Couverture de POLAF_151

Article de revue

Contournements. Fiscalité et exceptions informelles dans les villes de M’Bour et de Kisumu

Pages 17 à 37

Notes

  • [1]
    Merci à Agathe Menetrier et à Ananya Roy pour leurs conseils avisés sur les premières versions de cet article. Nous remercions également les relecteurs anonymes pour leur intelligente confrontation à notre argument principal, ainsi que pour leurs encouragements. Cette recherche a reçu le soutien financier de l’African Property Tax Initiative, ainsi que de Mistra Urban Futures.
  • [2]
    C. Tilly, Coercion, Capital, and European States, AD 990-1992, Oxford, Wiley-Blackwell, 1992.
  • [3]
    J. Roitman, Fiscal Disobedience : An Anthropology of Economic Regulation in Central Africa, Princeton, Princeton University Press, 2005.
  • [4]
    J.-M.Muñoz, « Business Visibility and Taxation in Northern Cameroon », African Studies Review, vol. 53, n° 2, 2010, p. 150.
  • [5]
    K. Meagher, « Taxing Times : Taxation, Divided Societies and the Informal Economy in Northern Nigeria », The Journal of Development Studies, vol. 54, n° 1, 2018, p. 1-17.
  • [6]
    J.-P. Olivier de Sardan, « The Bureaucratic Mode of Governance and Practical Norms in West Africa and Beyond », in M. Bouziane, C. Harders et A. Hoffman (dir.), Local Politics and Contemporary Transformations in the Arab World, Londres, Palgrave MacMillan, 2013, p. 43-64.
  • [7]
    M. Piracha et M. Moore, « Revenue-Maximising or Revenue-Sacrificing Government ? Property Tax in Pakistan », The Journal of Development Studies, vol. 52, n° 12, 2016, p. 1776-1790.
  • [8]
    M. Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France. 1977-1978, Paris, EHESS/ Gallimard/Seuil, 2004 ; M. Valverde, « Jurisdiction and Scale : Legal “Technicalities” as Resources for Theory », Social & Legal Studies, vol. 18, n° 2, 2009, p. 139-157.
  • [9]
    M. Lipsky, Street-Level Bureaucracy : Dilemmas of the Individual in Public Services, New York, Russell Sage Foundation, 2010.
  • [10]
    J. Robinson, « Cities in a World of Cities : The Comparative Gesture », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 35, n° 1, 2010, p. 1-23 ; T. Caldeira, « Peripheral Urbanization : Autoconstruction, Transversal Logics, and Politics in Cities of the Global South », Environment and Planning D : Society and Space, vol. 35, n° 1, 2017, p. 3-20 ; R. K. Yin, Case Study Research : Design and Methods, Londres, Sage Publications, 2013.
  • [11]
    H. Moore, « Global Anxieties : Concept-Metaphors and Pre-Theoretical Commitments in Anthropology », Anthropological Theory, vol. 4, n° 1, 2004, p. 61-88 ; M. L. Small « How many Cases Do I Need ? On Science and the Logic of Case Selection in Field-Based Research », Ethnography, vol. 10, n° 1, 2009, p. 5-38.
  • [12]
    C. Bénit-Gbaffou, « Unpacking State Practices in City-Making, in Conversations with Ananya Roy », The Journal of Development Studies, vol. 54, n° 12, 2018, p. 2139-2148.
  • [13]
    République du Sénégal, Loi No. 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des collectivités locales, Dakar, République du Sénégal, 2013.
  • [14]
    Pour une formulation classique de ces facultés discrétionnaires, voir M. Lipsky, Street-Level Bureaucracy…, op. cit.
  • [15]
    A. Roy, « Urban Informality : Toward an Epistemology of Planning », Journal of the American Planning Association, vol. 71, n° 2, 2005, p. 147-158.
  • [16]
    Ibid., p. 149.
  • [17]
    G. Agamben, State of Exception, Chicago, The University of Chicago Press, 2005.
  • [18]
    A. Ghertner, « When is the State ? Topology, Temporality, and the Navigation of Everyday State Space in Delhi », Annals of the American Association of Geographers, vol. 107, n° 3, 2017, p. 731-750 ; G. Bhan, In the Public’s Interest : Evictions, Citizenship, and Inequality in Contemporary Delhi, Athens, University of Georgia Press, 2016.
  • [19]
    G. Bhan, Notes on a Southern Urban Practice, manuscrit non publié, 2018.
  • [20]
    Ibid., p. 8.
  • [21]
    J.-P. Olivier de Sardan, « The Bureaucratic Mode of Governance… », art. cité, p. 52.
  • [22]
    Ibid., p. 51.
  • [23]
    J. Roitman, Fiscal Disobedience…, op. cit. ; J. Roitman, « The Politics of Informal Markets in Sub-Saharan Africa », The Journal of Modern African Studies, vol. 28, n° 4, 1990, p. 671-696.
  • [24]
    J.-P. Olivier de Sardan, « The Bureaucratic Mode of Governance… », art. cité, p. 51.
  • [25]
    M. Hull, « Documents and Bureaucracy », Annual Review of Anthropology, vol. 41, 2017, p. 251-267.
  • [26]
    T. Bierschenck, « Sedimentation, Fragmentation, and Normative Double-Binds in (West) African Public Services », in J.-P. Olivier de Sardan et T. Bierschenck (dir.), States at Work : Dynamics of African Bureaucracies, Leiden, Brill, 2014, p. 221-248.
  • [27]
    S. J. Collier, « Topologies of Power : Foucault’s Analysis of Political Government beyond “Governmentality” », Theory, Culture & Society, vol. 26, n° 6, 2009, p. 78-108.
  • [28]
    Tous les noms des informateurs ont été changés sauf indication contraire.
  • [29]
    Carnet de terrain, M’Bour, 9 janvier 2018.
  • [30]
    Entretien avec M. Thiaw, administrateur fiscal, M’Bour, 12 juin 2017.
  • [31]
    Entretien avec M. Mbodj, secrétaire municipale, Malicounda, 7 décembre 2017.
  • [32]
    Entretien avec M. Thiaw, administrateur fiscal, M’Bour, 12 juin 2017.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    L. R. Cirolia et J. C.Mizes, « Property Tax in African Secondary Cities : Insights from the Cases of Kisumu (Kenya) and M’Bour (Senegal) », International Center for Tax and Development Working Paper Series, à paraître.
  • [35]
    G. Anyumba, « Kisumu Town : History of the Built Form, Planning and Environment, 1890-1990 », OTB Research Institute for Policy Science and Technology, 1995.
  • [36]
    Kisumu County Government, « Kisumu County Finance Bill » [en ligne], 2017, <https://www.kisumu.go.ke/download/56>, consulté le 23 décembre 2018.
  • [37]
    The Kenya Gazette, vol. 110, n° 37, 2008, p. 1060.
  • [38]
    R. Home, « Colonial Township Laws and Urban Governance in Kenya », Journal of African Law, vol. 56, n° 2, 2012, p. 175.
  • [39]
    P. Syagga, A Study of the Management of Local Authority Housing Estates in Kenya with Special Reference to Mombasa, Kisumu and Thika Municipal Councils, Thèse de master en développement agraire, Nairobi, Université de Nairobi, 1979.
  • [40]
    G. Anyumba, « Kisumu Town… », art. cité.
  • [41]
    Entretien avec Samson, consultant en planification urbaine, Kisumu, 27 avril 2017.
  • [42]
    Entretien avec Mary, agente de la Direction de la perception de la taxe foncière à la municipalité de Kisumu, Kisumu, 15 novembre 2017.
  • [43]
    Entretien avec Stephen, habitant de la périphérie de Kisimu, Kisumu, 26 avril 2017.
  • [44]
    Entretien avec Samson, consultant en planification urbaine, Kisumu, 27 avril, 2017.
  • [45]
    Entretien avec Hanif Rana, ministre des Routes, des transports et des travaux publics du gouvernement du comté de Kisumu, 23 avril 2017.
  • [46]
    Entretien avec Solomon Mwongo, agent du département de l’aménagement territorial au gouvernement du comté de Kisumu, Kisumu, 20 juin 2017.
  • [47]
    T. Paulais, Financer les villes d’Afrique : l’enjeu de l’investissement local, Paris, Pearson Education, 2012.
  • [48]
    Sur cette généralisation à « l’Afrique », voir J. Ferguson, Global Shadows : Africa in the Neoliberal World Order, Durham, Duke University Press, 2006.
  • [49]
    J. Youngman, A “Good Tax” : Legal and Policy Issues for the Property Tax in the United States, Cambridge, Lincoln Institute of Land Policy, 2016.
  • [50]
    L. R. Cirolia et J. C. Mizes, « Property Tax in African Secondary Cities… », art. cité.
  • [51]
    Pour une discussion de cette notion de compréhension (sympathy), voir C. Fennell, « The Museum of Resilience : Raising a Sympathetic Public in Postwelfare Chicago », Cultural Anthropology, vol. 27, n° 4, 2012, p. 641-666.
  • [52]
    G. Bhan, Notes on a Southern Urban Practice, op. cit., p. 17.
  • [53]
    Ibid., p. 15.
  • [54]
    A. Roy, « Urban Informality… », art. cité.
  • [55]
    A. C. Holland, « Forebearance », American Political Science Review, vol. 110, n° 2, 2016, p. 233.
  • [56]
    S. Graham et S.Marvin, Splintering Urbanism : Networked Infrastructures, Technological Mobilities, and the Urban Condition, Londres/New York, Routledge, 2001.
  • [57]
    O. Coutard, « Placing Splintering Urbanism : Introduction », Geoforum, vol. 39, n° 6, 2008, p. 1815-1820.
  • [58]
    G. Bhan, Notes on a Southern Urban Practice, op. cit., p. 15.

