Politix 2005/1 n° 69

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Article de revue

Au nom de la loi et de la technique

L'évolution de la figure de l'inspecteur des installations classées depuis les années 1970

Pages 131 à 161

Notes

  • [1]
    Cf. le dossier de Politix, 44,1998, « Les politiques du risque ».
  • [2]
    Cf. Theys (J.), Fabiani (J.-L.), dir., La société vulnérable, Paris, Presses de l’ENS, 1987 ; Beck (U.), La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Aubier, 2001, ainsi que les actes du séminaire du programme « Risques collectifs et situations de crise », publiés depuis 1994 sous la direction de C. Gilbert.
  • [3]
    DDAF : Direction départementale de l’Agriculture et de la Forêt ; DDASS : Direction départementale des Affaires Sanitaires et Sociales ; DSV : Direction des Services Vétérinaires ; STIIC : Service Technique Interdépartemental des Installations Classées (Préfecture de Police de Paris).
  • [4]
    La directive européenne « SEVESO », adoptée en 1982, vise à renforcer le contrôle de la puissance publique sur les activités industrielles. Elle impose de nouveaux instruments de gestion du risque : l’étude de danger (qui décrit et recense les accidents que peut provoquer l’installation et propose des mesures pour en réduire la probabilité et les effets), le plan d’opération interne (les mesures d’urgence à mettre en œuvre au sein de l’établissement en cas d’accident) et le plan particulier d’intervention (les mesures à prendre en cas d’accident s’étendant à l’extérieur de l’installation).
  • [5]
    Colliot (J.), de Font-Réault (B.), « La prise en charge de l’Inspection des installations classées par les services de l’Industrie et des Mines », Annales des Mines, juillet-août 1979.
  • [6]
    Poujade (R.), Le ministère de l’impossible, Paris, Calmann Levy, 1975, p. 26-27.
  • [7]
    Spanou (C.), Fonctionnaires et militants. L’administration et les nouveaux mouvements sociaux, Paris, L’Harmattan, 1991.
  • [8]
    Suleiman (E. N.), Les élites en France. Grands corps et grandes écoles, Paris, Le Seuil, 1979, p. 195-228 notamment.
  • [9]
    Desjeux (D.), Friedberg (E.), « Fonctions de l’État et rôle des grands corps : le cas du corps des Mines », Annuaire international de la fonction publique, 1972-1973, p. 577.
  • [10]
    E. Suleiman, par l’analyse des débats internes au corps des Mines, nuance cependant l’idée d’une décision ferme et d’une conversion enthousiaste au nouveau domaine représenté par l’environnement. C’est que la spécialisation dans un domaine (qu’il s’agisse du contrôle de l’exploitation minière ou de l’environnement) va à l’encontre de la volonté d’expansion qui est la condition du maintien de l’ascendant et de l’attractivité du corps. Par ailleurs, rien ne dit alors que l’environnement, ce secteur émergent, va nécessiter un engagement durable. Enfin, ce qui importe pour le corps, c’est de « s’adapter » à un nouveau problème, et non de se spécialiser dans un domaine, quel qu’il soit. Dans cette perspective, l’écologie n’est « qu’une occasion parmi d’autres ». Pour une comparaison, à propos du corps des Ponts et Chaussées, cf. Thoenig (J.-C.), L’ère des technocrates, Paris, Les éditions d’organisation, 1973.
  • [11]
    La part de la stratégie du corps des Mines et son influence sur la nature de la politique d’inspection des installations classées seront à nouveau développées par G. Decrop et C. Gilbert à propos des études de danger. Cf. Decrop (G.), Gilbert (C.), « L’usage des politiques de transition : le cas des risques majeurs », Politique et management public, 11 (2), 1993.
  • [12]
    Ce faisant, on s’attache non pas aux mutations vécues par les membres du corps des Mines, qui n’est pas présent dans les départements, mais au changement de métiers des ingénieurs de terrain, de l’Industrie et des Mines, le « petit corps » selon la terminologie de J.-C. Thoenig.
  • [13]
    Padioleau (J.-G.), L’État au concret, Paris, PUF, 1982 ; Meny (Y.), Thoenig (J.-C.), Politiques publiques, Paris, PUF, 1989 ; Muller (P.), Surel (Y.), L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998.
  • [14]
    Par exemple Dubois (V.), La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica, 1999, ou la revue Droit et société, 44-45,2000 – notamment les articles de Weller (J.-M.), « Une controverse au guichet : vers une magistrature sociale » ou Choquet (L.-H.), Sayn (I.), « Droit de la sécurité sociale et réalité de l’organisation : l’exemple de la branche famille ».
  • [15]
    L’organisation du service des Mines (les « arrondissements minéralogiques » deviennent SIIM : Service interdépartemental de l’industrie et des mines en 1976), de la DII (Direction interdépartementale de l’industrie) en 1979, de la DRIR (Direction Régionale de l’Industrie et de la Recherche) en 1983, et enfin de la DRIRE en 1991, ne connaît pas de modification majeure au cours de la période couverte par l’article. Elle repose sur la juxtaposition de « subdivisions » dirigées par un ingénieur et qui peuvent compter un technicien et une secrétaire. L’ensemble des subdivisions d’un département forme un « groupe de subdivisions », dirigé par un « chef de groupe ». Ce mode de fonctionnement assure une grande marge d’autonomie sur le terrain aux ingénieurs et techniciens qui sont inspecteurs des installations classées. Pour une analyse de l’organisation des DRIRE en matière d’inspection, cf. Bonnaud (L.), Experts et contrôleurs d’État : les inspecteurs des installations classées de 1810 à nos jours, Thèse de doctorat de sociologie de l’ENS de Cachan, 2001 (en particulier le chap. 2).
  • [16]
    Ces entretiens ont été réalisés au cours d’une enquête ethnographique dans la région Rhône-Alpes. Cependant, parmi les inspecteurs qui se trouvent actuellement dans la région (en poste ou à la retraite), rares sont ceux qui ont débuté en Rhône-Alpes dans les années 1970. Les exemples, les situations décrites, concernent donc souvent d’autres régions.
  • [17]
    Le recrutement du service des Mines pour assurer l’inspection des installations classées est un fait avéré, mais sa quantification reste délicate : en effet, on peut connaître l’évolution des effectifs des services des mines, mais on ne peut pas savoir qui, parmi le personnel ainsi identifié, assurait l’inspection d’établissements classés. P. Lascoumes propose les chiffres suivants : 14 inspecteurs en 1968,273 en 1978,515 en 1988, puis une progression de 20 par an jusqu’au début des années 1990. En 1997, les inspecteurs étaient, d’après le ministère de l’Environnement, 1325. Lascoumes (P.), L’éco-pouvoir, environnements et politiques, Paris, La découverte, 1994, p. 150.
  • [18]
    On trouve là une définition de la compétence de ces ingénieurs très proche de celle de D. Montjardet à propos de la police : Montjardet (D.), Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris, La découverte, 1996, p. 115-123.
  • [19]
    L’inspection des installations classées a été généralement exercée par l’inspection du travail entre le début des années 1920 (suite à la loi sur les établissements dangereux, insalubres et incommodes du 19 décembre 1917) et la fin des années 1960.
  • [20]
    Auvergnon (P.), « Débats et idées sur l’inspection du travail », in Inspecteurs et inspection du travail sous la IIIe et la IVe République, Paris, La Documentation Française, 1998.
  • [21]
    La représentation de l’inspecteur du travail en juriste est propre aux discours des inspecteurs des installations classées. Cependant, des travaux comme ceux de N. Dodier ont montré que les inspecteurs du travail accommodent le droit plus qu’ils ne l’appliquent stricto sensu et que le corps de l’inspection du travail entretient une réflexion, parfois très critique, sur le droit et ses modalités d’application. Dodier (N.), « Le travail d’accommodation des inspecteurs du travail en matière de sécurité », in Boltanski (L.), Thévenot (L.), dir., Justesse et justice dans le travail, Paris, PUF, 1989, et Dodier (N.), « Représenter ses actions. Le cas des inspecteurs et des médecins du travail », Raisons Pratiques, 1990,1.
  • [22]
    DCO : Demande Chimique en Oxygène. La pollution de l’eau par les matières organiques, dégradables ou non, est évaluée par la demande chimique en oxygène, qui représente le poids d’oxygène nécessaire à la dégradation, par voie chimique, des substances polluantes.
  • [23]
    Ces études envisagent l’impact du fonctionnement de l’établissement. Elles détaillent les atteintes à l’environnement de façon thématique : impact sur l’air, l’eau, le paysage, les sols, la santé, etc.
  • [24]
    L’expression de « magistrature technique » est utilisée par un interlocuteur de P. Lascoumes pour définir son activité, au début des années 1990. Lascoumes (P.), L’éco-pouvoir …, op cit., p. 150.
  • [25]
    Pour une présentation de la loi et de la jurisprudence, cf. Baucomont (M.), Gousset (P.), Traité de droits des installations classées, Paris, Lavoisier, 1994 ; Boivin (J.-P.), Droit des installations classées, Paris, Le Moniteur, 1994.
  • [26]
    Weber (M.), Sociologie du droit, Paris, PUF, 1986. Cf. également Serverin (E.), Sociologie du droit, Paris, La Découverte, 2000 ; Serverin (E.), Lascoumes (P.), « Le droit comme activité sociale : pour une approche wébérienne des activités juridiques », Droit et Société, 9,1988.
  • [27]
    Lascoumes (P.), « Normes juridiques et mise en œuvre des politiques publiques », L’Année sociologique, 40, 1990, p. 50.
  • [28]
    On rejoint ici les analyses qui prennent en compte les « appuis conventionnels de l’action » : Dodier (N.), « Les appuis conventionnels de l’action. Éléments de pragmatique sociologique », Réseaux, 62,1993, p. 63-85.
  • [29]
    Note de service régionale « Sanctions dans le domaine des ICPE » du 14 décembre 1995. C’est nous qui soulignons.
  • [30]
    Ibid.
  • [31]
    Cette préférence est statistiquement sensible, comme le montre le tableau de l’activité annuelle de l’inspection en 2000.

    tableau im1
    TOTAL DRIRE Visite et inspections 30 000 15 000 Sanctions administratives 04 000 02 500 Procès-verbaux 01 200 0 0800 Ainsi, on constate que le service dont dépendent les inspecteurs a préalable-

