Couverture de POLAF_171

Article de revue

Souveraineté économique, lieu du politique. Réflexions à partir du cas du Maroc

Pages 9 à 35

Notes

  • [1]
    F. Bobin, « Le Maroc affiche sa “souveraineté” dans la sélection de l’aide internationale aux victimes du séisme », Le Monde, 15 septembre 2023 ; S. Jourdain, « Séisme au Maroc : “Le Maroc est un État souverain qui détermine seul qui a le droit d’intervenir sur son sol” », Public Sénat, 15 septembre 2023, <https://www.publicsenat.fr/actualites/international/seisme-au-maroc-le-maroc-est-un-etat-souverain-qui-determine-seul-qui-a-le-droit-dintervenir-sur-son-sol>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [2]
    F. Islah, « Séisme au Maroc : pour Mohamed Tozy, “Emmanuel Macron ne connaît pas les codes de la monarchie” », Jeune Afrique, n° 3129, octobre 2023, p. 64-67.
  • [3]
    C’est l’argument de la thèse d’histoire sur Al Mansour de Nabil Mouline, Le califat imaginaire d’Ahmad al-Mansûr, Paris, PUF, 2009. L’illustration de cette stratégie est analysée par Bernard Rosenberger dans son livre sur le Maroc au siècle de Philippe II (Le Maroc au xvie siècle. Au seuil de la modernité, Rabat, Fondation des trois cultures, 2008), dans lequel il montre que le Maroc avait construit ses alliances non en fonction d’une idéologie mais bien plutôt selon le principe que l’on ne pouvait faire confiance qu’à la conjoncture et que le pays n’avait pas d’amis définitifs.
  • [4]
    R. Bacqué, « Après le séisme au Maroc, la réponse des autorités suspendue au roi Mohammed VI », Le Monde, 11 septembre 2023 ; « Séisme d’Al Haouz : quels enseignements tirer de la communication de crise ? », TelQuel, 13 septembre 2023.
  • [5]
    Sur la « voie royale », voir B. Hibou et M. Tozy, Tisser le temps politique au Maroc. Imaginaire de l’État à l’âge néolibéral, Paris, Karthala, 2020, chapitre 4.
  • [6]
    Entreprise qui a grandi à l’ombre de l’État grâce aux travaux publics (construction de barrages, pont, aéroports et ports, hôpitaux, etc.).
  • [7]
    Al Mada est la holding royale qui a des participations majoritaires dans la Sonasid – complexe sidérurgique créé par l’État en 1974 et privatisé principalement au profit de la SNI (Société nationale d’investissement) en 1996-1997 – et dans la filiale marocaine du groupe de BTP français Lafarge.
  • [8]
    Richbond est une entreprise spécialisée notamment dans la production de matelas et de salons marocains appartenant à la famille Tazi. Dolidol est une entreprise spécialisée dans la mousse polyuréthane et la literie appartenant au groupe Palmeraie de la famille Berrada.
  • [9]
    « Modalités de contribution au Fonds spécial numéro 126 pour la gestion des effets du tremblement de terre », Maghreb Agence Presse, 10 septembre 2023.
  • [10]
    « La création de l’agence de développement du Haut Atlas sur la table du gouvernement » [en ligne], Medias24, 25 septembre 2023, <https://medias24.com/2023/09/25/la-creation-de-lagence-de-developpement-du-haut-atlas-sur-la-table-du-gouvernement/>, consulté le 5 décembre 2023 ; « Séisme d’Al Haouz : l’Agence de développement du Haut Atlas sera chargée de l’exécution du programme de reconstruction des établissements scolaires les plus affectés » [en ligne], Maroc.ma, 17 octobre 2023, <https://www.maroc.ma/fr/actualites/seisme-dal-haouz-lagence-de-developpement-du-haut-atlas-sera-chargee-de-lexecution-du>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [11]
    « Événements culturels le festival Moga s’ajoute à la liste des annulations » [en ligne], Le Desk, 18 septembre 2023, <https://mobile.ledesk.ma/live-content/evenements-culturels-le-festival-moga-sajoute-a-la-liste-des-annulations/>, consulté le 18 décembre 2023.
  • [12]
    Lors de son invitation à l’émission « Les matins Luxe » (Luxe Radio, Casablanca, 22 septembre 2023), Hicham Abkari, directeur des Arts au sein du ministère de la Culture, déclarait : « Les opérateurs économiques sont souverains : la décision de maintenir ou non le festival dont ils sont les initiateurs, les organisateurs et les financiers leur revient. »
  • [13]
    Sur la souveraineté monétaire, voir notamment M. Aglietta et A. Orléan (dir.), La monnaie souveraine, Paris, Odile Jacob, 1998 ; M. Aglietta, P. Ould Ahmed et J.-F. Ponsot, La monnaie entre dettes et souveraineté, Paris, Odile Jacob, 2016 ; T. Boccon-Gibod et A. Mathieu (dir.), Monnaie, souveraineté et démocratie, Lormont, Le bord de l’eau, 2022. Sur la souveraineté industrielle, voir E. Cohen, Souveraineté industrielle. Vers un nouveau modèle productif, Paris, Odile Jacob, 2022. Sur la dette souveraine, voir B. Lemoine, La démocratie disciplinée par la dette, Paris, La Découverte, 2022.
  • [14]
    Sur la souveraineté européenne, voir par exemple P. Dardot et C. Laval, Dominer. Enquête sur la souveraineté de l’État en Occident, Paris, La Découverte, 2020 ; W. Streeck, Entre globalisme et démocratie. L’économie politique à l’âge du néolibéralisme finissant, Paris, Paris, Gallimard, 2023 ; L. Foisneau et P. Urfalino, « Autour de la souveraineté. Entretien avec Vincent Descombes » [en ligne], Politika, 21 juin 2020, <https://www.politika.io/fr/article/autour-souverainete>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [15]
    O. Tourneux, La souveraineté à l’ère du néolibéralisme, Paris, Garnier, 2022.
  • [16]
    Sur la constitutionnalisation économique, voir notamment S. Gill et A. C. Cutler (dir.), New Constitutionnalism and World Order, Cambridge, Cambridge University Press, 2014 ; P. Dardot et C. Laval, Dominer…, op. cit., p. 640 et suivantes.
  • [17]
    Voir le titre XII de la Constitution : « De la Bonne Gouvernance », articles 154 à 171, ainsi que le titre « Les Instances de bonne gouvernance et de régulation », articles 165, 166 et 167.
  • [18]
    M. Tozy, « Représentation/intercessions : les enjeux de pouvoir dans les champs politiques désamorcés au Maroc », in M. Camau (dir.), Changements politiques au Maghreb, Paris, CNRS éditions, 1991, p. 153-168.
  • [19]
    Comme l’avait montré Jean Bodin dans Les six livres de la République dès 1576 (en conceptualisant la richesse comme le socle de la puissance du souverain et en établissant un lien entre théorie de la souveraineté et mercantilisme), ce que rappelle, par exemple, Jacques Mistral dans son livre, La science de la richesse. Essai sur la construction de la pensée économique, Paris, Gallimard, 2019, notamment p. 89 et suivantes.
  • [20]
    « Fête du Trône. OCP, fer de lance de la politique africaine », La Vie éco, 30 juillet 2022 ; « Sommet Dakar sur la souveraineté alimentaire : l’OCP va “contribuer activement” à l’amélioration de la productivité agricole en Afrique (responsable) » [en ligne], Maghreb Agence Presse, 26 janvier 2023, <https://www.mapexpress.ma/actualite/opinions-et-debats/sommet-dakar-souverainete-alimentaire-locp-va-contribuer-activement-lamelioration-productivite-agricole-en-afrique-responsable/>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [21]
    B. Mousjid, « Othman Benjelloun : “D’ici à 2030, Bank of Africa sera un groupe panafricain de référence” », Jeune Afrique, 12 juin 2023.
  • [22]
    I. Bouhrara, « Industrie pharmaceutique en Afrique : le Maroc appelé à jouer un rôle majeur », ÉcoActu, 7 juillet 2021.
  • [23]
    « Le roi confirme l’ambition industrielle du Maroc portée par la notion de souveraineté » [en ligne], Medias24, 29 mars 2023, <https://medias24.com/2023/03/29/le-roi-confirme-lambition-industrielle-du-maroc-portee-par-la-notion-de-souverainete/>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [24]
    B. Rosenberger, « Cultures complémentaires et nourriture de substitution au Maroc (xve-xviiie siècle) », Annales ESC, vol. 35, n° 3-4, 1980, p. 477-503 ; M. A. Bezzaz, Tarikh al-awbi’a wa al-maja’at bi al-Maghrib fi al qarnayn at-tamine wa al-attassi’ ‘achar [Histoire des épidémies et des famines au Maroc, xviiie-xixe siècles], Publications de la faculté des lettres et des sciences humaines, Rabat, Université Mohammed V, 1992, notamment le chapitre 2 de la partie 2 intitulé : « La fonction sociale du Makhzen au temps des famines » ; Y. Benhima, « Épidémies et mouvements de population au Maroc (xive-xvie siècle) », Actes de la XLI settimana di studi Fondazione Datini, « Le interazioni fra economia e ambiente biologico nell’Europa preindustriale », Florence, Fondazione Datini, 2010, p. 279-285.
  • [25]
    Voir l’article de Béatrice Hibou dans ce numéro.
  • [26]
    On retrouve les définitions « décisionnistes » de la souveraineté qui ont été développées par les théories juridiques de la souveraineté, à commencer par C. Schmitt, « Théologie politique. Quatre chapitres sur la théorie de la souveraineté (1922) », in C. Schmitt, Théologie politique, Paris, Gallimard, 1988. Voir également J. L. Schlegel, « Introduction », in C. Schmitt, Théologie politique, op. cit., p. I-XVII.
  • [27]
    A. Piveteau et E. Rougier, « Le retour en trompe-l’œil de la politique industrielle. L’expert, l’État et l’économie politique locale », Revue Tiers Monde, n° 208, 2011, p. 177-192 ; A. Piveteau, « Au Maroc, l’épreuve politique d’une industrialisation importée », Afrique contemporaine, n° 266, 2018, p. 75-96.
  • [28]
    Voir l’article de Nadia Hachimi-Alaoui dans ce numéro.
  • [29]
    « Moulay Hafid El Alamy : “Nous allons dépasser les 8 millions de masques produits par jour” », TelQuel, 22 avril 2020.
  • [30]
    « Banque de projets. De nouvelles opportunités au service de la souveraineté industrielle, sanitaire et alimentaire », Allocution de Ryad Mezzour, Ministre de l’Industrie et du Commerce, Université Mohamed VI des Sciences de la Santé, Casablanca, 27 septembre 2022.
  • [31]
    N. El Aoufi et B. Billaudot (dir.), Made in Morocco. Made in monde, Rabat, Économie critique, 2019.
  • [32]
    L. El Massaoudi, « Souveraineté industrielle : le Made in Morocco à tout prix », L’Économiste, 29 septembre 2022.
  • [33]
    « Souveraineté économique : “Le Made in Morocco est l’ambition d’une nation” » [en ligne], Finance News Hebdo, 16 août 2023, <https://fnh.ma/article/actualite-economique/souverainete-economique-made-morocco#:~:text=Ryad%20Mezzour%20%3A%20Le%20Made%20in,autoroutes%2C%20entre%20autres%20grandes %20réalisations.>, consulté le 5 décembre 2023 ; « Journées Made in Morocco : près de 200 entrepreneurs attendus à Rabat » [en ligne], InfoMédiaires, 5 octobre 2023, <https://www.infomediaire.net/les-journees-made-in-morocco-les-8-et-9-novembre-a-lum6p-de-rabat/ #:~:text=Journées%20Made%20in%20Morocco%3A%20près%20de%20200%20entrepreneurs%20attendus%20à% 20Rabat,-5%20octobre%202023&text=Organisé%20sous%20l%27égide% 20du,Mohammed%20VI%20Polytechnique%20de%20Rabat.>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [34]
    Voir « Encadré 13 : Paris du NMD. Le Made in Maroc : diversification et montée en gamme », in Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD), Le nouveau modèle de développement. Libérer les énergies et restaurer la confiance pour accélérer la marche vers le progrès et la prospérité pour tous. Rapport général, Rabat, Royaume du Maroc, 2021, p. 90, ainsi que l’entretien avec Mohamed Tozy dans ce numéro.
  • [35]
    R. Dalil, « “Made in Morrocco”, import-substitution… pourquoi le FMI désavoue la doctrine industrielle de MHE », TelQuel, 14 mars 2022.
  • [36]
    « Le Roi confirme l’ambition industrielle du Maroc, portée par la notion de souveraineté » [en ligne], Medias24, 29 mars 2023, <https://medias24.com/2023/03/29/le-roi-confirme-lambition-industrielle-du-maroc-portee-par-la-notion-de-souverainete/>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [37]
    « Interviews croisées. Souad Benbechir et Driss Benhima », TelQuel, 14-20 janvier 2022, p. 29.
  • [38]
    L. El Massaoudi, « Souveraineté industrielle : le Made in Morocco… », art. cité.
  • [39]
    Comme le souligne le rapport de la CSMD, qui appelait à créer un label « made in Morroco », ou les déclarations de l’actuel ministre de l’Industrie (voir par exemple La Vie éco, mars 2023).
  • [40]
    Comme le suggèrent le plaidoyer des hommes d’affaires auprès du gouvernement et l’ancien ministre de l’Industrie lui-même, Moula Hafid Elalamy, qui était le grand défenseur de la préférence nationale.
  • [41]
    Voir l’entretien avec Mohamed Tozy dans ce numéro.
  • [42]
    J.-L. Piermay, « La production des espaces pour l’entreprise au Maroc. À l’heure du Programme Émergence, quelle stratégie territoriale ? », Mondes en développement, n° 151, 2010, p. 127-137 ; A. Piveteau et E. Rougier, « Le retour en trompe-l’œil de la politique industrielle… », art. cité ; N. Akesbi, « Qui fait la politique agricole au Maroc ? Ou quand l’expert se substitue au chercheur… », Annales de l’Inrat, vol. 88, 2e numéro spécial « Centenaire l’Inrat », 2015, p. 104-126 ; N. Hachimi Alaoui, Gouverner l’incertitude : les walis de Casablanca (2001-2015), Thèse de doctorat en science politique, Aix-en-Provence, Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, 2019 ; B. Hibou et M. Tozy, Tisser le temps politique au Maroc, op. cit.
  • [43]
    Pour le Maroc, voir A. Bouabid et A. El Messaoudi, « Technocratie versus démocratie », Les cahiers bleus, n° 9, Rabat, Fondation Abderrahim Bouabid, 2007 ; N. Hachimi Alaoui, Gouverner l’incertitude…, op. cit. ; B. Hibou et M. Tozy, Tisser le temps politique au Maroc…, op. cit.
  • [44]
    Cette problématique, centrale chez Max Weber, a été notamment développée dans Sociologie des religions, traduit et présenté par J.-P. Grossein, Paris, Gallimard, 1996 et L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, suivi d’autres essais, traduit et présenté par J.-P. Grossein, avec F. Cambon, Paris, Gallimard, 2003. J.-P. Grossein en souligne l’importance dans sa « Présentation » de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme.
  • [45]
    N. Akesbi, « Qui fait la politique agricole au Maroc… », art. cité.
  • [46]
    S. El Fassi, « Qui dicte les stratégies d’État ? » [en ligne], Economia-HEM Research Center, 15 juillet 2015, <https://www.economia.ma/fr/content/qui-dicte-les-stratégies-detat>, consulté le 6 décembre 2023.
  • [47]
    R. Dalil et S. Chahid, « La toute-puissance des cabinets de conseil », TelQuel, 29 avril 2022.
  • [48]
    B. Hibou, L’Afrique est-elle protectionniste ? Les chemins buissonniers de la libéralisation extérieure, Paris, Karthala, 1996.
  • [49]
    B. Hibou (dir.), La privatisation des États, Paris, Karthala, 1999 ; B. Hibou (dir.), « L’État en voie de privatisation », Politique africaine, n° 73, 1999. En dehors du continent et dans une tout autre tradition intellectuelle, voir S. Sassen, Losing Control ? Sovereignty in the Age of Globalization, New York, Columbia University Press, 1996.
  • [50]
    Notamment à travers le concept de « décharge » issu d’une lecture des travaux de Weber. B. Hibou « La “décharge”, nouvel interventionnisme », Politique africaine, n° 73, 1999, p. 6-15.
  • [51]
    Dans une tradition inspirée de Max Weber, de Michel Foucault et de Michel de Certeau, et défendue depuis sa création par Politique africaine. J.-F. Bayart, « Le politique par le bas en Afrique noire. Questions de méthode », Politique africaine, n° 1, 1981, p. 53-82 ; B. Hibou et B. Samuel (dir.), « La macroéconomie par le bas », Politique africaine, n° 124, 2012.
  • [52]
    On reconnaîtra la démarche de M. Foucault dans Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Gallimard/Seuil, 2004. Max Weber (par exemple dans « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales », in M. Weber, Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1992) n’a quant à lui pas directement travaillé sur la notion de souveraineté, mais sa méthodologie et sa façon d’appréhender l’État relèvent de cette approche relationnelle. Voir à ce propos J.-P. Grossein, « Leçon de méthode wébérienne », in M. Weber, Concepts fondamentaux de sociologie, Paris, Gallimard, 2016, p. 67 et suivantes.
  • [53]
    Voir par exemple, pour le Maroc, A. El Abdellaouy, El M. Harchaoui, T. Traore Okou et Y. Kayalassoro, Rapport Atlas. La souveraineté économique au Maroc : enjeux et perspectives, Rabat, École de guerre économique de Rabat, 2020-2021.
  • [54]
    J.-P. Grossein, « Théorie et pratique de l’interprétation dans la sociologie de Max Weber » [en ligne], Sociétés politiques comparées, n° 39, 2016, p. 9, <https://fasopo.org/sites/default/files/varia1_n39.pdf>, consulté le 6 décembre 2023.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    P. Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Seuil, 1992.
  • [57]
    Sur les différentes saisines de la Cour de Justice de l’Union européenne, voir « Encadré 2. Résumé des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) », in Cour des comptes européenne, Rapport spécial. Soutien de l’UE en faveur du Maroc : peu de résultats à ce jour, Luxembourg, Cour des comptes européenne, 2019, p. 11-12.
  • [58]
    Sur l’association Western Sahara Campaign et ses dépêches, voir <wsahara.org.uk>. Voir également « Un groupe britannique perd son recours contre l’accord commercial avec le Maroc », Reuters, 5 décembre 2022.
  • [59]
    T. Abou El Farah, « Sahara : le Polisario perd sa guerre juridique », La Vie éco, 26 mai 2023.
  • [60]
    Pour la période 1994-2012, les chiffres proposés par le rapport du Conseil économique, social et environnemental sur le sujet rapportent que l’État contribue en moyenne au PIB des provinces du Sud à plus de 54 %, dont 43 % en direct (33 % pour l’État et 10 % pour les entreprises publiques) et 11 % en indirect (PIB induit par l’investissement public). L’investissement public atteint 5 milliards de dirhams et s’établit à 5 500 dirhams par habitant, soit 31 % de plus que la moyenne nationale (4 200 dirhams). Conseil économique, social et environnemental, Nouveau modèle de développement pour les provinces du Sud, Rabat, Conseil économique, social et environnemental, 2013, p. 41.
  • [61]
    N. Hachimi-Alaoui, « Gouverner par moments. Le wali dans les transports urbains à Casablanca », in B. Hibou et I. Bono (dir.), Le gouvernement du social au Maroc, Paris, Karthala, 2016, p. 83-121.
  • [62]
    B. Hibou, « Les enjeux de l’ouverture au Maroc : dissidence économique et contrôle politique » [en ligne], Les études du Ceri, n° 15, 1996, <https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/etude15.pdf>, consulté le 5 décembre 2023 ; B. Hibou et M. Tozy, « Une lecture d’anthropologie politique de la corruption au Maroc : fondement historique d’une prise de liberté avec le droit », Revue Tiers Monde, n° 161, 2000, p. 23-47 ; M. Catusse, Le temps des entrepreneurs ? Politique et transformations du capitalisme au Maroc, Paris, Maisonneuve & Larose, 2008.
  • [63]
    Dans Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique (Paris, Seuil, 1976), Paul Veyne nous invite à être attentif aux mots mais aussi à savoir en soulever les voiles.
  • [64]
    En reprenant l’expression d’Enzo Traverso (L’histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du xxe siècle, Paris, La Découverte, 2011), et surtout la démarche que nous avions adoptée dans le cadre de notre travail sur le développement : I. Bono et B. Hibou (dir.), « Development as a Battlefield », International Development Policy, n° 8, 2017.
  • [65]
    E. J. Zürcher, Turkey : A Modern History, Londres, I.B. Tauris, 1993 ; A. Buğra, State and Business in Modern Turkey : A Comparative Study, Albany, State University of New York Press, 1994 ; A. Aktar, « Economic Nationalism in Turkey : The Formative Years, 1912-1925 », Boğaziçi Journal : Review of Social, Economic and Administrative Studies, vol. 10, n° 1-2, 1996, p. 263-290 ; A. Aktar, « Homogenising the Nation, Turkifying the Economy : The Turkish Experience of Population Exchange Reconsidered », in R. Hirschon (dir.), Crossing the Aegean : An Appraisal of the 1923 Compulsory Exchange between Greece and Turkey, New York/Oxford, Berghahn Books, 2003, p. 79-95 ; R. Bali, The “Varlık Vergisi” Affair : A Study on its Legacy, Istanbul, The Isis Press, 2005 ; A. Aktar, « “Turkification” Policies in the Early Republican Era », in C. Dufft (dir.), Turkish Literature and Cultural Memory : “Multiculturalism” as a Literary Theme after 1980, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2009, p. 29-62.
  • [66]
    V. Jamal, « Asians in Uganda, 1880-1972: Inequality and Expulsion », The Economic History Review, vol. 29, n° 4, 1976, p. 602-616 ; J.-F. Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, chapitre 5 ; E. C. Taylor, « Claiming Kabale : Racial Thought and Urban Governance in Uganda », Journal of Eastern African Studies, vol. 7, n° 1, 2013, p. 143-163 ; A. K. Hundle, « Insecurities of Expulsion : Emergent Citizenship Formations and Political Practices in Postcolonial Uganda », Comparative Studies of South Asia, Africa and the Middle East, vol. 39, n° 1, 2019, p. 8-23 ; I. S. Patel, We’re Here because You Were There : Immigration and the End of Empire, Londres, Verso Books, 2021.
  • [67]
    S. Meinl, « Stigmatisés, discriminés, pillés. Les lois fiscales antisémites dans l’Allemagne du Troisième Reich », Revue d’histoire de la Shoah, n° 186, 2007, p. 109-129. A. Tooze, The Wages of Destruction : The Making and Braking of the Nazi Economy, Londres, Penguin Book, 2007, a montré la part rhétorique et la dimension avant tout tribunitienne de la spoliation des Juifs et du pillage des pays occupés dans le redressement du pays, notamment pour le financement de la guerre.
  • [68]
    W. Benjamin, Critique de la violence, Paris, Payot & Rivage, 1992.
  • [69]
    L. Bianco, Emigrare dal Marocco. Squilibri socio-ambientali ed esodo da un polo monerario (Khouribga, 1921-2008), Thèse de doctorat, Rome, Université de Rome, 2012. Voir également M. Mghari et M. Fassi Fihri, Cartographie des flux migratoires des Marocains en Italie, Genève, OIM/Ministère des Affaires étrangères italien, 2010, p. 177-181 ; M. Chiguer, N. Harrami, M. Kachami, M. Nadif et A. Zekri, « La structure démographique, économique et du travail au Maroc et dans les quatre régions intéressées par l’étude et leur relation avec les flux migratoires », in M. Vitiello (dir.), Le migrant marocain en Italie comme agent de développement et d’innovation dans les communautés d’origine, Rabat/Milan/Naples, Amerm/Coopi/El Sur/Punto Sud, 2005, p. 143-189.
  • [70]
    P. Yengo, L’ordre de la transgression. La souveraineté à l’épreuve du temps global, Pau, Presses universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2022. Voir également le « Débat autour d’un livre » de ce numéro.
  • [71]
    Sur les « caravanes médicales » de l’OCP et les effets négatifs de l’exploitation phosphatière au Maroc, voir B. Ferlaino, Il Marocco dei fosfati : politiche e discorsi nel governo del sociale, Mémoire de master, Turin/Rabat, Université de Turin/École de gouvernance et d’économie, 2018.
  • [72]
    Rejoignant en cela les analyses de Jean-François Bayart qui montre que coercition et hégémonie ne sont pas deux dynamiques opposées mais qu’elles se combinent souvent. J.-F. Bayart, L’énergie de l’État. Pour une sociologie historique et comparée du politique, Paris, La Découverte, 2022, chapitre 6.
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1 Le 8 septembre 2023, un tremblement de terre de magnitude 7 a secoué une grande partie du Haut Atlas. Aussitôt, dans un élan de survie et de solidarité, des actions se sont organisées dans tout le pays et au-delà. Le tremblement de terre a rapidement fait se poser dans le débat public la question de la souveraineté, y compris de la souveraineté économique, de façon parfois très convenue, mais souvent inattendue. Cet événement exceptionnel nous permet d’aborder de front les différentes facettes que notre dossier entend éclairer.

