Couverture de POLAF_138

Article de revue

Les juristes en Afrique : entre trajectoires d’État, sillons d’empire et mondialisation

Pages 5 à 23

Notes

  • [1]
    M. E. Ngisi, « Pascal Agboyibor, l’avocat qui murmure à l’oreille des grands », Forbes Afrique, février 2015, p. 33-39. Portrait complété par un entretien de l’auteure avec Pascal Agboyibor, Paris, 22 mai 2015.
  • [2]
    Voir B. Ibhawoh, Imperial Justice. Africans in Empire’s Court, Oxford, Oxford University Press, 2013.
  • [3]
    S. Subrahmanyam, Explorations in Connected History. From the Tagus to the Ganges, New Delhi, Oxford University Press, 2005.
  • [4]
    Fondé en 1937 par un avocat français, Raymond Viale.
  • [5]
    Par un effet de réinvention continue, la famille a été réinstallée en tant que chef de canton par décret présidentiel, sous son nom de « trône », Togbui Messan Agboyibo V, en mai 2014.
  • [6]
    N. Teisserenc, « Pascal Agboyibor, le “bélier noir” à forte tête », Jeune Afrique, 7 mars 2014. Il est notamment l’un des conseils juridiques de Gécamines, l’ancien fleuron de l’industrie minière congolaise, qui a remporté en 2012 une bataille judiciaire de longue haleine contre le fonds américain FG Hemisphere. Voir N. Teisserenc, « Les fonds vautours ont du plomb dans l’aile », Jeune Afrique, 17 septembre 2012.
  • [7]
    Voir J.-F. Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, n° 5, 1999, p. 97-120.
  • [8]
    Je tiens à remercier Rick Abel pour ses précieux commentaires sur les premières moutures de cette introduction. Une première version, amendée depuis, a été proposée au congrès annuel de la Law and Society, Seattle, mai 2015.
  • [9]
    Voir J. du Bois de Gaudusson, « Le mimétisme postcolonial, et après ? », Pouvoirs, n° 129, 2009/2, p. 45-55.
  • [10]
    Voir notamment la critique de David Trubek et Marc Galanter sur les échecs des stratégies internationales de développement par le droit à partir des années 1970 « Scholars in Self-Estrangement : Some Reflections on the Crisis in Law and Development Studies in the United States », Wisconsin Law Review, 1974/4, p. 1062-1103.
  • [11]
    Voir M. N’Diaye, « Le développement d’une mobilisation juridique dans le combat pour la cause des femmes : l’exemple de l’Association des juristes sénégalaises (AJS) », Politique africaine, n° 124, 2011, p. 156.
  • [12]
    G. Hesseling et É. Le Roy, « Avant propos. Le droit et ses pratiques », Politique africaine, n° 40, 1990, p. 3.
  • [13]
    Voir É. Gobe, Les Avocats en Tunisie de la colonisation à la révolution (1883-2011). Sociohistoire d’une profession politique, Paris, IRMC-Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 2013.
  • [14]
    P. Bourdieu, « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 96-97, 1993, p. 51.
  • [15]
    G. Steinmetz, « Le champ de l’État colonial. Le cas des colonies allemandes (Afrique du Sud-Ouest, Qingdao, Samoa) », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 171-172, 2008, p. 122-143.
  • [16]
    M. Chanock, Law, Custom, and Social Order. The Colonial Experience in Malawi and Zambia, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 4
  • [17]
    Voir M. Fathi Massoud, Law’s Fragile State. Colonial, Authoritarian, and Humanitarian Legacies in Sudan, Cambridge, Cambridge University Press, coll. « Cambridge Studies in Law and Society », 2013, p. 9.
  • [18]
    Voir E. Rich et J. Moberg, Beyond Governments. Making Collective Governance Work. Lessons from the Extractive Industries Transparency Initiative, Sheffield, Greenleaf Publishings, 2015.
  • [19]
    L’enjeu est illustré de manière frappante par le programme « Justice for the Poor » promu par la Banque mondiale depuis le milieu des années 2000, qui reproduit dans une parfaite amnésie bureaucratique la stratégie coloniale de « réinvention » de la justice coutumière. Voir D. Kohlhagen, « Oser une refondation de la Justice en Afrique. Attentes citoyennes et alternatives au Burundi », in C. Eberhard (dir.), Le Courage des alternatives, Paris, Karthala, coll. « Cahiers d’anthropologie du droit. Hors-série », 2012, p. 177-195.
  • [20]
    Voir B. Ibhawoh, Imperial Justice…, op. cit. ; L. Benton, Law and Colonial Cultures. Legal Regimes in World History, 1400-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 ; L. Benton et R. Ross (dir.), Legal Pluralism and Empires, 1500-1850, New York University Press, 2013 ; S. Dorsett et J. McLaren (dir.), Legal Histories of the British Empire. Laws, Engagements and Legacies, Londres, Routledge, 2014.
  • [21]
    Voir L. Benton et R. Ross (dir.), Legal Pluralism…, op. cit.
  • [22]
    Voir N. Rouland, Anthropologie juridique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1988, p. 88, qui esquisse le panorama contrasté du développement de l’anthropologie du droit en Europe continentale, au Royaume-Uni et aux États-Unis des périodes coloniales aux années 1980.
  • [23]
    Voir É. Le Roy, Les Africains et l’institution de la Justice. Entre mimétismes et métissages, Paris, Dalloz, 2004 ou M. Mamdani, Citizen and Subject. Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism, Princeton University Press, 1996, sans oublier les travaux classiques en anthropologie du droit de Michel Alliot et Jacques Vanderlinden, et de Dominique Darbon en science politique.
  • [24]
    Martin Chanock a lancé les travaux historiques sur les archives juridiques : voir M. Chanock, « Making Customary Law : Men, Women, and Courts in colonial Northern Rhodesia », in M. J. Hay et M. Wright (dir.), African Women and the Law. Historical Perspectives, Boston, Boston University Press, 1982, p. 53-67. La bibliographie en langue française, sur les anciennes colonies françaises, s’est développée plus tardivement : voir C. Coquery-Vidrovitch (dir.), « Les femmes, le droit et la justice », Cahiers d’Études africaines, n° 187-188, 2007, p. 449-780.
  • [25]
    Voir la série de volumes coordonnés par B. Durand et M. Fabre, Le Juge et l’outre-mer, par exemple le tome 1, Phinée le devin ou les leçons du passé, Lille, Centre d’histoire judiciaire, 2006.
  • [26]
    On note l’émergence de travaux, en France, sur les trajectoires professionnelles des magistrats coloniaux et leur mobilité au sein de l’Empire français. Voir J.-C. Farcy, « Quelques données statistiques sur la magistrature coloniale française (1837-1987) » [en ligne], Clio@Themis, 4 mars 2011, <www.cliothemis.com/Clio-Themis-numero-4>, consulté le 21 mai 2015 ; et le projet « Dictionnaire des juristes ultramarins (xviie-xxe siècles) » coordonné par Florence Renucci au Centre d’histoire judiciaire de Lille (à paraître).
  • [27]
    T. C. Halliday, L. Karpik et M. M. Feeley (dir.), Fates of Political Liberalism in the British Post-Colony. The Politics of the Legal Complex, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.
  • [28]
    Voir T. Burgis, The Looting Machine. Warlords, Tycoons, Smugglers and the Systematic theft of Africa’s Wealth, Londres, Harper Collins Publishers, 2015.
  • [29]
    Pour un état de la littérature, voir Y. Dezalay et B. G. Garth, « State Politics and Legal Markets », Comparative Sociology, vol. 10, 2011, p. 38-66.
  • [30]
    T. C. Halliday, L. Karpik et M. M. Feeley (dir.), Fates of Political Liberalism…, op. cit.
  • [31]
    E. Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi, Paris, Gallimard, 1989.
  • [32]
    Y. Dezalay et B. G. Garth, « State Politics… », art. cité, p. 40.
  • [33]
    Voir G. Sapiro, G. Steinmetz et C. Ducournau, « La production des représentations coloniales et postcoloniales », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 185, 2010/5, p. 4-11.
  • [34]
    F. Renucci, « Les chantiers de l’histoire du droit colonial. Introduction » [en ligne], Clio@Themis, 4 mars 2011, <www.cliothemis.com/Clio-Themis-numero-4>, consulté le 2 avril 2015.
  • [35]
    L’analyse devrait être généralisée, mais J.-C. Farcy a par exemple montré la proportion importante de magistrats français dans les systèmes judiciaires des anciennes colonies, plus de dix ans après les indépendances. Voir J.-C Farcy, « Quelques données statistiques… », art. cité.
  • [36]
    Voir Y. Dezalay et B. G. Garth, Asian Legal Revivals. Lawyers in the Shadow of Empire, Londres, University of Chicago Press, 2010.
  • [37]
    P. Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France (1989-1992), Paris, Seuil, coll. « Raisons d’agir », 2012, p. 480-543 ; Y. Dezalay et B. G. Garth, « Lawyers and the Transformation of the Fields of State Power : Osmosis, Hysteresis and Aggiornamento », in M. Rask Madsen et C. Thornhill (dir.), Law and the Formation of Modern Europe. Perspectives from the Historical Sociology of Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 218-240.
  • [38]
    R. Abel et P. Lewis (dir.), Lawyers in Society, Berkeley, University of California Press, 1989.
  • [39]
    T. C. Halliday, L. Karpik et M. M. Feeley (dir.), Fates of Political Liberalism…, op. cit.
  • [40]
    J. Comaroff et J. L. Comaroff (dir.), Law and Disorder in the Postcolony, Chicago, Chicago University Press, 2006, p. 25.
  • [41]
    Le terme « cause lawyers », qui n’appelle pas de traduction française évidente, renvoie à un champ d’analyse, développé aux États-Unis à partir des années 1990, des phénomènes de « judiciarisation » du politique, notamment par les mobilisations du droit par les juristes. Pour un état de la littérature, voir L. Israël « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering », Droit et société, n° 49, 2001/3, p. 793-824.
  • [42]
    Voir L. E. White et J. Perelman (dir.), Stones of Hope : How African Activists Reclaim Human Rights to Challenge Global Poverty, Stanford, Stanford University Press, 2010.
  • [43]
    Voir K. J. Alter, The New Terrain of International Law. Courts, Politics, Rights, Princeton, Princeton University Press, 2014.
  • [44]
    Voir Y. Dezalay et B. G. Garth, La Mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », Paris, Seuil/Liber, 2002.
  • [45]
    Plutôt que les « inns of courts » du système britannique comme institutions élitistes pour la formation des avocats et des juges.
  • [46]
    Voir R. Abel, Politics by Other Means. Law in the Struggle Against Apartheid, 1980-1994, New York, Routledge, 1995.
  • [47]
    G. Steinmetz, « Book Review “Focus on Pierre Bourdieu”. Pierre Bourdieu, On the State. Lectures at the Collège de France 1989-1992, Cambridge Polity, 2014 », Sociologica, n° 3, 2014.
  • [48]
    G. Steinmetz, « Le champ de l’État colonial… », art. cité.
  • [49]
    R. Lardinois, « Entre monopole, marché et religion. L’émergence de l’État colonial en Inde, années 1760-1810 », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 171-172, 2008/1, p. 90-103.
  • [50]
    C. Charle, La Crise des sociétés impériales. Allemagne, France, Grande-Bretagne, 1900-1940. Essai d’histoire sociale comparée, Paris, Le Seuil, 2001.
  • [51]
    B. Ibhawoh, Imperial Justice…, op. cit., p. 13-14.
  • [52]
    É. Gobe, Les avocats en Tunisie…, op. cit.
  • [53]
    Je remercie Peter Brett pour l’aide précieuse qu’il m’a apportée pour recueillir des éléments biographiques sur Unity Dow.
  • [54]
    Par le photographe sud-africain Pieter Hugo.
  • [55]
    Voir L. Mafela, « Batswana Women and Law. Society, Education and Migration (c. 1840-c. 1980) » [En ligne], Cahiers d’Études africaines, n° 187-188, 2007, 15 décembre 2010, <etudesafricaines.revues.org/7962>, consulté le 9 juin 2015.
  • [56]
    Voir S. D. Ross, « Rule of Law and Lawyers in Kenya », Journal of Modern African Studies, vol. 30, n° 3, 1992, p. 421-442 ; Y. P. Ghai et J. P. W. B. McAuslen, Public Law and Political Change in Kenya. A Study of the Legal Framework of Government from Colonial Times to the Present, Oxford, Oxford University press, 1970.
  • [57]
    M. Chanock, Law, Custom, and Social Order…, op. cit.
  • [58]
    Voir le chapitre 10, « The Legal Profession » in M. Chanock, The Making of South African Legal Culture, 1902-1936. Fear, Favour and Prejudice, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 211-242.
  • [59]
    S. D. Ross, « A Comparative Study of the Legal Profession in East Africa », Journal of African Law, vol. 17, n° 3, 1973, p. 279-299.
  • [60]
    Voir J. Gould, « Strong Bar, Weak State ? Lawyers, Liberalism and State Formation in Zambia », Development and Change, vol. 37, n° 4, 2006, p. 921-941.
  • [61]
    Dans l’affaire Unity Dow v. Attorney General décidée par la Cour d’appel du Botswana en 1992, Unity Dow obtint gain de cause en arguant que la législation relative à la nationalité qui interdisait aux femmes mariées de transmettre la nationalité botswanaise à leurs enfants en cas de mariage binational (une situation qui l’intéressait directement en tant qu’épouse d’un citoyen américain) était discriminatoire.
  • [62]
    A. Eyffinger, « Taslim Olawale Elias », in A. Eyffinger et A. Witteveen, La Cour internationale de justice. 1946-1996, Londres/La Haye, Brill/Kluwer Law International, 1999, p. 277.
  • [63]
    Sur la genèse du droit international et son rapport avec la colonisation, voir M. Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations. The Rise and Fall of International Law 1870-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
  • [64]
    Voir R. Rathbone, « Law, Lawyers and Politics in Ghana in the 1940s », in D. Engels et S. Marks (dir.), Contesting Colonial Hegemony : State and Society in Africa and India, Londres, British Academic Press, 1994, p. 227-247 ; J. Budniok, « Lawyers’ Politics and Processes of Differentiation in Ghana’s Legal Profession », Présentation au congrès annuel de la Law and Society, Seattle, mai 2015.
  • [65]
    C. Oguamanam et W. Pue, « Lawyers’ Professionalism, Colonialism, State Formation and National Life in Nigeria, 1900-1960 : “the fighting brigade of the people” » [en ligne], Social Science Research Network, 2 octobre 2006, <ssrn.com/abstract=953313>, consulté le 26 mai 2015.
  • [66]
    L’un des quatre organes professionnels de formation et de régulation de la profession de barrister, à Londres.
  • [67]
    S. Dezalay (avec la contribution d’Y. Dezalay), « Professionals of International Justice. From the Shadow of State Diplomacy to the Pull of the Market of Arbitration », in A. Nollkaemper, J. d’Aspremont, W. Werner & T. Gazzini (dir.), International Law as a Profession, Cambridge, Cambridge University Press, [2015, à paraître].
  • [68]
    J. et J. L. Comaroff (dir.), Theory from the South, Or, How Euro-America is Evolving Toward Africa, Boulder, Paradigm Publishers, 2012, p. 12, traduction par l’auteure.
  • [69]
    Voir « Sudan Expresses Disappointment in AU Summit for Shying Away from ICC Pull Out », Sudan Tribune, Khartoum, 12 octobre 2013.
  • [70]
    Avec de rares exceptions. Voir S. Nouwen, Complementarity in the Line of Fire. The Catalysing Effect of the International Criminal Court in Uganda and Sudan, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.
  • [71]
    Voir les travaux de L. Guignard sur les juristes de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.
English version