  • [32]
    Lascoumes (P.), « Administration et justice, les logiques de renvoi », in Mucchielli (L.), dir., Crime et société, l’état des savoirs, Paris, La découverte, 2002.
  • [33]
    Pour éviter de subir cet état de fait, il est demandé aux chefs de groupe de subdivisions d’entretenir des relations, au moins annuelles, avec le procureur et son substitut. Le contenu des discussions à avoir à ses occasions est lui aussi très précisément décrit : « Quelles sont les infractions à relever par PV ? (Tous les délits ? Quelles contraventions ? Vous veillerez notamment à faire valider par le Procureur la doctrine de la DRIRE reprise par cette note (notamment les points 4.1.2., 4.2.5., 6.2 et 6.4) ». Il y a là un effet de rétroaction dans la mesure où les normes administratives d’application sont présentées par l’inspection afin d’être acceptées par les tenants de l’ordre juridique pénal. Les services administratifs tendent donc à obtenir une modification locale des règles générales qui dépasse le cadre d’interventions seulement ponctuelles, sur un dossier ou un autre.
  • [34]
    Pour autant, l’inspection ne maîtrise pas absolument les sanctions administratives, puisqu’elle les propose à la signature du préfet. Néanmoins, comparée au long chemin que suivent les sanctions pénales dans des circuits que l’inspection connaît mal, la voie administrative peut être considérée comme plus sûre lorsqu’il s’agit de sanctionner un fonctionnement inadapté.
  • [35]
    La mise en place de normes ISO 14 000 (environnementales) constitue un exemple de cette mobilisation industrielle sur les questions environnementales. Cf. Reverdy (T.), « Les formats de la gestion des rejets industriels : instrumentation de la coordination et enrôlement dans une gestion transversale », Sociologie du travail, 42,2000. On peut noter que l’inspection des installations classées ne reconnaît pas, dans son activité, les démarches volontaires des entreprises (essentiellement au motif qu’une entreprise peut être certifiée ISO 14 000 sans être en règle avec l’inspection ; il suffit qu’elle s’engage à respecter ultérieurement la réglementation). D’autres polices sanitaires (par exemple en matière de risque alimentaire) ont au contraire choisi d’intégrer dans le droit les normes techniques produites par les professionnels.
  • [36]
    Robert (J.-L.), Inspecteurs et inspection du travail, Paris, La Documentation Française, 1998.
  • [37]
    « Lettre du Secrétariat d’État auprès du Premier ministre chargé de l’environnement et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs aux préfets », 4 décembre 1989.
  • [38]
    Les sujets à traiter sont les suivants : les risques industriels, l’eau, l’air et les odeurs, le bruit et les vibrations, les déchets, les sols pollués, les effets sur la santé, comportement-relation avec un industriel, responsabilité pénale, organiser son travail (suivre ses objectifs, maîtriser son temps).
  • [39]
    Compte-rendu d’une réunion inter-DRIRE, novembre 1996.
  • [40]
    « Pour une industrie performante, propre et sûre » est le slogan des DRIRE dans les années 1990.
  • [41]
    Ce groupe était composé en majorité d’inspecteurs de terrain de la DRIRE.
  • [42]
    Trépos (J.-Y.), La sociologie de l’expertise, Paris, PUF, 1996, p. 47.
  • [43]
    Mise en évidence dans Paradeise (C.), « Rhétorique professionnelle et expertise », Sociologie du travail, 1, 1985, p. 19.
  • [44]
    La définition de la « compétence » (particulièrement l’examen de ses liens avec la « qualification ») a donné lieu, en sociologie, à de nombreux débats. La perspective développée ici décale légèrement ces débats, en prenant acte tout d’abord de l’existence d’un « modèle de la compétence » pour l’inspection, promu par le ministère de l’Environnement et qu’il convient de décrire, et d’autre part, en envisageant non le contenu de cette compétence mais les terrains sur lesquels elle s’affirme. Pour un état du débat, voir le numéro spécial de Sociologie du travail, 43,2001. Voir également Dubar (C.), « La sociologie du travail face à la qualification et à la compétence », Sociologie du travail, 2,1996, et Stroobants (M.), Savoir-faire et compétences au travail, Bruxelles, Éditions de l’Université Libre de Bruxelles, 1993.
  • [45]
    Notons également que les inspecteurs doivent encadrer l’activité de recherche de certains laboratoires industriels dont les produits peuvent être, par définition, inconnus et dont les effets sont, à coup sûr, mal appréhendés.
  • [46]
    Pollak (M.), « Expertise et réglementation technologique », in CRESAL, Situations d’expertise et socialisation des savoirs, Paris, L’Harmattan, 1985, p. 257.
  • [47]
    Compte-rendu du séminaire « L’évaluation de l’impact des installations classées sur la santé des populations », Paris, ministère de l’Environnement, juillet 2002.
  • [48]
    Fristch (P.), « Situations d’expertise et “expert-système” », in CRESAL, Situations d’expertise …, op. cit., p. 27.
  • [49]
    Actuellement, le modèle du savoir spécialisé et le modèle procédural cohabitent au sein de l’inspection de façon plus ou moins conflictuelle. Un phénomène semblable de concurrence entre formes de compétence s’observe chez les enseignants étudiés par L. Demailly et chez les policiers analysés par D. Montjardet. Demailly (L.), « La qualification ou la compétence professionnelle des enseignants », Sociologie du travail, 1,1987 ; Montjardet (D.), « Compétence et qualification comme principes d’analyse de l’action policière », Sociologie du travail, 1,1987.
English version

1Depuis une vingtaine d’années, le traitement public des crises alimentaires, écologiques, industrielles (ESB, légionellose, listériose) ainsi que de certains événements accidentels (explosion de l’usine AZF) a accrédité l’idée qu’il existait des « politiques du risque [1] » représentant un nouveau modèle de gestion des risques collectifs. La définition de ces politiques du risque repose sur l’idée qu’il y a désormais dans nos sociétés un type de vulnérabilité inédit [2], et que cette nouveauté induit la création de nouvelles formes d’intervention publique fondées sur des principes d’action publique originaux, comme l’information du public, la traçabilité ou le principe de précaution. Cette focalisation des analyses sur l’originalité des dispositifs d’action publique récemment créés a conduit à occulter les formes plus anciennes d’intervention de l’État, qui n’ont pourtant pas disparu. Parmi elles, les politiques d’inspection, qu’il s’agisse de l’inspection des installations classées (environnement et sécurité industrielle), de l’inspection du travail (hygiène et sécurité du travail), ou de l’inspection sanitaire (santé animale et hygiène des aliments), conservent leur rôle central et constituent le socle des interventions régulatrices de l’État dans un univers de libre concurrence. Ces diverses inspections ont en commun d’appuyer leurs interventions sur le droit, dans un contexte de forte incertitude technique et scientifique : les dangers qu’elles doivent prévenir et encadrer sont souvent mal appréhendés, les seuils fixés pour les réglementer sont mouvants et susceptibles de remises en cause brutales. Dès lors, l’activité des inspecteurs s’exerce dans une tension constante entre le droit et la technique, entre l’encadrement réglementaire du fonctionnement des entreprises et la valorisation du progrès industriel.

2L’inspection des installations classées, chargée de la gestion et de la prévention de la pollution et des risques industriels, est emblématique de ces dispositifs anciens confrontés à des crises graves, comme l’explosion de l’usine AZF à Toulouse ou la légionellose autour de l’usine Noroxo. Elle repose depuis 1810 sur un principe immuable : les entreprises qui présentent un risque d’atteinte à l’environnement doivent obtenir une autorisation administrative (qui fixe les conditions du fonctionnement de l’établissement) et sont soumises à une surveillance. Actuellement, la mise en œuvre de ce dispositif mobilise diverses structures administratives départementales ou régionales (DDAF, DDASS, DSV, DRIRE et STIIC [3] ) plus ou moins bien coordonnées. La plus importante, à la fois par le nombre d’inspecteurs et par le type d’établissements contrôlés (les plus dangereux, dont ceux qui relèvent de la directive « SEVESO [4] »), est la DRIRE : Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement. Ces fonctionnaires, dont l’inspection des installations classées ne constitue qu’une partie du travail, exercent cette activité depuis les années 1970 – période à partir de laquelle leur service, qui dépend du ministère de l’Industrie, est devenu le principal relais sur le terrain du ministère de l’Environnement.

3L’objet de cet article est de décrire et d’analyser la façon dont les DRIRE et leurs agents ont pris en charge l’inspection des installations classées dans les années 1970, puis la manière dont est née et a évolué une figure particulière du contrôle et de l’expertise : l’inspecteur des installations classées. Il s’agit ainsi d’apporter une contribution à l’analyse de la mise en œuvre des politiques publiques sous l’angle de la sociologie du travail et des professions, et notamment d’envisager l’identité et le travail des « metteurs en œuvre » comme des « analyseurs » du changement de la politique en matière de risque industriel.

Récits des origines

4L’histoire de l’arrivée de l’inspection des installations classées dans les services des Mines, telle qu’elle est présentée par le ministère de l’Environnement, est celle d’une suite d’enchaînements logiques à partir d’un événement fondateur : la catastrophe de Feyzin, survenue le 4 janvier 1966 (18 morts et des centaines de blessés). La catastrophe étale au grand jour une double incohérence. D’une part, la raffinerie, comme l’ensemble des installations pétrolières, ne relevait pas alors de l’inspection des établissements classés mais d’un décret de 1939 sur les installations de guerre (incohérence juridique). D’autre part, des établissements appartenant à un secteur industriel en forte expansion depuis le début des années 1960 n’étaient pas contrôlés (incohérence administrative). Dans cette configuration, l’entrée en scène d’un service technique compétent du ministère de l’Industrie constitue un aboutissement logique qui répond à ces désordres. D’autant que le service en question se présente comme spécialisé en matière de sécurité industrielle [5], puisqu’il s’occupe déjà de la sécurité dans les mines, et qu’il repose sur le travail d’ingénieurs spécifiquement formés. Ainsi se construit l’idée d’une continuité dans l’action des services du ministère de l’Industrie, de la sécurité minière à la sécurité industrielle, dans une adéquation immédiate des structures et des compétences aux nouveaux enjeux.

5Cette « évidence » a été largement déconstruite par les travaux de sciences sociales qui ont analysé la naissance du ministère de l’Environnement, institué le 7 janvier 1971, ainsi que les stratégies des grands corps de l’État à cette occasion. Dès l’origine, il est prévu que ce ministère « ne devrait rien coûter à l’État [6] », qu’il n’aura pas d’administration propre et sera organisé par une recomposition des administrations existantes. Au sein de la Direction de la Prévention de la Pollution, on trouve essentiellement des membres du corps des Mines, qui tendent à investir le tout nouveau ministère de l’Environnement. Des travaux comme ceux de C. Spanou [7] et d’E. Suleiman [8] insistent sur l’importance des manœuvres et processus mis en œuvre par les grands corps en général, et celui des Mines en particulier [9], pour occuper ce nouveau domaine. C’est que l’adaptation des corps aux modifications de l’appareil d’État est la condition du maintien de leur prestige et de leur influence [10]. Dans cette perspective, le transfert de l’Inspection des établissements classés de l’Inspection du travail aux services des Mines peut être vu comme le résultat d’une concurrence entre grands corps de l’État, et d’une stratégie particulière du corps des Mines [11].

6Les analyses qui visent à décrypter comment l’action de l’administration centrale du ministère de l’Environnement, et les orientations qui sont les siennes, ont pu être influencées par les stratégies des grands corps, ne disent rien de la façon dont l’Inspection des établissements classés s’est mise en place à la base, dans les « arrondissements minéralogiques » des services des Mines [12]. Or, la reconversion de ces structures, de tailles très diverses en fonction de l’activité minière du département concerné, n’a rien d’évident. Dans les départements où la mine est une activité majeure, le service comprend plusieurs ingénieurs, qui encadrent le travail de plusieurs milliers de personnes, pour une production en millions de tonnes. À l’inverse, il existe des départements sans grosse exploitation minière où le service est représenté de façon plus ou moins symbolique, parfois par une seule personne, qui remplit des missions techniques variées (essentiellement le contrôle des véhicules poids lourds et des appareils à pression). Le décalage entre le contenu des programmes publics et leur mise en œuvre a été maintes fois souligné par l’analyse des politiques publiques. Cette dernière a théorisé la nécessité d’une approche « par le bas » [13], qui prête attention aux dispositifs concrets, et envisage les situations d’action dans lesquelles s’engagent les acteurs. Parallèlement, depuis les années 1990, s’est développée une sociologie de la vie « au guichet » [14], qui s’intéresse à la quotidienneté du travail des agents de l’État accueillant des usagers, souvent défavorisés. Ces travaux ont en commun de refuser une vision de l’administration comme entité uniforme, où travaillent des individus interchangeables, qui se confrontent à des usagers standardisés. Les fonctionnaires décrits dans cet article ont peu de chose en commun avec les agents de guichet, dans la mesure où il s’agit de techniciens et d’ingénieurs de l’industrie et des mines, qui exercent avec une grande autonomie des missions d’expertise sur les risques industriels et de contrôle des installations dangereuses ou polluantes. Cependant, l’attention portée à l’identité des inspecteurs et à la façon dont leur travail est organisé et réalisé rapproche notre analyse des études sur le travail dans l’action publique. L’article propose donc une réflexion sur les « figures » d’inspecteurs qui existent depuis les années 1970, afin de montrer en quoi l’évolution des pratiques quotidiennes de travail peut configurer une politique réglementaire.

7Pendant la période envisagée, l’organisation de l’inspection change peu : les arrondissements minéralogiques du service des Mines [15] assurent, sous l’autorité du préfet, l’inspection des installations classées. En revanche, l’identité des inspecteurs (leur recrutement, leur formation) varie, ainsi que la façon dont ils appréhendent la fonction et la mettent en œuvre. Ces changements affectent directement le travail concret des inspecteurs, qui porte à la fois sur la production et l’interprétation de règles de droit, c’est-à-dire, concrètement, l’écriture d’arrêtés d’autorisation (qui sont ensuite proposés à la signature du préfet) et le contrôle du respect de ces mêmes arrêtés. Étudier les pratiques des inspecteurs, c’est appréhender à la fois leur statut d’expert technique, la façon dont ils utilisent les instruments du droit à leur disposition, et plus généralement les formes de l’intervention de l’État dans une activité régalienne. Construite à partir de documents d’archives et d’entretiens auprès d’inspecteurs actuellement en activité [16] ou de leurs prédécesseurs, cette réflexion est présentée sous la forme de trois modèles, dénommés « figures ».