2 Le tremblement de terre a d’abord mis en lumière une expression classique de la souveraineté, le rapport de l’État à son environnement extérieur, à travers son rapport concret aux secours d’urgence. Dès le lendemain du séisme, le débat était lancé : fallait-il avoir recours, ou non, à l’aide extérieure [1] ? Dans les premières heures qui ont suivi le séisme, le Maroc a décliné l’offre précipitée du président français d’apporter des moyens logistiques et opérationnels ; bien que courtois, ce refus s’est accompagné, 48 heures après le séisme, de l’acceptation de l’aide de l’Espagne, du Royaume-Uni, du Qatar et des Émirats arabes unis. Des facteurs géopolitiques ont joué dans ce choix [2] : les autorités marocaines ont clairement affirmé la souveraineté du pays de sélectionner les pays donateurs en explicitant des alliances et des prises de distance. Historiquement, depuis au moins quatre siècles, le Maroc a joué sur les circonstances et les alliances tactiques pour s’intégrer sur la scène internationale, faisant front avec les Européens contre les Ottomans, avec les Français contre les Anglais, avec les Espagnols contre les Français, etc. Même si les formes et les modalités de ces alliances ont changé depuis lors, la logique est similaire. En effet, comme d’autres pays objets d’appétits extérieurs (à l’instar de l’Éthiopie ou de la Turquie), le Maroc ne fait confiance qu’à la conjoncture, et le choix de ses alliés est fonction des circonstances, révélant une mentalité insulaire face aux menaces qui, à partir du xvie siècle, ont pesé sur le pays [3]. La souveraineté nationale prend ici le sens de l’affirmation d’une capacité de décider, seul, de ses alliances, en l’occurrence à travers une opportunité dont la dimension économique est importante : l’aide humanitaire d’urgence. Le tremblement de terre a également été l’occasion d’affirmer l’indépendance du royaume, en montrant notamment la capacité à agir en autonomie et en donnant à voir l’ampleur et l’efficacité des ressources nationales pour faire face à cette épreuve. C’est ce qui explique la gestion « au compte-gouttes » de l’arrivée des secours étrangers qui ont dû attendre 48 heures pour venir sur le sol marocain, et la primauté accordée au déploiement immédiat de l’armée, permettant la mobilisation de différentes instances nationales.