1Bras croisés sur un costume gris et chemise bleue − incontournable cotte de l’avocat d’affaires −, Pascal Agboyibor trahit par un imperceptible sourire le triomphe qui l’a porté à la « une » du mensuel Forbes Afrique en février 2015 [1]. Cet avocat togolais de 47 ans est l’un des très rares Africains nommés au conseil d’administration de l’une des plus grandes firmes internationales de droit des affaires. À la tête du département « Afrique » du cabinet américain Orrick Herrington & Sutcliffe LLP, basé à Paris, il y est salué comme un « stratège de l’ombre » de grands contrats aux enjeux aussi discrets que formidables entre États et investisseurs étrangers sur le continent africain. Projets miniers et pétroliers, financements d’infrastructures, fusions-acquisition et contentieux : de Paris à Londres et New York − mais aussi dans ces nouvelles global cities que sont Johannesburg, Luanda ou Casablanca − les grands cabinets d’affaires internationaux se tournent vers l’Afrique comme un nouveau marché du droit. Par contraste, la visibilité médiatique de la Cour pénale internationale (CPI) comme arme juridico-politique contre la mauvaise gouvernance, les investissements massifs des agences de développement occidentales pour réformer l’État de droit dans les pays en crise ou encore la multiplication de tribunaux régionaux sur le continent renvoient également l’image – tout aussi trompeuse – d’une nouvelle mondialisation du droit en Afrique.