8La construction des différentes figures d’inspecteur repose sur un ensemble de données de terrain que l’on peut regrouper selon trois pôles : l’identité des inspecteurs, leur rapport à la technique et leur rapport au droit. En premier lieu, il convient en effet de préciser qui sont les inspecteurs, quelle est leur formation et le type de carrière à laquelle ils peuvent prétendre ; en second lieu, de mettre l’accent sur la place de la compétence technique que ces ingénieurs et techniciens de l’industrie et des mines choisissent d’investir dans leur activité pour la protection de l’environnement ; enfin, de dire quel rapport ils entretiennent avec la ressource juridique, qui permet et encadre leur activité, de même que le type de droit dont il s’agit. Par ailleurs, il convient de caractériser, pour chaque figure, les rapports que les inspecteurs entretiennent avec leur autorité centrale et avec les industriels qu’ils contrôlent. Ces cinq dimensions d’analyse permettent d’appréhender les modes d’ajustement d’un métier en actes et contribuent à établir quelques hypothèses quant à la qualité d’« ingénieurs d’État ». Entendue ainsi, chaque figure est conçue comme une stylisation cohérente et significative, mais toutes les pratiques des inspecteurs ne se laissent pas réduire à ces « types construits ». De même, la diversité des situations d’action des inspecteurs est telle qu’un même individu peut faire appel, selon les entreprises ou selon les interactions dans lesquelles il est engagé, à des registres d’action qui découlent de l’une ou l’autre figure. Ces figures sont présentées selon une perspective chronologique, car elles n’ont pas toutes émergé de façon concomitante. Rien ne permet toutefois d’identifier avec précision des dates de début et de fin pour chacune d’elles. Au final, aucune d’elles n’est exclusive des autres, et toutes restent intriquées aujourd’hui encore, même si on constate, suivant les périodes, des dominantes.

La figure pionnière de l’inspecteur technicien

9À la fin des années 1960, le service des Mines disposait, dans les départements, d’effectifs faibles. Le recrutement s’effectua progressivement, au sein des écoles des Mines (qui dépendent du ministère de l’Industrie) de Douai et Alès, ce qui rend la population des inspecteurs très homogène. Par ailleurs deux recrutements exceptionnels eurent lieu en 1973 : 100 ingénieurs issus d’écoles diverses (notamment des écoles de chimie), ainsi que des techniciens, dans les mêmes proportions [17]. En tout état de cause, en quelques années, c’est un bouleversement complet du service des Mines qui s’opère : alors que la fermeture des diverses mines de France prédisait à moyen terme sa disparition, il s’est retrouvé dans une dynamique d’extension et de recrutement. Cela ne signifie pas que le personnel du service a abandonné ses missions antérieures : le contrôle des véhicules, des appareils à pression, des carrières et des quelques mines qui restent (ainsi que le traitement de l’abandon des concessions minières) font toujours partie du travail quotidien. D’activité supplémentaire et un peu marginale, l’inspection des installations classées devient pourtant, petit à petit, la dominante et l’élément autour duquel se construit l’identité du service.

Inventer un nouveau modèle

10Il est essentiel de noter que si l’argumentation en faveur d’une reprise de l’inspection par le service des Mines insiste sur la logique et la continuité de ce passage, l’expérience du terrain ne va pas tout à fait dans ce sens. La connaissance du travail constitue la première difficulté pour des ingénieurs qui découvrent leurs nouvelles fonctions : « Les deux premières années, chacun faisait comme il l’entendait. On ne savait pas faire du tout. »

Techniciens avant tout

11Pour tous, l’inspection des installations classées suppose des compétences nouvelles, y compris sur le plan technique. Tous ces ingénieurs, qui « faisaient de l’inspection » dans les Mines, avaient une expérience professionnelle de la mine : ils avaient le plus souvent travaillé comme ingénieurs d’exploitation, « au fond ». Ils connaissaient donc bien ce qu’ils devaient inspecter, la mine, et avaient un regard très assuré sur les questions de sécurité, avec une conception claire de leur responsabilité pour prévenir des accidents pouvant entraîner la mort des hommes. Avec l’inspection des installations classées, le statut de ces hommes change. Ce ne sont plus des spécialistes, qui partagent une même expérience avec ceux qu’ils contrôlent.

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« Lorsqu’on s’occupait des tâches classiques, c’étaient des professionnels qui s’occupaient d’inspection technique. À partir du moment où on s’est occupé d’installations classées, on n’était plus des professionnels, parce que si je veux contrôler une entreprise chimique, je ne suis pas chimiste et si je veux contrôler du traitement de surface, je ne suis pas non plus traiteur de surface. Donc on a pris en charge des installations qu’on ne connaissait pas. Parce que les mines, on y avait travaillé physiquement, on savait ce que c’était. Donc on a pris en charge des activités dont on n’était pas spécialiste et on n’avait pas forcément été formé et pour cause, vu l’éventail qu’il peut y avoir, c’est exclu, c’est impossible. Donc on a pris en charge quelque chose qu’on ne connaissait pas, un changement considérable de nos activités. » (Ingénieur)

13Confrontés à cette nouveauté, les ingénieurs du service des Mines font une lecture de la fonction cohérente avec leur expérience d’inspecteurs des mines : ils cherchent à comprendre les procédés, à se représenter le fonctionnement des entreprises visitées, pour trouver les solutions techniques immédiatement applicables. Ils font de l’acquisition de la connaissance technique du fonctionnement des installations un préalable indispensable à son encadrement juridique.

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« Au départ, on ne savait pas ce qu’on allait voir. On allait visiter une entreprise pour savoir ce qu’il y avait dedans. Donc on s’est formé petit à petit et sur certaines activités, on a fini par acquérir une certaine compétence. Au début, les traitements de surface, on n’y connaissait rien. On voyait des cuves, des cuves et des cuves. Bon. Quand vous en avez vu dix, vous commencez à comprendre les choses. Donc progressivement, on s’est formé. Et au bout d’un certain temps, on avait une certaine expérience. » (Ingénieur)

15Sur le plan technique, des arrangements personnels permettent peu à peu d’acquérir une certaine connaissance des installations les plus représentées localement. Les visites « de contrôle » sont mises à profit pour se former sur le tas et acquérir les bases techniques nécessaires à la compréhension des processus de production. Dans cette conception où l’apprentissage se fait « sur le tas », dans les établissements à contrôler, la compétence [18] repose sur l’expérience de terrain, sur le nombre et le type d’établissements du même genre déjà visités. La multiplicité des cas que l’inspecteur a déjà eu à traiter et la liste qu’il a pu constituer des pratiques de traitement reconnues efficaces forment son expérience propre. Cette conception suppose qu’un inspecteur débutant ne peut être compétent. Un dispositif de formation se met par ailleurs en place, dont le fonctionnement est caractéristique de la conception de l’inspection qui entre alors en vigueur.

Se former ensemble

16Pour intégrer la nouvelle activité dans le service, la mobilisation est générale, et comprend l’ensemble de la structure administrative du ministère de l’Industrie, dont les écoles des Mines, qui mettent en place très rapidement la formation continue, notamment dans le domaine de la chimie, par des stages ou des cycles de conférences sur les problèmes environnementaux.

17Ce dispositif n’est pourtant pas le plus important, ni le plus original. L’arrivée du ministère de l’Industrie sur le terrain des établissements classés se traduit immédiatement par l’implication la plus forte possible des industriels eux-mêmes, par l’intermédiaire de leurs instances de représentation, comme les chambres de commerce. Toutes les formations dispensées au début des années 1970 (qui concernent l’eau, la pollution atmosphérique, le bruit… ainsi que des stages spécifiques, pour le traitement de surface, ou la pollution chimique) ont en effet la spécificité d’être communes à l’administration et aux industriels, par exemple à la chambre de commerce de Paris. Réciproquement, les stages qui sont organisés dans les écoles des Mines sont ouverts aux industriels.

18Ces formations communes, qui sont largement déclinées au niveau départemental, remplissent un double objectif : d’une part, elles permettent de perfectionner les nouveaux inspecteurs quant aux techniques industrielles et de leur faire connaître les procédés de dépollution ; d’autre part, elles sont l’occasion d’associer les industriels, d’expliquer la réglementation et de présenter les solutions techniques applicables. Il s’agit avant tout d’obtenir un consensus sur les objectifs avant d’instaurer un dialogue sur les conditions pratiques d’application. Par ailleurs, ce mode de fonctionnement affirme la capacité d’innovation du service et affiche très nettement la différence avec l’inspection du travail, antérieurement chargée des installations classées [19] et qui a une réputation d’administration pointilleuse et assez tracassière [20].

L’inspection du travail comme repoussoir : contre les juristes

19Tous les inspecteurs rencontrés se sont montrés très fortement critiques envers l’inspection du travail quant au bilan qu’ils ont dressé de l’inspection à leur entrée en fonction. Trois points principaux font l’objet de critiques : d’une part, l’inspection du travail n’avait laissé que des dossiers qui n’étaient pas actualisés, quand ils n’étaient pas inexistants. Ensuite, les termes des arrêtés d’autorisation étaient insuffisamment précis, ignorants des aspects techniques, (« Il ne faut pas exagérer non plus, parce qu’au début quand on a lu, dans les arrêtés d’autorisation : “il est interdit d’émettre dans l’atmosphère des fumées et des vapeurs susceptibles (susceptibles, hein ?) de nuire au voisinage” ! Moi, il faudrait qu’on m’explique comment on vérifie ça, “susceptibles”. Donc bon… »), et ne permettaient pas une véritable surveillance ni même une incitation à se soucier de la protection de l’environnement. Enfin, beaucoup trop d’établissements échappaient complètement à une réglementation un peu oubliée et fonctionnaient alors sans autorisation.

20Dans ces conditions, la transition entre l’inspection du travail et les services des mines pouvait difficilement avoir lieu, et de fait, ce sont les services préfectoraux qui se sont chargés de transmettre les fonds de dossiers aux nouveaux inspecteurs. Plus fondamentalement, le service des mines entend rompre avec une vision de l’inspection (attribuée à l’inspection du travail) qui repose sur le droit sans se soucier de la situation technique des entreprises :

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« Alors l’inspection du travail… Autant les autres (Agriculture, Équipement) sont des services techniques, autant l’inspection du travail… ce sont des juristes, alors bon… des juristes ! On leur reprochait un petit peu leur étroitesse d’esprit : “Le droit ! Le droit !” Brut de frappe ! Avant la situation industrielle qui peut être améliorée… L’inspection du travail n’avait pas une bonne côte. Pour nous et pour les autres services techniques. On avait choisi, le service des Mines avait choisi, de vivre et puis les autres, pff. » (Ingénieur)

22D’un point de vue tactique, cette attitude permet aux inspecteurs de repartir avec les industriels sur des bases entièrement nouvelles. La dénonciation [21] des « juristes » de l’inspection du travail participe d’une entreprise de légitimation de la nouvelle pratique de l’inspection dans laquelle la discussion technique prime sur le droit.

La force de la technique

23Le premier travail des inspecteurs du service des Mines a indiscutablement consisté à impliquer davantage les industriels afin que la protection de l’environnement devienne une condition de l’exploitation des entreprises. Dans cette perspective, il convenait de recenser les établissements, de les visiter, et d’expliquer aux exploitants l’existence de la réglementation. Ces démarches ne pouvaient cependant réussir qu’à condition d’être générales (tous les industriels d’une même branche, sur un même bassin d’emploi sont concernés) et de reposer sur une dimension technique. Il va de soi que les résultats ont été plus ou moins concluants en fonction des interlocuteurs rencontrés. Les inspecteurs attribuent la plus ou moins grande réussite de leurs initiatives à la taille des entreprises concernées.

24Dans les grosses entreprises, l’inspection des installations classées était connue, sinon dans les détails, du moins dans le principe. Ces entreprises suivaient donc la procédure et déposaient des demandes d’autorisation lorsqu’elles procédaient à une extension ou à une modification d’installation. En ce cas, elles se trouvaient en avance et en position de force vis-à-vis d’inspecteurs débutants :

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« Le plus gros dossier, là où on m’a envoyé un peu au casse-pipe parce qu’il n’y avait pas du tout de formation, c’était une usine automobile (de la région parisienne) où il y avait 25 000 emplois. La première visite que j’ai faite, je l’ai faite seul et j’avais en face une quinzaine de bonshommes, avec le directeur de l’usine, le directeur (du groupe), le directeur des achats, technique, etc. Et j’ai été très impressionné, parce que ces gens-là m’ont dit : “Écoutez monsieur, on vous attendait”. Ça faisait peut-être quatre ou cinq années qu’ils étaient prêts, qu’ils attendaient, parce qu’on commençait à parler d’installations classées de façon un peu différente et ils me disent : “On vous attendait. Maintenant, qu’est-ce que vous souhaitez ?”. Moi évidemment, j’étais sec. Parce qu’évidemment, c’était le début de ce travail. J’étais assisté un peu par la division. Ils m’ont dit : “Il suffit que vous nous envoyez un courrier et la DCO [22] qu’on envoie dans la Seine, on la divise par deux”. À l’époque, ça devait être douze ou treize tonnes de DCO qui partait dans la Seine ! Et suite à un courrier de l’inspection des installations classées, ils divisaient par deux parce qu’ils faisaient reprendre les bains de traitement de surface. C’était un très très gros dossier. » (Ingénieur)

26Dans ces circonstances, où l’inspecteur des établissements classés, du ministère de l’Industrie, entame des discussions essentiellement techniques avec des industriels qui sont favorables à cette démarche, la légitimité de la fonction ne pose pas de problèmes : l’objectif poursuivi par l’administration est partagé avec les industriels.

