Couverture de POLAF_151

Article de revue

L’agro-business au village. La notion d’accaparement de terres à l’épreuve du cas ivoirien

Pages 155 à 177

Notes

  • [1]
    Je souhaite remercier très vivement Jean-Pierre Chauveau pour ses encouragements amicaux et la générosité avec laquelle il a toujours partagé son savoir. Je remercie également Gabin Tarrouth et Oscar Toukpo pour leur aide précieuse sur le terrain, ainsi que Mathilde Allain pour notre collaboration sur des sujets proches. Je remercie enfin les lecteurs anonymes pour leurs commentaires qui m’ont grandement aidé à préciser mon propos.
  • [2]
    J.-P. Colin et H. G. Tarrouth, « Les élites urbaines comme nouveaux acteurs du marché foncier en Côte d’Ivoire », Géographie, économie, société, vol. 19, n° 3, 2017, p. 331-355 ; H. G. Tarrouth et J.-P. Colin, « Les acquisitions de terres rurales par les “cadres” en Côte d’Ivoire : premiers enseignements », Cahiers Agricultures, vol. 25, n° 1, 2016, 15005.
  • [3]
    J.-P. Chauveau, « À l’ombre des acquisitions foncières par des intérêts étrangers… les enjeux nationaux de l’appropriation foncière » [en ligne], Transcontinentales. Sociétés, idéologies, système mondial, n° 10-11, 2011, <https://journals.openedition.org/transcontinentales/1140>, consulté le 13 décembre 2018.
  • [4]
    Cette limitation est cependant relative, comme le montrera la suite du texte, car l’accès à la terre par des acteurs transnationaux peut se faire par le biais de la concession ou du bail sur des terres publiques et par des contrats entre propriétaires villageois et firmes.
  • [5]
    Sur les ambiguïtés de la « relance », voir notamment F. Akindès, « “On ne mange pas les ponts et le goudron” : les sentiers sinueux d’une sortie de crise en Côte d’Ivoire », Politique africaine, n° 148, 2017, p. 5-26.
  • [6]
    R. Hall, M. Edelman, S. M. Borras Jr., I. Scoones, B. White et W. Wolford, « Resistance, Acquiescence or Incorporation ? An Introduction to Land Grabbing and Political Reactions “from Below” », The Journal of Peasant Studies, vol. 42, n° 3-4, 2015, p. 467-488 ; M. Kaag et A. Zoomers (dir.), The Global Land Grab : Beyond the Hype, Londres, Zed Books, 2014.
  • [7]
    J.-F. Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, n° 5, 1999, p. 97-120.
  • [8]
    À l’exception notable en France des travaux de Sina Schlimmer. Voir, par exemple, S. Schlimmer « Accaparement des terres ou investissements agricoles bénéfiques ? La réappropriation politique d’un problème public international en Tanzanie », Gouvernement et action publique, vol. 7, n° 2, 2018, p. 31-52.
  • [9]
    W. Wolford, S. M. Borras Jr., R. Hall, I. Scoones et B. White, « Governing Global Land Deals : The Role of the State in the Rush for Land », Development and Change, vol. 44, n° 2, 2013, p. 189-210.
  • [10]
    R. Hall et al., « Resistance, Acquiescence or Incorporation… », art cité.
  • [11]
    S. Schlimmer, « Talking “Land Grabs” is Talking Politics : Land as Politicised Rhetoric during Tanzania’s 2015 Elections », Journal of Eastern African Studies, vol. 12, n° 1, 2018, p. 83-101.
  • [12]
    A. Smith et C. Hay (dir.), Dictionnaire d’économie politique. Capitalisme, institutions, pouvoir, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.
  • [13]
    G. Chouquer, La terre dans le monde romain : anthropologie, droit, géographie, Paris, Éditions Errance, 2010.
  • [14]
    J. C. Weaver, The Great Land Rush and the Making of the Modern World, 1650-1900, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2006.
  • [15]
    C. Oya, « Methodological Reflections on “Land Grab” Databases and the “Land Grab” Literature “Rush” », The Journal of Peasant Studies, vol. 40, n° 3, 2013, p. 503-520 ; M. Boche, Contrôle du foncier, agricultures d’entreprise et restructurations agraires : une perspective critique des investissements fonciers à grande échelle. Le cas de la partie centrale du Mozambique, Thèse de doctorat, Université Paris Sud, 2014.
  • [16]
    M. Kaag et A. Zoomers (dir.), The Global Land Grab…, op. cit.
  • [17]
    Ceci est largement inspiré de la définition de la globalisation par Jean-François Bayart comme un « régime spécifique de pouvoir et d’accumulation » qui « est d’abord un changement d’échelle, dans le temps et dans l’espace ». J.-F. Bayart, Le gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004, p. 28.
  • [18]
    Selon l’expression de J. Gerring, « Is There a (Viable) Crucial-Case Method ? », Comparative Political Studies, vol. 40, n° 3, 2007, p. 231-253.
  • [19]
    P. Burnod, M. Gingembre et R. Andrianirina Ratsialonana, « Competition over Authority and Access : International Land Deals in Madagascar », Development and Change, vol. 44, n° 2, 2013, p. 357-379.
  • [20]
    G. Millar, « Investing in Peace : Foreign Direct Investment as Economic Restoration in Sierra Leone ? », Third World Quarterly, vol. 36, n° 9, 2015, p. 1700-1716.
  • [21]
    La question de la taille comme critère est discutée, sans pour autant fournir de proposition méthodologique concrète, par L. Cotula, The Great African Land Grab ? Agricultural Investments and the Global Food System, Londres/New York, Zed Books, 2013.
  • [22]
    S. Schlimmer, « Accaparement des terres ou investissements agricoles bénéfiques… », art. cité.
  • [23]
    W. Anseeuw, J. Lay, P. Messerli, M. Giger et M. Taylor, « Creating a Public Tool to Assess and Promote Transparency in Global Land Deals : The Experience of the Land Matrix », The Journal of Peasant Studies, vol. 40, n° 3, 2013, p. 521-530.
  • [24]
    Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement est un établissement public français.
  • [25]
    Le German Institute for Global and Area Studies est une fondation privée allemande à but non lucratif.
  • [26]
    C. Oya, « Methodological Reflections on “Land Grab” Databases… », art. cité.
  • [27]
    La Via Campesina est un réseau mondial d’organisations paysannes défendant une alternative au modèle agro-industriel. Le Transnational Institute est un think tank engagé dans la diffusion des idées altermondialistes et de défense de l’environnement.
  • [28]
    M. Edelman, « Messy Hectares : Questions about the Epistemology of Land Grabbing Data », The Journal of Peasant Studies, vol. 40, n° 3, 2013, p. 485-501.
  • [29]
    N. McKeon, « “One Does not Sell the Land upon which the People Walk” : Land Grabbing, Transnational Rural Social Movements, and Global Governance », Globalizations, vol. 10, n° 1, 2013, p. 105-122. Voir aussi les travaux de Delphine Thivet, notamment D. Thivet, « Défense et promotion des “droits des paysans” aux Nations unies : une appropriation oblique de l’advocacy par La Via Campesina », Critique internationale, n° 67, 2015, p. 67.
  • [30]
    C. Rosin, P. Stock et H. Campbell (dir.), Food Systems Failure : The Global Food Crisis and the Future of Agriculture, Londres, Routledge, 2011.
  • [31]
    E. B. Kapstein, « Governing the Global Land Grab », Global Policy, vol. 9, n° 2, 2018, p. 173-183.
  • [32]
    FAO, Ifad, Cnuced et Banque mondiale, « Principles for Responsible Agricultural Investment that Respects Rights, Livelihoods and Resources. A Discussion Note Prepared to Contribute to an Ongoing Global Dialogue », 2010.
  • [33]
    Cité par S. Borras Jr. et J. Franco, « From Threat to Opportunity ? Problems with the Idea of a “Code of Conduct” for Land- Grabbing », Yale Human Rights and Development Law Journal, vol. 13, n° 2, 2014, p. 507-522.
  • [34]
    J. Brem-Wilson, « La Vía Campesina and the UN Committee on World Food Security : Affected Publics and Institutional Dynamics in the Nascent Transnational Public Sphere », Review of International Studies, vol. 43, n° 2, 2017, p. 302-329.
  • [35]
    N. McKeon, « “One Does not Sell the Land upon which the People Walk”… », art. cité ; J. Duncan et D. Barling, « Renewal through Participation in Global Food Security Governance : Implementing the International Food Security and Nutrition Civil Society Mechanism to the Committee on World Food Security », International Journal of the Sociology of Agriculture and Food, vol. 19, n° 2, 2012, p. 143-161.
  • [36]
    En référence aux travaux classiques sur la construction des problèmes publics, par exemple M. Spector et J. I. Kitsuse, Constructing Social Problems, New Brunswick, Transaction Publishers, 1987. Sur la place de l’international dans cette approche, voir T. Bartley, « How Foundations Shape Social Movements : The Construction of an Organizational Field and the Rise of Forest Certification », Social Problems, vol. 54, n° 3, 2007, p. 229-255.
  • [37]
    Sur la transnationalisation des mouvements sociaux, voir notamment S. Tarrow, The New Transnational Activism, New York, Cambridge University Press, 2005 ; J. Siméant, « La transnationalisation de l’action collective », in O. Fillieule, É. Agrikoliansky et I. Sommier (dir.), Penser les mouvements sociaux : conflits sociaux et contestation dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, 2010, p. 121-144.
  • [38]
    L’approche adoptée ici s’inspire de J.-G. Contamin, « Cadrages et luttes de sens », in O. Fillieule et al. (dir.), Penser les mouvements sociaux…, op. cit., p. 55-75 ; L. Mathieu, « Rapport au politique, dimensions cognitives et perspectives pragmatiques dans l’analyse des mouvements sociaux », Revue française de science politique, vol. 52, n° 1, 2002, p. 75-100.
  • [39]
    J.-L. Briquet et F. Sawicki, « L’analyse localisée du politique », Politix, vol. 2, n° 7-8, 1989, p. 6-16.
  • [40]
    J. Lagroye, « De l’objet local à l’horizon local des pratiques », in A.Mabileau (dir.), À la recherche du local, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 132-166.
  • [41]
    J.-L. Briquet et F. Sawicki, « L’analyse localisée du politique », art. cité.
  • [42]
    Pour une analyse de la marginalisation de cette région dans le processus de formation de l’État ivoirien, voir les travaux d’Armando Cutolo, notamment la présentation du panel « Terroirs historiques », in Xe rencontre européenne d’analyse des sociétés politiques, « Gouverner l’Afrique saharo-sahélienne », Paris, Fasopo, 9 février 2018.
  • [43]
    IDEF, Eburnie Today, JVE Côte d’Ivoire et Grain, Conflit foncier en Côte d’Ivoire : les communautés se défendent face à SIAT et à l’État, rapport, IDEF/Eburnie Today/JVE Côte d’Ivoire/Grain, décembre 2017.
  • [44]
    Comme des nombreuses autres entreprises publiques, la SOGB est privatisée en 1994. Les concessions de terres sont ainsi transmises à des acteurs transnationaux, ce qui fait évoluer la représentation que les habitants se font de leurs possibilités de mobilisation.
  • [45]
    Sur l’histoire de cette exploitation, voir A. N. Aboli, J. G. Ibo, M. Konan Séverin et H. G. Tarrouth, « Installation des complexes agro-industriels et rapports conflictuels en Côte d’Ivoire, cas de la SOGB à Grand Béréby dans le Sud-Ouest », Kasa Bya Kasa. Revue ivoirienne d’anthropologie et sociologie, n° 35, 2017, p. 179-197.
  • [46]
    Sur une région différente de l’Ouest forestier, mais présentant des caractéristiques similaires dans les processus de « retour à la terre », voir L. Montaz, « Jeunesse et autochtonie en zone forestière ivoirienne. Le retour à la terre des jeunes Bété dans la région de Gagnoa », Cahiers du Pôle foncier, n° 9, 2015.
  • [47]
    Entretien avec un cadre supérieur à la direction du foncier rural, Abidjan, mars 2017.
  • [48]
    Dekel Oil, « Consolidated Financial Statements as of 31 December 2017 » [en ligne], <http://www.dekeloil.com/ul/DekelOil%20consolidated%20financial%20statements%2031_12_2017%20v11%20clean.pdf>, consulté le 14 décembre 2018.
  • [49]
    Copagen, Touche pas à ma terre, c’est ma vie !, Abidjan, Copagen, 2015.
  • [50]
    F. Purseigle et G. Chouquer, « Les territoires saisis par la firme », Études rurales, n° 191, 2013, p. 9-18.
  • [51]
    S. J. Martin et J. Clapp, « Finance for Agriculture or Agriculture for Finance ? », Journal of Agrarian Change, vol. 15, n° 4, 2015, p. 549-559.
  • [52]
    S. Daniel, « Situating Private Equity Capital in the Land Grab Debate », The Journal of Peasant Studies, vol. 39, n° 3-4, 2012, p. 703-729.
  • [53]
    J. Clapp et E. Helleiner, « Troubled Futures ? The Global Food Crisis and the Politics of Agricultural Derivatives Regulation », Review of International Political Economy, vol. 19, n° 2, 2012, p. 181-207.
  • [54]
    N. L. Peluso et C. Lund, « New Frontiers of Land Control : Introduction », The Journal of Peasant Studies, vol. 38, n° 4, 2011, p. 667-681.
  • [55]
    Voir notamment G. Chouquer, Terres porteuses : entre faim de terres et appétit d’espace, Paris/Arles, Éditions Errance/Actes Sud, 2012.
  • [56]
    Ces contrats posent de multiples problèmes, entre autres dus au fait que les autorités villageoises n’ont généralement pas l’autorité sociale pour les signer.
  • [57]
    Mesures réalisées par l’auteur sur la base de tracés GPS établis sur place en mars 2017.
  • [58]
    Voir la critique de ce discours par S. Schlimmer, Construire l’État par les politiques foncières : la négociation des transactions foncières en Tanzanie, Thèse de doctorat, Bordeaux, IEP de Bordeaux, 2017, p. 111 et suiv.
  • [59]
    L’histoire de cette localité a été étudiée par M. Soro, Dynamiques des systèmes de production, droits fonciers et gestion intrafamiliale de la terre chez les migrants sénoufo dans le Sanwi, Thèse de doctorat, Abidjan, Université Félix-Houphouët-Boigny, 2009.
  • [60]
    Archives consultées auprès de la Direction départementale de l’agriculture, Aboisso, mars 2017.
  • [61]
    Entretien avec A., petit producteur, Ayénouan, décembre 2016.
  • [62]
    Entretien avec B., petit producteur, Ayénouan, décembre 2016.
  • [63]
    Ibid.
  • [64]
    À ce sujet, voir par exemple J.-P. Chauveau, « À l’ombre des acquisitions foncières… », art. cité.