1Le prélèvement de l’impôt [1] est une pratique centrale à l’aune de laquelle la légitimité et l’autorité de l’État moderne [2] peuvent se mesurer. Janet Roitman a ainsi analysé des refus organisés de payer l’impôt qui mettent en lumière l’actuel déficit d’autorité de certains États africains sur le plan fiscal [3]. Au-delà de ces épisodes de résistance collective, d’autres chercheurs ont mis en exergue des pratiques entrepreneuriales parfois anciennes, qui « compliquent la mission régalienne de régulation, de contrôle et de taxation de l’activité économique [4] », et les défis que cela impose à l’État en termes de légitimité et de capacité à prélever l’impôt [5]. Nous adopterons une approche différente dans cet article. En nous appuyant sur les travaux de Jean-Pierre Olivier de Sardan [6], nous porterons notre attention sur les règles informelles liées au prélèvement de l’impôt. Nous verrons comment les percepteurs de taxes font des exceptions informelles au droit fiscal et nous interrogerons la manière dont ils les justifient. Un tel questionnement part du constat que les autorités fiscales s’abstiennent parfois de collecter l’impôt foncier qu’elles ont l’obligation légale et le droit de prélever [7]. Cette faculté discrétionnaire est désormais considérée comme un élément essentiel de la pratique bureaucratique [8]. Il est également admis que les fonctionnaires s’affranchissent volontiers de la procédure formelle afin de mieux organiser leurs tâches professionnelles [9]. Nous défendrons quant à nous l’idée que ces pratiques vont de pair avec une reconfiguration du pouvoir fiscal de l’État, tant dans sa forme que dans son déploiement spatial, tout en suscitant des effets inattendus en termes de progressivité de l’impôt.

2Nous adopterons une approche qualitative et comparative en nous basant sur des travaux de terrain conduits dans deux villes : M’Bour au Sénégal et Kisumu au Kenya. Nous emploierons une méthode comparative, mettant en parallèle deux cas distincts, afin de faire ressortir les concepts communs qui émergeront une fois mises en évidence les différences empiriques entre les deux situations [10]. Cette méthode permettra de mobiliser des concepts qui ne seraient pas ressortis en s’en tenant à un seul de ces cas [11]. Nous nous attacherons aussi, sur la base de ces deux cas, à forger un concept général, qui sera une contribution aux travaux comparatifs sur l’informalité et les exceptions urbaines à l’échelle mondiale [12].

3Pendant nos enquêtes de terrain, nous avons pu observer des autorités fiscales faire usage de divers moyens pour contourner de façon informelle le droit fiscal. Deux de ces pratiques furent l’objet principal de nos observations et de nos entretiens. À M’Bour, les percepteurs mettent souvent en avant la pauvreté des contribuables pour justifier le fait de ne pas percevoir l’impôt foncier. Les deux organismes dédiés à l’identification des contribuables et à la perception de l’impôt foncier évitent de percevoir l’impôt des propriétaires fonciers qu’ils estiment pauvres : soit ces derniers ne sont pas inscrits sur le registre des contribuables, soit ils sont ignorés à dessein par les percepteurs. À Kisumu en revanche, les autorités fiscales justifient souvent les exceptions fiscales en se référant aux services publics de base : alors que la plupart des terres comprises dans le périmètre urbain sont légalement imposables en vertu d’une circulaire de 2008, les autorités municipales s’abstiennent de prélever l’impôt foncier dans les quartiers où ils considèrent que les services adéquats en matière de routes, d’électricité et de marchés publics à ciel ouvert sont absents.

4Dans les deux villes, la loi établit un cadre formel qui détermine comment et par qui sont établis l’assiette fiscale en matière foncière, ainsi que les taux d’imposition. Au Sénégal, le Code général des impôts prévoit que l’assiette fiscale dans toutes les communes du pays est déterminée par la valeur locative des terrains et que leur taux d’imposition est de 5 % [13]. Cependant, la part de ces impôts par rapport aux recettes fiscales globales varie de façon importante selon la commune concernée : dans la commune la plus peuplée (celle de M’Bour), l’impôt foncier couvre 60 % des recettes, alors que, dans une commune moins peuplée (Ngaparou), il n’en représente que 5 %. À Kisumu, le cadre légal d’imposition est défini par le Valuation for Rating Act de 2015. Celui-ci donne le droit au gouvernement local du comté de Kisumu de déterminer le taux d’imposition foncière. Ce taux est de 1,5 % pour les terrains mis en location et s’élève à un montant forfaitaire de 1 500 shillings kenyans (12,80 euros) pour les terrains inoccupés. Ces deux sources représentent un quart du total de l’impôt perçu par la ville. Le comté de Kisumu a ainsi le pouvoir de mettre en place sa propre politique fiscale, définie chaque année dans la loi locale de finances (le County Finance Act). Ces lois édictent des normes bureaucratiques sur la base desquelles les autorités prélèvent l’impôt et appliquent des exceptions formelles.

5En revanche, les exceptions informelles ne sont pas prévues par la loi et ne répondent à aucune norme préétablie ; elles restent à la discrétion absolue des autorités [14]. Parfois, elles s’inspirent du droit fiscal, mais elles peuvent aussi en être tout à fait indépendantes, au point de le contredire. Pour les analyser, nous nous sommes inspirés des études sur l’informalité urbaine et la bureaucratie étatique. Ananya Roy affirme que l’informalité elle-même est non pas un objet, mais un mode de régulation étatique. Elle constitue une forme généralisée d’urbanisation dans les villes du Sud où la plupart des habitants ne se conforment pas aux lois supposées régir l’accès à la terre [15]. Mais, alors que les pauvres aussi bien que l’élite sont concernés de prime abord par ces pratiques, l’État et ses institutions de planification détiennent le pouvoir de décider « quelles formes d’informalité prospéreront et lesquelles devront disparaître [16] ». Se basant sur les travaux de Giorgio Agamben [17], Roy affirme que ce pouvoir de décider de ce qui constitue l’exception est une forme centrale de l’exercice du pouvoir souverain.

6D’autres chercheurs ont ainsi mis en exergue le rôle du système judiciaire et des tribunaux dans l’application de ces différents types d’informalité [18]. Mais il existe aussi d’autres organismes publics qui incorporent des pratiques informelles et en font une partie intégrante de la bureaucratie d’État. Ainsi, Gautam Bhan a analysé la mise en place des services de santé publique à New Dehli, en Inde [19]. Afin d’implanter des cliniques dans les banlieues de la capitale indienne, l’État recourt à la forme la plus pratique d’occupation dans une ville où les terrains sont une denrée rare : le squat. Alors que ces cliniques offrent un service officiel, Bhan remarque qu’elles « créent, et ce en connaissance de cause, une tension entre différents régimes de propriété, de droit et de planification urbaine [20] ». En d’autres termes, l’État lui-même est pris en flagrant délit de ce que les analystes identifient comme un acte d’informalité urbaine.