27Dans les PME-PMI, cependant, la connaissance de l’inspection des installations classées est plus aléatoire et le premier travail des inspecteurs consiste essentiellement à expliquer ce qu’est la réglementation et quels sont ses objectifs. Au lieu d’attendre que des industriels informés et responsables se manifestent et viennent solliciter l’inspection, les inspecteurs ont donc procédé en recensant les établissements et en les démarchant pour connaître leur situation réglementaire au regard de la loi. Ces initiatives étaient surtout générées par un enjeu local, par exemple la mise en place d’une station d’épuration urbaine, et elles étaient organisées avec des relais locaux, dont les chambres de commerce. Convaincre les industriels, travailler avec leurs représentants, trouver pour traiter leurs rejets des solutions techniques acceptables et si possible collectives (ce qui permet de partager les coûts), tel est alors le travail des « contrôleurs de l’environnement » du service des Mines, qui intègrent immédiatement la dimension économique de leurs interventions.

28La proximité avec les industriels a des conséquences sur le type de travail des inspecteurs pour réglementer les établissements nouvellement identifiés, et notamment sur le type de tâches qu’ils sont amenés à effectuer.

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« Petit à petit, on a réussi à avoir des demandes d’autorisations, mais qui tenaient en dix pages. Dix pages d’affirmations gratuites : “Je ne gênerai pas”, “Je ne polluerai pas”, “C’est pas possible que je pollue, et d’ailleurs, j’ai jamais pollué”, “Je ne suis pas dangereux”. D’ailleurs, à l’époque, l’étude de danger n’existait pas. On a compensé : on était déjà assez content de voir les demandes d’autorisations qui arrivaient, on compensait la carence des exploitants par des dispositions internes à l’administration qui consistait à faire des règlements de trente pages, là où la demande d’autorisation faisait dix pages. En gros, c’était ça. Et je dirais même… Lorsque la demande d’autorisation soulevait quelques tollés dans le voisinage, on mettait soixante pages d’autorisation. Vous voyez ce que je veux dire. Plus le dossier était creux, plus l’arrêté d’autorisation était fourni. Alors bon, il était évident qu’un système comme celui-ci ne pouvait pas marcher longtemps. On s’en est rendu compte petit à petit. Il ne fallait pas compenser les carences de l’industriel par un travail de l’administration, c’est pourtant comme ça qu’on a fait. C’est comme ça qu’on a fait. Parce qu’il fallait bien que les dispositions réglementaires dont on avait la charge… C’est comme ça que j’ai procédé. Et puis après, ça a changé. » (Ingénieur)

30La perspective retenue consiste donc à ce que l’administration accompagne le travail des industriels, notamment en participant à l’identification des dangers et des pollutions. Ce sont alors les ingénieurs et les techniciens du service des Mines qui font ce qui est appelé aujourd’hui des « études d’impact [23] », ce sont eux qui étudient les solutions techniques applicables (« Il a fallu calculer, trouver des règles. On balbutiait ; il a fallu calculer la hauteur des cheminées et faire des études. […] On essayait d’avoir des données, donc on a récupéré la météo sur vingt ans, avec les micro-climats, les vents dominants, etc. »), et qui tranchaient parmi les procédés proposés. Alors que ces travaux sont aujourd’hui confiés aux industriels qui s’appuient sur des bureaux d’étude environnementaux, c’est l’administration qui en a alors la charge. On voit ici, par un effet de rétro-action, comment la définition que les inspecteurs de terrain donnent de leur fonction fixe la nature de la politique publique considérée.

31Dans cette perspective, la dimension technique de la fonction est évidente et consiste, par le biais des prescriptions techniques, en décrivant les circuits suivis par les déchets (en imposant une filière de traitement par exemple) ou les rejets, (en décrivant finement les processus) à orienter, voire à modifier le fonctionnement des établissements. En contrepartie, cela implique, pour les inspecteurs, de bien connaître les divers procédés de dépollution présents sur le marché, et de maîtriser leur adaptation aux établissements dont ils avaient la charge, donc de se tenir particulièrement au courant de l’évolution des techniques (par la visite de sites pilotes pour le traitement de l’eau ou de l’air). Dans cette perspective, le travail d’inspecteur des installations classées s’apparente à celui d’un ingénieur chargé d’étude dans un bureau d’environnement aujourd’hui. Il est avant tout technique.

32Très rapidement, pourtant, le champ de compétence des inspecteurs doit s’élargir :

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« Et on a pris en compte l’aspect industriel. Ce n’était pas encore le développement industriel tel qu’il existe aujourd’hui dans les DRIRE, mais c’était déjà le démarrage. Parce qu’il est bien évident que lorsque vous allez trouver un industriel et que vous lui dites qu’il faut faire telle réalisation pour avoir l’autorisation, ça a des conséquences sur son bilan. Et l’industriel nous dit : “Non, je ne peux absolument pas”. Donc il faut avoir, à ce moment-là, des notions d’économie, pour savoir quels délais lui accorder, et quand il dit oui, savoir si c’est compatible, pour pouvoir lui apporter des arguments et disant : “Oui, mais moi, je sais que…”. Donc on a déjà viré sur la partie économie, gestion des entreprises. » (Ingénieur)

34L’inspection des établissements classés implique donc un double élargissement des compétences pour le personnel du service des Mines : d’une part, il faut diversifier la compétence technique, par la connaissance de ce qui se passe dans des industries diverses et non plus seulement dans la mine ; d’autre part, les points de vue à envisager et à concilier se diversifient : ils intègrent des dimensions dont les inspecteurs des mines sont peu familiers comme le développement économique et surtout le respect de l’environnement (et plus seulement la sécurité de ceux qui travaillent).

35Le travail se doublait d’un nouvel « esprit » de l’inspection des installations classées, fait de proximité avec les industriels à réglementer, et reposant sur la nécessité d’arriver à des solutions acceptables sur le plan environnemental. Les nouveaux inspecteurs des installations classées tentent de se démarquer de leurs prédécesseurs de l’inspection du travail et d’œuvrer avec leurs interlocuteurs industriels :

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« Souvent, je connaissais les ingénieurs dans les entreprises et c’était plus facile de discuter. Ils ont compris qu’on n’était pas comme l’inspection du travail : “C’est comme ça et si vous ne le faites pas… Boum, on vous tombe dessus”. Non, on essayait de regarder un petit peu l’amélioration. On voyait le côté technique des installations. Ça changeait tout. Au moins on parlait le même langage. On se voyait souvent. Ça créait, non pas un lien, non pas une amitié, mais une certaine connaissance. Et leur patron a vu que je n’étais pas le fonctionnaire bête. Bête et borné. Quand on a commencé à discuter technique. Les règles sont là pour être appliquées, mais elles peuvent être améliorées. D’ailleurs, je les ai embarqués avec moi à la mine. Pour leur montrer. Je suis descendu avec eux. Ils étaient heureux de descendre. Ils ont retrouvé des gars qu’ils connaissaient, des ingénieurs, et en contrepartie, ils les ont invités à venir à l’usine. Donc c’était une bonne ambiance. On discutait. On est là pour la sécurité. Ça passe avant tout. Mais la sécurité peut très bien s’appliquer sans une réglementation brutale, aveugle. Il faut respecter la technique. » (Ingénieur)

37L’instauration d’un dialogue avec les industriels dessine une nouvelle figure de l’inspecteur des établissements classés. Les contacts, qui sont essentiellement bipartites, sont fondés sur la recherche commune de solutions acceptables sur le plan technique. Les incertitudes propres au service, qui subsistent alors sur le plan organisationnel et réglementaire, garantissent localement, aux inspecteurs, l’autonomie nécessaire à l’exercice de la fonction, définie avant tout comme une conciliation technique et fortement individualisée. Dans ce contexte, l’industriel et l’inspecteur tendent vers un même but, le développement industriel et la protection de l’environnement peuvent fonctionner de concert : la recherche de solutions pragmatiques prime. En revanche, ce fonctionnement a contribué à instaurer une image de l’inspecteur de la DRIR très dégradée auprès des associations de protection de l’environnement et des autres administrations, pour qui « la DRIR et les industriels, c’est la même chose ».

38Si ce modèle n’est pas remis en cause, c’est sans doute parce que ses avantages l’emportent sur les dénonciations dont il peut être l’objet. En matière de protection de l’environnement, peu d’éléments concrets avaient jusqu’alors été mis en place. En conséquence, les pollutions étaient à la fois importantes et visibles. Les premières actions de l’inspection (filtres contre les pollutions de l’air, stations de prétraitement pour assainir les rejets dans l’eau, etc.) sont conformes aux objectifs, même si les moyens semblent peu orthodoxes pour des contrôleurs investis d’une mission régalienne.

Quand les évolutions réglementaires dessinent une nouvelle figure : l’inspecteur magistrat [24]

39Dans le modèle de l’inspecteur technicien, le travail d’inspection s’effectue presque sans recours au droit, qui conserve un rôle marginal (voire « contre » le droit dans les discours de dénonciation des inspecteurs du travail). Il faut dire que le cadre réglementaire, mal adapté à l’activité concrète des inspecteurs, date alors de 1917. La nouvelle loi de 1976, sur les « installations classées », marque un tournant. Pour la première fois, la formalisation juridique, pragmatique, coïncide avec le développement de services techniques chargés de l’inspection. La modification de la référence réglementaire entraîne progressivement un changement dans les pratiques quotidiennes, parce qu’elle modifie l’équilibre entre le pôle de l’expertise technique et celui de l’activité réglementaire.

La loi sur les installations classées du 19 juillet 1976

40La loi [25], discutée à partir de 1975, est conçue dans la continuité de celle de 1917, avec le souci de combler les lacunes, de tirer les leçons de la catastrophe de Feyzin, et de « coller » à la nouvelle sensibilité écologique qui apparaît depuis quelques années et promet d’être durable. Le texte prévoit notamment un renforcement des sanctions, qu’elles soient administratives (comme la création d’une nouvelle sanction qui oblige l’exploitant à consigner une somme correspondant au montant des travaux nécessaires pour satisfaire aux conditions imposées aux installations) ou pénales (là où n’existaient que des contraventions sont désormais prévus des délits). Par ailleurs, le principe de consultations diverses est maintenu : l’enquête publique, le recueil des avis du conseil municipal de toutes les communes concernées (et non de la seule commune d’implantation de l’établissement comme prévu initialement) et enfin l’avis du conseil départemental d’hygiène.

41La loi de 1976 inaugure une longue série de textes qui vient encadrer l’activité de l’inspection. Les directives et circulaires du ministère de l’Environnement sont de plus en plus nombreuses. Si le nombre d’arrêtés, de circulaires et d’instructions ne dépasse jamais le nombre très raisonnable de trois par an avant 1982, le ministère promulgue une moyenne de treize de ces textes dans les années 1990 avec une pointe à vingt-cinq textes en 1996, soit plus de deux textes par mois ! Une autre évolution majeure tient à la possibilité, ouverte par le texte de 1976, que le ministère propose des prescriptions techniques applicables à certaines catégories d’industrie. Cette possibilité a été largement exploitée, et les interventions réglementaires du ministère sont devenues très fréquentes, notamment sous la forme d’« arrêtés intégrés », qui fixent des prescriptions techniques pour toutes les installations classées. Le dernier arrêté ministériel de ce genre date du 2 février 1998 et réglemente « les prélèvements et la consommation d’eau ainsi que les émissions de toute nature des installations classées pour la protection de l’environnement ». Ces textes qui s’accumulent, petit à petit, tendent à modifier le fonctionnement d’un service qui ne comptait l’inspection que comme une activité « parmi d’autres ». Dès lors que les sollicitations du Ministère de l’Environnement sont à flux continus, la question du choix des priorités se pose.

