Notes
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[1]
Cet article est issu d’une recherche sur le terrain de quinze mois menée en République centrafricaine, dans des villes tenues par des rebelles ainsi que dans la capitale, et sur la consultation d’archives en France entre juin 2009 et juin 2011. Ce travail a bénéficié des soutiens de la National Science Foundation, de la Wenner-Gren Foundation, du Social Science Research Council, de l’United States Institute of Peace et de Duke University.
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[2]
Ma conception de l’hinterland est fondée sur ce qu’Achille Mbembea appelé une buffer zone ou« zone tampon » : « De vastes espaces peuvent s’étendre entre des polities distinctes, véritables zones tampons non soumises à un contrôle direct, à une domination exclusive ou à une supervision rapprochée », in A. Mbembe, « At the Edge of the World : Boundaries, Territoriality, and Sovereignty in Africa », Public Culture, vol. 12, n° 1, 2000, p. 263. Avec sa faible densité de population et une présence minimale des institutions étatiques, la majeure partie du territoire centrafricain s’inscrit dans cette description de l’hinterland comme « zone tampon ».
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[3]
Voir T. Bierschenk et J.-P. Olivier de Sardan, « Local Powers anda Distant State in Rural Central African Republic », The Journal of Modern African Studies, vol. 35, n° 3, 1997, p. 441-468.
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[4]
Bruce Berman et John Lonsdale effectuent une distinction utile entre « construction étatique » et « formation étatique ». La première désigne un processus actif d’« effort conscient pour créer un appareil de contrôle », alors que la seconde constitue « un processus historique dont l’issue est un processus largement inconscient et contradictoire de conflits, de négociations et de compromis entre divers groupes dont les actions égoïstes et les transactions représentent une ‚vulgarisation€ du pouvoir » : B. Berman et J. Lonsdale, Unhappy Valley : Conf lict in Kenya and Africa, Londres, James Currey, 1992, p. 5.
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[5]
Ses remarques se fondaient sur les conclusions de Pierre Weiss et Sandrine Martins Espinoza dans Union européenne, Mission d’experts électoraux, République centrafricaine. Rapport final. Premier tour. Élections présidentielle et législatives (23 janvier 2011), Bangui, 2011, p. 37.
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[6]
Bien qu’un groupe rebelle, la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), ait signé un cessez-le-feu avec le gouvernement en juin, cette directive aura sans doute peu d’effets sur le terrain étant donné que ce groupe est divisé en trois entités largement autonomes.
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[7]
Pour plus d’éléments sur ce thème, voir A. de Waal, Famine Crimes. Politics and the Disaster Relief Industry in Africa, Londres, James Currey, 1997. Voir aussi N. Eubank, « Taxation, Political Accountability, and Foreign Aid : Lessons from Somaliland », Journal of Development Studies, à paraître. Les donateurs ont aussi involontairement perpétué le conflit violent au Congo, comme le montre Séverine Autesserre dans The Trouble with the Congo. Local Violence and the Failure of International Peacebuilding, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
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[8]
Entretiens avec Toby Lanzer, Bangui, décembre 2006 et novembre 2007.
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[9]
Pour plus d’éléments sur ce thème, voir P. Englebert et D. M. Tull,« Postconflict Reconstruction in Africa : Flawed Ideas about Failed States », International Security, vol. 32, n° 4, 2008, p. 106-139.
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[10]
D’autres chercheurs ont pointé l’importance d’une analyse régionale pour comprendre la constitution de l’État centrafricain. Voir par exemple R. Marchal, « Aux marges du monde, en Afrique centrale… », Les Études du CERI, n° 153-154, 2009, qui insiste sur le rôle-clé du puissant voisin nordiste de la RCA, le Tchad. J’ai essayé au contraire ici de me centrer sur la culture politique centrafricaine, et particulièrement sur les relations qui existent ou non entre les dirigeants de la capitale et les acteurs armés dans l’hinterland ainsi que sur les rôles joués par les programmes de consolidation de la paix dans ces relations.
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[11]
D. D. Cordell, Dar al-Kuti and the Last Years of the Trans-Saharan Slave Trade, Madison, University of Wisconsin Press, 1985. Voir aussi J.-J. Brégeon, Un rêve d’Afrique. Administrateurs en Oubangui-Chari, la Cendrillon de l’empire, Paris, Denoël, 1998.
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[12]
Le récit d’André Gide dans son Voyage au Congo publié en 1927 offre un précieux témoignage contemporain de ces brutalités. Les restrictions en termes de travail forcé et de punitions étaient aisément ignorées dans ce coin perdu de l’empire. Voir C. Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, Paris, Mouton, 1977.
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[13]
J.-J. Brégeon, Un Rêve d’Afrique…, op. cit., p. 117. Plus sympathiquement, elle était surnommée la « Cendrillon de l’Empire ».
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[14]
Achille Mbembe explique cela par l’héritage du mode de colonisation de l’Afrique : « L’acte constitutif de l’autorité souveraine n’a jamais constitué un réel pacte ou contrat puisqu’il n’impliquait à proprement parler aucune réciprocité dans les obligations légalement codifiées d’une part entre l’État et ceux qui exerçaient le pouvoir et, d’autre part, entre la société et les individus ». A. Mbembe, On Private Indirect Government, Dakar, Codesria, 2000, p. 37.
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[15]
En me référant aux processus de non-centralisation, je m’inspire des études africaines sur la ville qui mettent l’accent sur les modes provisoires et flexibles d’association caractérisant la vie sociale en Afrique. Voir A. Simone « People as Infrastructure. Intersecting Fragments in Johannesburg », Public Culture, vol. 16, n° 3, 2004, p. 407-429.
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[16]
Dans le même temps, il est fréquent que les fonctionnaires en charge des zones rurales ne prennent pas leur poste de peur que leur salaire ne soit pas versé. Le règlement des salaires directement sur les comptes bancaires a diminué cette crainte mais il est toujours nécessaire de se rendre à Bangui pour retirer son argent.
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[17]
Pour ne donner que deux exemples, voir les arguments historiques d’Igor Kopytoff (dir.), The African Frontier. The Reproduction of Traditional African Societies, Bloomington, Indiana University Press, 1987, et d’Alex de Waal,« Sudan : The Turbulent State », in A. de Waal (dir.), War in Darfur and the Search for Peace, Cambridge, Global Equity Project, 2009, p. 1-38. L’« État bifurqué » de Mahmood Mamdani représente une autre variante importante sur ce thème : M. Mamdani, Citizen and Subject. Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism, Princeton, Princeton University Press, 1996. Bien que ces arguments offrent d’importants aperçus des dynamiques capitale-hinterland, l’ampleur de la marginalité des régions rurales de la RCA rend nécessaire le questionnement des types particuliers d’intégration qui existent entre la capitale et les campagnes. Les zones périphériques doivent ainsi être analysées pour elles-mêmes plutôt que pour ce qu’elles sont censées faire/être pour le centre : voir R. Marchal,« Aux marges du monde… », art. cit., p. 6.
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[18]
B. Jones, Beyond the State in Rural Uganda, Edimbourg, Edinburgh University Press, 2009.
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[19]
Avant ces expéditions, les scientifiques européens étaient convaincus que ces terres contenaient un désert et/ ou des homo caudatus – humains à queue. Voir Y. Boulvert, « Le dernier grand blanc de la carte d’Afrique : premières approches de l’Oubangui-Chari ou Centrafrique à la fin du xixe siècle », in D. Lecoq et A. Chambard (dir.), Terre à découvrir, terres à parcourir, Paris, Université Paris 7-Denis Diderot, 1996, p. 299-312.
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[20]
D. D. Cordell, Dar al-Kuti…, op. cit., p. 1.
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[21]
La fuite est aussi une tactique de protection répandue. Pour une approche historique, voir D. D. Cordell, « Des ‚réfugiés€ dans l’Afrique précoloniale ? L’exemple de la Centrafrique, 1850-1910 », Politique africaine, n° 85, mars 2002, p. 16-28.
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[22]
Entretiens avec l’APRD, Kaga Bandoro, RCA, mai et novembre 2010.
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[23]
Les leaders de l’APRD affirment que le groupe compte environ 6 000 membres, mais la force opérationnelle du groupe est moindre. En termes de zones de contrôle, le groupe s’est divisé en deux parties : l’une basée aux alentours de Paoua et l’autre aux alentours de Kaga Bandoro. Cependant, les combattants eux-mêmes sont dispersés entre ces différentes villes.
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[24]
Miskine est l’un des hommes en armes entrepreneurs de la région. Né d’un père tchadien et d’une mère centrafricaine et élevé dans une ville tchadienne non loin de la frontière centrafricaine, il a transformé son groupe de coupeurs de route en une milice pro-Patassé à la fin des années 1990. Il s’est enfui après le renversement de Patassé et risque une inculpation par la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes commis par son groupe. On le dit vivant au Moyen-Orient mais même les hommes supposés combattre pour lui ont du mal à établir le contact. Ils continuent à opérer comme coupeurs de route. Entretien de l’auteure, Bangui, 29 novembre 2010. Voir également M. Debos, « Fluid Loyalties in a Regional Crisis : Chadian “Ex-Liberators” in the Central African Republic », African Affairs, vol. 107, n° 427, 2008, p. 225-241.
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[25]
Le Projet de développement de la Région Nord (PDRN) dura de 1988 à 2002 et le programme Écosystèmes forestiers d’Afrique centrale (Ecofac) prit sa relève de 2002 à 2004, puis de 2007 à 2010.