2Or cette rencontre entre Afrique, droit et affaires politico-économiques est une histoire longue, façonnée par des vagues successives de mondialisation [2]. La trajectoire d’Agboyibor illustre parfaitement ces « histoires connectées [3] » qui se construisent à partir de l’héritage impérial européen, de la Guerre froide à cette nouvelle facture de la mondialisation. « On m’a inculqué très tôt que je serai avocat ». Le droit, pour Agboyibor, est une question éminemment politique et familiale. Son père, Yawovi Agboyibo, ancien bâtonnier, opposant politique et premier ministre de la transition entre les régimes Gnassingbé est une figure emblématique de l’ouverture du Togo au multipartisme en 1991. Il s’était tourné vers le droit des affaires en intégrant le tout premier cabinet d’avocats du pays [4] en 1971, après ses études en France. À une époque où le nouvel État indépendant recrutait massivement dans l’administration, ce choix semblait une anomalie. Mais l’investissement dans le droit des affaires avait assuré la conversion des ressources de cette famille royale, écartée du pouvoir local depuis les années 1930 [5], vers les réseaux politiques et économiques reliant le pays à l’ancienne métropole.

3À une génération d’intervalle, cette proximité a contribué à propulser Pascal Agboyibor dans le barreau très fermé du droit des affaires à Paris, d’abord en 1993 auprès de Jeantet et Associés, l’un des pionniers français du droit des affaires, puis en 2002 au sein d’Orrick. Pascal Agboyibor a tiré parti d’un carnet d’adresses compilé à la faveur d’un détachement à la Banque africaine de développement en 1996 et des recommandations de son père − notamment pour prendre le relais de ses dossiers d’arbitrage entre la République démocratique du Congo et des « fonds vautours [6] ». Mais son ascension au sein du petit barreau « africain » du droit des affaires à Paris s’inscrit aussi dans une nouvelle dynamique de mondialisation du droit. Par un glissement subtil, Paris, ancienne métropole coloniale, se voit dorénavant investie par les grandes firmes anglo-saxonnes du droit des affaires comme plate-forme pour accéder aux marchés africains émergents et, ce faisant, contribuer à une nouvelle transformation des espaces juridiques du continent.

4Loin d’une simple anecdote biographique, cette trajectoire dévoile un habitus familial « sédimenté » par de multiples strates historiques de mondialisation du droit en Afrique depuis les expériences coloniales ; elle souligne aussi l’inscription de ces dynamiques dans des luttes et hiérarchies politiques locales. Dans ce parcours individuel, se révèlent ainsi ces imbrications – entre le local, le national et le global, mais aussi le droit, l’économique et le politique − qui façonnent tout autant le politique au niveau local que l’inscription de l’Afrique dans le monde [7]. Cette trajectoire souligne que les juristes peuvent offrir une clé d’entrée pour éclairer les transformations de l’État, tout autant que l’historicité de ces dynamiques de mondialisation du droit sur le continent. C’est le pari que fait ce dossier de Politique africaine en portant la focale sur les juristes en Afrique [8]. En explorant leurs caractéristiques sociales, leurs stratégies professionnelles et leurs mobilisations politiques, il met l’accent sur ces biographies individuelles de juristes qui, collectivement, contribuent à ces transformations, aux différents niveaux de leurs engagements : qu’ils soient africains, européens, mais aussi américains ou encore asiatiques, politiques, juristes d’affaires, avocats pénalistes, magistrats, universitaires ou militants d’organisations non gouvernementales (ONG).

Les silences du droit : entre savoirs d’empire et discours professionnels

5Ce faisant, ce dossier pose les prémisses d’un programme de recherche encore largement en friche. Le droit est resté longtemps décrédibilisé comme outil d’analyse du social sur le continent africain. Les travaux sur le droit et les institutions juridiques continuent en partie d’être dominés par la perspective du mimétisme [9] ou de l’échec des greffes juridiques [10] dans un contexte de concurrence entre différents ordres normatifs et du fossé entre « droit réel » et « droit formel [11] ». En témoigne le tout premier − et jusqu’à présent unique − dossier de Politique africaine consacré au droit en 1990 qui se donnait pour ambition d’effectuer une « exploration “non juridique” du droit [12] ». Surtout, les juristes restent un point aveugle des travaux sur les empires coloniaux et sur la trajectoire historique des États africains, à de rares exceptions près [13].

6Les difficultés de ce programme ne tiennent pas seulement à son ambition au regard de la relative rareté des connaissances empiriques existantes, compte tenu de l’extraordinaire diversité de ces histoires juridico-politiques. Elles résultent aussi des aveuglements − ou fausses évidences − inhérents au droit. Car le droit est d’abord et avant tout un savoir pratique aux finalités multiples. Expertise qui rationnalise les pratiques professionnelles des juristes, c’est aussi un savoir d’État qui légitime l’exercice du pouvoir et régule les rapports sociétaux. Dès lors, entreprendre de penser des objets sociaux comme l’État, et a fortiori les professions juridiques, « c’est s’exposer à reprendre à son compte une pensée d’État, à appliquer à l’État des catégories de pensée produites et garanties par l’État [14] ».

7Dans le cas des anciennes colonies africaines, cette difficulté est singulièrement renforcée par le fait qu’il n’y a pas une trajectoire d’État mais différents modèles d’empire, dont chacun a poursuivi des stratégies coloniales différenciées, y compris par la greffe de systèmes juridiques « pluriels », selon les spécificités spatio-temporelles de chaque État colonial [15]. Savoir d’empire, le droit a joué un rôle central dans les politiques coloniales : à la fois pour gérer, pragmatiquement, les rapports avec les sociétés colonisées, mais aussi pour légitimer l’entreprise coloniale [16]. En tant qu’expertise globalisée, le droit a aussi été, depuis les indépendances, au cœur de stratégies internationales sur le continent, qu’il s’agisse des projets de réforme de la gouvernance, des politiques d’aide au développement [17] ou des « partenariats public-privé » promus par les institutions financières internationales pour favoriser les investissements étrangers [18]. Paradoxalement, cependant, ces pratiques contemporaines restent largement déconnectées des épisodes antérieurs de mondialisation du droit sur le continent [19].

8La complexité des enjeux symboliques qui se jouent sur le terrain du droit peut contribuer à expliquer les ambiguïtés, sinon les réticences, de la littérature savante à l’égard des thématiques de recherche croisant le juridique et le politique. Les travaux récents d’historiens du droit, consacrés encore pour l’essentiel à l’Empire britannique, ont ouvert des pistes riches sur le rôle du droit dans les empires coloniaux. Ils ont souligné la fonction d’intermédiation jouée par le droit pour concilier les contradictions inhérentes à l’entreprise coloniale en tant que « mission civilisatrice [20] ». Ce double objectif d’économie de la violence et de justification a été transcrit au niveau normatif et institutionnel dans le cadre de systèmes de justice duale − justice coloniale et justice coutumière − qui se sont diffusés dans tous les empires à partir du tournant du xxe siècle [21]. Cette thématique du « pluralisme juridique » s’est imposée comme une matrice dominante pour l’analyse des processus juridiques depuis les années 1980 en anthropologie du droit en Europe continentale, au Royaume-Uni et aux États-Unis [22]. Elle a fait l’objet de nombreux travaux dans différents contextes coloniaux et postcoloniaux africains : aussi bien pour explorer l’« invention » d’une justice coutumière par les administrateurs coloniaux, que pour retracer la fluidité des réinventions successives de la dualité entre justice formelle d’État et justice informelle coutumière dans les contextes postcoloniaux [23]. L’analyse des archives judiciaires coloniales a, par exemple, permis d’explorer le rapport des femmes à la justice coloniale [24] ou le rôle des magistrats coloniaux dans la définition d’une justice coutumière [25]. L’état des connaissances empiriques reste cependant épars en ce qui concerne la composition sociale de la justice coloniale : ces travaux s’intéressent plutôt aux normes et aux institutions judiciaires qu’aux agents chargés de l’administration de la justice. On n’en sait donc encore relativement peu sur les carrières des magistrats coloniaux au sein des empires ou sur les caractéristiques sociales des agents locaux cooptés au sein de ces systèmes de justice duale [26].

