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Article de revue

DIAWARA (Mamadou), DIOUF (Mamadou) et OUÉDRAOGO (Jean-Bernard) (dir.), Afrika N’Ko. La bibliothèque coloniale en débat, Paris, Présence africaine, 2022, 894 pages

Pages 162 à 164

Notes

Versión en español

1 Publié au début de l’année 2022 sous la direction de Mamadou Diawara, Mamadou Diouf et Jean-Bernard Ouédraogo, le livre Afrika N’Ko[1]. La bibliothèque coloniale en débat donne suite à une importante conférence (inaugurale d’un programme de recherche) organisée à Dakar en janvier 2013 [2]. Imposant, tant par la qualité et la diversité de ses contributions que par son volume en tant que tel, il est amené à faire date dans les débats relatifs au(x) contenu(s) et aux temporalités de « l’agenda intellectuel de l’Afrique [3] ». Après les remerciements, la dédicace et l’introduction publiés en français et en anglais, l’ouvrage est composé de 26 chapitres signés principalement par des universitaires, souvent de renommée internationale, mais aussi par des auteurs artistes et intellectuels. 14 contributions sont rédigées en anglais, 12 en français. Ce livre constitue le deuxième opus de la récente collection « Histoire, politique, société » des éditions Présence africaine[4], inaugurée en 2021 par la traduction du classique de Valentin-Yves Mudimbe The Invention of Africa[5], référence principale du présent volume puisqu’il contient la proposition de penser la « bibliothèque coloniale ».

2 En introduction, les trois coordinateurs indiquent qu’« Afrika N’Ko. Dire l’Afrique dans le monde » est un projet au long cours dont l’objectif est de mettre en synergie la pluralité des réflexions sur la production des savoirs en « “sciences de l’homme” applicables à l’Afrique, qui est souvent plus qu’un lieu, un objet de recherche, une notion analytique, un régime d’appartenance, dont il importe de retracer l’émergence et la consolidation dans ce qui est désormais nommé “études africaines” » (p. 13). Ils s’inscrivent dans une « quête de la pluralité des perspectives théoriques, donc, d’une limitation efficace de la reproduction du système sémantique hégémonique » (p. 19). Trois axes principaux apparaissent, en ce sens, prépondérants : relire la bibliothèque coloniale, explorer la richesse des autres bibliothèques et dépasser la réclusion du huis clos des connaissances produites par les Africain·e·s sur l’Afrique tout en veillant à ne pas céder à la tentation substantialiste (p. 22-23). Un argument majeur de cette entreprise intellectuelle est exprimé en ces mots : « Loin de demeurer des objets passifs, les sociétés africaines, rétives à la conquête et à cette altérité africaine inventée hors d’elles, ont, elles aussi, produit progressivement un contre-discours et des pratiques rebelles, en engageant une entreprise de déconstruction du dispositif conceptuel et politique au fondement de l’esclavage, de la colonisation et des formes contemporaines de domination » (p. 24). À l’image du texte proposé par Jane Anna Gordon, ces intentions convainquent car il ressort de la lecture de ce livre une conception renouvelée tant des constructions multiples de la modernité et des mondes contemporains que des contributions venant de l’Afrique ou des diasporas africaines aux modalités de penser et d’agir.

3 L’espace d’un compte-rendu ne permet pas de restituer dans le détail l’ensemble des 26 chapitres, pratiquement tous d’une grande richesse philosophique, théorique et politique. Cependant, et sans vouloir ramener chacun d’entre eux à une thématique unique, il est tout de même possible de faire ressortir un certain nombre de traits saillants parmi les réflexions proposées. Les deux premiers chapitres (Achille Mbembe et Elísio Macamo) abordent des problèmes d’économie politique. Plusieurs contributions débattent de la bibliothèque coloniale au prisme de l’histoire de l’anthropologie, de la philosophie, et éventuellement des arts (Zubairu Wai, Salim Abdelmadjid et Nkolo Foé). Jane Anne Gordon s’attache plus particulièrement à repenser les philosophies de Rousseau, de Fanon et la question de la créolisation. Euclides Gonçalves revient sur l’histoire coloniale du Mozambique en montrant l’écart entre sources orales et sources écrites. Les formes du droit sont abordées par Augustin Emane, à propos de la place de la « tradition » parmi celles-ci, et par Mamadou Diawara, à propos de la propriété intellectuelle et des usages ordinaires de la musique. Donna V. Jones discute les tenants et les aboutissants actuels des technologies du vivant. Rawya M. Tawfik Amer propose une nouvelle définition de la conception du politique à partir de la bibliothèque islamique. Sidi Hida Bouchra revient sur l’histoire des sciences sociales en réévaluant les contributions d’Ibn Khaldoun par rapport à celles d’Émile Durkheim quant à la pensée du changement. Frieda Ekotto interroge l’histoire de l’homosexualité et des voix lesbiennes. Kaiama L. Glover reprend celle de la production de l’altérité à l’époque moderne, dans une perspective fanonienne. Jouant le jeu d’une interrogation de la matérialité des bibliothèques, Elsa Dorlin parle de la composition de celle du féminisme noir. Les problématiques relatives à la linguistique et à la littérature orale sont débattues par Camille Amouro, autour de la notion de fragment, et par Léon Tsambou, à partir des œuvres du chanteur Félix Wazekwa. Une meilleure considération pour la bibliothèque orale, ainsi que pour les sites et les objets est défendue par Henry Kam Kah. Hassana Abdou analyse les timbres coloniaux produits au Cameroun. Françoise Vergès pose la question de ce qu’il convient de faire de la bibliothèque coloniale et envisage la bibliothèque à venir. Rada Iveković avance la possibilité d’un dépassement du nationalisme et de la modernité par une révolution épistémique. Les enjeux de traduction sont abordés par Boaventura de Sousa Santos dans une perspective d’écologie des savoirs et par Valentin-Yves Mudimbe sous l’angle de ceux relatifs aux concepts précisément. La contribution africaine-américaine à l’émergence d’une réflexion sur la place de l’Afrique dans le monde est retracée par Mamadou Diouf. Bacary Sarr pose la question de la place de l’intellectuel africain dans différentes configurations discursives et de savoirs. Il revient sur le roman de Cheikh Amidou Kane L’aventure ambiguë et c’est également en méditant dessus que Justin Bisanswa clôt le livre.

4 Ce simple passage en revue montre l’ampleur, stimulante et par certains aspects vertigineuse, des réflexions prolongées, des enjeux avancés et des perspectives tracées par cet accomplissement collectif. Il donne tout son sens aux récents mots de Felwine Sarr : « Réouvrir le futur pour les pays africains est une tâche qui se déroule d’abord dans l’espace de la pensée et des imaginaires [6]. »

Notes

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