Couverture de POLAF_102

Article de revue

La mise en cause(s) du « fait colonial »

Retour sur une controverse publique

Pages 28 à 49

Notes

  • [1]
    D. Rivet, « Le fait colonial et nous : histoire d’un éloignement », Vingtième siècle, n° 33, 1992, p. 129-130, 138.
  • [2]
    Cet article est inspiré d’une étude à paraître en 2006 sous forme d’ouvrage, sous le titre Mémoires d’empire. Sociologie politique d’une controverse autour du « fait colonial », Paris, Éditions du Croquant et Savoir/Agir.
  • [3]
    L’OAS a été fondée en 1961 par des défenseurs de l’Algérie française, sous la direction du général Raoul Salan. En lutte contre la politique algérienne du général de Gaulle, elle a commis de nombreux attentats et assassinats sur les sols algérien et français.
  • [4]
    Nous n’utilisons pas ici l’expression « manœuvre électoraliste » dans un sens péjoratif, mais dans une acception technique. La tension entre l’identité de « représentant de la nation dans son ensemble » et la fonction de vecteur de demandes de nature particulariste est constitutive de l’exercice ordinaire – et légitime – du métier parlementaire moderne, qui s’est défini dans le cadre d’une politique de « terroirs électoraux » matérialisés administrativement par le découpage en circonscriptions.
  • [5]
    Ligue des droits de l’homme (LDH), section de Toulon, « Christian Kert, le rapporteur complice », à lire sur le site www.ldh-toulon.net.
  • [6]
    Le terme « pieds-noirs » désigne les Français d’Algérie, rapatriés en métropole au moment de l’indépendance. Les « harkis » sont des militaires indigènes qui servaient en Algérie aux côtés des Français dans des « harkas », unités supplétives destinées au maintien de l’ordre. Le terme tend, dans un usage courant, à recouvrir plus largement l’ensemble des Algériens placés par leur volonté ou leurs fonctions dans le « camp français » durant la guerre d’Algérie. Au moment de l’indépendance, le départ des troupes françaises a donné lieu sur place à des massacres de ces populations, dont l’État français n’a pas organisé le rapatriement. Certains sont néanmoins parvenus à les éviter et à rejoindre le sol français.
  • [7]
    Voir en particulier les travaux de Michèle Baussant sur le pèlerinage « pied-noir » au sanctuaire de Notre-Dame de Santa Cruz à Nîmes, Pieds-Noirs, mémoires d’exil, Paris, Stock, 2002. Pour une analyse du discours sur le passé colonial dans des publications d’associations « pieds-noires », voir É. Savarèse, L’invention des Pieds-Noirs, Biarritz, Séguier, 2002.
  • [8]
    L. van Eeckhout, « Polémique sur l’inauguration d’une stèle à la mémoire de l’OAS à Marignane », Le Monde, 18 juin 2005 ; C. Coroller, « La stèle pour l’OAS squatteuse de cimetière », Libération, 18 juillet 2005.
  • [9]
    L’Adimad est une association Loi 1901 fondée en 1967, www.perso.wanadoo.fr/adimad. Son président, Philippe de Massey, a été membre actif de l’OAS. Consulter sur ce point l’interprétation du « lobbying mémoriel » de l’Adimad dans « Gilles Manceron répond à Guy Pervillé » (lettre de G. Manceron du 18 avril 2005), texte accessible sur le site de la LDH, section de Toulon.
  • [10]
    Cette stèle avait été inaugurée le 5 juillet 2003 dans le cimetière Vernet de Perpignan. L’Adimad y a organisé, le 7 juin 2004, une cérémonie d’« hommage aux 105 Fusillés et Combattants morts pour que vive l’Algérie française ». Des photographies de la stèle se trouvent sur le site de la section de Toulon de la LDH.
  • [11]
    B. Thiolay, « Le dernier combat de l’OAS », L’Express, 11 juillet 2005.
  • [12]
    Pour un précieux éclairage historique sur la lutte des réseaux de la mémoire OAS contre la « citadelle amnistie », lire R. Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Paris, Le Seuil, 2005, p. 42, 111-121.
  • [13]
    Le Front de libération nationale, parti nationaliste algérien, a été le groupe moteur de la lutte pour l’indépendance.
  • [14]
    Propos rapportés dans Le Monde, 21 janvier 2006. J.-P. Soisson, ancien ministre des gouvernements Barre, Rocard, Cresson et Bérégovoy, avait déposé en octobre 2002, avec une centaine de députés, une proposition de loi sur l’indemnisation des « harkis ». Voir « Proposition de loi n° 291 relative à l’indemnisation de la communauté harki », enregistrée le 15 octobre 2002 à l’Assemblée nationale.
  • [15]
    Propos rapportés dans Le Monde, 13 juin 2004. A. Argoud, anticommuniste forcené, avait fait partie de l’état-major du général Massu avant de rejoindre l’OAS. Condamné à la réclusion à perpétuité en décembre 1963, il a bénéficié de l’amnistie de 1968.
  • [16]
    Le Monde, 24 février 2005.
  • [17]
    Discours prononcé par M. Hubert Colin de Verdière, ambassadeur de France en Algérie, à l’Université de Sétif, le 27 février 2005, à l’issue de la cérémonie de signature de la « Convention de partenariat entre l’Université de Clermont-Ferrand et l’Université Ferhat Abbas de Sétif », voir www.ambafrance-dz.org/article.php3 ?id_article=755.
  • [18]
    J.-P. Tuquoi, « Le président algérien accuse la France de “cécité mentale” », Le Monde, 4 juillet 2005.
  • [19]
    « Loi du 23 février 2005. Paris propose une commission mixte d’historiens », El Watan, 28 juillet 2005.
  • [20]
    Sur cette thématique des « diplomaties de la repentance », voir M. Labelle, R. Antonius et G. Leroux (dir.), Le devoir de mémoire et les politiques du pardon, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2005.
  • [21]
    Voir à l’adresse http ://portal.unesco.org/culture/fr.
  • [22]
    L’« Initiative de Gorée sur la traite négrière transatlantique » est le nom d’un mouvement créé à Dakar les 26-28 août 2001 par une quarantaine d’ONG africaines pour faire valoir lors de la Conférence de Durban la reconnaissance de l’esclavage comme crime appelant des compensations et des commémorations.
  • [23]
    Ces événements judiciaires sont détaillés par N. Vuckovic, « Qui demande des réparations et pour quels crimes ? », in M. Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme. xve-xxie siècles. De l’extermination à la repentance, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 1023-1056. Sur la Namibie, voir les contributions de R. Kössler et V. Bertout dans ce dossier.
  • [24]
    Il s’agit de la proposition de loi n° 2667 visant à abroger l’article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005, déposée le 10 novembre 2005. La Commission de l’Assemblée, saisie au fond, avait nommé Bernard Derosier (PS, Nord) rapporteur le 16 novembre. Son rapport a été déposé le 23 novembre.
  • [25]
    Les citations de cette section et de la suivante sont extraites du Compte rendu intégral officiel des débats de l’Assemblée nationale, 1ère séance du 29 novembre 2005, accessible à l’adresse www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/cri/2005-2006/20060081.pdf. Ce document est abrégé ci-après en « CR 29 novembre 2005 », avec indication du numéro de page entre crochets. Les italiques sont de l’auteur.
  • [26]
    Pour des éléments d’analyse de la place de la guerre d’Algérie dans la construction du récit patriotique de la droite française, voir G. Pervillé, « L’Algérie dans la mémoire des droites », in J.-F. Sirinelli (dir), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 1992, vol. 2, p. 621-656.
  • [27]
    H. Alleg, militant communiste, avait écrit en 1958 La Question, première grande dénonciation publique de la torture en Algérie. M. Audin, jeune mathématicien communiste de l’Université d’Alger, fut torturé à mort par l’armée française en juin 1957. F. Yveton, membre du Parti communiste algérien, a été guillotiné en février 1957 après avoir été accusé d’avoir placé une bombe dans une usine de gaz d’Alger.
  • [28]
    Lire les témoignages recueillis dans L. Mucchielli (avec la participation de A. Aït-Omar), « Les émeutes de novembre 2005 : les raisons de la colère », in V. Le Goaziou et L. Mucchielli (dir.), Quand les banlieues brûlent. Retour sur les émeutes de novembre 2005, Paris, La Découverte, 2006, p. 20-23.
  • [29]
    Les signataires de l’Appel sont regroupés dans deux listes distinctes : celle des « initiateurs » et celle des « soutiens ». Parmi les « initiateurs-trices » figurent, à la rubrique associations : Mouvement autonome de l’immigration du Nord (MAI 59), Collectif des musulmans de France (CMF), Oumma.com, Groupe de recherches activistes sur l’Afrique (GRAAF), Droits des femmes musulmanes de France, Les Mots sont importants (LMSI), Festival permanent contre les lois racistes (Strasbourg), TouTEsEgaux.net, collectif féministe Les Blédardes, DiverCité (Lyon), Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), groupe de rap La Rumeur, Fédération des étudiants et travailleurs d’Afrique en France (FETAF).
  • [30]
    Le GRAAF est un mouvement de lutte contre les discriminations anti-africaines en France, qui dénonce surtout les « contrôles au faciès » dans les quartiers du nord de Paris.
  • [31]
    Ce collectif, créé en 1993 et qui compterait 300 militants actifs, est composé d’associations dites proches de l’intellectuel suisse Tariq Ramadan. Pour un aperçu de la galaxie militante au sein de laquelle s’insère le CMF, consulter P. Haenni, International Crisis Group, La France face à ses musulmans. Émeutes, jihadisme et dépolitisation, Paris, Bruxelles, ICG, Rapport Europe n° 172, 9 mars 2006, note 4, p. 1, 10.
  • [32]
    Le MAI 59 est notamment animé par Saïd Bouamama, sociologue à l’Institut de formation action recherche (Ifar) de Lille.
  • [33]
    Le choix de la date du 8 mai 1945 s’explique, d’après les initiateurs de l’Appel, par la concomitance de la célébration de deux événements : la libération de la République française et les massacres coloniaux à Sétif et Guelma : « Par milliers, celles et ceux qui héritent de la mémoire coloniale ont voulu montrer à la République ses contradictions, en rappelant que le même jour où prenait fin la Seconde Guerre mondiale par la capitulation des armées nazies, de nouveaux massacres ensanglantaient les peuples vivant sous la domination coloniale de la France », voir « Succès de la marche des Indigènes », 9 mai 2005, www.oumma.com.
  • [34]
    « Nous sommes les Indigènes de la République ! Appel pour les Assises de l’anticolonialisme postcolonial », 16 janvier 2005. Les Assises elles-mêmes se sont tenues le 7 juillet 2005.
  • [35]
    Propos cités dans C. Febvre, « Le nouveau combat des “Indigènes” », L’Histoire, n° 302, octobre 2005, p. 86-89.
  • [36]
    J. Robine, « Les “indigènes de la République” : nation et question postcoloniale. Territoires des enfants de l’immigration et rivalité de pouvoir », Hérodote, n° 120, 2006, p. 118-148. Y. Boussoumah est coordonnateur de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP). H. Bouteldja est une militante féministe du collectif « Les Blédardes ».
  • [37]
    Le 10 juillet 2004, une jeune femme prénommée Marie affirme avoir été victime d’une violente agression antisémite dans le RER D (réseau de transport de banlieue) menée par une « bande de jeunes maghrébins ». Elle se rétracte au bout de 48 heures, avouant avoir inventé toute l’histoire, mais la presse s’est entre-temps emparée du thème de la « dérive raciste des jeunes des cités ». C’est contre cette expression du préjugé médiatique envers les « jeunes issus de l’immigration » que se mobilisent alors Y. Boussoumah et H. Bouteldja en signant, avec S. Bouamama, le texte « Marie n’est pas coupable ! Pour une lecture politique de l’affaire du RER », diffusé par TouTEsEgaux.net le 26 juillet 2004. Pour des détails sur la genèse de cette prise de position, voir « H. Bouteldja, une “indigène” de la République. Entretien avec A. Bamba », www.saphirnet.info, 8 mai 2005>.
  • [38]
    Les auteurs du texte de l’Appel font référence au « continuum colonial » pour désigner l’hypothèse de la permanence ou de la rémanence contemporaines des pratiques et des imaginaires coloniaux.
  • [39]
    P. Juhem, « Entreprendre en politique. Les carrières militantes des fondateurs de SOS Racisme », Revue française de science politique, vol. 51, n° 1-2, 2001, p. 131-153.
  • [40]
    S. Khiari, L. Lévy et A. Héricord, « Indigènes de la République : réponses à quelques objections… », www.oumma.com, 24 février 2005.
  • [41]
    Communiqué de la Ligue communiste révolutionnaire, 3 mars 2005.
  • [42]
    B. Cassen, « Ces altermondialistes en perte de repères », Politis, n° 835, 20 janvier 2005. Cette prise de position du président d’Attac, qui s’était déjà querellé avec T. Ramadan en 2003, a créé ou révélé de profondes failles au sein du mouvement tiers-mondiste. Bernard Dréano, président du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (Cedetim), mouvement signataire de l’Appel, s’est fendu d’une « Lettre d’un aborigène de la République (ou pourquoi je signe avec les Indigènes) » sur www.oumma.com, le 22 mars 2005, dans laquelle il réaffirmait l’enjeu prioritaire de la dénonciation de « politiques objectives toujours plus ou moins coloniales ».
  • [43]
    S. Gargan, « L’appel des Indigènes de la République : dénoncer le colonialisme… ou renforcer le communautarisme ? », www.lutte-ouvriere-journal.org, 10 mars 2005.
  • [44]
    La Commission de réflexion sur le principe de laïcité dirigée par Bernard Stasi, le médiateur de la République, avait été chargée par le président Jacques Chirac de préparer un rapport sur de possibles amendements à la « loi sur la laïcité » de 1905, et ce en réponse à la question du port du voile posée par de jeunes élèves musulmanes dans les établissements d’enseignement public. Elle a procédé à plusieurs dizaines d’auditions et a rendu ses conclusions en décembre 2003.
  • [45]
    F. Lorcerie, « À l’assaut de l’agenda public. La politisation du voile islamique en 2003-2004 », in F. Lorcerie (dir.), La Politisation du voile. L’affaire en France, en Europe et dans le monde arabe, Paris, L’Harmattan, 2005.
  • [46]
  • [47]
    Mémoire. La région parisienne, 1982-1992, Mouvement de l’immigration et des banlieues, www.mib.ouvaton.org. Le MIB, fondé en mai 1995 émane en partie du Comité national contre la double peine (CNDP), qui s’était fait connaître du grand public en 1991 et 1992 par des actions visant à réclamer la suppression des « doubles peines » (« prison + expulsion » ). Certains militants du MIB viennent du collectif Résistance des Banlieues (RDB) créé en 1990. Sur le MIB, voir R. Ricardou, « MIB, Mouvement de l’immigration et des banlieues », mémoire de DEA de Sociologie politique, Université Paris 1, 2000, p. 129-140.
  • [48]
    A. Mogniss, J’y suis, j’y reste ! Les luttes de l’immigration en France depuis les années soixante, Paris, Réseau No Pasaran / Reflex, 2000.
  • [49]
    « Marche pour l’égalité » de 1983 (100 000 participants), « Convergence 84 » et « Divergence 85 ». Sur ces marches, lire F. Sebaï et C. Vercellone, « De l’ouvrier-masse multinational à l’Intifada des banlieues : quelques repères pour une histoire des mouvements de la deuxième génération », Multitudes, décembre 1994, et S. Bouamama, Dix ans de marche des Beurs. Chronique d’un mouvement avorté, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.
  • [50]
    S. Bouamama, « La construction des “petits blancs” et les chemins du politique », À contretemps, mai 2005.
  • [51]
    S. Khiari, Pour une politique de la racaille : immigré(e)s, indigènes et jeunes des banlieues, Paris, Textuel, 2006.
  • [52]
    Mouvement créé à l’issue de la « Marche des femmes contre les ghettos et pour l’égalité » de février-mars 2003, et dirigé par Fadela Amara.
  • [53]
    H. Bouteldja, « De la cérémonie du dévoilement à Alger (1958) à Ni Putes Ni Soumises. L’instrumentalisation coloniale et néocoloniale de la cause des femmes », www.oumma.com, 13 octobre 2004. Le « nous » de ce texte est celui de l’Appel des Indigènes : « nous, filles et fils de migrants post-coloniaux ».
  • [54]
    F. Gèze, « Les “intégristes de la République” et les émeutes de novembre », Mouvements, n° 44, mars-avril 2006, p. 88-100.