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[26]
Bien entendu, on ne peut pas partir du principe selon lequel l’évolution de ce groupe vient de sa collaboration avec les programmes de conservation puisqu’il était déjà armé avant que les projets débutent. Mais ces derniers ont achevé de renforcer les groupes goula vis-à-vis d’autres groupes armés, ce quia exacerbé les tensions dans la région.
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[27]
Dans un exemple stupéfiant de la façon dont le personnel du projet se voilait la face quant aux dynamiques politiques conflictuelles entourant la distribution des ressources générées par le projet, un document de l’Ecofac se lamentait de la mort de Yaya Ramadan en lui rendant l’hommage suivant : « Il reste pour les gestionnaires de la biodiversité un symbole pour la conservation des ressources naturelles et un pacifiste ». Voir Ecofac, Composante RCA/ZCV, Rapport d’activité. Premier semestre 2001, Bangui, 2001, p. 21. Quel que soit le soutien apporté par le Cheikh à la conservation, il n’était pas pacifiste. Moins de deux jours avant sa mort, il mena une opération à Boromata : « cette opération s’est soldée par neuf ânes et deux braconniers étrangers tués ainsi que trente sacs pesant 50 kg chacun de viande saisis. En fouillant les corps, il avait été découvert sur l’un des deux braconniers, un document (reçu) délivré à un éleveur de Mossabio [ce document aurait été un permis de « droit de faire paître »] ». Voir R. Mbitikon, « Lettre/rapport : de R. Mbitikon à Son Excellence M. le Ministre délégué chargé des Eaux, Forêts, Chasse, Pêche et de l’Environnement. Objet : compte rendu de l’événement du 8 mai 2002 de Mossabio (Gordil) », Bangui, Ecofac, 31 mai 2002.
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[28]
Ce terme est utilisé pour désigner ceux qui ont aidé Bozizé à prendre le pouvoir en 2003. La plupart de ces libérateurs venaient du Tchad.
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[29]
Sabone rompit plus tard avec le chef de l’UFDR, Damane Zakaria. Sabone se décrivait comme le leader du Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice (MLCJ) même si, avant qu’il ne forme une alliance avec le groupe de défense majoritairement Kara dans la région de Birao, on ne savait pas vraiment qui étaient ses hommes.
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[30]
Massi recherchait un groupe rebelle dans sa lutte pour le pouvoir. Il avait déjà essayé de s’associer avec l’UFDR quand il se rabattit sur la CPJP.
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[31]
Les forces étatiques furent particulièrement brutales en 2006-2007. Leur tactique principale consistait à brûler des villages. Voir Human Rights Watch, State of Anarchy : Rebellion and Exactions against Civilians, New York, Human Rights Watch, 2007.
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[32]
Comme Roland Marchal l’a noté, les Centrafricains ont un imaginaire de l’État largement lié à la fiscalité. Voir R. Marchal,« Aux marges du monde… », art. cit., p. 19. Dans les zones rurales, l’idée d’un État pourvoyeur d’argent accompagne celle d’un État pourvoyeur de sécurité – ceci malgré le fait que l’expérience n’a fait que contredire une telle vision, le comportement des agents de l’État étant plus souvent prédateur que protecteur.
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[33]
D’autres analystes de la région comme Achille Mbembe ont expliqué cette déliquescence actuelle en la mettant en rapport avec la crise de l’État en Afrique au cours des vingt dernières années, mais l’état antérieur de cohérence du gouvernement décrit dans ces analyses était encore moins établi en RCA qu’ailleurs. A. Mbembe, On Private Indirect Government, op. cit.
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[34]
Les humanitaires estiment que la population de Sikkikede avoisinerait les 25 000 habitants alors que la capitale de la préfecture, Birao, n’en compte que 10000.
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[35]
W. Easterly, « Foreign Aid for Scoundrels », The New York Review of Books, 25 novembre 2010.
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[36]
Voir P. Englebert et D. M. Tull, « Postconflict Reconstruction in Africa… », art. cit. ; voir aussi W. Easterly, « Foreign Aid for Scoundrels », art. cit. Nombreux sont les travailleurs humanitaires et les diplomates qui ont eux-mêmes une analyse plus nuancée du politique dans les zones où ils travaillent. Malgré tout, l’optimisme téléologique de leurs institutions rend difficile, pour ces acteurs individuels, l’utilisation de leurs propres analyses pour fonder leur travail.
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[37]
C’est l’une des raisons pour lesquelles les bailleurs promirent une importante augmentation de l’aide au gouvernement de la RCA lors de la table ronde des donateurs qui s’est tenue à Bruxelles en juin 2011, et ce malgré le fait que la démocratie avait régressé depuis la précédente réunion en 2007.
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[38]
Pour une analyse approfondie de la façon dont les interventions internationales déplacent les responsabilités, voir A. Branch, « The Irresponsibility of the Responsibility to Protect in Africa », in P. Cunliffe (dir.), Critical Perspectives on the Responsibility to Protect : Interrogating Theory and Practice, New York, Routledge, 2011, p. 103-124.
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[39]
Pour une discussion connexe sur la réforme du secteur de la sécurité (RSS) et sur la déconnexion entre les idées des planificateurs de la capitale et les besoins réels en sécurité de la population, particulièrement dans les zones rurales, voir R. Marchal,« Aux marges du monde… », art. cit.
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[40]
Le DDR est devenu une composante de « l’orthodoxie de la reconstruction post-conflit » dans le monde de l’après-guerre froide. Pour une analyse critique – bien que le soutenant finalement – du DDR, voir R. Muggah,« No Magic Bullet : A Critical Perspective on Disarmament, Demobilization and Reintegration in Post-Conflict Contexts », The Round Table, vol. 94, n° 379, 2005, p. 239-252.
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[41]
Les forces armées centrafricaines dénombrent à peine 1 500 soldats décemment entraînés dans leurs rangs. Les artisans internationaux de la paix qui comptent sur ces forces – bien souvent plus prédatrices que protectrices – pour sécuriser le territoire du pays et sa population tendent à sous-estimer ou ignorer à quel point une telle issue est incertaine et de longue haleine.
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[42]
Sur le terrain, le DDR ne consiste pas en une collecte des armes (en général peu sont collectées) ou bien en une démobilisation. Ila pris une signification différente, en partie distincte du contenu impliqué par les termes qui composent son acronyme, et consiste en la promesse de rétributions comme moyen de venir temporairement en aide à une jeunesse démunie.
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[43]
P. Richards, « New War : An Ethnographic Approach », in P. Richards (dir.), No Peace No War : An Anthropology of Contemporary Armed Conflict, Athens, Ohio University Press, 2004, p. 1-21.
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[44]
En juin 2011, le président Bozizé a inauguré son propre programme DDR dans le nord-ouest. Celui-ci s’est cependant déroulé de façon chaotique. Peu d’armes ont été collectées et de nombreux combattants aujourd’hui prétendument « désarmés » ont été déçus de ne pas avoir reçu le soutien qu’on leur avait promis.
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[45]
Entretiens de l’auteure avec des participants à ces réunions, Bangui, 2,8 et 29 novembre 2010 ; 2 et 13 décembre 2010 ; 21 et 28 juin 2011.
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[46]
Certains de ces fonds ont été utilisés pour la création d’une base de données faisant l’état de l’art et d’autres outils de suivi censés promouvoir la transparence. Au final, le comité de pilotage a décidé de ne pas les utiliser, leur préférant ses propres méthodes personnalisées.
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[47]
C. Clément, L. Lombard, G. Kozo et D. Koyou-Kombele, RCA : le DDR sans GPS. Rapport final commissionné par le Programme multi-pays de démobilisation et réintégration (MDRP), Mission indépendante d’évaluation du Programme de réinsertion des ex-combattants et d’appui aux communautés (RCA) en République centrafricaine, 2007.
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[48]
« UN Official in Central African Republic Urges Support for Demobilization », UN News, 14 décembre 2011.
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[49]
Tous les acteurs-clés – gouvernement, opposition, groupes armés– firent preuve d’une attitude incroyablement mercantiliste quant à la procédure. Voir International Crisis Group, Central African Republic. Untangling the Political Dialogue, Nairobi/Bruxelles, ICG, 2008.
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[50]
Ce ministère peut être considéré comme redondant avec le ministère des Eaux, forêts, chasse, pêche et de l’environnement. Lorsque j’ai interrogé un directeur de ce dernier ministère sur cet aspect, il fut incapable de m’expliquer la différence entre les deux portefeuilles.
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[51]
D. Tull et A. Mehler, « The Hidden Costs of Power-Sharing : Reproducing Insurgent Violence in Africa », African Affairs, vol. 104, n° 416, 2005, p. 375-398.
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[52]
Entretien de l’auteure avec un participant à cette réunion, Bangui, 2 novembre 2010.
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[53]
Entretien de l’auteure avec un combattant de l’APRD, Kaga Bandoro, novembre 2010.
