmoins être ici comprise dans un second sens, en rapport à la grammaire publique en vigueur. En ce sens, elle est assez peu fréquente dans les dispositifs étudiés, dans la mesure où elle supposerait une mise en cause coûteuse des règles grammaticales implicites du groupe dominant. Les frontières de la grammaire publique ne sont néanmoins pas fixes et évoluent en situation, en fonction des positions prises par les interactants et des épreuves rencontrées.
  • [28]
    Notes d’observation. Comité de quartier Langevin, Morsang-sur-Orge, 4 novembre 2005.
  • [29]
    Notes d’observations. Réunion de l’Atelier budgétaire « Piétons, Vélos, Voitures », Morsang-sur-Orge, 12 décembre 2005.
  • [30]
    Entretien avec Christian C., Morsang-sur-Orge, 17 novembre 2005.
  • [31]
    Cf. Johnson Conover (P.), Searing (D.), Crewe (I.), « The Deliberative Potential of Political Discussion », British Journal of Political Science, 32, 2002 ; Eliasoph (N.), Avoiding Politics…, op. cit.
  • [32]
    Notes d’observation. Comité de quartier Wallon, Morsang-sur-Orge, 10 janvier 2006.
  • [33]
    Entretien avec Nicole C., Morsang-sur-Orge, 24 février 2006.
  • [34]
    Le documentaire était intitulé « Démocratie participative : Utopie ou nécessité ? », Service citoyenneté et vie associative, Morsang-sur-Orge, janvier 2006.
  • [35]
    Intervention au cours du Comité de quartier Wallon, Morsang-sur-Orge, 23 février 2006.
  • [36]
    Entretien avec Nicole C., Morsang-sur-Orge, 24 février 2006.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    Entretien avec Floriana M., Rome, 28 mars 2006.

1

« L’activité civique entraîne les individus à penser en termes publics, en citoyens, et leur statut de citoyens les dote d’un sens utile de la collectivité et de la justice. [...] La politique devient sa propre université, la citoyenneté son terrain pratique, et la participation son guide [2]. »
Benjamin Barber, Démocratie forte.

2

« Oui, mais l’intérêt général on ne le voit pas forcément le matin en ouvrant sa fenêtre [3]. »
Luc L., Morsang-sur-Orge.

3Une vertu souvent attribuée à la délibération publique est qu’elle serait en mesure de former de « bons citoyens ». Face au déclin de la participation électorale, au désenchantement à l’égard de la politique partisane, voire à l’apathie grandissante d’une partie du public, la participation au gouvernement – généralement au niveau local – ouvrirait l’esprit et le cœur des citoyens, les inciterait à se tourner vers l’intérêt général et offrirait ainsi un canal alternatif de socialisation politique face au déclin des corps intermédiaires qui assuraient autrefois cette fonction. La démocratie deviendrait ainsi sa propre école, transformant des individus atomisés en citoyens aptes à constituer un public démocratique. Ce discours sur l’éducation par la participation politique a une longue histoire dans la pensée occidentale et s’est exprimé de manière hétéroclite au travers du républicanisme de Machiavel ou de Rousseau, de la pensée associative de Tocqueville, du libéralisme de J.-S. Mill, au sein du pragmatisme américain, a également été véhiculé par les intellectuels des mouvements sociaux de la nouvelle gauche américaine des années 1960, avant d’être repris par des philosophes de la démocratie participative [4]. Cette question connaît aujourd’hui un certain renouveau suite au développement parallèle de deux concepts à la mode dans les sciences sociales. D’un côté, dans une veine néotocquevilienne, le concept de capital social tel qu’il a été développé par Robert Putnam voit dans la participation associative un moyen de refonder un lien civique en crise et de former une citoyenneté vertueuse [5]. De l’autre, le concept de délibération fait aujourd’hui figure de paradigme dominant dans le champ des théories de la démocratie [6]. La délibération aurait pour vertu de transformer les individus, d’orienter leurs préférences et leurs intérêts, voire leur identité, vers le bien commun. Nos réflexions s’appuieront ici principalement sur l’apport de ce dernier paradigme, dans la mesure où il précise l’idée d’école de citoyenneté, en soulignant que c’est la participation politique par la délibération publique qui est à même de transformer les citoyens.

4Cette intuition théorique n’est néanmoins pas restée à l’état spéculatif. Depuis quelques années un nombre croissant d’études empiriques en sciences sociales a cherché à évaluer les effets de la délibération sur les participants [7]. Les résultats sont à ce jour contrastés et soulignent avant tout le rôle joué par le contexte dans lequel se déroule la délibération [8]. Il nous semble néanmoins qu’une frange importante de cette littérature repose sur des a priori épistémologiques ininterrogés, voire erronés. Selon une conception positiviste et psychologisante, la plupart des études visent à évaluer si les préférences individuelles sont modifiées par la pratique de la délibération. On essaiera de montrer ici que la question est tout simplement mal posée. L’important, d’un point de vue sociologique, ce ne sont pas tant les préférences, c’est-à-dire ce que les individus « pensent vraiment », que ce qu’ils font et disent dans l’espace public. Parce que les opinions individuelles sont le fruit de leurs conditions de production et de leur contexte d’expression, et parce que les décisions prises au sein des dispositifs participatifs où se déploie la délibération sont issues des arguments effectivement avancés plus que des préférences supposément possédées, l’étude des effets de la délibération doit se concentrer sur « l’entre-deux », sur l’espace d’interaction où les individus discutent, échangent et agissent de concert, et prennent occasionnellement – selon la situation – le rôle de bons citoyens [9]. On soulignera ensuite comment les participants à des délibérations publiques peuvent se comporter en bons citoyens, en suivant les règles grammaticales à l’œuvre au sein des dispositifs démocratiques étudiés. Selon la situation d’interaction les individus peuvent progressivement modifier leurs arguments et leurs comportements publics, et se tourner vers ce qui est défini collectivement comme l’intérêt général. On conclura en précisant qu’outre les modifications discursives ou comportementales en situation, la participation à des instances délibératives peut se traduire par des bifurcations sensibles de la trajectoire personnelle et politique des participants aux cas étudiés.

5La présente étude s’appuie sur deux enquêtes ethnographiques comparées de dispositifs de budget participatif dans le 11e arrondissement de Rome et à Morsang-sur-Orge en banlieue parisienne. Ces dispositifs visent à impliquer les habitants dans les choix budgétaires municipaux, via l’organisation de réunions publiques à l’échelle du quartier et de la ville, suivant un cycle annuel. Le pouvoir attribué aux discussions n’est pas négligeable puisqu’elles ont pour fonction d’attribuer une partie (jusqu’à 20 % dans certains cas) des fonds publics d’investissement d’une commune. On a ainsi pu suivre l’évolution à travers le temps d’une multiplicité de discussions publiques ayant trait à la vie quotidienne dans ces villes et ainsi repérer la modification des répertoires argumentatifs des participants.