1L’année 2005 aura bel et bien été, en France, celle de la guerre ouverte des mémoires du fait colonial. Le temps paraît déjà lointain où Daniel Rivet pouvait écrire, dans un article appelant, en 1992, à un renouveau de l’histoire de la colonisation :

« Le temps des colonies et l’épreuve de la décolonisation s’éloignent de nous irréversiblement [et] les passions se refroidissent inéluctablement. Aux historiens d’aujourd’hui, il appartient d’en prendre leur parti et d’en tirer la conclusion qu’on est enfin sorti de la dialectique de la célébration et de la condamnation du fait colonial qui a si longtemps et si profondément biaisé l’écriture de son histoire. [...] Notre passé colonial s’est suffisamment éloigné pour que nous établissions enfin avec lui un rapport débarrassé du complexe d’arrogance ou du réflexe de culpabilité [1]. »
Faux diagnostic ou vrai point de comparaison dans le temps ? En une quinzaine d’années, la donne du débat sur le « fait colonial » a bien changé du tout au tout : des espaces de controverses historiographiques et militantes, constitués dans les années 1970 et 1980, ont été réinvestis par de nouveaux acteurs politiques. Une conjoncture de « crise mémorielle » s’est enclenchée au tout début des années 2000, qui a brouillé les frontières entre ces espaces de controverses et a modifié les logiques de prises de parole et de prises de position qui leur étaient inhérentes. Fruits d’alliances tactiques ou du partage inaperçu d’enjeux et de langages de dénonciation, des fronts communs, incompréhensibles à l’aune des dynamiques polémiques antérieures, se sont ainsi dessinés. Le débat sur la concurrence entre les mémoires politiques du fait colonial s’est mué en débat sur les pédagogies de l’intégration républicaine des « enfants de colonisés » et, ce faisant, s’est réarticulé à des arènes de mobilisation propres aux « débats sur l’immigration » [2].

Le courtage parlementaire des demandes mémorielles

2Le fait est connu : c’est la loi du 23 février 2005 qui, disposant en son article 4 que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », a mis le feu aux poudres. Pour d’aucuns, elle est l’indice de la permanence, voire du regain d’activisme, de réseaux « Algérie française » ancrés dans des communautés « pieds-noirs » politiquement proches de la droite extrême et attachés à la réhabilitation publique de la geste de l’OAS (Organisation armée secrète) [3]. Pour d’autres, elle est le produit du laisser-aller d’une classe politique déliée de son électorat populaire, et donc insensible aux désarrois identitaires et au sentiment de mise à l’écart des enfants des « deuxième et troisième générations » de l’immigration en provenance des sociétés du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne.