7Jean-Pierre Olivier de Sardan apporte une perspective complémentaire sur l’informalité et son rapport à la bureaucratie d’État, tout en focalisant son attention sur ce qu’il appelle « les règlements informels des fonctionnaires [21] ». Olivier de Sardan pense qu’on a tendance à concevoir un monde formel dans lequel l’administration publique serait « hautement régulée [quand] le monde informel serait, lui, peu réglementé [22] ». Il est vrai que de nombreux chercheurs ont longtemps considéré que le paramètre central définissant l’informalité était l’absence de régulation bureaucratique – que ce soit au niveau du travail, de l’utilisation ou de l’échange des terres. Or Janet Roitman a montré comment des institutions non étatiques, telles qu’une confrérie musulmane ou un syndicat de coupeurs de routes, pouvaient réguler les échanges au sein d’économies soi-disant informelles [23]. Olivier de Sardan a également mis en doute l’idée que la régulation soit synonyme de formalité mais, à l’inverse de Roitman, il s’est davantage focalisé sur les normes et les pratiques bureaucratiques de l’État. Il explique ainsi que « l’univers bureaucratique a sa propre informalité au sein même du mode de gouvernance bureaucratique, et non en dehors de celui-ci [24] ». De ce point de vue, l’informalité est non seulement une catégorie sanctionnée par l’État (ou encore, comme dans le cas présenté par Bhan, une catégorie à laquelle l’État lui-même est soumis), mais aussi une partie intégrante de la pratique bureaucratique de l’État.

8Les exceptions informelles constituent ainsi un mode de régulation. Même si elles ne sont pas bureaucratiques en tant que telles (dans le sens où elles ne sont pas explicitement établies au sein d’une administration et ne constituent pas des exceptions prévues par le droit fiscal [25]), elles n’en régulent pas moins la perception de l’impôt. Les bureaucraties sont des univers complexes et normatifs au sein desquels le droit administratif n’est finalement qu’une norme parmi d’autres [26]. Et l’État exerce son pouvoir depuis une multiplicité de lieux, de prises de décisions, de logiques et de pratiques [27]. Le concept d’exceptions informelles, en matière fiscale, nous renvoie à un de ces lieux qui participent à la topologie du pouvoir d’État, et nous nous focaliserons ici sur une de ses formes particulières : le contournement.

M’Bour : pauvreté et exceptions informelles

9Un matin de janvier 2018, nous commençons une journée de travail sur le terrain avec Monsieur Seck [28]. Homme entre deux âges, ce natif de M’Bour travaille dans la ville où il a grandi en tant que percepteur des impôts depuis plus de dix ans. Seck nous explique que la ville est un vieux port de pêche, le deuxième plus grand du Sénégal. Située sur la côte Atlantique à deux heures de route de Dakar, M’Bour est aussi la première destination touristique du pays. L’élite sénégalaise y possède des résidences de vacances, tandis que de nombreux Européens y acquièrent des propriétés afin d’y passer leur retraite. Ces personnes riches, explique Seck, constituent une minorité dans une ville d’environ un demi-million d’habitants qui sont, pour la plupart, pauvres. Ce jour-là, Seck doit porter aux résidents d’un quartier aisé des avis de paiement de l’impôt foncier. Il a mis dans un petit porte-documents une douzaine de feuillets ayant pour en-tête le mot « Avertissement ». Il s’agit du premier niveau de notification d’une dette fiscale de la part de la Perception.

10Nous nous rendons d’abord dans un quartier du bord de mer de haut standing afin d’y remettre un reçu. C’est un très beau quartier composé de résidences cossues, avec de beaux portails, d’où jaillissent des palmiers et des bougainvilliers. Bien que les routes ne soient pas goudronnées, elles sont bien entretenues, ce qui contraste avec les rues du centre-ville où se trouve le marché, à seulement quelques encablures de là. Nous garons la voiture et Seck commence à marcher en direction de l’océan avant de s’arrêter devant la porte d’une concession appartenant à une retraitée française. Il apporte un reçu, explique-t-il, parce qu’elle s’est acquittée de son impôt sur la propriété foncière. Seck nous précise que les contribuables se rendent habituellement en personne à la Perception pour régler leur dû mais que, dans le cas de cette dame, il a récupéré la somme directement chez elle. En venant lui remettre son reçu en mains propres, il lui fait une faveur. Seck lui serre la main, fait des vœux de bonne santé pour elle et sa famille, et la remercie d’avoir payé ses impôts. Elle lui fait une réponse empreinte de gentillesse, nous suggérant de faire attention à la chaleur et de ne pas marcher trop longtemps sous le soleil.

11Cette rencontre a quelque chose de surprenant. Non seulement, cette dame a remis à Seck une somme conséquente (les habitants des logements de cette taille doivent s’acquitter de 200 000 francs CFA – 300 euros – d’impôt par an), mais il est extrêmement familier des lieux, connaissant la famille et même les chiens de la maison. Alors que nous demandons à Seck s’il a une relation particulière avec cette famille, il nous dit que ce n’est pas le cas et qu’il connaît personnellement toutes les personnes chez qui il effectue ses tournées. Au vu de la journée, jalonnée de rencontres tout aussi chaleureuses, nous sommes obligés de le croire. Pour Seck, cette atmosphère générale reflète son approche personnelle de la perception de l’impôt : il « accompagne » les contribuables au cours du processus de paiement. Et il se saisit de l’occasion donnée par les « avertissements » pour les sensibiliser à l’ensemble des impôts dus et aux manières de s’en acquitter. Seck fait ce travail depuis de longues années et il a cœur de démontrer qu’il ne s’agit pas que d’un métier, mais d’une vocation. Dans sa démarche d’« accompagnement », Seck préfère encourager les contribuables à payer leurs taxes plutôt que de les y contraindre. Nous lui demandons comment il « encourage » un contribuable qui n’a pas les moyens de s’acquitter de son impôt foncier. « S’ils sont vraiment très pauvres, répond-il, nous leur demandons simplement de payer l’année prochaine. Nous laissons passer une année, dans l’espoir que cela les encouragera à payer l’année suivante [29] ».

12Les administrateurs fiscaux, dont dépendent les percepteurs, ne sont toutefois pas forcément tous disposés à contourner les contribuables pauvres en ne se focalisant que sur les plus nantis. Monsieur Thiaw, haut cadre à la Perception, explique ainsi de prime abord qu’il ne fait aucune exception. En même temps, il reconnaît que les administrateurs comme lui sont « entre deux voies », en prélevant les impôts tout en reconnaissant que de nombreux contribuables n’ont pas les moyens de s’en acquitter. Thiaw regrette que « les impôts ne prennent pas en compte la situation financière des contribuables » et indique que certains d’entre eux tentent parfois de négocier, ce qui est une pratique attendue dans tout échange monétaire. Il arrive même, explique-t-il, qu’il n’y ait « spontanément pas de riz (à la maison) » chez des contribuables fortunés au moment de l’arrivée du percepteur. Nous lui faisons remarquer que, dans d’autres pays, les autorités perçoivent l’impôt foncier en fonction du niveau de fortune des contribuables, de manière à ce que les plus riches paient un taux plus élevé que les autres. Thiaw répond que ce n’est pas le cas au Sénégal et que la « taxe sur le foncier bâti » n’est pas prélevée sur les riches en particulier. Il se dit cependant être mal à l’aise avec l’idée que de tels impôts soient prélevés sur des personnes pour qui il est difficile de s’en acquitter, telles qu’une veuve ou encore un enfant venant d’hériter d’un terrain après le décès d’un de ses parents.