1En janvier 2017, lors de l’affaire dite « des agrobusiness », le gouvernement ivoirien a annoncé le gel des avoirs de vingt-sept entreprises qui promettaient à leurs souscripteurs des gains faramineux dans des investissements agricoles [1]. En quelques jours, les nombreux panneaux alléchants, avec des slogans tels que « qui sème l’hévéa récolte des millions », ont été enlevés des avenues d’Abidjan.

2Bien que ces investissements s’avèrent n’être que des classiques pyramides de Ponzi, cette affaire est symptomatique de l’engouement d’une partie des classes moyennes et supérieures ivoiriennes pour les investissements agricoles [2]. Dans un pays où la formation de la société et de l’État est étroitement liée à l’insertion dans les réseaux mondiaux du capitalisme agraire, c’est souvent vers les campagnes que l’on se tourne lorsqu’on veut se créer une clientèle d’affidés, mais aussi plus prosaïquement s’assurer une retraite plus confortable, faire fructifier son épargne ou compléter ses revenus salariaux [3]. Les entreprises agro-industrielles et les responsables gouvernementaux participent également à cette ruée vers les terres, comme en témoignent les projets de production agricole à grande échelle. L’ouverture de l’agriculture aux investissements directs étrangers (IDE), bien que limitée par une législation qui réserve la propriété de la terre aux personnes physiques de nationalité ivoirienne [4], ne correspond pas moins aux ambitions de relance de l’économie après la période de crise armée que le pays a vécue durant la première décennie du xxie siècle [5].

3Depuis 2008, des expressions telles que « ruée vers les terres » (land rush) et « accaparement de terres » (land grabbing) ont été utilisées à l’échelle globale par des acteurs contestataires [6] – mouvements sociaux, ONG, intellectuels – pour évoquer les transformations profondes du capitalisme agraire. Bien que l’on puisse s’interroger sur la réelle nouveauté de ces phénomènes, force est de constater que l’agriculture de firme transforme actuellement les rapports de travail, les hiérarchies sociales et les formes d’ancrage local de l’État dans de nombreux pays du monde. Si l’Afrique ne détient pas le monopole de ces transformations, celles-ci y revêtent une acuité particulière, notamment en raison de l’importance historique de la maîtrise des flux transnationaux pour la formation des États du continent [7].

4Ces problématiques ont été étudiées du point de vue de la sociologie rurale, qui s’interroge sur les effets des transformations économiques sur les stratifications sociales, ou de l’économie politique, qui se questionne sur la relation entre États africains et firmes agro-industrielles. Elles ont été beaucoup plus rarement explorées du point de vue de la science politique, qui possède pourtant les outils pour réfléchir à l’impact de ces acteurs sur la structuration de l’autorité publique [8].

5Pourtant, ces débats posent des questions fondamentales pour la science politique. On peut notamment mentionner des travaux portant sur les efforts des États pour attirer des investisseurs [9], sur l’action collective dans des zones touchées par ces acquisitions [10] ou encore sur leur publicisation dans le cadre de débats électoraux [11]. Il est de surcroît utile de réfléchir à ces questions dans un contexte où il existe un intérêt grandissant pour les questions économiques en science politique en France, dont témoignent par exemple les travaux de deux groupes successifs à l’Association française de science politique et l’édition d’un dictionnaire d’économie politique dirigé par deux politistes [12].

6Les difficultés posées par ce débat sont cependant nombreuses. D’une part, l’expression désigne un phénomène qui a apparemment toujours existé, en passant par le monde romain [13] et évidemment par le moment colonial [14]. D’autre part, elle a fonctionné ces dernières années comme un « label » pour diverses mobilisations bénéficiant d’une certaine attention scientifique, politique et médiatique, conduisant certains chercheurs à qualifier de « land grabbing » des phénomènes qu’ils auraient nommés autrement dans un contexte différent [15]. L’expression est une catégorie certainement controversée, récusée par une partie des milieux de l’aide au développement ou perçue comme partisane [16].

7Cette contribution propose une redéfinition des termes du débat. Elle affirme que les transactions foncières doivent être replacées dans les relations de pouvoir qu’elles transforment et qui à leur tour les déterminent. Ainsi, elle reformule le débat sur l’accaparement foncier dans les termes d’un double changement d’échelle de ces relations de pouvoir : changement d’échelle dans la contestation et dans le gouvernement du foncier. Ce changement d’échelle doit être compris comme une création de nouvelles chaînes d’interdépendance [17] qui relient des zones rurales qui font l’objet de convoitises agroindustrielles à des espaces transnationaux de circulation de capitaux, mais aussi à des arènes transnationales où émergent des problèmes publics et des causes mobilisatrices. Cette transformation n’est cependant pas assimilable à une prise de contrôle par des acteurs externes, mais doit au contraire se comprendre comme un processus de circulation et de réappropriation de ressources qui pèsent sur l’accès à la terre.

