Couverture de POLAF_078

Article de revue

Immigration en Côte d'Ivoire : la notion de « seuil tolérable » relève de la xénophobie

(extraits)

Pages 75 à 93

Notes

  • [1]
    Article paru dans Le Jour, Abidjan, n° 1285, jeudi 20 mai 1999.
  • [*]
    Les intertitres signalés d’une astérisque sont de la rédaction de Politique africaine.

1Dans votre livraison n? 1251 du jeudi 8 avril 1999, vous nous avez servi, sur les pages 2 et 3, le texte de la Commission des Affaires sociales et culturelles du Conseil économique et social, établissant un bilan alarmiste et xénophobe du phénomène de l’immigration en Côte d’Ivoire. [...] Me sentant interpellé, il me plaît d’intervenir ici dans ce débat pour montrer que les inquiétudes des membres [...] du Conseil économique et social sont scientifiquement mal fondées et que leurs propositions, d’essence idéologique et xénophobe, sont inappropriées et de nature à perturber la paix sociale que connaît la Côte d’Ivoire et à écorner l’image de celle-ci à l’extérieur.

Les prétendus périls de l’immigration [*]

2Les inquiétudes de nos illustres conseillers économiques viennent de « l’ampleur » et des graves conséquences du phénomène de l’immigration « face aux risques encourus par la population aux plans de la sécurité, de l’unité nationale et de la paix sociale ». En effet, selon eux, l’ampleur du phénomène est corroboré par l’augmentation constante de la proportion des migrants, qui est passée de 17,5 % en 1965, à 22 % en 1975, à 28 % en 1988 et à 26 % en 1993. En valeur absolue, la population étrangère était ainsi estimée à 1 049 184 personnes en 1975 et à 1 777 487 individus en 1988, soit une augmentation de 70 % en treize ans ; alors que dans les autres pays francophones de la sous-région ouest-africaine la plus forte proportion de population étrangère relevée en 1993 par le CERPOD n’atteignait pas 2 % [...].

3Pour les membres […] de notre auguste Conseil économique et social, les conséquences de cette rapide augmentation du nombre des étrangers dans notre pays peuvent se résumer à celles qui suivent :

  1. « Le déséquilibre démographique » attesté par la modification de la structure par sexe de la population ivoirienne […] : « la population étrangère étant caractérisée par 126 hommes pour 100 femmes ». Ce déséquilibre se traduit aussi dans l’inégale répartition de la population active sur l’étendue du territoire dans la mesure où, en 1988, 43 % des actifs étaient des étrangers dans la région d’Abengourou, contre 39 % dans celle de San Pédro ; 27 % dans celle du Sud sans la ville d’Abidjan ; 24 % dans la région de Daloa et la ville d’Abidjan […].
  2. « Le poids économique assumé par les immigrés ». Selon nos conseillers économiques et sociaux, les immigrés, malgré leur faible niveau d’instruction, ont la mainmise sur le secteur informel, monopolisant ainsi les emplois au détriment des Ivoiriens dans les secteurs du commerce, des transports (sic), entreprises agro-industrielles, boucherie, etc. […] [En 1988], en milieu urbain, on a enregistré un taux d’inactivité de 16 % (avec un taux culminant à 22 % à Abidjan) chez les Ivoiriens, contre 7 % chez les migrants. Préoccupés vivement par les conséquences de l’immigration, nos conseillers économiques et sociaux n’ont pas manqué de déplorer le fait que les « entreprises d’étrangers emploient très peu d’Ivoiriens dont les salaires sont plutôt sous-évalués, et en général non déclarés à la CNPS » […].
    Pour eux, « le poids de l’immigration contribue à l’accélération de la croissance démographique en Côte d’Ivoire. Une telle situation nécessite des taux de croissance annuels du PIB supérieurs à 7 % et qui sont difficiles à soutenir sur une longue période pour espérer réaliser un équilibre harmonieux entre la croissance économique et la croissance démographique ». Enfin, nos conseillers n’ont pas hésité à penser péremptoirement que « l’immigration devient de plus en plus une des causes structurelles de la pauvreté des Ivoiriens en raison des efforts financiers énormes à faire par l’État pour satisfaire toutes les demandes en matière de formation, d’emploi, de logement et de santé ». En d’autres termes, c’est l’immigration qui freine partiellement le processus du développement dans notre pays. Quelle énormité !
    Dans l’explication des causes de l’immigration en Côte d’Ivoire, nos illustres conseillers avaient pourtant bien montré l’apport des étrangers à la mise en valeur de notre pays à l’époque coloniale, puis, depuis 1960, leur contribution au développement et à la diversification des cultures d’exportation sur lesquelles repose la relative prospérité, qualifiée de « miracle ivoirien », dont nous ne manquons pas de nous targuer, avec fierté, face aux ressortissants des autres pays de la sous-région, voire d’Afrique.
  3. « Le risque d’insécurité et la menace de la paix sociale dans le pays ». À cet égard, nos conseillers nous rappellent que le fait que des pans entiers de l’économie soit accaparés par les étrangers, constitue un motif de mécontentement d’une bonne frange de la population ivoirienne de souche. Ce qui a pu provoquer dans le passé, ici (en Côte d’Ivoire) et ailleurs en Afrique (Nigeria, Gabon, Angola), des rapatriements d’étrangers.
Les conseillers économiques et sociaux attirent l’attention sur les résultats du recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 1988, qui ont montré que ce sont les étrangers qui habitent dans leur large majorité les quartiers précaires, reconnus comme des nids de malfrats. Ils ont aussi produit les statistiques sur « les infractions criminelles de 1989, qui ont révélé la grande implication des étrangers dans la criminalité : 69 % des vols avec effraction, 67 % des infractions sexuelles, 58 % des vols à main armée et plus de 50 % des coups et blessures sont à l’actif des malfrats étrangers ».