13Comparés aux « Toubabs » (Blancs) qui paient leurs impôts à temps et parfois même avant échéance, Thiaw explique que « les Sénégalais n’ont pas cette culture ». Plutôt que d’attribuer cette « absence de culture fiscale » au niveau de vie des contribuables, il l’explique par le besoin important de liquidités des Sénégalais dans leur vie quotidienne, pour les cérémonies familiales telles que les mariages, les baptêmes, les circoncisions et les funérailles, ou encore les cérémonies religieuses telles que la fin du Ramadan. Tout en reconnaissant la légitimité de ces besoins, Thiaw assume ses propres attentes en matière fiscale. Être « entre deux voies », c’est admettre les limites du droit fiscal dans un contexte où la pauvreté est le lot commun de la plupart des contribuables [30]. Mais c’est aussi s’astreindre à ce droit, dont les autorités soulignent régulièrement l’importance en tant que principe directeur : comme nous le dit avec insistance un autre administrateur fiscal, « c’est la loi qui nous dirige [31] ».

14À l’instar de nombreux fonctionnaires sénégalais formés dans le moule de l’administration, Thiaw nous parle ainsi des responsabilités qui lui incombent en vertu du Code général des impôts. Dans le cas du foncier bâti, Thiaw prélève chaque année un impôt équivalent à 5 % de la valeur locative annuelle de la propriété. Il est dû au mois de janvier de chaque année. Ainsi qu’il l’explique, la Perception se préoccupe essentiellement de recouvrement, tandis qu’un autre organisme, la Direction des services financiers de M’Bour (DSF), s’occupe du recensement et des opérations d’enregistrement nécessaires à l’établissement des registres fiscaux qui sont les documents légaux sur lesquels se fonde le travail de recouvrement. Thiaw précise que la loi prévoit l’incapacité de certains contribuables à payer : des exceptions sont prévues de telle sorte à ce que ces contribuables puissent être exemptés de 50 % ou de 100 % de leur dette fiscale. Afin de bénéficier de ces exemptions, le contribuable doit soumettre une requête au préfet du département de M’Bour. Cette requête donne lieu à un « procès-verbal de carence », examiné par le préfet qui décide s’il doit émettre un certificat d’indigence, lequel donne formellement droit à une exemption. Mais ainsi que le précise Thiaw, un tel certificat n’est presque jamais attribué.

15Thiaw admet aussi, à l’instar de nombreux administrateurs sénégalais, les limites et les paradoxes de la loi. Il donne l’exemple d’une taxe collectée pour financer un service municipal de traitement des déchets qui, en réalité, n’existe pas. Thiaw n’en demeure pas moins convaincu que les contribuables doivent la payer. Selon lui, c’est un problème d’appellation : « On devrait donner à cette taxe un nouveau nom ; l’État rend un service aux contribuables qui, en retour, paient quelque chose. » Il précise toutefois que cela ne relève pas de sa compétence d’administrateur de discuter des raisons de l’instauration de cette taxe. Il a une opinion très arrêtée sur la question qui se reflète dans la réponse en cas de plainte : « Je n’en ai rien à foutre. Allez voir le maire avec votre ordonnance et demandez le ramassage. » Selon lui, ce n’est pas une question à régler entre les administrateurs et les contribuables, mais entre les citoyens et leurs représentants élus [32].

16Même si Thiaw croit en l’importance de la loi, il fait lui aussi des exceptions informelles. Certes, il n’est pas disposé à négocier le montant d’impôt dû à la Perception : la DSF établit les registres et lui, Thiaw, est légalement tenu de prélever les sommes exactes qui y sont notées. En revanche, Thiaw accepte la mise en place d’échéanciers par lesquels les contribuables peuvent s’acquitter de leurs dettes fiscales dans le courant de l’année. Le code des impôts prévoit une pénalité de 10 % au cas où l’impôt est payé après le dernier jour du mois théorique de recouvrement. Mais l’administration fiscale se conforme rarement à ce calendrier prévu par la loi. Il est d’autant moins possible aux contribuables de respecter le calendrier que la plupart d’entre eux ne sont informés de leurs dettes fiscales qu’après la date limite légale à laquelle ils auraient dû s’en acquitter. Ainsi, les paiements en retard sans pénalités constituent à la fois une entorse à la loi et une norme admise. Il arrive ainsi à Seck de distribuer en janvier des « avertissements » qui auraient dû être payés au 1er janvier de l’année précédente, en justifiant cette pratique par les ressources limitées de l’administration [33]. Thiaw, quant à lui, l’explique par le fait que les contribuables sont souvent à court de liquidités.

17Or la DSF fournit des papiers administratifs, tels que les avertissements, ainsi que les livres de comptes dans lesquels doivent figurer les paiements gérés par le bureau de Thiaw. Mais ces papiers ne prévoient pas de paiements partiels : les paiements n’y sont entrés que s’ils sont dus ou payés en entier. Pour cette raison, Thiaw note dans un système de comptes parallèle ses échéanciers, sur un fichier Excel de son ordinateur. Ces comptes supplétifs comportent de nombreuses colonnes qui ne figurent pas dans le document officiel et permettent ainsi de suivre les paiements partiels au cours de l’année.

18Thiaw exige des contribuables qu’ils fassent un premier versement équivalent à 50 % de leur dû, que les versements restants soient mensualisés et que la durée de l’échéancier n’aille pas au-delà de l’année fiscale en cours. La plupart des contribuables règlent ainsi leur dette fiscale – exception faite des Toubabs qui payent souvent en avance et en entier. Dans les cinq communes que compte l’agglomération urbaine de M’Bour, il y a 10 000 foyers fiscaux imposables sur le foncier selon notre estimation [34]. Nous demandons à Thiaw comment il arrive à suivre la trace de tous ces paiements. Il met alors la main dans sa poche, sort son téléphone portable personnel et dit : « C’est difficile. J’appelle tout le monde. »

19Cette masse de travail est assumée par Thiaw, à titre personnel, en guise de réponse aux besoins qu’il perçoit chez les contribuables les moins fortunés. Ce système constitue une espèce de compromis entre les « deux voies » de Thiaw : aux contribuables est accordée une exception informelle afin de mieux arriver à réaliser l’impératif légal de prélèvement des impôts. Même si ces pratiques constituent un contournement des exceptions formelles telles qu’elles sont définies par le droit fiscal, elles visent en même temps à rendre effectif le principe du certificat d’indigence. Les échéanciers de Thiaw, comme les contournements de Seck, sont emblématiques de la manière dont les autorités fiscales s’abstiennent de prélever l’impôt foncier auprès des contribuables qu’ils perçoivent comme pauvres et focalisant leurs efforts sur ceux qu’ils considèrent comme riches. À M’Bour, les autorités fiscales établissent leurs propres pratiques (ce que nous appelons des « exceptions informelles ») qui préservent partiellement les pauvres de leur obligation de payer l’impôt.

Exceptions informelles et services publics à Kisumu

20Nous rencontrons Samson dans les bureaux de son cabinet privé d’arpentage, dans le centre-ville de Kisumu. Ce cabinet, situé sur la très dense Oginga Odinga Street, a été engagé par le gouvernement local du comté de Kisumu pour établir le cadastre dans tout le comté. Kisumu, la ville principale du comté du même nom, compte à peu près 5 000 habitants. Située sur la rive est du lac Victoria, elle est accessible depuis Nairobi par un vol court. À la fin du xixe siècle, Kisumu était un carrefour économique important du début de la période coloniale, point de jonction entre les transports ferroviaires à caractère industriel et le commerce maritime sur le lac. Dans les années 1940, les réseaux de transport régionaux s’orientèrent vers Nairobi, même si Kisumu resta un carrefour. Après l’indépendance en 1963, Kisumu continue de s’étendre, dans la continuité de son passé colonial, en présentant une morphologie urbaine assez classique avec, d’un côté, un centre-ville au développement planifié et, de l’autre, une périphérie sous-équipée et non viabilisée.