9En outre, la sociologie politique des juristes sur le continent africain dans la période contemporaine reste également très peu développée, contrairement aux multiples travaux sur les professions juridiques en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique latine et plus récemment en Asie du Sud-Est. Or, en ce qui concerne le continent africain, les juristes n’apparaissent le plus souvent que sous des aspects opposés et limités : ils sont soit idéalisés comme un corps professionnel protecteur des libertés individuelles au nom de la rule of law[27], ou dénoncés, à l’extrême, comme des mercenaires du droit au service de stratégies de pillage reposant essentiellement sur le clientélisme et la corruption [28]. La littérature sur les professions juridiques a été longtemps dominée par une perspective fonctionnaliste sur les stratégies de monopole et de concurrence pour la conquête de marchés professionnels. Mais, depuis les années 1990, elle fait une place plus importante au rôle central du politique comme prisme d’analyse de l’organisation et de l’engagement des professions juridiques [29]. En ce sens, l’ouvrage coordonné par Terence Halliday, Lucien Karpik et Malcom Feeley s’inscrit dans ce changement de perspective d’autant plus bienvenu qu’il propose une étude comparative du rôle des juristes dans plusieurs anciennes colonies britanniques, y compris, pour la première fois, en Afrique [30]. Mais cette approche souffre de plusieurs limites. Elle se base tout d’abord sur une vision restrictive du politique : les juristes y sont décrits comme participant, par définition, à la promotion d’une forme de « libéralisme politique ». Cette vision élude cependant les stratégies continues de double jeu des juristes dont Ernst Kantorowicz et d’autres dans son sillage ont montré qu’ils étaient au service des détenteurs du pouvoir − et qu’ils jouaient donc un rôle central de légitimation − tout en étant aussi soucieux de s’en démarquer pour protéger une image de neutralité politique, qui est à la base de la crédibilité − et partant de la pérennité − de leurs pratiques professionnelles [31]. Surtout, ces silences du droit s’expliquent en partie par le fait que le droit est aussi un discours produit par et pour les juristes. Le risque en effet, lorsqu’on adopte une focale centrée sur les « professions juridiques » est de reprendre à son compte des catégories qui sont précisément forgées par les juristes pour légitimer leurs pratiques professionnelles et les hiérarchies internes aux champs juridiques [32]. Ne voir, par exemple, en Yawovi Agboyibo qu’un avocat militant et opposant politique, c’est faire l’impasse sur tout un pan de sa pratique et, avec elle, des transformations du marché international du droit des affaires qui en sont le corollaire.

Les juristes en Afrique : fabricants d’État, intermédiaires de mondialisation

10Ce dossier est dès lors une invitation à se donner les moyens d’une sociologie politique systématique des professionnels du droit sur le continent africain. Son ambition est d’abord d’opérer une jonction entre savoirs d’empires et pratiques contemporaines du droit, pour mieux souligner leurs complémentarités mais aussi leurs zones d’ombre respectives. Du point de vue épistémologique, s’il faut poursuivre la réflexion sur la genèse coloniale des disciplines comme le droit et l’anthropologie du droit [33], il conviendrait aussi d’articuler cette réflexion à une analyse du développement des nouvelles expertises globales sur les rapports entre droit et politique dans les situations postcoloniales. D’un point de vue empirique, par ailleurs, son objet est de contribuer à la problématique du legs colonial sur la structure des champs juridiques nationaux et sur le rôle des juristes dans la trajectoire des États postcoloniaux. Il faut pour cela continuer à creuser ces « chantiers » de l’histoire du droit colonial [34]. Mais à terme, il ne s’agit pas seulement de contribuer à une prosopographie systématique des espaces juridiques coloniaux afin d’en retracer les transformations dans le temps long, au-delà de la (longue) décolonisation judiciaire dans les anciennes colonies [35]. Il faut aussi analyser les stratégies juridiques coloniales dans les différents empires et leurs effets aussi bien sur les institutions et pratiques professionnelles juridiques que sur les usages politiques du droit dans les trajectoires étatiques postcoloniales. Cette approche du droit comme stratégie professionnelle et comme stratégie, à la fois, d’État et de contestation politique implique dès lors nécessairement de combiner plusieurs échelles d’analyse. D’abord celle, nationale, de la structure des champs juridiques et de leurs rapports avec les champs du pouvoir d’État nationaux ; mais aussi celle, internationale, du droit comme ressource d’extraversion et comme stratégie d’État sous l’effet de phases successives de mondialisation du droit sur le continent, de la colonisation à l’époque contemporaine [36].

11Ainsi, notre focalisation sur les juristes − en tant qu’agents − comme point d’entrée vise à opérer un glissement heuristique. L’intérêt pour les biographies individuelles est de dépasser les catégories juridiques − entre droit formel, droit informel, droit des affaires ou encore affaires politiques − mais aussi les catégories institutionnelles − entre magistrat, avocat ou encore militant − pour restituer la multiplicité des positionnements des juristes. Cette approche par les trajectoires biographiques permet en effet de mettre en évidence des liens, aussi bien spatiaux que temporels, qui sinon restent invisibles. La trajectoire de Pascal Agboyibor, par exemple, souligne toutes les ressources, hiérarchies et luttes locales inscrites dans son habitus et qui s’intègrent à la transformation des rapports politico-économiques entre Paris et ses anciennes colonies africaines. En ce sens, ces biographies individuelles de juristes permettent de révéler la structure, et la transformation, des espaces sociaux dans lesquels ils s’inscrivent : au sein de champs juridiques nationaux et de champs du pouvoir d’État, et à l’international, dans les rapports avec les anciennes métropoles, les capitales de la finance internationale, ou encore les institutions internationales comme la Banque mondiale ou la CPI.

12Ce dossier esquisse ce programme en soulignant le rôle d’intermédiaires joué par les juristes. Intermédiaires dans la longue durée, à travers les transitions et les moutures successives de l’État colonial à l’État postcolonial, ils sont aussi des intermédiaires d’histoires connectées impliquant des formes d’engagement à différents niveaux entre le local et l’international. Les cinq contributions à ce numéro portent sur des contextes coloniaux et postcoloniaux extrêmement diversifiés des anciens empires français et britannique : des colonies et protectorats français d’Afrique de l’Ouest, à la transition post-Ben Ali en Tunisie, aux premières années de l’indépendance du Zimbabwe, à l’ère post-Guerre froide en Zambie, jusqu’à des dynamiques contemporaines de judiciarisation du politique en Afrique australe. Les analyses qu’elles suggèrent peuvent être lues comme des moments successifs de trajectoires d’États qui se jouent simultanément sur le terrain du droit et dans le champ du pouvoir d’État. Elles soulignent aussi que l’analyse ne peut pas se limiter au niveau national. Les imbrications entre luttes et hiérarchies locales et stratégies juridiques impériales ont tracé des sillons dans lesquels s’inscrivent les phases successives de mondialisation du droit sur le continent.

Les doubles jeux du droit et de l’État

13Ce point d’entrée par les juristes pour analyser des transformations politiques s’inscrit ainsi en premier lieu dans la lignée des pistes ouvertes par Pierre Bourdieu dans ses cours « Sur l’État » au Collège de France, où il souligne que les juristes ont joué un rôle déterminant d’intermédiaires dans les révolutions et transitions politiques au cours des phases successives de formation du pouvoir d’État. Corollaire de cette hypothèse, c’est à partir de ces histoires comparées des champs nationaux du pouvoir d’État que l’on peut analyser la structure et les transformations des espaces juridiques nationaux [37].

14La contribution d’Éric Gobe sur les engagements des professions juridiques dans la transition post-Ben Ali en Tunisie en 2011 révèle précisément cet encastrement des champs juridiques dans les champs nationaux du pouvoir d’État. À rebours des travaux représentant les professions juridiques comme essentiellement soucieuses de préserver leurs marchés professionnels [38], tout autant que les approches les opposant comme un tout monolithique au pouvoir politique [39], il souligne l’articulation continue entre les intérêts professionnels des juristes et les variables sociales, politiques et économiques. Si la magistrature a été mise au pas pendant l’ère Ben Ali, le barreau ne se réduisait pas à une arène politique de substitution en régime autoritaire. À partir des années 1980, la croissance importante du nombre d’avocats au sein d’un « bas barreau » militant mais aux plus faibles ressources politiques, économiques et sociales contrastait avec la proximité du « haut barreau » avec les intérêts politiques et économiques de la dictature. La « fluidité », en retour, de la conjoncture politique spécifique après la chute de Ben Ali a contribué à la fois à abaisser le coût de la dissidence politique, tout en permettant au barreau de se prévaloir en tant que « corps » d’un capital de légitimité révolutionnaire pour négocier des gains politiques et professionnels dans la transition.