3 De façon plus implicite, le tremblement de terre a mis en lumière les formes particulières que prend la question de la souveraineté dans un contexte caractérisé par la bicéphalie d’un pouvoir ayant une double légitimité : légitimité historique du roi et de l’institution monarchique et légitimité électorale, beaucoup plus récente, du gouvernement et de son chef. De façon remarquée, le tremblement de terre a correspondu à un moment de latence pour l’appareil gouvernemental : aucun ministre n’a pris la parole, pas même le chef de gouvernement ; aucun ministre ne s’est déplacé durant les quatre premiers jours, avant que Mohamed VI ne se rende à Marrakech au chevet des victimes. Sans que cela ne soit décidé, parce que cela allait de soi, le roi devait être le premier à être présent sur place. Seul un haut dignitaire – Abdellatif Hamouchi, le directeur général de la direction générale de la Sûreté nationale du ministère de l’Intérieur – a fait immédiatement le déplacement, mais il l’a fait en tant que représentant d’un ministère de souveraineté dont le détenteur est nommé par le Palais. La prééminence de la souveraineté monarchique sur la souveraineté populaire s’est ici affirmée très clairement et elle fait écho aux tensions qui avaient accompagné le tremblement de terre de février 2004 à Al Hoceïma. Driss Jettou, Premier ministre de l’époque, pourtant un « technocrate », avait été empêché de se rendre sur place dans les premières heures du séisme pour laisser la primauté au roi. De même, l’aide de différentes associations de la société civile avait été bloquée par l’omnipotente Fondation Mohamed V. La mémoire de ces conflits larvés s’est avérée être très puissante alors même que, vingt ans plus tard et une nouvelle constitution en plus, la légitimité des urnes a fini par s’affirmer. Les seuls ministres qui se sont rendus sur place l’ont fait à titre individuel, soit parce qu’ils étaient des élus locaux de la région sinistrée, comme le ministre de la Justice, maire de Taroudant, ou la ministre de l’Aménagement du territoire, maire de Marrakech, soit parce qu’ils sont réputés être en lien direct avec le roi, à l’instar du ministre de la Santé. Mais le chef de gouvernement, Aziz Akhannouch, n’a tenu une première réunion interministérielle qu’une fois affirmée et déployée l’autorité du roi sur place [4].

4 Le tremblement de terre permet aussi d’avoir une compréhension plus fine de ce que signifie la souveraineté économique, et plus précisément des différentes façons dont souveraineté et économie s’articulent. Tout d’abord, le séisme met en évidence une souveraineté par l’économie, comme nous l’avons évoqué d’entrée : l’État marocain (et plus précisément son souverain) a mis en scène sa capacité à mobiliser dans l’urgence et de façon efficace des ressources économiques. À moment exceptionnel, modalités exceptionnelles d’action. C’est la « voie royale [5] » : elle s’appuie ici sur l’armée qui relève de l’autorité du souverain puisque sa mobilisation, au détriment des élus et des représentants du peuple, vient rappeler symboliquement la mobilisation du roi. Ce recours à la voie royale a d’abord permis de mobiliser des moyens opérationnels des grands opérateurs économiques sans contrepartie et de compenser l’absence de moyens des secours publics. L’arrivée opérationnelle des tractopelles et le déblaiement dans les 48 heures des zones sinistrées ont ainsi été le fait de la Société générale des travaux du Maroc [6] et d’Al Mada [7], notamment via ses sociétés, Sonasid et Lafarge, tandis que la fourniture des tentes et des matelas a été rendue possible par l’intervention des groupes Richbond et Dolidol [8]. Il a ensuite permis de créer un fonds spécial, le Fonds 126 pour la gestion de l’aide [9], trois jours seulement après le séisme. La souveraineté monarchique s’est ici affirmée par l’économie, c’est-à-dire très concrètement par la capacité du souverain à mobiliser des ressources économiques en recourant à des dispositifs d’exception assurant une autonomie d’action de l’État.

5 La gestion du tremblement de terre fait simultanément apparaître une volonté du pouvoir d’être souverain sur l’économie, en l’occurrence sur les flux, les biens et les acteurs économiques. Le Fonds 126 a non seulement permis de mobiliser des fonds en un temps record, mais il a aussi permis de canaliser les flux financiers (sous forme de dons et d’aide) provenant des entreprises et de la société civile, et ce avec une certaine efficacité puisqu’au 2 novembre 2023, près de 1,5 milliard d’euros avaient été récoltés. Le séisme a en effet été un moment exceptionnel de solidarité et de mobilisation qui s’est traduit par l’ampleur des dons et des aides : il fallait à tout prix désamorcer la compétition possible entre l’institution monarchique d’une part, et les acteurs associatifs et les opérateurs privés de l’autre. De la même façon, la création fin septembre de l’agence de développement pour la reconstruction [10] permet, là encore par un acte souverain du roi, de maîtriser l’allocation des ressources pour la reconstruction et de garder l’initiative de la décision.

6 Mais de façon plus inattendue, le tremblement de terre a fait apparaître des formes de souveraineté de l’économie : une fois passé le deuil national de trois jours, le souci des autorités était que cette région, qui vit quasi exclusivement du tourisme, retrouve son cours normal. Les acteurs économiques n’ont cependant pas vu les choses de la même manière, et notamment les organisateurs du festival Moga, qui devait se tenir le 5 octobre à Essaouira, ont décidé de l’annuler au nom de la décence et de l’impossibilité, pour les entreprises sponsors, d’associer leur image à un événement festif au lendemain du séisme. Cette annulation, en contradiction avec l’orientation officielle des pouvoirs publics [11], est révélatrice de la souveraineté des acteurs économiques, c’est-à-dire de leur autonomie et de leur montée en puissance [12], processus de plus en plus affirmé depuis une vingtaine d’années au Maroc.

Les débats actuels sur la souveraineté économique

7 L’ambition d’agir en souverain à l’occasion du tremblement de terre s’inscrit dans un contexte bien particulier : au Maroc, le moment actuel est saturé de références à la souveraineté économique. Ce moment n’est pas spécifique au Maroc ; il est global comme l’illustre la floraison, ces dernières années, de travaux universitaires sur le sujet, au niveau sectoriel [13] ou général [14], et ceci en dépit de l’hégémonie néolibérale qui prétend « désouverainiser » l’État dans le domaine économique [15], autrement dit dépolitiser et dénationaliser l’économie à travers le développement du droit international et la constitutionnalisation d’un certain nombre de normes économiques [16]. Au Maroc, ce processus est en cours avec une tendance historique à résoudre les conflits par le biais de compromis juridiques et politiques plutôt que d’affrontements ouverts. Il a été accentué par la promulgation, en 2011, d’une nouvelle constitution qui y a inscrit nombre d’agences, instances, conseils ou commissions à dimension économique [17], « désamorçant [18] » ainsi le champ politique.

8 L’objectif de ce numéro est d’abord de déconstruire une notion qui se réfère à des dimensions très différentes selon les acteurs, les contextes, les situations. Il est surtout de mettre en évidence la diversité, le concret et la subtilité des enjeux politiques et économiques derrière les revendications toujours plus nombreuses de souveraineté, à partir du cas singulier mais banal du Maroc. Depuis le mercantilisme [19], l’économie est comprise comme étant au service de la puissance du pays. La souveraineté économique est alors entendue comme une manière de rayonner à l’international, comme on le voit dans la plupart des débats publics et même académiques qui accompagnent le déploiement des acteurs économiques et financiers marocains sur le continent, que ce soit des acteurs publics comme l’OCP [20], des acteurs privés et des banques [21], ou l’industrie pharmaceutique [22]. La souveraineté économique est parfois une question de « survie », ce qu’illustrent les moments de crise (comme durant la pandémie, réactivé par la guerre en Ukraine). Dans les discours royaux, la souveraineté renvoie alors à la nécessité de constituer des réserves stratégiques – que ce soit de principes actifs de médicaments, de céréales ou même d’hydrocarbure [23] –, rappelant la légitimité historique de l’État : nourrir la population, gérer les famines [24]. La souveraineté économique peut encore être entendue comme l’indépendance économique, c’est-à-dire comme la capacité de faire des choix et de définir des politiques économiques, à l’instar de la décision, à la fin des années 1990, de constituer de grandes entités bancaires [25]. La souveraineté peut enfin renvoyer à l’idée d’autorité décisionnaire en dernier ressort, tout comme elle peut renvoyer à l’idée de maîtrise et de contrôle [26]. Au Maroc comme ailleurs, ces compréhensions concurrentes se combinent de façon différente selon les situations, les moments, les acteurs en présence.

9 Le débat sur la souveraineté industrielle ne date pas du Covid même si ce dernier l’a stimulé une nouvelle fois avec la mise en place d’un Plan de relance industrielle (plan 2021-2024). Ces dernières années, c’est avant tout le ministère de l’Industrie, avec à sa tête, de 2011 à 2021, Moulay Hafid Elalamy, ancien patron des patrons (2006-2009) et président du plus gros groupe d’assurance marocain, Saham, qui l’a porté. La souveraineté économique est ici associée à la notion d’indépendance économique, à la capacité nationale de répondre au mieux aux besoins de la nation. Au tournant des années 2000 en effet, l’internationalisation des réseaux de production avait élargi la sous-traitance industrielle à de nouveaux « métiers-monde » (c’est-à-dire à des secteurs liés à la sous-traitance internationale tels que l’aéronautique, l’automobile, l’offshoring) aux côtés des secteurs traditionnels du textile et de l’agroalimentaire. L’industrie est redevenue, dans l’agenda marocain, un levier important de la croissance économique [27], se traduisant par le retour des stratégies industrielles – à l’instar des Plans Émergence industrielle I et II (2001-2012) ou du Plan d’accélération industrielle (2014-2020) – et de « visions » sectorielles. Le vieux débat sur le processus d’industrialisation a ainsi été relancé. Au lendemain de l’indépendance, il s’était structuré autour du dilemme entre la construction d’une industrie à forte intensité en capital, afin de renforcer l’indépendance économique du Maroc tout en permettant la constitution d’une épargne nationale, et la construction d’une industrie à forte intensité en main-d’œuvre pour répondre à l’urgence de la question de l’emploi [28]. Cinquante ans plus tard, les termes du débat ont changé. Désormais, ce sont des questions comme la « qualité » de la production nationale, la faible valeur des emplois qu’elle commande et la nécessaire diversification qui en découle qui en structurent les termes, bien qu’il soit toujours porté par le même arbitrage impossible entre emploi et création de valeur.

10 Inscrite dans cette tradition, l’ambition de souveraineté revendiquée dans le Plan de relance de 2021 s’est traduite par des mesures privilégiant la fabrication locale de produits industriels, renouant ainsi avec les logiques de substitution à l’import, mais désormais non sur les produits manufacturés finis mais sur les composants de ces derniers. Il s’agit donc de prendre acte de la globalisation et de capter une part des reconfigurations des chaînes de production internationales mises à mal par la pandémie, en positionnant le Maroc sur les composants ou les produits semi-finis. Appuyé par des opérateurs économiques regroupés dans un groupe de travail pour la souveraineté, le ministère a défini « une banque de projets industriels » éligibles à une série de mesures de soutien dans 16 filières. La souveraineté économique est dès lors entendue à la fois comme puissance de l’économie nationale, avec pour objectif la création d’emplois et l’accroissement de la part de la valeur ajoutée produite au Maroc [29], et comme défense des intérêts économiques nationaux [30]. Cette vision est partagée par certains opérateurs économiques eux-mêmes, on l’a dit, ainsi que par les think tanks, les cercles et les instances de réflexion économique qui définissent les contours du débat public.

11 Mais ces débats ne se sont pas cantonnés aux sphères de l’action publique. Ils se retrouvent dans les séminaires et la production scientifique avec la notion de « Made in Morocco[31] », dans la presse [32] et la littérature grise avec la question de la « montée en gamme », ou dans les débats publics [33] et les instances de réflexion sur « l’expansion du Maroc à l’international » comme il en a été question au sein de la Commission spéciale sur le modèle de développement [34]. Ces débats sont économiques bien entendu, mais ils ne s’y réduisent pas ; ils ont fondamentalement trait au rapport entre puissance, création de richesse et souveraineté. Ils explorent les manières de concevoir l’accumulation, la répartition et l’innovation par exemple. Ils dévoilent une volonté de plus en plus forte de faire émerger une nation économique forte, rendant audible et amplifiant un discours nationaliste très présent sur la scène internationale. Le discours souverainiste autour des accords de libre-échange (notamment la révision de l’accord entre le Maroc et la Turquie en 2020, les tentatives de révision de l’accord entre le Maroc et l’Égypte et entre le Maroc et la Tunisie, les tensions croissantes avec l’Union européenne) et la rhétorique sur la diplomatie économique du royaume en Afrique suggèrent que, dans le Maroc contemporain, l’économie participe pleinement de ce moment d’exacerbation du nationalisme. Ce moment est aussi protectionniste, critiqué mezza voce par le FMI par exemple qui ne voit pas d’un bon œil le plan de relance et les mesures visant à soutenir la production locale [35]. Le « Made in Morocco » apparaît ainsi tout à la fois comme une autre manière de désigner « l’ambition industrielle de souveraineté [36] », un « état d’esprit » chez les opérateurs économiques [37] et « l’ambition d’une nation [38] ». Même si le « Made in Morocco » ne remet jamais en cause la position du Maroc dans la sous-traitance internationale, ce slogan laisse percevoir une tension entre le souci de créer des emplois et d’assurer une montée en gamme de l’industrie [39], et la défense d’une stratégie de préférence nationale [40]. La souveraineté est ici toujours entendue comme puissance nationale, mais avec des conceptions différentes de ce qu’est la puissance d’une économie.