21De son point de vue de géomètre-expert, Samson considère que le régime foncier à Kisumu reflète le fossé historique entre centre et périphérie. Pour bien comprendre la nature de l’impôt foncier dans la Kisumu de nos jours, explique-t-il, il faut repartir du régime foncier en vigueur à l’époque coloniale. Au cours des soixante premières années de son développement, Kisumu fut tour à tour un avant-poste colonial, un township, puis une municipalité. Comme d’autres villes sous le Protectorat britannique d’Afrique de l’Est, Kisumu fut marquée par un système racial de double administration. Le centre-ville était la chasse gardée des Blancs et des Asiatiques, tandis que les Africains étaient confinés dans les périphéries, des lois différentes s’appliquant selon que l’on était ici ou là. La ville coloniale de Kisumu était ainsi divisée en 16 « blocs » sur lesquels est encore basé le cadastre actuel : l’administration coloniale y avait mis en place un système de bail, toujours en vigueur dans le centre-ville. Les quartiers se trouvant en dehors des frontières officielles de la ville étaient quant à eux sous le contrôle de l’Administration provinciale, qui se basait sur un régime foncier communal [35]. Après l’indépendance, l’État kenyan a transformé ce régime foncier communal en régime de propriété libre. Le système actuel d’imposition est calqué sur ces différents régimes fonciers du passé. Le dernier cadastre de la ville, établi en 2007, distingue ainsi les propriétés dans les quartiers de la ville régis par le système de bail : les propriétés relevant de ce cadastre sont censées être imposées au taux légal de 1,5 % de la valeur du terrain [36]. Les quartiers périphériques, bien que conservant un autre système d’imposition, ont été incorporés la même année dans l’assiette fiscale de la ville.

22La circulaire No 3758 de mai 2008 a renforcé ce double système d’imposition foncière. D’un côté, il y a la « ville planifiée » où la terre est taxée sur la base de sa valeur (ad valorem). De l’autre, il y a « la périphérie », avec des terres libres, taxées sur la base d’une somme forfaitaire. La circulaire précise qu’une « somme forfaitaire de 1 000 shillings kenyans sera prélevée sur les terrains disponibles qui, sans être incorporés au cadastre officiel, sont situés dans les limites de Kisumu [37] ». Cette somme forfaitaire de 1 000 shillings kenyans (8,50 euros) a été depuis lors augmentée à 1 500 shillings (12,80 euros). De cette manière, la circulaire met en avant une exception formelle pour les zones périphériques de Kisumu : les propriétaires de terrains situés dans ces zones paient un impôt foncier forfaitaire qui est moins élevé que dans le centreville. Pareil régime est toutefois en train de se transformer : dès qu’un de ces propriétaires cède sa parcelle à un nouvel acheteur, le nouveau détenteur est tenu de payer ses impôts ad valorem.

23Les zones « libres », tout comme celles qui relèvent du système de bail, sont aujourd’hui sous la juridiction de la même autorité locale : le gouvernement du comté de Kisumu. Cela n’a pas toujours été le cas. Jusqu’à l’indépendance, le gouvernement de Kisimu ne s’exerçait que sur une zone circonscrite, conformément au Township Ordinance de 1903 qui avait fixé les limites du township à un rayon de 2,5 miles autour des bureaux de la Perception locale [38]. Ce n’est qu’en 1972 que le gouvernement kenyan supprima ces limites datant de l’ère coloniale et étendit la municipalité de Kisumu à sa périphérie urbaine [39]. C’est ainsi que la population de la ville passa d’à peu près 35 000 habitants à 130 000 [40]. La municipalité de Kisumu incorpora de vastes étendues de quartiers spontanés, une « ceinture de bidonvilles », qui constituent aujourd’hui les deux-tiers de la ville. En 2013, un nouveau système administratif a dissous la municipalité, la gestion de la ville revenant à une plus large entité à l’échelle du comté, le « département de la ville de Kisumu ». C’est de ce dernier dont dépend aujourd’hui le prélèvement des impôts locaux, impôt foncier inclus.

24En 2017, le gouvernement du comté de Kisumu a engagé le cabinet privé de Samson pour l’assister dans sa mise à jour du cadastre. Ce cabinet joue aujourd’hui un rôle central dans la gestion des revenus du comté, car du cadastre dépend la base de données à partir de laquelle le gouvernement identifie et localise la part de la population soumise à l’impôt foncier. Mais le cabinet ne fait que fournir une liste plus complète des propriétés foncières : ce que la ville fait de cette information est hors de son champ d’action. Tandis que les autorités parlent du nouveau cadastre comme de la panacée en matière de prélèvement de l’impôt foncier, Samson y voit seulement la possibilité d’un accroissement des revenus urbains issus des taxes : « [Ce] document est comme une mine », explique-t-il, mais « c’est à eux de décider ce qu’ils veulent en extraire ». L’assemblée du comté de Kisumu est au final « celle qui décidera qui taxer et à quel taux le faire », précise-t-il [41].

25Mais au-delà des distinctions issues du processus législatif formel, qui viennent de l’assemblée, les percepteurs d’impôts mettent eux-mêmes en place des exceptions informelles qui ont une influence sur la façon dont le gouvernement local accumule le revenu à partir de l’impôt sur la propriété foncière. Mary, en charge des prélèvements des impôts locaux, nous fournit une explication détaillée des défis rencontrés par la municipalité dans l’exercice des prélèvements. Elle est considérée par ses collègues comme « la référence en matière de prélèvements des impôts locaux à Kisumu » et prend cette responsabilité à cœur. Alors que son supérieur hiérarchique, le « responsable des finances », se plaint des « politiques », des « élites » et de la « corruption », Mary est plus réservée. Elle ne considère pas comme un problème le fait que les impôts locaux soient tributaires des contingences politiques, et explique faire simplement de son mieux pour prélever ce qui peut être prélevé et rester juste. Tout en prenant soin de mettre en avant l’aspect légal dans le calcul des impôts locaux – avec en particulier la différence entre somme forfaitaire et ad valorem –, elle reconnaît qu’il existe deux groupes de personnes dont il est difficile d’obtenir qu’elles s’acquittent de leurs obligations fiscales.

26En premier lieu, il y a les dirigeants d’entreprises publiques et les élites du centre-ville. Les dirigeants des entreprises publiques, tenus de verser une contribution foncière, indiquent souvent, quand elle va les voir, qu’ils n’ont pas encore reçu les financements publics auxquels ils ont droit. « Comment ces entreprises peuvent-elles payer si elles n’ont pas l’argent pour le faire ? » demande Mary. Les riches propriétaires fonciers, quant à eux, menacent fréquemment de faire appel à leurs relations politiques si les percepteurs leur réclament un versement. Quand bien même Mary et ses collègues sont convaincus que cette élite doit payer l’impôt foncier, ils ne peuvent que constater leur impuissance à faire appliquer la loi [42].

27Mais il existe un deuxième niveau sur lequel les percepteurs opèrent et justifient des exceptions informelles, au-delà de la « ville planifiée ». Dans ce que l’on a coutume d’appeler « la ceinture de bidonvilles », « les collines » ou les « zones péri-urbaines » – et à la différence de M’Bour –, les percepteurs ne justifient pas leurs exceptions informelles par la pauvreté des contribuables, mais par la carence des services publics. Il s’agit de « terrains libres » soumis aux sommes forfaitaires, conformément à la circulaire de 2007. Mais les habitants de Kisumu eux-mêmes critiquent la levée d’impôts dans ces quartiers mal desservis sur le plan des services urbains. Ceux qui habitent la périphérie font remarquer que leurs terrains n’ont été placés sous l’autorité fiscale du comté que depuis peu, comme l’explique l’un d’entre eux, résidant de longue date de Kisumu : « Pourquoi devrions-nous payer ? Nous ne sommes pas arrivés en ville, c’est la ville qui est venue nous trouver là où nous étions ! [43] ». En outre, le caractère récent du gouvernement du comté, en tant qu’autorité attitrée des zones périphériques, incite plus d’un habitant à refuser de payer l’impôt foncier, cette nouvelle administration devant prouver qu’elle est capable de fournir des services de base à des territoires qui, jusqu’alors, étaient placés en dehors de son champ de compétences.

28Samson fait un parallèle avec le quartier de Karen, à Nairobi, pour illustrer les difficultés rencontrées dans le cadre du prélèvement d’impôts locaux à Kisumu. Se référant au célèbre procès dit de la « révolte judiciaire contre l’impôt » des années 1990, Samson explique que les habitants de ce quartier « ont refusé de s’acquitter de leurs impôts jusqu’à ce qu’ils reçoivent des services adéquats de la part de la ville ; ceci a été acté en droit, et l’argent a été stocké sur un compte séparé jusqu’à ce que la ville soit en mesure de prouver qu’elle peut assurer les services en question ». Karen étant devenu depuis lors un des quartiers les plus riches de Nairobi, très en vogue parmi l’élite kenyane, ses habitants n’ont pas pu faire perdurer leur refus de payer l’impôt sur le plan légal : la ville-comté de Nairobi, au moment de son établissement en 2013, a saisi la justice avec succès pour que la situation change. Samson précise bien que la mise en place de services de base était une des conditions pour que l’impôt soit payé et que « l’on pouvait légalement prouver que les habitants étaient dans leur bon droit [44] ».

29Les arguments que les contribuables de la périphérie mal desservie de Kisumu mettent en avant pour ne pas payer l’impôt foncier jouent un rôle central dans la justification des exceptions informelles au sein même de l’administration. Un ministre du comté de Kisumu a lui-même émis ce constat sans appel :

30

« Ici au Kenya, nous pensons que tant que nous ne recevrons pas les services de base, nous ne paierons pas l’impôt local. Donc ils doivent nous donner des routes, ils doivent nous amener l’eau courante, l’électricité, et là ils pourront nous réclamer des impôts ; mais si c’est moi-même qui ai tout construit ici, à quoi bon payer des taxes ? Qu’est-ce que vous nous avez apporté ? Que nous a donné l’État ? Des routes ? Non. De l’électricité ? De l’eau courante… ? [45] ».

31Même aux yeux des percepteurs, le manque de services de base dans les parties périphériques de la ville justifie le fait de ne pas y prélever l’impôt. Mary insiste ainsi sur l’importance de mettre à la disposition des populations des marchés et des routes avant de venir leur demander de payer quoi que ce soit : « Il n’est pas possible, explique-t-elle, d’aller voir les gens en leur demandant de payer l’impôt tout en sachant pertinemment que tu ne leur as rien donné en retour. » En dépit du fait que ces quartiers font déjà l’objet d’une exemption formelle en ne payant pas le taux ad valorem, les administrateurs vont plus loin en justifiant une exception complète pour les zones dépourvues de services de base.

32Les percepteurs contournent donc la périphérie de Kisumu pour se concentrer sur les zones du centre-ville. Mais même là, ils rencontrent des problèmes pour obtenir des propriétaires terriens qu’ils paient leurs taxes. Vers la fin de l’année fiscale, Mary passe le plus clair de ses matinées à faire du porte-à-porte afin d’encourager les membres de l’élite locale et les entreprises publiques du centre-ville à se conformer à leur obligation de régler leur facture fiscale, négociant parfois des règlements partiels. Le reste du temps, elle est assise à son bureau, dans l’attente des contribuables qui arriveront à l’hôtel de ville, feront la queue devant les guichets de la Kenya Commercial Bank à disposition dans le hall d’entrée et amèneront leurs reçus à ses équipes, qui les entreront ensuite dans les bases de données digitales de la ville. Pour Mary, la patience est la seule option possible. Les services municipaux ont toutefois des moyens de contrainte indirects. Certains services, tel que le bornage d’un terrain, requiert en effet que l’impôt sur la propriété foncière soit auparavant acquitté. Comme un géomètre-expert le fait remarquer :

33

« C’est quand on a besoin de nos services que l’on peut forcer les gens à payer leurs impôts locaux. Par exemple, pour une délimitation de terrain. C’est à ce moment qu’on impose la règle qu’il faut payer ses impôts. Avant, même. Avant même de venir, votre nom doit apparaître sur la liste de ceux qui ont payé avant que nous ne commencions la procédure [46]. »

34Ainsi, pour les autorités de la ville, le prélèvement de l’impôt foncier dépend de la fourniture de services publics de base. Les percepteurs font des exceptions informelles au droit fiscal pour la plupart des propriétés situées dans la périphérie de Kisumu, mal équipée en services de base. En corollaire, ils focalisent leurs efforts sur le centre-ville, où ils prélèvent l’impôt sur la propriété foncière. Ce n’est qu’avec réticence qu’ils font des exceptions pour l’élite locale, car, à leurs yeux, elles ne sont pas justifiables. Ils se sentent contraints de s’y conformer, jusqu’à ce que les résidents, qui se rendent à l’hôtel de ville en quête de leurs services spécifiques, soient eux-mêmes contraints de régler leur facture fiscale.

Le contournement – ou l’exception informelle en tant que pratique

35Les exceptions informelles ne se limitent pas qu’au recouvrement de l’impôt foncier. Notre focus sur cet impôt est né de la volonté de contribuer à une évaluation scientifique du rôle croissant qu’a pris cet impôt dans les finances publiques des villes en Afrique. Les municipalités sont en quête de nouvelles sources de revenus pour faire face à une demande croissante en matière de services publics de base dans des villes qui s’agrandissent. Les experts en développement s’intéressent à l’impôt sur la propriété foncière et y voient un instrument de politique publique viable en Afrique [47]. De plus en plus de recommandations en matière de politique publique en appellent à une extension de ce type d’impôt sur le continent. Quant à nous, nous appelons à une attention scientifique soutenue sur les pratiques de prélèvement de cet impôt [48]. Les politiques de réforme de la fiscalité urbaine ont tendance à véhiculer l’idée très répandue selon laquelle l’impôt sur la propriété foncière serait « un bon impôt [49] », car il toucherait davantage les riches qui, par là même, financeraient la fourniture de services publics de base. Mais nos cas d’études démontrent l’inversion potentielle de cet idéal : à savoir, que si la réforme de l’impôt devait s’accompagner d’une application stricte de la loi dans ces deux villes, ce type d’imposition en toute vraisemblance retomberait lourdement sur les épaules des pauvres et des moins bien nantis. Cela démontre l’importance de mettre en place des réformes fiscales sur la base des pratiques qui existent déjà dans le répertoire des percepteurs d’impôts en contact quotidiennement avec les populations [50].

36Les administrateurs fiscaux ont développé des exceptions informelles au sein d’un monde social qu’ils ont en partage avec les contribuables. Nos interlocuteurs se sont identifiés au fait d’être eux aussi des contribuables, des citoyens, des propriétaires terriens, qui sont soumis à des contraintes similaires à celles que rencontrent les personnes qui payent les impôts.

37Thiaw, par exemple, paye une taxe supposée financer un service public qui n’existe pas dans les faits. La manière dont Seck collecte l’impôt – son « accompagnement » – traduit une certaine intimité avec les contribuables, bien éloignée de ce que serait une application impersonnelle du droit fiscal. Le fait que Samson soit convaincu de la justesse de la révolte fiscale judiciaire des années 1990 à Nairobi va de pair avec le sentiment de justice qui l’anime lorsqu’il pratique des exceptions informelles dans les zones périphériques de Kisumu, à la marge des services publics de base. Ces formes de croyances en partage contribuent à ce que les bureaucrates au contact des populations fassent et justifient des exceptions informelles au droit fiscal. Et, parfois, les autorités gouvernementales font elles-mêmes preuve de compréhension en tenant compte des conditions sociales et matérielles de leurs contribuables et créent des exceptions informelles adaptées à ce contexte [51]. Ce serait aller au-delà des intentions de cet article que de mettre en avant les ressorts des univers normatifs au sein desquels de telles justifications trouvent leur raison d’être, que ce soit dans le fait de comprendre les obligations sociales des pauvres au Sénégal ou de développer une réflexion historique sur le manque de services publics de base au Kenya. Mais, sans tenir compte du fond des intentions des percepteurs, nos études de cas n’en montrent pas moins les effets potentiellement positifs de leurs pratiques : ces agents de l’État en contact direct avec les populations font des exceptions informelles à la loi, au bénéfice des plus pauvres et des laissés-pour-compte des services publics de base.

38Quand Bhan parle de « pratiques urbaines du Sud », il adopte la perspective de la majorité des citadins marginalisés. Il met en avant « certaines des pratiques, dans les villes du Sud, qui ne sont ni reconnues, ni valorisées à leur juste valeur, précisément à cause de leur éloignement des secteurs formels et des domaines professionnels, autant que des registres formels du droit et de la planification [52] ». Mais dans certains cas, c’est l’État lui-même qui adopte ces pratiques, par exemple celle qui consiste à « bloquer, interrompre, ralentir, faire dérailler, ou défaire des projets spécifiques, des plans et des politiques [53] ». Selon Bhan, pareilles pratiques de « ralentissement » est le fait de populations qui résistent aux développeurs des territoires urbains, alors que notre étude montre que les bureaucraties fiscales peuvent elles aussi les organiser. Les échéanciers de Thiaw constituent ainsi une manière de ralentir le processus bureaucratique, de façon à ménager les besoins des contribuables perçus comme étant pauvres. Ce ralentissement n’est pas mis en œuvre en opposition à une intervention de l’État, mais en constitue une partie intégrante. Par cette pratique informelle, Thiaw est mieux à même de se situer dans l’esprit du droit fiscal local au Sénégal qui veut que les autorités locales aient le droit de prélever l’impôt, mais que les habitants pauvres aient en même temps droit à des exceptions.

39En guise de conclusion, nous reviendrons d’une part sur l’ambivalence politique de l’exception, et d’autre part sur son potentiel sur le plan pratique. Tout en voyant dans les exceptions des éléments qui consacrent le règne de l’exclusion et de la domination de l’État, Roy incite les planificateurs à voir à quel point elles peuvent aussi contribuer à atténuer la vulnérabilité des pauvres [54]. Alisha Holland se focalise sur la pratique de la dispense (forebearance), définie comme « l’acceptation intentionnelle et révocable des manquements à la loi [55] ». Elle explique que la dispense est une forme de politique progressiste et redistributive en Amérique latine, utilisée par les politiques pour renforcer leur soutien populaire et électoral. Encore une fois, ce serait aller au-delà des intentions de cet article que de préjuger des intentions politiques ou progressistes des percepteurs d’impôts locaux. Mais l’argument de Holland met en lumière l’idée que les exceptions, souvent perçues comme étant des signes de « faiblesse » ou d’« absence » de l’État (en particulier au niveau de la collecte de l’impôt), peuvent parfois concourir à rendre cet impôt plus progressif.

40C’est précisément le cas des pratiques de contournement. Certes, le contournement des infrastructures va de pair avec une segmentation de l’espace urbain qui fait que les réseaux d’infrastructures ne sont pas fournis de façon universelle par l’État, mais de façon sélective par des entreprises privées et publiques pour le bénéfice des membres de l’élite urbaine [56]. Cette segmentation a longtemps été considérée comme une caractéristique essentielle des infrastructures dans le Sud [57], « une exception, un remplacement, une fragmentation [58] », grâce auxquels les élites dirigeantes contournent les attentes exprimées par la majorité marginalisée des villes. Or, à Kisumu comme à M’Bour, le contournement génère des aspects positifs sur le plan politique.

41Le paysage urbain de Kisumu constitue ainsi un exemple patent de contournement postcolonial, caractérisé par une inégalité entre un centre-ville bien équipée en services de base et une périphérie qui en est dépourvue. La mise en œuvre de ces services dans le centre-ville résulte d’une configuration complexe entre gouvernement du comté, agents municipaux et acteurs privés, au point qu’il n’ait pas toujours aisé pour les habitants d’en attribuer la responsabilité. Mais ce ne sont pas moins les services de la ville qui prélèvent l’impôt sur la propriété foncière, qu’agents et contribuables justifient en termes de financement des services de base locaux. Et cette justification ne peut s’exercer au-delà du centre-ville, dans les zones périphériques elles-mêmes contournées par les services de base. Mais devant cette inégalité inscrite dans l’espace urbain, les percepteurs ont créé leurs propres formes de contournement : ils ne prélèvent pas l’impôt dans les secteurs de la ville dépourvus en routes, en électricité et en marchés publics à ciel ouvert. Certes, ces exceptions informelles sont susceptibles de dissuader le conseil municipal de mettre en place ces services de manière effective dans les périphéries. Mais ils ont aussi pour avantage de focaliser la collecte de l’impôt sur les endroits de la ville où la spéculation immobilière et le développement urbain accroissent la circulation de la masse monétaire.

42De même, à M’Bour, en suivant Monsieur Seck dans sa tournée de distribution d’avertissements, nous avons vu des marchés populaires, des échoppes transformées en habitations et de vastes étendues de zones résidentielles en construction, qui sont parmi les marques visibles d’un Sénégal populaire et urbain. Presque tous les jours, Seck, lui-même résident d’un quartier populaire, « contournait » ces quartiers et allait prélever l’impôt chez les riches. Pareil « contournement » constitue la forme pratique d’une exception informelle. C’est une pratique par laquelle des fonctionnaires et des institutions évitent à dessein de procéder à des tâches officielles du service public dans des zones précises du paysage urbain. Contrairement à ce que décrit Bhan dans les villes du Sud, il ne s’agit pas ici d’une forme de pratique sous-évaluée mise en œuvre par la majorité urbaine marginalisée. Le contournement se rapproche au contraire des habitudes bureaucratiques formelles et constitue un aspect fondamental de l’exercice du pouvoir de l’État.

43Le contournement est donc une pratique spatiale, mais il est aussi un mode de régulation économique. Bien que les percepteurs d’impôts soient d’abord mus par des considérations pragmatiques, leurs pratiques ont pour effet de déterminer où et chez qui les impôts sont prélevés. Dans ce sens, la perception des taxes invite à explorer la manière dont les bureaucrates incarnent, tout en la transformant, l’autorité fiscale sur le terrain. Les contournements à l’œuvre à M’Bour et à Kisumu entretiennent en effet un rapport complexe avec le pouvoir étatique : tout en régulant la fiscalité mise en place par les pouvoirs publics, ils en reconfigurent les normes bureaucratiques ; en mettant en évidence qu’il est possible de laisser passer des impôts, ils mettent aussi en lumière ceux qui sont effectivement collectés. Ils témoignent de la sorte des capacités créatives de prélèvement chez ces agents de l’État, malgré la faiblesse de leurs moyens techniques et financiers. Dans les quartiers riches et bien équipés, les administrateurs fiscaux sont ainsi amenés à cajoler, parfois à mettre sous pression, les résidents afin qu’ils s’acquittent de l’impôt. La pratique d’« accompagnement » chère à Seck se traduit ainsi par des rencontres cordiales et intimes avec les résidents riches, mais il s’agit là d’une stratégie pour gagner leur consentement. Mary, quant à elle, agit de façon encore plus explicite, puisqu’elle prélève l’impôt sur les résidents du centre-ville de Kisumu qui viennent à l’hôtel de ville en quête de services, en échange de leurs versements. Le contournement, au final, fait plus que contourner : il met en relation les services financiers de la municipalité avec les zones de la ville où le prélèvement de l’impôt apparaît, du point de vue de l’opinion publique comme de celui des agents de l’État, comme le plus légitime. C’est une adaptation bureaucratique d’ordre pragmatique qui peut avoir des effets positifs en termes de redistribution. Cela montre toute l’ambivalence politique de la notion de contournement, ainsi que son potentiel. Cela met aussi en lumière, selon nous, l’importance des diverses pratiques de prélèvement de l’impôt dans la régulation et la reconfiguration de l’autorité fiscale au sein des États modernes.