15Cette analyse met en exergue les caractéristiques des champs juridiques en tant qu’« espaces carrefour » permettant aux juristes de jouer des stratégies continues de double jeu. La conversion de ressources sociales et politiques en capital juridique assure la reproduction des hiérarchies, tout en étant l’enjeu des luttes internes au champ juridique. Mais ce rôle d’intermédiation permet également de convertir des ressources juridiques en capital de légitimité politique. L’analyse de Jeremy Gould, qui examine les effets du boom juridique de l’immédiat après-Guerre froide en Zambie, permet en ce sens de dépasser la stérilité d’un débat voyant dans le « fétichisme du droit [40] » un produit du tournant néo-libéral et la simple façade d’une instrumentalisation du droit à des fins politiques ou néo-patrimoniales. Il souligne que les politiques de privatisation impulsées en Zambie à partir des années 1990 ont ouvert de nouveaux territoires professionnels pour les juristes amenés à jouer un rôle d’intermédiaires entre l’État et entreprises privées. Ces transformations ont également conduit à valoriser le droit comme une ressource politique.

16Ce double jeu du droit comme stratégie d’État et ressource politique et professionnelle est aussi au cœur de la contribution de Meredith Terretta sur la dernière crise de l’Empire français dans ses colonies et mandats d’Afrique de l’Ouest au sein de la fugace Union française entre 1946 et 1958. Elle retrace les mobilisations de juristes français issus de la résistance pour la défense des droits politiques devant les arènes judiciaires coloniales de Madagascar, de la Côte d’Ivoire et du Cameroun français. Ce faisant, elle montre que ces stratégies juridiques s’inscrivaient dans l’espace des possibles ouvert par la promotion de l’État de droit comme socle constitutionnel commun reliant la métropole à ses colonies. Elles visaient en effet précisément à dénoncer les contradictions de l’ambition politique d’une Union française face aux pratiques coloniales au niveau local. L’enjeu cependant n’est pas simplement d’étendre la recherche sur les « cause lawyers[41] » jusqu’à présent peu ou partiellement appliquée aux contextes africains [42] en rappelant que ces stratégies de mobilisation du droit à des fins politiques, en l’occurrence issues de la résistance, remontent bien plus loin que la Guerre froide. Contrairement aux représentations faisant de la « judiciarisation » du politique et de l’internationalisation des pratiques juridiques un nouvel avatar de la mondialisation [43], il est essentiel de souligner que ces stratégies s’inscrivent dans des « guerres de palais » nationales [44]. Les mobilisations de ce collectif d’avocats français « anticoloniaux » reflétaient ainsi l’état du rapport de force au sein du champ du pouvoir de la métropole − où la cooptation d’élites politiques issues des colonies émerge comme un enjeu politique majeur sous la Quatrième République. Mais les politiques répressives des administrateurs coloniaux ont précipité les indépendances tout en contribuant à inscrire durablement ces stratégies d’instrumentalisation du droit à des fins de répression dans l’arsenal politique des nouveaux États indépendants.

17En ce sens, les contributions de George Karekawaivanane et Peter Brett peuvent se lire comme les deux facettes de moments différents des moutures successives de l’État au Zimbabwe et en Afrique du Sud. Comme le montre la contribution de George Karekwaivanane centrée sur les quinze premières années après l’indépendance du Zimbabwe en 1980, l’« africanisation » du système juridique était un enjeu d’autant plus stratégique pour le nouvel État qu’elle devait servir ses besoins bureaucratiques, en raison de la quasi-absence de juristes nationaux au moment de l’indépendance. Et elle devait aussi assurer l’exclusion des juristes blancs qui protégeaient les monopoles économiques de la petite élite coloniale de propriétaires fonciers. Paradoxalement, cette politique a tout autant permis d’asseoir le contrôle politique sur la magistrature que de créer les conditions d’une relative autonomie des professions juridiques. La faculté de droit de l’université du Zimbabwe, devenue le nouveau point d’entrée vers les professions juridiques [45], émerge ainsi comme lieu d’une redéfinition des pratiques juridiques légitimes. L’ouverture d’une fraction de la faculté vers une posture critique et sociale du droit se démarquant du positivisme des juristes coloniaux renforce ainsi la crédibilité et l’autonomie du droit, que le barreau comme la magistrature se gardent bien de mettre en péril en se saisissant d’enjeux trop brûlants dans un contexte de répression politique. La question raciale et celle de la redistribution des ressources économiques au Zimbabwe et dans la sous-région réapparaissent en retour de manière dramatique et ambiguë à l’arrière-fond des sagas judiciaires décrites par Peter Brett en Afrique australe durant les années 2000. Endossées par des avocats blancs du barreau sud-africain, ces « causes » remettent en question les idéologies nationalistes et exclusivistes des gouvernements du Zimbabwe, de la Namibie et du Botswana en contournant par des leviers judiciaires régionaux et internationaux la trop grande proximité entre droit et politique au niveau local.

Les juristes en Afrique : passeurs d’histoires connectées

18Dans ces différentes études de cas, ce sont donc aussi les luttes et les hiérarchies internes à ces espaces juridiques qui jouent un rôle central, en déterminant les conditions de la proximité avec les intérêts dominants dans le champ du pouvoir d’État, les formes de l’engagement collectif des juristes ou la capacité de conversion de ressources sociales, politiques et économiques en capital juridique. Mais la complexité de ces conflits est accentuée par le fait qu’ils s’inscrivent également dans des dynamiques successives d’importation du droit dans le continent qui sont imbriquées étroitement dans des hiérarchies et luttes locales. La contribution de Peter Brett offre sans doute l’exemple le plus frappant de ces combinatoires multiples entre logiques d’empire, dynamiques régionales d’internationalisation du droit, hiérarchies juridiques et conflits locaux. On ne peut comprendre, en effet, la prédominance d’avocats sud-africains dans les affaires judiciaires qu’il décrit sans retracer les logiques d’emboîtements de ces histoires connectées. L’engagement de cause lawyers sud-africains dans des conflits juridico-politiques dans la sous-région s’explique en effet en partie par l’importation en Afrique du Sud de ces stratégies d’activisme juridique pour lutter contre l’apartheid, via des fondations américaines comme la Fondation Ford dans les années 1980 [46]. Mais il faut aussi tenir compte des stratégies juridiques coloniales de l’Empire britannique dans les pays de la sous-région et de leurs effets sur les capacités de mobilisation juridique au niveau local. Plusieurs décennies après les indépendances, la haute magistrature des pays voisins de l’Afrique du Sud reste pratiquement entièrement dominée par des juristes blancs, pour l’essentiel sud-africains. La domination de juristes sud-africains dans ces dynamiques contemporaines de judiciarisation contribue dès lors à des processus hégémoniques de l’Afrique du Sud dans la sous-région qui sont eux-mêmes inscrits dans le sillon des stratégies juridiques coloniales de l’Empire britannique.

19Pour poursuivre cette hypothèse d’un encastrement des champs juridiques nationaux des anciennes colonies dans l’héritage laissé par les stratégies juridiques coloniales des différents empires, il faut comprendre comment se structuraient les espaces juridiques dans les États coloniaux. Les analyses de George Steinmetz sur les empires coloniaux [47] et le champ de l’État colonial [48] fournissent à cet égard des pistes utiles pour étudier les espaces juridiques coloniaux. Et elles suggèrent des hypothèses pour en étudier les transformations postcoloniales. Il souligne ainsi que les empires coloniaux étaient des espaces de relations de pouvoir asymétriques entre métropoles et colonies. Mais ils étaient aussi constitués par des situations coloniales ayant chacune leurs propres spécificités. En effet, le champ de l’État colonial était déterminé par la réfraction partielle du champ du pouvoir des métropoles. Chaque État colonial poursuivait ainsi une trajectoire relativement autonome. Mais les rapports de force dans le champ du pouvoir de la métropole, notamment entre intérêts militaires, missionnaires ou marchands [49] et la concurrence entre les empires [50] influaient également sur les politiques coloniales au niveau local. Si l’on applique cette approche à l’analyse des champs juridiques coloniaux, cela demande alors d’adopter une échelle d’analyse globale pour retracer les jeux d’échos ou « imperial counterflows[51] » au sein des empires coloniaux et entre empires, du fait notamment de la circulation d’agents, de normes, d’institutions. Mais il faut aussi connecter plusieurs échelles locales : celles du champ juridique et du champ du pouvoir d’État dans la métropole et, au niveau de l’État colonial, celles des rapports et conflits entre administrateurs coloniaux et sociétés colonisées. L’imbrication de ces différentes échelles prend en effet toute sa pertinence lorsqu’il s’agit en retour d’analyser les transformations des champs juridiques dans les espaces postcoloniaux. Comme cela est particulièrement mis en exergue dans la contribution de Peter Brett, il faut alors tenir compte de transformations à différents niveaux : au niveau local − au Zimbabwe, en Namibie comme au Botswana −, en Afrique du Sud et dans l’ancienne métropole tout comme dans le champ du pouvoir états-unien en tant que lieu de production et d’exportation de ces stratégies de cause lawyering pour lutter contre l’apartheid durant la Guerre froide.