4Enfin, les conseillers économiques et sociaux ont souligné le fait que « l’afflux d’immigrés de confession islamique (73 % des étrangers en provenance des pays frontaliers nordiques) a considérablement modifié l’équilibre religieux préexistant (31 % de chrétiens, 25 % de musulmans, 23 % d’animistes) pour donner les proportions nouvelles suivantes : de 39 à 40 % de musulmans contre 27 % de chrétiens et 17 % d’animistes. Une telle rupture d’équilibre, dans un domaine aussi sensible, pourrait amener certains esprits à tenter d’exploiter l’appartenance religieuse à des fins politiques, toute chose qui dessert l’unité et l’harmonie nationales, et menace la paix sociale si chère à notre pays. Eu égard à ce tableau alarmiste des conséquences de l’immigration en Côte d’Ivoire par eux dressé, nos conseillers bien pensants ont cru devoir faire des suggestions qui ont été publiées et émettre des avis qui n’ont pas encore été publiés. Si les suggestions et les avis se recoupent, ceux-ci révèlent mieux le caractère xénophobe du rapport des Conseillers économiques et sociaux.

5En effet, ces avis portent sur la mise en œuvre d’un fatras d’actions plus ou moins contradictoires qui vont de :

  1. la création d’un Observatoire national chargé de l’immigration et des réfugiés, jusqu’à
  2. des mesures visant à mettre les Ivoiriens au travail, passant par :
  3. l’élaboration d’un code national d’immigration fondé sur le respect des engagements internationaux pris par la Côte d’Ivoire ;
  4. la suppression de toute présence étrangère (même après naturalisation) au gouvernement (sic) ;
  5. la suppression de toute nomination d’Ivoirien par naturalisation dans son pays d’origine comme ambassadeur et dans les organisations internationales (sic) ;
  6. la suppression de la libre immigration ;
  7. l’intensification de la lutte contre l’immigration clandestine ;
  8. l’affectation aux postes frontaliers d’agents ivoiriens honnêtes, assermentés et patriotes, à même d’appliquer rigoureusement les mesures préconisées par le gouvernement pour contrôler et maîtriser l’immigration dans le pays (sic) ; la matérialisation de nos frontière dans les meilleurs délais (sic) ;
  9. la production par toute personne entrant en Côte d’Ivoire d’un document définissant sa nationalité (sic) ;
  10. le maintien de la carte de résidant ;
  11. une politique plus rigoureuse de la délivrance des certificats de nationalité, des passeports et de la carte nationale d’identité (sic) ;
  12. une sélection non moins rigoureuse des personnes à naturaliser (sic) ;
  13. l’application du principe de la réciprocité en matière d’immigration, et dans tous les cas où cela s’avère nécessaire ;
  14. la suspension ou la révocation immédiate de tout agent de l’État ou de nos communes qui « fabrique » par falsification des Ivoiriens à tour de bras, sans préjudice de poursuite judiciaire ;
  15. un plan d’urbanisation qui permette un minimum de contrôle dans les quartiers afin d’aboutir à la suppression des nids de malfrats ;
  16. la détention par les Ivoiriens d’un pourcentage minimum (à définir) du capital des sociétés et des entreprises créées par les étrangers dans notre pays (sic) ;
  17. définir la proportion minimale des agents ivoiriens parmi l’ensemble des employés exerçant dans les entreprises étrangères ;
  18. enfin, exiger une rémunération convenable (SMIG) de ces agents ivoiriens qui devront être déclarés à la CNPS (sic).
À cela, il faut ajouter les trois suggestions faites par nos conseillers dans leur rapport et qui ne figurent pas parmi leurs avis transmis au gouvernement de la République le 15 octobre 1998. Ce sont :
  1. l’instauration d’échanges réguliers entre les services frontaliers d’immigration, les ambassades et consulats, avec la Direction générale nationale de la statistique en charge des questions démographiques (sic) ;
  2. le maintien et l’application stricte des dispositions constitutionnelles récemment adoptées par le Parlement et portant sur le code électoral, précisément sur les conditions d’éligibilité à la présidence de la République et autres postes politiques (sic) ;
  3. dans la mesure du possible, prendre des dispositions utiles pour réduire le niveau de transfert des fonds par les entreprises étrangères (sic).
Telles sont résumées les inquiétudes de nos fameux conseillers […]. Il ressort cependant de l’examen du rapport de nos conseillers savants que non seulement ils ont utilisé des chiffres dont tous les experts en matière de démographie que compte notre pays ignorent les sources, mais aussi qu’ils ont, par ces chiffres, minoré l’ampleur du phénomène de l’immigration en Côte d’Ivoire, avant d’en tirer des conclusions alarmistes.