Principaux textes environnementaux

Loi sur les déchets (15 juillet 1975)
Loi sur l’inspection des installations classées (19 juillet 1976)
Circulaire « Seveso » sur les risques technologiques (1982)
Modification de la circulaire SEVESO (1987)
Loi sur l’eau (3 janvier 1992)
Loi sur les déchets (13 juillet 1992)
Circulaire sites et sols pollués (3 décembre 1993)
Circulaire SEVESO II (1996)
Loi sur l’air (30 décembre 1996)

42Par ailleurs, comme le nouveau texte de loi crée les conditions d’une intervention large du public et des associations, la visibilité de la politique s’accroît ainsi que les demandes à son égard. Il n’est plus possible de cantonner l’inspection à un dialogue entre l’industriel et l’administration. Le statut de l’inspecteur des installations classées doit être redéfini, dans un univers local élargi (aux associations de protection de l’environnement, et aux élus). Les demandes d’explications concernent notamment, et de plus en plus, la place que l’inspection entend réserver au contrôle : tant que les textes réglementaires ne couvraient que mal, ou partiellement, ou pas du tout, les atteintes à l’environ-nement (par exemple le traitement à réserver aux sites et sols pollués), il était difficile de poser la question de l’efficacité de l’inspection. Dès lors que le dispositif réglementaire est précis et imposant, cette question se pose, périodiquement relancée par des événements dramatiques, accidents ou pollutions. Confrontés à cette abondance de textes et aux demandes de leurs interlocuteurs locaux, les services d’inspection s’efforcent d’aménager le cadre réglementaire afin de le conformer aux pratiques de terrain, et de se ménager des possibilités de négociations et d’arrangements locaux.

L’aménagement du cadre réglementaire

43La perspective ouverte par la sociologie du droit de M. Weber [26] permet d’envisager « l’ordre juridique » non comme un ensemble d’impératifs, mais comme un ensemble de ressources réglementaires, plus ou moins mobilisées, en situation. Dès lors, l’analyse s’attache aux conditions d’application des textes, dans les multiples situations particulières auxquelles sont confrontés les inspecteurs, et essaie de déterminer quelles sont les solutions pragmatiques qu’ils apportent et de quels arbitrages elles résultent. C’est le « droit en action », en tant que pratique de lecture de textes ouverts qui devient objet d’étude. Ainsi, le droit devient « un système de potentialités à partir duquel se déploient des activités spécifiques de mobilisation des règles. Dans cette perspective, le droit oriente les conduites, il ne les détermine pas. D’autre part, les notions d’enjeu et de situation d’action deviennent centrales pour comprendre et interpréter les opérations juridiques menées par les différents types d’acteurs dans la mise en œuvre des politiques publiques [27] ».

44Les « situations d’action » ne sont cependant pas uniquement définies « dans l’instant » ; elles sont considérablement prédéterminées par des cadres juridiques, certes, mais aussi administratifs et cognitifs [28]. Cela ne signifie pas que les inspecteurs soient les agents d’un « modèle » d’action qui détermine leurs comportements et leurs réactions. Simplement, l’analyse doit prendre en compte que le répertoire des actions est décrit antérieurement aux pratiques déployées en situation, qu’il s’impose plus ou moins aux inspecteurs et constitue également une ressource de réactions, d’attitudes, d’argumentation pour eux : c’est le cas notamment des « pratiques administratives pararéglementaires », qui orientent le comportement des inspecteurs et déterminent par exemple le type de sanctions (et donc le type de droit) que les inspecteurs sont susceptibles d’appliquer aux situations qu’ils rencontrent.

45Les façons de faire préconisées aux inspecteurs de la DRIRE sont inscrites dans une série de notes de service, qui décrit les « attitudes à adopter » dans des situations particulières (fonctionnement sans autorisation, inobservation des prescriptions imposées, par exemple). « L’esprit » dans lequel se font les contrôles environnementaux y est notamment décrit.

46

« 1.3. - La présente note est motivée par les considérations suivantes :
1.3.1 - Il est certain que les inspecteurs des installations classées doivent d’abord établir un dialogue avec les responsables des établissements contrôlés. Engager de façon systématique des sanctions pour chaque infraction, même mineure, serait de nature à ne pas créer avec l’exploitant ce climat de concertation que nous souhaitons. Mais, lorsque l’inspecteur s’aperçoit que la confiance qu’il a accordée à son interlocuteur est mise à mal, ce dernier doit être sanctionné lorsqu’il commet une infraction [29]. »

47Contrairement à ce que pourrait laisser entendre une lecture littérale de la loi de 1976, sanctionner les infractions n’est donc pas l’attitude prioritaire exigée d’un inspecteur. Il a le devoir d’établir un dialogue et une concertation afin d’obtenir une modification de l’installation ou de la situation de l’entreprise. Cependant, le statut d’inspecteur des installations classées comporte certaines contraintes, notamment en termes de responsabilité pénale de l’inspection, voire de l’inspecteur. Ne pas sanctionner des infractions est donc un risque pénal pour les inspecteurs.

48

« 1.3.2. La loi du 19 juillet 1976 a doté l’État de pouvoirs importants lui permettant de faire cesser des situations irrégulières. Décider, en connaissance de cause, de ne pas utiliser ces pouvoirs peut conduire à engager la responsabilité de l’État, voire la responsabilité propre de l’inspecteur des installations classées, en cas d’atteinte à l’environnement ou, plus grave, en cas d’accident. Il faut donc veiller à formaliser nos rapports avec l’exploitant de façon à ne pas le couvrir [30]. »

49L’action des inspecteurs se situe donc à mi-chemin de ces deux contraintes, entre la négociation et l’exercice d’une police administrative. Le même genre d’aménagement du cadre réglementaire conduit à préférer les sanctions administratives aux sanctions pénales [31], et à doter de significations particulières certaines ressources juridiques. C’est le cas du procès-verbal : simple constatation juridique, il est assimilé, en pratique, à une sanction. Il vise ainsi des situations que les activités habituelles de pression et de négociation n’ont pas réussi à faire évoluer [32]. Par ailleurs, les inspecteurs des installations classées choisissent d’écarter définitivement certaines ressources juridiques, alors qu’elles font partie, a priori, de leur arsenal répressif : ainsi ils ne relèvent jamais de procès-verbaux de contraventions, mais seulement de délits. De la même façon, ils préfèrent les sanctions de type administratif et le justifient par des raisons d’efficacité : les tribunaux sont lents et engorgés, et l’inspection n’est pas suffisamment informée des suites données à ses procès-verbaux [33]. Une différence importante entre les deux types de sanctions tient à ce que l’inspection maîtrise davantage [34] les sanctions administratives que les sanctions pénales : en cas d’arrêté préfectoral de mise en demeure, de consignation de sommes ou de suspension, elle peut suivre la procédure, elle sait où l’entreprise en est du respect des échéances. Ce n’est pas le cas pour les sanctions de type pénal, qui lui échappent largement, ce qui complique le suivi chronologique fin des établissements sanctionnés. ment trié, dans les ressources juridiques, celles qui lui semblent les plus efficaces pour l’exercice de l’inspection, et a défini « ce qui est acceptable » du point de vue du service. Les normes juridiques qui sont proposées aux inspecteurs s’inscrivent donc dans le cadre du code de l’environnement, mais ce dernier a été travaillé, réduit sur certains points, enrichis sur d’autres, de telle sorte que ce n’est plus le cadre juridique de la loi de 1976 qui s’impose aux inspecteurs, mais un cadre juridique propre aux services d’inspection qui leur est suggéré. Cet aménagement du droit, et notamment la gradation des sanctions, garantit des marges de négociation avec les interlocuteurs industriels. Il permet de maintenir la priorité au dialogue bipartite avec les industriels.

La technique en question

50Dans le même temps, alors que les ressources juridiques augmentent jusqu’à devenir incontournables et s’imposer, la portée de la compétence technique des inspecteurs tend à être contestée, à la fois par les industriels et par un marché de la protection de l’environnement qui s’est peu à peu mis en place.

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« Dans l’industrie, au début, la démarche était nouvelle. […] Les efforts étaient faciles à faire et ils avaient un impact important. En termes de pollution des eaux, il est facile de diminuer par dix, enfin de diminuer le niveau de pollution, c’est pour re-diminuer par dix après, c’est le deuxième stade, qui est difficile. […] C’était nettement plus facile au début. Maintenant, ça devient de plus en plus technique et spécialisé. Maintenant, dans le même temps, dans l’industrie, il y a eu le même parcours, c’est-à-dire en 1973, on avait des industries assez primaires qui faisaient des choses assez simples, assez banales, qu’on ne fait plus dans nos régions, mais dans des pays plus éloignés, d’Extrême-Orient ou du Tiers Monde. Les industries sont devenues de plus en plus technologiques et les inconvénients de plus en plus précis. La possibilité de risque a augmenté et les facteurs de toxicité des produits aussi. Les produits sont plus performants donc présentant des inconvénients, ou susceptibles de présenter des inconvénients, de plus en plus embêtants. » (Ingénieur)

52Paradoxalement, c’est le succès de l’action engagée au début des années 1970 d’implication et de mobilisation des industriels qui tend à affaiblir l’inspection. Alors que les inspecteurs se présentaient comme des interlocuteurs techniciens incontournables car porteurs des solutions techniques, ils apparaissent de plus en plus marginalisés dans cette fonction, dans la mesure où le relais a été pris en interne [35]. On retrouve là un mouvement qu’a connu l’inspection du travail au cours de l’entre-deux-guerres : les inspecteurs du travail – qui fondaient leur légitimité sur la compétence technique en matière d’hygiène – ont peu à peu été concurrencés puis remplacés par des ingénieurs qui appartenaient aux usines, et ils ont dû redéfinir leur position par rapport à la nouvelle situation [36]. Un phénomène très semblable est observable pour les inspecteurs des installations classées, dans la mesure où le contexte s’élargit à la concurrence d’autres voies de perfectionnement environnemental et de réduction des pollutions. Désormais, les industriels embauchent des ingénieurs sécurité-environnement, instaurent des normes ISO 14 000 ou des éco-audits et ne comptent plus sur les inspecteurs des installations classés pour proposer des solutions techniques aux questions environnementales.

53L’ensemble de ces modifications affecte la figure de l’inspecteur telle qu’elle a été construite à la fin des années 1970 et au début des années 1980 et conduit à réévaluer le poids des dimensions techniques et réglementaires qui composent l’équilibre de leur identité professionnelle.

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« De mon point de vue, ce qui est caractéristique de l’évolution de l’inspection, c’est le passage d’une inspection technique à une inspection administrative. Au départ, on faisait vraiment de l’inspection technique, en tant que technicien, dans une entreprise. On avait le titre d’ingénieur. Maintenant, c’est beaucoup plus le titre de fonctionnaire qui vient voir si les textes sont en place. Une inspection technique, vous pouvez très bien vous passer de texte. Vous connaissez la technique, vous n’avez pas besoin de texte. Mais si vous prenez l’intégralité de la réglementation des installations classées, c’est différent. » (Chef de groupe de subdivisions)

55Confrontés à une remise en cause de leurs compétences techniques, les inspecteurs se tournent vers le droit pour trouver les ressources nécessaires à l’exercice de leur mission. Cette nouvelle orientation de l’inspection est suggérée par le ministère de l’Environnement, qui édicte de plus en plus de textes. Il s’agit pourtant d’un droit aménagé localement, de manière à permettre la poursuite d’un dialogue privilégié avec les industriels.

Pratique procédurale et nouvelle définition du métier d’inspecteur

56Ces dernières années, le travail des inspecteurs a fait l’objet d’une politique volontariste du ministère de l’Environnement, qui entend instaurer et valoriser un « métier » d’inspecteur des établissements classés. Rien ne permet cependant de savoir si les orientations que tente d’initier le ministère connaîtront une postérité, et influenceront durablement les pratiques (même si, au moment de l’enquête en 2001, cette influence était tangible). Le dernier type présenté ici n’a donc pas le statut des précédents : il repose sur la description de pratiques encore incertaines, et d’évolutions techniques et réglementaires en cours.

Des spécialistes

57Aujourd’hui, les ingénieurs recrutés dans les DRIRE n’ont plus grand-chose à voir avec ceux qui travaillaient dans les arrondissements minéralogiques des années 1970 : les écoles des Mines forment des ingénieurs généralistes, qui ne sont plus conduits à exercer une activité minière, et qui disposent dès la fin des études d’une culture forte en matière d’environnement industriel, valorisée dans les écoles.