20Mais il faut aussi retracer toute la complexité des hiérarchies sociales, politiques et économiques qui étaient intégrées dans la structure des espaces juridiques coloniaux au niveau local, ainsi que leurs transformations successives. La sociologie politique développée par Éric Gobe pour analyser la genèse et les transformations du champ juridique en Tunisie, du protectorat français à la transition de l’après-Ben Ali [52], permet en ce sens d’éclairer les mobilisations d’avocats durant le « printemps arabe » tunisien qu’il étudie dans ce dossier. Il montre ainsi que les bifurcations professionnelles entre un « haut barreau » européen monopolisant les affaires commerciales et un « bas barreau » local chargé des petites affaires sociales ont été reproduites à l’indépendance dans la mesure où l’accès au haut barreau était conditionné par la proximité avec le pouvoir et les diplômes acquis dans l’ancienne métropole. Cette bifurcation est encore renforcée sous l’ère Ben Ali avec la constitution d’un haut barreau très proche de la politique des affaires − ou des affaires de la politique − et d’un bas barreau militant, mais dont la posture engagée permet justement un accès ambigu aux hautes instances du barreau. En retour, les possibilités de pantouflage vers le haut barreau comme contrepartie du contrôle politique sur la magistrature sont progressivement contestées par un bas barreau dont les rangs grossissent de manière conséquente à partir des années 1980, mais qui reste confiné aux petites affaires sociales et pénales. Et c’est précisément dans ces sillons que se jouent les engagements des différentes franges du barreau dans la transition post-Ben Ali.

21Ces analyses fournissent des pistes qui peuvent être utilement appliquées à d’autres situations coloniales. Nous terminons cette esquisse par deux trajectoires de juristes qui illustrent parfaitement ces emboîtements entre local et international dans la continuité des stratégies juridiques coloniales de l’Empire britannique. Ces parcours soulignent l’extrême variété de ces stratégies entre États coloniaux − en l’occurrence entre les colonies d’Afrique de l’Est et celles d’Afrique de l’Ouest − mais également au sein même des États coloniaux, en particulier au Nigeria. Nous commençons par l’exemple de la trajectoire de Unity Dow [53], dont nous avons choisi de faire figurer le portrait en couverture de ce dossier [54]. Cette ancienne magistrate est l’une des juges de l’affaire Sesana, relatée par Peter Brett. Son portrait a été pris en 2005, à l’apogée de cette bataille judiciaire, la plus longue et la plus coûteuse de l’histoire du Botswana, à l’issue de laquelle la Cour supérieure jugea en 2006 que les populations san étaient « indigènes » à la Central Kalahari Game Reserve (CKGR). Il s’agissait là d’un défi direct au projet nationaliste porté par l’élite gouvernementale tswana. D’origine modeste, Unity Dow fut la première femme à étudier le droit, au début des années 1980, à ce qui était alors l’université du Botswana et Swaziland, pour l’obtention d’un diplôme qui incluait, typiquement pour l’époque, un passage par l’ancienne métropole, à l’université d’Édimbourg. Elle devint ensuite procureur, écrivain puis avocate et militante au sein d’associations de défense des droits des femmes après son retour au Botswana. Ce fut aussi la première femme botswanaise à être nommée juge à la Cour supérieure du pays, en 1997.

22L’accès d’une femme − mais surtout d’une femme botswanaise − à la plus haute juridiction du pays doit nécessairement être replacé dans le contexte de l’histoire juridique coloniale du Botswana [55]. Dans cette petite colonie, intégrée à l’Empire britannique dans l’orbite économique de l’Afrique du Sud, les autorités coloniales ont déployé une stratégie juridique similaire à celle de leurs colonies de peuplement d’Afrique de l’Est, comme le Zimbabwe ou la Zambie. Pour contrer les troubles provoqués par l’urbanisation, la croissance d’une masse salariale et de nouvelles élites éduquées par les missionnaires dans les années 1920, les autorités coloniales ont sciemment étouffé la formation d’une élite juridique locale. Elles ont à cette fin refusé l’accès à des bourses pour étudier le droit dans la métropole [56], tout en promouvant l’autorité de chefs traditionnels par la reconnaissance formelle de la justice coutumière [57]. Au Botswana comme dans ces autres pays, les bifurcations professionnelles dessinées par ces stratégies juridiques coloniales sont également fortement influencées par les hiérarchies professionnelles du champ juridique sud-africain. Dans ce dernier pays, le développement plus ancien de professions juridiques locales s’est également inscrit dans une ségrégation entre un haut barreau à dominante blanche et européenne, monopolisant les affaires commerciales et minières lucratives, et un bas barreau mixte et noir confiné aux petites affaires pénales et sociales [58].

23La nomination de Unity Dow à la Cour supérieure en 1997 s’inscrivait dans le cadre de la politique d’« africanisation » des juridictions botswanaises. Comme ailleurs dans la région, cette politique ne contribue cependant qu’à la marge, dans la basse magistrature, à transformer les hiérarchies judiciaires. Le barreau reste clivé par des ségrégations professionnelles qui sont aussi sociales, économiques et raciales. En effet, seuls les agents les plus proches des élites politiques peuvent jouer sur différents tableaux et faire aussi bien du droit pénal que du droit des affaires [59]. La nomination d’une juriste marginalisée dans ces hiérarchies pourrait aussi dès lors être comprise comme un effet du boom juridique ouvert par l’après-Guerre froide sur le continent, du fait notamment de l’influence d’ONG internationales et de la croissance d’un militantisme des droits de l’Homme au niveau local [60]. Unity Dow tira ainsi parti d’appuis internationaux, notamment auprès d’ONG sud-africaines et américaines, pour introduire une forme militante de recours à la justice dans les années 1990 [61]. La décision Sesana s’adresse, en retour, autant à une audience internationale qu’à une audience nationale. Elle en retire ainsi un capital symbolique à l’international, notamment en tant que professeur invitée sur les droits fonciers à la faculté de droit de l’université Columbia aux États-Unis. Elle convertit également ce militantisme juridique extraverti en capital de légitimité politique, en se lançant en politique et en intégrant le gouvernement en 2013.

24Cette capacité de positionnement à de multiples niveaux entre droit et politique, à l’échelle locale et internationale contraste en retour avec celle d’un autre juriste de l’ancien Empire britannique, Taslim Olawale Elias, le premier juge africain à être nommé à la Cour internationale de justice, en 1981 [62]. Sa trajectoire illustre cette fois les effets des stratégies juridiques coloniales déployées par les autorités britanniques en Afrique de l’Ouest. Mais elle reflète aussi les transformations plus larges, après les indépendances, d’un système international en grande partie fondé sur l’opposition entre États indépendants et des colonies exclues de l’orbite du droit international [63]. Dans ces colonies ouest-africaines, à l’instar du Nigeria ou du Ghana [64], dès la fin du xixe siècle, des barreaux locaux ont été intégrés au système de justice coloniale en combinant les ressources sociales, politiques et économiques des élites précoloniales. Mais au Nigeria, ces stratégies juridiques coloniales visaient également à maintenir un clivage géographique, permettant, au Sud, de protéger les intérêts commerciaux des Européens et de cantonner le Nord à une justice coutumière et religieuse [65].

25Admis au barreau de l’Inner Temple [66] en 1947, après des études de droit dans la métropole, ce natif de Lagos a été le premier Africain à obtenir un doctorat en droit à l’université de Londres en 1949. Il combine par la suite la pratique du droit avec des positions académiques au Royaume-Uni, y compris en tant que Governor de la School of Oriental and African Studies, à Londres. Il est également étroitement impliqué dans la transition vers l’indépendance du Nigeria en tant que conseiller juridique et constitutionnel du National Council of Nigeria and the Cameroons en 1958. Il combine ensuite de hautes fonctions gouvernementales et judiciaires dans le nouvel État indépendant : procureur général, ministre de la Justice, professeur, doyen de la Faculté de droit de l’Université de Lagos, et président de la Cour suprême − exerçant des fonctions internationales − y compris en tant que membre du comité d’experts chargé de rédiger la Charte de l’Organisation de l’unité africaine en 1963 et en tant que membre et président de la Commission de droit international de l’Onu. Après le coup d’État de 1975, sa nomination à la Cour de justice internationale permet de l’écarter des affaires politiques domestiques. Mais les multiples ressources nationales de ce juriste, combinées à sa stature internationale, contribuent également à asseoir la légitimité de la Cour internationale de justice en tant que « tribunal mondial », après l’intégration des nouveaux États africains indépendants au sein de l’Organisation des Nations unies [67].