3La parfaite congruence des propos des députés de l’Union pour un mouvement populaire (UMP, ancienne Union pour la majorité présidentielle) lors des débats précédant l’adoption de la loi du 23 février rend d’emblée manifeste la manœuvre électoraliste qui est au principe du projet de « réhabilitation » de la mémoire des « Français d’Algérie » [4]. Il s’agit, dans l’esprit de ces parlementaires, de s’assurer de la maîtrise partisane d’un ensemble de soutiens politiques en se faisant l’écho des revendications des associations de « rapatriés » les plus actives dans leurs circonscriptions (Alpes-Maritimes, Hérault, Bouches-du-Rhône, Lot-et-Garonne, Var). Christian Kert – l’auteur du rapport sur lequel a pris appui le projet de loi – a par exemple participé les 25 et 26 septembre 2004 à l’assemblée générale de l’Association nationale des Français d’Afrique du Nord, d’outre-mer et de leurs amis (Anfanoma). Or, celle-ci s’est à plusieurs reprises signalée par son activisme mémoriel. Son président, William Bennejean, a écrit en juin 2001 au sénateur-maire de Toulon, Hubert Falco, pour lui demander de ne pas donner suite aux demandes visant à débaptiser le carrefour « général Salan ». Le député Kert a aussi pris part à la célébration, le 22 octobre 2005, du quarantième anniversaire de l’érection du Mémorial national des Français d’Algérie et rapatriés d’outre-mer, au cimetière Saint-Pierre d’Aix-en-Provence [5]. La liste des personnalités auditionnées lors de la préparation de son rapport est tout aussi révélatrice de l’importance politique des associations « algérianistes ». Y figurent en effet la majorité des présidents des associations de défense des intérêts de la « communauté pied-noir » et des « harkis » [6], en leur qualité de membres soit du Haut conseil des rapatriés, soit du Comité de liaison des associations nationales de rapatriés (Clan-R). L’orientation mémorielle de ces associations ressort de leur nom même (Comité du souvenir français, Association mémoire de la France d’outre-mer, Association mémoire d’Afrique du Nord, Association des disparus, Centre de documentation historique sur l’Algérie, Généalogie Algérie Maroc Tunisie) et de leurs activités. Ces associations ont développé, depuis plusieurs décennies déjà, des politiques locales de commémoration, organisant des « journées du souvenir », des fêtes et des pèlerinages pour mettre en scène une vision irénique de la vie en Algérie coloniale [7].

4Les initiatives commémoratives provocatrices de l’une au moins des associations entendues ont, en outre, provoqué un vif débat public [8]. C’est en effet l’Amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus politiques de l’Algérie française (Adimad) [9] – dont Christian Kert a auditionné un membre du bureau, Philippe de Massey, à l’occasion de la préparation de son rapport – qui a inauguré le 6 juillet 2005, dans l’enceinte du cimetière de Marignane, une stèle dédiée à la mémoire des figures historiques de l’OAS : Roger Degueldre, dirigeant des « commandos Delta » de l’OAS à Alger, Albert Dovecar et Claude Piegts – membres du « commando » qui a assassiné le commissaire central d’Alger, Roger Gavoury, en 1961 –, et Jean-Marie Bastien-Thiry, organisateur des attentats manqués contre le général de Gaulle à Pont-de-Seine et au Petit Clamart. Cette « stèle OAS » de Marignane, réplique fidèle de celle de Perpignan érigée quelques années auparavant [10], représente un fusillé en train de s’écrouler, ligoté à un poteau. Elle porte sur son socle la mention « Aux combattants tombés pour que vive l’Algérie française » et, sur le côté droit, trois dates en lettres d’or correspondant aux exécutions des fusillés de l’OAS. Le jour de l’inauguration, les « caciques du Front national » – notamment Marie-France Stirbois, Bernard Antony, Roger Holeindre et Stéphane Durbec – se tenaient au premier rang de la foule d’un millier de personnes venues assister à l’événement [11]. La plupart des commentateurs médiatiques de cette « affaire de la stèle de Marignane » ont posé de façon explicite la question d’un lien de causalité entre la loi du 23 février 2005 et le regain d’activisme des associations et réseaux de défense de la mémoire de l’OAS. De fait, l’article 13 de cette loi entrouvre la porte à une politique de réparation financière de l’État à l’égard des condamnés amnistiés de l’OAS. L’ambiguïté n’est donc plus de mise : c’est bien la mémoire de « l’Algérie française » (et de sa fraction d’ex-activistes de l’OAS), et non pas seulement celle des « Français d’Algérie », qui se trouve juridiquement réhabilitée par l’État [12].

5Il faut enfin noter que l’effet de solidarité idéologique entre parlementaires – perceptible à travers la redondance des références aux mêmes personnages et aux mêmes épisodes-clefs de la « mise en valeur » de l’Algérie – n’est aucunement le fruit du hasard des débats. Il existe en effet, à l’Assemblée, un groupe d’étude sur les rapatriés, comprenant 57 députés (dont 6 du Parti socialiste) et dont les rencontres ont favorisé la formation d’une position commune des parlementaires de l’UMP concernant la loi du 23 février. Les députés membres de ce groupe n’hésitent pas à faire valoir publiquement leurs expériences personnelles du processus de décolonisation pour établir leur qualité à parler au nom des associations de rapatriés. Michèle Tabarot (députée UMP des Alpes-Maritimes), fille de l’un des chefs civils de l’OAS à Oran, évoque ainsi sa « légitime fierté d’avoir œuvré, quarante ans après, à la réhabilitation de la mémoire française en Algérie ». De même, Kléber Mesquida (député PS de l’Hérault) mentionne le traumatisme qu’il a vécu à l’âge de neuf ans lorsque la ferme de ses grands-parents a été attaquée au petit matin par des hommes du Front de libération nationale (FLN) [13]. Le député UMP de l’Yonne, Jean-Pierre Soisson – ancien sous-lieutenant, commandant d’une « harka » – rappelle, pour justifier son vote, qu’« en 1962, [ses] hommes ont été massacrés, égorgés, retrouvés le plus souvent avec leurs parties génitales dans la bouche [14]. » Lors des débats de juin 2004, J.-P. Soisson ayant appris la mort d’un ancien de l’OAS, le colonel Antoine Argoud, sous les ordres duquel il avait servi, avait tenu à « avoir une pensée pour le très grand soldat qu’il fut [15] ». Il s’agit, pour ces députés, de parler d’une histoire qu’ils considèrent comme la leur. On voit ainsi jouer, dans le processus de politisation du débat sur le fait colonial, un effet biographique qui, à travers l’institution d’une rhétorique de proximité avec un segment de l’électorat présumé, facilite le courtage parlementaire des demandes des associations de harkis et de rapatriés.

Les diplomaties de la repentance

6L’émoi provoqué en France par le vote de la loi du 23 février 2005 s’est par ailleurs doublé rapidement d’un esclandre diplomatique. Alerté sur le risque que la promulgation de la loi faisait courir à l’amélioration, engagée dix-huit mois auparavant, des relations bilatérales franco-algériennes, le ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, a tenté de désamorcer la polémique en annonçant la nomination d’une « commission mixte d’historiens français et algériens qui puissent se réunir, travailler ensemble, en toute indépendance ». Il a également affirmé, à la même occasion : « Il n’y a jamais eu en France d’histoire officielle, il n’y en aura jamais [16] ». En outre, dans un discours prononcé le 27 février, l’ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdière, avec l’accord préalable de l’Élysée et du Quai d’Orsay, s’est efforcé de contrebalancer les effets politiques du texte en évoquant ouvertement les « massacres » et la « tragédie inexcusable » du 8 mai 1945 à Sétif, et en appelant à « une connaissance lucide du passé et des mémoires diverses [17] ». Mais ces prises de parole n’ont aucunement permis d’enrayer les réactions algériennes. Le 2 juin 2005, le FLN a dénoncé, dans un communiqué, un texte qui « consacre une vision rétrograde de l’histoire », insistant sur le fait que sa non-abrogation pourrait « remettre en cause le processus largement entamé, sous l’impulsion des présidents Bouteflika et Chirac, de la difficile refondation des relations entre l’Algérie et la France ». Le président Abdelaziz Bouteflika a quant à lui déclaré, le 29 juin, que la loi du 23 février représentait « une cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme [18] ». Enfin, le 7 juillet, le Parlement algérien a qualifié ce vote de « précédent grave [19] ». L’un des effets immédiats de cette crise des relations entre les deux pays a été le report sine die de la signature du « traité d’amitié franco-algérien », dont les termes avaient été négociés à l’occasion de visites de haut niveau en 2004.

7Le débat autour de l’article 4 de la loi du 23 février a de la sorte rejoint la cohorte des crises bilatérales qui ont jalonné la naissance des « diplomaties de la repentance » : celles-ci recodent dans des termes mémoriels, sous la forme de demandes contradictoires de « reconnaissance » de « torts » historiques, les relations bilatérales Nord-Sud. Elles sont, en quelque sorte, l’arme du faible de la soft diplomacy (« diplomatie d’influence ») [20]. Les mobilisations de collectifs mémoriels en France s’inscrivent ainsi dans un moment historique particulier des relations internationales. Ce moment a débuté en 1994 par une série d’initiatives onusiennes consacrant l’émergence des discours de la repentance comme principe d’action publique diplomatique à l’échelon multilatéral : mise en œuvre du projet « La route de l’esclave » visant à « créer un espace collectif de réflexion et d’analyse des causes profondes de la traite négrière, de ses modalités et de ses conséquences […] [21] » ; institution d’une « journée internationale de la traite négrière et de son abolition » le 23 août de chaque année ; proclamation dans le même temps, par l’Assemblée générale de l’Onu, de l’année 2004 comme « année de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition ». L’année 2001 aura marqué l’apex de ce moment. Elle a été celle de la Conférence contre le racisme de Durban, qui a parachevé la mise en réseau des associations mémorielles anti-esclavagistes et anticoloniales (notamment africaines à travers la création de l’« Initiative de Gorée » [22]), mais aussi celle des grandes avancées judiciaires de la repentance. Aux États-Unis, au terme de plusieurs années de batailles procédurières, les États de la Floride et de l’Oklahoma ont en effet accepté d’indemniser les survivants noirs d’un massacre commis en 1923 et ceux d’une émeute réprimée en 1921. En Namibie, en juin 2004, le Conseil pour les dédommagements au peuple herero, victime d’un ordre d’extermination (Vernichtungsbefehl) en 1904-1908, a poursuivi devant les tribunaux allemands le gouvernement de Bonn et plusieurs entreprises accusées d’avoir jadis soutenu la politique impériale prussienne [23]. Ces avancées judiciaires, sur fond d’une légitimation onusienne des demandes de reconnaissance de la traite négrière comme « faute » collective des États occidentaux assortie d’une injonction à la commémoration, ont contribué à nourrir le débat militant français autour de la « loi Taubira » du 21 mai 2001 (sur la qualification de l’esclavage et de la traite négrière comme « crimes contre l’humanité »).