1Les quinze années d’efforts onusiens en vue de la consolidation de la paix en RCA auraient dû se conclure avec la tenue des élections en janvier et mars 2011 [1]. Mais les scrutins n’ayant pas été libres et transparents, la frustration a continué de grandir parmi les rebelles et autres acteurs armés non-étatiques du pays. Alors que le président François Bozizé (président depuis 2003) renforçait un peu plus son emprise sur les ressources de la capitale, la violence s’est poursuivie dans l’arrière-pays. Comment ceci est-il arrivé ? Les structures transitionnelles promues par les agences internationales, à l’instar du dialogue politique, du désarmement et des élections, procèdent d’une vision de ce que l’État devrait être mais ignorent la manière dont la politique se joue en fait sur le terrain. Les programmes post-conflit et de consolidation de la paix postulent que la RCA constitue déjà un territoire politique unifié, ou qu’elle est en passe de se constituer comme tel. En réalité, l’espace cartographié comme constituant la RCA comprend deux tendances territoriales et de gouvernance nettement distinctes : une capitale, Bangui, où les dirigeants entrent en concurrence pour recueillir les profits associés au contrôle des structures administratives de l’État ; un vaste hinterland (ou arrière-pays) non revendiqué par les forces centralisatrices mais utilisé au contraire comme réservoir de ressources par les bandits de la région tout entière [2]. Comme le dit une expression locale, « l’État s’arrête à PK 12 » : autrement dit, l’État s’arrête à douze kilomètres du centre de Bangui [3]. Bien qu’outrancière, cette expression est significative.
2Le cycle de rébellion dans lequel est tombé le pays durant la dernière décennie peut être considéré comme un mariage de raison entre bandits de l’hinterland et aspirants rentiers de la capitale – une alliance qui ne les a cependant pas unifiés. Cet article explore ces rébellions et montre en quoi la construction étatique post-conflit sous supervision internationale a échoué à entraîner les acteurs de l’État-capitale et des projets de gouvernement de l’arrière-pays dans un partenariat productif. Elle a même peut-être creusé le fossé qui les sépare. Le pouvoir de l’État s’est concentré encore davantage dans la capitale alors que la vie des populations, à la fois dans la capitale et dans l’arrière-pays, apparaît de plus en plus atomisée, des alliances fragiles volant en éclats et les tensions étant toujours à leur comble.
3L’article commence par analyser la politique dans la capitale et l’histoire de l’État en RCA. Il s’intéresse ensuite aux dynamiques de l’arrière-pays et à la genèse des principales rébellions qui y sont nées. Il interroge enfin les causes de l’incapacité des programmes de Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) à rassembler les acteurs de la capitale et à s’intéresser aux dynamiques de l’arrière-pays.
L’État-capitale : l’État sans construction étatique
4Cette section offre un aperçu de l’histoire de la RCA, qui a connu des expériences limitées de construction de l’État [4]. En tant qu’institution, l’État s’est en effet concentré dans la capitale, négligeant l’hinterland.
5Le coup d’État de François Bozizé, en 2003, a déchaîné un cycle de rébellion dont le pays n’est pas encore sorti. L’élection présidentielle de 2005, puis celle du 15 mars 2011, au huitième anniversaire de ce coup, ont consolidé l’emprise de Bozizé. En 2011, il s’est prévalu de 64,34 % des suffrages dès le premier tour, évitant ainsi un second tour. Les autres candidats – l’ancien président évincé Ange-Félix Patassé (21,43 %), l’ancien Premier ministre Martin Ziguélé (6,80 %), et l’ancien ministre de la Défense et chef de groupe armé Jean-Jacques Demafouth (2,79 %) – étaient loin derrière. Un peu plus de la moitié de la population a voté. De même, lors des élections législatives, le parti Kwa na Kwa (« le travail, rien que le travail ») de Bozizé a emporté une solide majorité. Il est révélateur qu’une vingtaine de membres du nouveau parlement possèdent un lien de famille direct avec le président, qu’il s’agisse de sa femme, de ses fils, de ses cousins, de ses neveux ou encore de ses maîtresses. Certains, à l’instar de son fils Socrate Bozizé, se sont présentés comme indépendants, rendant ainsi son contrôle encore plus large qu’il n’y paraît de prime abord.
6L’opposition a critiqué la conduite des élections. Son recours auprès de la Cour constitutionnelle, dirigée par le cousin de Bozizé, n’a cependant pas été loin. Les observateurs électoraux de l’Union africaine et de l’Union européenne (UE) ont relevé une foule d’irrégularités comme, pour reprendre les mots de Guy Samzun, chef de la délégation de l’UE, la « fraude massive » et les « tentatives d’intimidation des électeurs par certains représentants de partis politiques ou certaines autorités politico-administratives [5] ». Dans le même temps, l’insécurité régnait sur la plus grande partie, sinon la totalité, du territoire du pays – le mois d’avril 2011 fut marqué par les attaques continues de la Lord’s Resistance Army (LRA), qui prend pour cibles des localités centrafricaines depuis plus de trois ans, affrontant aussi deux groupes armés centrafricains et les forces gouvernementales [6]. Un groupe tchadien de coupeurs de route devenus anti-coupeurs de route a affronté des rebelles centrafricains en mai et juin ; les combats et les prises d’otages se sont mêmes amplifiés après que ces Tchadiens eurent signé un accord de paix avec le gouvernement le 12 juin.
7Bien que les hommes politiques aient franchi les obstacles que représentent les structures post-conflit et de consolidation de la paix, la paix et la démocratie semblent en réalité des objectifs bien plus éloignés qu’en 2005 – avant que soit ouverte la phase actuelle et internationalement soutenue de consolidation de la paix. Le cas de la RCA, un des lieux les moins connus de la planète, prodigue un enseignement invitant à la prudence et valable pour d’autres contrées : l’incapacité des initiatives internationales de consolidation de la paix à engager un dialogue avec la politique vernaculaire implique qu’elles soutiennent souvent un statu quo inéquitable [7].
8En tant qu’ancien coordinateur des Nations unies en RCA, Toby Lanzer avait coutume d’implorer les donateurs : « la RCA est un pays que nous devrions être à même de reconstruire » [8]. Le pays bénéficie en effet d’avantages : un gouvernement en demande d’intervention internationale ; beaucoup d’eau et d’autres ressources abondantes pour le développement local ; un faible niveau d’armement ; des demandes simples de la part des groupes armés (principalement une plus grande inclusion dans le gouvernement et un accès aux ressources de l’État) ; et le fait que les acteurs extérieurs à la région n’y aient pas d’intérêt stratégique. Lorsque les dirigeants de la nouvelle Commission de consolidation de la paix des Nations unies cherchaient des sites pilotes en 2007, leur choix de la RCA était sans doute dû au fait qu’elle apparaissait comme un cas relativement simple.
9Un regard rapide sur l’histoire du pays laisse cependant apparaître un diagnostic moins optimiste : les initiatives de consolidation de la paix (sous forme de forces de maintien de la paix, de structures de dialogue et de négociation, ou de programmes de DDR) ont été une constante en RCA depuis les mutineries de l’armée en 1996-1997. Parce que les initiatives soutenues par les bailleurs sont davantage guidées par une téléologie progressiste – c’est-à-dire l’idée que toutes les formes d’organisation politique suivent un parcours à sens unique vers un État rationnel-bureaucratique – que par une analyse critique des dynamiques présentes et passées, elles sont trop facilement détournées à des fins non-démocratiques [9]. Dans le cas de la RCA, cela s’est traduit, malgré l’objectif affiché de rendre la politique plus inclusive, par la consolidation du pouvoir étatique dans la capitale au profit de la famille Bozizé, de son parti et de ses alliés, alors qu’en dehors de Bangui règne l’insécurité.
10La RCA est au mieux un État improbable [10]. Avec une superficie équivalente à celle de la France et une population de moins de quatre millions d’habitants, son territoire s’étend au centre du continent africain. Bien que les observateurs remarquent souvent que le pays est « potentiellement riche » (réserves de bois, pétrole, diamants, or, uranium et, dans le sud, eau et terres fertiles), ses ressources sont, pour toute une série de raisons, difficiles à exploiter autrement qu’à l’échelle artisanale. Le gouvernement n’a jamais été très présent en dehors de la capitale. Jusqu’à la fin du xixe siècle, beaucoup des habitants de cette zone vivaient dans ce que les anthropologues appellent des « sociétés sans État ». La coercition y était en effet diffuse plutôt que détenue par une autorité hiérarchique ou centralisée. Ces entités politiques s’organisaient autour des besoins de communautés plutôt qu’autour du contrôle d’un territoire. Lorsque les explorateurs et colonisateurs français arrivèrent à l’aube du xxe siècle, la majeure partie de cette région avait été bouleversée par les transformations culturelles, politiques et économiques provoquées par le renforcement de la traite transsaharienne. L’incorporation dans le monde musulman apporta de nouvelles formes d’apprentissage et de nouveaux modes d’organisation sociale, mais elle fragilisa aussi les solidarités et dispersa les traditions. Les Français cédèrent la majeure partie du territoire à l’exploitation lucrative de sociétés concessionnaires. L’idée que les colonies devaient payer pour elles-mêmes était un principe bien ancré dans les projets impériaux européens. Si ailleurs ceci impliquait des dépenses prudentes, ce principe se traduisit dans l’Oubangui-Chari par une administration misérable, pingre et quasi inexistante [11]. La marginalité de la colonie donnait également aux quelques administrateurs et concessionnaires présents une quasi-impunité dans leur brutalité [12]. Du commerce transsaharien jusqu’à l’indépendance en passant par l’interlude colonial donc, le moyen premier de l’intégration de la région dans de plus vastes sphères de circulation fut la violence. Dans les années qui précédèrent l’indépendance, la France reconnaissait que la colonie était probablement le plus mal loti de ses territoires, à la fois en raison de la faiblesse de ses institutions gouvernantes et parce que ses caisses étaient vides. Dans les évaluations les moins charitables, elle était désignée comme une « colonie poubelle [13] ». Après l’indépendance, en dépit de la débauche de l’empereur autoproclamé Jean-Bedel Bokassa, le pays n’eût jamais les ressources pour entreprendre de grands projets de construction nationale.