26Ces trajectoires contrastées sont inscrites dans des stratégies juridiques coloniales diversifiées allant de la cooptation de juristes locaux, comme dans le protectorat tunisien, au cantonnement des nouvelles élites, comme en Zambie, au Zimbabwe ou encore au Botswana. Cette grande diversité des stratégies juridiques coloniales sur le continent africain a comme corollaire une extrême variété des dispositifs, arènes et échelles de positionnements des juristes. Et c’est sans doute dans cette intense diversité que l’on peut situer la spécificité du continent africain comme « hyper-extension du présent [68] ». Car ces sillons d’Empires ouvrent non seulement des possibilités de doubles jeux entre légitimité morale, politique des affaires et affaires du droit, mais elles offrent aussi des opportunités multiples de tirer profit de ces « jeux d’échos » entre Empires et entre différents espaces sociaux à l’intérieur des mêmes sociétés coloniales.

27Ce dossier se veut une invitation à poursuivre un programme de recherche aux frontières aussi larges qu’évolutives. Et de nombreuses pistes restent à explorer. L’opposition grandissante au sein de l’Union africaine contre la CPI, considérée comme une nouvelle arme impériale [69] a souligné les effets des poursuites pénales internationales sur les conflits politiques locaux. Mais il faudrait poursuivre l’analyse des effets de cette institutionnalisation du droit pénal international aux niveaux régional et local, qui restent encore peu étudiés [70]. Il en va de même de l’institutionnalisation, au niveau régional, des dispositifs de protection des droits humains et de l’émergence progressive de nouvelles élites juridiques [71]. Les enjeux formidables, enfin, soulevés par les ressources naturelles du continent et l’émergence de nouveaux marchés économiques positionnent l’Afrique au cœur de transformations politiques et économiques globales.

