1 Le mardi 17 octobre 2023, l’Institut des mondes africains, en partenariat avec Politique africaine, organisait sur le campus Condorcet la projection du documentaire : Mali, la guerre perdue contre le terrorisme, tourné en 2022 par Nathalie Prévost et Olivier Jobard. La séance était suivie d’une table ronde en présence de la réalisatrice, de Zakiyatou Oualet Halatine, ancienne ministre malienne, et de Charles Grémont, chercheur associé à l’Imaf.
2 Dans un format court, ce documentaire s’efforce de brosser, à travers une enquête multi-située et auprès d’une pluralité d’acteurs, un large portrait du conflit en cours. De Bamako à Kidal, en passant par Mopti, Tombouctou et Gao, les journalistes font une remarquable synthèse des différentes dynamiques violentes qui traversent le territoire malien. La sortie du documentaire coïncide cette année avec une exacerbation des difficultés à travailler au Mali pour les journalistes, les chercheurs, les experts ou même les humanitaires. Les restrictions de la part des deux États concernant les visas, les fermetures des antennes de recherche à Bamako, les expulsions de certains médias ont en effet marqué les relations franco-maliennes ces derniers mois. Réalisé avant cette fermeture, le documentaire a profité de ce qui pourrait être une des dernières occasions de témoigner de ce qui se passe dans certains espaces géographiques du pays avant longtemps. Il pose aussi une question plus large pour tous ceux qui travaillent sur cette guerre : comment comprendre et expliquer un conflit devenu régional ?
3 La situation malienne est d’abord racontée par des personnages politiques bien connus qui défilent face à la caméra : Fahad Ag Almahmoud, secrétaire général du Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia), Choguel Kokalla Maïga, actuel Premier ministre, Marcelin Guenguere, ancien porte-parole de la milice dogon Dan Na Ambassagou, ou encore Moussa Ag Acharatoumane, secrétaire général du Mouvement pour le salut de l’Azawad. Outre ces élites, d’autres entretiens viennent illustrer la situation actuelle et une approche « par le bas » dépeint le ressenti de simples citoyens maliens sur le conflit qu’ils traversent. Enfin, les journalistes ont aussi eu accès aux militaires français. Le documentaire propose en effet une réflexion sur une décennie de guerre au Sahel, la plus grosse opération extérieure française depuis la fin de la guerre d’Algérie. Il se veut être une pièce amenée au débat public, dans un moment de « désintérêt » croissant pour le Sahel de la part des Français et des élites politiques, selon les mots de Nathalie Prévost durant le débat.
4 En effet, les périodes embarquées avec Barkhane fournissent quelques images rares, comme lorsqu’une patrouille rend visite à un village en compagnie de l’équipe de tournage. La mission est conduite par un jeune officier, dont les échanges avec les habitants l’amènent à inspecter, impuissant, le mur qui s’effondre d’une école sans professeurs. Entrecoupée de nombreuses séquences d’archives, on y retrouve celles de l’occupation de Tombouctou, de l’opération militaire Serval, du discours de François Hollande à Bamako ou encore de la liesse populaire qui a accompagné l’arrivée des Français. Tourné avant le départ des troupes françaises et la rupture avec l’État malien, le documentaire propose aussi une rétrospective de la relation entre la France et son ancienne colonie. Désormais, les interviews des officiers qui parlent de la « réussite » de l’opération militaire et des « victoires tactiques » résonnent étrangement aux oreilles des spectateurs. Ces images sont en effet très troublantes et témoignent des changements politiques rapides de ces derniers mois, puisque la projection a eu lieu après les départs successifs des militaires français du Mali, du Burkina Faso, et celui, annoncé, du Niger.
5 Si le documentaire réalise le tour de force d’interviewer d’anciens djihadistes, l’un des regrets aura peut-être été de ne pas entendre la voix des militaires maliens ayant pris le pouvoir. Il aurait été intéressant d’écouter les explications de jeunes officiers sur ces coups d’État et leur projet politique. Enfin, la boîte noire de la fabrication du documentaire, abordée pendant le débat, renvoie inévitablement aux questions méthodologiques inhérentes à la production des savoirs sur la guerre. Partagées par les chercheurs, celles-ci sont d’autant plus importantes pour des individus français au Sahel. Comment travailler lorsque votre pays prend une telle importance militaire, diplomatique et politique sur votre terrain ? Cette identité peut être une ressource pour accéder à certains milieux, un obstacle pour d’autres, mais peut aussi mettre en danger ses enquêtés, dans une configuration où le fait d’être en lien avec des Français est de plus en plus perçu comme suspect. On découvre en effet, au fil des images, des groupes sociaux et des enquêtés qui se dévoilent principalement à visage découvert. Ce pari éthique pris par les réalisateurs, dans un moment de délitement, renvoie aux questions auxquelles de nombreuses personnes ayant travaillé sur la violence ont été confrontées. Il permet de relancer le débat : que montrer et que cacher sans desservir le propos, pour ne pas mettre en danger ses enquêtés dans un futur incertain ? Finalement, ce documentaire reste une pièce salutaire et une photographie bilan de la dernière décennie de guerre, partie pour durer encore longtemps.