11Autrement dit, comme ailleurs en Afrique, aucun contrat politique significatif entre dirigeants de la capitale et résidents ruraux n’a jamais été recherché – et encore moins réalisé [14]. La capitale centralise presque totalement les ressources de l’État, alors que les habitants du reste du territoire vivent de manière plus ou moins non-centralisée [15]. Les dirigeants de la capitale font preuve d’ambivalence envers leurs présumés administrés des zones reculées. Dans d’autres pays ou régions comme le Cameroun, les villes principales se vident durant les week-ends lorsque les fonctionnaires et autres urbains aisés rentrent dans leurs villages pour distribuer leurs largesses. Les fonctionnaires de la RCA ne quittent quant à eux presque jamais la capitale. L’état délabré des routes et la peur d’être la cible de sorcellerie de la part de parents jaloux font du voyage en province, que bien peu entreprennent, une aventure [16].
12D’importantes contributions sur le politique en Afrique sont venues d’études sur les centres et leurs périphéries ou sur les centres et leurs frontières [17]. Toutefois, ces analyses présentent les régions périphériques comme remplissant une fonction dans les systèmes centralisés. Or le cas présenté ici diffère dans la mesure où les campagnes de l’intérieur ne sont pas revendiquées par les initiatives centralisatrices. Comme des études menées ailleurs sur le continent l’ont montré, les relations capitale-hinterland doivent faire l’objet d’une analyse empirique – dont le résultat peut surprendre, comme Ben Jones l’a montré dans son étude sur la gouvernance dans l’Ouganda rural [18].
13La situation dans certaines parties de la RCA, comme les vastes étendues de l’Est, offre un modèle de gouvernance dénué de centralisation. Un géographe suggérait il y a quinze ans que les cartographes contemporains de l’Est de la RCA reprennent les travaux des premiers explorateurs européens arrivés à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle car bon nombre de routes n’ont jamais été retracées et on ne sait pas si elles ont changé depuis [19]. Pendant la saison des pluies, de nombreuses villes deviennent des îles perdues dans des étendues marécageuses. Pourtant, bien qu’oubliée, cette « périphérie de la périphérie [20] » n’est pas une terre en friche mais plutôt un lieu connecté par de multiples nœuds et des relations parfois coopératives, parfois concurrentes dans la quête pour l’accès aux biens lucratifs (ivoire, viande, pâturages, etc.) qui s’y trouvent. Pour se protéger, bien des villages ont informellement organisé des groupes de défense locaux [21]. Des alliances provisoires entre eux ont proliféré à travers la rébellion et des tensions dans ces relations se sont également développées. La section suivante montre comment ces groupes d’auto-défense se sont transformés en groupes rebelles et la nature des liens entre les hommes sur le terrain et leurs leaders politiques, qui se trouvent pour la plupart dans la capitale ou à l’étranger.
L’hinterland : raids et rébellion
14Les groupes armés qui se décrivent désormais comme une rébellion sont nés de luttes pour l’accès aux ressources. En d’autres termes, les groupes armés s’inscrivent aussi bien dans l’économie que dans la politique régionales. C’est seulement avec le temps et le parrainage d’acteurs tiers que ces luttes en sont venues à être décrites à travers le lexique de l’État et de la rébellion. Par exemple, à la mi-2005, un camion de cigarettes escorté par des soldats opérant en l’occurrence comme agents de sécurité privée, a été attaqué à une époque où la région du nord-ouest faisait face à de graves menaces de la part de pillards nomades en armes. Les soldats répliquèrent en s’en prenant à la population locale qu’ils considéraient comme complice. Des groupes d’autodéfense se rassemblèrent en signe de protestation. C’est alors que Jean-Jacques Demafouth, ancien ministre de la Défense sous Patassé, exilé en France, se déclara président des forces locales qui prirent, sous sa tutelle, le nom d’Armée populaire pour la restauration de la démocratie (APRD). Dans mes entretiens avec des combattants de l’APRD [22], certains m’ont expliqué qu’ils n’avaient jamais entendu parler de Demafouth avant d’apprendre que ce dernier les représenterait lors du « Dialogue politique inclusif » qui s’est tenu à Bangui en décembre 2008. Sur le terrain, peu de communication ou de coordination liait les dirigeants de cette rébellion dans différentes zones [23].
15La plupart des autres groupes armés ont une origine similaire. Les querelles entre groupes armés, certains étant à même de se relier aux forces publiques et d’autres non, tendent à l’escalade et conduisent les groupes de défense existants à riposter par une nouvelle démonstration de force jusqu’à ce qu’un politicien revendique la paternité de ces forces marginalisées en les aidant à se structurer en un groupe rebelle. Dans plus d’un cas, la signature d’un accord de paix au nom d’un groupe rebelle par un politicien mis à l’écart a précédé la notoriété publique de ce groupe. Abdoulaye Miskine fut par exemple le premier « rebelle »à signer un accord de paix avec le gouvernement centrafricain en janvier 2007. Ses Forces démocratiques pour le peuple centrafricain n’avaient pas mené d’attaques et ne s’étaient pas déclarées en rébellion avant le début des négociations de paix [24]. Autre exemple : celui de Florian Ndjadder, issu d’une célèbre famille de militaires sous Patassé, qui a signé l’Accord de paix global le 15 décembre 2008 au nom de l’Union des forces républicaines (UFR), bien que les preuves de l’existence de son groupe sur le terrain soient maigres. Quelques personnes participent au DDR en ayant réussi à se faire enregistrer sur les listes de l’UFR même si les représentants du DDR reconnaissent que ce groupe n’a jamais vraiment existé. Il s’est en fait constitué à partir de cycles de banditisme locaux qui ont précédé sa déclaration à la capitale.
16Le second groupe rebelle apparu sur le terrain (après l’APRD) s’est fait connaître par ses attaques sur des villes rurales. L’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), basée dans la Vakaga, préfecture la plus au nord-est de la RCA, illustre les dynamiques par lesquelles des hommes en armes des zones rurales, issus d’histoires non-centralisées (c’est-à-dire relevant de sociétés sans État qui nouent des alliances flexibles et fluides), se transforment en rebelles. Les résidents du secteur vivaient dans une situation de collaboration et de conflit avec les autres utilisateurs de l’espace, comme les éleveurs nomades et les gangs de chasseurs venant du Soudan en quête d’ivoire et autres richesses. Ces terres vastes et peu peuplées sont aussi largement consacrées à des parcs nationaux et à d’autres types de zones de conservation. Lorsque la Commission européenne finança d’importants projets de conservation visant à couvrir ces régions à partir du milieu des années 1980 [25], leur modèle de distribution des ressources apporta une nouvelle source de richesse (les revenus des safaris de chasse et les loyers issus des projets), cherchant par ailleurs à en délégitimer d’autres (comme la chasse, ou le fait de facturer aux éleveurs l’utilisation de l’espace). Un groupe ethnique, les Goula, a été particulièrement réceptif à ces nouveaux systèmes de distribution des ressources, dont il a bénéficié, et Cheikh Yaya Ramadan, leur guide spirituel, a rassemblé des hommes dans une milice anti-braconnage pour assister la milice du projet, laquelle était aussi nettement goula [26]. Chaque utilisateur de l’espace cherchait à garantir son accès aux richesses et les patrouilles anti-braconniers tournaient aux affrontements. Lorsque des éleveurs assassinèrent Yaya Ramadan, en 2002, la nouvelle se répandit parmi les Goula de la région, notamment les chercheurs de diamants de la zone autour de Bria, qui se rassemblèrent pour planifier leur vengeance [27]. Les retombées de cet événement causèrent une série de razzias qui se poursuivirent jusqu’en 2005 et occasionnèrent des centaines de morts. L’année suivante, un avion atterrissait mystérieusement sur la piste d’atterrissage près de Tiringoulou, ville natale du Cheikh, déchargeant du matériel militaire et des hommes armés, rebelles tchadiens qui s’évanouirent dans la nature au nord. Quand les locaux informèrent les autorités de Bangui de l’événement, des soldats furent envoyés dans la zone et, postulant que les habitants devaient être complices, ils les attaquèrent. En colère, les milices goula se regroupèrent, attirant cette fois-ci des groupes d’autres régions dans leurs rangs. Le leader des Goula, Damane Zakaria, fit bientôt alliance avec Abakar Sabone, ancien libérateur [28] de la Vakaga qui rompit avec Bozizé quand celui-ci ne le récompensa pas autant qu’il estimait le mériter [29]. La nouvellement baptisée UFDR lança une attaque surprise sur Birao (plus grande ville du nord-est de la RCA) le 30 octobre 2006. Lorsque Sabone revendiqua la direction du groupe et la paternité de l’attaque, il omit de mentionner qu’il se trouvait alors à Cotonou, au Bénin, à quelque 2 000 kilomètres du théâtre des combats. Bien que ce soit en adoptant la forme, les attitudes et les tactiques d’un groupe rebelle que les hommes armés gagnèrent en visibilité au-delà de leur terrain, leurs conflits précédents comme justiciers anti-braconniers (qu’ils ont, à des degrés divers, poursuivis) étaient d’une intensité supérieure à ceux auxquels ils prirent part en tant que rebelles.
17La Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), groupe rebelle le plus récent, suit aussi le modèle de luttes localisées pour les ressources transformées, en partie par parrainage, en une rébellion. Certains de ceux qui se comptent aujourd’hui parmi les fidèles de la CPJP ont auparavant combattu pour l’UFDR qui, à l’origine englobait des combattants issus de plusieurs groupes ethniques. Sous la pression liée au partage du pouvoir entre individus peu expérimentés en matière de gouvernance centralisée, le groupe s’est fragmenté et ses membres runga se sont dirigés vers les faubourgs de Bria riches en diamants. Fin 2008, ils en furent chassés – soit par des soldats soit par l’UFDR – dans une attaque au cours de laquelle ils auraient perdu beaucoup de diamants. Ils battirent en retraite vers leurs villages d’origine au nord et à l’est de Ndele et, se faisant connaître sous le nom énigmatique de Camp Noir, lancèrent des attaques sur cette ville préfecture pour protester contre la perte de leur lieu de travail. Le maire-sultan de Ndele (le petit-fils du sultan qui régnait à l’apogée des raids d’esclaves dans la région) conduisit les négociations avec ces hommes qui cherchaient d’abord à solder leurs dettes avec l’UFDR. Mais les soldats brisèrent les négociations en contournant par le nord pour attaquer Camp Noir. Les combattants reprirent alors leurs activités belliqueuses et, guidés par Charles Massi, un ministre mis à l’écart, prirent des allures de rébellion en prenant le nom de CPJP [30]. Lorsque Massi fut tué par les forces centrafricaines, en décembre 2009, alors qu’il tentait de revenir du Tchad vers Bangui, le groupe sombra. En l’absence d’une figure de proue crédible, le gouvernement pouvait plus facilement les dénoncer comme un groupe « criminel » plutôt que « rebelle ». Ses combattants continuaient périodiquement à attaquer et à être attaqués. Leur leader actuel, Mahamat Zakaria, a revendiqué plusieurs actions dans des localités de l’est comme étant l’œuvre de la CPJP, bien qu’il s’agisse sans doute surtout d’une volonté de dépeindre ses forces comme plus puissantes qu’elles ne le sont réellement. Il serait en fait plus pertinent de décrire ces attaques comme l’œuvre de bandes armées profitant de l’invisibilité offerte par la brousse et prêtes à faire valoir, par la force, leurs droits aux ressources de la région.
18Les forces étatiques lâchées dans l’hinterland fonctionnent en grande partie sans liens avec leurs chefs officiels dans la capitale, et les positions antagonistes qu’elles ont prises ont attisé la diffusion de la rébellion [31]. Mais la plupart du temps, le gouvernement central et ses forces prêtent peu d’attention à l’intérieur. Les populations dans les préfectures retirées répètent la même complainte :« l’État nous a abandonnés ». Une telle conception est intéressante car l’abandon implique un précédent état d’attention qui n’a jamais eu cours dans le cas de l’hinterland de la RCA. Les gens se réfèrent plus à une idée ou au rêve d’un État-providence tout-puissant (c’est-à-dire un État fournissant salaire et sécurité) [32], tout en évitant eux-mêmes généralement le contact avec les quelques avant-postes des bureaux de l’État situés dans leur environnement [33]. Avec le temps, la rébellion et les promesses subséquentes du DDR ont transformé le paysage social de l’attente. Des membres de l’APRD et de l’UFDR décrivent désormais leur décision d’attaquer des villes comme une tentative de « choquer » (un verbe qui revient souvent dans les entretiens) le gouvernement pour qu’il prenne soin d’eux en leur offrant, par exemple, un revenu. En d’autres termes, ils recherchent une prise en charge, par exemple financière et sociale, dont ils n’ont jamais bénéficié. Parmi les nombreuses complaintes de la CPJP, on trouve le fait qu’une de ses bases urbaines, Sikkikede, bien qu’étant la plus importante de la Vakaga [34], n’a pas vu de fonctionnaires d’État depuis une décennie et ne figure sur aucune carte hormis celles des humanitaires nouvellement arrivés. Le rêve des rebelles et leur propre représentation se fixent sur le désir d’inclusion dans un État bien qu’ils soient, dans le même temps, habitués à un degré de liberté qu’ils préservent de façon militante contre une augmentation de la régulation du centre, qu’ils considèrent comme prédatrice. Ils sont par exemple habitués à poursuivre plusieurs entreprises en même temps, même celles qui semblent contradictoires comme par exemple le fait de garder les parcs tout en chassant à l’intérieur. Ils désirent la centralisation autant qu’ils la rejettent, une tension que la rébellion – une revendication d’incorporation doublée d’une revendication d’autonomie – résume.
19Incarnant ces tensions, les combattants demeurent frustrés. Les alliances entre des politiciens dépossédés et une jeunesse rurale sur laquelle s’appuie la rébellion n’ont pas rapproché les modes de gouvernement de l’État-capitale et de l’hinterland. Aux exceptions notables de Damane Zakaria de l’UFDR et de Mahamat Zakaria de la CPJP, la plupart des leaders présumés des rébellions n’ont jamais combattu aux côtés de leurs hommes sur le terrain et leur lien avec eux est ténu. Les leaders de groupes armés ont utilisé les jeunes ruraux frustrés pour négocier l’accès la politique nationale à Bangui et aux récompenses, oubliant ensuite les frustrations qu’ils avaient eux-mêmes alimentées, ou s’avérant incapables d’y répondre.
20Ces dynamiques ne furent pas prises en compte par les planificateurs des programmes de consolidation de la paix. Bien que quelques-uns de ces derniers aient des analyses nuancées de la situation, les structures techniques qu’ils proposent ont des difficultés à s’ajuster aux vrais problèmes politiques, comme on peut le voir dans le cas du DDR.
L’État imaginé par les processus techniques de consolidation de la paix
21Tout comme les groupes rebelles, les agences internationales décrivent à la fois le problème et sa solution dans les termes de l’idiome étatique. Des promoteurs de la construction étatique comme les donateurs internationaux ou les Nations unies ont fondé leurs interventions sur l’hypothèse que les entités politiques dans lesquelles ils interviennent se trouvent dans une « transition inarrêtable vers un futur radieux [35] ». Autrement dit, les donateurs, s’appuyant sur un idéal-type de l’État, concentrent leurs efforts sur ce à quoi l’État devrait ressembler et sur la manière dont il devrait se comporter. Ce faisant, ils déportent les questions politiques vers un champ théorique et rendent particulièrement difficile toute prise en compte des dynamiques politiques à l’œuvre dans les endroits où les projets sont réalisés [36]. Tout échec est donc conçu comme un simple problème technique dû à une insuffisance de moyens et à un manque de compétences – que les donateurs s’empressent de pallier [37]. Après avoir mis le politique de côté, les organisations internationales de consolidation de la paix postulent que les acteurs locaux impliqués dans l’opérationnalisation de leurs interventions techniques partagent leur vision du futur État. Ainsi porteurs d’une croyance en une idée abstraite, les « peace builders » sont dépendants des leaders locaux et de leur volonté ou de leur manque de volonté. Dans cet interstice, les dirigeants de la capitale ont instrumentalisé l’insécurité régnant dans l’arrière-pays tout en maintenant les ressources de l’État dans la capitale [38]. Je prends ici l’exemple du processus de DDR pour démontrer comment cela se produit [39]. Le DDR illustre le fait que les processus techniques post-conflit peuvent marginaliser ceux qui sont justement censés en bénéficier.
22Les planificateurs de l’ONU conçoivent le DDR comme un moyen d’aider les membres d’anciens groupes armés à rejoindre leurs communautés en tant que travailleurs productifs et désarmés [40]. Le DDR procède de l’hypothèse erronée selon laquelle, pour amener la sécurité dans un contexte post-accord de paix, l’État devrait simplement recouvrer son monopole de la violence. Cette hypothèse s’avère en général incorrecte car, dans la plupart des cas, l’État n’a en fait jamais joui d’un tel monopole [41]. C’est le cas dans la majeure partie de la RCA, particulièrement dans l’Est, où règnent les acteurs armés en quête de ressources dans la brousse. Bien qu’ils représentent sans doute la principale menace pour la sécurité des habitants de ces régions, ces groupes non-centralisés restent en dehors des initiatives de consolidation de la paix fondées sur l’État. La LRA, de plus en plus fragmentée, et d’autres groupes et bandes anomiques de bandits continuent à errer et à attaquer. Des bandes de chasseurs traversent le territoire en quête d’ivoire, de viande et autres biens et les éleveurs, de plus en plus friands de l’herbe verte de la région pour faire paître leurs troupeaux, utilisent souvent des gardes armés locaux – appelés « janjawid » en référence à leur statut mercenaire et à leur provenance des zones frontalières entre le Tchad et le Soudan. Les groupes d’autodéfense aussi bien que rebelles sont le principal espoir de protection pour les communautés. Les amener à se débarrasser de leurs armes, comme le DDR le prévoit en théorie, va à contre-courant de ce besoin de sécurité [42]. Par opposition aux idées qui sous-tendent le programme du DDR, il n’existe pas de séparation claire entre « le temps de la guerre » et « le temps de la paix ». Au contraire, ces phases se mélangent généralement, insécurité et violence persistant après la signature d’accords de paix [43].
23En d’autres termes, seules des conceptions idéales-typiques de l’État, ignorant les défis de la politique sur le terrain, peuvent juger le DDR adéquat au contexte de la RCA. C’est peut-être pour cela que bien que le DDR ait été largement débattu dans les bureaux des organisations internationales et bien que des millions de dollars aient été investis pour lancer le programme, aucune des initiatives internationales qui en relèvent n’a jusqu’ici atteint les bénéficiaires visés [44]. Même les meilleures procédures techniques sont impuissantes sans volonté de s’attaquer à des questions politiques sensibles. À Bangui, le comité de pilotage du DDR, composé des chefs de groupes armés et de ministres du gouvernement, avec la participation de donateurs internationaux, s’est réuni et a tergiversé. Les réunions interminables (le plus souvent, six heures ou plus) se concluaient par de légers changements de formulation, mais restaient silencieuses sur les questions politiques importantes [45].
24Les délibérations sur la prime journalière d’alimentation, un paiement subsidiaire ne faisant pas partie du programme normal du DDR, se prolongèrent pendant six mois. Le montant et les modalités de règlement étaient particulièrement difficiles à déterminer : le versement devait-il être effectué par les fonctionnaires du gouvernement, le personnel du DDR ou bien par les commandants des groupes armés eux-mêmes ? Les officiers devaient-ils recevoir la même somme ? En fin de compte un montant fut fixé : 21000 francs CFA par mois seraient remis aux combattants pour trois mois. Ces mois de négociations et de contentieux ont cependant peu de lien avec ce qui arriva finalement sur le terrain. La plupart des combattants ne reçurent qu’un quart (5 000 francs CFA, soit environ 7,5 euros) ou la moitié (10 000 francs CFA, soit 15 euros) de cette somme, en fonction de leur ancienneté. Les deux versements suivants ne furent jamais acquittés. Durant toute cette période d’environ deux ans, les membres du comité de pilotage et le personnel expatrié du DDR bénéficièrent de confortables per diem et/ou salaires associés à leurs positions. Les observateurs militaires envoyés par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale auraient dû arriver au terme de leur mandat six mois après leur déploiement mais ils attendirent plus d’un an tandis que le comité de pilotage évitait de prendre les décisions politiques qui auraient permis aux techniciens de faire leur travail. Début 2011, après plus d’une quinzaine de réunions du comité de pilotage, toutes les questions politiques clés restaient en suspens et le financement du DDR par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) – un total de 27 millions de dollars US (environ 20,1 millions d’euros) provenant de plusieurs sources – était plus ou moins tari avant même que la moindre activité bénéficiant aux ex-combattants ait été réalisée [46]. Cette expérience lamentable constitue en fait le second programme majeur de DDR financé en sept ans. Le programme précédent, le Programme de réinsertion des ex-combattants et d’appui aux communautés n’a pas été plus efficace [47]. Ces échecs répétés et le manque de volonté politique n’ont pas dissuadé la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies, Margaret Vogt, d’en appeler à de nouveaux financements pour soutenir la poursuite du DDR en RCA. Dans une note au Conseil de sécurité de l’ONU, elle implore : « le Gouvernement [de la RCA] écoute les conseils des parties prenantes nationales et de la communauté internationale et il y répond… Néanmoins, le manque de financement pour mener le processus de DDR à son terme et pour débuter la seconde phase de RRS [Réforme du secteur de la sécurité] pourrait placer la RCA au bord du désastre [48] ». Vogt explique qu’il faudrait investir la somme supplémentaire de 2,6 millions de dollars US (environ 2 millions d’euros) dans le désarmement et la démobilisation, et 19,3 millions de dollars US (environ 14,4 millions d’euros) pour la réinsertion. Au-delà de la rhétorique, ces chiffres donnent une idée de la faible volonté du gouvernement de mener le DDR à son terme. Il aurait en principe dû prendre en charge la réinsertion sur la base des fonds alloués par la Commission de la communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, une charge finalement reportée sur les donateurs internationaux.
25Les autres structures et agences internationales de post-conflit et de consolidation de la paix furent également incapables de rapprocher l’hinterland de la capitale. Les rébellions ont motivé la tenue d’un « Dialogue politique inclusif » (DPI) à Bangui en décembre 2008. Il s’agissait du troisième dialogue inclusif de ce type au cours de la décennie. Les donateurs promouvaient le DPI comme un moyen d’amener l’opposition armée, la société civile et le gouvernement à examiner ensemble les doléances, à discuter la distribution du pouvoir politique et à créer des structures plus inclusives. Rien de tout ceci n’eut lieu [49]. En réponse aux recommandations du DPI, Bozizé créa deux nouveaux ministères – le ministère de l’Environnement [50] et le ministère du Logement – à la tête desquels il plaça des rebelles. Mais l’ajout de deux nouveaux ministres ne changea ni l’équilibre des forces ni le gouvernement, qui demeurait solidement ancré derrière Bozizé. À peine les discussions du DPI furent-elles conclues qu’un groupe rebelle, la CPJP, surgit pour protester contre son exclusion. Une fois encore, la médiation internationale du processus de paix est venue nourrir le factionnalisme [51].
26Le DPI et le DDR auraient dû ouvrir la voie à la tenue d’élections inclusives en 2011. Les bailleurs de fonds prirent en charge la plus grande part des frais électoraux (9,5 millions d’euros de l’Union européenne, 6,7 millions du Pnud) et aidèrent à l’organisation des élections en usant de leurs meilleures procédures techniques, comme la création d’une Commission électorale indépendante chargée de vérifier la transparence des scrutins– mais dont la composition penchait en fait largement en faveur du parti au pouvoir. Les élections furent d’abord prévues pour début 2010 afin de remplacer le président en place au terme de son mandat. Après des reports répétés, la constitution fut modifiée pour gagner du temps et organiser les scrutins début 2011. Les membres de l’Assemblée nationale qui devaient voter cette révision reçurent des enveloppes contenant de l’argent liquide dès lors qu’ils avaient fait le bon choix. La révision fut aisément adoptée [52]. Le DDR, le dialogue inclusif et les élections constituaient en réalité un enjeu bien plus important pour les bailleurs et les diplomates que pour les politiciens locaux qui les organisaient. De fait, les représentants du gouvernement et leurs opposants donnèrent l’impression qu’ils jouaient dans une pièce montée au profit des donateurs. Au fil du processus, la démocratie technique (la convocation de procédures spécifiques) entrava la possibilité d’une démocratie substantielle (qui prendrait au sérieux les besoins des populations).
27Ceux qui financent et mettent en œuvre les projets de développement ont tendance à essayer de se protéger du politique en remplissant la fonction de simples « conseillers techniques ». Le mandat technique des travailleurs du développement les réduit au silence mais, loin d’être apolitique, leur inhabilité à intégrer dans leur travail la micro-politique implique qu’ils finissent par soutenir un statu quo inéquitable auquel ils sont eux-mêmes partie. Les résidents ruraux dépossédés sont quant à eux également réduits au silence – en partie par ces processus techniques, en partie en raison de leur éloignement. Profondément frustrés par l’échec de leurs dirigeants à prendre leurs demandes au sérieux (les rares visites ministérielles dans l’intérieur du pays n’apportent rien d’autre que des promesses vides), ils en arrivent à la conclusion que ni l’opposition pacifique, ni l’opposition armée ne leur permettent de prendre une part active aux débats sur la politique étatique d’allocation des ressources. Dans une économie presque totalement dépendante de l’aide, l’accès aux fonctions étatiques constitue donc une ressource fondamentale.
28Une profonde amertume quant à la marginalisation politique et économique imprègne les zones rurales de la RCA. Les tendances à la non-centralisation politique (vers le nomadisme, la fragmentation en groupes ethniques et les tensions qui l’accompagnent) permettent aux gens de vivre de projets variés et parfois contradictoires. Mais, dans le même temps, émerge aussi un désir d’accès aux ressources qui pourraient surgir de formes plus solidaires et intégrées d’organisation sociale. Pour un temps, prendre la forme d’un groupe armé a donné à certains une nouvelle façon d’exprimer des frustrations. Les porte-parole des groupes armés exhibent fièrement les cartes de visite laissées par les journalistes qui leur rendent visite – jamais auparavant de tels représentants de la communauté internationale n’avaient honoré de leur visite Tiringoulou, Markounda, ou n’importe quel autre avant-poste centrafricain reculé. Mais les processus techniques de consolidation de la paix sont allés à l’encontre de toute transformation des relations entre la capitale et l’hinterland. Le DDR, panier dans lequel l’orthodoxie post-conflit de la reconstruction a placé la jeunesse rurale, est usé avant même d’avoir vraiment servi. Le président l’avait longtemps évoqué comme le préalable nécessaire aux élections mais cette rhétorique a disparu de ses discours à mesure que les scrutins approchaient. Les membres de groupes armés entendirent cette voix qu’ils semblaient apprécier, leur permettant d’exprimer leurs griefs, s’évanouir jusqu’à devenir un murmure inaudible. Certains sont retournés à leurs champs quand d’autres ont cherché de nouvelles opportunités dans l’économie politique militarisée de la région. Comme un membre de groupe armé l’expliquait :
« Nous retournerons à la brousse […] et nous redeviendrons des coupeurs de route. Moi, en tant que lieutenant, je retournerai à mes hommes, nous couperons les routes et trouverons de l’argent, nous couperons les routes pour trouver de l’argent et vivre et ça suffira. Car nous ne pouvons pas rentrer dans nos foyers sans argent. Non, nous ne le pouvons pas [53] ».