8Le cas ivoirien permet d’illustrer ces idées. Il s’agit d’un cas « limite », que l’on pourrait qualifier de « pathway case[18] » dans la mesure où il présente une combinaison assez singulière de facteurs. D’une part, un ancrage très fort dans les circuits internationaux du capitalisme agraire, et ce au moins dès l’époque coloniale. Ce trait est d’autant plus pertinent que l’actuel gouvernement a fait du modèle agro-exportateur l’un des vecteurs principaux de la relance économique post-conflit et de « l’émergence ». D’autre part, la densité de la population rurale dans le Sud forestier, la très forte politisation de la question foncière et le modèle d’occupation du territoire rendent difficile l’établissement de très grandes concessions agro-industrielles. Elles existent bien sûr, mais jouent un rôle moins prépondérant que dans des cas tels que Madagascar [19] ou la Sierra Leone [20]. Si l’on assiste à une augmentation des transactions foncières et à l’arrivée de nouveaux acteurs dans les campagnes, il s’agit d’une combinaison d’exploitations agro-industrielles de taille moyenne (quelques centaines d’hectares), de relances ou de transformations de concessions anciennes sur des espaces occupés à l’époque des grandes sociétés d’État (années 1960 et 1970), et d’acquisitions sur des plus petites surfaces, mais en grand nombre, avec l’achat de terres par des urbains plus ou moins fortunés, des « cadres » selon le terme émique. Le cas ivoirien permet donc de décentrer le regard par rapport au « fétichisme de la taille » qui a souvent déterminé la sélection de cas qui relèveraient du « land rush[21] ».

9Nous examinerons successivement ces deux formes de changement d’échelle dans les rapports sociaux fonciers. D’abord, celui de la contestation, à travers une analyse de la formulation et de la réappropriation du problème de l’accaparement de terres. Ensuite, nous chercherons à appréhender le changement d’échelle dans le gouvernement du foncier à partir de l’étude d’un projet agro-industriel développé récemment dans le Sud-Est ivoirien. Ces analyses se fondent sur un travail de terrain effectué lors de quatre séjours organisés entre juillet 2016 et novembre 2018. 87 entretiens et de nombreuses observations ont été collectés à ces occasions.

Usages et réappropriation du « land grabbing » dans la contestation

Un problème public international

10L’essor de la notion d’accaparement de terres renvoie à un processus d’émergence d’un problème public international, composé de diverses formes de mobilisation, portées par des réseaux d’acteurs mêlant chercheurs, militants, experts et politiques [22]. Les premières formes de mobilisation émergent en 2008, au moment où l’ONG Grain publie un rapport, qui sera très abondamment commenté par des médias et des chercheurs, et où des journaux, d’abord britanniques (The Guardian et le Financial Times notamment), publient leurs premières informations sur la supposée ruée vers les terres dont le continent africain ferait l’objet. L’un des cas qui concentrent l’attention durant cette première période est celui de l’accord avorté entre l’État malgache et l’entreprise coréenne Daewoo pour l’exploitation d’1,3 million d’hectares dans le pays.

11L’attention internationale accordée à ce sujet ne se réduit cependant pas à une fièvre médiatique. La constitution de plateformes d’information, dont les plus importantes sont farmlandgrab.org (lancée par l’ONG Grain) et landmatrix.org[23] (soutenue par des centres de recherche comme le Cirad [24] et le Giga [25], mais aussi des acteurs de l’aide et du plaidoyer), participe à créer des passerelles entre les débats d’activistes et le monde scientifique.

12Les milieux experts participent également à ce mouvement, puisque des think tanks influents comme le britannique IIED (International Institute for Environment and Development, Institut international pour l’environnement et le développement) s’y intéressent très tôt. Dès le départ, cette fluidité entre différents champs est alimentée par l’action d’acteurs multi-situés. Le profil d’Olivier de Schutter, professeur de droit à l’université catholique de Louvain, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation (de 2008 à 2014) et proche des milieux de recherche-action, en est un très bon exemple. Dans le champ scientifique, l’attention est également très soutenue, au point que certains observateurs parlent, en analogie au « land rush », d’un « literature rush[26] ». Là aussi, la multipositionnalité des acteurs est un élément marquant. Un exemple illustratif de cela est celui de Saturnino (« Jun ») Borras, professeur à l’Institute for Social Studies de La Haye et rédacteur en chef du très influent Journal of Peasant Studies, mais aussi proche du mouvement paysan La Via Campesina et du Transnational Institute [27]. L’essor de ce champ académique se manifeste aussi par l’abondance des débats méthodologiques et épistémologiques sur la nature du « land grab », son ampleur, la fiabilité des sources et ses définitions [28].

13Cette mobilisation transnationale doit être brièvement replacée dans le contexte de son émergence. Le discours sur l’accaparement de terres se rapporte d’une part à un processus de mobilisation transnationale ayant débuté au milieu des années 1990, et d’autre part à la conjoncture liée à la crise alimentaire de 2007-2008, qui ouvre une fenêtre d’opportunité pour la dénonciation des transformations du capitalisme agraire. Du côté des mobilisations, l’émergence du réseau mondial La Via Campesina en 1993, de la plateforme de plaidoyer IPC (International Planning Committee for Food Sovereignty, Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire) en 1996, et l’organisation de forums en parallèle des sommets mondiaux de l’alimentation de 1996 et 2002 fournissent une indication sur la structuration progressive de réseaux militants [29].

14Entre 2007 et 2008, les indices du prix de la nourriture augmentent de plus de 50 %. Cela se traduit par des difficultés d’accès à l’alimentation pour des millions de personnes, notamment dans des économies des Suds fortement dépendantes des importations pour leur approvisionnement alimentaire [30]. Alors que la première réponse apportée à la crise est un renforcement des politiques d’aide au développement, y compris dans le sens d’une « modernisation » et d’une libéralisation encore plus accélérée des marchés agricoles [31], la situation ouvre une fenêtre d’opportunité pour la mobilisation des réseaux militants déjà structurés. C’est ainsi que doit se comprendre la rapidité avec laquelle une interprétation concurrente, mettant l’accent sur les conséquences délétères du modèle néolibéral, de la privatisation des communs et des grands investissements fonciers, est formulée et rendue visible. La dénonciation des acquisitions de grandes surfaces de terre par des multinationales ou des États relie cette problématique à la crise alimentaire. La conversion de millions d’hectares à la production d’agrocarburants est un thème récurrent dans ce discours, mettant l’accent sur la responsabilité des politiques énergétiques des pays du Nord sur les recompositions de l’agriculture dans les Suds.

15Cette mobilisation est d’autant plus visible qu’elle bénéficie des rivalités entre différentes institutions internationales, notamment dans le milieu de l’aide, pour l’interprétation et la marche à suivre face aux transformations du capitalisme agraire. Dès juillet 2009, au sommet de L’Aquila (Italie), le G8 se prononce en faveur de l’élaboration de « bonnes pratiques » en matière d’investissement agricoles. Ainsi, une concertation est organisée par la Banque mondiale avec des organisations internationales, des entreprises et des États, qui aboutit aux « Principes pour un investissement agricole responsable », dont une version de travail est rendue publique en janvier 2010 [32]. Ce document, et plus largement l’interprétation qu’en font la Banque mondiale et des acteurs proches comme l’International Food Policy Research Institute (Institut international de recherche sur les politiques alimentaires) défendent l’idée que « les acquisitions foncières à grande échelle sont une opportunité pour augmenter le volume d’investissement dans l’agriculture [33] ».

16Face à cette interprétation, d’autres arènes institutionnelles tentent de se positionner comme des espaces privilégiés du débat. Le cas le plus significatif est celui du Comité pour la sécurité alimentaire (CFS) de la de la FAO (Food and Agriculture Organization, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), un « policy forum » créé dans les années 1970 et à l’influence très déclinante dans les années qui précèdent la crise alimentaire [34]. Dans ce contexte, une réforme visant à faire du CFS un espace central de décision ouvrant largement la porte à la participation de la « société civile » est faite très rapidement, entre avril et octobre 2009 [35]. L’investissement dans le CFS d’organisations militantes et de plateformes de plaidoyer internationales comme le Fian (Food First Information and Action Network) donne à cet espace une légitimité importante dans le champ onusien, ce qui lui permet de promouvoir son approche participative de la gouvernance globale et ses innovations en matière de concertation « multi-acteurs ».

17Ces diverses mobilisations contribuent à donner de l’envergure aux débats sur les acquisitions, appropriations ou accaparements de terre, termes par lesquels les différents acteurs désignent les phénomènes de transformation du capitalisme agraire globalisé. Une étude plus attentive de la réappropriation de ce langage nous permettra de voir ce qui se joue dans le rapport entre des luttes localisées et des sphères transnationales.