12 Un autre type de débats structurant pour l’analyse de la souveraineté économique est aujourd’hui celui de la « marocanisation » du développement et des choix en matière de politique économique. La nécessaire réorientation du modèle de développement est au cœur de l’actualité de ces dernières années. Le discours qui a accompagné la nomination de la Commission nationale pour un nouveau modèle de développement consistait à mettre en avant la nécessité d’élaborer un « modèle marocain » « par » des Marocains [41]. Cette préoccupation fait écho aux critiques de la place prise par l’expertise internationale dans l’élaboration des plans et des programmes économiques, avec la montée en puissance des grands cabinets de conseil étrangers, à l’instar de McKinsey, de Roland Berger ou du Boston Consulting Group [42]. La problématique des rapports entre technocratie et politique qu’évoque le débat sur la place de l’expertise [43] renvoie à celle des « porteurs [44] » de souveraineté, et plus précisément à celle du transfert de souveraineté vers un groupe « élu » qui, à la différence du « peuple » bien sûr, mais également des « politiques », détiendrait les compétences nécessaires pour décider et gouverner. La revendication de souveraineté se fait ainsi au nom de la préférence nationale, comme l’illustrent les premières critiques adressées aux cabinets internationaux [45] et l’émergence, ces dix dernières années, de cabinet de consultants marocains [46]. Mais elle peut se faire également au nom de l’indépendance des politiques publiques vis-à-vis des cabinets privés [47], au nom aussi de la primauté de la légitimité électorale sur la légitimité historique.

Aborder la souveraineté économique par ses modalités

13 Ce numéro est le fruit d’un travail collectif qui nous a amenés à partager des lectures et des terrains, mais aussi une démarche et un cheminement intellectuel. De fait, notre réflexion sur la souveraineté s’inscrit dans une réflexion antérieure sur les transformations de l’État et des façons de gouverner. Dans les années 1990, la globalisation et la libéralisation économique étaient perçues comme les facteurs d’une érosion, d’un retrait de l’État, et ce faisant d’une remise en cause de la souveraineté étatique, particulièrement en Afrique, au nord comme au sud du Sahara. Les travaux menés sur les reconfigurations du contrôle sur les échanges internationaux [48] comme ceux problématisés en termes de « privatisation de l’État [49] » ont tenté de dépasser ces interprétations en critiquant les perspectives qui considéraient que la globalisation et le néolibéralisme allaient mener à une altération, voire à une disparition, de la souveraineté. Ils ont notamment montré que l’économie était au contraire le lieu par excellence du redéploiement de l’exercice du pouvoir et du gouvernement des faits, des lieux et des acteurs sociaux dès lors que l’on se défaisait d’une vision institutionnaliste de l’État et que l’on prenait en compte les modalités de plus en plus éclatées, et souvent non formalisées, de contrôle et de domination [50]. L’analyse de la souveraineté se doit donc de prendre en compte ce renouvellement des modalités d’exercice du pouvoir qui passe par une multiplicité d’acteurs, et c’est la première raison pour laquelle nous avons fait le choix d’aborder la souveraineté économique par ses modalités. La seconde raison découle directement de la première dans la mesure où, dès lors que l’on doit se défaire d’une vision essentialiste et substantialiste de l’État pour comprendre comment se déploie le gouvernement des biens et des hommes [51], cette démarche doit englober le concept de souveraineté. Certes, nous en adoptons tous une définition minimaliste, en l’occurrence la recherche de puissance, de contrôle et d’autonomie, mais nous n’avons pas pour autant considéré la souveraineté économique comme quelque chose de donné et connu, comme une notion stable et aisée à caractériser, comme un objet aisément saisissable à travers des actes, des lieux ou des temporalités bien précises. Au contraire, il nous a paru plus fécond de repérer ses variations en fonction de situations, de la considérer donc comme un concept relationnel, et pour cela, dans une perspective à la fois wébérienne et foucaldienne, de réfléchir à partir de pratiques gouvernementales en laissant de côté ce concept finalement insaisissable [52]. Cela nous a amenés à aborder la souveraineté par ses modalités et à travailler plus précisément sur les modalités à travers lesquelles la souveraineté économique pouvait être assise, confortée, affirmée ou tout simplement revendiquée. Cette perspective permet de mettre en lumière la richesse des lieux d’exercice du pouvoir, des manières de faire et de comprendre l’économie politique et les fondements économiques du pouvoir, car la souveraineté (qu’elle soit économique ou non) est un objectif si évident pour la plupart des acteurs qu’il n’est que peu, voire pas du tout, discuté et qu’il ne fait pas l’objet de débats en tant que tels. De ce fait, il ne permet pas d’entrer dans la profondeur des relations sociales et politiques.

14 Cette conception relationnelle de la souveraineté économique a été conceptualisée par certains contributeurs comme une souveraineté déchargée ou feuilletée et par d’autres comme une souveraineté déléguée. Quoi qu’il en soit, nous nous sommes ainsi efforcés de comprendre la diversité et la complexité de ce que la souveraineté économique permettait (en termes d’exercice du pouvoir, de conflits et de luttes, de définition de la responsabilité ou de l’intérêt général…), des modalités à travers lesquelles la souveraineté était assise et de ce que pouvaient provoquer ces modalités (sur les façons de gouverner, sur les jeux politiques, sur les rapports de force entre acteurs…). Pour cela, nous avons opté pour des études de cas précis de façon à rendre visible les façons très concrètes par lesquelles, que cela soit revendiqué ou non, la souveraineté économique se forme dans des lieux, avec des acteurs et autour de faits spécifiques. Mais nous l’avons fait en prenant des chemins de traverse. Des chemins de traverse thématiques : non des objets traditionnels de la souveraineté (comme la monnaie ou la dette) mais des acteurs (les gouverneurs-walis comme le fait Nadia Hachimi-Alaoui ou un entrepreneur du national comme Irene Bono le saisit à partir de ses archives privées), des lieux immatériels (comme l’ordre public et son articulation à l’économie analysés par Nadia Hachimi-Alaoui ou l’ordre sociopolitique et ses traductions économiques mis en évidence par Béatrice Hibou) ou des moments (la réglementation du cannabis analysée par Federico Reginato, le fonctionnement de la Commission pour un nouveau modèle de développement que nous avons évoqué avec Mohamed Tozy dans un entretien) rarement problématisés en termes de souveraineté. Des chemins de traverse méthodologiques aussi : lorsque nous avons choisi des entrées classiques (celle, pour la période contemporaine, des champions nationaux ou de l’approvisionnement en céréales analysées respectivement par Béatrice Hibou et par Beatrice Ferlaino, et pour les lendemains de l’indépendance, celle de l’insertion économique internationale proposée par Irene Bono), nous avons fait un pas de côté pour comprendre les façons à travers lesquelles on pouvait être souverain au-delà de l’objectif explicitement affiché par telle ou telle politique, au-delà des pratiques attendues et des recettes connues, au-delà des acteurs explicitement engagés. Ce parti pris s’est également traduit par la volonté de faire varier les échelles d’analyse et les échelles d’observation, allant du plus micro, voire du biographique, au macro et aux données économiques les plus globales, du sectoriel au national, des idées aux pratiques, des individus aux institutions, du contemporain à l’historique. Car il va de soi aussi que la notion de souveraineté est historiquement construite et qu’elle n’est pas immuable. Notre démarche nous a donc amenés à nous intéresser non à la souveraineté économique en soi mais aux jeux que celle-ci permet, aussi bien dans le choix des dispositifs et des acteurs que dans les opportunités qu’elles suscitent, que celles-ci soient politiques, territoriales ou sociales, ou économiques bien sûr.

15 Beaucoup de travaux sur la souveraineté économique, au Maroc comme ailleurs, ont tendance à réifier cette notion [53]. Cette réification occulte la diversité des significations que peut prendre la souveraineté économique, la diversité des enjeux que portent les revendications de souveraineté et, peut-être plus encore, les processus économiques par lesquels un autre type de souveraineté est assis. Nous avons donc tenté d’éviter ce travers en mettant au cœur de nos analyses respectives la question du « sens » et des significations données aux actions [54]. Nous sommes ainsi partis de l’idée que seule la prise en compte des « habitudes de penser et de sentir » et des « normes de notre pensée », seules les « trames de sens » dans leur épaisseur historique et sociale [55] permettent de comprendre les modalités selon lesquelles la souveraineté économique est revendiquée, est atteinte (ou non), ou exercée. Certains des auteurs de ce numéro emploient le concept de « représentation » tandis que d’autres font le choix de celui d’« imaginaire », mais tous mettent ainsi en évidence les catégories, les cadres et les principes d’ordonnancement du monde sensible [56] qui se réfèrent à des temps différents, mais qui seuls font société et donnent sens aux relations sociales. Nadia Hachimi-Alaoui et Beatrice Ferlaino le prennent comme point de départ lorsqu’elles montrent comment la façon dont on se représente l’économie ou l’approvisionnement en céréales influe sur la conception de la souveraineté défendue, et sur les dispositifs envisagés. Dans une démarche comparable, Federico Reginato part de l’idée que le cannabis a, dans le temps, fait l’objet de représentations différentes pour en comprendre les effets, notamment sur la façon d’appréhender le type de souveraineté recherchée par les actions juridiques sur le cannabis. Inversement, Irene Bono, Beatrice Ferlaino et Béatrice Hibou partent de dispositifs dont l’ambition est sans équivoque d’asseoir la souveraineté économique, mais elles montrent que les transformations de sens qui accompagnent leur insertion dans les relations de pouvoir suscitent des conflits ou mettent à mal l’objectif affiché.

Une économicisation des rapports de pouvoir et des enjeux politiques

16 L’intérêt accru pour la souveraineté économique est directement lié à une évolution récente : depuis le milieu des années 1990, on assiste à une montée en puissance des questions économiques dans l’exercice du pouvoir. La primauté de l’économique est mise sur le compte de la globalisation néolibérale, mais elle procède aussi de transformations profondes de l’économie politique marocaine qui ont directement trait à la question de la souveraineté économique. Du fait de transformations qui ont accompagné les privatisations et la libéralisation économique, de la perte d’emprise du ministère de l’Intérieur sur l’économie administrée et de l’ascension de nouvelles élites technocratiques, l’État n’est plus le premier financeur ni le premier employeur du pays. La fin des années 1990 a également vu l’apparition de nouveaux intérêts économiques, et plus précisément la constitution de grands groupes privés (grâce aux privatisations et aux modifications des règles de l’intervention publique) et une place de plus en plus prépondérante des investissements étrangers.

17 À partir des années 2000 et en réponse à ces transformations, la priorité donnée à l’économique, la refonte des dispositifs d’autorité et des modalités d’intervention dans l’économie redéfinissent le contenu et les contours de la souveraineté économique. Car il va de soi que ces transformations n’empêchent pas les autorités publiques de chercher à reconfigurer les relations de marché et à jouer avec elles pour s’affirmer en puissances souveraines. C’est ce que suggèrent de façon originale les articles de Beatrice Ferlaino sur la filière céréalière et de Federico Reginato sur le cannabis. La première montre que la souveraineté économique se joue entre capacité à s’insérer dans le marché (à travers les actions d’agences de régulation publiques par exemple) et capacité à s’émanciper du marché (à travers le laisser-faire par rapport aux marchés traditionnels ou le champ libre donné aux grands moulins) et le second que la souveraineté économique se joue autour du contrôle étatique sur les réseaux et les processus d’accès au marché, qui définissent les acteurs légitimes et les responsables en dernier ressort du fonctionnement du marché.

18 Les transformations de la souveraineté suggèrent également une transformation du politique lui-même, contribuant à modeler les lieux des rapports de force et de l’exercice de la domination. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui au Maroc la question de la souveraineté est essentiellement abordée à travers sa dimension économique. Sans doute parce que l’économie est conçue comme un espace social sur lequel on peut et on doit légitimement intervenir même si, simultanément, notamment avec la libéralisation et la globalisation, elle est perçue comme un espace peu maîtrisable. Sans doute aussi parce que l’évidence de la nécessité d’asseoir la souveraineté économique pousse à ne pas se poser la question de sa légitimité, de son porteur principal (au final, qui est le souverain ?) ni de sa faisabilité. Sans doute enfin parce que le politique est trop sensible et que l’économique est le meilleur moyen de le « désamorcer ». Quoi qu’il en soit, l’économie apparaît aujourd’hui comme le lieu par excellence de l’expression d’un désir, d’une prétention à la souveraineté, voire d’une action souveraine.