Notes

  • [1]
    Merci à Agathe Menetrier et à Ananya Roy pour leurs conseils avisés sur les premières versions de cet article. Nous remercions également les relecteurs anonymes pour leur intelligente confrontation à notre argument principal, ainsi que pour leurs encouragements. Cette recherche a reçu le soutien financier de l’African Property Tax Initiative, ainsi que de Mistra Urban Futures.
  • [2]
    C. Tilly, Coercion, Capital, and European States, AD 990-1992, Oxford, Wiley-Blackwell, 1992.
  • [3]
    J. Roitman, Fiscal Disobedience : An Anthropology of Economic Regulation in Central Africa, Princeton, Princeton University Press, 2005.
  • [4]
    J.-M.Muñoz, « Business Visibility and Taxation in Northern Cameroon », African Studies Review, vol. 53, n° 2, 2010, p. 150.
  • [5]
    K. Meagher, « Taxing Times : Taxation, Divided Societies and the Informal Economy in Northern Nigeria », The Journal of Development Studies, vol. 54, n° 1, 2018, p. 1-17.
  • [6]
    J.-P. Olivier de Sardan, « The Bureaucratic Mode of Governance and Practical Norms in West Africa and Beyond », in M. Bouziane, C. Harders et A. Hoffman (dir.), Local Politics and Contemporary Transformations in the Arab World, Londres, Palgrave MacMillan, 2013, p. 43-64.
  • [7]
    M. Piracha et M. Moore, « Revenue-Maximising or Revenue-Sacrificing Government ? Property Tax in Pakistan », The Journal of Development Studies, vol. 52, n° 12, 2016, p. 1776-1790.
  • [8]
    M. Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France. 1977-1978, Paris, EHESS/ Gallimard/Seuil, 2004 ; M. Valverde, « Jurisdiction and Scale : Legal “Technicalities” as Resources for Theory », Social & Legal Studies, vol. 18, n° 2, 2009, p. 139-157.
  • [9]
    M. Lipsky, Street-Level Bureaucracy : Dilemmas of the Individual in Public Services, New York, Russell Sage Foundation, 2010.
  • [10]
    J. Robinson, « Cities in a World of Cities : The Comparative Gesture », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 35, n° 1, 2010, p. 1-23 ; T. Caldeira, « Peripheral Urbanization : Autoconstruction, Transversal Logics, and Politics in Cities of the Global South », Environment and Planning D : Society and Space, vol. 35, n° 1, 2017, p. 3-20 ; R. K. Yin, Case Study Research : Design and Methods, Londres, Sage Publications, 2013.
  • [11]
    H. Moore, « Global Anxieties : Concept-Metaphors and Pre-Theoretical Commitments in Anthropology », Anthropological Theory, vol. 4, n° 1, 2004, p. 61-88 ; M. L. Small « How many Cases Do I Need ? On Science and the Logic of Case Selection in Field-Based Research », Ethnography, vol. 10, n° 1, 2009, p. 5-38.
  • [12]
    C. Bénit-Gbaffou, « Unpacking State Practices in City-Making, in Conversations with Ananya Roy », The Journal of Development Studies, vol. 54, n° 12, 2018, p. 2139-2148.
  • [13]
    République du Sénégal, Loi No. 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des collectivités locales, Dakar, République du Sénégal, 2013.
  • [14]
    Pour une formulation classique de ces facultés discrétionnaires, voir M. Lipsky, Street-Level Bureaucracy…, op. cit.
  • [15]
    A. Roy, « Urban Informality : Toward an Epistemology of Planning », Journal of the American Planning Association, vol. 71, n° 2, 2005, p. 147-158.
  • [16]
    Ibid., p. 149.
  • [17]
    G. Agamben, State of Exception, Chicago, The University of Chicago Press, 2005.
  • [18]
    A. Ghertner, « When is the State ? Topology, Temporality, and the Navigation of Everyday State Space in Delhi », Annals of the American Association of Geographers, vol. 107, n° 3, 2017, p. 731-750 ; G. Bhan, In the Public’s Interest : Evictions, Citizenship, and Inequality in Contemporary Delhi, Athens, University of Georgia Press, 2016.
  • [19]
    G. Bhan, Notes on a Southern Urban Practice, manuscrit non publié, 2018.
  • [20]
    Ibid., p. 8.
  • [21]
    J.-P. Olivier de Sardan, « The Bureaucratic Mode of Governance… », art. cité, p. 52.
  • [22]
    Ibid., p. 51.
  • [23]
    J. Roitman, Fiscal Disobedience…, op. cit. ; J. Roitman, « The Politics of Informal Markets in Sub-Saharan Africa », The Journal of Modern African Studies, vol. 28, n° 4, 1990, p. 671-696.
  • [24]
    J.-P. Olivier de Sardan, « The Bureaucratic Mode of Governance… », art. cité, p. 51.
  • [25]
    M. Hull, « Documents and Bureaucracy », Annual Review of Anthropology, vol. 41, 2017, p. 251-267.
  • [26]
    T. Bierschenck, « Sedimentation, Fragmentation, and Normative Double-Binds in (West) African Public Services », in J.-P. Olivier de Sardan et T. Bierschenck (dir.), States at Work : Dynamics of African Bureaucracies, Leiden, Brill, 2014, p. 221-248.
  • [27]
    S. J. Collier, « Topologies of Power : Foucault’s Analysis of Political Government beyond “Governmentality” », Theory, Culture & Society, vol. 26, n° 6, 2009, p. 78-108.
  • [28]
    Tous les noms des informateurs ont été changés sauf indication contraire.
  • [29]
    Carnet de terrain, M’Bour, 9 janvier 2018.
  • [30]
    Entretien avec M. Thiaw, administrateur fiscal, M’Bour, 12 juin 2017.
  • [31]
    Entretien avec M. Mbodj, secrétaire municipale, Malicounda, 7 décembre 2017.
  • [32]
    Entretien avec M. Thiaw, administrateur fiscal, M’Bour, 12 juin 2017.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    L. R. Cirolia et J. C.Mizes, « Property Tax in African Secondary Cities : Insights from the Cases of Kisumu (Kenya) and M’Bour (Senegal) », International Center for Tax and Development Working Paper Series, à paraître.
  • [35]
    G. Anyumba, « Kisumu Town : History of the Built Form, Planning and Environment, 1890-1990 », OTB Research Institute for Policy Science and Technology, 1995.
  • [36]
    Kisumu County Government, « Kisumu County Finance Bill » [en ligne], 2017, <https://www.kisumu.go.ke/download/56>, consulté le 23 décembre 2018.
  • [37]
    The Kenya Gazette, vol. 110, n° 37, 2008, p. 1060.
  • [38]
    R. Home, « Colonial Township Laws and Urban Governance in Kenya », Journal of African Law, vol. 56, n° 2, 2012, p. 175.
  • [39]
    P. Syagga, A Study of the Management of Local Authority Housing Estates in Kenya with Special Reference to Mombasa, Kisumu and Thika Municipal Councils, Thèse de master en développement agraire, Nairobi, Université de Nairobi, 1979.
  • [40]
    G. Anyumba, « Kisumu Town… », art. cité.
  • [41]
    Entretien avec Samson, consultant en planification urbaine, Kisumu, 27 avril 2017.
  • [42]
    Entretien avec Mary, agente de la Direction de la perception de la taxe foncière à la municipalité de Kisumu, Kisumu, 15 novembre 2017.
  • [43]
    Entretien avec Stephen, habitant de la périphérie de Kisimu, Kisumu, 26 avril 2017.
  • [44]
    Entretien avec Samson, consultant en planification urbaine, Kisumu, 27 avril, 2017.
  • [45]
    Entretien avec Hanif Rana, ministre des Routes, des transports et des travaux publics du gouvernement du comté de Kisumu, 23 avril 2017.
  • [46]
    Entretien avec Solomon Mwongo, agent du département de l’aménagement territorial au gouvernement du comté de Kisumu, Kisumu, 20 juin 2017.
  • [47]
    T. Paulais, Financer les villes d’Afrique : l’enjeu de l’investissement local, Paris, Pearson Education, 2012.
  • [48]
    Sur cette généralisation à « l’Afrique », voir J. Ferguson, Global Shadows : Africa in the Neoliberal World Order, Durham, Duke University Press, 2006.
  • [49]
    J. Youngman, A “Good Tax” : Legal and Policy Issues for the Property Tax in the United States, Cambridge, Lincoln Institute of Land Policy, 2016.
  • [50]
    L. R. Cirolia et J. C. Mizes, « Property Tax in African Secondary Cities… », art. cité.
  • [51]
    Pour une discussion de cette notion de compréhension (sympathy), voir C. Fennell, « The Museum of Resilience : Raising a Sympathetic Public in Postwelfare Chicago », Cultural Anthropology, vol. 27, n° 4, 2012, p. 641-666.
  • [52]
    G. Bhan, Notes on a Southern Urban Practice, op. cit., p. 17.
  • [53]
    Ibid., p. 15.
  • [54]
    A. Roy, « Urban Informality… », art. cité.
  • [55]
    A. C. Holland, « Forebearance », American Political Science Review, vol. 110, n° 2, 2016, p. 233.
  • [56]
    S. Graham et S.Marvin, Splintering Urbanism : Networked Infrastructures, Technological Mobilities, and the Urban Condition, Londres/New York, Routledge, 2001.
  • [57]
    O. Coutard, « Placing Splintering Urbanism : Introduction », Geoforum, vol. 39, n° 6, 2008, p. 1815-1820.
  • [58]
    G. Bhan, Notes on a Southern Urban Practice, op. cit., p. 15.
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