Les limites de l’approche cognitiviste du paradigme délibératif

De l’origine des préférences politiques

6Les théories de la démocratie délibérative ont émergé en réaction aux conceptions élitistes et pluralistes nourries par les théories choix rationnel sur la formation des préférences politiques, longtemps dominante dans ce champ. Les théories du choix rationnel ont une conception exogène des préférences politiques : elles les considèrent comme une donnée stable, indépendante de leurs conditions procédurales de production, déduite du calcul rationnel des individus quant à la maximisation de leurs intérêts. Les préférences sont à la fois stables et démocratiquement intouchables, puisqu’elles sont la pure expression de la liberté individuelle. Il apparaîtrait à la fois profondément paternaliste et autoritaire que l’État s’immisce dans l’évaluation ou la discussion des préférences personnelles [10]. Cette approche a été intégrée par les théories élitistes et pluralistes de la démocratie, qui font de l’agrégation des préférences individuelles par le vote le critère ultime de la démocratie [11].

7Les théories de la démocratie délibérative ont relevé deux illusions épistémologiques fondamentales au cœur même de cette conception agrégative de la démocratie. Il apparaît tout d’abord illusoire et sociologiquement naïf d’affirmer que les préférences sont choisies de façon libre et autonome par les individus. Elles sont nécessairement le fruit du contexte social, politique, économique et culturel dans lequel elles sont produites. En ce sens, les préférences politiques sont considérées endogènes par les théoriciens de la démocratie délibérative [12]. Si les préférences sont endogènes elles peuvent dès lors changer, si leur contexte de formation lui-même évolue. Des processus d’apprentissage et d’information sont donc possibles ; c’est ainsi l’hypothèse de stabilité des préférences qui est mise à mal. Les préférences ne sont pas pré-politiques mais le fruit des interactions au cours desquelles elles s’expriment. L’objet même de la délibération serait alors la découverte ou le raffinement des préférences individuelles et collectives.

8C’est à partir de cette remise en cause des fondements épistémologiques et ontologiques des théories agrégatives de la démocratie que le paradigme délibératif s’est constitué. Dans la mesure où les préférences individuelles sont endogènes et changeantes selon le contexte dans lequel elles sont produites, il suffirait d’offrir un cadre institutionnel propice à la formation d’opinions informées, désintéressées et tolérantes pour approfondir la démocratie. En transformant le cadre procédural, c’est le contenu même des politiques publiques qui serait modifié, la délibération publique orientant les individus vers l’intérêt général. La délibération influencerait ainsi l’esprit même des individus, leur for intérieur, en modifiant leurs préférences voire leur identité, pour les transformer en bons citoyens soucieux du bien commun.

Rejeter le psychologisme pour se concentrer sur les discours publics

9La critique des théories agrégatives par les tenants de la délibération est à bien des égards judicieuse. En mettant l’accent sur niveau micro-social de la formation des préférences individuelles, ils invitent à pénétrer la boite noire des processus de prise de décision démocratique. Ils approfondissent subtilement la compréhension du lien entre procédures et décisions en démocratie : de bonnes procédures (délibératives) forment des préférences éclairées, se traduisant en retour par de bonnes décisions. En ce sens, l’accent mis sur la formation des préférences constitue une avancée non négligeable d’un point de vue théorique. La critique du concept de préférence demeure néanmoins incomplète.

10L’essentiel, dans une arène délibérative, ce ne sont pas tant les préférences individuelles que leur expression publique au cours de la discussion. La décision collective est en effet issue d’un échange éclairé d’arguments. Or, il semble réducteur d’un point de vue sociologique d’assimiler les arguments exprimés aux préférences individuelles. Pour des raisons pragmatiques particulières toutes les préférences ne sont pas toujours exprimables. Selon le contexte d’interaction, le degré de publicité ou la composition de l’auditoire, les locuteurs auront tendance à exprimer tel ou tel type d’arguments. Ce qui restera dans l’ombre, les arrières-pensées des participants, n’aura pas d’influence directe sur la décision collective. L’accent mis sur la formation des préférences semble à cet égard inapproprié. Ce qui importe dans une arène délibérative n’est pas ce que les gens pensent, mais ce qu’ils disent et font, les arguments qu’ils avancent publiquement. Il semble par ailleurs inapproprié de distinguer « ce que les gens pensent vraiment » de ce qu’ils disent. La seule façon de scruter les « véritables opinions » des acteurs serait de les soumettre à des questionnaires dans le cadre de sondages et d’enquêtes quantitatives de grande ampleur. Penser que l’on puisse détacher une opinion de son contexte d’expression a ainsi conduit un certain nombre de politistes s’intéressant à la délibération à se tourner vers des méthodes expérimentales de psychologie sociale ou politique qui permettraient d’évacuer tout contexte [13]. L’ambition des sciences cognitives est expressément l’analyse des phénomènes sociaux et psychologiques en dehors de tout contexte [14]. De telles méthodes ne font que peser de manière artificielle des contraintes expérimentales sur l’expression d’opinions, comme si celles-ci pouvaient exister à l’état brut. Derrière une opinion ou un motif, il ne peut y avoir qu’un autre motif dans une régression infinie vers une intériorité qui n’existe pas en dehors de la présentation qu’en fait l’acteur par l’expression de ses motifs [15]. Il semble dès lors plus judicieux de se concentrer sur l’expression publique des acteurs en situation. Les approches expérimentales font fi des critiques adressées par les tenants de la délibération quant à la nature nécessairement endogène des préférences politiques. En outre, considérer les justifications publiques comme des prétextes ou des expressions d’hypocrisie [16] met de côté leur efficacité sociale dans le contexte donné.

11Il semble à ce titre nécessaire de passer dans l’étude des phénomènes discursifs des arènes publiques d’une perspective « internaliste », psychologisante et positiviste centrée sur la formation des opinions et des préférences, à une approche s’intéressant à « l’entre-deux », c’est-à-dire à ce qui est dit et ce qu’il est possible ou non de dire selon les contextes étudiés. Les individus ne naissent pas bons ou mauvais citoyens, ils peuvent le devenir selon les situations qu’ils investissent. Comprendre les vertus éducatrices de la délibération suppose donc de s’intéresser aux pratiques civiques et aux discours en situation, pour cerner quand et comment des individus peuvent endosser le rôle contextuellement défini de bon citoyen.