58Au cours des dix dernières années, le ministère de l’Environnement a par ailleurs profondément modifié les conditions d’exercice de la fonction. S’il n’a développé que récemment une rhétorique du métier d’inspecteur, il a depuis longtemps affirmé le caractère particulier de l’activité, qui exige un « état d’esprit spécifique ». Cette disposition de l’esprit tient à la pratique, et serait notamment altérée par une activité trop intermittente.

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« On peut craindre que certains des inspecteurs […], lorsqu’ils ne peuvent malheureusement consacrer à cette mission qu’une faible part de leur temps, n’y conservent les préoccupations principales et les habitudes acquises dans d’autres activités, alors que l’inspection des installations classées exige un état d’esprit spécifique qui est le fruit de la pratique et d’une bonne connaissance des textes réglementaires et des directives de mes services. […] L’inspection des installations classées ne doit pas constituer une activité marginale [37]. »

60Parallèlement à la définition des règles initiales de nomination des inspecteurs, le ministère a développé deux voies pour développer cet état d’esprit spécifique, préalable indispensable à l’harmonisation de l’organisation et des pratiques de l’inspection : la première consiste en une formation initiale commune à tous ; la seconde repose sur le respect de certains principes déontologiques.

La formation : vers une carrière d’inspecteur ?

61Pour le Service de l’Environnement Industriel, la formation des inspecteurs constitue le premier axe d’infléchissement de la politique menée : il souhaite ainsi généraliser la formation à l’entrée en fonction, qui doit devenir « la même pour tous ». Cette exigence a connu un nouveau développement avec la mise en place, en 1999, d’un « plan triennal » de l’inspection des installations classées, qui prévoit une session unique de formation pour tous (quel que soit le service et quel que soit le grade), préalable d’un cursus en trois étapes : débutant, généraliste, spécialisé. L’élément central, pour le propos développé ici, concerne la création d’une progression, au sein d’une carrière d’inspecteur des installations classées, validée par le ministère de l’Environnement, indépendamment de la carrière administrative, au sein du ministère de l’Industrie, de l’agent commissionné. Cette carrière a pour base une formation, identique pour tous.

62Le cursus de formation repose sur la formalisation, dans un cadre prédéfini, d’un certain nombre de stages qui existent pour la plupart déjà. Il n’y a donc pas, à proprement parler, de « nouveauté » dans la formation des inspecteurs. Par exemple, l’habilitation d’inspecteur confirmé ne peut être obtenue qu’après que l’agent aura suivi des stages sur un nombre défini de thèmes [38]. De même pour le dernier niveau du cursus, l’habilitation d’inspecteur « spécialisé » : il rend visibles et obligatoires des formations qui existent déjà comme le master « risques industriels » de l’école des Mines d’Alès. Actuellement ces formations constituent, de fait, une spécialisation, qui est aussi reconnue sur le plan hiérarchique (les inspecteurs qui l’ont suivie occupent généralement des postes de responsabilités) : simplement, les conditions d’accès à ces formations restent floues (sur proposition de la hiérarchie, essentiellement). L’acceptation du cursus de formation de l’inspection aurait donc pour conséquence immédiate de rendre visibles les conditions de la mobilité professionnelle, qui restent actuellement largement tacites. Cette création d’une « carrière » d’inspecteur s’accompagne du développement d’une réflexion sur la déontologie de l’inspection.

La déontologie de l’inspection

63L’autre axe de la spécialisation concerne la déontologie des inspecteurs et notamment la constitution d’une liste d’activités incompatibles. En effet, l’inspection des installations classées est, pour beaucoup d’inspecteurs, une activité « parmi d’autres ». Il importe donc de voir dans quelle mesure les diverses charges sont compatibles.

64La spécialisation de certains ingénieurs et techniciens des DRIRE sur la seule mission d’inspection constitue l’aboutissement d’un long processus commencé dans les années 1990. Le ministère de l’Environnement instaure alors les premières incompatibilités de fonction selon lesquelles un inspecteur ne peut pas contrôler un équipement qu’il a lui-même conçu ou dont il a supervisé la réalisation, pas plus qu’il ne peut travailler dans le même service qu’un collègue qui serait dans cette situation. Seule une minorité d’inspecteurs, des DDAF principalement, est alors concernée. La question de la compatibilité de la DRIRE avec la mission d’inspection se pose à la fin des années 1990 : un service chargé de développement économique peut-il également exercer un pouvoir de police ?

65Pendant longtemps, les DRIRE ont développé « l’approche intégrée », selon laquelle les deux activités de protection de l’environnement et de développement industriel, loin d’être incompatibles, se renforcent l’une l’autre. En ce sens, la plus-value de la DRIRE réside dans sa capacité à trouver un compromis entre protection de l’environnement et développement de l’industrie et à se positionner comme un interlocuteur du monde industriel dans de multiples domaines. L’objectif est de « réussir à rendre les petites entreprises plus vertueuses, par une sensibilisation des PME-PMI à l’environnement, en jouant sur les synergies inspection des ICPE - développement industriel des DRIRE » [39]. C’est cette approche « intégrée » qui est aujourd’hui totalement rejetée par le ministère de l’Environnement :

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« Ils [les inspecteurs] ne comprenaient pas certaines choses qui étaient affichées ici, comme la séparation du développement économique et de l’environnement. Ils ne comprenaient pas et c’est normal, parce qu’il y a quelques années, il y avait un discours intégrateur dans l’autre sens qui disait, au contraire : “Les DRIRE, travaillez pour une industrie performante, propre et sûre [40] !”, tout ça dans le même “package”, et puis c’était complètement à l’encontre du discours qu’on tient aujourd’hui, où on dit : “Attention, vous avez un rôle de police de l’environnement, ne mélangez pas les rôles !”. C’est pas à nous de prendre des positions entre la survie de l’entreprise et le respect de l’environnement. […] Nous, on est le ministère de l’Environnement. Nos missions, elles sont claires : on est là pour faire respecter l’environnement, protéger les personnes et les biens, la nature… Enfin, vous voyez ! Et c’est ça, notre rôle. On doit jouer notre rôle. Et notre rôle, c’est d’alerter : il y a un problème, il y a un impact sur l’environnement, il y a un problème pour la santé, il y a des risques en termes d’accident, des choses comme ça. C’est à nous de le dire, de le dire clairement, haut et fort. À qui de droit. Et après, si le préfet prend d’autres choix, c’est sa responsabilité. » (Ingénieur, Service de l’environnement industriel)

67Cet affichage ne fait cependant pas totalement l’unanimité au sein des diverses DRIRE, qui craignent notamment que cette définition du travail, tournée vers la seule protection de l’environnement, ne remette en cause, à terme, le rattachement des DRIRE au ministère de l’Industrie. Pour cette raison, le groupe de travail « déontologie » [41] appelé à se prononcer sur ces questions a produit une conclusion très ambiguë :

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« En conclusion, les participants ont estimé qu’il n’y avait pas de raisons déontologiques de séparer les missions de développement et de protection de l’environnement au niveau d’une structure administrative, mais que ces mêmes missions ne pouvaient pas coexister au niveau d’un agent pris individuellement. Cela justifie la spécialisation des agents qu’il convient de définir dans le cadre de l’organisation et des méthodes de l’inspection. »

69La volonté de promouvoir un nouveau modèle de l’inspection est symbolisée en outre par la promulgation d’une charte de l’inspection en janvier 2001. Très descriptif, le texte rappelle avec beaucoup de minutie la « mission de service public définie par la loi » selon le code de l’environnement et affiche « quatre grandes valeurs fédératrices » : la compétence, l’impartialité, l’équité et la transparence. La portée de cette charte n’est pas décisive sur les pratiques des inspecteurs, mais elle constitue pour le ministère l’ultime étape de la spécialisation des inspecteurs et donc de l’évolution décrite dans cet article.

Vers une inspection procédurale ?

70L’histoire récente de l’inspection des installations classées semble être celle de la disparition progressive des ressources qui avaient permis l’émergence de la figure de l’inspecteur des installations classées au début des années 1970 : la spécificité de la compétence technique des ingénieurs de la DRIRE tend à se banaliser, l’arsenal juridique encadre de plus en plus les pratiques, tandis que des règles édictées par le ministère de l’Environnement rendent caduques certaines formes anciennes de négociation avec les industriels. Plus que la disparition de chacune de ces ressources, on doit analyser le changement de la nature des compétences mises en œuvre par les inspecteurs : leur activité devient en effet de plus en plus procédurale.

71Placés dans la position d’être des experts, les inspecteurs sont en effet d’abord vus comme des individus-ressources qui viennent apporter leur savoir technique ou réglementaire, dans les situations diverses où une réponse doit être apportée, ou dans le cadre d’une décision administrative. Dans ce contexte, faire appel à eux, c’est faire appel à un jugement techniquement informé. On trouve là la définition classique de la figure de l’expert, défini « par rapport au professionnel, au profane et au politique [42] ». Qualifier les inspecteurs d’« experts », ou de « spécialistes » de la protection de l’environnement est cohérent avec la présentation que l’inspection fait d’elle-même, par exemple au travers de la charte de l’inspection. Cette dernière comprend tous les éléments caractéristiques de la rhétorique de l’expertise : en réponse à un besoin de la population, (et de l’environnement), l’inspection propose « un traitement scientifique et technique, appuyé sur un savoir neutre et universaliste [43] », conforme au principe de l’intérêt général. L’examen attentif de la charte conduit à mettre l’accent sur deux aspects particuliers : d’une part la compétence revendiquée par l’inspection est à la fois technique et réglementaire [44], et d’autre part il s’agit d’une compétence « partagée », répartie entre divers membres de l’inspection. C’est collectivement, et non individuellement, que l’inspection revendique une maîtrise des domaines qui sont les siens, ce qui conduit à examiner ce qu’est cette compétence « collective » et en quoi elle est garantie par l’organisation.

72Pour l’inspection, garantir la compétence des inspecteurs pose des problèmes qui tiennent à la variété des installations à contrôler (le travail mécanique des métaux n’a pas grand-chose à voir avec la chimie, ni avec le traitement de surface ; les activités pétrolières sont bien éloignées du travail du bois) et aussi à leur technicité : les inspecteurs, qui sont des généralistes, traitent avec des industriels qui peuvent avoir établi des techniques ou des procédés de référence [45] dans leur secteur. Dans ce contexte, un des enjeux de l’inspection des installations classées tient à ce que des décisions doivent être prises, alors même que le contexte est marqué par la forte dimension d’incertitude qui caractérise les installations à risques, notamment parce que les dangers potentiels inhérents au fonctionnement de telle ou telle installation ne sont pas forcément connus de façon détaillée ou exhaustive.

73Cette incertitude dans le travail des inspecteurs tient surtout aux nombreux cas d’inadéquation entre le domaine technique et le domaine réglementaire, à « l’impossible codification » décrite par M. Pollak [46]. L’ensemble des acteurs de l’inspection évolue en effet dans un univers où toutes les connaissances ne sont pas stabilisées : il peut arriver qu’un problème technique émerge sans être pris en compte sur le plan juridique, ou au contraire que des seuils réglementaires, pourtant fixés depuis quelque temps, ne correspondent plus à la réalité du fonctionnement industriel. Le travail des inspecteurs est donc caractérisé par une modification constante des cadres cognitifs, alors même qu’ils doivent arrêter des décisions et fixer des limites techniques ou réglementaires. La prise en compte de la dimension d’incertitude propre à l’activité d’inspection entraîne une délimitation nouvelle de l’analyse de la compétence des inspecteurs. Toute connaissance visant à la maîtrise des risques environnementaux et sanitaires, via les connaissances scientifiques techniques, (même élargies à des éléments qui concernent l’organisation, ou les facteurs humains) apparaît comme provisoire et contingente. Pour autant, cela ne signifie pas que l’évaluation des risques soit laissée à l’arbitraire des uns et des autres, mais simplement qu’il n’existe pas de savoir spécialisé en soi. Dès lors, sur quoi reposent les jugements des inspecteurs ?