30Il m’envoya plus tard un texto me disant qu’il se dirigeait vers le Soudan où son frère lui avait dit qu’il trouverait peut-être du travail. Avec la rébellion, ce jeune homme avait tenté d’accéder à l’État et à ses structures d’opportunité, qui n’existent que dans la mesure où elles sont soutenues par la communauté internationale et surtout par les initiatives de consolidation de la paix. Mais les dynamiques historiques de gouvernance et la concentration de l’État dans la capitale se sont révélées puissantes, notamment en raison de la difficulté d’en débattre et parce que les problèmes et leurs solutions sont traités de manière technique. Pour ce jeune homme, il ne reste que la vie nomade – une vie flexible, à la recherche d’opportunités précaires.
Notes
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[1]
Cet article est issu d’une recherche sur le terrain de quinze mois menée en République centrafricaine, dans des villes tenues par des rebelles ainsi que dans la capitale, et sur la consultation d’archives en France entre juin 2009 et juin 2011. Ce travail a bénéficié des soutiens de la National Science Foundation, de la Wenner-Gren Foundation, du Social Science Research Council, de l’United States Institute of Peace et de Duke University.
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[2]
Ma conception de l’hinterland est fondée sur ce qu’Achille Mbembea appelé une buffer zone ou« zone tampon » : « De vastes espaces peuvent s’étendre entre des polities distinctes, véritables zones tampons non soumises à un contrôle direct, à une domination exclusive ou à une supervision rapprochée », in A. Mbembe, « At the Edge of the World : Boundaries, Territoriality, and Sovereignty in Africa », Public Culture, vol. 12, n° 1, 2000, p. 263. Avec sa faible densité de population et une présence minimale des institutions étatiques, la majeure partie du territoire centrafricain s’inscrit dans cette description de l’hinterland comme « zone tampon ».
-
[3]
Voir T. Bierschenk et J.-P. Olivier de Sardan, « Local Powers anda Distant State in Rural Central African Republic », The Journal of Modern African Studies, vol. 35, n° 3, 1997, p. 441-468.
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[4]
Bruce Berman et John Lonsdale effectuent une distinction utile entre « construction étatique » et « formation étatique ». La première désigne un processus actif d’« effort conscient pour créer un appareil de contrôle », alors que la seconde constitue « un processus historique dont l’issue est un processus largement inconscient et contradictoire de conflits, de négociations et de compromis entre divers groupes dont les actions égoïstes et les transactions représentent une ‚vulgarisation€ du pouvoir » : B. Berman et J. Lonsdale, Unhappy Valley : Conf lict in Kenya and Africa, Londres, James Currey, 1992, p. 5.
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[5]
Ses remarques se fondaient sur les conclusions de Pierre Weiss et Sandrine Martins Espinoza dans Union européenne, Mission d’experts électoraux, République centrafricaine. Rapport final. Premier tour. Élections présidentielle et législatives (23 janvier 2011), Bangui, 2011, p. 37.
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[6]
Bien qu’un groupe rebelle, la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), ait signé un cessez-le-feu avec le gouvernement en juin, cette directive aura sans doute peu d’effets sur le terrain étant donné que ce groupe est divisé en trois entités largement autonomes.
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[7]
Pour plus d’éléments sur ce thème, voir A. de Waal, Famine Crimes. Politics and the Disaster Relief Industry in Africa, Londres, James Currey, 1997. Voir aussi N. Eubank, « Taxation, Political Accountability, and Foreign Aid : Lessons from Somaliland », Journal of Development Studies, à paraître. Les donateurs ont aussi involontairement perpétué le conflit violent au Congo, comme le montre Séverine Autesserre dans The Trouble with the Congo. Local Violence and the Failure of International Peacebuilding, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
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[8]
Entretiens avec Toby Lanzer, Bangui, décembre 2006 et novembre 2007.
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[9]
Pour plus d’éléments sur ce thème, voir P. Englebert et D. M. Tull,« Postconflict Reconstruction in Africa : Flawed Ideas about Failed States », International Security, vol. 32, n° 4, 2008, p. 106-139.
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[10]
D’autres chercheurs ont pointé l’importance d’une analyse régionale pour comprendre la constitution de l’État centrafricain. Voir par exemple R. Marchal, « Aux marges du monde, en Afrique centrale… », Les Études du CERI, n° 153-154, 2009, qui insiste sur le rôle-clé du puissant voisin nordiste de la RCA, le Tchad. J’ai essayé au contraire ici de me centrer sur la culture politique centrafricaine, et particulièrement sur les relations qui existent ou non entre les dirigeants de la capitale et les acteurs armés dans l’hinterland ainsi que sur les rôles joués par les programmes de consolidation de la paix dans ces relations.
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[11]
D. D. Cordell, Dar al-Kuti and the Last Years of the Trans-Saharan Slave Trade, Madison, University of Wisconsin Press, 1985. Voir aussi J.-J. Brégeon, Un rêve d’Afrique. Administrateurs en Oubangui-Chari, la Cendrillon de l’empire, Paris, Denoël, 1998.
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[12]
Le récit d’André Gide dans son Voyage au Congo publié en 1927 offre un précieux témoignage contemporain de ces brutalités. Les restrictions en termes de travail forcé et de punitions étaient aisément ignorées dans ce coin perdu de l’empire. Voir C. Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, Paris, Mouton, 1977.
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[13]
J.-J. Brégeon, Un Rêve d’Afrique…, op. cit., p. 117. Plus sympathiquement, elle était surnommée la « Cendrillon de l’Empire ».
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[14]
Achille Mbembe explique cela par l’héritage du mode de colonisation de l’Afrique : « L’acte constitutif de l’autorité souveraine n’a jamais constitué un réel pacte ou contrat puisqu’il n’impliquait à proprement parler aucune réciprocité dans les obligations légalement codifiées d’une part entre l’État et ceux qui exerçaient le pouvoir et, d’autre part, entre la société et les individus ». A. Mbembe, On Private Indirect Government, Dakar, Codesria, 2000, p. 37.
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[15]
En me référant aux processus de non-centralisation, je m’inspire des études africaines sur la ville qui mettent l’accent sur les modes provisoires et flexibles d’association caractérisant la vie sociale en Afrique. Voir A. Simone « People as Infrastructure. Intersecting Fragments in Johannesburg », Public Culture, vol. 16, n° 3, 2004, p. 407-429.
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[16]
Dans le même temps, il est fréquent que les fonctionnaires en charge des zones rurales ne prennent pas leur poste de peur que leur salaire ne soit pas versé. Le règlement des salaires directement sur les comptes bancaires a diminué cette crainte mais il est toujours nécessaire de se rendre à Bangui pour retirer son argent.
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[17]
Pour ne donner que deux exemples, voir les arguments historiques d’Igor Kopytoff (dir.), The African Frontier. The Reproduction of Traditional African Societies, Bloomington, Indiana University Press, 1987, et d’Alex de Waal,« Sudan : The Turbulent State », in A. de Waal (dir.), War in Darfur and the Search for Peace, Cambridge, Global Equity Project, 2009, p. 1-38. L’« État bifurqué » de Mahmood Mamdani représente une autre variante importante sur ce thème : M. Mamdani, Citizen and Subject. Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism, Princeton, Princeton University Press, 1996. Bien que ces arguments offrent d’importants aperçus des dynamiques capitale-hinterland, l’ampleur de la marginalité des régions rurales de la RCA rend nécessaire le questionnement des types particuliers d’intégration qui existent entre la capitale et les campagnes. Les zones périphériques doivent ainsi être analysées pour elles-mêmes plutôt que pour ce qu’elles sont censées faire/être pour le centre : voir R. Marchal,« Aux marges du monde… », art. cit., p. 6.
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[18]
B. Jones, Beyond the State in Rural Uganda, Edimbourg, Edinburgh University Press, 2009.
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[19]
Avant ces expéditions, les scientifiques européens étaient convaincus que ces terres contenaient un désert et/ ou des homo caudatus – humains à queue. Voir Y. Boulvert, « Le dernier grand blanc de la carte d’Afrique : premières approches de l’Oubangui-Chari ou Centrafrique à la fin du xixe siècle », in D. Lecoq et A. Chambard (dir.), Terre à découvrir, terres à parcourir, Paris, Université Paris 7-Denis Diderot, 1996, p. 299-312.
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[20]
D. D. Cordell, Dar al-Kuti…, op. cit., p. 1.
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[21]
La fuite est aussi une tactique de protection répandue. Pour une approche historique, voir D. D. Cordell, « Des ‚réfugiés€ dans l’Afrique précoloniale ? L’exemple de la Centrafrique, 1850-1910 », Politique africaine, n° 85, mars 2002, p. 16-28.
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[22]
Entretiens avec l’APRD, Kaga Bandoro, RCA, mai et novembre 2010.
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[23]
Les leaders de l’APRD affirment que le groupe compte environ 6 000 membres, mais la force opérationnelle du groupe est moindre. En termes de zones de contrôle, le groupe s’est divisé en deux parties : l’une basée aux alentours de Paoua et l’autre aux alentours de Kaga Bandoro. Cependant, les combattants eux-mêmes sont dispersés entre ces différentes villes.
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[24]
Miskine est l’un des hommes en armes entrepreneurs de la région. Né d’un père tchadien et d’une mère centrafricaine et élevé dans une ville tchadienne non loin de la frontière centrafricaine, il a transformé son groupe de coupeurs de route en une milice pro-Patassé à la fin des années 1990. Il s’est enfui après le renversement de Patassé et risque une inculpation par la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes commis par son groupe. On le dit vivant au Moyen-Orient mais même les hommes supposés combattre pour lui ont du mal à établir le contact. Ils continuent à opérer comme coupeurs de route. Entretien de l’auteure, Bangui, 29 novembre 2010. Voir également M. Debos, « Fluid Loyalties in a Regional Crisis : Chadian “Ex-Liberators” in the Central African Republic », African Affairs, vol. 107, n° 427, 2008, p. 225-241.