Cadrer des conflits associés à la contestation du land grabbing

18En parallèle à cette émergence de ce que l’on pourrait qualifier de « problème public international [36] », on observe une réappropriation très rapide du débat par des acteurs engagés dans des luttes localisées pour la terre consécutives à l’établissement d’acteurs transnationaux. Ces luttes peuvent par ailleurs s’articuler à des conflits locaux préexistants, liés aux flux migratoires qui ont marqué le Sud forestier ivoirien, mais aussi à la formation d’un capitalisme d’État durant les années précédant le tournant de l’ajustement structurel. Cela peut parfois provoquer un changement d’échelle ou une « transnationalisation » de la contestation [37]. Mais cette transnationalisation ne peut en aucun cas être vue comme une conséquence automatique de l’engagement d’acteurs transnationaux dans un conflit spécifique. Un tel changement d’échelle nécessite d’abord de réfléchir sur la réappropriation et les usages d’un cadre importé. Le concept de cadre renvoie ici à une prise en compte de la dimension cognitive et symbolique de l’action collective [38] ; le cadre du land grabbing est donc un ensemble de représentations tournées vers l’action et portant sur les mécanismes et le sens des transformations économiques produites par l’établissement d’acteurs transnationaux dans les espaces ruraux.

19Ce phénomène de cadrage interroge l’articulation entre une échelle internationale, principal espace de production de ce cadre, et des échelles locales. Celles-ci ne constituent pas un « niveau » qui s’emboîterait dans un plus grand, mais un arrangement d’acteurs, de relations sociales et de ressources. Approcher ainsi « le local » implique de réfléchir à la façon dont celui-ci est construit par des acteurs et des institutions qui établissent des configurations semi-autonomes et des règles du jeu [39]. L’échelle locale est donc un horizon d’action qui détermine des perceptions, tactiques et stratégies [40]. Par conséquent, le cadrage ou recadrage d’un conflit en termes d’accaparement de terres doit être vu comme une tentative pour convertir des ressources (alliances, visibilité, financements…) distribuées dans des arènes extra-locales en ressources localement mobilisables [41].

20Une démarche utile peut consister à comparer plusieurs types de conflits consécutifs à l’établissement d’acteurs transnationaux au regard du processus d’appropriation à l’œuvre. Elle nous permettra de mettre en avant les conditions de conversion des ressources fournies par un cadrage transnational. Deux variables nous permettent de dresser une typologie. La première concerne l’ancienneté ou la nouveauté de la contestation à l’origine du conflit en question. Elle est significative, car elle oriente les efforts des acteurs soit vers un nouveau cycle de mobilisation, soit vers un réagencement des groupes sociaux en conflit. La seconde variable concerne le succès de la conversion des ressources de l’extra-local dans le local. Elle se manifeste par la capacité des acteurs à créer des alliances et à utiliser localement les ressources fournies par celles-ci. Bien sûr, ces configurations ne sont que des idéaux-type qui peuvent varier dans le temps et se succéder sur un même territoire. On peut résumer cela dans la figure 1 qui reprend quatre types de réappropriation du label « accaparement de terres » et d’action collective.

Figure 1

Types de recadrages des conflits

Figure 1

Types de recadrages des conflits

21Les deux cas de la partie supérieure de la figure 1 concernent des situations dans lesquelles il n’y a pas de conversion des ressources extra-locales, soit parce que le label de l’accaparement n’est pas réellement adopté par les acteurs, soit parce que son adoption ne permet pas de générer de nouvelles ressources pour la mobilisation. Lorsqu’il s’agit d’un conflit ancien, on peut conclure à une situation d’exclusion durable dans laquelle une mobilisation a peu de chances d’apparaître. La situation est plus intéressante dans le deuxième cas, lorsqu’un conflit nouveau, défini comme une forme d’accaparement, ne donne pas lieu à une conversion de ressources. S’il peut y avoir des acteurs mobilisés pour lui apporter une visibilité, différents facteurs empêchent la conversion. Un exemple ivoirien est fourni par l’exploitation hévéicole couvrant plusieurs villages du département de Prikro (dans la région de l’Anno [42], Centre-Est) pour laquelle la CHP (Compagnie hévéicole de Prikro), une filiale ivoirienne d’une société belge, a obtenu une concession de 11 000 ha. L’État peut affirmer que ces terres lui appartiennent, car elles correspondent à une ancienne concession sucrière abandonnée en 1982. Le statut légal de ces terres demeure cependant sujet à controverse, car le ministère de l’Agriculture assure qu’elles ont fait l’objet d’une purge des droits coutumiers, alors que des villageois récusent cette affirmation. Les riverains font également valoir l’ancienneté de leur occupation, ainsi que le flou concernant les frontières de l’ancienne concession, ce qui aurait permis à l’État et à la CHP d’étendre leur domaine sur des terres qui n’y étaient pas incluses. L’État et l’entreprise refusent cependant de négocier, arguant de la légitimité de leur occupation. Entre-temps, la réaction violente de la gendarmerie face aux mobilisations qui débutent en 2015 a fait plusieurs morts et a conduit les meneurs du mouvement anti-hévéa en prison. Seul un média en ligne ivoirien, ainsi que l’ONG Grain et deux petites associations ivoiriennes ont soutenu la publicisation du cas [43]. Ils ont créé une plateforme de soutien afin d’accompagner les villageois dans une action en justice. Un jugement en première instance a débouté les demandeurs. Tous ces acteurs ont utilisé la labellisation de l’accaparement de terres, mais cela n’a pas permis d’apporter davantage de visibilité, ni de créer des nouvelles alliances. Ni des professionnels de la politique, ni des ONG ivoiriennes ne se sont saisis du cas, ce qui illustre sans doute le manque de ressources disponibles localement, l’absence de courtiers et la fermeture de canaux d’interlocution avec l’État, qui se retranche derrière la légalité formelle de la concession. Ainsi, le lien avec l’international n’a pas permis de transformer les rapports de force.

22Le contraste est palpable avec le troisième type de configuration, qui concerne quant à lui une requalification d’un conflit ancien où une conversion des ressources est réalisée avec succès. Un cas illustrant bien cela concerne les plantations d’hévéa et de palmier à huile de Grand-Béréby (Sud-Ouest), exploitées par la société SOGB (Société des caoutchoucs de Grand-Béréby), une filiale appartenant au groupe franco-luxembourgeois Socfin (Société financière des caoutchoucs) dont le milliardaire français Vincent Bolloré est l’un des principaux actionnaires. Les premières mobilisations commencent peu après la privatisation de la SOGB, en 1994 [44], alors que les riverains des plantations demandent à l’investisseur privé de s’acquitter des promesses que l’État leur avait faites (construction d’infrastructures notamment), mais n’avait pas respecté [45]. Afin de faire baisser la pression, la société commence à investir dans la construction de quelques biens publics (écoles, dispensaires, électrification). En 2009, elle favorise la création d’une association de développement, l’Association des villages déplacés (AVD). Celle-ci administre un montant de 70 millions de francs CFA (un peu plus de 100 000 euros) versé chaque année par la SOGB. L’argent doit revenir à chaque village déplacé au prorata de la surface occupée.

23Or, un groupe de jeunes, pour la plupart des urbains rentrés au village, dénonce l’accaparement de cet argent par les gestionnaires de l’association. En réaction, ils créent une organisation concurrente, l’UVD, l’Union des villages déguerpis, qui dénonce l’occupation des terres villageoises par la SOGB dans les termes du land grabbing. Ils sont appuyés par l’ONG française ReAct (Réseaux pour l’action collective transnationale), qui cherche à consolider un réseau transnational de communautés affectées par les activités des entreprises du groupe Bolloré. Les acteurs accusent Bolloré d’entretenir une stratégie systématique de spoliation des communautés paysannes. En 2014, des représentants des communautés des différents pays où ReAct est active (Cameroun, Liberia, Cambodge) sont reçus au siège du groupe Bolloré à Puteaux en région parisienne.

24Pourquoi cette requalification d’un conflit ancien a-t-elle eu lieu ? Cela n’est pas seulement lié à l’action d’un courtier étranger, mais doit être mis en lien avec la pression foncière qui existe localement. Plusieurs facteurs y jouent un rôle. D’abord, le facteur démographique. Alors que la population des 13 villages déplacés était estimée dans les années 1970 à 6 000 personnes, aujourd’hui 30 000 personnes habiteraient les zones où se regroupent les déplacés. N’ayant pas de possibilités d’activité économique agricole, de nombreux jeunes de ces communautés sont partis en ville. Or, à partir des années 1990, un phénomène de retour dans les campagnes est observable, notamment provoqué par le tarissement de l’emploi urbain, contribuant à augmenter la demande de terre [46].

25L’évolution des activités de la SOGB a par ailleurs accru la pression foncière dans la zone. En effet, les populations locales exploitaient des terres appartenant à la concession, mais non mises en culture par l’entreprise. Il s’agit notamment de terres marécageuses non propices à la culture de l’hévéa. Or, à partir de 1998, l’entreprise décide de développer des activités de production d’huile de palme, étendant des palmeraies sur environ 7 000 ha. La plantation des palmiers se fait alors sur des terres que les villageois exploitaient, les privant de cette ressource foncière.

26Le cas de Grand-Béréby illustre une forme de reconversion réussie des ressources issues de l’extra-local, qui permettent aux acteurs mobilisés de devenir des interlocuteurs de l’entreprise et de l’État. Si l’UVD n’avait pas obtenu de réponses à leurs revendications au moment de mon enquête, elle était néanmoins devenue un acteur politique important à l’échelle des villages du Grand-Béréby. Bien que les responsables administratifs interrogés sur le sujet nient la légitimité de la mobilisation, ils considèrent que l’entreprise a bien fait de négocier car, « de toute façon, l’État ne peut pas mettre un gendarme à côté de chaque arbre [47] ». Il n’est pas possible de faire ici une analyse complète des raisons de cette transformation des rapports de forces. Il suffira de faire remarquer que des jeunes urbains rentrés au village détiennent un capital social plus important que des populations marginales de l’Anno. Certains d’entre eux ont milité dans des partis politiques (notamment au Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo) et ils ont côtoyé les milices gbagboistes (dites des « Jeunes patriotes ») à Abidjan. Le président de l’UVD est quant à lui issu d’une famille connectée politiquement, notamment au sein des réseaux du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, parti de l’ancien président Bédié). Ces acteurs parviennent ainsi à faire fructifier leur relation avec l’international et à devenir des courtiers d’une mobilisation, requalifiant un conflit ayant débuté dans les années 1970 dans les nouveaux termes du « land grabbing ».