19 L’exemple des frontières disputées du Maroc permet de le comprendre, à commencer par le Sahara. Il n’y a pas de question plus politique que celle-ci, qui voit s’opposer depuis la fin des années 1970 d’une part l’État et la quasi-totalité de la population marocaine qui considèrent cet espace comme marocain depuis des siècles, et d’autre part le Polisario et une partie des Sahraouis qui militent pour la reconnaissance de l’autodétermination du peuple sahraoui. Or depuis le tournant des années 2000 et la proposition d’autonomie politique faite par le Maroc pour « ses provinces du Sud », les indépendantistes du Polisario élaborent leurs revendications de souveraineté sur le Sahara à partir d’un argumentaire économique. Les associations pro-indépendantistes saisissent les juridictions européennes ou internationales pour contester les différents accords de coopération économiques entre le Maroc et l’Europe, à l’instar des accords de pêche de 2009 ou, plus récemment, de l’accord d’association entre le Maroc et l’Union européenne [57], ou des procès intentés en Grande-Bretagne contre les accords signés entre cette dernière et le Maroc [58]. Ces actions ciblent aussi les grandes entreprises marocaines présentes au Sahara, donnant lieu à des actions en justice dans les pays avec qui elles sont en lien économique, par exemple l’Australie et l’Afrique du Sud, afin de contester la légalité de leur exploitation des ressources au Sahara [59]. Mais ces revendications de souveraineté par l’économique font écho aux modalités à travers lesquelles le Maroc n’a cessé, depuis des décennies, d’exhiber sa souveraineté sur le Sahara. Selon le Conseil économique, social et environnemental (Cese), l’État contribue ainsi à plus de 50 % au PIB des provinces du Sud à travers l’investissement public et les subventions des produits de première nécessité comme l’huile et la farine spéciale de blé tendre [60]. Par ailleurs, la présence de l’État s’affirme avant tout par une action directe dans l’économie, au contraire des autres régions où priment les incitations et les actions indirectes. Le Cese a ainsi élaboré en 2013 un plan de développement pour que la région sorte de l’économie rentière (issue de ressources naturelles : pêche, poulpe, phosphate) grâce à des investissements publics. La diversification se réalise à travers de grands projets d’infrastructures portuaires, avec par exemple le port Dakhla Atlantique, et le développement de grands parcs éoliens portés par Nareva, la société appartenant à la holding royale Al Mada, en joint-venture avec des intérêts étrangers.

20 Les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, beaucoup moins sensibles, n’en sont pas moins un enjeu politique. Leur existence, qui n’est pas ressentie comme une remise en cause de la souveraineté territoriale du Maroc, est problématisée en termes de souveraineté économique : comment contrôler la contrebande ? Comment faire en sorte que celle-ci ne remette pas en cause la maîtrise sur l’économie nationale ? En octobre 2019 par exemple, la décision des autorités de fermer le passage terrestre vers Ceuta qui « nourrit » l’économie locale et nationale a redéfini les enjeux politiques propres à ce territoire. Dans un moment d’affirmation des revendications sur le Sahara, il s’agissait de rappeler au voisin ibérique que le royaume chérifien était maître des lieux, que les enclaves n’existaient que par sa décision de les accepter. Cette décision de fermer le passage terrestre entre Ceuta et son environnement n’était pourtant absolument pas une remise en cause du principe des enclaves ; son objectif avait pour but de mettre fin à l’économie illégale et de « moraliser » ce passage. Il s’est accompagné de la création d’une zone d’activités économiques sur le territoire de la commune de Fnideq afin d’inscrire le tissu entrepreneurial dans un cadre structuré et ordonné et d’amener toutes les figures évoluant dans et à l’interstice de l’économie informelle et irrégulière à intégrer le circuit officiel du marché du travail. Bref, une tentative d’asseoir la souveraineté économique sans qu’elle ne pose la question de la souveraineté territoriale.

L’importance de la contingence et du contexte

21 Notre démarche et notre perspective nous amènent à souligner la part de l’imprévu et de l’impensé. En effet, le plus souvent, les modalités selon lesquelles la souveraineté économique est atteinte, assise ou revendiquée sont moins imaginées par des actions délibérées et de stratégies pensées qu’elles ne résultent de la capacité à se saisir de contraintes et d’opportunités qui ne sont pas toujours orientées vers un objectif affirmé de souveraineté, mais qui peuvent contribuer à l’asseoir.

22 L’adoption d’une conception relationnelle de la souveraineté économique nous a naturellement amenés à être sensibles au contexte – ou au moment historique. Le contexte façonne la conception que les acteurs ont de la souveraineté économique, il façonne les dispositifs imaginés et mis en œuvre pour l’exercer, il façonne les catégories à travers lesquels gouverner, il façonne surtout les conditions qui permettent aux acteurs de revendiquer une part de souveraineté, d’agir, consciemment ou non, pour atteindre une souveraineté ou de déployer leurs actions en ayant d’autres objectifs mais en participant à définir les contours de la souveraineté. Federico Reginato met ainsi en évidence les différentes conceptualisations dans le temps de la question du cannabis (un crime d’abord, une question sociale ensuite, une question économique enfin) et leur influence sur la façon dont la souveraineté est envisagée et sur la manière dont les gouvernants pensent l’atteindre. L’argument du texte de Nadia Hachimi-Alaoui tourne autour de l’influence, à un moment donné, de la conceptualisation de la notion d’économie sur le type de souveraineté prise en compte : elle révèle ainsi que ce n’est que tout récemment, une fois l’économie objectivée comme telle, que la souveraineté économique a été pensée pour elle-même.

23 Le contexte est donc d’abord appréhendé dans sa dimension économique : le néolibéralisme, par exemple, façonne la souveraineté économique en la concevant dans la globalisation, à travers des partenariats entre public et privé, en faisant de l’entrepreneur-investisseur l’acteur central aux côtés de l’État. Mais le contexte est aussi politique ; après le « printemps arabe » de 2011 par exemple, une certaine ouverture et l’adoption d’une nouvelle constitution ont ouvert la voie à la montée de la souveraineté populaire à travers la légitimité des urnes. Cette revendication ne se cantonne pas aux questions politiques. Elle s’étend aussi à l’économique, par exemple lorsque l’on se demande – avec Mohamed Tozy, dans son analyse de l’expérience de la Commission – qui est légitime pour définir les contours du nouveau modèle de développement, ou qui est légitime et a la capacité de mettre en œuvre de nouvelles options, de nouvelles politiques économiques. C’est aussi ce que souligne Béatrice Hibou lorsqu’elle montre comment les acteurs se saisissent opportunément d’un contexte (en l’occurrence le contexte de la conquête économique marocaine de l’Afrique subsaharienne) pour s’affirmer au nom d’un slogan souverainiste (planter le drapeau du Maroc), y compris lorsqu’il ne s’agit pour eux que de poursuivre leurs propres intérêts.

24 Par ailleurs, la contingence joue un rôle fondamental dans l’exercice de la souveraineté économique. Des opportunités occasionnelles, des conjonctures spécifiques permettent ainsi de mettre en place des dispositifs qui assoient la souveraineté économique, des dispositifs jusque-là débattus sans pouvoir être concrétisés, voire des dispositifs jusque-là impossibles à imaginer. Irene Bono et Nadia Hachimi-Alaoui l’évoquent à propos de la constitution du dirham deux ans après l’indépendance. Contrairement aux apparences, la sortie de la zone franc en 1958 n’avait pas été pensée à l’avance comme LA façon d’affirmer la souveraineté économique par la création d’une monnaie nationale. Elle fut une décision contingente liée notamment à une mauvaise année agricole, et plus généralement à la conjoncture économique qui conduisit les autorités marocaines à refuser d’être pénalisées par la dévaluation du franc français et par la perte de ressources en devises. Ce qui, a posteriori, est perçu et analysé comme l’expression d’une souveraineté économique stratégique et réfléchie traduit en réalité la priorité conjoncturelle donnée au financement de l’économie nationale. Ce qui montre que la souveraineté économique se forme de facto par des décisions prises en dehors du souci explicite de souveraineté. Mais la contingence peut aussi amener à ce que la revendication de souveraineté économique devienne à un moment donné légitime alors qu’elle ne l’était pas auparavant. Les exemples récents les plus évidents sont les domaines énergétique et alimentaire. Des acteurs ont ainsi su se saisir de la guerre en Ukraine pour proposer ou mettre en place des dispositifs les favorisant, en les présentant – que cela soit effectif, potentiel ou purement cosmétique – comme des actes de souveraineté économique. Tel est le cas analysé par Beatrice Ferlaino qui montre que la constitution de stocks de sécurité par les autorités publiques, demandée depuis longtemps par certains acteurs de la filière céréalière, est alors devenue audible et envisageable ; tel est le cas aussi des réflexions autour des énergies renouvelables et de leur articulation avec les sources énergétiques traditionnelles évoquées par Mohamed Tozy dans son entretien. Dans tous ces cas, cette capacité à se saisir des contextes et des situations renvoie à l’art de « gouverner par moments » qu’a analysé ailleurs Nadia Hachimi-Alaoui, c’est-à-dire à l’art de gouverner en saisissant les opportunités, en prenant des mesures de circonstance plutôt qu’en définissant de grandes orientations stratégiques de long terme [61].

« De », « Par », « Sur » : l’articulation de différents types et de différentes sources de souveraineté

25 L’analyse des modalités selon lesquelles la souveraineté économique est revendiquée ou effectivement assise donne à voir une articulation systématique entre la souveraineté économique et d’autres types de souveraineté. Ainsi, tout au long du numéro, il a été impossible de parler de souveraineté économique sans parler de souveraineté alimentaire, territoriale, sécuritaire, politique, juridique… Mais la nature des articulations diffère. Dans certains cas, le fait de s’intéresser à des moments particuliers d’affirmation de la souveraineté économique (comme le fait Irene Bono à travers l’étude de la mise en place des accords de compensation et de la nationalisation des exportations agricoles dans les premières années de l’indépendance ou Béatrice Hibou en se penchant sur le moment champions nationaux des années 2000) permet d’observer comment d’autres types de souveraineté (la souveraineté politique, administrative ou territoriale) s’affirment à travers l’économie, selon des logiques politiques variées (que ce soit la construction d’une administration et d’une fonction publique, mais aussi des conflits politiques et l’affirmation d’intérêts particuliers ou la défense d’un ordre public). Dans d’autres cas, la souveraineté est affirmée à travers le gouvernement de l’économique mais selon des logiques qui ne le sont pas. Tel est le cas analysé par Beatrice Ferlaino lorsqu’elle montre que la sécurité alimentaire est obtenue, au moins partiellement, à travers le gouvernement d’acteurs, de lieux et de faits économiques mais selon des logiques sécuritaires ou politiques. Dans d’autres cas encore, comme le souligne Nadia Hachimi-Alaoui à travers son analyse de la réforme agraire et de la gestion des ressources foncières agricoles durant les premières décennies après l’indépendance, la souveraineté économique n’est tout simplement pas pensée et les dispositifs économiques mis en œuvre tendent à asseoir une souveraineté territoriale ou politique. Enfin, dans d’autres configurations comme celle analysée par Federico Reginato à propos du cannabis, des dispositifs juridiques, réglementaires et territoriaux entendent asseoir la souveraineté sur des acteurs économiques de manière indirecte, selon des critères hybrides qui distinguent ceux qui peuvent cultiver le cannabis toléré ou légal et ceux qui ne le peuvent pas. Quant à Mohamed Tozy, il nous fait voir la Commission pour un nouveau modèle de développement non comme un dispositif par excellence de souveraineté économique (qui n’a pas été pensé comme tel), mais bien plutôt comme un lieu d’affirmation de la souveraineté monarchique, une machine à dénier toute souveraineté aux territoires, ou encore un dispositif de tamisage des conflits autour de la souveraineté alimentaire.

26 Ces différentes articulations suggèrent différentes façons d’appréhender la souveraineté économique. Il s’agit parfois d’une souveraineté sur l’économie, parfois d’une souveraineté par l’économie et parfois d’une souveraineté de l’économie. L’un des apports de l’ensemble des articles présentés ici est précisément de faire ressortir ces différentes dimensions d’une notion dont la complexité et l’ambivalence sont trop souvent occultées. L’exemple de la « campagne d’assainissement » de 1995-1996, menée officiellement pour lutter contre la contrebande, la corruption et la drogue mais qui a été interprétée comme une opération de remise en ordre du monde entrepreneurial [62], permet de comprendre ces différentes dimensions qui, ici, cohabitent. La campagne affichait une volonté de contrôle, de maîtrise et de normalisation des entrepreneurs et des commerçants, et ce faisant une revendication de souveraineté sur l’économie, en l’occurrence sur les acteurs économiques, au nom de l’ordre public et de la sécurité. Mais elle fut aussi une décision arbitraire du souverain pour définir l’exceptionnel. Tout puissant, le souverain a ainsi défini ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas, il a défini les normes à suivre et les déviances à condamner. Il s’agissait de restaurer la souveraineté de l’État et du souverain lui-même à travers des actions dans l’économie. Il s’agissait donc aussi d’une revendication de souveraineté par l’économie. Enfin, la campagne a été suscitée par l’impression qu’il y avait une perte de contrôle de la part de l’État face à l’autonomisation d’acteurs économiques (les grands entrepreneurs et commerçants), de faits et de lieux économiques (les pratiques économiques dans le Nord du pays mais aussi dans les grands ports, ou encore les filières de contrebande). La campagne fut le symbole et le symptôme de la prééminence des façons de gouverner, la preuve de la prééminence des logiques économiques et des tentatives de les remettre en cause. Elle a ainsi révélé les limites de cet ordre qui a besoin sans cesse de se « ressourcer » en agissant par des actes souverains violents face à la souveraineté de l’économie.

27 Dans notre travail collectif, nous ne nous sommes pas seulement attachés à démêler les enchevêtrements entre différents domaines de souveraineté et entre différentes modalités de souveraineté. Les différents articles de ce numéro mettent également en évidence la diversité des sources de souveraineté, et leur interdépendance. L’analyse des modalités selon lesquelles la souveraineté économique est revendiquée ou effectivement assise laisse en effet apparaître la diversité des sources de légitimation du pouvoir et de la souveraineté. Dans une situation politique où coexistent un registre monarchique, un registre national et un registre populaire, l’analyse de la souveraineté économique permet de mieux comprendre l’articulation de ces trois registres grâce à l’observation de rapports de force complexes et ambigus : entre différents cercles de pouvoir, entre différentes manières de gouverner, entre la voie royale et la voie gouvernementale, etc. Si l’on considère que la source de la souveraineté monarchique est le roi et le Palais, que la source de la souveraineté nationale est l’appartenance à la communauté, et que la source de la souveraineté populaire est à la fois la représentation politique issue des élections incarnée dans le gouvernement et la société civile et les mouvements associatifs reconnus dans la constitution comme contre-pouvoirs, on comprend que le jeu entre ces différentes sources est au cœur des relations de pouvoir.