Une trajectoire d’enjeux

8L’affaire a été jugée d’autant plus grave que la récidive a été constituée. De fait, l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février, réclamée par une proposition de loi du PS, soutenue par le Parti communiste français (PCF) et l’Union pour la démocratie française (UDF) [24], n’a pas eu lieu par voie de débat parlementaire : le 29 novembre, les députés UMP ont voté d’un seul bloc pour le maintien en vigueur du texte. Au terme d’une matinée de débats, par 183 voix (178 UMP et 5 UDF) contre 94 (75 PS, 6 UDF, 9 PCF et 4 non inscrits), l’Assemblée a refusé tout net de clore la polémique en éliminant son objet. Le ton des débats, volontiers mâtinés d’anathèmes et de chahuts, et la présence à la tribune des ténors des partis, montrent que les parlementaires ont alors pris toute la mesure médiatique de la polémique déclenchée par l’article 4. Il ne sera d’ailleurs question, dans les interventions des uns et des autres, que de cet article, et jamais de l’article 13 (portant sur « l’indemnisation forfaitaire » des condamnés de l’OAS). La politisation de la controverse est achevée : tous les groupes, à l’exception de l’UDF, imposent des consignes de vote. Les discours se répondent point par point, contribuant à accuser le gouffre entre deux façons antithétiques de comprendre le fait colonial [25].

9Du côté des défenseurs UMP du maintien en vigueur de l’article 4, la stratégie consiste à justifier une lecture en deux temps du processus de colonisation. Au temps – regrettable et condamnable – de la conquête violente des territoires, aurait en effet succédé le temps de la « mise en valeur » du domaine colonial : un moment « bénéfique » de « modernisation » des sociétés colonisées. Michel Diefenbacher résume cette vision en opposant les « militaires » des premiers temps aux « bâtisseurs » civils qui leur ont « très vite » succédé, affirmant que « la rencontre de deux peuples, de deux cultures, de deux religions porte toujours en elle le risque d’un affrontement violent ; la colonisation n’a pas échappé à cette règle ; elle a d’abord été l’œuvre des militaires, mais elle n’est pas restée longtemps l’œuvre des seuls militaires : elle est très vite devenue celle des bâtisseurs » [CR 1re séance, 29 novembre 2005, p. 19]. L’argument des « deux temps » de la colonisation contredit radicalement – ainsi que nous le verrons plus avant – celui d’une domination coloniale ramenée à son ontologie de violence. Le propos du député UMP du Rhône Georges Fenech dévoile cet antagonisme des principes de compréhension :

10

« Vous nous accusez […] de présenter la période de colonisation comme une période faste et totalement lumineuse. Nous vous répondons à nouveau : non ! La colonisation a ses parts d’ombre également – la dépossession des indigènes de leurs terres et leur soumission notamment –, mais reconnaissez, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, que, au fil des générations, cette colonisation conquérante, qui, forcément, s’est accompagnée d’exactions, a fait des victimes et entraîné des souffrances, a laissé la place à une présence, une fraternité, une égalité entre toutes les communautés qui vivaient dans ces pays. Ces rapports colonisés-colonisateurs se sont transformés, petit à petit, en rapports de solidarité, tendant à une même communauté de destin ; cela vous ne pouvez pas le nier, à moins, monsieur le rapporteur, que vous ne décrétiez une fois pour toutes et ex abrupto que le péché originel de la colonisation interdit à tout jamais de parler d’une autre époque : de l’époque plus récente, pacificatrice, qui a incontestablement enrichi ces régions. »
[CR 29 novembre 2005, p. 31]

11Lorsqu’il présente ses conclusions avant le passage au vote final, Christian Kert résume la stratégie de justification adoptée par l’UMP tout au long des débats :

12

« Si notre groupe s’apprête à voter contre cette proposition, ce n’est pas parce qu’elle émane de l’opposition ou parce que nous rejetons les aspects parfois sombres de la colonisation. Non, nous nous y opposons parce qu’elle reprend l’idée dominante selon laquelle la colonisation s’est arrêtée là où commence en fait la véritable aventure, après la conquête et son cortège de violences. »
[CR 29 novembre 2005, p. 37]

13La violence de la conquête coloniale n’aurait donc été qu’un préalable nécessaire, quoique regrettable, de la colonisation, dès lors entendue comme processus de transfert de modernité entre la métropole et des sociétés technologiquement arriérées. Le « rôle positif » de la colonisation française de l’Algérie se trouve notamment illustré par le recours à trois séries d’exemples : ceux attestant la modernisation sanitaire du domaine colonial (vaccinations, lutte contre les épidémies, etc.), ceux témoignant des succès de la politique scolaire à l’égard des indigènes, et ceux démontrant l’investissement des « rapatriés » en matière de défrichage et de mise en culture de « terres incultes » (ou « ingrates »).

14

« La France a posé les jalons de la modernité en Algérie, en lui donnant les moyens d’exploiter les richesses naturelles de son sous-sol. »
[Michèle Tabarot, UMP, CR 29 novembre 2005, p. 16]

15

« […] Les médecins allemands, anglais, français rivalisaient d’ardeur et de créativité pour faire reculer les maladies tropicales. […] Dans ce combat contre la souffrance et la mort, les médecins français n’étaient pas en retard. Et l’Algérie fut souvent le lieu de leurs victoires. »
[Michel Diefenbacher, UMP, CR 29 novembre 2005, p. 19]

16

« […] Comment ne pas vouloir donner comme exemple aux enfants d’aujourd’hui ces premiers médecins français, que citait Michel Diefenbacher, ces french doctors de l’époque qui libéraient Madagascar de la variole et de la rage avec André Thiroux, l’Indochine de la peste avec Alexandre Yersin, et l’Algérie de la malaria avec François-Clément Maillot ? »
[Christian Vanneste, UMP, CR 29 novembre 2005, p. 23-24]

17Sur l’autre versant de la controverse, la stratégie adoptée n’est pas monolithique. Il y a d’une part ceux qui acceptent en son principe même la mise en débat d’interprétations contrastées de l’action coloniale française. Ceux, autrement dit, qui jouent – à rebours de leurs adversaires politiques mais en acceptant de se plier aux mêmes règles qu’eux – le jeu des chiffres et des dates symboliques. C’est à une querelle autour du choix des personnages et des épisodes-clefs du récit patriotique que l’on assiste avec, en guise de répartie au renouveau public de la geste de l’OAS, la mise en avant de figures de proue des mouvances anticoloniales. Surgit dès lors, face à une histoire nationale « de droite » axée sur les faits d’armes civilisateurs des apôtres de la « plus grande France » [26], une mémoire de luttes sociales dont la « gauche » revendique l’héritage.

18

« Monsieur le ministre, il faudra qu’un jour nous fassions enfin la clarté sur notre histoire coloniale, qui a conduit des Français à tuer d’autres Français. Et je ne peux achever ce propos sans évoquer Henri Alleg, Maurice Audin ou Fernand Yveton [27]. »
[Jean-Pierre Brard, PCF, CR 29 novembre 2005, p. 16]

19

« […] Nulle repentance, nulle mise en accusation [dans la loi du 21 mai 2001 et les débats qui l’ont précédée], parce qu’il était impensable, pour nous, de meurtrir la France, celle de la Déclaration universelle des droits de l’homme, celle d’Olympe de Gouges, celle de la Commune, celle de Louise Michel, celle de la Résistance, celle de Louise Weiss, la France des grandes voix. »
[Christiane Taubira, DVG, CR 29 novembre 2005, p. 22]

20Il y a d’autre part, parmi ces orateurs socialistes et communistes qui pourfendent l’article 4, ceux qui optent non plus pour la querelle interprétative, mais pour la rupture brusque de paradigme. Il ne s’agit plus de négocier, dans la dispute, une histoire nationale au sein de laquelle les hérauts des mémoires partisanes de « gauche » auraient une place supérieure ou équivalente à celle que la loi du 23 février concède aux « héros modestes » de la colonisation modernisatrice, ainsi que s’y emploie Christiane Taubira lorsqu’elle loue d’un seul tenant « le rôle émancipateur des instituteurs français [en Algérie] » et la vaillance d’Olympe de Gouges. Il n’est plus question de tergiverser sur la réalité de l’âge d’or de la colonisation bienveillante réinventé par les députés UMP, ni même de lui substituer une « légende noire » (comme s’y efforce Jean-Pierre Brard en convoquant les grandes figures tutélaires de l’anticolonialisme persécuté). Il s’agit au contraire de refuser tout net une vision historicisante de la colonisation, afin de rapporter celle-ci à son ontologie de violence. Le drame des colonies et celui de la Françafrique, la « chicote » d’hier et l’« extorsion de pétrole » d’aujourd’hui peuvent alors se trouver conjoints en une seule et même dénonciation, tandis que le discours vise à établir non plus la contingence (« positive » ou « négative » ) de la colonisation, mais son essence. Le propos s’inscrit ici dans l’orbite d’une critique générale des promesses non tenues, ou des mensonges, de la République.

21

« Aussi désireux que l’on soit de conserver aux débats de cette auguste assemblée leur sérénité, on ne peut pas, même sans acte de contrition, sans repentance et sans exiger je ne sais quel sanglot de l’homme blanc, passer sous silence les 10 000 morts de Guadeloupe en 1802, lors du rétablissement de l’esclavage. […] On ne saurait oublier les 90 000 morts de Madagascar en 1947, les 45 000 morts de Sétif et les carnages commis pendant la conquête du Congo ! […] On ne peut oublier les morts, les mutilés, les estropiés d’Indochine et d’Afrique. On ne peut oublier, même en faisant un effort d’amnésie, la chicote, la rigoise et le carcan, le fouet, les travaux forcés, l’exploitation, le hachoir des plantations, et aujourd’hui encore l’aliénation, la réification, le larbinisme inoculé, les maladies, les famines, l’analphabétisme – en 1962, 80 % de jeunes Algériens ne sont pas scolarisés – puis les coups d’État fomentés, les élections opportunément arrangées, l’extorsion du pétrole et des matières premières […], les élites décérébrées et stipendiées dans les néo-colonies qui forment le pré carré de la Frane Afrique. »
[Victorin Lurel, PS, CR 29 novembre 2005, p. 17-18]