27Le dernier cas concerne des situations dans lesquelles un nouveau conflit est cadré comme une forme d’accaparement de terres et où ce cadre apporte effectivement de nouvelles ressources convertibles localement. C’est sur ce cas précis que la seconde section de l’article se concentrera. Pour l’instant, il convient d’en faire une description très brève pour le comparer aux deux types précédents.

28L’exemple qui me permet d’illustrer ce type est celui du conflit autour des plantations de l’entreprise Dekel Oil dans le département d’Aboisso (Sud-Est). Filiale du groupe israélien Rina Group, elle a été créée le 27 octobre 2007 pour développer un complexe agro-industriel d’huile de palme en Côte d’Ivoire. Selon les informations communiquées par Dekel Oil, l’usine, construite dans le village d’Ayénouan, a produit en 2017 près de 40000 tonnes d’huile de palme brute, ce qui a généré à l’entreprise des revenus de 30 millions d’euros, pour des bénéfices de 4,5 millions d’euros [48]. Elle affirme exploiter directement 1900 ha de plantations de palmier et acheter des régimes de palmiers auprès de plus de 1 000 planteurs villageois.

29La présence de Dekel Oil a été dommageable pour une diversité d’acteurs : d’abord des habitants du village d’Ayénouan où l’usine est installée. Une partie d’entre eux affirme que le terrain occupé par l’unité d’extraction et la pépinière leur appartient et a été approprié par l’entreprise – nous y reviendrons. Des propriétaires individuels, situés généralement à proximité de l’usine, se plaignent également des très faibles loyers que paie Dekel Oil pour la location de leurs terres. Ils estiment avoir été floués dans l’établissement des contrats, car l’entreprise ampute les loyers de divers frais d’entretien des parcelles. Enfin, des habitants d’autres villages de la région, dont les chefferies ont signé des contrats de mise en location de terres supposément vides avec Dekel Oil, affirment en avoir été expulsés alors qu’ils y menaient des activités agricoles, notamment la production de cultures vivrières.

30Dès 2009, plusieurs ONG s’intéressent au cas de Dekel Oil. Une ONG ouest-africaine, Inades-formation, s’est alors associée avec l’organisation canadienne Inter Pares et l’ONG française CCFD-Terre solidaire (Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre solidaire) pour s’investir dans les questions liées à l’accaparement de terres en Afrique de l’Ouest. Présente dans plusieurs pays de la région, Inades-formation réalise alors une enquête comparative sur les cas de la Côte d’Ivoire, de la Guinée et de la Guinée-Bissau [49]. La réalisation de cette enquête contribue à créer un cadre à la mobilisation. Une organisation locale est alors créée, elle adopte le nom de Yetiho (« Notre cause » en langue agni) et se donne pour objectif de rendre visible des conflits liés à la présence de Dekel Oil. Yetiho noue des relations avec plusieurs ONG internationales, comme Inter Pares, mais aussi Grain, ce qui permet au président et fondateur de l’association d’assister à des forums organisés au Cameroun et au Togo. L’association connaît des réussites dans son rôle de courtier de mobilisation. Alors qu’une coalition d’ONG organise fin 2018 une « Caravane ouest-africaine pour le droit à la terre, à l’eau et aux semences », Yetiho devient l’associée locale de l’initiative. La caravane s’installe dans la ville d’Aboisso, chef-lieu départemental, l’une de ses deux étapes ivoiriennes. Deux membres de l’association poursuivent le chemin de la caravane jusqu’à Cotonou. Cela a des conséquences sur les relations entre Yetiho et Dekel Oil. L’association est aujourd’hui l’interlocutrice de l’entreprise dans ses relations avec plusieurs villages touchés par ses activités agro-industrielles. Les sous-préfètes de ces zones reconnaissent également son travail d’intermédiation.

31Ce cas représente ainsi un exemple de conversion réussie de ressources extra-locales dans la contestation suite à l’établissement d’un acteur transnational. Je reviendrai dans la section suivante sur le conflit foncier en lui-même. Pour le moment, il suffit de constater que, comme dans le cas de Grand-Béréby, cette conversion s’explique largement par les caractéristiques sociales des acteurs engagés dans la contestation. En effet, la grande majorité de ces individus ne sont pas ceux qui ont perdu un accès à la terre suite à l’arrivée de Dekel Oil. Il s’agit plutôt d’acteurs qui, pour des multiples raisons, cherchent à agréger ces griefs pour établir un rapport de forces favorable face à l’entreprise. Trois catégories se distinguent ici : des individus investis dans les arènes politiques villageoises, notamment les associations, mais ayant une place marginale dans l’organisation néo-coutumière ; ils endossent la question de l’accaparement de terres comme une façon de créer des espaces politiques autonomes ; des jeunes, qui font valoir un sentiment de frustration devant les promesses manquées d’emploi ; enfin, des « cadres », terme émique renvoyant aux ressortissants du village ayant acquis une situation confortable dans un emploi urbain mais gardant un lien étroit avec le terroir, qui considèrent que leur influence politique n’est pas à la mesure de l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Ces trois types d’acteurs sont généralement fortement dotés en capital culturel : ils ont bénéficié d’une éducation, sont très à l’aise en français et certains ont même fait des études supérieures. C’est en raison de ces capitaux qu’ils parviennent à établir une relation avec des acteurs transnationaux et à utiliser les ressources que cette relation leur fournit dans leur carrière militante et leurs activités locales.

32La comparaison des trois cas brièvement évoqués suggère un lien très fort entre les capitaux détenus localement et la possibilité de convertir des ressources extra-locales dans les arènes politiques locales. En l’absence d’acteurs solidement structurés au niveau local, il est très peu probable qu’une attention externe, viendrait-elle d’une ONG étrangère, se traduise par une réelle transformation des rapports de force, ni même qu’elle parvienne à faire émerger des acteurs reconnus. Or ce changement d’échelle dans la contestation s’appuie lui-même sur un autre changement d’échelle, qui concerne quant à lui les modalités de gouvernement de l’accès à la terre. Ainsi, l’emprunt d’un cadrage transnational par des acteurs contestataires intervient dans une situation où ceux-ci font l’expérience directe d’une transformation des caractéristiques du capitalisme agraire.

Une transformation du capitalisme agraire ?

Un changement d’échelle

33En parallèle à ces transformations dans la contestation, on assiste à un changement d’échelle dans le gouvernement du foncier qui bouleverse les relations sociales et les formes de reproduction de l’autorité. Un tel changement d’échelle aboutit à une situation dans laquelle les décisions portant sur l’accès et l’usage légitime de la terre subissent un processus de déconnexion par rapport aux relations de pouvoir localisées. Cette transformation est le plus souvent liée à trois processus qui peuvent agir de façon conjointe mais qui ne sont pas nécessairement présents dans des proportions égales. D’abord, l’essor d’une agriculture de firme [50], qui éloigne les centres de décision des lieux de production et crée des espaces de pouvoir déterminés par des logiques managériales sur lesquelles les populations affectées par les acquisitions n’ont pas de prise. Ensuite, de façon souvent intimement liée au premier facteur, une financiarisation des activités agricoles [51], qui oriente les décisions en fonction des caractéristiques des investisseurs [52] ou du fonctionnement propre à certains produits financiers [53]. Enfin, des politiques publiques et des pratiques politiques qui visent à mettre en valeur la disponibilité des terres, la capacité de l’État à sécuriser les investissements et à détacher le foncier des « faisceaux de droits » locaux [54].

34Reprenons l’exemple mentionné plus haut pour illustrer les caractéristiques de ce changement d’échelle. L’installation de Dekel Oil représente effectivement une forme de changement d’échelle dans le contrôle de la terre. Nous pouvons nous limiter à évoquer un seul des aspects de ce changement d’échelle : la financiarisation. Dekel Oil est constituée en entreprise par actions. Une émission obligataire à la Bourse de Londres est faite en 2013 dans le but de financer la construction de l’usine d’extraction. Parallèlement, l’entreprise se fournit en capitaux sur le marché bancaire. Comme c’est abondamment documenté pour des projets similaires [55], les modalités de prise de contrôle de la terre sont étroitement dépendantes des conditions de financement. Ainsi, afin d’afficher ses potentialités de croissance sur des marchés financiers, l’entreprise est incitée à établir des contrats d’exploitation avec des propriétaires villageois sur des surfaces qui dépassent largement ses capacités réelles d’exploitation. Ces parcelles ne sont pas mises en exploitation, mais l’établissement de contrats n’est pas dénué d’effets politiques et sociaux. Dekel Oil a passé des contrats avec plusieurs villages des départements d’Aboisso et Adiaké pour des milliers d’hectares [56], et annonçait en janvier 2016 à ces actionnaires avoir trouvé un accord avec un « smallholder » pour l’exploitation de 1 000 ha supplémentaires. Les surfaces concernées par ces contrats dépassent en réalité la capacité de l’usine d’extraction, qui a par ailleurs bénéficié de plusieurs opérations d’agrandissement depuis sa construction.