28 C’est ce que ce numéro tente d’interroger à la fois dans l’histoire récente et dans la période contemporaine, à la fois sur des sujets attendus et sur des sujets inattendus, mais toujours de façon détaillée afin de mettre en évidence toutes les variations possibles et concomitantes des conceptions de la souveraineté économique, mais aussi et surtout tous les jeux de pouvoir que la référence à la souveraineté permet, derrière les mots et les discours. Autrement dit, comme nous y invite Paul Veyne [63], ce que l’on voit lorsqu’on lève le voile de la « souveraineté économique », mais inversement, ce que la problématique de la souveraineté économique permet de voir d’un œil nouveau.

Des conflits de souveraineté

29 L’adoption d’une conception relationnelle de la souveraineté économique a également eu pour conséquence de nous faire comprendre que la souveraineté économique ne pouvait être que porteuse d’une simultanéité d’expressions, de compréhensions, d’interprétations, de représentations nécessairement différentes, parfois contradictoires du fait de la diversité des acteurs, de leur insertion dans la société, de leurs intérêts ou de leur ethos. Dans ces conditions, l’analyse de la souveraineté économique nous a amenés à être sensibles aux luttes et aux tensions, aux rivalités et aux manifestations de concurrence, aux asymétries des rapports de force et aux effets de domination plus qu’aux convergences et à l’harmonie des relations sociales autour de l’expression d’une souveraineté économique. C’est ce que nous avons appelé entre nous les « conflits de souveraineté », étant entendu que ceux-ci ne sont pas problématisés comme tels dans les débats publics et les discussions entre acteurs, mais qu’ils résultent de notre démarche et du regard spécifique que nous avons porté sur la souveraineté économique. Les « conflits de souveraineté » analysés par les différentes contributions de ce numéro sont de différentes natures.

30 Les conflits de souveraineté sont d’abord des conflits entre visions, conceptions et intérêts. L’un des points forts du papier de Beatrice Ferlaino est de montrer comment la polysémie de la notion de « sécurité alimentaire » est basée sur des représentations très différentes du monde rural, mais aussi de pratiques de gouvernement et de la place des acteurs au sein de ce dernier, et que cette diversité, source de conflits de représentations, n’aboutit paradoxalement pas à une impasse, mais au contraire au gouvernement du prix du pain à travers la combinaison de dispositifs et de pratiques contradictoires mais compatibles. Federico Reginato arrive finalement à un résultat proche à propos du cannabis, mais en mettant en lumière la façon dont différents compromis avaient permis de surmonter le conflit entre différentes visions sur le cannabis : dans les années 1990, en acceptant que des régions vivent d’un cannabis « criminalisé » ; dans les années 2000, en acceptant que les données d’une « question sociale » soient rendues publiques ; et aujourd’hui, en « économisant » le cannabis.

31 La compréhension donnée à la souveraineté économique ou l’articulation nécessaire entre souveraineté politique et souveraineté économique sont à l’origine d’autres conflits. Ainsi Mohamed Tozy montre que l’hégémonie néolibérale partagée par les acteurs composant la Commission sur le nouveau modèle de développement n’a pas empêché l’existence de dissensus, voire de conflits explicites, sur la façon d’atteindre la souveraineté économique, les uns la comprenant dans une articulation entre souveraineté monarchique et souveraineté populaire à travers la question de l’État de droit, tandis que les autres se sont échinés à éviter cette question en la technocratisant et en la dépolitisant. Dans son analyse du slogan souverainiste qu’a constitué le « champion national », Béatrice Hibou met en évidence le fait que celui-ci a été compris de manière extrêmement variée : légitimation de la concentration et d’avantages obtenus ; opportunité pour consolider des affaires ; autonomisation permise ; expression de la puissance de l’État-nation ; modalité de conquête du continent africain ; renouvellement de la bourgeoisie nationale ; poursuite de la marocanisation ; façon de faire travailler ensemble public et privé… Elle montre que ces acceptions différentes peuvent entrer en tension jusqu’à aboutir à certaines formes de violence, par exemple lorsque les autorités se trouvent obligées d’intervenir dans le champ concurrentiel des prétendants à la labellisation de champions.

32 Les conflits peuvent porter sur les dispositifs considérés comme les plus adéquats pour asseoir la souveraineté économique. Dans les premières années de l’indépendance analysées par Nadia Hachimi-Alaoui, les luttes partisanes avaient débouché sur de violents conflits autour de la réforme agraire, permettant à la souveraineté monarchique de s’affirmer. Pour les années 1955-1960, Irene Bono donne à voir les conflits autour du dispositif trouvé par les nouvelles autorités indépendantes pour asseoir leur souveraineté sur le commerce extérieur en l’absence d’autonomie monétaire : les accords de compensation ont en effet provoqué des conflits entre les notabilités commerçantes, qui ne voulaient pas renoncer à leurs licences d’importation, et les politiques, qui entendaient les renégocier pour mettre en place ces accords d’État à État.

33 Les conflits peuvent être suscités par les dispositifs mis en œuvre pour asseoir la souveraineté économique. Federico Reginato montre ainsi que le processus en cours de légalisation du cannabis est porteur de différenciation entre acteurs et, plus encore, qu’il est producteur d’asymétries entre ceux capables d’investir financièrement, mais aussi bureaucratiquement, dans la filière pharmaceutique (et ainsi devenir des acteurs souverains) et ceux qui ne le sont pas.

34 Les conflits entre acteurs sont évidemment banals. Beatrice Ferlaino met en évidence les tensions entre importateurs et producteurs locaux, entre marché traditionnel et marché industriel, entre grands et petits moulins, entre Casablanca et Fès, tensions qui ne peuvent être surmontées que grâce à des pratiques de décharge et qui aboutissent à une souveraineté déchargée ou feuilletée. L’un des aspects novateurs de l’article d’Irene Bono est de donner à voir les conflits sur la manière d’être souverain économiquement, et notamment sur les modalités d’accumulation de richesse et de pouvoir. Nadia Hachimi-Alaoui met au jour les conflits qui surgissent du processus de notabilisation qui font s’affronter des élus voulant asseoir leur souveraineté sur le contrôle d’acteurs économiques et ces derniers, qui souhaitent s’autonomiser grâce à l’enrichissement permis par ces arrangements.

35 Les conflits peuvent, enfin, se concrétiser autour du sens donné à des actions. En analysant les stratégies mises en œuvre par les grands groupes marocains pour conquérir le sous-continent africain, Béatrice Hibou met en lumière les conflits de sens qui émergent entre acteurs dans cette bataille pour devenir champion grâce à l’Afrique, par exemple entre des acteurs qui comprennent leur mission comme l’expression d’une souveraineté royale déléguée et des acteurs qui participent de façon non ostensible à la souveraineté nationale à travers la recherche de leur propre souveraineté. L’idée de « capitalisme de dissidence » permet à Irene Bono de mettre au jour une autre compréhension d’un processus qui a le plus souvent été appréhendé comme de la cooptation, voire de l’achat, et donc comme une perte de souveraineté (celle de ces notables-dignitaires) : une façon d’asseoir la souveraineté économique en intégrant des pratiques dissidentes.

36 Dès lors que l’on ne se concentre pas sur les résultats ou l’effectivité de la souveraineté économique mais que l’on s’intéresse aux prétentions à être souverain ou à défendre la souveraineté économique, cette dernière apparaît donc comme un « champ de bataille [64] » autour duquel se jouent des rapports de pouvoir : des asymétries et des hiérarchies, des inclusions et des marginalisations, des connivences et des dissidences, bref de la domination.

De la violence et du danger dans la formation du national : l’apport d’un regard par la souveraineté économique

37 Appréhender le politique à travers la souveraineté économique permet encore de mettre en évidence la diversité des formes de violence et sa banalisation, au-delà des seules expressions physiques et brutales. Ceci n’est pas propre au Maroc. Des historiens ont par exemple montré que le processus de turquification de l’économie s’était réalisé peu à peu, à travers des moments d’une extrême violence, le génocide des Arméniens, un échange de population, un accaparement des biens des Juifs et des Grecs [65]. En Ouganda, en Tanzanie ou au Kenya, la décolonisation économique a pu prendre les traits d’une véritable chasse aux Indiens ou aux Libanais, au nom d’une revendication de souveraineté, y compris dans le domaine économique, voire en commençant par lui [66]. Et on sait comment la volonté de reconquête de souveraineté économique dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres s’est aussi réalisée à travers la spoliation des biens et des capitaux juifs aux côtés de ceux des pays occupés. Même si l’on sait aussi que les effets concrets de cette spoliation n’ont pas eu les effets économiques escomptés, cet accaparement des biens, du capital et des propriétés s’est appuyé sur la rhétorique de la souveraineté et une prétention de redressement [67].

38 Au Maroc, le processus de marocanisation n’a pas connu l’intensité de « la violence pure [68] », mais il n’a pas été dénué non plus de violence, même si cette dernière est rarement mise en récit. C’est en effet au nom de la souveraineté économique, mais aussi et surtout au nom de la modernisation ou de la centralité de telle ou telle entreprise publique – donc au nom de l’intérêt général – qu’ont eu lieu des pratiques comme l’accaparement foncier. Depuis le protectorat et jusqu’aux années 1980, la mainmise sur les terres collectives et la monopolisation foncière dans les zones où l’OCP régnait en maître ont été des opérations très violentes, dont l’intensité peut être évaluée à l’aune des migrations contraintes. La région de Khouribga est par exemple l’une des zones avec le plus fort taux d’émigration dans le pays, y compris ces dernières années, et cette « performance » n’est pas sans lien avec ce processus d’accaparement [69]. Dans la mesure où elle définit des règles exceptionnelles pour des acteurs incarnant la nation, cette violence est une violence de la transgression comme expression de la souveraineté aussi bien économique que politique [70]. Désormais, avec le développement de la responsabilité sociale des entreprises et une meilleure coopération avec les institutions publiques du territoire, cette violence est moins visible ; plus insidieuse, elle apparaît surtout en creux, par la prise en charge – et donc la reconnaissance – des effets de l’activité phosphatière sur la santé des populations [71].

39 C’est en creux que différentes contributions de ce numéro abordent cette question fondamentale. À travers l’analyse du capitalisme de dissidence dans les années 1970 et celle des champions nationaux dans les années 2000, Irene Bono et Béatrice Hibou font ressortir la violence de l’hégémonie à l’égard d’acteurs économiques qui prétendent être pleinement décisionnaires, donc souverains, hégémonie qui, parfois, empêche et tue toute velléité d’autonomisation, hégémonie qui toujours impose les chemins légitimes de l’accumulation [72]. Dans l’un et l’autre cas, la violence n’est pas physique, et c’est pourquoi elle est souvent minimisée, tue ou non comprise comme telle, ce qui décuple encore ses effets coercitifs. Elle procède de l’intimidation, du jeu avec la vulnérabilité légale des acteurs économiques, en s’appuyant sur des « campagnes » de lutte contre la corruption ou les pratiques illégales et, surtout, sur des processus d’intériorisation des normes. La violence peut également consister en des processus de légitimation de l’exclusion et de l’inégalité au nom de la souveraineté économique entendue comme souveraineté de l’économie, ou au nom de la souveraineté politique ou territoriale par l’économie. Nadia Hachimi-Alaoui rappelle ainsi que dans les années 1960, au moment de la constitution d’un capitalisme agraire à partir des terres de colonisation récupérées par l’État, les gouverneurs militaires ont permis qu’une grande partie des transactions foncières ne soient pas régulées, laissant les intérêts économiques primer et les inégalités s’aggraver. La recherche de la souveraineté territoriale par l’économie se révéla particulièrement violente, la violence de la légitimité de l’inégalité et de l’exclusion.

40 Cette violence tue ou banalisée s’explique en partie par le fait que le danger est considéré comme venant de la société elle-même ou plutôt de certains de ses acteurs ou forces sociales. En effet, au Maroc, la remise en cause de la nation, les atteintes à la souveraineté nationale semblent davantage provenir de forces intérieures que de forces extérieures, autrement dit davantage provenir de pouvoirs économiques marocains autonomes, on l’a souligné à plusieurs reprises, que de la globalisation et de pouvoirs économiques étrangers. Les articles d’Irene Bono, de Nadia Hachimi-Alaoui et de Béatrice Hibou le soulignent, en mettant en exergue cette crainte du pouvoir face à l’autonomisation des acteurs économiques nationaux et les différentes stratégies mises en place pour y faire face : intégration de la dissidence, cantonnement des acteurs économiques dans des espaces circonscrits, pressions ou menaces de rétorsion, voire d’exclusion. Cette conception bien spécifique du danger permet de comprendre une situation très étonnante, paradoxale, voire déroutante, et quoi qu’il en soit à rebours de la compréhension classique et « première » de la souveraineté : l’existence d’enclaves dans le Nord du Maroc, à savoir Ceuta et Melilla. Le danger ne vient pas de leur existence (qui remettrait en cause la nation et la souveraineté nationale), bien au contraire. Celles-ci sont vues comme des opportunités qui permettent de négocier ce qui est fondamental. Durant de longues années, ce qui était fondamental était de gouverner le Nord du pays : ces enclaves permettaient de faire vivre économiquement une région pauvre et peu intégrée au reste du pays, une région qui se considérait comme marginalisée ; elles permettaient même d’alimenter en produits peu chers l’ensemble de l’économie nationale. En revanche aujourd’hui, l’utilité économique des enclaves est remise en question par Tanger Med et ses zones industrielles et commerciales. C’est pourquoi, désormais, c’est le Sahara qui est fondamental : à la base du consensus de 1975 autour de la monarchie et de l’imaginaire politique qui veut que le Sahara soit le lieu du ressourcement de la monarchie, les enclaves permettent de faire pression et de jouer sur les rapports de force autour de la prétention à la souveraineté. Les événements de juin 2022 l’ont illustré de façon à la fois crue et cruelle quand des milliers de migrants, marocains et subsahariens, ont pu passer les murs et les barbelés des enclaves de Melilla et Ceuta devant des douaniers et des policiers marocains désintéressés, avant qu’ils ne les répriment violemment. Il s’agit bien d’un jeu autour de la prétention à être souverain où l’on se sert des migrants comme d’une arme. Les autorités marocaines savent pertinemment qu’elles ne peuvent ni faire s’ouvrir les frontières de l’Europe, ni fermer leurs frontières avec l’Afrique subsaharienne, mais elles savent aussi que, dans le cadre des rapports de force avec leurs partenaires européens, et notamment avec l’Espagne, la question migratoire est la plus opérante, et elles l’utilisent pour faire avancer les exigences qu’elles considèrent comme prioritaires au regard de leur revendication souveraine : la reconnaissance de la marocanité du Sahara, qui est une véritable obsession diplomatique. Ce qui aboutit à une remise en cause de la souveraineté économique au nom de la souveraineté politique.