22Ce choix d’une rupture de paradigme en matière de compréhension du fait colonial emporte toute une série de conséquences dans l’ordre du discours politique. La plus importante d’entre elles est l’affirmation de la stricte équivalence entre « colonisés » d’hier et « immigrés » d’aujourd’hui – une opération rendue possible par la mise en suspens volontaire de la question de l’historicité réelle des processus de colonisation (et de décolonisation). Cette mise en équivalence est favorisée par la prise en compte de l’actualité politique (les débats suscités, au sein de la majorité et entre la majorité et l’opposition, par la gestion des « émeutes de banlieue » ), comme le montre bien ce propos de Jean-Michel Dubernard (UMP, Rhône) :

23

« […] Au moment où l’opinion est interpellée sur le traitement social de l’immigration et découvre avec angoisse les difficultés de vivre dans nos banlieues sans âmes des petits-enfants d’immigrés qui n’étaient autres que d’anciens colonisés, aucun d’entre nous ne doit agiter le chiffon rouge dans un sens ou dans un autre […] ».
[CR 29 novembre 2005, p. 5]

24Un autre exemple d’accréditation politique de cette logique d’interpolation entre les événements d’actualité et le débat sur la loi du 23 février est fourni par le maire de Bègles et député Vert de Gironde, Noël Mamère, lorsqu’il écrit, dans une tribune de Libération du 22 décembre 2005 : « De la “racaille” au refus de la “repentance permanente” envers ceux dont les ancêtres furent soumis à l’esclavage et autres barbaries, le gouvernement Villepin-Sarkozy banalise l’humiliation, la ségrégation et pratique une forme d’apartheid qui n’ose pas dire son nom […] ». On trouve la même posture interprétative chez Edwy Plenel qui remarque, dans un éditorial du Monde 2 en date du 23 avril 2005, que « ce passé-là est plein d’à présent, et c’est pourquoi il faut le regarder en face : non par culpabilité rétrospective mais par souci du monde actuel ». Dans un éditorial publié dans Témoignage Chrétien le 15 décembre 2005, Noël Bouttier franchit le pas en affirmant tout de go, sans s’appuyer sur le moindre témoignage, que « la révolte populaire de novembre a été “polluée” par des visions coloniales. Le ministre de l’Intérieur se voyait en pacificateur alors que certains jeunes entendaient laver l’affront subi par leurs ancêtres ».

25Le commentateur prête sans embarras aux foules juvéniles de la banlieue parisienne insurgée une psychologie dont rien, dans leurs propres déclarations, ne permet d’établir la réalité. Car les (rares) témoignages accessibles de « jeunes » impliqués dans les « émeutes » d’octobre-novembre 2005 ne mobilisent aucunement la référence au passé colonial : leur propos s’articule de façon quasi exclusive autour de la dénonciation des discriminations policières et prend appui sur une « culture de la rue » – une culture bravache de l’affirmation violente de soi et de la revanche sur les pouvoirs institués – développée en réaction aux brimades et aux injures, bien réelles, d’agents de « la BAC » (Brigade anticriminalité) ou des commissariats de quartiers [28]. Ce dont parlent à la première personne les « jeunes » des banlieues insurgées, c’est de la brutalité des « keufs » à leur endroit, de l’oubli médiatique de leur dénuement et de leur désespérance, d’un fonctionnement arbitraire et incohérent de la machine judiciaire punitive, d’une relégation vécue au quotidien au travers du déni de l’accès aux lieux de loisirs et de consommation des centres villes.

26On peut certes estimer que cette parole n’a pas de sens politique digne de ce nom, qu’elle n’est pas « représentative » d’un groupe social réel, et verser dès lors dans la condamnation péremptoire d’une « sauvagerie » définie à l’aune d’un discours de classes dominantes. On peut encore affirmer que ceux qui portent ce discours d’injustice ressentie ignorent ou se masquent les déterminants historiques structurels de leur condition sociale, et s’épargnent ainsi l’effort de le comprendre. Mais il n’empêche que cette parole existe, et qu’on ne peut, sans la détruire, lui en substituer une autre. En rabattant les gestes d’insoumission à l’égard de l’État sur une sensibilité mémorielle, l’hypothèse de la détermination « postcoloniale » des émeutes d’octobre-novembre 2005 les dépolitise : les révoltés n’agissent plus au nom de griefs réels, ni de façon stratégique, mais sont les jouets – et même les simples réceptacles – de douleurs et de désirs de vengeance qui transcendent leurs destinées particulières. Ils n’ont rien à dire, puisque c’est l’Histoire déjà écrite de leur destin collectif qui parle à travers eux.

De la colonie aux banlieues : naissance d’un regard politique partagé sur le tort républicain

27Le débat parlementaire autour de l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février devient, au terme de cette opération de mise en équivalence sémantique des notions de « colonisés » et d’« immigrés » (et donc de « jeunes issus de l’immigration » et d’« enfants de colonisés » ), une controverse autour de la meilleure façon de rallier la jeunesse « issue de l’immigration » aux valeurs républicaines. Quelle histoire du fait colonial doit-on, pour cela, lui enseigner ? Une histoire qui, insistant sur les « aspects positifs » de l’œuvre de colonisation, leur redonne « la fierté d’être Français » ? Ou bien une histoire qui, ne « cachant rien » des violences de la période coloniale, et refusant de la sorte le « déni de mémoire », fasse une place à « tous les vécus » ? Faut-il dire entièrement la colonisation ou ne la dire que d’une certaine façon pour que la République regagne la confiance des « enfants d’immigrés » ? Le débat autour de la « réalité historique » du fait colonial se transforme alors, insensiblement, en débat autour des pédagogies de l’intégration républicaine.

28Pour les députés de l’opposition, l’article 4 de la loi du 23 février va à l’encontre du projet républicain d’intégration en ce qu’il consacre comme histoire officielle un récit de gloriole colonialiste dans lequel ne peuvent se reconnaître les « enfants d’immigrés » : si l’école de la République ne dit pas « la vérité » sur le fait colonial, les enfants des ex-colonisés la renieront.

29

« Il faut […] rendre les archives accessibles et encourager la recherche en vue de restituer le passé de notre pays dans son intégralité. Le récit historique doit prendre en compte la pluralité des vécus de nos concitoyens, notamment ceux des familles issues de l’immigration, qui ne peuvent ressentir que douloureusement toute négation de leur héritage. En cela l’article 4 traduit un déni de mémoire […]. »
[Michel Charzat, PS, CR 29 novembre 2005, p. 30]

30Pour les députés de la majorité (UMP) qui défendent bec et ongles leur texte, l’article 4 pave tout au contraire la voie à une acceptation renouvelée du projet républicain d’intégration. Pour que tous les « jeunes Français » se reconnaissent pleinement dans les valeurs républicaines, rien ne doit flétrir ces dernières, et surtout pas le récit des entorses que la colonisation leur a fait subir.

31

« […] N’est-ce pas faire œuvre utile que de rappeler le rôle positif de la France à nombre de ces jeunes Français issus de l’immigration qui reçoivent au premier degré les messages soulignant les aspects négatifs de la période coloniale ? Comment ceux-ci pourraient-ils ressentir une quelconque fierté d’être Français dès lors que les historiens ne leur présentent la France que comme un État qui a exploité leur pays d’origine et martyrisé leurs ancêtres ? »
[Christian Kert, UMP, CR 29 novembre 2005, p. 13]

32

« Du reste, comment ces jeunes gens se sentiraient-ils solidaires d’un peuple qui n’a de cesse de s’accuser d’avoir maltraité leurs pères ? »
[Jean-Claude Guibal, UMP, CR 29 novembre 2005, p. 27]

33Transformé en une arène de débat partisan où s’affrontent simultanément le PS et l’UMP, les partisans et les adversaires de la « police des banlieues » de Nicolas Sarkozy, les tenants de la vérité éternelle de l’universalisme républicain et les dénonciateurs obstinés de ses mensonges, l’espace de la controverse sur le passé colonial français se trouve ainsi réarticulé à une gamme d’enjeux politiques contemporains. Cette mise en relation du passé colonial et du présent politique s’effectue via une équation historiquement et sociologiquement peu fondée, mais transformée en évidence par sa réitération : celle qui établit une équivalence, au regard de la constitution d’un tort républicain primordial, entre les colonisés d’hier et « l’immigration discriminée » d’aujourd’hui.

La généalogie militante des Indigènes de la République

34Le débat politique au sommet s’est trouvé nourri et même attisé, en amont, par une nouvelle catégorie d’acteurs du débat public français : les associations mémorielles. Il s’agit ici de collectifs militants créés ad hoc, mais non pas ex nihilo, afin de faire entendre, dans le débat public, des « demandes de mémoire » appelant la reconnaissance en forme d’excuse, par l’État, de son rôle-clef dans la perpétration de divers types de violence coloniale (les massacres, les tortures, les déportations, mais aussi des violences symboliques comme la dénégation des noms indigènes). « Les Indigènes de la République » est le plus connu de ces collectifs. Créé à l’initiative de collectifs de lutte contre les discriminations issus du mouvement autonome de l’immigration, de mouvances pro-palestiniennes et de réseaux « anti-Françafrique » [29] – notamment du Groupe de recherches activistes sur l’Afrique [30], du Collectif des musulmans de France [31] et du Mouvement autonome de l’immigration du Nord [32] – le collectif des Indigènes de la République a diffusé, le 16 janvier 2005, un « Appel pour les Assises de l’anticolonialisme postcolonial ». Il a aussi organisé à Paris, le 8 mai – jour anniversaire du soulèvement algérien de 1945 à Sétif [33] – une marche dénonçant l’oubli des massacres coloniaux français ainsi que les discriminations subies par les « populations issues de la colonisation ».

35Le texte de l’Appel des Indigènes de la République établit clairement la nature de la demande d’intervention adressée aux pouvoirs publics. Il ne s’agit pas seulement, pour l’État, de faire amende honorable en matière d’amnésie volontaire en commémorant les exactions de son passé colonial, mais aussi de remédier hic et nunc aux discriminations dont sont toujours victimes les descendants des populations colonisées [34]. Ce n’est donc pas le passé mais bien le présent colonial de l’État français, lié à la permanence du racisme colonial comme idéologie sociale et comme référentiel implicite des politiques publiques de gestion de l’immigration, qui suscite l’indignation et motive la demande de réparation(s), notamment sous forme de reconnaissance officielle des entorses publiques à l’exercice des droits civiques. Comme le souligne le sociologue Saïd Bouamama, l’un des inspirateurs du texte de l’Appel, il s’agit avant tout de « montrer comment des stéréotypes hérités du passé dictent les pratiques d’aujourd’hui [35] ». La résilience de « l’idéologie coloniale » n’est pas uniquement visible, pour les Indigènes de la République, dans les vexations administratives et policières endurées au quotidien par ceux qui sont accusés de « délit de faciès » : elle commande aussi, selon eux, la stratégie de mise en place, sous l’égide du ministère de l’Intérieur, du Conseil français du culte musulman (CFCM) – une pratique qualifiée de « reconfessionnalisation » du dialogue entre l’État et les « communautés issues de l’immigration », et qui renouerait ainsi avec la « politique musulmane » expérimentée en Algérie dans les années 1920.

36Ce détour soudain par la critique du CFCM (très probablement dû au Collectif des musulmans de France) met en lumière le caractère de texte palimpseste de l’Appel : signé par des organisations militantes impliquées dans la défense de causes hétérogènes, il tient souvent plus d’une juxtaposition de fragments de discours revendicatifs étrangers les uns aux autres que d’un manifeste autonome. Les logiques de concurrence entre opérateurs « savants » de la mise en débat se trouvent par ailleurs exacerbées par le problème du maintien du « contact avec la base militante ». Ceux qui, dans l’Appel des Indigènes, parlent au nom des laissés-pour-compte des « quartiers » sont en effet dotés, relativement à leur « public militant », d’un très fort capital en matière de titres scolaires ou universitaires. Sadri Khiari est docteur en science politique ; Saïd Bouamama est enseignant-chercheur titulaire en sociologie ; Youssef Boussoumah est professeur d’histoire-géographie ; Houria Bouteldja possède un diplôme de Langues étrangères appliquées (arabe-anglais) [36]. L’épineuse question de la « légitimité », et donc de la représentativité, des porte-parole habite bien entendu tout mouvement militant. Mais dans le cas présent, elle se trouve posée de façon d’autant plus sensible que les initiateurs « bac + 5 » de l’Appel entendent s’exprimer au nom d’un groupe social qu’ils concourent à définir comme constitué de personnes faiblement dotées en capital scolaire et culturel. Le texte final de l’Appel présente en effet toutes les caractéristiques d’une montée en généralité scolastique. Il n’y est plus question des situations concrètes d’injustice qui avaient initialement provoqué le rapprochement entre des mouvements militants spécifiques (comme « l’affaire du RER D » [37]), mais de la dénonciation totalisante d’un « système ».

37Dans l’Appel des Indigènes de la République, l’hypothèse guidant de bout en bout l’analyse des discriminations contemporaines est celle de leur surdétermination coloniale – comme l’indique la phrase-clef suivante : « la figure de l’“indigène” continue à hanter l’action politique, administrative et judiciaire : elle innerve et s’imbrique à d’autres logiques d’oppression, de discrimination et d’exploitation sociales ». L’équivalence est donc ici aussi fortement affirmée entre « citoyens discriminés » d’aujourd’hui et « sujets coloniaux » d’hier. Or, le choix du recours à ce paradigme « continuiste » de dénonciation [38] restreint fortement les possibilités d’inscription des Indigènes de la République dans les espaces militants préexistants. De fait, le domaine de la lutte contre les discriminations s’était constitué comme problème public dans les années 1980 sous la tutelle des militants socialistes de SOS Racisme au nom du rejet des thèses de l’extrême droite : son discours s’articulait autour de la défense d’un « idéal républicain » mis en péril par un acteur « antisystème » [39]. Or, avec l’Appel, ce domaine se trouve investi par une critique virulente de la République, considérée comme un « mythe » constitutif d’un régime idéologique de domination. Pour les auteurs de l’Appel, la « République rêvée » – monde idéal du « républicanisme » bienveillant – aurait en effet eu pour « fonction historique » de dérober au regard critique la « République réelle », terrain de violences répressives.

38

« La République dont nous parlons, nous la regardons dans ses œuvres et au ras de ses pratiques, non dans les discours qu’elle tient sur elle-même. Si nous dénonçons avec vigueur certaines œuvres de la République réelle, comme la colonisation et la répression, l’exclusion et le racisme, nous ne perdons pas notre temps à évoquer la République rêvée, celle qui définit un monde qui n’a jamais eu d’existence ou si peu, et dont la seule fonction historique aura été de masquer, précisément, la République réelle… Nous ne sommes pas plus les ennemis de la République rêvée que de la Licorne bleue. S’il nous arrive d’en dénoncer l’usage idéologique, nous ne nous posons pas plus en ennemis qu’en partisans de ce que nous analysons simplement comme un mythe[40]. »

39L’Appel des Indigènes de la République a provoqué d’intenses débats au sein de diverses organisations militantes de gauche et d’extrême-gauche, divisées sur la question du soutien public à lui apporter. Au sein du bureau politique de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), le débat a fait rage, en amont de la publicisation du texte, entre, d’une part, ceux qui estimaient que l’Appel marquait le retour en force de l’erreur théorique majeure de l’ethnicisation de la « question sociale » et, de l’autre, ceux qui avaient à cœur de relayer une parole militante certes analytiquement erronée, mais politiquement bienvenue. Au final, la LCR a désavoué l’Appel au motif qu’il « rejoint une quête des origines qui, pour être à la mode, n’en tend pas moins à ethniciser ou à confessionnaliser les conflits politiques [41] ». Au sein de l’Association pour la taxation des transactions pour l’aide aux citoyens (Attac), des visions contrastées de l’opportunité du soutien à l’Appel se sont également exprimées. Bernard Cassen, président d’honneur du mouvement, a tranché en indiquant qu’il s’opposait farouchement à une démarche « déroulant le tapis rouge [à Tariq Ramadan] » en lui donnant des « lettres de créance auprès d’une fraction de la mouvance altermondialiste [42] ». Une partie de Lutte ouvrière (LO) s’est prononcée contre « l’occultation des oppositions de classe » dans un texte dont les signataires « s’accrochent aux basques des barbus [43] ». On se trouve ici dans l’orbite d’une dénonciation de l’« islamo-gauchisme » impulsée au moment des polémiques autour des travaux de la Commission Stasi [44], puis du vote de la « loi sur le voile [45] » du 15 mars 2004. De nombreux signataires de l’Appel des Indigènes s’étaient en effet mobilisés contre cette loi sous la bannière du collectif militant « Une école pour tous et toutes » [46].

40La critique radicale du projet républicain – c’est-à-dire de ses prémices idéologiques mensongères autant que de son hypocrisie perpétuée – place donc le collectif des Indigènes de la République en porte-à-faux par rapport au discours antiraciste de la gauche socialiste (et révolutionnaire). Il ne se situe aucunement dans la stricte continuité des mouvances anti-impérialistes et anticolonialistes des années 1960 et 1970, qui prenaient la défense de la République contre ceux qui la trahissaient – autrement dit qui acceptaient, par conviction d’efficace, de transiger tactiquement avec le « mythe républicain » –, mais en rupture avec elles. Il est, à ce titre, le produit de mouvements axés sur la critique de l’antiracisme socialiste des années 1980. Parmi les principaux soutiens de l’Appel, figure ainsi le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) qui, dans un texte explicitant l’histoire des mobilisations ayant mené à sa fondation, fustige SOS Racisme :

41

« L’exocet SOS Racisme dirigé depuis l’Élysée (voir Verbatim 2 de Jacques Attali) crée la confusion dans les esprits et marginalise pour quelques années les velléités d’auto-organisation des jeunes de l’immigration et des cités. Toute la gauche s’y met. […] Le PS se servira du Front national pour embrouiller la droite et de SOS Racisme pour la bonne conscience. La fronde des beurs contre l’hégémonie de la petite main et la manipulation du PS n’y change rien. C’est le règne de l’antiracisme folklorique où l’apparence est plus importante que la réalité [47]. »

42Au niveau de ses principaux initiateurs comme de ses soutiens, le collectif des Indigènes de la République s’ancre dans des espaces militants en rupture de ban avec le PS : ceux, bien sûr, de la « gauche associative » (tel le collectif toulousain des Motivés), mais surtout ceux de la fraction du mouvement de l’immigration qui a refusé, au sortir des années 1980, que ses revendications soient portées par des associations-satellites du PS comme SOS Racisme (comme le MIB ou le MAI59) [48]. De façon un peu trop finaliste mais significative, Saïd Bouamama note à ce sujet que les « marches pour l’égalité » du début des années 1980 [49] abritent déjà « une contradiction entre les jeunes issus de la colonisation, qui les transforment en instruments de revendications sociales, et les “soutiens” [SOS Racisme], qui tendent à l’orienter vers un “rempart contre le FN [Front national]”, c’est-à-dire vers un mouvement sans revendications, avec un discours vague en termes de tolérance et d’antiracisme abstrait. […] La gauche au pouvoir a volontairement contribué à empêcher l’expression politique de la révolte légitime des jeunes issus de la colonisation [50]. » Sadri Khiari accuse aussi SOS Racisme d’avoir participé du « plan politique blanc » et explique que « parce qu’elle est le partenaire indispensable des indigènes, la gauche est leur adversaire premier [51] ». La politique socialiste de la ville se trouve ici dénoncée ex post comme un subterfuge élitaire qui visait au maintien dans la dépendance (idéologique vis-à-vis de l’État, matérielle vis-à-vis du marché segmenté de l’emploi) des « jeunes issus de la colonisation ». De même, « Les Blédardes » se sont opposées fin 2004 au mouvement « Ni putes ni soumises » (NPNS [52]), accusé non seulement de réitérer l’erreur de l’alliance inégale avec la gauche institutionnelle, mais aussi de conférer une validité idéologique nouvelle à des perceptions coloniales sexistes et islamophobes pour le compte de « classes dirigeantes prises de panique ».

43

« Tout se passe comme si, au tournant du siècle, les classes dirigeantes (quel que soit le pôle : PS ou UMP) avaient été prises de panique devant la mise en crise de [l’]ordre symbolique colonial, et devant l’émergence de diverses manifestations identitaires, religieuses, culturelles, sociales et politiques dont le point commun était la rupture avec le devoir de “réserve” et d’“humilité” imposé aux descendants de colonisés. […] C’est dans ce contexte qu’apparaissent les ô combien opportunes Ni putes ni soumises. Si l’on se souvient de la véhémence des réactions de l’UMP parisienne, mais aussi du courant chevènementiste, face à ce début de retour critique sur la période coloniale, on comprend mieux le rôle qu’a joué ce “mouvement” courant 2002 : celui d’un appareil idéologique au service d’une classe dirigeante prise de panique […]. Les NPNS ont aidé cette classe dirigeante à s’emparer du voile islamique, mais aussi de la question du sexisme et de celle de l’antisémitisme, afin de littéralement remettre à leur place ces “jeunes” trop “arrogants” : à la place des accusés et non plus des accusateurs, à la place des objets de discours et non plus des sujets parlants [53]. »

44Le collectif des Indigènes de la République participe donc d’une longue histoire militante. Il se situe, plus précisément, au carrefour de plusieurs grandes lignées militantes dont les prises de position ont dessiné, au fil des deux décennies écoulées, un vaste réseau galactique de causes et de mobilisations : celle, tout d’abord, des collectifs dits de « deuxième génération » du mouvement autonome de l’immigration (CNDP, RDB, MIB, CMF) ; celle, ensuite, d’une fraction de la gauche « associative » et tiers-mondiste (Cedetim, Motivés) ; celle, enfin, de mouvances propalestiniennes (CCIPPP). Ces organisations ont en partage le refus radical du parrainage politique de la gauche socialiste et de son langage « républicain intégriste [54] » en matière de combat contre les discriminations. Elles ont trouvé, et surtout mis à l’épreuve, la grammaire idéologique de leur convergence tactique à l’occasion des mobilisations contre la « loi sur le voile ». Les pièces du puzzle militant dit « postcolonial » étaient donc présentes depuis un certain temps déjà, à l’orée de l’espace médiatique et politique officiel.

45Une évidence mérite d’être rappelée à l’heure de clore cette brève étude des prises de position et des mobilisations suscitées par la loi du 23 février 2005 : les controverses publiques ne naissent pas spontanément. Ce qui ne faisait pas ou ne faisait plus débat ne (re)devient objet et enjeu de luttes idéologiques que parce des acteurs spécifiques se sont engagés dans un travail de mise en cause(s) auquel ils ont un intérêt, moral et/ou politique. La compréhension du fait colonial n’était plus l’objet, dans les années 1990, que de l’attention des historiens et de quelques associations de « rapatriés » peu visibles dans l’espace public national. Elle n’est (re)devenue une question d’actualité politique que par suite de l’entrée en conjonction d’une série de phénomènes distincts mais congruents. D’un côté, les associations de « rapatriés » et de défense de la mémoire de l’OAS ont reconstitué leurs relais parlementaires en profitant de la situation de concurrence politique entre le FN et l’UMP dans les départements du Sud : l’idée, fausse ou réelle, que le « vote pied-noir » pouvait faire pencher la balance électorale en faveur de la droite de gouvernement a ainsi revalorisé politiquement des associations dont les requêtes avaient été délégitimées dans les années 1980 par la montée en puissance du discours antiraciste. De l’autre côté, une nouvelle génération d’associations de défense des immigrés s’est affirmée en proclamant son rejet du parrainage socialiste de l’antiracisme, plaçant ainsi en porte-à-faux les députés du PS soucieux de parler au nom des « banlieues » ou de dénoncer les discriminations subies par les ressortissants français d’origine « étrangère ». Dans le même temps, l’espace du dicible politique s’est modifié radicalement du fait de la médiatisation des débats concernant la « loi sur le voile » et, par implication, l’« islam de France ». L’essor des discours de stigmatisation de l’islam – rendus possibles par la dramatisation du péril terroriste au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 – a ainsi préparé le terrain au renouveau du débat sur les pédagogies de « l’intégration » et sur le tort colonial républicain.


Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.3917/polaf.102.0028

Notes

  • [1]
    D. Rivet, « Le fait colonial et nous : histoire d’un éloignement », Vingtième siècle, n° 33, 1992, p. 129-130, 138.
  • [2]
    Cet article est inspiré d’une étude à paraître en 2006 sous forme d’ouvrage, sous le titre Mémoires d’empire. Sociologie politique d’une controverse autour du « fait colonial », Paris, Éditions du Croquant et Savoir/Agir.
  • [3]
    L’OAS a été fondée en 1961 par des défenseurs de l’Algérie française, sous la direction du général Raoul Salan. En lutte contre la politique algérienne du général de Gaulle, elle a commis de nombreux attentats et assassinats sur les sols algérien et français.
  • [4]
    Nous n’utilisons pas ici l’expression « manœuvre électoraliste » dans un sens péjoratif, mais dans une acception technique. La tension entre l’identité de « représentant de la nation dans son ensemble » et la fonction de vecteur de demandes de nature particulariste est constitutive de l’exercice ordinaire – et légitime – du métier parlementaire moderne, qui s’est défini dans le cadre d’une politique de « terroirs électoraux » matérialisés administrativement par le découpage en circonscriptions.
  • [5]
    Ligue des droits de l’homme (LDH), section de Toulon, « Christian Kert, le rapporteur complice », à lire sur le site www.ldh-toulon.net.
  • [6]
    Le terme « pieds-noirs » désigne les Français d’Algérie, rapatriés en métropole au moment de l’indépendance. Les « harkis » sont des militaires indigènes qui servaient en Algérie aux côtés des Français dans des « harkas », unités supplétives destinées au maintien de l’ordre. Le terme tend, dans un usage courant, à recouvrir plus largement l’ensemble des Algériens placés par leur volonté ou leurs fonctions dans le « camp français » durant la guerre d’Algérie. Au moment de l’indépendance, le départ des troupes françaises a donné lieu sur place à des massacres de ces populations, dont l’État français n’a pas organisé le rapatriement. Certains sont néanmoins parvenus à les éviter et à rejoindre le sol français.
  • [7]
    Voir en particulier les travaux de Michèle Baussant sur le pèlerinage « pied-noir » au sanctuaire de Notre-Dame de Santa Cruz à Nîmes, Pieds-Noirs, mémoires d’exil, Paris, Stock, 2002. Pour une analyse du discours sur le passé colonial dans des publications d’associations « pieds-noires », voir É. Savarèse, L’invention des Pieds-Noirs, Biarritz, Séguier, 2002.
  • [8]
    L. van Eeckhout, « Polémique sur l’inauguration d’une stèle à la mémoire de l’OAS à Marignane », Le Monde, 18 juin 2005 ; C. Coroller, « La stèle pour l’OAS squatteuse de cimetière », Libération, 18 juillet 2005.
  • [9]
    L’Adimad est une association Loi 1901 fondée en 1967, www.perso.wanadoo.fr/adimad. Son président, Philippe de Massey, a été membre actif de l’OAS. Consulter sur ce point l’interprétation du « lobbying mémoriel » de l’Adimad dans « Gilles Manceron répond à Guy Pervillé » (lettre de G. Manceron du 18 avril 2005), texte accessible sur le site de la LDH, section de Toulon.
  • [10]
    Cette stèle avait été inaugurée le 5 juillet 2003 dans le cimetière Vernet de Perpignan. L’Adimad y a organisé, le 7 juin 2004, une cérémonie d’« hommage aux 105 Fusillés et Combattants morts pour que vive l’Algérie française ». Des photographies de la stèle se trouvent sur le site de la section de Toulon de la LDH.
  • [11]
    B. Thiolay, « Le dernier combat de l’OAS », L’Express, 11 juillet 2005.
  • [12]
    Pour un précieux éclairage historique sur la lutte des réseaux de la mémoire OAS contre la « citadelle amnistie », lire R. Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Paris, Le Seuil, 2005, p. 42, 111-121.
  • [13]
    Le Front de libération nationale, parti nationaliste algérien, a été le groupe moteur de la lutte pour l’indépendance.
  • [14]
    Propos rapportés dans Le Monde, 21 janvier 2006. J.-P. Soisson, ancien ministre des gouvernements Barre, Rocard, Cresson et Bérégovoy, avait déposé en octobre 2002, avec une centaine de députés, une proposition de loi sur l’indemnisation des « harkis ». Voir « Proposition de loi n° 291 relative à l’indemnisation de la communauté harki », enregistrée le 15 octobre 2002 à l’Assemblée nationale.
  • [15]
    Propos rapportés dans Le Monde, 13 juin 2004. A. Argoud, anticommuniste forcené, avait fait partie de l’état-major du général Massu avant de rejoindre l’OAS. Condamné à la réclusion à perpétuité en décembre 1963, il a bénéficié de l’amnistie de 1968.
  • [16]
    Le Monde, 24 février 2005.
  • [17]
    Discours prononcé par M. Hubert Colin de Verdière, ambassadeur de France en Algérie, à l’Université de Sétif, le 27 février 2005, à l’issue de la cérémonie de signature de la « Convention de partenariat entre l’Université de Clermont-Ferrand et l’Université Ferhat Abbas de Sétif », voir www.ambafrance-dz.org/article.php3 ?id_article=755.
  • [18]
    J.-P. Tuquoi, « Le président algérien accuse la France de “cécité mentale” », Le Monde, 4 juillet 2005.
  • [19]
    « Loi du 23 février 2005. Paris propose une commission mixte d’historiens », El Watan, 28 juillet 2005.
  • [20]
    Sur cette thématique des « diplomaties de la repentance », voir M. Labelle, R. Antonius et G. Leroux (dir.), Le devoir de mémoire et les politiques du pardon, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2005.
  • [21]
    Voir à l’adresse http ://portal.unesco.org/culture/fr.
  • [22]
    L’« Initiative de Gorée sur la traite négrière transatlantique » est le nom d’un mouvement créé à Dakar les 26-28 août 2001 par une quarantaine d’ONG africaines pour faire valoir lors de la Conférence de Durban la reconnaissance de l’esclavage comme crime appelant des compensations et des commémorations.
  • [23]
    Ces événements judiciaires sont détaillés par N. Vuckovic, « Qui demande des réparations et pour quels crimes ? », in M. Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme. xve-xxie siècles. De l’extermination à la repentance, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 1023-1056. Sur la Namibie, voir les contributions de R. Kössler et V. Bertout dans ce dossier.
  • [24]
    Il s’agit de la proposition de loi n° 2667 visant à abroger l’article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005, déposée le 10 novembre 2005. La Commission de l’Assemblée, saisie au fond, avait nommé Bernard Derosier (PS, Nord) rapporteur le 16 novembre. Son rapport a été déposé le 23 novembre.
  • [25]
    Les citations de cette section et de la suivante sont extraites du Compte rendu intégral officiel des débats de l’Assemblée nationale, 1ère séance du 29 novembre 2005, accessible à l’adresse www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/cri/2005-2006/20060081.pdf. Ce document est abrégé ci-après en « CR 29 novembre 2005 », avec indication du numéro de page entre crochets. Les italiques sont de l’auteur.
  • [26]
    Pour des éléments d’analyse de la place de la guerre d’Algérie dans la construction du récit patriotique de la droite française, voir G. Pervillé, « L’Algérie dans la mémoire des droites », in J.-F. Sirinelli (dir), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 1992, vol. 2, p. 621-656.
  • [27]
    H. Alleg, militant communiste, avait écrit en 1958 La Question, première grande dénonciation publique de la torture en Algérie. M. Audin, jeune mathématicien communiste de l’Université d’Alger, fut torturé à mort par l’armée française en juin 1957. F. Yveton, membre du Parti communiste algérien, a été guillotiné en février 1957 après avoir été accusé d’avoir placé une bombe dans une usine de gaz d’Alger.
  • [28]
    Lire les témoignages recueillis dans L. Mucchielli (avec la participation de A. Aït-Omar), « Les émeutes de novembre 2005 : les raisons de la colère », in V. Le Goaziou et L. Mucchielli (dir.), Quand les banlieues brûlent. Retour sur les émeutes de novembre 2005, Paris, La Découverte, 2006, p. 20-23.
  • [29]
    Les signataires de l’Appel sont regroupés dans deux listes distinctes : celle des « initiateurs » et celle des « soutiens ». Parmi les « initiateurs-trices » figurent, à la rubrique associations : Mouvement autonome de l’immigration du Nord (MAI 59), Collectif des musulmans de France (CMF), Oumma.com, Groupe de recherches activistes sur l’Afrique (GRAAF), Droits des femmes musulmanes de France, Les Mots sont importants (LMSI), Festival permanent contre les lois racistes (Strasbourg), TouTEsEgaux.net, collectif féministe Les Blédardes, DiverCité (Lyon), Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), groupe de rap La Rumeur, Fédération des étudiants et travailleurs d’Afrique en France (FETAF).
  • [30]
    Le GRAAF est un mouvement de lutte contre les discriminations anti-africaines en France, qui dénonce surtout les « contrôles au faciès » dans les quartiers du nord de Paris.
  • [31]
    Ce collectif, créé en 1993 et qui compterait 300 militants actifs, est composé d’associations dites proches de l’intellectuel suisse Tariq Ramadan. Pour un aperçu de la galaxie militante au sein de laquelle s’insère le CMF, consulter P. Haenni, International Crisis Group, La France face à ses musulmans. Émeutes, jihadisme et dépolitisation, Paris, Bruxelles, ICG, Rapport Europe n° 172, 9 mars 2006, note 4, p. 1, 10.
  • [32]
    Le MAI 59 est notamment animé par Saïd Bouamama, sociologue à l’Institut de formation action recherche (Ifar) de Lille.
  • [33]
    Le choix de la date du 8 mai 1945 s’explique, d’après les initiateurs de l’Appel, par la concomitance de la célébration de deux événements : la libération de la République française et les massacres coloniaux à Sétif et Guelma : « Par milliers, celles et ceux qui héritent de la mémoire coloniale ont voulu montrer à la République ses contradictions, en rappelant que le même jour où prenait fin la Seconde Guerre mondiale par la capitulation des armées nazies, de nouveaux massacres ensanglantaient les peuples vivant sous la domination coloniale de la France », voir « Succès de la marche des Indigènes », 9 mai 2005, www.oumma.com.
  • [34]
    « Nous sommes les Indigènes de la République ! Appel pour les Assises de l’anticolonialisme postcolonial », 16 janvier 2005. Les Assises elles-mêmes se sont tenues le 7 juillet 2005.
  • [35]
    Propos cités dans C. Febvre, « Le nouveau combat des “Indigènes” », L’Histoire, n° 302, octobre 2005, p. 86-89.
  • [36]
    J. Robine, « Les “indigènes de la République” : nation et question postcoloniale. Territoires des enfants de l’immigration et rivalité de pouvoir », Hérodote, n° 120, 2006, p. 118-148. Y. Boussoumah est coordonnateur de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP). H. Bouteldja est une militante féministe du collectif « Les Blédardes ».
  • [37]
    Le 10 juillet 2004, une jeune femme prénommée Marie affirme avoir été victime d’une violente agression antisémite dans le RER D (réseau de transport de banlieue) menée par une « bande de jeunes maghrébins ». Elle se rétracte au bout de 48 heures, avouant avoir inventé toute l’histoire, mais la presse s’est entre-temps emparée du thème de la « dérive raciste des jeunes des cités ». C’est contre cette expression du préjugé médiatique envers les « jeunes issus de l’immigration » que se mobilisent alors Y. Boussoumah et H. Bouteldja en signant, avec S. Bouamama, le texte « Marie n’est pas coupable ! Pour une lecture politique de l’affaire du RER », diffusé par TouTEsEgaux.net le 26 juillet 2004. Pour des détails sur la genèse de cette prise de position, voir « H. Bouteldja, une “indigène” de la République. Entretien avec A. Bamba », www.saphirnet.info, 8 mai 2005>.
  • [38]
    Les auteurs du texte de l’Appel font référence au « continuum colonial » pour désigner l’hypothèse de la permanence ou de la rémanence contemporaines des pratiques et des imaginaires coloniaux.
  • [39]
    P. Juhem, « Entreprendre en politique. Les carrières militantes des fondateurs de SOS Racisme », Revue française de science politique, vol. 51, n° 1-2, 2001, p. 131-153.
  • [40]
    S. Khiari, L. Lévy et A. Héricord, « Indigènes de la République : réponses à quelques objections… », www.oumma.com, 24 février 2005.
  • [41]
    Communiqué de la Ligue communiste révolutionnaire, 3 mars 2005.
  • [42]
    B. Cassen, « Ces altermondialistes en perte de repères », Politis, n° 835, 20 janvier 2005. Cette prise de position du président d’Attac, qui s’était déjà querellé avec T. Ramadan en 2003, a créé ou révélé de profondes failles au sein du mouvement tiers-mondiste. Bernard Dréano, président du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (Cedetim), mouvement signataire de l’Appel, s’est fendu d’une « Lettre d’un aborigène de la République (ou pourquoi je signe avec les Indigènes) » sur www.oumma.com, le 22 mars 2005, dans laquelle il réaffirmait l’enjeu prioritaire de la dénonciation de « politiques objectives toujours plus ou moins coloniales ».
  • [43]
    S. Gargan, « L’appel des Indigènes de la République : dénoncer le colonialisme… ou renforcer le communautarisme ? », www.lutte-ouvriere-journal.org, 10 mars 2005.
  • [44]
    La Commission de réflexion sur le principe de laïcité dirigée par Bernard Stasi, le médiateur de la République, avait été chargée par le président Jacques Chirac de préparer un rapport sur de possibles amendements à la « loi sur la laïcité » de 1905, et ce en réponse à la question du port du voile posée par de jeunes élèves musulmanes dans les établissements d’enseignement public. Elle a procédé à plusieurs dizaines d’auditions et a rendu ses conclusions en décembre 2003.
  • [45]
    F. Lorcerie, « À l’assaut de l’agenda public. La politisation du voile islamique en 2003-2004 », in F. Lorcerie (dir.), La Politisation du voile. L’affaire en France, en Europe et dans le monde arabe, Paris, L’Harmattan, 2005.
  • [46]
  • [47]
    Mémoire. La région parisienne, 1982-1992, Mouvement de l’immigration et des banlieues, www.mib.ouvaton.org. Le MIB, fondé en mai 1995 émane en partie du Comité national contre la double peine (CNDP), qui s’était fait connaître du grand public en 1991 et 1992 par des actions visant à réclamer la suppression des « doubles peines » (« prison + expulsion » ). Certains militants du MIB viennent du collectif Résistance des Banlieues (RDB) créé en 1990. Sur le MIB, voir R. Ricardou, « MIB, Mouvement de l’immigration et des banlieues », mémoire de DEA de Sociologie politique, Université Paris 1, 2000, p. 129-140.
  • [48]
    A. Mogniss, J’y suis, j’y reste ! Les luttes de l’immigration en France depuis les années soixante, Paris, Réseau No Pasaran / Reflex, 2000.
  • [49]
    « Marche pour l’égalité » de 1983 (100 000 participants), « Convergence 84 » et « Divergence 85 ». Sur ces marches, lire F. Sebaï et C. Vercellone, « De l’ouvrier-masse multinational à l’Intifada des banlieues : quelques repères pour une histoire des mouvements de la deuxième génération », Multitudes, décembre 1994, et S. Bouamama, Dix ans de marche des Beurs. Chronique d’un mouvement avorté, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.
  • [50]
    S. Bouamama, « La construction des “petits blancs” et les chemins du politique », À contretemps, mai 2005.
  • [51]
    S. Khiari, Pour une politique de la racaille : immigré(e)s, indigènes et jeunes des banlieues, Paris, Textuel, 2006.
  • [52]
    Mouvement créé à l’issue de la « Marche des femmes contre les ghettos et pour l’égalité » de février-mars 2003, et dirigé par Fadela Amara.
  • [53]
    H. Bouteldja, « De la cérémonie du dévoilement à Alger (1958) à Ni Putes Ni Soumises. L’instrumentalisation coloniale et néocoloniale de la cause des femmes », www.oumma.com, 13 octobre 2004. Le « nous » de ce texte est celui de l’Appel des Indigènes : « nous, filles et fils de migrants post-coloniaux ».
  • [54]
    F. Gèze, « Les “intégristes de la République” et les émeutes de novembre », Mouvements, n° 44, mars-avril 2006, p. 88-100.

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