35Dans le village de Diby, situé à une soixantaine de kilomètres de l’usine d’extraction, Dekel Oil a établi un contrat avec la chefferie pour l’exploitation de 3 000 ha de palmier. Aujourd’hui, six ans après la signature, seuls environ 800 ha sont plantées [57]. Or l’existence d’un contrat sur une surface beaucoup plus étendue a conduit plusieurs acteurs locaux à vouloir consolider leur contrôle sur la terre. Cela concerne essentiellement des terres marécageuses qui n’étaient pas exploitées par les familles autochtones. Elles étaient considérées comme peu utiles car inadaptées à la culture du cacao et nécessitant d’être drainées. Or ces « bas-fonds » étaient auparavant mis à la disposition de femmes d’origine immigrée qui y produisaient des cultures vivrières. La promesse de Dekel Oil d’étendre à terme ses plantations sur 3 000 ha a alors justifié l’expulsion de toutes ces femmes par les chefs des lignages autochtones de crainte que les familles étrangères ne tentent de consolider leur contrôle sur les bas-fonds pour en négocier directement l’accès avec l’entreprise.

36De la même façon que lorsqu’il était question de transnationalisation de la contestation, ce changement d’échelle n’implique aucunement une dépossession de pouvoir des acteurs locaux, comme le suggère un certain discours militant et journalistique [58]. Au contraire, il fournit des ressources pour la consolidation des relations de pouvoir, en particulier pour ceux qui occupent des positions d’intermédiation. Ainsi, les grands gagnants de ces situations de changement d’échelle sont les acteurs qui parviennent à devenir des courtiers, tirant de cette position des ressources politiques, économiques et symboliques. La manière dont se développent ces relations d’intermédiation est quant à elle déterminée par une trajectoire politique de formation de l’État et du marché, par les rapports centre-périphérie et par les politiques publiques touchant à la propriété de la terre. Mais la transformation des relations d’intermédiation génère également une mise sous tension des arènes politiques villageoises qui peut être à l’origine de changements profonds.

Les ancrages sociaux de la firme

37L’histoire de l’installation de l’usine d’extraction d’huile de palme de Dekel Oil à Ayénouan fournit une bonne illustration de cette transformation des relations d’intermédiation. Deux catégories d’acteurs, dont les caractéristiques sont proches et qui parfois se confondent, ont joué un rôle clé. D’une part, les acteurs dominants de la chefferie du village d’Adaou – proche d’Ayénouan. D’autre part, les grands planteurs de la localité.

38Le village d’Adaou, élevé au rang de sous-préfecture en 2008, revendique le contrôle des terres des villages voisins. En effet, alors que ceux-ci sont majoritairement habités par des populations perçues comme étrangères (citoyens d’autres pays mais aussi ressortissants ivoiriens venus du Nord), Adaou est en grande partie habité par des Agni et sa chefferie est contrôlée par des lignages autochtones.

39Le rôle joué par la chefferie d’Adaou est significatif d’un processus plus large de lutte politique locale pour le contrôle des positions de gestion du foncier rural. Dès la fin des années 1990, dans le Sud-Est de la Côte d’Ivoire, des chefferies autochtones, soutenues par l’administration préfectorale, cherchent à prendre le contrôle des villages habités par des immigrés. Ayénouan est précisément dans ce cas de figure. Alors que le chef, d’origine Dioula, décède en 1998, les notables d’Adaou tentent de s’emparer de la chefferie. Un retraité récemment rentré au village, d’origine Agni, est désigné pour en devenir le chef. Bien que les chefs des familles d’Ayénouan s’y opposent fermement, le préfet impose le chef autochtone [59].

40Lorsque Dekel Oil identifie une parcelle à Ayénouan qui serait appropriée pour l’installation de l’usine, les négociations sont engagées entre ce nouveau chef du village, la chefferie d’Adaou et l’entreprise. En octobre 2008, un bail emphytéotique est signé sur un terrain de 42 ha. Celui-ci sert à la construction de l’usine d’extraction et à l’installation d’une pépinière ayant une capacité de production annuelle d’un million de plants. La terre est identifiée comme appartenant au village d’Adaou, mais située sur le périmètre du village d’Ayénouan, malgré le fait que seule une route sépare la parcelle du centre peuplé du village, et qu’Adaou est à près de dix kilomètres de là. Le loyer annuel est établi à 3 millions de francs CFA (4 573 euros).

41Ces négociations se font largement dans le dos des habitants d’Ayénouan, et notamment de ceux qui possèdent des exploitations sur le périmètre de l’usine. Sur cet espace, il y a 23 ha appartenant à 8 exploitants d’Ayénouan qui y cultivaient des cultures vivrières et de rente. Le terrain le plus grand (16 ha) est celui d’un notable d’Ayénouan d’origine migrante et président de la mutuelle de développement. Les autres parcelles sont bien plus petites.

42En plus de ces parcelles individuelles, il y a 19 ha dotés d’un statut complexe, en raison de leur histoire. Il s’agit d’une parcelle gérée par les autorités coutumières du village, qui correspond à une ancienne concession caféicole. Lorsque l’entreprise a quitté le village dans les années 1980, une riche famille locale, mais d’origine migrante, les Diallo, dont le père travaillait pour l’entreprise, s’approprie la terre. En 2002, celle-ci est louée à une autre entreprise qui y produit de l’ananas. Cette dernière est cependant victime de la crise de l’ananas qui frappe tout le Sud-Est de la Côte d’Ivoire au milieu des années 2000. Elle se retire en 2005. Elle fera finalement faillite en 2011. Les Diallo n’habitant plus le village, la chefferie d’Ayénouan s’approprie les 19 ha. Les terres sont alors mises à disposition de l’association des femmes du village qui y fait pousser des cultures vivrières, notamment du manioc qui sert à la fabrication d’attiéké, l’une des principales activités économiques de la localité.

43Cette diversité de droits d’usage et de propriété rend complexe la formalisation des parcelles, ce qui constitue un préalable nécessaire à la construction de l’usine. L’enquête en vue de l’établissement d’un certificat foncier est engagée en décembre 2009. Selon la loi ivoirienne, celle-ci doit être validée par le comité villageois de gestion foncière rurale compétent. Or, ce n’est pas celui d’Ayénouan qui est consulté par l’administration, mais celui d’Adaou. Suite à cela, un certificat foncier collectif est établi en mai 2010. Y figurent comme ayants droit le chef du village d’Ayénouan, celui d’Adaou et un autre membre de la chefferie du même village. Un quatrième nom y apparaît, celui de Georges Bléhoué Aka, un riche planteur originaire d’Adaou [60].

44Les habitants d’Ayénouan, qui estiment avoir des droits sur la parcelle de l’usine – tous d’origine migrante –, affirment ne pas avoir été consultés lors de ces procédures de certification. En effet, ils apprennent qu’une demande de certificat est en cours lors de la visite des agents de la direction départementale de l’agriculture chargés de l’établissement de ce document :

45

« Quand les agents de l’agriculture sont venus mesurer, ils nous ont dit que la terre ne nous appartenait pas, que ça appartenait à l’État, qu’ils allaient nous dédommager l’existant mais qu’on n’avait droit à rien d’autre […]. Ensuite, quand les gens de Dekel sont venus avec des enveloppes pour dédommager les gens, on a été deux à refuser et à dire qu’on ne prendrait pas l’argent tant qu’il n’y aurait pas un contrat signé en bonne et due forme, mais ils nous ont répondu que la terre appartenait à l’État [61] ».

46Suite à ces échanges, les villageois écrivent une lettre au sous-préfet :

47

« On a écrit une lettre au sous-préfet. Il nous a dit : “Comment vous osez écrire une lettre comme celle-là ? Alors qu’une grande société va venir s’installer dans le Sud-Comoé, que vous le veuillez ou pas, l’usine va s’installer.” Et nous, on a demandé : “Et les propriétaires ?” Il nous a répondu : “Mais quels propriétaires ? Ils n’ont qu’à venir avec le titre foncier !” Et il nous dit : “Si vous n’avez pas de titre c’est que la terre ne vous appartient pas.” Et il nous dit : “On ne peut pas quitter au Nord et être propriétaire ici !” [62] ».

48Le contexte de l’époque, caractérisé par une négation des droits des étrangers et des migrants internes dans le Sud forestier, fragilise les droits des individus et des groupes sociaux définis comme allochtones ou allogènes. Un villageois raconte :

49

« Vous savez qu’à cette époque-là, on avait ici une haine très grande pour les nordistes. Du coup, tout le monde avait peur. Quand le sous-préfet disait qu’on ne pouvait pas avoir de la terre ici parce que c’était la terre des Agni, on avait très peur. Voilà pourquoi on a été obligés de céder face à Dekel [63] ».

50La présence du riche planteur Georges Bléhoué Aka parmi les titulaires du certificat foncier est significative d’un autre type d’intermédiation qui s’ajoute à celle des autorités néo-coutumières : celle des acteurs économiques dominants. Ainsi, dès les premières recherches entreprises par Dekel Oil pour trouver un lieu d’implantation, l’entreprise est accompagnée dans ses démarches par plusieurs coopératives de planteurs. Celles-ci sont contrôlées par des riches propriétaires qui maîtrisent le conseil d’administration et tiennent les postes exécutifs. Le soutien des riches planteurs s’explique notamment par leur volonté de briser le monopole de l’entreprise Palmci, héritière de la société d’État Sodepalm, qui possède à l’époque la seule unité d’extraction de la région. Comme Palmci a ses propres plantations, elle peut fixer plus librement ses prix et utilise l’achat aux planteurs comme variable d’ajustement de sa production. L’arrivée de Dekel Oil donne ainsi une plus grande marge de manœuvre aux grands planteurs. D’ailleurs, l’entreprise s’efforce aujourd’hui d’entretenir de bons rapports avec ces acteurs grâce à la signature de contrats privilégiés, au versement de bonus et à la location de terrains dans des conditions avantageuses.

51Mais Bléhoué Aka est aussi un acteur multi-situé, doté à l’époque d’un pouvoir politique significatif. Il s’agit d’un ami proche de Laurent Gbagbo et d’une personnalité influente au sein du parti du président. Selon ses propres déclarations publiques, il aurait financé les activités politiques de celui-ci depuis l’époque où il était opposant à Félix Houphouët-Boigny. À l’accession de Gbagbo au pouvoir, Bléhoué Aka est nommé président du Conseil national des sages de la filière café-cacao. Durant ces années-là, le planteur reçoit dans sa résidence d’Adaou (que les locaux appellent « le château ») différents responsables du pouvoir FPI proches de Gbagbo. En janvier 2009, le président fait une visite officielle au village d’Adaou ; celle-ci s’accompagne d’un don de 5 millions de francs CFA aux villages de la région, dont 1 million pour Adaou.

52Pour l’entreprise, l’intermédiation de cet acteur est importante, car il maîtrise des réseaux politiques puissants mais constitue aussi un allié économique. Il a ainsi récemment mis en location 1 000 ha de terre à Dekel Oil pour le développement de nouvelles palmeraies. De son côté, Bléhoué Aka tire également des ressources importantes de cette relation. Ainsi, lors de mon enquête, il était en passe de devenir le propriétaire officiel de la parcelle sur laquelle est construite l’usine. En effet, le certificat collectif initialement établi avait été transformé en certificat individuel à son seul nom et une demande de titre de propriété avait été engagée. Seule l’opposition très ferme des villageois d’Ayénouan et la maladie du riche planteur bloquaient pour le moment ces démarches. Malgré le changement de pouvoir à la tête du pays, son influence politique locale reste significative. Cette relation est importante pour l’entreprise qui, en tant que personne morale, ne peut détenir des terres rurales en Côte d’Ivoire.

53De façon très similaire à ce que l’on pouvait conclure de l’analyse des processus de contestation, l’étude des transformations dans les relations d’intermédiation illustre bien la complexité des processus de changement d’échelle. Ici aussi, ils ne peuvent être en aucun cas réduits aux effets surplombants d’une influence étrangère, serait-elle celle d’une firme multinationale. En réalité, l’installation de ces acteurs est lourdement dépendante de leur capacité à établir des relations de collaboration avec des individus ou des groupes sociaux localement dominants. L’arrivée de la firme possède ainsi le potentiel d’une transformation des rapports sociaux de domination allant dans le sens d’une consolidation des positions de pouvoir.

54Cette contribution a proposé une redéfinition des termes du débat sur l’accaparement de terres. Elle a cherché à démontrer les gains potentiels d’une attention portée au double changement d’échelle – dans la contestation et dans le gouvernement du foncier – qui est en jeu dans les relations entre acteurs économiques globalisés et sociétés rurales. Cette transformation doit se lire comme une création de nouvelles chaînes d’interdépendance qui, loin de déposséder de pouvoir les espaces locaux, permettent la réappropriation de ressources politiques et économiques par des acteurs dominants, ou au contraire par celles et ceux qui cherchent à transformer les rapports de pouvoir.

55Ainsi, l’étude de l’émergence d’un « problème public international » touchant à l’accaparement de terres doit être reliée aux usages concrets de ce cadrage dans des conflits fonciers localisés. Or, l’importation d’un langage transnational n’est nullement synonyme de transnationalisation de l’action contestataire, car la capacité à saisir des ressources extra-locales et à les réinvestir dans le local est grandement dépendante des capacités de mobilisation et de courtage d’un groupement mobilisé.

56De la même manière, l’analyse des stratégies des firmes agro-industrielles pour accéder à des ressources foncières ne peut se passer d’une étude attentive des ancrages sociaux de ces acteurs, qui passent notamment par la réorganisation des formes d’intermédiation. Des acteurs cherchant à réaffirmer leur autorité sur la terre, à renforcer leurs clientèles politiques ou simplement à s’enrichir font ainsi divers usages de la présence d’une entreprise.

57Ainsi, loin d’oblitérer la complexité du local en présupposant l’extension inéluctable d’un phénomène « global », cette contribution plaide pour des études situées qui mettent en relation des transformations réelles dans la façon dont la terre est un sujet d’action politique, de mobilisation et de convoitises à l’échelle internationale, et des relations de pouvoir situées, déterminées par des conditions locales et nationales qu’il est indispensable d’expliciter. L’enjeu est de réussir à inscrire les transformations à l’œuvre dans l’histoire longue du capitalisme agraire [64], en rendant aux phénomènes actuels à la fois leur spécificité historique et leur banalité sociologique.

Notes

  • [1]
    Je souhaite remercier très vivement Jean-Pierre Chauveau pour ses encouragements amicaux et la générosité avec laquelle il a toujours partagé son savoir. Je remercie également Gabin Tarrouth et Oscar Toukpo pour leur aide précieuse sur le terrain, ainsi que Mathilde Allain pour notre collaboration sur des sujets proches. Je remercie enfin les lecteurs anonymes pour leurs commentaires qui m’ont grandement aidé à préciser mon propos.
  • [2]
    J.-P. Colin et H. G. Tarrouth, « Les élites urbaines comme nouveaux acteurs du marché foncier en Côte d’Ivoire », Géographie, économie, société, vol. 19, n° 3, 2017, p. 331-355 ; H. G. Tarrouth et J.-P. Colin, « Les acquisitions de terres rurales par les “cadres” en Côte d’Ivoire : premiers enseignements », Cahiers Agricultures, vol. 25, n° 1, 2016, 15005.
  • [3]
    J.-P. Chauveau, « À l’ombre des acquisitions foncières par des intérêts étrangers… les enjeux nationaux de l’appropriation foncière » [en ligne], Transcontinentales. Sociétés, idéologies, système mondial, n° 10-11, 2011, <https://journals.openedition.org/transcontinentales/1140>, consulté le 13 décembre 2018.
  • [4]
    Cette limitation est cependant relative, comme le montrera la suite du texte, car l’accès à la terre par des acteurs transnationaux peut se faire par le biais de la concession ou du bail sur des terres publiques et par des contrats entre propriétaires villageois et firmes.
  • [5]
    Sur les ambiguïtés de la « relance », voir notamment F. Akindès, « “On ne mange pas les ponts et le goudron” : les sentiers sinueux d’une sortie de crise en Côte d’Ivoire », Politique africaine, n° 148, 2017, p. 5-26.
  • [6]
    R. Hall, M. Edelman, S. M. Borras Jr., I. Scoones, B. White et W. Wolford, « Resistance, Acquiescence or Incorporation ? An Introduction to Land Grabbing and Political Reactions “from Below” », The Journal of Peasant Studies, vol. 42, n° 3-4, 2015, p. 467-488 ; M. Kaag et A. Zoomers (dir.), The Global Land Grab : Beyond the Hype, Londres, Zed Books, 2014.
  • [7]
    J.-F. Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, n° 5, 1999, p. 97-120.
  • [8]
    À l’exception notable en France des travaux de Sina Schlimmer. Voir, par exemple, S. Schlimmer « Accaparement des terres ou investissements agricoles bénéfiques ? La réappropriation politique d’un problème public international en Tanzanie », Gouvernement et action publique, vol. 7, n° 2, 2018, p. 31-52.
  • [9]
    W. Wolford, S. M. Borras Jr., R. Hall, I. Scoones et B. White, « Governing Global Land Deals : The Role of the State in the Rush for Land », Development and Change, vol. 44, n° 2, 2013, p. 189-210.
  • [10]
    R. Hall et al., « Resistance, Acquiescence or Incorporation… », art cité.
  • [11]
    S. Schlimmer, « Talking “Land Grabs” is Talking Politics : Land as Politicised Rhetoric during Tanzania’s 2015 Elections », Journal of Eastern African Studies, vol. 12, n° 1, 2018, p. 83-101.
  • [12]
    A. Smith et C. Hay (dir.), Dictionnaire d’économie politique. Capitalisme, institutions, pouvoir, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.
  • [13]
    G. Chouquer, La terre dans le monde romain : anthropologie, droit, géographie, Paris, Éditions Errance, 2010.
  • [14]
    J. C. Weaver, The Great Land Rush and the Making of the Modern World, 1650-1900, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2006.
  • [15]
    C. Oya, « Methodological Reflections on “Land Grab” Databases and the “Land Grab” Literature “Rush” », The Journal of Peasant Studies, vol. 40, n° 3, 2013, p. 503-520 ; M. Boche, Contrôle du foncier, agricultures d’entreprise et restructurations agraires : une perspective critique des investissements fonciers à grande échelle. Le cas de la partie centrale du Mozambique, Thèse de doctorat, Université Paris Sud, 2014.
  • [16]
    M. Kaag et A. Zoomers (dir.), The Global Land Grab…, op. cit.
  • [17]
    Ceci est largement inspiré de la définition de la globalisation par Jean-François Bayart comme un « régime spécifique de pouvoir et d’accumulation » qui « est d’abord un changement d’échelle, dans le temps et dans l’espace ». J.-F. Bayart, Le gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004, p. 28.
  • [18]
    Selon l’expression de J. Gerring, « Is There a (Viable) Crucial-Case Method ? », Comparative Political Studies, vol. 40, n° 3, 2007, p. 231-253.
  • [19]
    P. Burnod, M. Gingembre et R. Andrianirina Ratsialonana, « Competition over Authority and Access : International Land Deals in Madagascar », Development and Change, vol. 44, n° 2, 2013, p. 357-379.
  • [20]
    G. Millar, « Investing in Peace : Foreign Direct Investment as Economic Restoration in Sierra Leone ? », Third World Quarterly, vol. 36, n° 9, 2015, p. 1700-1716.
  • [21]
    La question de la taille comme critère est discutée, sans pour autant fournir de proposition méthodologique concrète, par L. Cotula, The Great African Land Grab ? Agricultural Investments and the Global Food System, Londres/New York, Zed Books, 2013.
  • [22]
    S. Schlimmer, « Accaparement des terres ou investissements agricoles bénéfiques… », art. cité.
  • [23]
    W. Anseeuw, J. Lay, P. Messerli, M. Giger et M. Taylor, « Creating a Public Tool to Assess and Promote Transparency in Global Land Deals : The Experience of the Land Matrix », The Journal of Peasant Studies, vol. 40, n° 3, 2013, p. 521-530.
  • [24]
    Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement est un établissement public français.
  • [25]
    Le German Institute for Global and Area Studies est une fondation privée allemande à but non lucratif.
  • [26]
    C. Oya, « Methodological Reflections on “Land Grab” Databases… », art. cité.
  • [27]
    La Via Campesina est un réseau mondial d’organisations paysannes défendant une alternative au modèle agro-industriel. Le Transnational Institute est un think tank engagé dans la diffusion des idées altermondialistes et de défense de l’environnement.
  • [28]
    M. Edelman, « Messy Hectares : Questions about the Epistemology of Land Grabbing Data », The Journal of Peasant Studies, vol. 40, n° 3, 2013, p. 485-501.
  • [29]
    N. McKeon, « “One Does not Sell the Land upon which the People Walk” : Land Grabbing, Transnational Rural Social Movements, and Global Governance », Globalizations, vol. 10, n° 1, 2013, p. 105-122. Voir aussi les travaux de Delphine Thivet, notamment D. Thivet, « Défense et promotion des “droits des paysans” aux Nations unies : une appropriation oblique de l’advocacy par La Via Campesina », Critique internationale, n° 67, 2015, p. 67.
  • [30]
    C. Rosin, P. Stock et H. Campbell (dir.), Food Systems Failure : The Global Food Crisis and the Future of Agriculture, Londres, Routledge, 2011.
  • [31]
    E. B. Kapstein, « Governing the Global Land Grab », Global Policy, vol. 9, n° 2, 2018, p. 173-183.
  • [32]
    FAO, Ifad, Cnuced et Banque mondiale, « Principles for Responsible Agricultural Investment that Respects Rights, Livelihoods and Resources. A Discussion Note Prepared to Contribute to an Ongoing Global Dialogue », 2010.
  • [33]
    Cité par S. Borras Jr. et J. Franco, « From Threat to Opportunity ? Problems with the Idea of a “Code of Conduct” for Land- Grabbing », Yale Human Rights and Development Law Journal, vol. 13, n° 2, 2014, p. 507-522.
  • [34]
    J. Brem-Wilson, « La Vía Campesina and the UN Committee on World Food Security : Affected Publics and Institutional Dynamics in the Nascent Transnational Public Sphere », Review of International Studies, vol. 43, n° 2, 2017, p. 302-329.
  • [35]
    N. McKeon, « “One Does not Sell the Land upon which the People Walk”… », art. cité ; J. Duncan et D. Barling, « Renewal through Participation in Global Food Security Governance : Implementing the International Food Security and Nutrition Civil Society Mechanism to the Committee on World Food Security », International Journal of the Sociology of Agriculture and Food, vol. 19, n° 2, 2012, p. 143-161.
  • [36]
    En référence aux travaux classiques sur la construction des problèmes publics, par exemple M. Spector et J. I. Kitsuse, Constructing Social Problems, New Brunswick, Transaction Publishers, 1987. Sur la place de l’international dans cette approche, voir T. Bartley, « How Foundations Shape Social Movements : The Construction of an Organizational Field and the Rise of Forest Certification », Social Problems, vol. 54, n° 3, 2007, p. 229-255.
  • [37]
    Sur la transnationalisation des mouvements sociaux, voir notamment S. Tarrow, The New Transnational Activism, New York, Cambridge University Press, 2005 ; J. Siméant, « La transnationalisation de l’action collective », in O. Fillieule, É. Agrikoliansky et I. Sommier (dir.), Penser les mouvements sociaux : conflits sociaux et contestation dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, 2010, p. 121-144.
  • [38]
    L’approche adoptée ici s’inspire de J.-G. Contamin, « Cadrages et luttes de sens », in O. Fillieule et al. (dir.), Penser les mouvements sociaux…, op. cit., p. 55-75 ; L. Mathieu, « Rapport au politique, dimensions cognitives et perspectives pragmatiques dans l’analyse des mouvements sociaux », Revue française de science politique, vol. 52, n° 1, 2002, p. 75-100.
  • [39]
    J.-L. Briquet et F. Sawicki, « L’analyse localisée du politique », Politix, vol. 2, n° 7-8, 1989, p. 6-16.
  • [40]
    J. Lagroye, « De l’objet local à l’horizon local des pratiques », in A.Mabileau (dir.), À la recherche du local, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 132-166.
  • [41]
    J.-L. Briquet et F. Sawicki, « L’analyse localisée du politique », art. cité.
  • [42]
    Pour une analyse de la marginalisation de cette région dans le processus de formation de l’État ivoirien, voir les travaux d’Armando Cutolo, notamment la présentation du panel « Terroirs historiques », in Xe rencontre européenne d’analyse des sociétés politiques, « Gouverner l’Afrique saharo-sahélienne », Paris, Fasopo, 9 février 2018.
  • [43]
    IDEF, Eburnie Today, JVE Côte d’Ivoire et Grain, Conflit foncier en Côte d’Ivoire : les communautés se défendent face à SIAT et à l’État, rapport, IDEF/Eburnie Today/JVE Côte d’Ivoire/Grain, décembre 2017.
  • [44]
    Comme des nombreuses autres entreprises publiques, la SOGB est privatisée en 1994. Les concessions de terres sont ainsi transmises à des acteurs transnationaux, ce qui fait évoluer la représentation que les habitants se font de leurs possibilités de mobilisation.
  • [45]
    Sur l’histoire de cette exploitation, voir A. N. Aboli, J. G. Ibo, M. Konan Séverin et H. G. Tarrouth, « Installation des complexes agro-industriels et rapports conflictuels en Côte d’Ivoire, cas de la SOGB à Grand Béréby dans le Sud-Ouest », Kasa Bya Kasa. Revue ivoirienne d’anthropologie et sociologie, n° 35, 2017, p. 179-197.
  • [46]
    Sur une région différente de l’Ouest forestier, mais présentant des caractéristiques similaires dans les processus de « retour à la terre », voir L. Montaz, « Jeunesse et autochtonie en zone forestière ivoirienne. Le retour à la terre des jeunes Bété dans la région de Gagnoa », Cahiers du Pôle foncier, n° 9, 2015.
  • [47]
    Entretien avec un cadre supérieur à la direction du foncier rural, Abidjan, mars 2017.
  • [48]
    Dekel Oil, « Consolidated Financial Statements as of 31 December 2017 » [en ligne], <http://www.dekeloil.com/ul/DekelOil%20consolidated%20financial%20statements%2031_12_2017%20v11%20clean.pdf>, consulté le 14 décembre 2018.
  • [49]
    Copagen, Touche pas à ma terre, c’est ma vie !, Abidjan, Copagen, 2015.
  • [50]
    F. Purseigle et G. Chouquer, « Les territoires saisis par la firme », Études rurales, n° 191, 2013, p. 9-18.
  • [51]
    S. J. Martin et J. Clapp, « Finance for Agriculture or Agriculture for Finance ? », Journal of Agrarian Change, vol. 15, n° 4, 2015, p. 549-559.
  • [52]
    S. Daniel, « Situating Private Equity Capital in the Land Grab Debate », The Journal of Peasant Studies, vol. 39, n° 3-4, 2012, p. 703-729.
  • [53]
    J. Clapp et E. Helleiner, « Troubled Futures ? The Global Food Crisis and the Politics of Agricultural Derivatives Regulation », Review of International Political Economy, vol. 19, n° 2, 2012, p. 181-207.
  • [54]
    N. L. Peluso et C. Lund, « New Frontiers of Land Control : Introduction », The Journal of Peasant Studies, vol. 38, n° 4, 2011, p. 667-681.
  • [55]
    Voir notamment G. Chouquer, Terres porteuses : entre faim de terres et appétit d’espace, Paris/Arles, Éditions Errance/Actes Sud, 2012.
  • [56]
    Ces contrats posent de multiples problèmes, entre autres dus au fait que les autorités villageoises n’ont généralement pas l’autorité sociale pour les signer.
  • [57]
    Mesures réalisées par l’auteur sur la base de tracés GPS établis sur place en mars 2017.
  • [58]
    Voir la critique de ce discours par S. Schlimmer, Construire l’État par les politiques foncières : la négociation des transactions foncières en Tanzanie, Thèse de doctorat, Bordeaux, IEP de Bordeaux, 2017, p. 111 et suiv.
  • [59]
    L’histoire de cette localité a été étudiée par M. Soro, Dynamiques des systèmes de production, droits fonciers et gestion intrafamiliale de la terre chez les migrants sénoufo dans le Sanwi, Thèse de doctorat, Abidjan, Université Félix-Houphouët-Boigny, 2009.
  • [60]
    Archives consultées auprès de la Direction départementale de l’agriculture, Aboisso, mars 2017.
  • [61]
    Entretien avec A., petit producteur, Ayénouan, décembre 2016.
  • [62]
    Entretien avec B., petit producteur, Ayénouan, décembre 2016.
  • [63]
    Ibid.
  • [64]
    À ce sujet, voir par exemple J.-P. Chauveau, « À l’ombre des acquisitions foncières… », art. cité.
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