74Dans cette conjoncture, on constate que les inspecteurs disposent de références, qui ne relèvent pas seulement de connaissances particulières (sur les questions techniques, réglementaires ou environnementales), ni même de l’ordre du savoir-faire (savoir rédiger un arrêté ou un procès-verbal), mais plutôt d’un savoir essentiellement procédural, c’est-à-dire appuyé sur des méthodes. C’est bien ce que garantit le ministère de l’Environnement : « Nous avons besoin de guides, de référentiels, de formations », déclare par exemple le Directeur de la Prévention de la Pollution et des Risques, P. Vesseron, qui ouvre en janvier 2002 la journée d’étude sur « L’évaluation de l’impact des installations classées sur la santé des populations [47] ». Ainsi, la lecture des études d’impact, de leurs volets sanitaires, ou des études de dangers, repose sur des guides, qui visent à identifier tous les aspects importants, quel que soit le type d’installations concerné. À la fin des années 1990, ce sont les inspecteurs de terrain, et notamment ceux qui devaient contrôler des établissements chimiques, qui ont été à l’origine des premiers guides. Partant de l’idée qu’ils ne pouvaient pas tout connaître du fonctionnement des entreprises, ils ont cherché à leur appliquer des grilles d’analyses, qui s’adaptaient à la nature diverse des productions. Par exemple, la prévention des risques technologiques majeurs, via les « études de danger » a constitué un temps une nouveauté pour laquelle l’inspection n’avait pas d’expérience. Pour juger « malgré tout », les inspecteurs, réunis en groupe de travail avaient élaboré collectivement des « outils » de jugement :

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« On avait listé une centaine de questions dans différents domaines. L’idée, c’est : “Est-ce que le dossier nous apporte des réponses sur ces questions ?” Et après, on pouvait se poser la question de savoir si la réponse était satisfaisante, mais dans un premier temps, c’était : “Est-ce que le dossier apporte une réponse ?” Donc on passait en revue toutes les questions : “Est-ce que la question est pertinente dans le cas de l’entreprise ? Si oui, le dossier apporte-t-il des réponses ? Et ensuite, est-ce que la réponse est suffisante ?” Et pour ça, c’était un peu plus variable, c’était l’expérience de chacun. » (Ingénieur)

76Ces pratiques conduisent à redéfinir la notion de compétence « technique » : c’est aussi la maîtrise des outils de lecture critique qui fait qu’un inspecteur est efficace dans son travail et dans ses réactions. Et d’ailleurs, c’est bien le sens de l’« appui technique » proposé aux inspecteurs par le ministère de l’Environnement, qui s’avère être constitué essentiellement d’une bonne connaissance du contenu et du maniement des guides divers qui gouvernent l’action de l’inspection. Les études de sol (ESR : études simplifiées des risques ou EDR : études détaillées des risques) sont notamment évaluées de cette manière. Pour le ministère de l’Environnement, qui promeut cette approche et y joue un rôle central en tant que producteur des instruments d’analyse, la compétence spécifique des inspecteurs est donc à chercher dans la maîtrise de techniques précises, objectivables, transmissibles, fondées sur des guides, des codes, et des outils d’évaluation des situations, et organisées selon des procédures de lecture et d’évaluation. Cette perspective n’accorde qu’une faible place à l’expérience de terrain, ce qui semble contradictoire avec l’étymologie du mot « expert [48] », et entre de ce fait en opposition avec l’ancien modèle de l’expérience, qui légitimait la « débrouille » du terrain, et reste omniprésent dans l’organisation de l’inspection [49]. Cette friction entre deux modèles se traduit dans la bouche de certains inspecteurs par l’expression d’un sentiment de dépossession de la qualification technique : « On fait de plus en plus un boulot administratif. » Plus fondamentalement, il s’agit d’une modification de la nature de l’activité d’inspection.

77L’autre dimension importante de la redéfinition procédurale de la compétence des inspecteurs tient à ce qu’elle tend à brouiller la distinction entre compétence technique et compétence juridique. Examiner le cas d’un établissement selon une procédure formalisée et préétablie n’a de sens que si cette dernière est cohérente avec le cadre réglementaire. Et de fait, les guides et autres codes ou méthodes intègrent une composante réglementaire qui leur préexiste. Enfin, le changement de la nature de l’activité conduit à renforcer, dans la pratique quotidienne de l’inspection, la place du ministère de l’Environnement, qui est le producteur des guides procéduraux et qui peut orienter les pratiques, via des méthodes spécifiques.

Conclusion

78Les hypothèses quant aux modes d’appropriation du métier d’inspecteur des installations classées peuvent être regroupées selon les cinq axes de l’analyse transversale qui a guidé cet article. Ainsi se dessinent, schématiquement, les trois figures.

tableau im2
Pratique de L’inspection La magistrature L’inspection l’inspection technicienne technique procédurale Identité Ingénieur « des Ingénieur généraliste, Ingénieur des inspecteurs mines », avec formé au développe- généraliste, formé une expérience ment industriel à l’environnement minière industriel Rapport à Technicien, avec Technicien, avec Action la technique une vision globale une vision partielle procédurale des établissements des établissements technicoà inspecter contrôlés juridique Rapport au droit « Contre les Aménagement juristes » du droit Relations avec Proche. Relation de confiance. Standardisées et les industriels « Tutorat » des Négociations encadrées par les petits industriels technico-économiques procédures Relations avec Peu de contacts Via les textes Très fréquentes, l’autorité centrale réglementaires, de plus qui visent à en plus nombreux orienter la pratique de l’inspection

79Lorsque le service des Mines prend en charge l’inspection des installations classées, à la fin des années 1960, rien ne dit que ses ingénieurs et techniciens vont parvenir à intégrer et à développer cette nouvelle mission : spécialistes de l’inspection et de la sécurité minière, ils découvrent alors un monde industriel varié, et les enjeux très divers de la protection de l’environnement. Dans le contexte de la création du ministère de l’Environnement, ils organisent tout d’abord leurs interventions de manière très volontariste, en cherchant à convaincre leurs interlocuteurs industriels de la nécessaire prise en compte des préoccupations environnementales dans les processus de production. La discussion entre l’administration et les industriels s’établit donc sur le terrain de la technique et du choix des procédés. L’inspecteur se présente comme un référent, à même d’expliquer comment produire mieux, plus sûr, plus propre. Les ressources juridiques de l’inspection des installations classées, et notamment les pouvoirs de sanction, sont alors écartées au profit d’un dialogue qui vise à accompagner la conversion de l’industrie au respect de l’environnement.

80Au cours des années 1980 et 1990, les résultats obtenus par l’inspection, en usant de ce compromis, ne sont plus aussi évidents : certes, les entreprises disposent désormais d’un arrêté d’autorisation, et elles ont souvent mis en place des dispositifs de dépollution. Cependant, des pollutions et des accidents se produisent, qui viennent démentir l’image que le ministère de l’Environnement donne à voir, celle d’un développement adossé à l’édiction d’un grand nombre de lois, sur l’air, l’eau, les déchets, les sites et sols pollués, etc. L’évolution et l’enrichissement du cadre réglementaire de l’inspection conduit d’une part à élargir le nombre d’interlocuteurs des inspecteurs aux associations, aux riverains et aux élus, et d’autre part à étendre de façon explicite le champ d’action des inspecteurs à des domaines jusqu’alors un peu délaissés (par exemple la préservation de la santé apparaît dans la loi sur l’air de 1996). Dans cette configuration, les nouveaux intérêts protégés par les textes s’imposent et le recours aux ressources du droit devient indispensable dans l’activité pratique des inspecteurs. Cependant, c’est un cadre réglementaire aménagé qui leur sert de référence. Il permet de maintenir les principes d’une politique d’accompagnement et de conversion des industriels à la reconnaissance de l’enjeu environnemental : l’inspecteur-magistrat se présente comme un individu qui cherche avant tout à établir une relation de confiance avec son interlocuteur industriel pour guider le fonctionnement des entreprises dans le bon sens. Cette primauté accordée à la relation de confiance prend, au cours des années 1990, la forme de l’approche intégrée, dans laquelle les inspecteurs jouent sur l’articulation entre le développement industriel et l’inspection des installations classées pour promouvoir la protection de l’environnement.

81Cette deuxième figure ne résout cependant pas les difficultés d’exercice de l’expertise technique, liées à la complexification des procédés industriels et à leur spécialisation. Dans ce cadre, il convient de revoir l’appréhension du risque industriel, qui ne disparaît pas nécessairement avec le progrès technique. C’est sur la voie d’une redéfinition de la notion de risque que le ministère de l’Environnement concentre son action au début des années 2000 : il entend promouvoir une approche procédurale, faite de guides, de procédures, de méthodologies pour l’expertise et le contrôle. La ressource technique n’apparaît plus ainsi comme propre à un individu ou à un service de terrain, mais elle est le fait de nouveaux outils pour l’action, largement produits par l’administration centrale et qui ont également la particularité de standardiser le recours aux ressources juridiques : les conditions de la qualification des situations par les inspecteurs et leur éventuel recours à la sanction sont précisément recensés et décrits. Ainsi, en une trentaine d’années, on assiste à la disparition de la figure pionnière de l’inspecteur technicien, autonome et souverain, au profit d’un modèle complexe et procéduralisé.

82On ne peut que constater la proximité du nouveau modèle d’inspection des installations classées avec les évolutions à l’œuvre dans les entreprises elles-mêmes. Les problématiques environnementales sont désormais largement répandues dans l’industrie, où les certifications, la normalisation, la définition de plans d’objectifs pour l’environnement doivent être interrogées en tant qu’évolution durable. Dès lors, il convient de resituer l’inspection dans l’ensemble plus général des politiques publiques de contrôle, afin d’examiner l’évolution des formes d’intervention de l’État. D’autres politiques publiques de gestion des risques collectifs (par exemple dans le secteur de l’alimentation) sont confrontées aux mêmes évolutions. Les principes de leur action peuvent cependant relever de choix bien différents, avec par exemple, sur le plan réglementaire, la reconnaissance des normes privées (certifications, accréditation), ce que l’inspection des installations classées refuse. Cette analyse ouvre donc la voie à une recherche qui envisagerait les évolutions comparées des dispositifs publics de contrôle, notamment dans leurs dimensions professionnelles, dans des secteurs où l’industrie et l’État sont en compétition quant au modèle souhaitable de gestion des risques.


Date de mise en ligne : 01/12/2008.

https://doi.org/10.3917/pox.069.0131

Notes

  • [1]
    Cf. le dossier de Politix, 44,1998, « Les politiques du risque ».
  • [2]
    Cf. Theys (J.), Fabiani (J.-L.), dir., La société vulnérable, Paris, Presses de l’ENS, 1987 ; Beck (U.), La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Aubier, 2001, ainsi que les actes du séminaire du programme « Risques collectifs et situations de crise », publiés depuis 1994 sous la direction de C. Gilbert.
  • [3]
    DDAF : Direction départementale de l’Agriculture et de la Forêt ; DDASS : Direction départementale des Affaires Sanitaires et Sociales ; DSV : Direction des Services Vétérinaires ; STIIC : Service Technique Interdépartemental des Installations Classées (Préfecture de Police de Paris).
  • [4]
    La directive européenne « SEVESO », adoptée en 1982, vise à renforcer le contrôle de la puissance publique sur les activités industrielles. Elle impose de nouveaux instruments de gestion du risque : l’étude de danger (qui décrit et recense les accidents que peut provoquer l’installation et propose des mesures pour en réduire la probabilité et les effets), le plan d’opération interne (les mesures d’urgence à mettre en œuvre au sein de l’établissement en cas d’accident) et le plan particulier d’intervention (les mesures à prendre en cas d’accident s’étendant à l’extérieur de l’installation).
  • [5]
    Colliot (J.), de Font-Réault (B.), « La prise en charge de l’Inspection des installations classées par les services de l’Industrie et des Mines », Annales des Mines, juillet-août 1979.
  • [6]
    Poujade (R.), Le ministère de l’impossible, Paris, Calmann Levy, 1975, p. 26-27.
  • [7]
    Spanou (C.), Fonctionnaires et militants. L’administration et les nouveaux mouvements sociaux, Paris, L’Harmattan, 1991.
  • [8]
    Suleiman (E. N.), Les élites en France. Grands corps et grandes écoles, Paris, Le Seuil, 1979, p. 195-228 notamment.
  • [9]
    Desjeux (D.), Friedberg (E.), « Fonctions de l’État et rôle des grands corps : le cas du corps des Mines », Annuaire international de la fonction publique, 1972-1973, p. 577.
  • [10]
    E. Suleiman, par l’analyse des débats internes au corps des Mines, nuance cependant l’idée d’une décision ferme et d’une conversion enthousiaste au nouveau domaine représenté par l’environnement. C’est que la spécialisation dans un domaine (qu’il s’agisse du contrôle de l’exploitation minière ou de l’environnement) va à l’encontre de la volonté d’expansion qui est la condition du maintien de l’ascendant et de l’attractivité du corps. Par ailleurs, rien ne dit alors que l’environnement, ce secteur émergent, va nécessiter un engagement durable. Enfin, ce qui importe pour le corps, c’est de « s’adapter » à un nouveau problème, et non de se spécialiser dans un domaine, quel qu’il soit. Dans cette perspective, l’écologie n’est « qu’une occasion parmi d’autres ». Pour une comparaison, à propos du corps des Ponts et Chaussées, cf. Thoenig (J.-C.), L’ère des technocrates, Paris, Les éditions d’organisation, 1973.
  • [11]
    La part de la stratégie du corps des Mines et son influence sur la nature de la politique d’inspection des installations classées seront à nouveau développées par G. Decrop et C. Gilbert à propos des études de danger. Cf. Decrop (G.), Gilbert (C.), « L’usage des politiques de transition : le cas des risques majeurs », Politique et management public, 11 (2), 1993.
  • [12]
    Ce faisant, on s’attache non pas aux mutations vécues par les membres du corps des Mines, qui n’est pas présent dans les départements, mais au changement de métiers des ingénieurs de terrain, de l’Industrie et des Mines, le « petit corps » selon la terminologie de J.-C. Thoenig.
  • [13]
    Padioleau (J.-G.), L’État au concret, Paris, PUF, 1982 ; Meny (Y.), Thoenig (J.-C.), Politiques publiques, Paris, PUF, 1989 ; Muller (P.), Surel (Y.), L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998.
  • [14]
    Par exemple Dubois (V.), La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica, 1999, ou la revue Droit et société, 44-45,2000 – notamment les articles de Weller (J.-M.), « Une controverse au guichet : vers une magistrature sociale » ou Choquet (L.-H.), Sayn (I.), « Droit de la sécurité sociale et réalité de l’organisation : l’exemple de la branche famille ».
  • [15]
    L’organisation du service des Mines (les « arrondissements minéralogiques » deviennent SIIM : Service interdépartemental de l’industrie et des mines en 1976), de la DII (Direction interdépartementale de l’industrie) en 1979, de la DRIR (Direction Régionale de l’Industrie et de la Recherche) en 1983, et enfin de la DRIRE en 1991, ne connaît pas de modification majeure au cours de la période couverte par l’article. Elle repose sur la juxtaposition de « subdivisions » dirigées par un ingénieur et qui peuvent compter un technicien et une secrétaire. L’ensemble des subdivisions d’un département forme un « groupe de subdivisions », dirigé par un « chef de groupe ». Ce mode de fonctionnement assure une grande marge d’autonomie sur le terrain aux ingénieurs et techniciens qui sont inspecteurs des installations classées. Pour une analyse de l’organisation des DRIRE en matière d’inspection, cf. Bonnaud (L.), Experts et contrôleurs d’État : les inspecteurs des installations classées de 1810 à nos jours, Thèse de doctorat de sociologie de l’ENS de Cachan, 2001 (en particulier le chap. 2).
  • [16]
    Ces entretiens ont été réalisés au cours d’une enquête ethnographique dans la région Rhône-Alpes. Cependant, parmi les inspecteurs qui se trouvent actuellement dans la région (en poste ou à la retraite), rares sont ceux qui ont débuté en Rhône-Alpes dans les années 1970. Les exemples, les situations décrites, concernent donc souvent d’autres régions.
  • [17]
    Le recrutement du service des Mines pour assurer l’inspection des installations classées est un fait avéré, mais sa quantification reste délicate : en effet, on peut connaître l’évolution des effectifs des services des mines, mais on ne peut pas savoir qui, parmi le personnel ainsi identifié, assurait l’inspection d’établissements classés. P. Lascoumes propose les chiffres suivants : 14 inspecteurs en 1968,273 en 1978,515 en 1988, puis une progression de 20 par an jusqu’au début des années 1990. En 1997, les inspecteurs étaient, d’après le ministère de l’Environnement, 1325. Lascoumes (P.), L’éco-pouvoir, environnements et politiques, Paris, La découverte, 1994, p. 150.
  • [18]
    On trouve là une définition de la compétence de ces ingénieurs très proche de celle de D. Montjardet à propos de la police : Montjardet (D.), Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris, La découverte, 1996, p. 115-123.
  • [19]
    L’inspection des installations classées a été généralement exercée par l’inspection du travail entre le début des années 1920 (suite à la loi sur les établissements dangereux, insalubres et incommodes du 19 décembre 1917) et la fin des années 1960.
  • [20]
    Auvergnon (P.), « Débats et idées sur l’inspection du travail », in Inspecteurs et inspection du travail sous la IIIe et la IVe République, Paris, La Documentation Française, 1998.
  • [21]
    La représentation de l’inspecteur du travail en juriste est propre aux discours des inspecteurs des installations classées. Cependant, des travaux comme ceux de N. Dodier ont montré que les inspecteurs du travail accommodent le droit plus qu’ils ne l’appliquent stricto sensu et que le corps de l’inspection du travail entretient une réflexion, parfois très critique, sur le droit et ses modalités d’application. Dodier (N.), « Le travail d’accommodation des inspecteurs du travail en matière de sécurité », in Boltanski (L.), Thévenot (L.), dir., Justesse et justice dans le travail, Paris, PUF, 1989, et Dodier (N.), « Représenter ses actions. Le cas des inspecteurs et des médecins du travail », Raisons Pratiques, 1990,1.
  • [22]
    DCO : Demande Chimique en Oxygène. La pollution de l’eau par les matières organiques, dégradables ou non, est évaluée par la demande chimique en oxygène, qui représente le poids d’oxygène nécessaire à la dégradation, par voie chimique, des substances polluantes.
  • [23]
    Ces études envisagent l’impact du fonctionnement de l’établissement. Elles détaillent les atteintes à l’environnement de façon thématique : impact sur l’air, l’eau, le paysage, les sols, la santé, etc.
  • [24]
    L’expression de « magistrature technique » est utilisée par un interlocuteur de P. Lascoumes pour définir son activité, au début des années 1990. Lascoumes (P.), L’éco-pouvoir …, op cit., p. 150.
  • [25]
    Pour une présentation de la loi et de la jurisprudence, cf. Baucomont (M.), Gousset (P.), Traité de droits des installations classées, Paris, Lavoisier, 1994 ; Boivin (J.-P.), Droit des installations classées, Paris, Le Moniteur, 1994.
  • [26]
    Weber (M.), Sociologie du droit, Paris, PUF, 1986. Cf. également Serverin (E.), Sociologie du droit, Paris, La Découverte, 2000 ; Serverin (E.), Lascoumes (P.), « Le droit comme activité sociale : pour une approche wébérienne des activités juridiques », Droit et Société, 9,1988.
  • [27]
    Lascoumes (P.), « Normes juridiques et mise en œuvre des politiques publiques », L’Année sociologique, 40, 1990, p. 50.
  • [28]
    On rejoint ici les analyses qui prennent en compte les « appuis conventionnels de l’action » : Dodier (N.), « Les appuis conventionnels de l’action. Éléments de pragmatique sociologique », Réseaux, 62,1993, p. 63-85.
  • [29]
    Note de service régionale « Sanctions dans le domaine des ICPE » du 14 décembre 1995. C’est nous qui soulignons.
  • [30]
    Ibid.
  • [31]
    Cette préférence est statistiquement sensible, comme le montre le tableau de l’activité annuelle de l’inspection en 2000.

    tableau im1
    TOTAL DRIRE Visite et inspections 30 000 15 000 Sanctions administratives 04 000 02 500 Procès-verbaux 01 200 0 0800 Ainsi, on constate que le service dont dépendent les inspecteurs a préalable-

  • [32]
    Lascoumes (P.), « Administration et justice, les logiques de renvoi », in Mucchielli (L.), dir., Crime et société, l’état des savoirs, Paris, La découverte, 2002.
  • [33]
    Pour éviter de subir cet état de fait, il est demandé aux chefs de groupe de subdivisions d’entretenir des relations, au moins annuelles, avec le procureur et son substitut. Le contenu des discussions à avoir à ses occasions est lui aussi très précisément décrit : « Quelles sont les infractions à relever par PV ? (Tous les délits ? Quelles contraventions ? Vous veillerez notamment à faire valider par le Procureur la doctrine de la DRIRE reprise par cette note (notamment les points 4.1.2., 4.2.5., 6.2 et 6.4) ». Il y a là un effet de rétroaction dans la mesure où les normes administratives d’application sont présentées par l’inspection afin d’être acceptées par les tenants de l’ordre juridique pénal. Les services administratifs tendent donc à obtenir une modification locale des règles générales qui dépasse le cadre d’interventions seulement ponctuelles, sur un dossier ou un autre.
  • [34]
    Pour autant, l’inspection ne maîtrise pas absolument les sanctions administratives, puisqu’elle les propose à la signature du préfet. Néanmoins, comparée au long chemin que suivent les sanctions pénales dans des circuits que l’inspection connaît mal, la voie administrative peut être considérée comme plus sûre lorsqu’il s’agit de sanctionner un fonctionnement inadapté.
  • [35]
    La mise en place de normes ISO 14 000 (environnementales) constitue un exemple de cette mobilisation industrielle sur les questions environnementales. Cf. Reverdy (T.), « Les formats de la gestion des rejets industriels : instrumentation de la coordination et enrôlement dans une gestion transversale », Sociologie du travail, 42,2000. On peut noter que l’inspection des installations classées ne reconnaît pas, dans son activité, les démarches volontaires des entreprises (essentiellement au motif qu’une entreprise peut être certifiée ISO 14 000 sans être en règle avec l’inspection ; il suffit qu’elle s’engage à respecter ultérieurement la réglementation). D’autres polices sanitaires (par exemple en matière de risque alimentaire) ont au contraire choisi d’intégrer dans le droit les normes techniques produites par les professionnels.
  • [36]
    Robert (J.-L.), Inspecteurs et inspection du travail, Paris, La Documentation Française, 1998.
  • [37]
    « Lettre du Secrétariat d’État auprès du Premier ministre chargé de l’environnement et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs aux préfets », 4 décembre 1989.
  • [38]
    Les sujets à traiter sont les suivants : les risques industriels, l’eau, l’air et les odeurs, le bruit et les vibrations, les déchets, les sols pollués, les effets sur la santé, comportement-relation avec un industriel, responsabilité pénale, organiser son travail (suivre ses objectifs, maîtriser son temps).
  • [39]
    Compte-rendu d’une réunion inter-DRIRE, novembre 1996.
  • [40]
    « Pour une industrie performante, propre et sûre » est le slogan des DRIRE dans les années 1990.
  • [41]
    Ce groupe était composé en majorité d’inspecteurs de terrain de la DRIRE.
  • [42]
    Trépos (J.-Y.), La sociologie de l’expertise, Paris, PUF, 1996, p. 47.
  • [43]
    Mise en évidence dans Paradeise (C.), « Rhétorique professionnelle et expertise », Sociologie du travail, 1, 1985, p. 19.
  • [44]
    La définition de la « compétence » (particulièrement l’examen de ses liens avec la « qualification ») a donné lieu, en sociologie, à de nombreux débats. La perspective développée ici décale légèrement ces débats, en prenant acte tout d’abord de l’existence d’un « modèle de la compétence » pour l’inspection, promu par le ministère de l’Environnement et qu’il convient de décrire, et d’autre part, en envisageant non le contenu de cette compétence mais les terrains sur lesquels elle s’affirme. Pour un état du débat, voir le numéro spécial de Sociologie du travail, 43,2001. Voir également Dubar (C.), « La sociologie du travail face à la qualification et à la compétence », Sociologie du travail, 2,1996, et Stroobants (M.), Savoir-faire et compétences au travail, Bruxelles, Éditions de l’Université Libre de Bruxelles, 1993.
  • [45]
    Notons également que les inspecteurs doivent encadrer l’activité de recherche de certains laboratoires industriels dont les produits peuvent être, par définition, inconnus et dont les effets sont, à coup sûr, mal appréhendés.
  • [46]
    Pollak (M.), « Expertise et réglementation technologique », in CRESAL, Situations d’expertise et socialisation des savoirs, Paris, L’Harmattan, 1985, p. 257.
  • [47]
    Compte-rendu du séminaire « L’évaluation de l’impact des installations classées sur la santé des populations », Paris, ministère de l’Environnement, juillet 2002.
  • [48]
    Fristch (P.), « Situations d’expertise et “expert-système” », in CRESAL, Situations d’expertise …, op. cit., p. 27.
  • [49]
    Actuellement, le modèle du savoir spécialisé et le modèle procédural cohabitent au sein de l’inspection de façon plus ou moins conflictuelle. Un phénomène semblable de concurrence entre formes de compétence s’observe chez les enseignants étudiés par L. Demailly et chez les policiers analysés par D. Montjardet. Demailly (L.), « La qualification ou la compétence professionnelle des enseignants », Sociologie du travail, 1,1987 ; Montjardet (D.), « Compétence et qualification comme principes d’analyse de l’action policière », Sociologie du travail, 1,1987.
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