Notes

  • [1]
    M. E. Ngisi, « Pascal Agboyibor, l’avocat qui murmure à l’oreille des grands », Forbes Afrique, février 2015, p. 33-39. Portrait complété par un entretien de l’auteure avec Pascal Agboyibor, Paris, 22 mai 2015.
  • [2]
    Voir B. Ibhawoh, Imperial Justice. Africans in Empire’s Court, Oxford, Oxford University Press, 2013.
  • [3]
    S. Subrahmanyam, Explorations in Connected History. From the Tagus to the Ganges, New Delhi, Oxford University Press, 2005.
  • [4]
    Fondé en 1937 par un avocat français, Raymond Viale.
  • [5]
    Par un effet de réinvention continue, la famille a été réinstallée en tant que chef de canton par décret présidentiel, sous son nom de « trône », Togbui Messan Agboyibo V, en mai 2014.
  • [6]
    N. Teisserenc, « Pascal Agboyibor, le “bélier noir” à forte tête », Jeune Afrique, 7 mars 2014. Il est notamment l’un des conseils juridiques de Gécamines, l’ancien fleuron de l’industrie minière congolaise, qui a remporté en 2012 une bataille judiciaire de longue haleine contre le fonds américain FG Hemisphere. Voir N. Teisserenc, « Les fonds vautours ont du plomb dans l’aile », Jeune Afrique, 17 septembre 2012.
  • [7]
    Voir J.-F. Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, n° 5, 1999, p. 97-120.
  • [8]
    Je tiens à remercier Rick Abel pour ses précieux commentaires sur les premières moutures de cette introduction. Une première version, amendée depuis, a été proposée au congrès annuel de la Law and Society, Seattle, mai 2015.
  • [9]
    Voir J. du Bois de Gaudusson, « Le mimétisme postcolonial, et après ? », Pouvoirs, n° 129, 2009/2, p. 45-55.
  • [10]
    Voir notamment la critique de David Trubek et Marc Galanter sur les échecs des stratégies internationales de développement par le droit à partir des années 1970 « Scholars in Self-Estrangement : Some Reflections on the Crisis in Law and Development Studies in the United States », Wisconsin Law Review, 1974/4, p. 1062-1103.
  • [11]
    Voir M. N’Diaye, « Le développement d’une mobilisation juridique dans le combat pour la cause des femmes : l’exemple de l’Association des juristes sénégalaises (AJS) », Politique africaine, n° 124, 2011, p. 156.
  • [12]
    G. Hesseling et É. Le Roy, « Avant propos. Le droit et ses pratiques », Politique africaine, n° 40, 1990, p. 3.
  • [13]
    Voir É. Gobe, Les Avocats en Tunisie de la colonisation à la révolution (1883-2011). Sociohistoire d’une profession politique, Paris, IRMC-Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 2013.
  • [14]
    P. Bourdieu, « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 96-97, 1993, p. 51.
  • [15]
    G. Steinmetz, « Le champ de l’État colonial. Le cas des colonies allemandes (Afrique du Sud-Ouest, Qingdao, Samoa) », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 171-172, 2008, p. 122-143.
  • [16]
    M. Chanock, Law, Custom, and Social Order. The Colonial Experience in Malawi and Zambia, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 4
  • [17]
    Voir M. Fathi Massoud, Law’s Fragile State. Colonial, Authoritarian, and Humanitarian Legacies in Sudan, Cambridge, Cambridge University Press, coll. « Cambridge Studies in Law and Society », 2013, p. 9.
  • [18]
    Voir E. Rich et J. Moberg, Beyond Governments. Making Collective Governance Work. Lessons from the Extractive Industries Transparency Initiative, Sheffield, Greenleaf Publishings, 2015.
  • [19]
    L’enjeu est illustré de manière frappante par le programme « Justice for the Poor » promu par la Banque mondiale depuis le milieu des années 2000, qui reproduit dans une parfaite amnésie bureaucratique la stratégie coloniale de « réinvention » de la justice coutumière. Voir D. Kohlhagen, « Oser une refondation de la Justice en Afrique. Attentes citoyennes et alternatives au Burundi », in C. Eberhard (dir.), Le Courage des alternatives, Paris, Karthala, coll. « Cahiers d’anthropologie du droit. Hors-série », 2012, p. 177-195.
  • [20]
    Voir B. Ibhawoh, Imperial Justice…, op. cit. ; L. Benton, Law and Colonial Cultures. Legal Regimes in World History, 1400-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 ; L. Benton et R. Ross (dir.), Legal Pluralism and Empires, 1500-1850, New York University Press, 2013 ; S. Dorsett et J. McLaren (dir.), Legal Histories of the British Empire. Laws, Engagements and Legacies, Londres, Routledge, 2014.
  • [21]
    Voir L. Benton et R. Ross (dir.), Legal Pluralism…, op. cit.
  • [22]
    Voir N. Rouland, Anthropologie juridique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1988, p. 88, qui esquisse le panorama contrasté du développement de l’anthropologie du droit en Europe continentale, au Royaume-Uni et aux États-Unis des périodes coloniales aux années 1980.
  • [23]
    Voir É. Le Roy, Les Africains et l’institution de la Justice. Entre mimétismes et métissages, Paris, Dalloz, 2004 ou M. Mamdani, Citizen and Subject. Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism, Princeton University Press, 1996, sans oublier les travaux classiques en anthropologie du droit de Michel Alliot et Jacques Vanderlinden, et de Dominique Darbon en science politique.
  • [24]
    Martin Chanock a lancé les travaux historiques sur les archives juridiques : voir M. Chanock, « Making Customary Law : Men, Women, and Courts in colonial Northern Rhodesia », in M. J. Hay et M. Wright (dir.), African Women and the Law. Historical Perspectives, Boston, Boston University Press, 1982, p. 53-67. La bibliographie en langue française, sur les anciennes colonies françaises, s’est développée plus tardivement : voir C. Coquery-Vidrovitch (dir.), « Les femmes, le droit et la justice », Cahiers d’Études africaines, n° 187-188, 2007, p. 449-780.
  • [25]
    Voir la série de volumes coordonnés par B. Durand et M. Fabre, Le Juge et l’outre-mer, par exemple le tome 1, Phinée le devin ou les leçons du passé, Lille, Centre d’histoire judiciaire, 2006.
  • [26]
    On note l’émergence de travaux, en France, sur les trajectoires professionnelles des magistrats coloniaux et leur mobilité au sein de l’Empire français. Voir J.-C. Farcy, « Quelques données statistiques sur la magistrature coloniale française (1837-1987) » [en ligne], Clio@Themis, 4 mars 2011, <www.cliothemis.com/Clio-Themis-numero-4>, consulté le 21 mai 2015 ; et le projet « Dictionnaire des juristes ultramarins (xviie-xxe siècles) » coordonné par Florence Renucci au Centre d’histoire judiciaire de Lille (à paraître).
  • [27]
    T. C. Halliday, L. Karpik et M. M. Feeley (dir.), Fates of Political Liberalism in the British Post-Colony. The Politics of the Legal Complex, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.
  • [28]
    Voir T. Burgis, The Looting Machine. Warlords, Tycoons, Smugglers and the Systematic theft of Africa’s Wealth, Londres, Harper Collins Publishers, 2015.
  • [29]
    Pour un état de la littérature, voir Y. Dezalay et B. G. Garth, « State Politics and Legal Markets », Comparative Sociology, vol. 10, 2011, p. 38-66.
  • [30]
    T. C. Halliday, L. Karpik et M. M. Feeley (dir.), Fates of Political Liberalism…, op. cit.
  • [31]
    E. Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi, Paris, Gallimard, 1989.
  • [32]
    Y. Dezalay et B. G. Garth, « State Politics… », art. cité, p. 40.
  • [33]
    Voir G. Sapiro, G. Steinmetz et C. Ducournau, « La production des représentations coloniales et postcoloniales », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 185, 2010/5, p. 4-11.
  • [34]
    F. Renucci, « Les chantiers de l’histoire du droit colonial. Introduction » [en ligne], Clio@Themis, 4 mars 2011, <www.cliothemis.com/Clio-Themis-numero-4>, consulté le 2 avril 2015.
  • [35]
    L’analyse devrait être généralisée, mais J.-C. Farcy a par exemple montré la proportion importante de magistrats français dans les systèmes judiciaires des anciennes colonies, plus de dix ans après les indépendances. Voir J.-C Farcy, « Quelques données statistiques… », art. cité.
  • [36]
    Voir Y. Dezalay et B. G. Garth, Asian Legal Revivals. Lawyers in the Shadow of Empire, Londres, University of Chicago Press, 2010.
  • [37]
    P. Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France (1989-1992), Paris, Seuil, coll. « Raisons d’agir », 2012, p. 480-543 ; Y. Dezalay et B. G. Garth, « Lawyers and the Transformation of the Fields of State Power : Osmosis, Hysteresis and Aggiornamento », in M. Rask Madsen et C. Thornhill (dir.), Law and the Formation of Modern Europe. Perspectives from the Historical Sociology of Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 218-240.
  • [38]
    R. Abel et P. Lewis (dir.), Lawyers in Society, Berkeley, University of California Press, 1989.
  • [39]
    T. C. Halliday, L. Karpik et M. M. Feeley (dir.), Fates of Political Liberalism…, op. cit.
  • [40]
    J. Comaroff et J. L. Comaroff (dir.), Law and Disorder in the Postcolony, Chicago, Chicago University Press, 2006, p. 25.
  • [41]
    Le terme « cause lawyers », qui n’appelle pas de traduction française évidente, renvoie à un champ d’analyse, développé aux États-Unis à partir des années 1990, des phénomènes de « judiciarisation » du politique, notamment par les mobilisations du droit par les juristes. Pour un état de la littérature, voir L. Israël « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering », Droit et société, n° 49, 2001/3, p. 793-824.
  • [42]
    Voir L. E. White et J. Perelman (dir.), Stones of Hope : How African Activists Reclaim Human Rights to Challenge Global Poverty, Stanford, Stanford University Press, 2010.
  • [43]
    Voir K. J. Alter, The New Terrain of International Law. Courts, Politics, Rights, Princeton, Princeton University Press, 2014.
  • [44]
    Voir Y. Dezalay et B. G. Garth, La Mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », Paris, Seuil/Liber, 2002.
  • [45]
    Plutôt que les « inns of courts » du système britannique comme institutions élitistes pour la formation des avocats et des juges.
  • [46]
    Voir R. Abel, Politics by Other Means. Law in the Struggle Against Apartheid, 1980-1994, New York, Routledge, 1995.
  • [47]
    G. Steinmetz, « Book Review “Focus on Pierre Bourdieu”. Pierre Bourdieu, On the State. Lectures at the Collège de France 1989-1992, Cambridge Polity, 2014 », Sociologica, n° 3, 2014.
  • [48]
    G. Steinmetz, « Le champ de l’État colonial… », art. cité.
  • [49]
    R. Lardinois, « Entre monopole, marché et religion. L’émergence de l’État colonial en Inde, années 1760-1810 », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 171-172, 2008/1, p. 90-103.
  • [50]
    C. Charle, La Crise des sociétés impériales. Allemagne, France, Grande-Bretagne, 1900-1940. Essai d’histoire sociale comparée, Paris, Le Seuil, 2001.
  • [51]
    B. Ibhawoh, Imperial Justice…, op. cit., p. 13-14.
  • [52]
    É. Gobe, Les avocats en Tunisie…, op. cit.
  • [53]
    Je remercie Peter Brett pour l’aide précieuse qu’il m’a apportée pour recueillir des éléments biographiques sur Unity Dow.
  • [54]
    Par le photographe sud-africain Pieter Hugo.
  • [55]
    Voir L. Mafela, « Batswana Women and Law. Society, Education and Migration (c. 1840-c. 1980) » [En ligne], Cahiers d’Études africaines, n° 187-188, 2007, 15 décembre 2010, <etudesafricaines.revues.org/7962>, consulté le 9 juin 2015.
  • [56]
    Voir S. D. Ross, « Rule of Law and Lawyers in Kenya », Journal of Modern African Studies, vol. 30, n° 3, 1992, p. 421-442 ; Y. P. Ghai et J. P. W. B. McAuslen, Public Law and Political Change in Kenya. A Study of the Legal Framework of Government from Colonial Times to the Present, Oxford, Oxford University press, 1970.
  • [57]
    M. Chanock, Law, Custom, and Social Order…, op. cit.
  • [58]
    Voir le chapitre 10, « The Legal Profession » in M. Chanock, The Making of South African Legal Culture, 1902-1936. Fear, Favour and Prejudice, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 211-242.
  • [59]
    S. D. Ross, « A Comparative Study of the Legal Profession in East Africa », Journal of African Law, vol. 17, n° 3, 1973, p. 279-299.
  • [60]
    Voir J. Gould, « Strong Bar, Weak State ? Lawyers, Liberalism and State Formation in Zambia », Development and Change, vol. 37, n° 4, 2006, p. 921-941.
  • [61]
    Dans l’affaire Unity Dow v. Attorney General décidée par la Cour d’appel du Botswana en 1992, Unity Dow obtint gain de cause en arguant que la législation relative à la nationalité qui interdisait aux femmes mariées de transmettre la nationalité botswanaise à leurs enfants en cas de mariage binational (une situation qui l’intéressait directement en tant qu’épouse d’un citoyen américain) était discriminatoire.
  • [62]
    A. Eyffinger, « Taslim Olawale Elias », in A. Eyffinger et A. Witteveen, La Cour internationale de justice. 1946-1996, Londres/La Haye, Brill/Kluwer Law International, 1999, p. 277.
  • [63]
    Sur la genèse du droit international et son rapport avec la colonisation, voir M. Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations. The Rise and Fall of International Law 1870-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
  • [64]
    Voir R. Rathbone, « Law, Lawyers and Politics in Ghana in the 1940s », in D. Engels et S. Marks (dir.), Contesting Colonial Hegemony : State and Society in Africa and India, Londres, British Academic Press, 1994, p. 227-247 ; J. Budniok, « Lawyers’ Politics and Processes of Differentiation in Ghana’s Legal Profession », Présentation au congrès annuel de la Law and Society, Seattle, mai 2015.
  • [65]
    C. Oguamanam et W. Pue, « Lawyers’ Professionalism, Colonialism, State Formation and National Life in Nigeria, 1900-1960 : “the fighting brigade of the people” » [en ligne], Social Science Research Network, 2 octobre 2006, <ssrn.com/abstract=953313>, consulté le 26 mai 2015.
  • [66]
    L’un des quatre organes professionnels de formation et de régulation de la profession de barrister, à Londres.
  • [67]
    S. Dezalay (avec la contribution d’Y. Dezalay), « Professionals of International Justice. From the Shadow of State Diplomacy to the Pull of the Market of Arbitration », in A. Nollkaemper, J. d’Aspremont, W. Werner & T. Gazzini (dir.), International Law as a Profession, Cambridge, Cambridge University Press, [2015, à paraître].
  • [68]
    J. et J. L. Comaroff (dir.), Theory from the South, Or, How Euro-America is Evolving Toward Africa, Boulder, Paradigm Publishers, 2012, p. 12, traduction par l’auteure.
  • [69]
    Voir « Sudan Expresses Disappointment in AU Summit for Shying Away from ICC Pull Out », Sudan Tribune, Khartoum, 12 octobre 2013.
  • [70]
    Avec de rares exceptions. Voir S. Nouwen, Complementarity in the Line of Fire. The Catalysing Effect of the International Criminal Court in Uganda and Sudan, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.
  • [71]
    Voir les travaux de L. Guignard sur les juristes de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.174

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions