Couverture de POLAF_135

Article de revue

Autour d'un livre

Peter Geschiere, Witchcraft, Intimacy and Trust. Africa in Comparison, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 2013, 328 pages.

Pages 197 à 224

Notes

  • [1]
    J.-F. Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique », 1989.
  • [2]
    W. R. Jankowiak, Intimacies: Love + Sex Across Cultures, New York, Columbia University Press, 2008 ; A. Giddens, The Transformation of Intimacy. Sexuality, Love, and Eroticism in Modern Societies, Stanford (CA), Stanford University Press, 1992 ; M. Herzfeld, Cultural Intimacy. Social Poetics in the Nation-State, Londres, Routledge, 1997.
  • [3]
    Voir « L’inquiétante étrangeté », in S. Freud (traduction de M. Bonaparte et E. Marty), Essais de Psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1933 ; F. Roustang, « L’étrange familier », Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 14, 1976, p. 85-116.
  • [4]
    Voir notamment G. Möllering, « The Nature of Trust : From Georg Simmel to a Theory of Expectation, Interpretation and Suspension », Sociology, vol. 35, n° 2, 2001, p. 403-420.
  • [5]
    B. Hibou (dir.), La Privatisation des États, Paris, CERI/Karthala, coll. « recherches internationales », 1999.
  • [6]
    Voir, entre autres, J. Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, 1977 ; Désorceler, Paris, Éditions de l›Olivier, coll. « Penser/rêver », 2009.
  • [7]
    J. Siegel, Naming the Witch, Stanford (CA), Stanford University Press, 2006 ; « Suharto, Witches », Indonesia, n° 71, 2001, p. 27-78.
  • [8]
    J. Tonda, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002 ; Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique Centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005.
  • [9]
    J. Bonhomme, Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 2009.
  • [10]
    M. Foucault, Dits et écrits (1954-1988), tome III (1976-1979), Paris, Gallimard, 1994.
  • [11]
    F. Nyamnjoh, « Witchcraft in the «Politics of belonging»», African Studies Review, vol. 41, n° 3, 1998, p. 69-93.
  • [12]
    M. de Certeau, M., La possession de Loudun, Paris, Julliard,1970.
  • [13]
    Voir M. Douglas (dir.), Witchcraft Confessions and Accusations, Londres, Tavistock, 1970.
  • [14]
    A. Giddens, The Transformation of Intimacy. Sexuality, Love, and Eroticism in Modern Societies, Redwood City (CA), Stanford University Press, 1992.
  • [15]
    P. Geschiere, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, 1995 ; repris deux ans plus tard sous une forme plus développée : The Modernity of Witchcraft. Politics and the Occult in postcolonial Africa, University of Virginia Press, Charlottesville, 1997.
  • [16]
    F Braudel, La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949, p. 13-14.
  • [17]
    Voir, entre autres, H. Weber, Kinderhexenprozesse, Francfort, Insel Verlag, 1991.
  • [18]
    Wolfgang Behringer, Witches and Witch-Hunts. A Global History, Cambridge, Polity Press, 2004.
  • [19]
    R. Muchembled, Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (xve-xviiie. Essai, Paris, Flammarion, 1991 [1978]. La préface inédite de la réédition de 1991 présente un état de mes repentirs, repris et précisés dans des ouvrages ultérieurs.
  • [20]
    J. Tonda, Éblouissements postcoloniaux. Vivre ailleurs chez soi, vivre ailleurs sur le seuil, Paris, Karthala, [à paraître].
  • [21]
    G. C. Spivak, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2009.
  • [22]
    Voir « L’inquiétante étrangeté », in S. Freud (traduction de M. Bonaparte et E. Marty), Essais de Psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1933.
  • [23]
    J. Bonhomme, Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La librairie du xxie », 2009.
  • [24]
    J. Favret-Saada, Désorceler, Paris, Éditions de l›Olivier, coll. « Penser/rêver », 2009.
  • [25]
    P. Geschiere, Village Communities and the State, Changing Relations among the Maka of Southeast Cameroon since the Colonial Conquest, Londres, Kegan Paul International, 1982 ; P. Geschiere, The Modernity of Witchcraft. Politics and the Occult in Post-Colonial Africa, Charlottesville, University of Virginia Press, 1997.
  • [26]
    P. Geschiere, 1997, The Modernity of Witchcraft…, op. cit.
  • [27]
    R. Muchembled, Cultures populaire et cultures des élites, Paris, Flammarion, 1978, p. 107 ; « Sorcières du Cambrésis » in M.S. Dupont-Bouchat, W. T. M. Frijhoff et R. Muchembled (dir.), Prophètes et sorciers dans les Pays-Bas, xvie-xviiie siècles, Paris, Hachette, 1978, p. 155-263 (voir notamment p. 218). Voir aussi P Geschiere, The Modernity of Witchcraft…, op. cit., p. 269, note 40.
  • [28]
    G. Levi, Le Pouvoir au village, Histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, Paris, Gallimard, 1989.
  • [29]
    J. Tonda, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 2005.
  • [30]
    F. Bernault, « De la modernité comme impuissance : Fétichisme et crise du politique en Afrique équatoriale et ailleurs », Cahiers d’Études africaines, vol. 49, n° 195, 2009, p. 747-774 ; A. Ceriana Mayneri, Sorcellerie et prophétisme en Centrafrique, Paris, Karthala, 2014.
English version

Le point de vue de Matthieu Salpeteur

1Les écrits précédents de Peter Geschiere sur le thème de la sorcellerie avaient déjà considérablement marqué ce champ de recherche. Avec Witchcraft, Intimacy and Trust, il marque une nouvelle étape et renouvelle son approche, ouvrant des perspectives prometteuses. Dans Witchcraft and Modernity (1995), l’auteur avait clairement montré le caractère dynamique et fluide de l’imaginaire de la sorcellerie, sa propension à assimiler en permanence de nouvelles figures, de nouveaux éléments, ou à s’étendre dans de nouveaux interstices de la vie sociale. Il avait mis en avant la circularité des accusations de sorcellerie, marquées par un versant accumulateur mais aussi égalisateur, sa capacité à s’adapter aux nouveaux modes de vie en englobant les populations urbaines ou les émigrants, et par là, sa capacité à relier le local – le monde du village, du groupe de parenté – au global, via un imaginaire multiforme. Un apport majeur de ces travaux fut de montrer que ces caractéristiques rendent l’imaginaire contemporain de la sorcellerie et ses fluctuations incessantes, difficiles à appréhender en suivant les approches classiques que les anthropologues avaient mobilisées dans la seconde moitié du xxe, en termes de structures ou de fonctions par exemple. L’approche proposée ici peut être considérée comme une proposition intéressante pour sortir de cet apparent cul-de-sac théorique. Peter Geschiere suggère d’analyser les faits sociaux liés au discours de la sorcellerie à partir d’un « triangle conceptuel » organisé autour de trois notions : la sorcellerie (witchcraft), l’intimité (intimacy) et la confiance (trust – dont la traduction en français reste malaisée), et de centrer l’analyse à la fois sur les évolutions relatives à chacun de ces pôles, mais surtout d’étudier la manière dont ces trois pôles s’articulent les uns aux autres et comment ces configurations changent au cours du temps et en fonction des contextes géographiques et sociaux.

2Il ne propose donc pas de définition figée des trois pôles, les considérant comme des constructions sociales dotées d’une historicité propre, en constante évolution (suivant en cela l’approche de Jean-François Bayart sur la construction de l’État [1]), et auxquels il est donc délicat d’attribuer des contours précis. Il se réfère à une vaste littérature, mobilisant notamment une série de travaux et réflexions récents sur les notions d’intimité et de « trust », qui font l’objet d’un regain d’intérêt ces dernières années en sciences sociales. Pour traiter de l’intimité, il passe en revue – entre autres – les travaux de William Jankowiak, Anthony Giddens et Michael Herzfeld [2], pour finalement se référer à Sigmund Freud, qui propose, avec la notion de Das Unheimliche (the uncanny en anglais, l’inquiétante étrangeté ou l’étrange familier en français [3]), une approche de la sphère intime non pas en tant que havre de paix et d’harmonie, mais comme potentielle source de danger ou d’inconfort. La notion de confiance (trust) est, elle, définie, après une relecture critique intéressante de la réciprocité et de son usage en anthropologie et en économie (p. 30 et sqq.), en référence aux travaux de Georg Simmel et Guido Möllering [4] comme un processus de « mise en suspens du doute ».

3Peter Geschiere mobilise donc ces notions pour tenter de comprendre comment, alors que les accusations de sorcellerie sont essentiellement situées dans la sphère familiale donc intime (le sorcier et sa victime étant généralement des parents, du moins sur le continent africain), il est néanmoins possible de maintenir une certaine cohésion et un certain niveau d’interaction au sein de cette sphère familiale, donc une certaine confiance. Ce point de départ ouvre sur la question de l’ambiguïté inhérente aux relations intimes, à la fois centrales dans la vie quotidienne mais aussi potentiellement dangereuses. Il donne lieu également à l›étude des stratégies permettant de maintenir la confiance et de lutter contre la menace de la sorcellerie au sein de cette sphère, en fonction des évolutions que connaît celle-ci, dans un contexte sociohistorique plus large.

4Une fois ce cadre théorique posé dans le prologue et le premier chapitre, il l’applique en une série de déclinaisons régionales et historiques et tout d’abord, au cas de la sorcellerie africaine, en prenant pour principal exemple son propre terrain, dans le sud-est du Cameroun (chapitre 2). Son analyse se centre sur la « maisonnée » (the house), dont il décrit les extensions progressives (du village au milieu urbain puis au monde entier via l’émigration), ainsi que les extensions concomitantes de la sorcellerie, que l’on retrouve finalement à toutes ces échelles. Si la sphère intime et la sorcellerie ont ainsi évolué, se pose la question de savoir comment le travail d’établissement de la confiance (trust-making) a pu s’adapter à ce mouvement d’expansion. C’est la question qui guide le chapitre 3, dans lequel l’auteur montre comment, d’un côté, les nganga (devins-guérisseurs) et leurs clients ont mis en place des stratégies pour établir et maintenir un niveau minimum de confiance (les nganga mettant en avant l’aura de leur « professeur », ou les interdits très puissants les empêchant de nuire à leurs clients, par exemple), et de l’autre comment de nouveaux mouvements religieux, tel celui des Églises pentecôtistes, peuvent être appréhendés comme des tentatives de construction de nouvelles communautés, donc d’espaces de confiance, en dehors des cadres habituels du village ou de la parenté. Tout cela dans un contexte politique changeant, marqué notamment par un réinvestissement des communautés locales, du fait de l’ouverture au multipartisme et du mouvement de « privatisation de l’État » des années 1980 et 1990, et la reconnaissance des nganga comme experts auprès des tribunaux dans les affaires de sorcellerie [5]. Le triangle sorcellerie-intimité-confiance semble s’être maintenu malgré ces évolutions profondes, mais comme le mentionne Geschiere, l’extension de la sorcellerie en dehors des cadres de la parenté pourrait marquer un point de rupture de cet équilibre fragile, j’y reviendrai plus loin.

5Dans les chapitres suivants, Geschiere entame une série de comparaisons en se tournant vers l’Europe (chapitre 4), puis vers le Candomblé brésilien (chapitre 5), et enfin vers la Mélanésie et Java (Interlude). Je passerai ici très brièvement en revue ces différents chapitres, avant de revenir sur quelques points-clés.

6Dans le chapitre 4, l’auteur se base sur des affaires de sorcellerie des xvie et xviie, richement documentées, ainsi que sur les travaux de Jeanne Favret-Saada [6] ; cela lui permet notamment de mettre en avant l’une des différences majeures qui semble émerger entre les contextes africain et européen : la tendance à la « fermeture » (closure) de la maisonnée en Europe, à un resserrement sur la famille nucléaire, à opposer à l’ouverture très large de la parenté dans le contexte africain. De ces différences, découlent des configurations distinctes de l’articulation sorcellerie/intimité, la sorcellerie débordant le cadre de l’intimité pour englober les voisins et le village dans le contexte européen, ou au contraire se nichant dans des relations de parenté extensibles dans le contexte africain.

7L’auteur prend ensuite pour objet d’analyse le cas du Candomblé brésilien (chapitre 5), qui offre une configuration totalement différente. Les structures de parenté n’ayant pas résisté au commerce des esclaves, les temples du Candomblé constituent, selon lui, un autre cadre de référence, une autre sphère de l’intime, qui permet de maintenir un certain niveau de confiance entre leurs membres respectifs. Diverses conditions, dont le soutien indirect de l’État – via une revalorisation des origines africaines de la population brésilienne – ont permis aux temples candomblé de s’établir durablement, ce qui constitue une possible explication de la faible diffusion des affaires de sorcellerie dans le contexte brésilien. Mais, comme sur le continent africain, la forte progression des Églises pentecôtistes semble menacer cette relative stabilité.

8Peter Geschiere termine cette riche excursion comparative par une série d’exemples issus de Mélanésie et d’Indonésie, et notamment les travaux de James Siegel sur les explosions de sorcellerie post-Suharto à Java (2006) [7]. Il met alors l’accent sur l’acte de « nommer le sorcier », qui peut être conçu comme un travail cognitif permettant à l’individu d’exercer un contrôle sur ce « familier étrange », sur l’uncanny.

9Witchcraft, Intimacy and trust est extrêmement riche et stimulant, il ouvre de nombreuses perspectives sur un sujet pourtant déjà largement débattu. Je mentionnerai ici deux points principaux qui me semblent particulièrement intéressants.

10Le premier concerne l’équivalence posée par l’auteur entre la sphère de la parenté et la sphère de l’intime, notamment dans les premiers chapitres portant sur le continent africain, et par conséquent, sur le peu d’importance accordée aux autres types de relations sociales, qui pourtant ont aussi leur place dans l’imaginaire contemporain de la sorcellerie. Certes, la parenté, la maisonnée et ses nombreuses extensions – dont Geschiere décrit d’ailleurs les évolutions de manière très intéressante tout au long des chapitres 2 et 3 – reste un trope essentiel des accusations de sorcellerie. Mais le discours et l’imaginaire de la sorcellerie étant très fluides et ouverts, aujourd’hui, les accusations portent aussi sur des individus qui ne sont pas parents, que cela soit en milieu rural ou urbain, et dont l’inclusion dans la sphère de l’intime n’est pas toujours possible. Geschiere aborde ce point en faisant référence notamment à Joseph Tonda à propos de l’émergence de nouvelles formes de sorcellerie dans les « non-lieux lignagers », ou au cas des feymen (p. 21), mais concentre essentiellement son attention sur la parenté [8]. Je prendrai deux exemples issus de mon propre terrain en 2007 et 2008 dans la région des Grassfields, au Cameroun, pour illustrer ce point.

11Le premier concerne une affaire de sorcellerie survenue dans le village où je réalisais mes enquêtes, suite au décès d’un jeune homme originaire de celui-ci mais travaillant à Douala : au cours du deuil, une fois le corps ramené au village, de premières accusations visant les parents du défunt furent lancées. Mais un devin-guérisseur présent balaya ces soupçons pour accuser les trois collègues du défunt, avec lesquels il partageait son bureau en ville, et avec lesquels il n’avait aucun lien de parenté. Il fit le nécessaire pour « punir les responsables » et, quelque temps plus tard, ces trois collègues décédèrent à leur tour dans un accident de la route.

12Le deuxième exemple concerne l’histoire du « bar de la sorcellerie », colportée au village par radio-trottoir, et relevée à maintes reprises. Un individu qui, invité par un ami à boire une bière dans un bar, est finalement averti par le tenancier qu’il a été « vendu » par son ami pour une « réunion » de sorciers, dont le bar est le lieu de rencontre. La future victime doit alors payer une forte somme d’argent au tenancier pour retourner le sort contre cet ami malintentionné et échapper à la menace.

13Ces deux courts exemples montrent bien que l’imaginaire de l’agression sorcellaire s’étend aujourd’hui à d’autres types de relations sociales. Dans le cas des collègues de travail ou des « amis », on retrouve une certaine proximité entre le sorcier et sa victime, et on peut donc inclure ces nouveaux types de relations comme une extension supplémentaire de la sphère intime. Mais avec le développement des centres urbains, du travail salarié, et l’émergence concomitante de nouvelles formes de socialité, l’éventail des relations sociales qui sont potentiellement porteuses d’un danger, d’une agression sorcellaire, ne fait que s’agrandir. Le cas extrême étant celui des accusations de sorcellerie visant de parfaits anonymes, dont le seul acte a été d’avoir interagi directement avec leur victime (par une poignée de mains, par exemple) comme dans le cas des rumeurs de « voleurs de pénis » étudiés par Julien Bonhomme, auquel Geschiere fait d’ailleurs référence (note 53, p. 228) [9].

14Finalement, ces exemples montrent que les accusations de sorcellerie s’étendent à tous types de relations sociales ou d’interactions, par-delà les frontières de la sphère intime, et que là aussi se pose la question de la confiance et du danger potentiel qu’elles génèrent. Dans ce contexte, est-ce qu’un élargissement de cette sphère de l’intimité à l’ensemble des relations sociales et interactions que les individus connaissent quotidiennement ne permettrait pas, justement, une meilleure inclusion de ces autres types d’accusations, qui semblent ici sous-représentés ? Il serait particulièrement intéressant d’étudier les stratégies visant à établir ou à renforcer la confiance dans les échanges interindividuels, en dehors de la sphère intime, dans le contexte urbain par exemple, et son articulation avec l’imaginaire contemporain de la sorcellerie.

15Le second commentaire sera plus spéculatif. On voit bien, à travers cet ouvrage, comment l’articulation de l’analyse, autour des notions d’intimité et de confiance, se révèle fertile et ouvre sur un changement de perspective, à la fois sur ces deux notions elles-mêmes, mais aussi sur les phénomènes de sorcellerie. L’étude des processus et stratégies permettant d’établir ou de maintenir une confiance relative dans les échanges interindividuels, entre victimes de sorciers et nganga, ou encore au sein d’une communauté spécifique, telle que les temples candomblé au brésil ou les assemblées pentecôtistes, est particulièrement intéressante et suggère de possibles développements, notamment en ce qui concerne le rapport au pouvoir politique. Le rapport gouvernants/gouvernés, que ce soit dans le cas d’un État postcolonial ou d’un royaume contemporain des Grassfields, implique, lui aussi, un travail d’établissement et de maintien de la confiance. Les relations entre le détenteur du pouvoir et les individus soumis à ce pouvoir ne relèvent pas du domaine de l’intime, mais requièrent néanmoins un certain degré d’acceptation de la part des gouvernés, le maintien d’une autorité morale par les gouvernants, bref un certain niveau de « trust ». L’on pourrait ici renvoyer à une vaste littérature sur le pouvoir et la domination politique ou encore sur la gouvernementalité [10]. Comme Peter Geschiere et d’autres auteurs l’ont montré, l’association entre pouvoir politique et sorcellerie est un trope courant, notamment sur le continent africain. Geshiere mentionne un cas décrit par Francis Nyamnjoh [11], celui du roi de Bum (région des Grassfields), qui en 1998 eut à se déplacer dans le sud-ouest du Cameroun, pour faire cesser des accusations de sorcellerie au sein de la communauté des ressortissants de son royaume (p. 46 et sqq.). Il avance cet exemple pour illustrer les évolutions liées à la notion d’autochtonie ainsi que l’extension du champ d’influence de la sorcellerie, caractéristiques de cette époque, mais sans spécifiquement aborder la question du rapport roi/sujets, ce qui n’est d’ailleurs pas son propos ici. Il aborde en revanche brièvement cette question en se référant, dans sa conclusion, aux travaux de Michel de Certeau [12] à propos de l’étrange se nichant dans les structures hégémoniques (p. 212). On entrevoit ici encore l’intérêt potentiel de développer plus en avant cette réflexion et d’appliquer l’approche proposée par Geschiere à cet autre objet, en concentrant notamment l’analyse sur les stratégies mobilisées, à la fois par les détenteurs du pouvoir politique et par les « gouvernés » pour construire et maintenir – ou au contraire saper ? un rapport de confiance réciproque, l’articulation de ces stratégies avec le champ de la sorcellerie, et la manière dont ces rapports se combinent au contexte sociopolitique et changent au fil du temps. Cela permettrait notamment d’apporter de nouveaux éclairages sur les évolutions contemporaines du rôle des autorités « traditionnelles », par exemple des rois des Grassfields, dans la vie quotidienne des populations locales, ainsi que de leur rôle dans la lutte contre la sorcellerie – et donc du maintien ou du déclin de leur autorité morale.

16Matthieu Salpeteur

Le point de vue de Robert Muchembled

17Anthropologues et historiens sont-ils capables de se comprendre ? Ils l’avaient tenté sans grand succès, il y a près d’un demi-siècle, lors d’une conférence commune consacrée à la sorcellerie [13]. Peter Geschiere nourrit le louable projet de renouer le dialogue rompu. Dans cet ouvrage particulièrement ambitieux, il adopte délibérément « une approche plus historique », afin qu’elle serve « d’antidote aux tentations culturalistes qui continuent à empoisonner l’anthropologie » (p. xxii). Est-il parvenu à ses fins ?

18Son argumentaire se développe en sept chapitres. Très théorique, le premier tente d’expliquer la sorcellerie à travers les notions d’intimité et de confiance, en partant du terrain d’enquête africain de l’auteur. Après avoir appelé à la rescousse de nombreux penseurs, notamment Sigmund Freud et Georg Simmel, ce dernier tente de convaincre le lecteur que ces concepts sont fondamentaux dans toute expérience humaine et que la maison (la famille) est toujours un réceptacle de dangers. Il lui faut néanmoins admettre que les trois pôles de ce triangle sont constamment mouvants, comme leurs rapports, en fonction de variables temporelles différentes. Ce qui justifie, selon lui, le recours à l’histoire, pour éviter le piège des interprétations trop générales (p. 33).

19J’avoue ne pas être convaincu de la validité de la démarche. Non seulement parce qu’elle charge abusivement la pauvre Clio de porter les outils de l’anthropologue lors de son expédition en sciences humaines étrangères, mais également parce qu’elle fait revenir par la fenêtre la tentation culturaliste prétendument exorcisée par l’écrivain. Ce qu’il définit par ce terme est le fait d’expliquer les variables de sorcellerie dans diverses civilisations et groupes humains en fonction de « différences culturelles radicales » ; il précise que celles-ci sont en train d’opérer un retour en force chez les anthropologues, suite à un intérêt renouvelé de leur part pour l’ontologie (p. xxii), que certains voient simplement comme une manière différente de nommer la culture. Sans prendre parti dans la discussion, qui n’agite pas le monde des historiens, il me paraît nécessaire de souligner l’étrangeté du raisonnement : Peter Geschiere rejette vigoureusement la (mauvaise) tentation culturaliste consistant à définir des différences innées entre les populations, mais il propose une (bonne) interprétation culturaliste en affirmant que la relation entre sorcellerie, intimité et confiance constitue une donnée humaine universelle. Bien que ce ne soit jamais clairement exprimé, on sent qu’il souhaite délivrer l’Afrique d’une accusation de passéisme, en prouvant que la sorcellerie fonctionne partout de la même manière et qu’elle est même souvent liée à la « modernisation » et non pas à des pratiques rétrogrades.

20Suivent deux chapitres sur la sorcellerie africaine, puis trois comparaisons, d’abord avec l’Europe des bûchers de sorcellerie aux xvie et xviie, ensuite avec le Candomblé brésilien, enfin avec la Mélanésie et Java, le tout conclu par un retour sur l’Afrique actuelle, terrain d’une récente intensification de la peur de la sorcellerie. Très enveloppante, la démarche est moins un essai de globalisation du phénomène qu’un plaidoyer pour l’existence d’un modèle universel, dont l’Afrique serait la vitrine. L’auteur déploie une grande érudition et un indéniable talent de conviction pour avancer sa thèse. Celle-ci a l’avantage de la simplicité, tout en reposant sur de subtiles discussions théoriques et philosophiques (quoique parfois inutiles, comme celle concernant la notion d’intimité vue par Anthony Giddens, située aux antipodes de la pensée du rédacteur) [14]. Il est probable que la communauté anthropologique sera beaucoup plus impressionnée par la démarche que celle des historiens, amateurs d’idées, à condition qu’elles soient solidement étayées par des preuves concrètes et des descriptions précises des phénomènes énoncés. Or cette dimension est absente de l’ouvrage.

21La présentation de la sorcellerie au Cameroun, terrain de prédilection de l’auteur, est particulièrement décevante [15]. Sans offrir le moindre survol de ses anciennes recherches, Peter Geschiere traite de manière très vague le thème en pays Maka, où il a longuement œuvré dans les années 1970. Il est vrai que l’auteur a pour principal objectif de lier le sujet à la rencontre coloniale (notamment p. 19), génératrice de nouvelles formes de sorcellerie, et plus encore au changement induit depuis quelques décennies par la modernité (p. 64), afin de prouver que dans toute l’Afrique noire, le sorcier sacrifie ses proches pour gagner de la richesse : famille et intimité sont ainsi, selon lui, les espaces où se développe puissamment la peur de la sorcellerie.

22La colonisation allemande au Cameroun date de 1905-1910. On aurait aimé que Geschiere livre des éléments de réflexion sur les formes de sorcellerie qui existaient au moment du contact, puis sur leurs modifications au cours des soixante années suivantes. Il n’en fournit aucune, s’installant simplement à deux moments de crise, lors de sa première mission de terrain vers 1970, peu après la décolonisation, puis à l’époque de ses nouvelles enquêtes, une génération plus tard. Le choix est-il délibéré ? En remontant le fleuve temporel, il aurait en effet dû parler des anciennes pratiques magiques : or, présenter des originalités africaines en la matière interdirait en effet de parler d’un modèle universel. On peut également penser que les nombreuses répétitions de certaines idées, telles l’absence de chefs chez les Maka, l’économie de l’affection ou la liaison de la sorcellerie avec la modernité, relèvent de la volonté de valider sans les prouver des interprétations insuffisamment étayées.

23Il est rare que l’on prétende se faire anthropologue sans avoir acquis les méthodes de la spécialité, mais il est de plus en plus fréquent de voir beaucoup de gens se proclamer historiens. Il faut néanmoins rappeler que l’histoire est une profession, dotée des techniques spécifiques, longues à acquérir. Elle a également ses codes de reconnaissance, telles les notes de bas de pages (renvoyées dans le texte par les anthropologues). Mon mentor, le grand historien Pierre Goubert, disait en plaisanterie (un peu freudienne pourtant) qu’il fallait cinquante ans pour produire un bon historien. C’est en tout cas une véritable discipline, qui encourage ses adeptes à se bonifier en vieillissant, voire à reconnaître leurs erreurs (je parlerai plus loin des miennes concernant la sorcellerie).

24Peter Geschiere a tenté un effort estimable, mais il est passé loin du compte. Sa pratique de la discipline est limitée aux ruptures, qui plus est très récentes. Ce n’est en soi nullement condamnable et relève d’une histoire immédiate parfaitement licite. Encore faut-il savoir ensuite quitter le terrain du récit des évènements afin d’en offrir une interprétation historique. Pour Fernand Braudel, l’historien doit toujours prendre en compte trois temporalités différentes – longues, séculaires et courtes – pour tenter de donner du sens à la complexité du réel [16]. Manque ici une définition des racines sorcières au Cameroun, remontant le plus loin possible, et une présentation des premiers effets de la colonisation après le choc initial. Il y a plus. Les idées ne sont opératoires qu’à travers des êtres humains qui les portent et les mettent en œuvre. Devient alors très gênante l’absence d’analyse des phénomènes de parenté (dont étaient autrefois si friands les anthropologues). On ne peut parler d’intimité et de confiance dans la famille, sans préciser la taille des maisonnées, l’existence ou non de polygamie (génératrice de jalousies accentuées), la place symbolique accordée respectivement aux hommes, aux femmes, aux enfants, mais aussi les étapes des ruptures dues à la modernité, la puissance des résistances sociales, lignagères, etc. Pour prouver la mutation spectaculaire de la sorcellerie qu’il impute à la modernité, Geschiere aurait dû montrer que ce n’était déjà pas le cas auparavant, que la famille n’était pas le centre d’une formidable peur des sorciers avant les transformations qu’il souligne.

25La notion de modernité se révèle en outre extrêmement ambiguë. Idée centrale de l’ouvrage, elle est utilisée dans une optique positive systématique pour expliquer la plasticité des phénomènes sorciers et délivrer l’Afrique de la suspicion de se complaire dans des pratiques passéistes. Mais l’argument n’est pas suffisamment étayé. On peut admettre sans peine que la famille et la parenté soient au centre du problème de sorcellerie. Mais de quelles entités s’agit-il ? Quels sont leurs contours exacts ? Est-ce que les pères sont les plus visés lors des crises ? Quel est le rôle des femmes ? Elles se font aussi désenvoûteurs (nganga), mais dans quelle proportion par rapport aux hommes ? Un tel flou, peut-être volontaire, autorise des interprétations contradictoires. L’explosion récente de la sorcellerie ne serait-elle pas tout simplement une manifestation symbolique d’un refus de l’excès de modernité ? Telle anecdote, mettant en scène un « évolué » revenu au village après avoir bien réussi, autour duquel se déclenche une joute magique, parce que ses deux fils sont à l’université et vont engranger de plus grands succès encore, laisse penser à une sorte de contrôle social des ruptures dues à la modernité, lorsqu’elles deviennent trop menaçantes pour l’équilibre local. En d’autres termes, le discours sorcier, monopolisé par les désenvoûteurs et les missionnaires chrétiens, pourrait donc être interprété comme un refus de la modernité déstabilisante. Il est évident que l’évolution économique et technique éprouve la solidité des anciens liens humains et redistribue les cartes. N’est-il pas imaginable que les traditions enracinées soient défendues par ceux, beaucoup plus nombreux, qui jalousent la réussite d’un petit nombre de leurs parents et regrettent leur manque d’égards envers eux et la communauté ?

26Au fond, le thème central du livre n’est pas celui porté par le titre, plutôt celui de la jalousie et de ses manifestations au cœur de la famille et de la parenté. Il n’apparaît cependant qu’en filigrane, de manière obsessive, sans avoir été théorisé ni appliqué aux structures socioculturelles de référence. L’auteur se trouve, de ce fait, forcé par ses choix de simplifier à l’extrême les termes de la comparaison. Ainsi oppose-t-il la sorcellerie africaine, nichée au cœur de la famille, à celle de l’Europe des xvie et xviie, concentrée sur les voisins, ce qui est faux. Beaucoup de procès prouvent la détérioration du lien intime, des mères sorcières dénonçant leurs filles, des pères leurs épouses. Et les enfants sorciers ne sont pas une nouveauté africaine. On les brûle ou les enferme à vie en Hainaut et ils dénoncent d’abondance des proches, des voisins mais aussi des parents [17]. La recherche de la fortune, avec l’aide du diable, est par ailleurs une hantise constante des chasseurs de sorcières, pour lesquels l’accumulation de richesse sans travailler constitue un péché mortel. En bref, Peter Geschiere ne conduit pas une véritable comparaison, faute d’utiliser une bibliographie très abondante. Il se contente de quelques ouvrages, tous porteurs de théories simples, tel l’essai décevant d’histoire globale de la sorcellerie de Behringer [18], ou mon premier livre paru en 1978. N’ayant pas encore acquis toutes les prudences de l’historien chevronné, j’y énonçais une théorie de la conquête brutale de la culture populaire paysanne par les élites sociales, en accordant une place privilégiée à l’État absolutiste et à l’Église catholique, ligués contre les « superstitions » rurales. J’ai par la suite fortement modifié et nuancé mes positions [19]. Geschiere se réfère uniquement à la première mouture (p. 108). Or j’ai inversé ma vision de la question, après avoir observé que la France absolutiste résiste beaucoup mieux que l’Allemagne émiettée aux tentatives de persécution des sorcières. L’État fort élève des digues solides contre de telles tentations. Sa rupture et la situation angoissante qui en résulte produisent l’effet contraire, par exemple durant les guerres de religion en France, de 1580 à 1610, avant la stabilisation bourbonienne, ou encore à Java en 1998, juste après que Suharto eut quitté le pouvoir, lorsque se déclenchèrent de vastes paniques sorcières. La recherche d’un paradigme d’explication moins théorique m’a conduit à identifier, comme principaux responsables de la féroce lutte contre la sorcellerie, des entités bien réelles, qui s’implantent précisément partout en Europe durant les dernières décennies du xvie : les jésuites, désireux de former de nouveaux catholiques en travaillant de près la jeunesse et les femmes et en leur insufflant une peur viscérale du diable. On les trouve souvent, un peu partout, au début des grandes persécutions régionales, durant les années 1580. Et c’est l’affirmation de leur influence qui explique une chasse aux sorcières aussi vigoureuse que tardive en Pologne au xviiie. Il est vrai qu’ils ont aussi l’habileté d’entretenir deux fers au feu, certains d’entre eux défendant précocement une critique de l’extermination des sorcières. Il n’en est que plus intéressant de les trouver en Afrique. Ami du jésuite et anthropologue Éric de Rosny ? qualifié de jésuite-sorcier par les médias français après avoir été initié comme nganga au Cameroun, il représente la tendance indulgente de la Compagnie en matière de sorcellerie ?, Geschiere a aussi rencontré en 2005 un jésuite camerounais, ardent partisan de l’éradication complète de ce qu’il appelait « l’école de la sorcellerie » (p. 202-205). Il ne se pose cependant jamais la question de la liaison entre l’action de cette milice chrétienne et la montée de la peur du diable au cœur des familles, préférant concentrer la responsabilité sur les pentecôtistes, très actifs aujourd’hui dans la diffusion du même message. Aussi, bien qu’il le cite, Geschiere ne saisit-il pas l’importance de l’explication donnée par un autre anthropologue africain à propos de la situation à Kinshasa, lequel parle de la rupture du système gérontocratique sous de multiples pressions (p. 195). Est-il étonnant, dans ces conditions, que le conflit aggravé entre les anciennes et les nouvelles générations se transporte au cœur des relations de parenté ?

27Finalement, je referme ce livre en étant convaincu d’une réelle spécificité de la sorcellerie africaine, contrairement à ce que désirait prouver l’auteur. Non pas à cause d’un retard culturel, mais par suite d’une situation intensément conflictuelle au sein de la famille, enracinée par des agents extérieurs, les Églises qui attisent la peur du diable. Le combat qui en résulte est de fait moderne, car les intéressés cherchent des synthèses, des explications rassurantes, des raisons d’espérer en combattant le pessimisme du message apocalyptique, en l’encadrant par des symbolismes et des pratiques sociales héritées de leur culture : ils s’adaptent à la modernité avec une étonnante plasticité. Les nganga aident des sociétés rurales en rapide mutation à affronter l’incertitude et à accepter la perte de substance humaine, avec l’exode vers les villes, l’ouverture de l’éventail entre riches et pauvres, la mutation accélérée des rôles sociaux, paternels en particulier.

28La mise à l’unité mondiale souhaitée par l’auteur est loin d’avoir été réalisée. La comparaison tentée n’a pourtant pas été inutile, en montrant que les sociétés humaines peuvent affronter les mêmes problèmes, mais qu’elles les résolvent différemment, avec les outils mis à leur disposition par leurs cultures, ce qui rend la démarche historique difficile. L’Afrique et l’Europe occidentale des xvie et xviie. sont à la fois plus proches et plus lointaines en matière de sorcellerie que ne le pense Peter Geschiere. Elles ont connu des phénomènes identiques, avec la tentative d’éradication des superstitions paysannes occidentales conduites par les jésuites (ou les protestants dans certaines régions). La situation n’était cependant pas comparable avec celle de l’Afrique, car les paysans européens (80 % des populations ou plus) vivaient majoritairement en noyau conjugal depuis des siècles (le temps long de Braudel) et l’effort de rupture initié par les jésuites ne pouvait avoir d’effets sociaux sur cette structure, se limitant à pousser les jeunes vers l’école et les femmes vers la dévotion. La dépréciation de la gérontocratie ne pouvait s’effectuer qu’au niveau du voisinage et de la communauté d’habitants. Ce qui eut lieu lentement, car les âges au mariage s’élevèrent fortement à partir du xvie. créant des frictions accrues entre les jeunes gens et les adultes qui leur imposaient une pénible attente, de plus en plus longue, produisant des frustrations sexuelles nouvelles compte tenu de l’interdiction des relations préconjugales (temps moyen braudellien, celui des deux siècles concernés). Les crises de sorcellerie coïncident avec le développement d’une image diabolique impitoyable liée à celle d’un Dieu terrible punissant les pécheurs.

29La lutte contre la sorcellerie suggère l’existence d’un immense malaise dans la famille et la parenté, c’est-à-dire dans les procédures de reproduction sociale et d’acquisition des rôles sociaux ou sexuels. Il est probable que la principale source de l’angoisse soit d’importation étrangère, dans des sociétés fragilisées par la modernité. Car le Candomblé de Bahia, au Brésil, fournit une image beaucoup plus apaisée de la sorcellerie d’origine africaine, dans un contexte social nettement moins sensible à la peur du diable. Les guérisseurs et désenvoûteurs locaux, parmi lesquels les femmes jouent un rôle fondamental, se sont organisés en puissantes Églises, rassurantes pour les fidèles qui y retrouvent les croyances de sorcellerie. Le mal y prend une place secondaire, classique, car il est surtout question de le « retourner » vers l’envoyeur, comme dans toute sorcellerie paysanne, sans expressions intenses d’un malaise interne aux familles. Il est vrai que le mythe du métissage et de l’intégration, si puissant au Brésil, a des vertus de conciliation, même s’il ne résout pas les problèmes sociaux et n’empêche pas les tensions entre communautés.

30Anthropologues et historiens ne vivraient-ils décidément pas sur la même planète ? Ils ne semblent en tout cas pas avoir réalisé, depuis 1970, des prodiges d’harmonisation dans leurs relations. Les premiers découvrent maintenant avec passion le champ de la recherche sur la sorcellerie, à une époque où les seconds s’en détournent plutôt, malgré certaines exceptions. On ne peut que regretter cette méconnaissance réciproque, car les sciences humaines n’ont rien à gagner à s’isoler dans leur tour d’ivoire spécifique. J’aurais aimé conclure différemment, la curiosité pour les territoires exotiques à ma pratique m’ayant souvent aiguillonné. Il existe assurément une difficulté à assimiler complètement deux pratiques exigeantes, aux objectifs très éloignés. Ce n’est peut-être pas de sitôt qu’un jeune chercheur bien formé dans l’une comme dans l’autre pourra féconder et renouveler un thème. Le pari serait pourtant novateur, seul susceptible de dépoussiérer les rapports entre nos deux vieilles communautés. Je ne peux m’empêcher de l’espérer. Les historiens ont également leurs mythes…

31Robert Muchembled

Le point de vue de Joseph Tonda

32Lorsqu’il m’a été demandé de participer à la palabre autour du livre de Peter Geschiere, je me doutais que j’allais me confronter à un sujet intime qui fâche et que j’allais encore me fâcher. Non pas contre Peter Geschiere. Mais contre moi-même. Contre les sociétés congolo-gabonaises dans lesquelles j’ai été élevé, dans lesquelles je vis, et dans lesquelles je suis tous les jours confronté à la violence de l’imaginaire sorcellaire.

33Ma colère est la conscience d’un dévastateur aveuglement réflexif des sujets. Ceux-là même qui, en même temps qu’ils voient et disent que depuis qu’ils sont entrés dans l’Histoire, la sorcellerie – comme le rappelle Geschiere – au lieu de reculer face aux éblouissements de la lumière électrique, lumière froide de la Raison, censée, disait-on, tuer les sorciers, ne fait que les multiplier. Comment expliquer cet exaspérant aveuglement qui est au centre du débat de Geschiere avec Emmanuel Kant, Sigmund Freud, Edward Evans-Pritchard, Claude Lévi-Strauss, James Siegel, Jeanne Favret-Saada et les Maka ?

34Dans ce débat, ce qui me concerne personnellement est, au premier chef, la critique qu’adresse Siegel aux anthropologues sur le risque, par leurs analyses, de normalisation des désastres et des dommages d’un imaginaire dont nousautres africains, (je fais allusion à l’Autre africain comme figure de l’altérité radicale occidentale) sommes aujourd’hui les bras armés. L’inconfort de ma posture est celui d’un chercheur qui, bien que refusant moralement d’encourager la normalisation de cet imaginaire par ses analyses, ne peut s’empêcher de travailler, en même temps, comme Geschiere, au désenclavement épistémologique de ce même imaginaire, et donc à la « normalisation » de ses désastres. L’« explication » ou la « compréhension » des phénomènes sociaux par les sciences sociales étant piégées par leur épistémologie propre, elles prennent hélas généralement l’aspect de « justifications ».

35La voie est donc étroite entre, d’une part, le poids des logiques socio-économiques, celles concernant les transformations du rapport entre sorcellerie et intimité dans la campagne française et, d’autre part, l’expérience subjective de l’insupportable, l’impuissance désespérante face au poids social des imaginaires qui le commandent. Il suffit, par exemple, de prendre part aux palabres qu’occasionnent, en Afrique centrale, les décès ou celles qui ponctuent les rituels des « mariages coutumiers », pour se rendre compte de ce poids des logiques socio-économiques – dont la traduction sur la scène invisible mais néanmoins très présente, au cours de ces rituels, se matérialise par la violence de l’imaginaire sorcellaire. Dans ces moments, l’on se rend en effet compte, de manière clinique, comment la valeur, la dignité, l’honneur des sujets et des groupes en présence, se conjuguent avec les valeurs matérielles, les manières codifiées de les échanger, de les partager, de les consommer. Aussi n’est-ce pas par hasard si, depuis les années 1980, les rituels funéraires à Kinshasa ou à Brazzaville sont devenus des scènes d’accusations expéditives de sorcellerie, sous les instigations d’une jeunesse désespérée dont des milliers de membres coalisent par ailleurs contre eux les accusations de sorcellerie de leurs géniteurs et des entrepreneurs de l’invisible que sont les pasteurs pentecôtistes. Ces déchaînements circulaires des ouragans de l’imaginaire sorcellaire sont en fait des matérialisations d’une longue accumulation de nuages dans l’intimité familiale, lignagère ou des alliances matrimoniales. L’« inquiétante étrangeté » freudienne qui prend ainsi tout à coup le visage de l’intime géniteur ou de la familière progéniture est alors incompréhensible sans l’éclairage des situations au cours desquelles les subtilités des codes de l’échange, les nuances des lois de la redistribution, les priorités des principes de la consommation ou encore, plus prosaïquement, les contraintes de la vie ou de la survie quotidiennes ont alimenté, couvé et sédimenté jusqu’à saturation la violence de l’imaginaire sorcellaire.

36Voilà pourquoi je m’exprime ici en m’incluant dans un nous collectif africain, par le fait que je ne suis pas épargné par les agressions constitutives de cette violence. En même temps, ma critique de l’aveuglement réflexif m’exclut de l’ensemble dont je suis pourtant membre. Car, malheureusement, cet aveuglement n’est pas réductible au seul imaginaire africain. Il se situe au cœur même des constructions théoriques ou des paradigmes scientifiques censés émanciper des prisons de l’esprit.

37Malgré l’inestimable acquis épistémologique que représente le livre de Peter Geschiere au sujet du désenclavement de l’Afrique, celui-ci constitue paradoxalement une arme livrée au camp contre lequel je me dresse à l’intérieur du nous : le camp de ceux qui, profondément heurtés par leur rapport avec l’Occident, trouvent dans les « secrets » de la sorcellerie africaine, dans ceux des cultes d’initiation, un domaine inaltéré et inaltérable de notre puissance et de notre revanche. Or, ce domaine de notre « inquiétante étrangeté » est dans son principe même l’allié le plus objectif de la domination occidentale. Ce domaine se renforce en cumulant les pouvoirs, en accumulant les valeurs, en collectionnant les technologies de la puissance blanche. Ainsi, rien que dans le champ lexical postcolonial francophone, la preuve d’une invasive présence blanche dans l’intimité psychique noire est donnée par la prolifération, sur les scènes de la vie quotidienne, des « blindages », des « mines », des « missiles », des « vampires », des « diables », de « Satan » lui-même avec ses « avions », ses « téléphones portables », ses « télévisions », ses « fusils nocturnes », ses francs-maçons, ses rosicruciens, ses intellectuels, qui sévissent parmi d’autres mots-objets, d’autres mots-puissance, d’autres mots-corps, d’autres mots-sorciers. L’inverse, comme je le montre dans mon prochain livre [20], est tout aussi vrai : je veux parler de l’invasive présence colonisatrice noire dans l’intimité psychique blanche. Un colonialisme qui prend alors la forme des désastres du négationnisme que constitue la violence de la sorcellerie raciste.

38Ainsi, le domaine de l’« inquiétante étrangeté » est loin de correspondre à l’idée de clôture identitaire, et donc à l’idée d’une essence qui ne comprendrait pas la présence de l’Autre. Ce domaine ne peut en conséquence constituer un bastion de la résistance révolutionnaire des subalternes contre les puissances monopolisatrices de la parole [21]. La porosité des corps et des esprits est la preuve de l’impasse dans laquelle se trouvent engagées les consciences meurtries par la présence blanche qui les travaille de l’intérieur. Une impasse qui ne s’exprime pas seulement dans l’idée de secrets de nos cultes initiatiques et de notre puissance sorcière inaltérée, mais aussi dans notre prétention à nous considérer comme de « vrais » chrétiens, à instituer la consommation frénétique des « choses des Blancs » comme seul moyen de nous arracher au statut de sauvage ou de primitif, à utiliser les génies blancs pour nos entreprises et à nous offusquer en lisant chez Friedrich Hegel que le Noir représente l’homme naturel dans toute sa sauvagerie et sa nature indomptable, ou chez Kant que nous avons le goût des sornettes !

39Peter Geschiere a donc raison contre Siegel et Lévi-Strauss lorsque Siegel, au sujet du « manque de mots » dans les situations du « sublime » kantien qu’il précipite d’ailleurs dans l’« inquiétante étrangeté » freudienne, prétend expliquer les brusques embrasements de la violence de l’imaginaire sorcier. La profusion des mots que je viens de citer à l’instant dément cette hypothèse. Il a aussi raison lorsqu’il met en exergue la dimension anthropologique du lien entre sorcellerie, intimité, confiance pour expliquer sociologiquement ces embrasements. Sa thèse repose sur des constats qui militent pour une universalité du lien entre intimité et affects, dont l’éruption prend la forme de la violence sorcellaire, et en même temps, cette universalité anthropologique est sociologique puisqu’elle est toujours en rapport avec des variables socio-historiques ou contextuelles. Enfin, Geschiere a encore raison lorsque ses analyses mettent en évidence ce que j’appelle l’aveuglement réflexif auquel les savants, les sujets et les groupes « pris » dans les affaires de sorcellerie sont confrontés.

40Cet aveuglement réflexif explique, à mon sens, pourquoi, en reprenant les termes du débat tel qu’il est exposé par Peter Geschiere, nous sommes contre Kant, lorsque nous refusons d’inscrire la sorcellerie dans l’expérience positive d’une confrontation avec le sublime. Si pour Kant, l’expérience du sublime produit le respect ou la reconnaissance et le manque de mots pour l’exprimer, cette posture cognitive fait prendre conscience de la liberté. Ceci n’est pas le cas, pour la sorcellerie dont le « sublime » cristallise la violence intime et le colonialisme de l’occulte.

41Contre Sigmund Freud, notre familiarité avec cette « inquiétante étrangeté » dont nous concevons parfaitement l’historicité, ne nous affranchit pas davantage de notre soumission volontaire à la servitude [22]. Au contraire. Nous sommes ouverts à tous les marchands de sornettes, et ce ne sont pas les mots pour le dire qui nous manquent, contrairement à la théorie commune à Lévi-Strauss et à Siegel selon laquelle la violence de l’imaginaire sorcellaire serait la résultante d’un déficit de mots pour nommer la menace ou le danger.

42C’est dans cette perspective que je comprends le proverbe douala rapporté par Geschiere qui dit qu’il faut apprendre à vivre avec son sorcier. De la même manière dont on apprend à cheminer avec la mort. Le sorcier et la mort sont dans l’intimité de la « maison » et des sujets, mais ils ont aussi des histoires qui marquent leurs transformations, leurs repositionnements en fonction des dynamiques socio-économiques et théoriques dont le mode de production capitaliste et sa conception de la valeur des hommes et des choses sont de nos jours les déterminants.

43Pour revenir à la métaphore de l’électricité, ces considérations conduisent à dire que si l’électricité multiplie les sorciers, c’est qu’il y a des complicités perverses entre eux. La clé de ces complicités est leur terrain d’entente, commun à la lumière électrique et à celle des torches de résine qui résistent face aux tentatives d’électrification de l’Afrique subsaharienne. Ce terrain d’entente, Peter Geschiere le situe au cœur du lien intrinsèquement ambigu qui relie l’intimité et la confiance. En d’autres termes, il dit qu’il y a de la sorcellerie dans la raison/lumière : l’ambiguïté et la méfiance dans l’intimité. Il le dit à ceux qui, éblouis par les Lumières ne voient pas pourquoi la modernité ne chasse pas les sorciers africains comme elles l’auraient fait en Occident. Il leur dit que la raison électrique est aveugle à cette sorcellerie ; et à ceux qui, éclairés par les lumières des torches de résine, des bougies des cérémonies initiatiques et de l’éclairage chancelant des villes africaines, il dit de tirer les conséquences logiques de ce qu’ils appellent eux-mêmes la sorcellerie des Blancs.

44La sorcellerie des Blancs, c’est donc la raison électrique issue des Lumières. Cette raison, les Africains la volent et la détournent pour voler la nuit. Ils la volent également pour électriser les contacts dans les villes africaines et provoquer les brusques embrasements de vols de sexe, fortement documentés par Julien Bonhomme [23]. Le contact dans l’anonymat des villes qui rend la confiance dangereuse ne peut donc que menacer la métonymie de l’intimité : le sexe. Ils la volent aussi pour embraser les nuits africaines avec les tirs de fusils nocturnes au sein des familles politiques, au sein des familles en Christ : les « Églises de réveil » où, comme mes enquêtes librevilloises l’attestent, certains « papas pasteurs » se protègent contre le feu nourri des tirs de leurs adversaires ou concurrents auprès des nganga qu’ils diabolisent.

45Or, se protéger en aveuglant les ennemis avec les fumées des torches de résine tout en se disant fils de Dieu, c’est se constituer en sujet assujetti à la coalition des deux colonialismes des esprits : celui des nganga et celui de l’esprit saint. Le complexe éblouissant constitué par ses deux colonialismes est, de mon point de vue, la caractéristique de l’impérialisme postcolonial dont l’écran est un puissant dispositif, comme le montre Geschiere.

46Il y a donc deux réflexivités aveuglantes qui conspirent à s’aveugler elles-mêmes et à aveugler les autres : celle de la raison électrique, et celle de la raison des torches de résine. La première aveugle par ses éblouissements sur sa propre histoire, comme l’attestent les discussions que Peter Geschiere engage avec les historiens et les anthropologues européens sur la sorcellerie en Europe. Des discussions qui mettent en exergue la solidité de sa thèse. Par exemple, il pointe l’impossibilité d’une distinction tranchée entre le sorcier, le désorceleur et la victime chez Jeanne Favret-Saada [24]. N’est-ce pas le rôle des désorceleurs du Bocage normand étudiés par cet auteur que de travailler, en toute méconnaissance pour des raisons économiques, à rendre aveugles les membres du « domaine » à une réflexivité qui les conduirait à « voir » la sorcellerie en leur sein au lieu de la situer à son extérieur, chez le voisin ? Mais, en même temps, l’intimité de celui qui « sait voir » le sorcier, le désorceleur, avec des ensorcelés qui ne savent pas voir d’où vient l’agression et surtout qui est l’agresseur, c’est-à-dire le sorcier, bref, cette intimité entre celui qui symbolise la réflexivité et ceux qui symbolisent l’aveuglement ne génère-t-elle pas la défiance et la méfiance des voisins, au point de suspecter le désorceleur de complicité sorcières avec les victimes présupposées, qui deviennent alors des sorciers ?

47Peter Geschiere rappelle l’historicité de ces logiques : le contexte de la « civilisation paysanne » du xixe n’est plus le même que celui du xxe.caractérisé par la petite exploitation agricole. Au xixe les tensions au sein de la famille pouvaient aboutir à des accusations de sorcellerie. Au xxe , avec la constitution de la famille comme unité de production, de gestion et de consommation, ce n’est plus possible. Le sorcier est l’autre de la famille, c’est-à-dire la figure menaçante de l’autre intime projetée dans l’autre extérieur au domaine. Ainsi, ce que met en exergue la lecture serrée du travail de Jeanne Fravret-Saada par Geschiere, c’est non seulement le fait que ces distinctions étanches sont intenables, mais aussi, que l’extériorité radicale de l’attaque sorcellaire par rapport à la famille est commandée par des logiques socio-économiques de constitution d’un autre familial comme agresseur.

48Quand cette réflexivité est portée par un savant comme Claude Lévi-Strauss pour éclairer les logiques sociologiques de la sorcellerie chez les sauvages Zuni dans un contexte où la communication, la langue et les logiques objectives sont investies du pouvoir de conjuration de la tragédie de la Raison électrique au xxe l’on voit alors la « bévue » constitutive de l’aveuglement réflexif scientifique. En effet, ce que je tire de la discussion par Peter Geschiere du « sorcier et sa magie » discutée par Siegel, peut se résumer de la manière suivante : Lévi-Strauss devait privilégier l’analyse structuraliste en termes de « place » dans un système symbolique, et donc mettre en avant une explication en termes de mots, de langage, au détriment d’autres explications. C’est la seule façon de comprendre pourquoi, alors que sa description de ce jeune Zuni confronté à la menace de mort que font peser sur lui les guerriers anti-sorciers est inspirée d’un rapport rédigé par l’anthropologue américaine Matilda Coxe Stevenson en 1905, Lévi-Strauss « oublie » de prendre en compte la vigoureuse intervention de cette dernière en faveur du jeune. Une intervention qui présente deux aspects fort intéressants : Matilda Coxe Stevenson déclare avoir neutralisé les pouvoirs « inconnus », « mystérieux » du jeune, qui sont même associés à des pouvoirs blancs selon Siegel (voir note 23 de l’interlude), et menace de porter l’affaire d’un nouveau meurtre suite à une accusation de sorcellerie au niveau du gouvernement. Sans l’intervention de Matilda Coxe Stevenson, le jeune garçon aurait été tué.

49Il fallait donc à Lévi-Strauss sauver l’interprétation structuraliste en termes de positions dans un jeu d’écarts internes à une structure en vue de préserver sa cohérence. En particulier, la « cohérence mentale ». Pourtant, comme chez Favret-Saada, où il fallait à cette ethnologue occuper nécessairement une place dans le système sorcellaire, Stevenson aurait pu trouver sa place dans ce dispositif explicatif structuraliste. L’aveuglement réflexif se traduit donc ici par le souci (inconscient ?) de sauvegarder la cohérence du paradigme de la pensée sauvage.

50Ces quelques développements montrent en quoi consiste ma colère : je ne peux pas, et je ne veux pas faire comme mesdames Stevenson et Favret-Saada ? jouer le jeu. Je suis trop intolérant avec la bêtise de ceux des miens qui s’accommodent de la violence de l’imaginaire sorcellaire par manque d’alternative intellectuelle. Cette même intolérance, je la dresse contre mes collègues scientifiques africains qui pensent au salut par la sorcellerie et par l’intolérance pentecôtiste ou islamique.

51Le livre de Peter Geschiere est de ce point de vue un brillant essai de clarification de cette énigme, pour la compréhension de laquelle il ne faut donc pas opposer la sorcellerie des Noirs à la sorcellerie des Blancs. À ceux qui font cette opposition ethnocentriste, Geschiere oppose une idée (sociologique) forte : ce n’est pas dans l’antagonisme mais dans le rapport qui existe entre l’Occident et l’Afrique qu’il faut comprendre la persistance, voire la recrudescence de la sorcellerie en Afrique.

52On l’aura compris, le désenclavement épistémologique de l’Afrique ne désenflamme pas la sorcellerie malgré l’utilisation par Geschiere d’auteurs non coutumiers des procès scientifiques de sorcellerie en Afrique : Georg Simmel, Sigmund Freud, Anthony Guidens, et d’autres. Je note cependant deux absents de taille, Max Weber et surtout Karl Marx. Et pourtant, un désensorcellement épistémologique complet de l’Afrique ne peut faire l’économie des lumières blanches du charisme des pasteurs et de celles noires du fétichisme de la marchandise que les pentecôtistes théologiens de la prospérité conspirent à mettre au cœur de leurs entreprises divinement financières.

53La thèse centrale du livre de Geschiere et les grands esprits scientifiques qui la soutiennent ne peuvent donc pas désenflammer la sorcellerie en Afrique pour plusieurs raisons. Parmi celles-ci, il y a le fait qu’elle est le secret le plus mal gardé. Geschiere ne l’a pas inventée, cette thèse : il l’a vue, exposée à ciel ouvert par ses amis Maka, dans leur djambe le ndjo. C’est dans la maison, un mot qui signifie lignage, famille, clan, ou toute organisation de ce type, bref, c’est dans la maison que se situe le noyau de l’agression sorcellaire. C’est connu partout en Afrique centrale.

54Il y a aussi le fait que pour rendre utile ce désenclavement épistémologique de l’Afrique noire, il faudrait que ce dernier soit compris des Africains. Il ne l’est pas et ne le sera pas parce qu’il existe et persistera un malentendu sur cette thèse. Ce malentendu réside dans le fait que l’intimité de l’aveuglement et de la réflexivité ne produit pas la confiance, mais la méfiance et la défiance. Mieux encore, il réside dans l’intimité productrice d’aveuglement entre la réflexivité et la foi, la « croyance » et le savoir, la foi et le savoir, le capitalisme et la sorcellerie.

55Ma colère s’explique donc par ce malentendu. Elle est la colère d’un Africain qui vit la déraison constitutive de la Raison des Lumières et des torches de résine ; qui vit la violence constitutive de l’intimité de la foi et de la croyance, du savoir et de l’obscurantisme du capitalisme et de la sorcellerie. Il existe une différence entre Peter Geschiere et moi concernant nos rapports respectifs avec l’intimité et la confiance. Ma relation intime avec ce phénomène traduit l’intimité de mon esprit avec cette « force » qui, dans la « violence symbolique » de la socialisation l’a possédé, hanté, oppressé, opprimé et exploité à son profit, comme dans tout colonialisme, avant que je ne m’arrache par la force de la réflexivité à sa domination. Ma relation avec cette domination fut donc de confiance, avant cet arrachement épistémologique, dans le sens où, comme tout colonialisme, celui de la sorcellerie ne va pas sans une instauration de la confiance du colonisé au colonisateur. La confiance signifiant ici le fait que l’on ne doute pas que celui-ci existe, on en éprouve la violence. Il s’agit donc d’une confiance paradoxale : elle est faite de révolte et de soumission.

56L’impérialisme postcolonial et la confiance révoltée qui signifie soumission sont attestés par une scène que rapporte Peter Geschiere lorsqu’il assiste à une projection de film lors d’un colloque au Cameroun, et où il constate que la jeune fille qui raconte l’expérience de la sorcellerie ne fait l’objet d’aucun soupçon, d’aucun doute sur ce qu’elle raconte de la part du public. Le public a confiance en elle, il lui fait confiance. Ce qui n’est pas le cas en milieu villageois, souligne Geschiere, où ce genre de récit dresse, contre le narrateur, un camp qui réfute l’accusation et qui est prêt à aller jusqu’à l’épreuve de l’ordalie pour attester le mensonge.

57Mais la contestation villageoise du récit ne signifie pas l’émancipation, l’arrachement à la logique sorcellaire. Elle signifie, lorsqu’elle exige une épreuve d’ordalie ou la consultation d’autres spécialistes, un transfert de la confiance à cet autre spécialiste du même phénomène. Les deux camps en confrontation ne sont que des sujets assujettis au même colonialisme. Leurs esprits en sont les possessions ou les territoires.

58Dès lors, il est clair que ce qu’opère la magie de l’écran, c’est la reproduction de la logique de tout écran qui consiste à faire écran à deux processus : la constitution d’un public volontaire au colonialisme des images ; la mise en scène consistant à désigner celui dont les actes vont susciter la réprobation publique, c’est-à-dire ici la réprobation du public, jusqu’à vouloir son élimination pour satisfaire l’attente de la masse soumise au colonialisme des images.

59Dans cette scène décrite par Geschiere, il fallait au public s’identifier à un « bon » contre un méchant. Par son récit, la jeune femme travaille à la soumission sans rémission du public à la logique sorcellaire. L’écran n’émancipe pas, il éblouit, aveugle et assujettit les collègues africains composant le public du film projeté. La soumission révoltée conduit à la reproduction de la violence de l’imaginaire sorcellaire.

60C’est pour cette raison que l’écran est un dispositif « naturel » de l’impérialisme postcolonial pentecôtiste, qui consiste en un transfert du pouvoir hier acquis de la médiation avec les ancêtres qui devient la médiation avec l’esprit saint. Or, dans cette médiation qui ne criminalise pas seulement les pseudos sorciers, mais aussi les intellectuels, l’écran est l’un des dispositifs les plus importants. C’est lui qui donne le pouvoir de « voir » à un public, c’est lui qui transfère le pouvoir du devin-guérisseur, le voyant traditionnel ou prophète anti-sorcier à ce public.

61Ce qui est donc en jeu ici c’est la posture structurale qu’occupe le public devant l’écran, qui est celle que les corps souffrants occupaient devant le nganga. Au Congo-Brazzaville, Jean Ndombakissa, puissant nganga s’était autoproclamé Télévision en convertissant le miroir de la divination en écran de télévision auquel il s’était auto-réduit de manière métonymique. Il n’agissait cependant pas comme les pasteurs propriétaires des chaînes de télévisions aujourd’hui ayant un public qui voit un accusateur mis en scène par l’écran. Ndombakissa « voyait » dans le miroir l’esprit qui accusait le sorcier, ou alors le sorcier lui-même, son miroir était l’esprit, réfléchissait l’esprit.

62Aujourd’hui, l’écran des télévisions est l’esprit saint puisqu’il suffit de le toucher sur ordre du pasteur pour trouver la guérison. Le miroir et l’écran sont des médiateurs qui prennent le pouvoir de Dieu, comme le pasteur lui-même est ce médiateur de Dieu. Par ces processus des réductions métonymiques, l’écran déparentélise tout en reproduisant les logiques de la parenté, celle des liens du sang commun qui est en chacun des membres du public volontairement soumis au sang de Jésus. Voilà pourquoi l’association de l’écran et des pentecôtistes ramène le mal au sein de la famille et à la méfiance, malgré la déparentélisation et la spectacularisation coextensives à la production d’un public.

63Dans son livre, Peter Geschiere parle de cette demande qui lui fut faite par trois prêtres ayant travaillé au Cameroun au sujet d’une didactique contre la sorcellerie. La même demande est formulée, dans des termes à peine différents, à des chercheurs africains par des prêtres ou des personnels d’ONG. J’en ai fait l’objet et je sais, par mon expérience, qu’aucune didactique contre la sorcellerie n’est opérationnelle en Afrique centrale aujourd’hui. Car la violence de l’imaginaire, constitutive de l’impérialisme postcolonial des écrans, est plus puissante que mes cours. Mes étudiants et certains de mes collègues sont les premiers à me suspecter de complicités avec la sorcellerie rosicrucienne ou franc-maçonne, sorcellerie de la connaissance, raconte-t-on à Libreville. Du coup, cette situation où le chercheur africain refuse de s’inscrire dans une sociologie compréhensive qui impliquerait l’objectivation et la distanciation du phénomène, rendues faciles par l’extériorité culturelle du savant occidental est comme le Réel : elle est impossible. Mon réel est donc impossible parce que je ne vois pas non plus dans le colonialisme pentecôtiste l’alternative au colonialisme sorcellaire. Plus grave, je ne vois pas dans les éblouissements écraniques du colonialisme néolibéral la solution au problème, puisqu’il en est le fondement.

64Ces considérations conduisent à la question fondamentale que pose le livre de Peter Geschiere : comment la confiance peut-elle se garantir dans une société où la rationalité échappe aux sujets et dépend de la puissance des médiateurs ? Comment construire la confiance dans un monde où, partout, existent des médiateurs, des médiations, des médias chargés de la construire dans une intimité avec les images déparentélisantes du Diable faites corps au sein des familles ? Comment penser la confiance dans son rapport à l’intimité si, au cœur des rapports intimes, s’est infiltré le médiateur, l’argent, le Diable, c’est-à-dire le fétiche ? En définitive, la question est de savoir comment dans un système fétichiste, le système capitaliste et chrétien au stade néolibéral où le charisme prophétique, contre Weber lui-même, doit se transformer, selon Marx, en agent de fonction de la valeur, le sujet automate, le déparentélisateur par définition ? Voilà, en définitive, la raison de ma colère.

65Joseph Tonda

La réponse de l’auteur

66Être exposé, dans ce débat, à un tel bombardement d’idées et de propositions pour des ouvertures ultérieures, avec trois commentaires si différents autant dans leur appréciation du livre que dans leurs analyses, est une expérience qui m’a grandement inspiré.

67Matthieu Salpeteur reprend très clairement les lignes clés de mon argumentation. C’est d’autant plus appréciable qu’apparemment, pour d’autres, le livre a créé certains malentendus. Sa traduction de l’uncanny par « le familier étrange » résume très bien l’idée centrale du livre. J’apprécie beaucoup les pistes de recherche qu’il suggère pour pousser les débats plus loin et en premier lieu, son plaidoyer appelant à étendre la réflexion aux formes d’intimité, par-delà la parenté. Comme il le souligne, les soupçons de sorcellerie peuvent aussi naître d’autres contextes de proximité comme le bureau, le terrain de sport, etc. Dans plusieurs régions du continent, en effet, on s’inquiète actuellement du fait que la sorcellerie se détache des cadres de la parenté ? qu’elle soit « en liberté » ? et que par conséquent, on puisse être la victime de n’importe qui. Mais rien n’est sûr à cet égard. Les nouvelles inégalités socio-économiques causent un étirement toujours plus précaire des rapports de parenté. Pourtant, comme j’essaie de le montrer dans le livre, cette dernière se montre particulièrement résiliente dans beaucoup de contextes africains. Dans mes études de cas, si les soupçons de sorcellerie semblent parfois dépasser le cadre de la parenté, celle-ci fait souvent une réapparition inattendue dans le dénouement de l’affaire.

68La suggestion de Matthieu Salpeteur d’élargir l’interprétation de l’intimité et de ses dangers cachés aux analyses du rapport gouvernant/gouvernés et aux débats sur la domination politique est très pertinente. L’affirmation de tout pouvoir politique – et notamment si celui-ci cherche à s’exprimer comme autorité morale – demande la création d’un espace de rencontre entre dominants et dominés. Jean-François Bayart a déjà montré dans ses travaux sur l’État au Cameroun et en Afrique en général que de tels lieux de rencontre offrent non seulement des contextes pour l’imposition de la domination, mais aussi des ouvertures pour des formes plus ou moins cachées de la subversion. Il y a certainement des possibilités d’élargissements intéressants dans cette direction.

69Malheureusement, je n’ai pas pu faire référence dans mon livre aux études de Matthieu Salpeteur, effectuées en partie avec Jean-Pierre Warnier, sur les pratiques d’autopsie apparemment toujours pratiquées dans les Grassfields du Cameroun, pour déterminer si le défunt était victime de la sorcellerie ou lui-même sorcier. C´est une pratique dont j’ai seulement pris connaissance par les publications récentes de ces auteurs. Sa continuation, malgré l’opposition de l’État et des églises, soulève des questions fascinantes sur le bilan entre changement et continuité dans l’imaginaire de l’occulte.

70Robert Muchembled, quant à lui, a été très déçu par mon livre. Je le regrette vivement, car comme lui, il me semble très important de continuer à faire des ponts entre histoire et anthropologie. Pour lui, mon livre est un nouvel exemple de la désinvolture avec laquelle les anthropologues pénètrent le terrain de l’histoire. Je suis complètement d’accord avec lui pour dire que cette incurie de beaucoup d’anthropologues – depuis qu’ils ont abandonné au début des années soixante-dix leur mépris pour l’histoire comme discipline « particularisante » ? est déconcertante. Ironiquement, cependant, ma formation initiale est en histoire et nombre de mes travaux reposent sur une combinaison de méthodes anthropologiques et historiques. Ce qui me valut de publier dans des revues d’histoire et d’occuper des postes dans plusieurs départements d’histoire. Muchembled cite son mentor Pierre Goubert pour souligner qu’il fallait cinquante ans pour produire un bon historien. Son attaque semble suggérer que cinquante ans peuvent produire aussi un mauvais historien ! Je crois pourtant que Robert Muchembled est un peu trop exigeant et surtout trop hâtif dans son jugement.

71En lisant son commentaire, j’ai été frappé par le fait que sur plusieurs points, il propose ses propres lectures, selon lui radicalement opposées à mes intentions, mais qui pour moi semblent correspondre parfaitement à ce que je voulais dire. Est-ce que de tels malentendus résultent des différences entre les deux disciplines ? Je crois plutôt qu´ils suggèrent ou bien une lecture trop hâtive de sa part ou bien des formulations trop rapides de la mienne. La vérité se trouve sans doute quelque part au milieu, comme souvent. En tout cas, quelques clarifications s’imposent. Je serai bref sur les malentendus très nets afin de laisser plus de place à d’autres, susceptibles d’engendrer des débats productifs.

72La lecture de Robert Muchembled de mon chapitre sur le Candomblé et l’essor de cette religion afro-américaine au Brésil est particulière. Mon intention n’était pas de montrer que « la sorcellerie d’origine africaine » y serait « plus apaisée ». Au contraire, il y a, là aussi, une véritable prolifération des craintes de la sorcellerie. Pour les adeptes des temples du Candomblé, cela ne conduit pas à des chasses aux sorciers. En revanche, j’essaie de montrer qu’il y a un épanouissement des pratiques occultes précisément autour de ces temples, qui sont souvent négligées ou même niées par des anthropologues surtout fascinés par l’esthétique impressionnante de ces cultes.

73De la même façon, ce n’est pas moi qui fais une opposition entre sorciers-parents en Afrique versus sorciers-voisins en Europe. C’est une opposition construite par plusieurs historiens que je cite (Robert Briggs, Ronald Hutton). Mon but est plutôt de montrer que cette opposition est trop facile. Il n’est guère nécessaire de me convaincre, comme Muchembled essaie de le faire moult exemples à l’appui, qu’en Europe aussi les accusations prolifèrent à l’intérieur de la famille (ceci est aussi illustré par l’étude de Thomas Robisheaux que je cite longuement). Il serait plus intéressant de discuter l’opposition que je vois émerger dans les conceptions de la maisonnée : beaucoup plus localisée et bien délimitée en Europe versus l’élasticité de la maison en Afrique – ce qui fait qu’actuellement même des migrants transcontinentaux se sentent poursuivis par « la sorcellerie de la maison » (venant de leurs lieux d’origine en Afrique). Évidemment de tels contrastes ne doivent pas être conçus comme résultant de données culturelles (une perspective que Muchembled semble m’attribuer). Je les relie plutôt à des contrastes, dans le sens de Jack Goody, entre la conception qui domine en Afrique du wealth in peopleversuswealth in things ailleurs (j’y reviendrai).

74Il est sans doute plus productif d’élaborer autour de nos différences concernant le rapport entre sorcellerie et modernité. Sur ce point Robert Muchembled présente une lecture d’une de mes « anecdotes » qui serait tout à fait différente : la sorcellerie pourrait selon lui tout aussi bien être un « refus de la modernité déstabilisante » (qu’il met lui-même en italique). Bien entendu ! Tout le discours sur la nouvelle sorcellerie de richesse qui est tant répandu le long de la côte ouest-africaine et qui soutient que maintenant les sorciers, au lieu de manger leurs victimes, les transforment en zombies pour s’enrichir en les « vendant » ou pour les faire travailler sur des « plantations invisibles », reflète une forte protestation contre une modernité qui crée des inégalités inédites et donc illicites. Mais la même « anecdote » à laquelle Muchembled fait référence ici montre que la sorcellerie peut être invoquée autant pour s’attaquer aux nouvelles inégalités que pour les affirmer : l’élite attaquée trouve un guérisseur particulièrement efficace qui la met à l’abri de la jalousie de sa famille au village. Dans mon livre précédent, je parlais de la « modernité de la sorcellerie ». Cela implique-t-il que la sorcellerie doive être lue comme si elle acceptait la modernité ? Dans ce premier ouvrage et dans Witchcraft, Trust and Intimacy, j’essaie plutôt de montrer que la sorcellerie offre un discours séduisant pour interpeller les changements modernes – les rendre explicables et donc vivables. Mais évidemment ce lien à la modernité peut être d’ordre négatif (refus des nouvelles inégalités) ou positif (la sorcellerie comme soutien pour obtenir un accès spécial aux richesses tant convoitées). Comme Salpeteur l’exprime si bien dans ses commentaires, la sorcellerie est toujours double et permet des usages opposés. Peut-être que la différence entre anthropologues ayant été confrontés avec la sorcellerie en action et historiens ? en tout cas ceux qui se basent sur des archives – est que les premiers ont appris à accepter les ambiguïtés de ces idées qui échappent à toute classification nonéquivoque et donc ne permettent jamais des explications définitives.

75Un point de discorde encore plus important concerne le bilan entre universel et spécifique. Selon Muchembled, je serais moi-même victime du culturalisme que j’attaque, car je vois le lien entre sorcellerie et intimité comme universel et donc comme une donnée culturelle. Il retient plutôt dans mon livre ce qui fait la spécificité de l’Afrique ? le lien entre sorcellerie et famille ? qu’il voit certes émerger mais dans des contours trop flous. Apparemment la façon dont j´essaie d´éviter une opposition toujours peu fertile entre universel et spécifique aurait dû être clarifiée. Pourtant, Salpeteur résume ce fil de mon argumentation si clairement que je ne peux pas l’exprimer mieux : il s’agit « d’étudier la manière dont ces trois pôles (sorcellerie, intimité et confiance) s’articulent les uns aux autres et comment ces configurations changent au cours du temps et en fonction des contextes géographiques et sociaux » (voir supra). En effet, l’une de mes intentions était de « désenclaver l’Afrique » en montrant que certains aspects qui peuvent apparaître spécifiques à ce continent (comme la préoccupation continue vis-à-vis de la sorcellerie) reflètent en réalité des problèmes plus généraux.

76Muchembled regrette que cette intention ne soit « jamais clairement exprimé[e] ». Pourtant j’y insiste partout dans le livre, mais il s’agit d’un équilibre délicat entre généralité et spécificité. J’essaie de montrer que le lien étroit que mes amis au pays maka faisaient entre sorcellerie et parenté (« la sorcellerie de la maison » étant la forme la plus dangereuse) m’aidait à voir que dans maintes situations, en Afrique comme ailleurs, les rumeurs sur des sorciers et sorcières s’envolant la nuit pour fomenter des complots avec leurs acolytes étaient étroitement liées à l’intimité. C’est ce qui m’a poussé à définir la problématique plus générale des dangers de l’intimité – problématique d’autant plus intéressante que souvent négligée par les anthropologues et leurs collègues d’autres sciences sociales qui associent plutôt intimité avec réciprocité ou solidarité. Une telle perspective fait ressortir presque automatiquement que ce lien avec l’intimité est substantialisé selon des trajectoires très différentes, l’obsession par rapport aux dangers de la parenté dans beaucoup de régions d’Afrique ne représentant qu’une des cristallisations possibles. Il est clair aussi que cette trajectoire spécifique est liée à des aspects particuliers des sociétés africaines. Dans le livre, je cite surtout Jack Goody selon lequel, en Afrique, la richesse était surtout basée sur le contrôle des personnes (wealth-in-people par opposition à wealth-in-things) impliquant des rapports spécifiques entre ressources naturelles et population, et engendrant des formes spécifiques de parenté (voir aussi la tendance à l’extraversion mise en avant par Jean-François Bayart). De telles spécificités historiques peuvent expliquer par exemple pourquoi la sorcellerie de la maison est désormais censée pouvoir même atteindre des migrants en Europe. Je comprends mal que Muchembled puisse caractériser ce raisonnement d’explication culturaliste.

77Robert Muchembled semble enclin à imposer des distinctions assez rigides entre anthropologie et histoire. Il considère même les notes de bas de page comme propres au domaine de Clio (même ses collègues de grand renom ont pourtant dû accepter que leurs notes soient acheminées à la fin du texte lorsqu’ils publient chez des éditeurs anglo-saxons). Mais il signale aussi dans mon livre – heureusement pour le débat ? des péchés plus graves : un flou dans la présentation des notions de sorcellerie, mais aussi des rapports de parenté, des unités familiales impliquées, etc. Pour Muchembled, l’approche Braudellienne en termes de « sédimentations » consécutives (temporalités longues, séculaires et courtes) demanderait au moins dans un premier temps un aperçu « des anciennes pratiques magiques » suivi par « une présentation des premiers effets de la colonisation après le choc initial ». Je dois avouer que je me méfie profondément d’une telle élaboration mécanique des prescriptions habituelles des Annales, en tout cas en ce qui concerne le terrain mouvant de la sorcellerie. Évidemment j’aurais pu fournir plus de détails sur les cadres familiaux et les représentations qui jouent un rôle central dans les études de cas que je présente. Ces détails sont largement présents dans mes deux livres antérieurs sur l’Est du Cameroun [25]. Ici, j’ai plutôt opté pour une toile plus large dans un but comparatif. Je crois que c’est un choix légitime mais qui peut avoir des désavantages, surtout pour des non-africanistes.

78Le schéma proposé par Robert Muchembled me rappelle à maints égards le genre de pensée de base que les historiens de l’Afrique ont reproché, à juste titre, aux anthropologues de l’époque structuro-fonctionnaliste. Pourquoi Muchembled insiste-t-il tant sur « une meilleure réflexion sur les formes de sorcellerie qui existaient au moment du contact » (colonial) ? Une telle réflexion est présente dans mon livre à travers l’histoire qu’un vieux sage m’a raconté sur la façon dont Nkal Selek, l’ancien chef de guerre le plus réputé de la région a pu trahir son père adoptif, le grand chef des Yébékolo qui semaient la terreur parmi les Maka avant l’arrivée des Allemands. Muchembled semble ne pas avoir remarqué que cette histoire offre en effet une condensation du rôle de la sorcellerie au temps des ancêtres ? c’est-à-dire pour les Maka avant les Allemands. L’intérêt de cette histoire est qu’elle montre à la fois la continuité que Muchembled cherche tant (la trahison des parents : Nkal Selek accepte de « vendre » son père adoptif à la vielle sorcière pour obtenir ses « médicaments ») et le fait que des changements importants se dessinaient dans cette trahison du dedans. L’important est donc que même cette histoire ancienne suggère que l’imaginaire de la sorcellerie a toujours été en flux. C’est pourquoi je trouve des termes comme « héritage millénaire » et « racines sorcières » assez problématiques.

79Lorsque je préparais mon premier livre sur la sorcellerie au Cameroun et ailleurs en Afrique [26], la lecture des études de Robert Muchembled fut une véritable révélation pour moi. L’effort qu’il mettait à distinguer différents discours, dans les procès-verbaux des procès contre les sorcières en Europe au long du xvie ? pas seulement celui des paysans, mais aussi celui très différent des juges des tribunaux ecclésiastiques et de l’État ? positionnait la sorcellerie de façon éloquente dans un contexte plus large. Mes collègues en anthropologie avaient alors plutôt tendance à étudier la sorcellerie comme une affaire locale. Ensuite, Muchembled a en effet un peu dilué l’accent qu’il avait mis sur « l’offensive civilisatrice » et la « conquête politique et religieuse de la campagne ». Mais pour moi, la large perspective ouverte par Muchembled reste un atout majeur.

80Pourtant, déjà dans ma première lecture, j’étais un peu inquiet de la facilité avec laquelle lui et d’autres historiens se référaient à une situation « d’équilibre magique » qui aurait régné dans la campagne avant l’éclatement de ces procès [27]. Les critiques des historiens de l’Afrique à partir des années soixante ont appris aux anthropologues combien il était dangereux de supposer un état d’équilibre avant le tournant colonial ; cette supposition suggère que les vrais changements seraient venus uniquement du dehors, avec l’arrivée des Européens, et évacue les sociétés africaines de l’histoire. Ces considérations ont des conséquences directes sur la façon dont on peut – ou ne peut pas – décrire la sorcellerie. L’histoire de Nkal Selek montre qu’on ne peut pas isoler un moment ? par exemple celui juste avant la colonisation – pour déceler une sorte de condensation des racines de la sorcellerie et un héritage millénaire. Plutôt que de figer des idées et des entités sociales, par exemple en essayant d’esquisser un moment d’« équilibre magique », j’ai choisi de présenter des études de cas dont peuvent ressortir le flux continu mais aussi certains rapports récurrents. Pour Muchembled de telles histoires sont des « anecdotes » ce qui signale une mécompréhension complète de ma méthode. Mais je ne crois pas qu’il s’agisse là d’une différence entre anthropologie et histoire. Mon modèle reste Le pouvoir au village de Giovanni Lévi qui, lui, est incontestablement historien mais qui réussit tout de même à suivre the extended case method de façon captivante pour capter des choses en flux sans les figer [28].

81La réaction courageuse de Joseph Tonda aide à placer le débat au-dessus des querelles de clochers académiques. Tonda nous rappelle qu’il s’agit d’enjeux tellement prégnants pour beaucoup de personnes en Afrique (et ailleurs), que ce soit à cause de leur angoisse mais aussi de leur rage, qu’il est presque impossible de sortir des cercles vicieux de la sorcellerie. Ceci fut la raison première pour laquelle je voulais écrire ce livre, afin de voir dans quelle mesure une généralisation de ce qui est en jeu dans la « sorcellerie » ? le fait de réaliser que l’agression la plus dangereuse vient du dedans ? pourrait aider à la rendre moins inéluctable. L’intensité de la réponse de Tonda montre qu’à cet égard, le point de vue n’est pas le même selon qu’on a une position plus ou moins en dehors ou nettement dedans. Reste à voir si ces positions sont radicalement différentes. À l’évidence, il est plus facile de garder une certaine distance pour un anthropologue situé en Europe que pour un collègue qui fait le choix courageux, comme Tonda, de continuer à vivre au cœur de ces marasmes menaçants. Sa contribution met vraiment en évidence comment il est devenu presque impossible d’échapper à la sorcellerie en Afrique – même si l’on refuse de se laisser « coloniser » par elle.

82Il est vrai qu’au début de mes recherches (en 1971) j’étais fasciné – comme les jeunes du village, qui avaient alors plus ou moins le même âge que moi – par l’aspect aventurier de leurs récits enthousiastes sur les possibilités inédites des engagements qu’offrait ce monde nocturne. Mais dans mon dernier livre, j’ai ajouté aussi qu’au fil du temps, cette fascination s’évaporait devant la destruction sociale créée par ces notions – des familles assez harmonieuses déchirées pas des soupçons monstrueux malgré leurs efforts pour maintenir la confiance – et surtout par l’inévitabilité de ce déchirement. Tout ce que j’essayais de faire pour soutenir mes amis du village devenait contre-productif parce que nourrissant des soupçons de « sorcellerie ». Toutefois, même si, apparemment, la sorcellerie est désormais censée être capable de « traverser l’eau » (c’est-à-dire de suivre quelqu’un en Europe), je peux conserver une distance vis-à-vis de cette intimité menaçante, tandis que pour quelqu’un qui est né et vit sur place, elle reste une expérience intime qui, selon Joseph, peut même inspirer une confiance paradoxale.

83Tonda souligne avec raison que ce qu’on entend maintenant en Afrique (et ailleurs) par « sorcellerie » est profondément marqué par la rencontre avec l’Occident. Mais même si elle n’est donc pas « traditionnelle » ou « authentique », elle n’en reste pas moins obsédante. Il importe sans doute de souligner qu’il n’est nul besoin de faire appel à un statut « ontologique » ou une « altérité radicale » pour faire ressortir la force de telles perspectives. Des phénomènes hybrides peuvent hanter l’esprit de façon impitoyable, et l´articulation de différentes influences peut produire des nouveautés d’une envergure totalisante ? comme Tonda lui-même le montre de façon frappante dans Le souverain moderne[29].

84La réponse de Joseph indique aussi les limites de mon effort visant à « désenclaver l’Afrique ». Montrer que ce n’est pas seulement en Afrique que la sorcellerie, en tant qu’agression du dedans, engendre des angoisses terribles est certainement important. De même, il peut être intellectuellement satisfaisant de montrer qu’ailleurs non plus, elle ne disparaît pas avec les Lumières ou l’électricité. Mais ceci reste un constat assez anodin si l’on reste sur place, à portée des rumeurs incessantes de la vie quotidienne. Les comparaisons dans mon livre (avec l’Europe ou le Brésil) peuvent montrer qu’il est possible pour le chercheur de percevoir des trajectoires historiques différentes dans l’articulation entre intimité et agression occulte dans différentes parties du monde, et de les mettre en rapport avec des contextes historiques variables. Mais Joseph montre que cela ne suffit pas pour esquiver la question de la spécificité de l’Afrique et de la vive préoccupation dans plusieurs parties du continent face à la prolifération de formes nouvelles de sorcellerie « en liberté » et qui semble donc requérir de nouvelles sanctions avec des effets souvent destructeurs. James Siegel conclut que the uncanny (l’étrange) peut se manifester partout et à n’importe quel moment. Mais il est très, très présent en Afrique aujourd’hui et on voudrait comprendre pourquoi.

85Dans quel sens pourrait-on donc parler d’une spécificité africaine ? J’ai insisté dans mon livre sur la capacité qu’ont les discours africains concernant la parenté à combler de nouvelles distances et des inégalités inédites. Dans quelle mesure y a-t-il ici une réponse possible à la question de la spécificité de l’Afrique en ce qui concerne la résilience de la sorcellerie – sans tomber dans le piège d’un culturalisme qui semble expliquer tout et donc n’explique rien ? J’ai essayé de montrer par des études de cas et des exemples parallèles que ces nouveaux développements mènent à un étirement de la parenté, qui semble s’approcher d’un point de déchirure, sans toutefois rompre vraiment. À cet égard, il y a sans doute des variations régionales. Tonda parle pour les Congos plutôt d’une « déparentalisation ». Mais il fait lui-même ressortir que cela peut cacher une résurgence de la parenté (par exemple dans l’imaginaire du pentecôtisme qui semble dépasser la parenté par l’obsession avec le diable, mais entraîne paradoxalement un retour implicite en localisant ce diable dans la famille). Cette élasticité de la parenté ? qui, bien sûr, ne doit pas être conçue comme une donnée culturelle, mais plutôt comme reflétant un rapport particulier entre population et ressources naturelles si bien résumé par le wealth-in-people de Jack Goody ?, si elle semble offrir une sécurité ultime, devient de plus en plus un garrot. Elle offre ainsi un cadre propice pour l’épanouissement des imaginaires toujours plus farfelus sur ce qui se passerait dans le monde nocturne.

86Pour les universitaires, cette configuration me semble impliquer la nécessité de continuer à historiciser ses représentations. Les travaux récents de Florence Bernault sur le Gabon et Andréa Ceriana Mayneri sur la RCA sont à cet égard prometteurs [30]. Toutes les deux suivent en détail l’historicité des termes utilisés (sorcellerie, fétichisme) : comment ceux-ci ont-ils été implantés dans un contexte colonial par les échanges entre administrateurs, missionnaires et intellectuels locaux ? avec, évidemment, un rôle-clef pour les interprètes ? De telles analyses très fines peuvent permettre de suivre comment ces échanges, avec leurs propres malentendus, ont créé des conceptions nouvelles d’une force redoutable. Mais le grand défi – évoqué par la rage de Tonda ? reste néanmoins comment donner à de telles analyses plus d’impact sur les discussions populaires. Et à cet égard, ses remarques sur « l’écran postcolonialiste » – les nouveaux médias qui, au lieu de démystifier ces angoisses morbides, semblent plutôt les encourager ? sont particulièrement déprimantes. Doit-on donc attendre en Afrique la cristallisation de formes de sécurité alternatives ? qui, bien sûr, ne remplaceront jamais complètement la parenté, mais pourraient rendre la dépendance vis-à-vis d’elle moins étouffante – pour atteindre un certain cantonnement de l’étrange qui rendrait le marasme de la sorcellerie moins envahissant dans la vie quotidienne ?

87Peter Geschiere


Date de mise en ligne : 11/12/2014

https://doi.org/10.3917/polaf.135.0197

Notes

  • [1]
    J.-F. Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique », 1989.
  • [2]
    W. R. Jankowiak, Intimacies: Love + Sex Across Cultures, New York, Columbia University Press, 2008 ; A. Giddens, The Transformation of Intimacy. Sexuality, Love, and Eroticism in Modern Societies, Stanford (CA), Stanford University Press, 1992 ; M. Herzfeld, Cultural Intimacy. Social Poetics in the Nation-State, Londres, Routledge, 1997.
  • [3]
    Voir « L’inquiétante étrangeté », in S. Freud (traduction de M. Bonaparte et E. Marty), Essais de Psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1933 ; F. Roustang, « L’étrange familier », Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 14, 1976, p. 85-116.
  • [4]
    Voir notamment G. Möllering, « The Nature of Trust : From Georg Simmel to a Theory of Expectation, Interpretation and Suspension », Sociology, vol. 35, n° 2, 2001, p. 403-420.
  • [5]
    B. Hibou (dir.), La Privatisation des États, Paris, CERI/Karthala, coll. « recherches internationales », 1999.
  • [6]
    Voir, entre autres, J. Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, 1977 ; Désorceler, Paris, Éditions de l›Olivier, coll. « Penser/rêver », 2009.
  • [7]
    J. Siegel, Naming the Witch, Stanford (CA), Stanford University Press, 2006 ; « Suharto, Witches », Indonesia, n° 71, 2001, p. 27-78.
  • [8]
    J. Tonda, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002 ; Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique Centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005.
  • [9]
    J. Bonhomme, Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 2009.
  • [10]
    M. Foucault, Dits et écrits (1954-1988), tome III (1976-1979), Paris, Gallimard, 1994.
  • [11]
    F. Nyamnjoh, « Witchcraft in the «Politics of belonging»», African Studies Review, vol. 41, n° 3, 1998, p. 69-93.
  • [12]
    M. de Certeau, M., La possession de Loudun, Paris, Julliard,1970.
  • [13]
    Voir M. Douglas (dir.), Witchcraft Confessions and Accusations, Londres, Tavistock, 1970.
  • [14]
    A. Giddens, The Transformation of Intimacy. Sexuality, Love, and Eroticism in Modern Societies, Redwood City (CA), Stanford University Press, 1992.
  • [15]
    P. Geschiere, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, 1995 ; repris deux ans plus tard sous une forme plus développée : The Modernity of Witchcraft. Politics and the Occult in postcolonial Africa, University of Virginia Press, Charlottesville, 1997.
  • [16]
    F Braudel, La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949, p. 13-14.
  • [17]
    Voir, entre autres, H. Weber, Kinderhexenprozesse, Francfort, Insel Verlag, 1991.
  • [18]
    Wolfgang Behringer, Witches and Witch-Hunts. A Global History, Cambridge, Polity Press, 2004.
  • [19]
    R. Muchembled, Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (xve-xviiie. Essai, Paris, Flammarion, 1991 [1978]. La préface inédite de la réédition de 1991 présente un état de mes repentirs, repris et précisés dans des ouvrages ultérieurs.
  • [20]
    J. Tonda, Éblouissements postcoloniaux. Vivre ailleurs chez soi, vivre ailleurs sur le seuil, Paris, Karthala, [à paraître].
  • [21]
    G. C. Spivak, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2009.
  • [22]
    Voir « L’inquiétante étrangeté », in S. Freud (traduction de M. Bonaparte et E. Marty), Essais de Psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1933.
  • [23]
    J. Bonhomme, Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La librairie du xxie », 2009.
  • [24]
    J. Favret-Saada, Désorceler, Paris, Éditions de l›Olivier, coll. « Penser/rêver », 2009.
  • [25]
    P. Geschiere, Village Communities and the State, Changing Relations among the Maka of Southeast Cameroon since the Colonial Conquest, Londres, Kegan Paul International, 1982 ; P. Geschiere, The Modernity of Witchcraft. Politics and the Occult in Post-Colonial Africa, Charlottesville, University of Virginia Press, 1997.
  • [26]
    P. Geschiere, 1997, The Modernity of Witchcraft…, op. cit.
  • [27]
    R. Muchembled, Cultures populaire et cultures des élites, Paris, Flammarion, 1978, p. 107 ; « Sorcières du Cambrésis » in M.S. Dupont-Bouchat, W. T. M. Frijhoff et R. Muchembled (dir.), Prophètes et sorciers dans les Pays-Bas, xvie-xviiie siècles, Paris, Hachette, 1978, p. 155-263 (voir notamment p. 218). Voir aussi P Geschiere, The Modernity of Witchcraft…, op. cit., p. 269, note 40.
  • [28]
    G. Levi, Le Pouvoir au village, Histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, Paris, Gallimard, 1989.
  • [29]
    J. Tonda, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 2005.
  • [30]
    F. Bernault, « De la modernité comme impuissance : Fétichisme et crise du politique en Afrique équatoriale et ailleurs », Cahiers d’Études africaines, vol. 49, n° 195, 2009, p. 747-774 ; A. Ceriana Mayneri, Sorcellerie et prophétisme en Centrafrique, Paris, Karthala, 2014.

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