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Article de revue

MUÑOZ (José-María), Doing Business in Cameroon: An Anatomy of Economic Governance, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, 228 pages

Pages 164 à 166

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1 L’ouvrage de José-María Muñoz, senior lecturer en études africaines et en développement international à l’université d’Édimbourg, s’inscrit dans un ensemble de travaux de sciences sociales africanistes particulièrement attentifs aux complexités sociales dans lesquelles s’encastrent les activités économiques d’initiative privée telles qu’elles peuvent se présenter dans les sociétés au sud du Sahara. Partant d’une approche qualitative et microsociologique, sans prétention normative, réinscrivant les pratiques et les attitudes observées dans leurs configurations sociales avec une grande finesse empirique, Doing Business in Cameroon s’oppose aux approches économicistes symbolisées par l’indicateur « Doing Business » de la Banque mondiale. À rebours de ces approches, l’ouvrage interroge le gouvernement de l’économie dans la région de l’Adamaoua, et plus particulièrement à Ngaoundéré, dans le Nord du Cameroun.

2 Ce cas empirique pose une énigme sociologique triangulaire. La notion d’informel (et ses variations locales de « maquis » ou « d’incivisme fiscal »), tout d’abord, est très récurrente dans les discours d’une multitude d’individus ou d’institutions. Elle sert le plus souvent à désigner les activités économiques « indociles » (p. 16) qui échappent à la régulation d’un État impuissant. La notion de « crise » comme registre discursif, ensuite, fait référence à la violente histoire sociale du Cameroun depuis les années 1980. Elle serait également la cause de l’essor du « secteur informel ». Enfin, son corollaire, la « réforme » d’inspiration néolibérale, qui a transformé non seulement les administrations publiques et les conditions de travail en leur sein, mais également ce que signifie « bien gouverner » l’économie. À ce titre, on observe à diverses échelles un « incessant stream of small modifications to laws and administration » (p. 198) qu’il convient de prendre en considération. Comment dès lors comprendre le gouvernement d’une économie caractérisée par une prépondérance du « secteur informel » d’une part, et un état permanent de « crise » et de « réforme » d’autre part ? La proposition originale de l’ouvrage consiste à s’intéresser aux pratiques sociales concrètes qui ordonnent l’économie dans le Nord camerounais en prenant en compte quatre « secteurs » (transport routier, commerce de bovins, marchés publics et celui des ONG).

3 Pour cela, l’auteur étudie les interactions les plus banales et quotidiennes entre une série d’entreprises, saisies souvent au travers de ses dirigeants, et les services administratifs. Ainsi, l’étude des négociations entre chauffeurs de poids lourds et agents publics lors des checkpoints s’avère particulièrement instructive. Plutôt ancré dans l’anthropologie du droit, mais ouvert aux apports de l’anthropologie critique du développement, de la sociologie de l’action publique et de l’économie politique, Muñoz s’inscrit – trop implicitement d’ailleurs – dans plusieurs débats théoriques. L’ouvrage se démarque notamment de toute la littérature sur l’informel. En faisant seulement référence à Keith Hart, l’auteur estime que cette notion a essentiellement contribué à obscurcir la compréhension des dynamiques qu’elle était initialement censée éclairer. C’est pourquoi il préfère la notion de « legality » (p. 6), envisagée comme le continuum de rapports et d’attitudes observés par des acteurs avec les règles juridiques. Cette construction théorique allusive tend à limiter la portée des discussions auxquelles invite volontiers la lecture de l’ouvrage. En revanche, cette approche permet effectivement d’envisager de manière plus complexe la réalité que l’auteur cherche à décrire et d’éviter, il est vrai, certaines apories typiques des discussions universitaires relatives à l’informalité.

4 Agréable à lire, le livre brille par sa remarquable richesse empirique. L’ensemble des cinq chapitres repose sur une masse considérable de matériaux de nature diverse – entretiens biographiques, observations ethnographiques, archives, documents juridiques, « littérature grise ». Le premier chapitre, qui est l’un des plus stimulants, offre une contextualisation historique et politique de Ngaoundéré, dans laquelle l’auteur réinscrit les trajectoires et les logiques d’action de quatre individus présentés comme des « business people » (p. 63) – ce label ne rend cependant pas justice à leur complexité – suivis de manière longitudinale sur près de dix années. Avec une grande finesse, l’auteur parvient ainsi à restituer, dans toute leur épaisseur sociologique et diachronique, les processus d’accumulation et de conversion de capitaux à l’œuvre dans des espaces sociaux longtemps décrits comme étrangers aux capitalismes. Si les chapitres suivants resserrent la focale d’analyse autour de la notion de légalité, l’historicisation et la sociologisation de l’économie restent avec constance deux des grands points forts de l’ouvrage.

5 Le reste des chapitres porte respectivement sur les quatre secteurs d’activités étudiés : les marchés publics (chapitre 2), le commerce du bétail (chapitre 3), le transport de fret (chapitre 4) et enfin celui des ONG (chapitre 5) – ce dernier étant étonnamment traité comme s’il s’agissait d’un secteur marchand comme un autre. Si cette approche sectorielle ne doit pas laisser penser que ces différents espaces sociaux sont étanches (comme l’illustre la trajectoire professionnelle d’Alhadji Yero), elle se révèle pertinente à mesure que l’auteur dévoile les parts de contraintes, d’opportunités et de structures caractéristiques de chacun de ces espaces. Le chapitre portant sur le commerce de bétail démontre particulièrement bien le caractère stimulant de la perspective adoptée par Muñoz. Après avoir montré qu’il s’agit d’un secteur difficilement contrôlé et contrôlable par l’État pour une série de raisons (par exemple, les services vétérinaires qui ont longtemps encadré ce commerce ont vu leur emprise se réduire à cause de la libéralisation), l’auteur s’oppose à la thèse selon laquelle les commerçants échapperaient presque totalement à la régulation étatique. Il existe en effet toujours de nombreuses occasions de « regulatory encounters » (p. 199) qui fournissent un cadre aux transactions. En s’intéressant au sens prêté par les commerçants à leurs pratiques, l’auteur suggère en outre que le respect des normes légales, loin de n’être toujours que des obstacles, peut être constitutif d’une éthique professionnelle souhaitable et désirable. Afin de rendre justice à la grande variété de pratiques et d’attitudes vis-à-vis de la légalité, il faudrait donc rompre avec l’image de commerçants évasifs qui mènent rationnellement et systématiquement des stratégies d’évitement.

6 Doing Business in Cameroon offre donc un point de vue alternatif aux lectures généralisantes des rapports entre État et activités économiques privées en Afrique, en termes de stratégies de dissimulation, de contournement, d’exit. Plutôt que de recourir à ces notions globalisantes et difficilement contrôlées, l’ouvrage invite à appréhender au concret les relations quotidiennes entre l’État et les acteurs économiques privés afin de comprendre comment s’organise le gouvernement de l’économie. Au-delà de la proposition théorique et méthodologique stimulante, l’un des intérêts de l’ouvrage est la richesse qu’il constitue pour les spécialistes du Cameroun. Ces derniers y trouveront en effet une bibliographie conséquente comprenant de précieux travaux publiés par de nombreux chercheurs camerounais ainsi que de solides synthèses contextuelles.

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