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[25]
Le Projet de développement de la Région Nord (PDRN) dura de 1988 à 2002 et le programme Écosystèmes forestiers d’Afrique centrale (Ecofac) prit sa relève de 2002 à 2004, puis de 2007 à 2010.
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[26]
Bien entendu, on ne peut pas partir du principe selon lequel l’évolution de ce groupe vient de sa collaboration avec les programmes de conservation puisqu’il était déjà armé avant que les projets débutent. Mais ces derniers ont achevé de renforcer les groupes goula vis-à-vis d’autres groupes armés, ce quia exacerbé les tensions dans la région.
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[27]
Dans un exemple stupéfiant de la façon dont le personnel du projet se voilait la face quant aux dynamiques politiques conflictuelles entourant la distribution des ressources générées par le projet, un document de l’Ecofac se lamentait de la mort de Yaya Ramadan en lui rendant l’hommage suivant : « Il reste pour les gestionnaires de la biodiversité un symbole pour la conservation des ressources naturelles et un pacifiste ». Voir Ecofac, Composante RCA/ZCV, Rapport d’activité. Premier semestre 2001, Bangui, 2001, p. 21. Quel que soit le soutien apporté par le Cheikh à la conservation, il n’était pas pacifiste. Moins de deux jours avant sa mort, il mena une opération à Boromata : « cette opération s’est soldée par neuf ânes et deux braconniers étrangers tués ainsi que trente sacs pesant 50 kg chacun de viande saisis. En fouillant les corps, il avait été découvert sur l’un des deux braconniers, un document (reçu) délivré à un éleveur de Mossabio [ce document aurait été un permis de « droit de faire paître »] ». Voir R. Mbitikon, « Lettre/rapport : de R. Mbitikon à Son Excellence M. le Ministre délégué chargé des Eaux, Forêts, Chasse, Pêche et de l’Environnement. Objet : compte rendu de l’événement du 8 mai 2002 de Mossabio (Gordil) », Bangui, Ecofac, 31 mai 2002.
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[28]
Ce terme est utilisé pour désigner ceux qui ont aidé Bozizé à prendre le pouvoir en 2003. La plupart de ces libérateurs venaient du Tchad.
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[29]
Sabone rompit plus tard avec le chef de l’UFDR, Damane Zakaria. Sabone se décrivait comme le leader du Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice (MLCJ) même si, avant qu’il ne forme une alliance avec le groupe de défense majoritairement Kara dans la région de Birao, on ne savait pas vraiment qui étaient ses hommes.
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[30]
Massi recherchait un groupe rebelle dans sa lutte pour le pouvoir. Il avait déjà essayé de s’associer avec l’UFDR quand il se rabattit sur la CPJP.
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[31]
Les forces étatiques furent particulièrement brutales en 2006-2007. Leur tactique principale consistait à brûler des villages. Voir Human Rights Watch, State of Anarchy : Rebellion and Exactions against Civilians, New York, Human Rights Watch, 2007.
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[32]
Comme Roland Marchal l’a noté, les Centrafricains ont un imaginaire de l’État largement lié à la fiscalité. Voir R. Marchal,« Aux marges du monde… », art. cit., p. 19. Dans les zones rurales, l’idée d’un État pourvoyeur d’argent accompagne celle d’un État pourvoyeur de sécurité – ceci malgré le fait que l’expérience n’a fait que contredire une telle vision, le comportement des agents de l’État étant plus souvent prédateur que protecteur.
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[33]
D’autres analystes de la région comme Achille Mbembe ont expliqué cette déliquescence actuelle en la mettant en rapport avec la crise de l’État en Afrique au cours des vingt dernières années, mais l’état antérieur de cohérence du gouvernement décrit dans ces analyses était encore moins établi en RCA qu’ailleurs. A. Mbembe, On Private Indirect Government, op. cit.
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[34]
Les humanitaires estiment que la population de Sikkikede avoisinerait les 25 000 habitants alors que la capitale de la préfecture, Birao, n’en compte que 10000.
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[35]
W. Easterly, « Foreign Aid for Scoundrels », The New York Review of Books, 25 novembre 2010.
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[36]
Voir P. Englebert et D. M. Tull, « Postconflict Reconstruction in Africa… », art. cit. ; voir aussi W. Easterly, « Foreign Aid for Scoundrels », art. cit. Nombreux sont les travailleurs humanitaires et les diplomates qui ont eux-mêmes une analyse plus nuancée du politique dans les zones où ils travaillent. Malgré tout, l’optimisme téléologique de leurs institutions rend difficile, pour ces acteurs individuels, l’utilisation de leurs propres analyses pour fonder leur travail.
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[37]
C’est l’une des raisons pour lesquelles les bailleurs promirent une importante augmentation de l’aide au gouvernement de la RCA lors de la table ronde des donateurs qui s’est tenue à Bruxelles en juin 2011, et ce malgré le fait que la démocratie avait régressé depuis la précédente réunion en 2007.
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[38]
Pour une analyse approfondie de la façon dont les interventions internationales déplacent les responsabilités, voir A. Branch, « The Irresponsibility of the Responsibility to Protect in Africa », in P. Cunliffe (dir.), Critical Perspectives on the Responsibility to Protect : Interrogating Theory and Practice, New York, Routledge, 2011, p. 103-124.
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[39]
Pour une discussion connexe sur la réforme du secteur de la sécurité (RSS) et sur la déconnexion entre les idées des planificateurs de la capitale et les besoins réels en sécurité de la population, particulièrement dans les zones rurales, voir R. Marchal,« Aux marges du monde… », art. cit.
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[40]
Le DDR est devenu une composante de « l’orthodoxie de la reconstruction post-conflit » dans le monde de l’après-guerre froide. Pour une analyse critique – bien que le soutenant finalement – du DDR, voir R. Muggah,« No Magic Bullet : A Critical Perspective on Disarmament, Demobilization and Reintegration in Post-Conflict Contexts », The Round Table, vol. 94, n° 379, 2005, p. 239-252.
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[41]
Les forces armées centrafricaines dénombrent à peine 1 500 soldats décemment entraînés dans leurs rangs. Les artisans internationaux de la paix qui comptent sur ces forces – bien souvent plus prédatrices que protectrices – pour sécuriser le territoire du pays et sa population tendent à sous-estimer ou ignorer à quel point une telle issue est incertaine et de longue haleine.
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[42]
Sur le terrain, le DDR ne consiste pas en une collecte des armes (en général peu sont collectées) ou bien en une démobilisation. Ila pris une signification différente, en partie distincte du contenu impliqué par les termes qui composent son acronyme, et consiste en la promesse de rétributions comme moyen de venir temporairement en aide à une jeunesse démunie.
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[43]
P. Richards, « New War : An Ethnographic Approach », in P. Richards (dir.), No Peace No War : An Anthropology of Contemporary Armed Conflict, Athens, Ohio University Press, 2004, p. 1-21.
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[44]
En juin 2011, le président Bozizé a inauguré son propre programme DDR dans le nord-ouest. Celui-ci s’est cependant déroulé de façon chaotique. Peu d’armes ont été collectées et de nombreux combattants aujourd’hui prétendument « désarmés » ont été déçus de ne pas avoir reçu le soutien qu’on leur avait promis.
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[45]
Entretiens de l’auteure avec des participants à ces réunions, Bangui, 2,8 et 29 novembre 2010 ; 2 et 13 décembre 2010 ; 21 et 28 juin 2011.
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[46]
Certains de ces fonds ont été utilisés pour la création d’une base de données faisant l’état de l’art et d’autres outils de suivi censés promouvoir la transparence. Au final, le comité de pilotage a décidé de ne pas les utiliser, leur préférant ses propres méthodes personnalisées.
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[47]
C. Clément, L. Lombard, G. Kozo et D. Koyou-Kombele, RCA : le DDR sans GPS. Rapport final commissionné par le Programme multi-pays de démobilisation et réintégration (MDRP), Mission indépendante d’évaluation du Programme de réinsertion des ex-combattants et d’appui aux communautés (RCA) en République centrafricaine, 2007.
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[48]
« UN Official in Central African Republic Urges Support for Demobilization », UN News, 14 décembre 2011.
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[49]
Tous les acteurs-clés – gouvernement, opposition, groupes armés– firent preuve d’une attitude incroyablement mercantiliste quant à la procédure. Voir International Crisis Group, Central African Republic. Untangling the Political Dialogue, Nairobi/Bruxelles, ICG, 2008.
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[50]
Ce ministère peut être considéré comme redondant avec le ministère des Eaux, forêts, chasse, pêche et de l’environnement. Lorsque j’ai interrogé un directeur de ce dernier ministère sur cet aspect, il fut incapable de m’expliquer la différence entre les deux portefeuilles.
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[51]
D. Tull et A. Mehler, « The Hidden Costs of Power-Sharing : Reproducing Insurgent Violence in Africa », African Affairs, vol. 104, n° 416, 2005, p. 375-398.
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[52]
Entretien de l’auteure avec un participant à cette réunion, Bangui, 2 novembre 2010.
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[53]
Entretien de l’auteure avec un combattant de l’APRD, Kaga Bandoro, novembre 2010.