Se comporter en bon citoyen : le pouvoir d’une grammaire publique délibérative

12Un des effets principaux de la participation à des arènes délibératives semble être l’alignement du comportement des individus sur les règles grammaticales définies en situation par le groupe. Les espaces démocratiques qu’on a étudiés sont en effet régis par de normes sociales implicites qui s’apparentent aux règles qui régissent une langue [17]. Dans une arène publique, on ne peut pas dire tout et n’importe quoi. Les arguments avancés doivent être justifiés dans des termes acceptables par tous, ce qui pousse les acteurs à monter en généralité. Ce qui est dit et fait par les acteurs en présence sera évalué et interprété différemment par le groupe de participants qui sanctionnera symboliquement les erreurs grammaticales commises ou récompensera – par l’intégration sociale notamment – les comportements vertueux. Il s’agit ainsi de montrer quels types de comportements et d’arguments sont valorisés en situation et définissent la grammaire publique orientant ainsi les comportements des acteurs. Si les individus sont affectés par les expériences qu’ils vivent dans des arènes délibératives c’est, qu’en partie, ils s’adaptent et intègrent les normes du groupe et agissent alors en bons citoyens [18].

Le bon citoyen : une figure apolitique ?

13Afin de comprendre les règles grammaticales prévalant au sein des discussions publiques de Morsang-sur-Orge et de Rome, il convient de présenter brièvement le contexte dans lequel ces dispositifs participatifs ont été créés. Ville de 20 000 habitants dans le sud de la banlieue parisienne, Morsang-sur-Orge a été dirigée depuis la Libération par trois maires communistes successifs. L’enracinement local du PCF a cependant été mis à mal aux élections municipales de 1995, où la liste gauche plurielle n’a dû sa courte reconduction qu’à la division des candidats de l’opposition. Cette victoire inespérée a alors été analysée comme un signe de la nécessité d’entretenir un rapport plus ténu avec les citoyens, afin « de mieux les écouter ». Les premières instances participatives ont ainsi été mises en place, comme le souligne l’adjoint à la citoyenneté, afin « d’accroître la proximité avec les habitants ». La démocratie participative morsaintoise s’inscrit ainsi dans l’inflexion de la culture politique française qui, longtemps marquée par une extrême défiance à l’égard du localisme et du clientélisme véhiculé par les contacts personnels entre élus et administrés, prêche aujourd’hui la proximité à tous les échelons [19]. La proximité « à la morsaintoise » s’en distingue néanmoins par le type de dispositif institutionnel mis en place – des institutions décisionnelles ayant un impact direct sur le budget municipal – et par le style politique de la majorité municipale, pour qui la proximité est un moyen de politisation des enjeux publics locaux.

14Le 11e arrondissement de Rome apparaît différent à plusieurs égards. Administration de 140 000 habitants au cœur d’une métropole de près de trois millions très récemment décentralisée, le 11e arrondissement romain est dirigé depuis 2001 par un maire communiste issu d’une large coalition de la gauche locale. La mise en place d’un budget participatif à Rome, loin de la rhétorique française de la proximité, est ouvertement inspirée de l’exemple de Porto Alegre et du mouvement Zapatiste, et se veut l’incarnation de la mutation du mouvement altermondialiste italien. Le conseiller municipal en charge du projet, issu de la scène des centres sociaux romains et du mouvement des Desobbedienti (« Désobéissants ») précise que l’expérience romaine a pour but de « rendre le pouvoir aux citoyens », alors que le maire la définit comme « un moyen d’incarner territorialement l’idée très concrète qu’un autre monde est possible ». Dispositif politique, le budget participatif romain apparaît davantage marqué par la culture politique de l’extrême gauche italienne que par le paternalisme bon teint morsaintois. Ces nuances locales sont aussi bien issues des différences des cultures politiques françaises et italiennes que de l’histoire propre du communisme dans les deux pays. Être communiste en France et en Italie ne signifie pas la même chose, encore moins dans une petite ville de banlieue et au cœur de la capitale transalpine. Ayant des cultures politiques locales distinctes, les deux cas offrent des règles grammaticales assez différentes. Être un bon citoyen au sein des dispositifs participatifs de Morsang-sur-Orge et de Rome ne signifie pas tout à fait la même chose.

15Dans les deux cas, se comporter en bon citoyen c’est tout d’abord participer pour la collectivité, ce qui implique une présence assidue aux réunions publiques organisées par la municipalité dans le cadre du budget participatif. La simple présence au sein des dispositifs démocratiques représente en soi une forme d’engagement et de soutien à la logique participative initiée par la municipalité. Comme le précisait un participant morsaintois lors une réunion publique : « Ceux qui sont ici, ce sont les meilleurs [citoyens] ». [20] Il existe en effet un puissant impératif participatif au sein des cas étudiés. Un bon citoyen doit non seulement participer aux réunions publiques, mais il doit également prendre la parole au cours de celles-ci. S’il se doit de parler, il ne peut pas dire tout et n’importe quoi. C’est la capacité à s’exprimer selon les formes grammaticales requises qui permet à des individus d’accéder à l’état de bons citoyens.

16À Morsang-sur-Orge un bon citoyen doit adopter une posture compatible avec ce qui est collectivement défini comme « l’intérêt général ». Un bon citoyen ne peut pas ainsi exprimer de trouble personnel. Erreur grammaticale récurrente et systématiquement sanctionnée publiquement ou en coulisse par l’attribution de réputation dépréciative, l’expression des troubles vécus personnellement est l’apanage des « emmerdeurs » ou des « gueulards ». On peut évoquer l’exemple d’une retraitée morsaintoise se plaignant des troubles liés à la récente installation d’un arrêt de bus devant chez elle (nuisances sonores, rupture de l’intimité domestique, perte de valeur foncière de la propriété familiale, etc.) qui reçut un accueil plus que défavorable :

17

L’élu en charge des questions de citoyenneté, Francis, décida d’intervenir : « Le problème avec les arrêts de bus, c’est qu’ils sont très bien à partir du moment où ils sont chez les autres. » Les réactions du public devinrent également très critiques. Les blagues fusèrent : « C’est toujours mieux chez les autres ! » ; « Vous n’avez qu’à déménager ! » ; « C’est bon, on a compris, ça ne sert à rien ! » ; « Il faut prendre sur soi ! », etc. [21]

18Des arguments justifiés par des raisons personnelles sont ainsi exprimables au cours de discussions publiques, mais sont lourdement sanctionnés. Dans ce cas, cette femme a reçu une double sanction, puisqu’elle a été à la fois ridiculisée publiquement par les commentaires des autres participants, et notamment d’un élu, forcément doté d’un fort capital symbolique, et qu’elle a ainsi reçu une réputation « d’emmerdeuse », terme souvent employé pour qualifier les « mauvais citoyens ». À Morsang-sur-Orge le bon citoyen doit être en mesure de montrer que son problème personnel (concernant sa rue, son pâté de maison ou son quartier) concerne tout le monde. Un intérêt général local est ainsi construit en situation, parfois en opposition aux échelons supérieurs, notamment nationaux.

19Ce travail discursif est notamment réalisé par les élus, qui jouent un rôle fondamental dans la politisation des discussions publiques. La participation des élus n’a d’autre fonction que de faire prévaloir « l’intérêt général » face aux corporatismes locaux et aux intérêts catégoriels. Reproduisant à l’égard des habitants les soupçons des élus nationaux à leur encontre, les représentants morsaintois se présentent en garant de l’intérêt général face à des citoyens mus par un puissant esprit de clocher, ce qui les conduit à cadrer très largement les discussions. Il semble en effet exister une sorte de division du travail discursif entre les différents acteurs participants. Dans la mesure où des élus participent aux réunions publiques, le travail de politisation de la discussion semble leur revenir de droit, puisqu’ils font régulièrement référence à « la politique du gouvernement », « la mondialisation » ou au « ministre de l’intérieur » pour imputer des responsabilités aux problèmes rencontrés par les citoyens. Face à un problème de vol de voiture ou d’insécurité on invoquera ainsi le manque de moyens de la police du « à la politique de Sarkozy [22] » et on tentera de mobiliser la population afin d’affecter les décisions prises à des échelons supérieurs [23]. Les élus essaient toujours de lier des problèmes locaux à des problèmes politiques plus généraux. En ce sens, il ne nous semble pas que ce soit à proprement parler la « référence au quartier » qui « filtre » toute « parole politique [24] ». L’échelle du quartier n’est pas en soit apolitique, elle est souvent construite comme telle dans les dispositifs participatifs, mais peut l’être autrement, comme le montre l’exemple de Morsang-sur-Orge où le lien proprement politique entre les niveaux locaux et nationaux est ouvertement tracé par les élus.

20Les élus morsaintois incitent ainsi les participants à faire de la politique – au sens des arguments généraux imputant des responsabilités en rapport à des problèmes publics – en les récompensant symboliquement (reconnaissance mutuelle, intégration symbolique dans le cercle des gens proches et influents à la mairie, etc.). Le bon citoyen est ainsi celui qui est en mesure de monter en généralité pour faire de « la politique au sens noble du terme ». Comme le dit un participant morsaintois dans un documentaire sur la démarche participative de la ville : « Mais la politique, c’est pas ça [il vient d’évoquer la politique partisane]. Et c’est vrai que la personne qui dirait : “Je fais pas de politique, mais je viens aux ateliers [du budget participatif]”, il fait de la politique, mais il se rend pas compte qu’il fait de la politique… de la vraie… Il fait pas de la fausse ! » Cette définition de la politique diffusée dans un film municipal résume bien ce qu’est la bonne manière de s’engager à Morsang-sur-Orge.

21La grammaire publique apparaît quelque peu différente à Rome, où ce sont surtout les « discussions dans le vent » et « le bla-bla » qui sont sanctionnés. Le bon citoyen au sein du budget participatif romain se doit avant tout d’être constructif, formulant des propositions raisonnables, qui sont à la fois techniquement viables et finançables par l’arrondissement. Un bon argument à Rome sera ainsi une bonne proposition. Un trouble personnel (par exemple un trottoir abîmé) formulé sous la forme d’une proposition finançable par le budget participatif (par exemple sa réhabilitation) sera considéré valide à Rome, alors qu’un travail de montée en généralité aurait certainement été nécessaire à Morsang-sur-Orge. Pour des raisons historiques évidentes, la culture politique italienne n’est pas marquée par une défiance systématique vis-à-vis des intérêts locaux. Cette orientation grammaticale aurait pu restreindre les discussions à des questions essentiellement techniques, et donc peu politiques, mais la participation d’acteurs politisés, membres d’associations locales, de mouvements sociaux ou de partis politiques – le plus souvent de gauche – permet souvent de passer de propositions d’investissement très concrètes à des discussions politiques beaucoup plus générales. Ainsi, à Rome le travail de politisation n’est pas l’apanage des élus, qui se refusent à participer à ces dispositifs par crainte de trop les influencer, mais de citoyens actifs et politisés. La proposition de créer une piste cyclable dans un des quartiers a ainsi pu déboucher sur une discussion portant sur la pollution liée au trafic automobile dans la ville et à la nécessité de développer des transports plus « doux », puis sur le caractère non seulement national mais international du problème, via l’invocation du protocole de Kyoto récemment signé par le gouvernement italien [25]. Si les participants doivent exprimer des propositions concrètes, celles-ci doivent néanmoins être justifiées par des arguments valides pour tous. Afin d’offrir une justification adéquate à une proposition, le bon citoyen doit être en mesure de formuler des arguments à la fois généraux mais techniquement viables, c’est-à-dire raisonnables. Alors qu’à Morsang-sur-Orge les élus poussent les participants à formuler des propositions politiquement ambitieuses, si besoin en mobilisant la population, à Rome les modérateurs (qui ne sont pas des élus mais des membres d’une association en charge de l’organisation du processus) invitent en permanence les acteurs à la modestie. Ainsi lors d’une réunion un participant se montra-t-il surpris que ses propositions soient systématiquement rejetées. La réponse de la modératrice fut simple : « C’est qu’elles sont toutes mauvaises ! Comment veux-tu réaliser des projets aussi pharaoniques ? » En dépit de la culture politique radicale des instigateurs du dispositif, les contraintes institutionnelles, financières et politiques de l’arrondissement poussent à la modestie.

Jouer les bons citoyens : une compétence pragmatique

22Mais comment ces grammaires publiques émergent-elles en situation ? Certains acteurs jouent à ce titre un rôle central : les facilitateurs de la discussion issus des services municipaux traitant des questions de « citoyenneté ». N’étant pas assimilés aux élus, ils possèdent suffisamment de légitimité et de neutralité pour sanctionner ou récompenser symboliquement les arguments et les comportements déviants ou vertueux. Ils bénéficient à ce titre de leur positionnement ambigu, lié à la neutralité de leur statut de fonctionnaire mais aussi à leur proximité politique et idéologique avec la municipalité en place [26]. Ils peuvent compter à leurs côtés le petit noyau de citoyens intégrés qui forment le groupe des bons citoyens labellisés. Plusieurs groupes sont ainsi formés, entre d’un côté les participants réguliers, intégrés, qui respectent et font respecter la grammaire publique, et les nouveaux participants ou ceux qui viennent de façon irrégulière, qui maîtrisent moins bien les règles grammaticales et ont donc du mal à s’intégrer au sein de l’espace participatif. De manière schématique on peut considérer que les participants au dispositif participatif s’impliquent soient en réaction à un trouble personnel vécu – cas le plus fréquent – et afin de le régler, soit pour des raisons idéologiques et politiques, la participation citoyenne étant valorisée en elle-même. Les participants politisés, à condition qu’ils participent régulièrement et s’expriment de manière appropriée – de manière non partisane notamment – intégrèrent rapidement le groupe des « bons citoyens », d’autant qu’ils possèdent des affinités électives (politiques, idéologiques, sociales) avec les instigateurs du processus et les facilitateurs des discussions. Il semble plus intéressant de se concentrer sur le groupe, plus important numériquement, des participants peu politisés au départ et mobilisés autour de troubles personnels vécus.

23L’expression d’un trouble personnel est en général sanctionnée par le groupe, comme on l’a vu précédemment. Une fois cette première sanction attribuée, plusieurs réactions sont possibles, entre exit et loyalty[27]. Souvent, ayant vu leur requête rejetée, voire ayant à proprement parlé perdu la face publiquement, les nouveaux participants ne reviennent plus. Mais certains reviennent. Ils peuvent alors présenter leurs doléances différemment, conformément à la grammaire publique en vigueur. Ce type de bifurcations discursives demeure rare et exceptionnel. Il semble néanmoins intéressant d’étudier des cas limites, à même d’éclairer les conditions sociales et situationnelles d’émergence de telles bifurcations argumentatives. On peut évoquer le cas de Christian, à Morsang-sur-Orge, qui cherchait à promouvoir la réhabilitation de sa rue dans le cadre de son comité de quartier. À la première réunion à laquelle il participa, il ne s’exprima pas correctement et en fut durement sanctionné :

24

Alors qu’un tour de table était organisé pour évaluer le nouvel aménagement autour de l’école, se fut à Christian de prendre la parole : « Très bien la sécurité des enfants, on est tous d’accord que c’est important, mais il faut savoir que c’est compliqué pour les riverains au quotidien. C’est pas Beyrouth, c’est pas invivable, mais c’est compliqué au quotidien … Et puis les trottoirs sont vraiment dans un état… On pourrait aussi investir là-dedans. » Revendiquant ouvertement l’intérêt d’un groupe, celui des riverains affectés par le réaménagement d’une rue, il fut sanctionné pour n’avoir pas respecté la grammaire publique en vigueur, qui fait de la « sécurité des enfants » la valeur suprême. Un participant régulier, Lucien, ne se gêna pas de lui faire remarquer : « Le problème c’est que maintenant tout le monde a deux ou trois voitures, et on peut pas demander à la municipalité de construire des pistes d’aviation dans la ville pour que chacun puisse se garer devant chez soi… Je ne vise personne, mais bon. » Ces arguments furent relayés par l’élu présent : « Il faut savoir ce qu’on veut à un moment. Estce qu’on veut du confort pour les riverains ou la sécurité des enfants. Moi il me semble qu’on était d’accord sur le fait de donner la priorité à la sécurité par rapport aux voitures [28]. »

25La requête personnelle fut ainsi écartée comme non pertinente par le comité de quartier. Trop modalisée, l’intervention du locuteur était tombée à plat et n’avait pas réussi à influencer la décision collective. Malgré les critiques adressées, le locuteur, loin de se décourager, prit le risque, à la session suivante, de reformuler sa proposition. Une bifurcation discursive s’opéra ainsi et permit au locuteur d’obtenir de biens meilleurs résultats :

26

« Je parle au nom des riverains de la rue du Texel, où les trottoirs sont vraiment en mauvais état. Je dois vous dire que les gens de la rue ne comprennent pas, car c’est vraiment un axe stratégique… Il y a plein d’enfants qui passent par là, puisque l’école est juste à côté… Alors puisqu’on a dit que la sécurité des enfants est une priorité, ça paraîtrait normal de le refaire. Et puis il y a aussi beaucoup d’équipements publics : la poste, la crèche, la Maison de l’enfance… C’est vraiment un trottoir très emprunté. Alors nous, on comprend pas… Les trottoirs de rues beaucoup moins fréquentées sont refaits, et celle-ci qui paraît tellement évidente n’est pas refaite. » L’élu en charge des questions de voirie lui répondit immédiatement : « Oui, c’est vrai. On peut inscrire les trottoirs de cette rue dans la liste des priorités pour 2006. Il faudra en rediscuter tous ensemble critères à l’appui, mais tout ça semble valide[29]. »

27Cet extrait est symptomatique de l’importance de la forme du discours bien plus que du contenu des arguments énoncés. La revendication rejetée au cours de la première réunion a été re-présentée lors de la seconde, mais en tenant compte des règles grammaticales en vigueur. Christian monta immédiatement en généralité en invoquant un tiers hautement légitimant dans les réunions publiques morsaintoises : « Les enfants ». Dans cet extrait, Christian démodalise très largement son intervention, parle davantage à la première personne du pluriel et invoque à la fois le risque créé par la situation actuelle et le caractère fréquenté du trottoir pour justifier sa proposition. S’érigeant en porte-parole d’un groupe, il traduit les plaintes individuelles des riverains en cause à porter auprès de la municipalité. En mobilisant un discours de l’injustice (« On ne comprend pas »), il accède à une grandeur suffisante pour influer sur l’ordre des choses. S’étant exprimé selon les règles grammaticales en vigueur, son argument est accepté (« Tout ça semble valide ») et la proposition intégrée dans la liste des travaux envisageables, alors que la revendication avait été écartée lors de la première réunion.

28Que s’est-il passé entre les deux réunions ? Christian a-t-il changé d’avis ? S’est-il rendu compte, suite à la discussion, que les arguments faisant prévaloir la sécurité des enfants au détriment du confort des riverains étaient meilleurs que les siens ? Peut-on parler d’un usage stratégique de l’argumentation, voire de la rhétorique, dans le cas présent ? Christian n’est-il monté en généralité que pour paraître plus convaincant ou était-il lui-même convaincu de ses propres arguments ? N’endosse-t-on le rôle de bon citoyen que par intérêt ? Impossible à dire. Ce que l’on peut affirmer en revanche, c’est qu’il a aligné ses arguments sur la grammaire publique de l’institution dans laquelle il s’est impliqué. Il le précise lui-même en entretien : « Mais la règle du jeu au départ on ne nous l’a pas donnée. […] Je découvre les règles du jeu, je les découvre au fur et à mesure, deux, trois petits mots lâchés dans une phrase [30]. » Les sanctions attribuées lors de la première rencontre ont ainsi permis à Christian de fixer les frontières de la grammaire publique, ce qui lui a permis d’apparaître plus compétent par la suite.

29Mais comment expliquer que ce participant, après avoir essuyé un premier échec public ait pris le risque de subir une nouvelle épreuve discursive à l’assemblée suivante ? Pourquoi, comme souvent, ne s’est-il pas découragé, voire senti humilier, par les critiques adressées, préférant alors l’exit ? Il existe en effet une puissante aversion au conflit – voire au simple désaccord – au sein des arènes publiques [31] ; et quand celui-ci émerge il est en général mal vécu par les participants. Dans ce cas, Christian a au contraire accepté de jouer le jeu en s’adaptant aux règles grammaticales qu’il apprenait en participant. Plusieurs facteurs apparaissent importants ici. Une condition centrale pour décourager l’exit est de récompenser la prise de parole, comme c’est le cas des dispositifs participatifs ayant un pouvoir décisionnel direct. Ayant l’opportunité d’influer sur les politiques publiques locales, les acteurs peuvent passer outre l’humiliation publique. On peut ainsi faire l’hypothèse que les instances décisionnelles favorisent davantage la prise de parole que celles purement consultatives. Pourtant, sans être systématique, l’exit est fréquent à Morsang-sur-Orge et à Rome, comme en atteste l’important turnover au sein de ces institutions. Un autre facteur décisif pour contrecarrer la logique de l’exit est certainement l’existence de mécanismes de délégation, plus ou moins formalisés. L’acteur morsaintois précédemment cité, se présentant en porte-parole des riverains, a atteint une grandeur suffisante pour essuyer l’affront initial et aller de l’avant. La non-défection apparaît ainsi comme une condition essentielle à l’émergence de bifurcations discursives chez les participants de dispositifs démocratiques dont les conditions sociales et situationnelles d’émergence sont encore à explorer.

La bifurcation des trajectoires individuelles fruit de l’engagement participatif

30Si les participants peuvent modifier leurs arguments en situation et endosser le rôle de bons citoyens, l’intégration à l’institution peut se traduire, notamment chez les participants peu politisés au départ, par des bifurcations de trajectoires significatives. Si l’on s’intéresse à la trajectoire des participants sur une durée assez longue, on peut parfois repérer des bifurcations sensibles conduisant de l’expression initiale d’un trouble personnel à un engagement politique dans le cadre d’instances participatives. De tels cas demeurent néanmoins isolés et exceptionnels. En analysant quelques trajectoires individuelles à travers des histoires de vie, on peut néanmoins repérer les conditions sociales et situationnelles permettant l’émergence de bifurcations trajectorielles significatives. Le cas de Nicole, femme d’une cinquantaine d’années, participante expérimentée des dispositifs participatifs morsaintois bien que peu politisée, est particulièrement frappant à ce sujet :

31

Nicole évoqua elle-même son propre parcours au cours d’une réunion publique, en réaction au scepticisme affiché par certains nouveaux participants : « Vous savez, je vous conseille de venir à chaque réunion de quartier… C’est comme ça qu’on obtient des choses. Il faut se battre. […]. Moi, au départ, il y a déjà pas mal de temps, j’étais venue suite à un problème qu’on avait dans notre rue. Je me suis battue pendant quatre ans, j’ai mobilisé mes voisins, je suis venue régulièrement aux réunions des comités de quartier, et on a finalement eu gain de cause [32]. » Cette mobilisation autour d’un trouble personnel l’a finalement intégrée au sein du groupe des bons citoyens de son comité de quartier. Elle apparaît depuis comme la garante de l’intérêt général au sein du comité de quartier : « En partant au départ sur quelque chose de très restreint sur son quartier, on est en capacité de découvrir et d’aller bien au-delà pour s’investir encore plus, dans la mesure où on peut le faire pour… eh bien… améliorer sa ville [33]. » Son statut de bonne citoyenne l’a ainsi intronisée organisatrice active d’une « Rencontre citoyenne » initiée par la municipalité pour « faire le point et redynamiser la démarche participative ». Sélectionnée par le « Service citoyenneté » pour participer au documentaire réalisé par la municipalité recensant des « impressions citoyennes sur le sens de la démocratie participative » [34] (diffusé lors de la « Rencontre citoyenne ») et pour animer la discussion, son statut de bonne citoyenne est ainsi reconnu publiquement. Une telle reconnaissance lui permit d’adopter par la suite, au cours d’une réunion de son comité de quartier, un discours très général, quasi politique, qu’elle n’avait jamais adopté jusque-là : « Si on veut que notre ville bouge et change, on ne peut pas rester sur le bord du chemin. Il faut participer, on n’arrive jamais à rien tout seul. On doit se battre tous ensemble. On a la chance de pouvoir nous exprimer à Morsang, il faut en profiter [35]. » Nicole fut même applaudie par les autres participants habitués du comité de quartier. Que de chemin parcouru depuis ses premiers pas au sein du comité de quartier, comme elle le reconnaît elle-même : « Oui, je crois que cette expérience m’a pas mal marquée… Je me sens plus investie pour ma ville maintenant [36]. » Il serait certainement erroné de réduire la bifurcation de sa trajectoire aux seuls effets de la participation à une arène délibérative. D’autres facteurs, liés à son parcours personnel et professionnel, semblent entrer en ligne de compte. Analyste financière à Paris pour une grande banque pendant une quinzaine d’années, elle a en effet décidé de mettre entre parenthèses sa carrière professionnelle au moment de l’adoption de son fils au début des années 1990. Elle s’est alors occupée de la gestion administrative de la petite entreprise créée par son mari, mais reconnaît le vide créé par ce changement : « Je vis moins passionnément ma vie professionnelle aujourd’hui et ça me manque beaucoup. Et je retrouve un intérêt en allant comme ça [au travers du dispositif participatif] vers l’extérieur, j’ai ce besoin [37]. »

32À bien des égards, l’engagement au sein d’institutions de démocratie participative est ici venu combler un manque créé par une bifurcation dans la trajectoire professionnelle de cette participante. Elle souligne en particulier l’apport intellectuel (« C’est des gens très riches en idées, en manières de faire, en s’exprimant ») et relationnel (« Dans toutes ces réunions, vous touchez n’importe quel type social, de niveau plus ou moins important […] J’apprécie d’être en contact avec des gens et de découvrir d’autres gens ») de sa participation au dispositif participatif morsaintois. Elle a pu également réinvestir une partie de ses compétences professionnelles (capacité à parler en public, à organiser des réunions, à monter des projets en équipe, etc.) dans une arène publique. L’engagement participatif de cette femme, parce qu’il s’est appuyé sur des compétences professionnelles initiales et correspondait à un besoin d’investissement intellectuel et relationnel, a pu être suffisamment intense pour la mener de l’expression d’un trouble personnel à une forme minimale de politisation. Elle conclut néanmoins en précisant : « Moi, je n’aurais pas envie de faire de politique [38]. »

33Car la bifurcation de la trajectoire peut parfois conduire à intégrer l’équipe municipale. On peut évoquer ici le cas de Floriana, active depuis les origines dans les dispositifs du budget participatif romain, qui figure en 2006 sur les listes de Rifondazione comunista (un parti qui s’est situé à la gauche de l’ancien parti communiste italien après la reconversion travailliste de ce dernier) pour les élections municipales. Ayant toujours voté, mais sans jamais militer au sein d’un parti politique ou d’une association, elle reconnaît que l’expérience au sein du budget participatif lui a « tellement plu » qu’elle s’est « découvert une passion pour la politique [39] ». Si son expérience de participation ne l’a pas politisée – au sens idéologique du terme – elle lui a permis d’acquérir à la fois des habilités pratiques (parler en public, monter des projets en commun avec des associations, négocier avec l’administration et les techniciens, jouer de la rivalité entre politiciens, etc.) et un réseau de connaissances des notables locaux, qu’elle a ensuite pu réinvestir sur la scène politique locale. Une telle bifurcation eut été impossible sans le stock préalable d’expériences liées à son activité professionnelles – expert-comptable au sein du ministère des Finances –, au temps libéré par sa mise en retraite et au sentiment de « désœuvrement » qui s’en est suivi. Si de tels cas demeurent isolés, on peut néanmoins conclure que la participation à des arènes participatives constitue une expérience décisive pouvant se traduire par des bifurcations trajectorielles significatives, permettant d’offrir un canal alternatif de recrutement des élites politiques locales.

Les effets de la délibération ?

34La participation à des arènes délibératives semble avoir un impact sur les acteurs. Les effets les plus notables concernent des individus peu politisés, mobilisés au départ autour de troubles personnels, qui, en s’investissant de manière significative dans la démarche participative, vont progressivement modifier leurs arguments, voire leur comportement, et ainsi agir conformément à la définition collectivement construite du bon citoyen. C’est en intégrant le groupe des bons citoyens et en s’alignant sur les normes implicites de ce groupe que des individus peuvent eux-mêmes devenir de bons citoyens quand la situation le requiert. On peut néanmoins s’interroger sur le rôle de la discussion dans ce processus. Si certains sont affectés par leurs expériences délibératives, ce n’est pas la discussion en soi, ni les arguments échangés mais les normes grammaticales régulant celle-ci qui agissent sur les participants. Ce sont davantage les effets de la participation à une arène délibérative que de la délibération elle-même qui se font sentir. La question n’est pas de savoir si les participants sont convaincus par les arguments qu’ils entendent, et notamment si ceux prononcés par le groupe de bons citoyens convainquent les nimbystes. Ce qu’on peut observer en revanche, comme on l’a fait ici, c’est si les arguments échangés et les postures publiques adoptées évoluent avec le temps, d’une réunion publique à l’autre.

35Il semble dès lors relativement inapproprié de distinguer la délibération de ses effets. Les individus deviennent de bons citoyens en s’alignant sur les règles grammaticales en vigueur dans l’institution, en s’exprimant publiquement de manière appropriée (ici de manière désintéressée, éventuellement générale sans être trop politisée), c’est-à-dire en argumentant pour le bien commun. C’est parce qu’ils doivent délibérer qu’ils adoptent le rôle de bons citoyens ; et c’est en délibérant qu’ils apprennent à jouer ce rôle. Pas de bon citoyen qui ne délibère. La délibération quant à elle n’est possible que si les acteurs participants formulent des arguments suffisamment généraux pour être débattus collectivement. Pour que la délibération émerge d’une discussion publique il faut ainsi que certains acteurs accroissent la généralité du débat, le politisent, en imputant des chaînes de responsabilités, en s’indignant, en critiquant, en proposant des solutions collectives à des problèmes publics. Pour que la délibération émerge il faut que les individus endossent le rôle de bons citoyens, sans quoi la discussion tournera à l’interpellation, la rhétorique ou à une succession de monologues centrés sur des troubles personnels qui ne se répondent pas. Délibération et bonne citoyenneté forment ainsi les deux faces d’un phénomène indissociable.