41 L’analyse des modalités de l’exercice de la souveraineté économique et des jeux qu’elle permet nous offre l’opportunité de comprendre l’économique comme l’un des principaux lieux du politique et d’appréhender de façon précise les fondements économiques du pouvoir. La souveraineté économique apparaît avant tout comme le pivot de relations de pouvoir : avec l’extérieur, dans le cadre de rapports de force pour affirmer l’existence de marges de manœuvre, l’indépendance politique et les contours du territoire. En interne surtout, dans les conflits larvés ou ouverts pour définir des espaces de maîtrise ou de contrôle, à l’échelle des individus, des groupes, des institutions… Dans la configuration marocaine, la concurrence entre souveraineté monarchique, souveraineté nationale et souveraineté populaire pose de façon aiguë la question de la responsabilité. Qui est responsable de l’exercice de la souveraineté économique ? Quels sont les acteurs porteurs de souveraineté et comment s’articulent-ils les uns aux autres ? Elle pose également la question de l’intérêt général. Qui peut ou qui doit définir l’intérêt général ? Comment sont définis les contours de l’intérêt général au gré des conflits et des rapports de force entre porteurs de conceptions différentes de la souveraineté ? Elle pose encore la question des modes de gouvernement, et notamment de l’exercice autoritaire du pouvoir. Les différentes contributions de ce numéro font apparaître ces enjeux politiques fondamentaux en revenant sur la trajectoire historique de l’interventionnisme étatique, sur les soubassements des politiques publiques, en analysant des dispositifs localisés ou en réfléchissant sur des catégories.

Notes

  • [1]
    F. Bobin, « Le Maroc affiche sa “souveraineté” dans la sélection de l’aide internationale aux victimes du séisme », Le Monde, 15 septembre 2023 ; S. Jourdain, « Séisme au Maroc : “Le Maroc est un État souverain qui détermine seul qui a le droit d’intervenir sur son sol” », Public Sénat, 15 septembre 2023, <https://www.publicsenat.fr/actualites/international/seisme-au-maroc-le-maroc-est-un-etat-souverain-qui-determine-seul-qui-a-le-droit-dintervenir-sur-son-sol>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [2]
    F. Islah, « Séisme au Maroc : pour Mohamed Tozy, “Emmanuel Macron ne connaît pas les codes de la monarchie” », Jeune Afrique, n° 3129, octobre 2023, p. 64-67.
  • [3]
    C’est l’argument de la thèse d’histoire sur Al Mansour de Nabil Mouline, Le califat imaginaire d’Ahmad al-Mansûr, Paris, PUF, 2009. L’illustration de cette stratégie est analysée par Bernard Rosenberger dans son livre sur le Maroc au siècle de Philippe II (Le Maroc au xvie siècle. Au seuil de la modernité, Rabat, Fondation des trois cultures, 2008), dans lequel il montre que le Maroc avait construit ses alliances non en fonction d’une idéologie mais bien plutôt selon le principe que l’on ne pouvait faire confiance qu’à la conjoncture et que le pays n’avait pas d’amis définitifs.
  • [4]
    R. Bacqué, « Après le séisme au Maroc, la réponse des autorités suspendue au roi Mohammed VI », Le Monde, 11 septembre 2023 ; « Séisme d’Al Haouz : quels enseignements tirer de la communication de crise ? », TelQuel, 13 septembre 2023.
  • [5]
    Sur la « voie royale », voir B. Hibou et M. Tozy, Tisser le temps politique au Maroc. Imaginaire de l’État à l’âge néolibéral, Paris, Karthala, 2020, chapitre 4.
  • [6]
    Entreprise qui a grandi à l’ombre de l’État grâce aux travaux publics (construction de barrages, pont, aéroports et ports, hôpitaux, etc.).
  • [7]
    Al Mada est la holding royale qui a des participations majoritaires dans la Sonasid – complexe sidérurgique créé par l’État en 1974 et privatisé principalement au profit de la SNI (Société nationale d’investissement) en 1996-1997 – et dans la filiale marocaine du groupe de BTP français Lafarge.
  • [8]
    Richbond est une entreprise spécialisée notamment dans la production de matelas et de salons marocains appartenant à la famille Tazi. Dolidol est une entreprise spécialisée dans la mousse polyuréthane et la literie appartenant au groupe Palmeraie de la famille Berrada.
  • [9]
    « Modalités de contribution au Fonds spécial numéro 126 pour la gestion des effets du tremblement de terre », Maghreb Agence Presse, 10 septembre 2023.
  • [10]
    « La création de l’agence de développement du Haut Atlas sur la table du gouvernement » [en ligne], Medias24, 25 septembre 2023, <https://medias24.com/2023/09/25/la-creation-de-lagence-de-developpement-du-haut-atlas-sur-la-table-du-gouvernement/>, consulté le 5 décembre 2023 ; « Séisme d’Al Haouz : l’Agence de développement du Haut Atlas sera chargée de l’exécution du programme de reconstruction des établissements scolaires les plus affectés » [en ligne], Maroc.ma, 17 octobre 2023, <https://www.maroc.ma/fr/actualites/seisme-dal-haouz-lagence-de-developpement-du-haut-atlas-sera-chargee-de-lexecution-du>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [11]
    « Événements culturels le festival Moga s’ajoute à la liste des annulations » [en ligne], Le Desk, 18 septembre 2023, <https://mobile.ledesk.ma/live-content/evenements-culturels-le-festival-moga-sajoute-a-la-liste-des-annulations/>, consulté le 18 décembre 2023.
  • [12]
    Lors de son invitation à l’émission « Les matins Luxe » (Luxe Radio, Casablanca, 22 septembre 2023), Hicham Abkari, directeur des Arts au sein du ministère de la Culture, déclarait : « Les opérateurs économiques sont souverains : la décision de maintenir ou non le festival dont ils sont les initiateurs, les organisateurs et les financiers leur revient. »
  • [13]
    Sur la souveraineté monétaire, voir notamment M. Aglietta et A. Orléan (dir.), La monnaie souveraine, Paris, Odile Jacob, 1998 ; M. Aglietta, P. Ould Ahmed et J.-F. Ponsot, La monnaie entre dettes et souveraineté, Paris, Odile Jacob, 2016 ; T. Boccon-Gibod et A. Mathieu (dir.), Monnaie, souveraineté et démocratie, Lormont, Le bord de l’eau, 2022. Sur la souveraineté industrielle, voir E. Cohen, Souveraineté industrielle. Vers un nouveau modèle productif, Paris, Odile Jacob, 2022. Sur la dette souveraine, voir B. Lemoine, La démocratie disciplinée par la dette, Paris, La Découverte, 2022.
  • [14]
    Sur la souveraineté européenne, voir par exemple P. Dardot et C. Laval, Dominer. Enquête sur la souveraineté de l’État en Occident, Paris, La Découverte, 2020 ; W. Streeck, Entre globalisme et démocratie. L’économie politique à l’âge du néolibéralisme finissant, Paris, Paris, Gallimard, 2023 ; L. Foisneau et P. Urfalino, « Autour de la souveraineté. Entretien avec Vincent Descombes » [en ligne], Politika, 21 juin 2020, <https://www.politika.io/fr/article/autour-souverainete>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [15]
    O. Tourneux, La souveraineté à l’ère du néolibéralisme, Paris, Garnier, 2022.
  • [16]
    Sur la constitutionnalisation économique, voir notamment S. Gill et A. C. Cutler (dir.), New Constitutionnalism and World Order, Cambridge, Cambridge University Press, 2014 ; P. Dardot et C. Laval, Dominer…, op. cit., p. 640 et suivantes.
  • [17]
    Voir le titre XII de la Constitution : « De la Bonne Gouvernance », articles 154 à 171, ainsi que le titre « Les Instances de bonne gouvernance et de régulation », articles 165, 166 et 167.
  • [18]
    M. Tozy, « Représentation/intercessions : les enjeux de pouvoir dans les champs politiques désamorcés au Maroc », in M. Camau (dir.), Changements politiques au Maghreb, Paris, CNRS éditions, 1991, p. 153-168.
  • [19]
    Comme l’avait montré Jean Bodin dans Les six livres de la République dès 1576 (en conceptualisant la richesse comme le socle de la puissance du souverain et en établissant un lien entre théorie de la souveraineté et mercantilisme), ce que rappelle, par exemple, Jacques Mistral dans son livre, La science de la richesse. Essai sur la construction de la pensée économique, Paris, Gallimard, 2019, notamment p. 89 et suivantes.
  • [20]
    « Fête du Trône. OCP, fer de lance de la politique africaine », La Vie éco, 30 juillet 2022 ; « Sommet Dakar sur la souveraineté alimentaire : l’OCP va “contribuer activement” à l’amélioration de la productivité agricole en Afrique (responsable) » [en ligne], Maghreb Agence Presse, 26 janvier 2023, <https://www.mapexpress.ma/actualite/opinions-et-debats/sommet-dakar-souverainete-alimentaire-locp-va-contribuer-activement-lamelioration-productivite-agricole-en-afrique-responsable/>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [21]
    B. Mousjid, « Othman Benjelloun : “D’ici à 2030, Bank of Africa sera un groupe panafricain de référence” », Jeune Afrique, 12 juin 2023.
  • [22]
    I. Bouhrara, « Industrie pharmaceutique en Afrique : le Maroc appelé à jouer un rôle majeur », ÉcoActu, 7 juillet 2021.
  • [23]
    « Le roi confirme l’ambition industrielle du Maroc portée par la notion de souveraineté » [en ligne], Medias24, 29 mars 2023, <https://medias24.com/2023/03/29/le-roi-confirme-lambition-industrielle-du-maroc-portee-par-la-notion-de-souverainete/>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [24]
    B. Rosenberger, « Cultures complémentaires et nourriture de substitution au Maroc (xve-xviiie siècle) », Annales ESC, vol. 35, n° 3-4, 1980, p. 477-503 ; M. A. Bezzaz, Tarikh al-awbi’a wa al-maja’at bi al-Maghrib fi al qarnayn at-tamine wa al-attassi’ ‘achar [Histoire des épidémies et des famines au Maroc, xviiie-xixe siècles], Publications de la faculté des lettres et des sciences humaines, Rabat, Université Mohammed V, 1992, notamment le chapitre 2 de la partie 2 intitulé : « La fonction sociale du Makhzen au temps des famines » ; Y. Benhima, « Épidémies et mouvements de population au Maroc (xive-xvie siècle) », Actes de la XLI settimana di studi Fondazione Datini, « Le interazioni fra economia e ambiente biologico nell’Europa preindustriale », Florence, Fondazione Datini, 2010, p. 279-285.
  • [25]
    Voir l’article de Béatrice Hibou dans ce numéro.
  • [26]
    On retrouve les définitions « décisionnistes » de la souveraineté qui ont été développées par les théories juridiques de la souveraineté, à commencer par C. Schmitt, « Théologie politique. Quatre chapitres sur la théorie de la souveraineté (1922) », in C. Schmitt, Théologie politique, Paris, Gallimard, 1988. Voir également J. L. Schlegel, « Introduction », in C. Schmitt, Théologie politique, op. cit., p. I-XVII.
  • [27]
    A. Piveteau et E. Rougier, « Le retour en trompe-l’œil de la politique industrielle. L’expert, l’État et l’économie politique locale », Revue Tiers Monde, n° 208, 2011, p. 177-192 ; A. Piveteau, « Au Maroc, l’épreuve politique d’une industrialisation importée », Afrique contemporaine, n° 266, 2018, p. 75-96.
  • [28]
    Voir l’article de Nadia Hachimi-Alaoui dans ce numéro.
  • [29]
    « Moulay Hafid El Alamy : “Nous allons dépasser les 8 millions de masques produits par jour” », TelQuel, 22 avril 2020.
  • [30]
    « Banque de projets. De nouvelles opportunités au service de la souveraineté industrielle, sanitaire et alimentaire », Allocution de Ryad Mezzour, Ministre de l’Industrie et du Commerce, Université Mohamed VI des Sciences de la Santé, Casablanca, 27 septembre 2022.
  • [31]
    N. El Aoufi et B. Billaudot (dir.), Made in Morocco. Made in monde, Rabat, Économie critique, 2019.
  • [32]
    L. El Massaoudi, « Souveraineté industrielle : le Made in Morocco à tout prix », L’Économiste, 29 septembre 2022.
  • [33]
    « Souveraineté économique : “Le Made in Morocco est l’ambition d’une nation” » [en ligne], Finance News Hebdo, 16 août 2023, <https://fnh.ma/article/actualite-economique/souverainete-economique-made-morocco#:~:text=Ryad%20Mezzour%20%3A%20Le%20Made%20in,autoroutes%2C%20entre%20autres%20grandes %20réalisations.>, consulté le 5 décembre 2023 ; « Journées Made in Morocco : près de 200 entrepreneurs attendus à Rabat » [en ligne], InfoMédiaires, 5 octobre 2023, <https://www.infomediaire.net/les-journees-made-in-morocco-les-8-et-9-novembre-a-lum6p-de-rabat/ #:~:text=Journées%20Made%20in%20Morocco%3A%20près%20de%20200%20entrepreneurs%20attendus%20à% 20Rabat,-5%20octobre%202023&text=Organisé%20sous%20l%27égide% 20du,Mohammed%20VI%20Polytechnique%20de%20Rabat.>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [34]
    Voir « Encadré 13 : Paris du NMD. Le Made in Maroc : diversification et montée en gamme », in Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD), Le nouveau modèle de développement. Libérer les énergies et restaurer la confiance pour accélérer la marche vers le progrès et la prospérité pour tous. Rapport général, Rabat, Royaume du Maroc, 2021, p. 90, ainsi que l’entretien avec Mohamed Tozy dans ce numéro.
  • [35]
    R. Dalil, « “Made in Morrocco”, import-substitution… pourquoi le FMI désavoue la doctrine industrielle de MHE », TelQuel, 14 mars 2022.
  • [36]
    « Le Roi confirme l’ambition industrielle du Maroc, portée par la notion de souveraineté » [en ligne], Medias24, 29 mars 2023, <https://medias24.com/2023/03/29/le-roi-confirme-lambition-industrielle-du-maroc-portee-par-la-notion-de-souverainete/>, consulté le 5 décembre 2023.
  • [37]
    « Interviews croisées. Souad Benbechir et Driss Benhima », TelQuel, 14-20 janvier 2022, p. 29.
  • [38]
    L. El Massaoudi, « Souveraineté industrielle : le Made in Morocco… », art. cité.
  • [39]
    Comme le souligne le rapport de la CSMD, qui appelait à créer un label « made in Morroco », ou les déclarations de l’actuel ministre de l’Industrie (voir par exemple La Vie éco, mars 2023).
  • [40]
    Comme le suggèrent le plaidoyer des hommes d’affaires auprès du gouvernement et l’ancien ministre de l’Industrie lui-même, Moula Hafid Elalamy, qui était le grand défenseur de la préférence nationale.
  • [41]
    Voir l’entretien avec Mohamed Tozy dans ce numéro.
  • [42]
    J.-L. Piermay, « La production des espaces pour l’entreprise au Maroc. À l’heure du Programme Émergence, quelle stratégie territoriale ? », Mondes en développement, n° 151, 2010, p. 127-137 ; A. Piveteau et E. Rougier, « Le retour en trompe-l’œil de la politique industrielle… », art. cité ; N. Akesbi, « Qui fait la politique agricole au Maroc ? Ou quand l’expert se substitue au chercheur… », Annales de l’Inrat, vol. 88, 2e numéro spécial « Centenaire l’Inrat », 2015, p. 104-126 ; N. Hachimi Alaoui, Gouverner l’incertitude : les walis de Casablanca (2001-2015), Thèse de doctorat en science politique, Aix-en-Provence, Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, 2019 ; B. Hibou et M. Tozy, Tisser le temps politique au Maroc, op. cit.
  • [43]
    Pour le Maroc, voir A. Bouabid et A. El Messaoudi, « Technocratie versus démocratie », Les cahiers bleus, n° 9, Rabat, Fondation Abderrahim Bouabid, 2007 ; N. Hachimi Alaoui, Gouverner l’incertitude…, op. cit. ; B. Hibou et M. Tozy, Tisser le temps politique au Maroc…, op. cit.
  • [44]
    Cette problématique, centrale chez Max Weber, a été notamment développée dans Sociologie des religions, traduit et présenté par J.-P. Grossein, Paris, Gallimard, 1996 et L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, suivi d’autres essais, traduit et présenté par J.-P. Grossein, avec F. Cambon, Paris, Gallimard, 2003. J.-P. Grossein en souligne l’importance dans sa « Présentation » de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme.
  • [45]
    N. Akesbi, « Qui fait la politique agricole au Maroc… », art. cité.
  • [46]
    S. El Fassi, « Qui dicte les stratégies d’État ? » [en ligne], Economia-HEM Research Center, 15 juillet 2015, <https://www.economia.ma/fr/content/qui-dicte-les-stratégies-detat>, consulté le 6 décembre 2023.
  • [47]
    R. Dalil et S. Chahid, « La toute-puissance des cabinets de conseil », TelQuel, 29 avril 2022.
  • [48]
    B. Hibou, L’Afrique est-elle protectionniste ? Les chemins buissonniers de la libéralisation extérieure, Paris, Karthala, 1996.
  • [49]
    B. Hibou (dir.), La privatisation des États, Paris, Karthala, 1999 ; B. Hibou (dir.), « L’État en voie de privatisation », Politique africaine, n° 73, 1999. En dehors du continent et dans une tout autre tradition intellectuelle, voir S. Sassen, Losing Control ? Sovereignty in the Age of Globalization, New York, Columbia University Press, 1996.
  • [50]
    Notamment à travers le concept de « décharge » issu d’une lecture des travaux de Weber. B. Hibou « La “décharge”, nouvel interventionnisme », Politique africaine, n° 73, 1999, p. 6-15.
  • [51]
    Dans une tradition inspirée de Max Weber, de Michel Foucault et de Michel de Certeau, et défendue depuis sa création par Politique africaine. J.-F. Bayart, « Le politique par le bas en Afrique noire. Questions de méthode », Politique africaine, n° 1, 1981, p. 53-82 ; B. Hibou et B. Samuel (dir.), « La macroéconomie par le bas », Politique africaine, n° 124, 2012.
  • [52]
    On reconnaîtra la démarche de M. Foucault dans Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Gallimard/Seuil, 2004. Max Weber (par exemple dans « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales », in M. Weber, Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1992) n’a quant à lui pas directement travaillé sur la notion de souveraineté, mais sa méthodologie et sa façon d’appréhender l’État relèvent de cette approche relationnelle. Voir à ce propos J.-P. Grossein, « Leçon de méthode wébérienne », in M. Weber, Concepts fondamentaux de sociologie, Paris, Gallimard, 2016, p. 67 et suivantes.
  • [53]
    Voir par exemple, pour le Maroc, A. El Abdellaouy, El M. Harchaoui, T. Traore Okou et Y. Kayalassoro, Rapport Atlas. La souveraineté économique au Maroc : enjeux et perspectives, Rabat, École de guerre économique de Rabat, 2020-2021.
  • [54]
    J.-P. Grossein, « Théorie et pratique de l’interprétation dans la sociologie de Max Weber » [en ligne], Sociétés politiques comparées, n° 39, 2016, p. 9, <https://fasopo.org/sites/default/files/varia1_n39.pdf>, consulté le 6 décembre 2023.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    P. Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Seuil, 1992.
  • [57]
    Sur les différentes saisines de la Cour de Justice de l’Union européenne, voir « Encadré 2. Résumé des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) », in Cour des comptes européenne, Rapport spécial. Soutien de l’UE en faveur du Maroc : peu de résultats à ce jour, Luxembourg, Cour des comptes européenne, 2019, p. 11-12.
  • [58]
    Sur l’association Western Sahara Campaign et ses dépêches, voir <wsahara.org.uk>. Voir également « Un groupe britannique perd son recours contre l’accord commercial avec le Maroc », Reuters, 5 décembre 2022.
  • [59]
    T. Abou El Farah, « Sahara : le Polisario perd sa guerre juridique », La Vie éco, 26 mai 2023.
  • [60]
    Pour la période 1994-2012, les chiffres proposés par le rapport du Conseil économique, social et environnemental sur le sujet rapportent que l’État contribue en moyenne au PIB des provinces du Sud à plus de 54 %, dont 43 % en direct (33 % pour l’État et 10 % pour les entreprises publiques) et 11 % en indirect (PIB induit par l’investissement public). L’investissement public atteint 5 milliards de dirhams et s’établit à 5 500 dirhams par habitant, soit 31 % de plus que la moyenne nationale (4 200 dirhams). Conseil économique, social et environnemental, Nouveau modèle de développement pour les provinces du Sud, Rabat, Conseil économique, social et environnemental, 2013, p. 41.
  • [61]
    N. Hachimi-Alaoui, « Gouverner par moments. Le wali dans les transports urbains à Casablanca », in B. Hibou et I. Bono (dir.), Le gouvernement du social au Maroc, Paris, Karthala, 2016, p. 83-121.
  • [62]
    B. Hibou, « Les enjeux de l’ouverture au Maroc : dissidence économique et contrôle politique » [en ligne], Les études du Ceri, n° 15, 1996, <https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/etude15.pdf>, consulté le 5 décembre 2023 ; B. Hibou et M. Tozy, « Une lecture d’anthropologie politique de la corruption au Maroc : fondement historique d’une prise de liberté avec le droit », Revue Tiers Monde, n° 161, 2000, p. 23-47 ; M. Catusse, Le temps des entrepreneurs ? Politique et transformations du capitalisme au Maroc, Paris, Maisonneuve & Larose, 2008.
  • [63]
    Dans Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique (Paris, Seuil, 1976), Paul Veyne nous invite à être attentif aux mots mais aussi à savoir en soulever les voiles.
  • [64]
    En reprenant l’expression d’Enzo Traverso (L’histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du xxe siècle, Paris, La Découverte, 2011), et surtout la démarche que nous avions adoptée dans le cadre de notre travail sur le développement : I. Bono et B. Hibou (dir.), « Development as a Battlefield », International Development Policy, n° 8, 2017.
  • [65]
    E. J. Zürcher, Turkey : A Modern History, Londres, I.B. Tauris, 1993 ; A. Buğra, State and Business in Modern Turkey : A Comparative Study, Albany, State University of New York Press, 1994 ; A. Aktar, « Economic Nationalism in Turkey : The Formative Years, 1912-1925 », Boğaziçi Journal : Review of Social, Economic and Administrative Studies, vol. 10, n° 1-2, 1996, p. 263-290 ; A. Aktar, « Homogenising the Nation, Turkifying the Economy : The Turkish Experience of Population Exchange Reconsidered », in R. Hirschon (dir.), Crossing the Aegean : An Appraisal of the 1923 Compulsory Exchange between Greece and Turkey, New York/Oxford, Berghahn Books, 2003, p. 79-95 ; R. Bali, The “Varlık Vergisi” Affair : A Study on its Legacy, Istanbul, The Isis Press, 2005 ; A. Aktar, « “Turkification” Policies in the Early Republican Era », in C. Dufft (dir.), Turkish Literature and Cultural Memory : “Multiculturalism” as a Literary Theme after 1980, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2009, p. 29-62.
  • [66]
    V. Jamal, « Asians in Uganda, 1880-1972: Inequality and Expulsion », The Economic History Review, vol. 29, n° 4, 1976, p. 602-616 ; J.-F. Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, chapitre 5 ; E. C. Taylor, « Claiming Kabale : Racial Thought and Urban Governance in Uganda », Journal of Eastern African Studies, vol. 7, n° 1, 2013, p. 143-163 ; A. K. Hundle, « Insecurities of Expulsion : Emergent Citizenship Formations and Political Practices in Postcolonial Uganda », Comparative Studies of South Asia, Africa and the Middle East, vol. 39, n° 1, 2019, p. 8-23 ; I. S. Patel, We’re Here because You Were There : Immigration and the End of Empire, Londres, Verso Books, 2021.
  • [67]
    S. Meinl, « Stigmatisés, discriminés, pillés. Les lois fiscales antisémites dans l’Allemagne du Troisième Reich », Revue d’histoire de la Shoah, n° 186, 2007, p. 109-129. A. Tooze, The Wages of Destruction : The Making and Braking of the Nazi Economy, Londres, Penguin Book, 2007, a montré la part rhétorique et la dimension avant tout tribunitienne de la spoliation des Juifs et du pillage des pays occupés dans le redressement du pays, notamment pour le financement de la guerre.
  • [68]
    W. Benjamin, Critique de la violence, Paris, Payot & Rivage, 1992.
  • [69]
    L. Bianco, Emigrare dal Marocco. Squilibri socio-ambientali ed esodo da un polo monerario (Khouribga, 1921-2008), Thèse de doctorat, Rome, Université de Rome, 2012. Voir également M. Mghari et M. Fassi Fihri, Cartographie des flux migratoires des Marocains en Italie, Genève, OIM/Ministère des Affaires étrangères italien, 2010, p. 177-181 ; M. Chiguer, N. Harrami, M. Kachami, M. Nadif et A. Zekri, « La structure démographique, économique et du travail au Maroc et dans les quatre régions intéressées par l’étude et leur relation avec les flux migratoires », in M. Vitiello (dir.), Le migrant marocain en Italie comme agent de développement et d’innovation dans les communautés d’origine, Rabat/Milan/Naples, Amerm/Coopi/El Sur/Punto Sud, 2005, p. 143-189.
  • [70]
    P. Yengo, L’ordre de la transgression. La souveraineté à l’épreuve du temps global, Pau, Presses universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2022. Voir également le « Débat autour d’un livre » de ce numéro.
  • [71]
    Sur les « caravanes médicales » de l’OCP et les effets négatifs de l’exploitation phosphatière au Maroc, voir B. Ferlaino, Il Marocco dei fosfati : politiche e discorsi nel governo del sociale, Mémoire de master, Turin/Rabat, Université de Turin/École de gouvernance et d’économie, 2018.
  • [72]
    Rejoignant en cela les analyses de Jean-François Bayart qui montre que coercition et hégémonie ne sont pas deux dynamiques opposées mais qu’elles se combinent souvent. J.-F. Bayart, L’énergie de l’État. Pour une sociologie historique et comparée du politique, Paris, La Découverte, 2022, chapitre 6.
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