Notes

  • [1]
    Je tiens à remercier Loïc Blondiaux, Dominique Cardon, Daniel Céfaï, Donatella Della Porta et Yves Sintomer pour leurs commentaires sur une première version de ce texte.
  • [2]
    Barber (B.), Démocratie forte, Paris, Desclée de Brouwer, 1984, p. 172.
  • [3]
    Entretien avec Luc L., participant au dispositif participatif de Morsang-sur-Orge, réalisé le 12 décembre 2005.
  • [4]
    Cf. Pateman (C.), Participation and Democratic Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1970 ; Mansbridge (J.), « On the Idea that Participation Makes Better Citizens », in Elkin (S.), Soltan (K.), eds, Citizen Competence and Democratic Institutions, Philadelphia, The Pennsylvania University Press, 1999 ; Barber (B.), Démocratie forte, op. cit.
  • [5]
    Putnam (R.), Making Democracy Work: Civic Traditions in Modern Italy, Princeton, Princeton University Press, 1993 et « Bowling Alone: America’s Declining Social Capital », Journal of Democracy, 6, 1995.
  • [6]
    Parmi les travaux fondateurs de cette approche on peut évoquer Habermas (J.), L’espace public, Paris, Payot, 1993 [1962] et Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997 ; Manin (B.), « Volonté générale ou délibération. Esquisse d’une théorie générale de la délibération politique », Le Débat, 33, 1985 ; Rawls (J.), Libéralisme politique, Paris, PUF, 1995 ; Elster (J.), ed., Deliberative Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. Au sujet de l’intégration de ce paradigme dans la science politique française, voir le numéro spécial de Politix, 15 (57), 2002, « Démocratie et délibération », coordonné par L. Blondiaux et Y. Sintomer.
  • [7]
    Pour une bonne revue de cette littérature, cf. Mendelberg (T.), « The Deliberative Citizen: Theory and Evidence », Research in Micropolitics, 6, 2002 ; Delli Carpini (M. X.), Lomax Cook (F.), Jacobs (L. R.), « Public Deliberation, Discursive Participation, and Citizen Engagement: A Review of the Empirical Literature », Annual Review of Political Science, 7, 2004. Pour une étude à partir de cas français, cf. Blatrix (C.), « The Changing French Democracy. Patchwork Participatory Democracy and Its Impact on Political Participation », communication au colloque de l’ECPR, Edimbourg, 28 mars-2 avril 2003.
  • [8]
    À ce sujet, cf. la très bonne revue de la littérature sur les effets de la délibération : Ryfe (D. M.), « Does Deliberative Democracy Work ? », Annual Review of Political Science, 8, 2005.
  • [9]
    Notre perspective est ouvertement inspirée de Eliasoph (N.), Avoiding Politics. How Americans Produce Apathy in their EverydayLife, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
  • [10]
    Parmi les principaux inspirateurs de la théorie du choix rationnel dans les décisions politiques, on peut évoquer : Downs (A.), An Economic Theory of Democracy, New York, Harper Collins, 1957 ; Arrow (K.), Social Choice and Individual Values, New York, Wiley, 1963 ; Riker (W. H.), Liberalism Against Populism, San Francisco, Freeman, 1982.
  • [11]
    Cf. Schumpeter (J.), Capitalism, Socialism and Democracy, New York, Harper and Brothers, 1942 ; Berelson (B.), Lazarsfeld (P.), McPhee (W.), Voting: A Study of Opinion Formation in a Presidential Campaign, Chicago, University of Chicago Press, 1954 ; Lipset (S. M.), Political Man: The Social Bases of Politics, New York, Doubleday, 1960. L’intégration des théories du choix rationnel au sein du paradigme élitiste des théories démocratiques n’est pas aussi mécanique et chronologique qu’on l’a présenté ici. Ces deux approches sont plus directement entremêlées théoriquement et temporellement.
  • [12]
    Cf. Elster (J.), « The Market and the Forum: Three Varieties of Political Theory », in Elster (J.), Hylland (A.), eds, Foundations of Social Choice Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1986 ; Sunstein (C.), « Preferences and Politics », Philosophy and Public Affairs, 20 (1) 1991 ; Offe (C.), « Micro-Aspects of Democratic Theory: What Makes for the Deliberative Competence of Citizens ? », in Hadenius (A.), ed., Democracy’s Victory and Crisis, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
  • [13]
    Cf. Sunstein (C.), « The Law of Group Polarization », The Journal of Political Philosophy, 10 (2), 2003 ; Kuklinski (J.), ed., Citizens and Politics: Perspectives from Poltical Psychology, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
  • [14]
    Cf. Gardner (H.), The Mind’s New Science: A History of the Cognitive Revolution, New York, Basic, 1985.
  • [15]
    Sur cette question épistémologique importante, cf. Mills (C. W.), « Situated Actions and Vocabularies of Motive », American Sociological Review, 5, 1940. Pour une interprétation contemporaine, cf. Trom (D.), « Grammaires de la mobilisation et vocabulaires des motifs », in Céfaï (D.), Trom (D.), dir., Les formes de l’action collective. Mobilisations dans des arènes publiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001. Voir également Trom (D.), « De la réfutation de l’effet NIMBY considérée comme une pratique militante. Notes pour approche pragmatique de l’activité revendicative », Revue française de science politique, 49 (1), 1999.
  • [16]
    On pense notamment au concept de « force civilisatrice de l’hypocrisie » cher à Jon Elster (Elster (J.), « Argumenter et négocier dans deux assemblées constituantes », Revue française de science politique, 44 (2), 1994).
  • [17]
    Cf. Cardon (D.), Heurtin (J.-P.), Lemieux (C.), « Parler en public », Politix, 31, 1995 ; Céfaï (D.), « Qu’est-ce qu’une arène publique ? Quelques pistes pour une approche pragmatiste », in Céfaï (D.), Joseph (I.), dir., L’héritage du pragmatisme. Conflits d’urbanité et épreuves de civisme, Paris, Éditions de l’Aube, 2002 et « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, 75, 1996.
  • [18]
    L’expression « bon citoyen » n’est jamais utilisée par les acteurs en situation ; elle est davantage issue de la littérature théorique sur les effets de la délibération et de la participation politique. Il nous semble néanmoins qu’il existe de bonnes manières de s’engager dans un dispositif participatif – et par conséquent de mauvaises manières également. En ce sens, l’expression « bon citoyen » renvoie à la compétence des acteurs en situation de mise en jeu et de mobilisation de la citoyenneté. Notre ambition n’est pas ici d’offrir une analyse exhaustive de la compétence politique en soit, mais d’étudier le type d’engagement requis des participants à des discussions publiques dans des arènes participatives. La compétence politique requiert bien plus qu’un engagement adéquat dans des espaces publics et sa définition dépend de la théorie de la démocratie sous-jacente (cf. Theiss-Morse (E.), « Conceptualizations of Good Citizenship and Political Participation », Political Behavior, 15 (4), 1993).
  • [19]
    Cf. Le Bart (C.), Lefebvre (R.), dir., La proximité en politique. Usages, rhétoriques, pratiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
  • [20]
    Réunion du Comité de quartier Wallon, Morsang-sur-Orge, 23 février 2006.
  • [21]
    Notes d’observation. Comité de quartier Langevin, Morsang-sur-Orge, 4 novembre 2005.
  • [22]
    Intervention de Marjolaine Rauze, maire de la ville. Réunion publique, 1er octobre 2005, Morsang-sur-Orge.
  • [23]
    De telles mobilisations ont ainsi été orchestrées autour de la création d’une maison de retraite, de l’opposition à la création d’un nouveau couloir aérien ou d’une requête de création d’un commissariat dans la ville. Les arènes participatives apparaissent à ce titre comme des espaces de mobilisation de la population pour des élus tentant de modifier des rapports de force institutionnels à leur avantage.
  • [24]
    Cf. Nonjon (M.), « Professionnels de la participation : savoir gérer son image militante », Politix, 70, 2005, p. 104.
  • [25]
    Réunion n.1 du groupe de travail du quartier Garbatella, Rome, 17 février 2005.
  • [26]
    À Morsang-sur-Orge, les quatre animatrices du service citoyenneté sont ainsi membres du PCF, alors qu’à Rome les facilitateurs des discussions sont issus d’une association visant à promouvoir la démocratie participative, idéologiquement proche du centre social qui a servi de tremplin politique au conseiller municipal au budget participatif.
  • [27]
    Cf. Hirschman (A.), Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995 [1970]. On peut également considérer que la participation même à ces dispositifs participatifs constitue en soi une forme de « prise de parole », dans la mesure où elle équivaut à un engagement – par la simple présence – en faveur de la démarche participative. La logique de la « prise de parole » peut néanmoins être ici comprise dans un second sens, en rapport à la grammaire publique en vigueur. En ce sens, elle est assez peu fréquente dans les dispositifs étudiés, dans la mesure où elle supposerait une mise en cause coûteuse des règles grammaticales implicites du groupe dominant. Les frontières de la grammaire publique ne sont néanmoins pas fixes et évoluent en situation, en fonction des positions prises par les interactants et des épreuves rencontrées.
  • [28]
    Notes d’observation. Comité de quartier Langevin, Morsang-sur-Orge, 4 novembre 2005.
  • [29]
    Notes d’observations. Réunion de l’Atelier budgétaire « Piétons, Vélos, Voitures », Morsang-sur-Orge, 12 décembre 2005.
  • [30]
    Entretien avec Christian C., Morsang-sur-Orge, 17 novembre 2005.
  • [31]
    Cf. Johnson Conover (P.), Searing (D.), Crewe (I.), « The Deliberative Potential of Political Discussion », British Journal of Political Science, 32, 2002 ; Eliasoph (N.), Avoiding Politics…, op. cit.
  • [32]
    Notes d’observation. Comité de quartier Wallon, Morsang-sur-Orge, 10 janvier 2006.
  • [33]
    Entretien avec Nicole C., Morsang-sur-Orge, 24 février 2006.
  • [34]
    Le documentaire était intitulé « Démocratie participative : Utopie ou nécessité ? », Service citoyenneté et vie associative, Morsang-sur-Orge, janvier 2006.
  • [35]
    Intervention au cours du Comité de quartier Wallon, Morsang-sur-Orge, 23 février 2006.
  • [36]
    Entretien avec Nicole C., Morsang-sur-Orge, 24 février 2006.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    Entretien avec Floriana M., Rome, 28 mars 2006.
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