Des inquiétudes mal fondées

6Ainsi, on se demande d’où viennent les estimations de la population étrangère à 1 049 184 personnes en 1975 et à 1 777 487 individus en 1988. En effet, les données statistiques disponibles permettent de démontrer, par l’évolution suivante de l’état de la population ivoirienne selon la nationalité, que ces chiffres sont fantaisistes et ne reflètent aucunement la réalité de l’ampleur de l’immigration en Côte d’Ivoire.

Tableau 1

Évolution de la population résidente selon la nationalité

Tableau 1
1965 1975 1988 1993 IVOIRIENS 3 473 250 5 233 488 7 787 300 9 480 497 % 83 % 78 % 72 % 75 % NON-IVOIRIENS 736 750 1 476 112 3 028 394 3 227 943 % 17 % 22 % 28 % 25 % TOTAL 4 210 000 6 709 600 10 815 694 12 708 817

Évolution de la population résidente selon la nationalité

Sources : estimation de la Direction de la statistique pour l’année 1965, RGPH (Recensement général de la population et de l’habitat) 1975, RGPH 1988, EIMU (Enquête ivoirienne sur les migrations et l’urbanisation) 1993.

7Une analyse démographique correcte des données de ce tableau montre bien que, depuis 1965, la population totale et la population ivoirienne augmentent constamment en valeurs relative et absolue de façon considérable, alors que la population étrangère a connu, en valeur absolue, une croissance rapide entre 1965 et 1988 et un fléchissement se traduisant par une baisse en valeur relative, entre 1988 et 1993. Cette baisse confirme une tendance que les experts avaient déjà observée au travers de la baisse du taux de migration net, qui est passé de 1,3 en 1978-1979 à 0,3 en 1988 (RGPH, 1988).

8D’un point de vue démographique, ce sont les deux tendances (la croissance exponentielle de la population totale et la baisse sensible du phénomène de l’immigration) qui sont significatives. En d’autres termes, il est important de connaître les causes de la rapidité de la croissance de la population totale et celles du fléchissement du phénomène de l’immigration, avant d’évoquer les conséquences et les suggestions visant à maîtriser non pas seulement l’immigration, mais aussi tous les phénomènes démographiques qui concourent à l’accélération de la croissance de la population résidente qui est, comme on peut s’y attendre – et n’en déplaise à nos conseillers aux têtes pleines –, plus préoccupante dans ces multiples et graves effets que l’immigration qui n’en est qu’une des composantes.

9Une telle démarche aurait été plus scientifique et aurait débouché sur des suggestions moins partisanes, tant il est rationnellement impossible de séparer mécaniquement le phénomène de l’immigration de celui de la croissance de la population totale […]. En effet, les experts savent très bien que la rapidité de la croissance de la population totale de la Côte d’Ivoire s’explique à la fois par son rythme élevé de 3,5 % de l’accroissement naturel (RGPH, 1988) ; sa fécondité élevée dont le niveau était de 6,8 enfants par femme en 1988 et de 5,7 enfants par femme en âge de procréer en 1993 ; la mortalité, dont le taux ne cesse de baisser, étant passé de 28 pour mille en 1965 à 13 pour mille en 1988 ; enfin par l’immigration dont l’ampleur est attestée par l’importance de la proportion de la population étrangère, qui est passée de 17, 5 % en 1965, à 22 % en 1975, 28 % en 1988 et à 25,4 % en 1993.

10Ces données et d’autres données disponibles montrent que, bien qu’il ait baissé, passant de 4 % entre 1965 et 1975 à 3,5 % entre 1975 et 1988, le taux d’accroissement naturel annuel reste encore exceptionnel en Afrique, dont le taux d’accroissement naturel annuel était de 2,9 % et celui de l’Afrique de l’Ouest de 3,1 %, en 1994 […]. Avec un taux d’accroissement naturel annuel de 3,5 %, la population du pays peut doubler tous les dix-neuf ans […]. L’ampleur de la croissance démographique renvoie donc au lancinant problème de la satisfaction, dans le temps, des besoins essentiels de la population en termes d’alimentation, éducation, santé, emploi, logement, etc. Sous ce rapport, il est évident que tout doit être mis en œuvre dans le pays pour maîtriser la croissance démographique.

11Cela veut dire concrètement qu’il faut agir en prenant des mesures pour réduire et le niveau de la fécondité et le rythme de l’immigration. Pour cela, il faut agir non pas sur les conséquences de ces deux phénomènes, mais sur leurs causes profondes. Or, nos conseillers, pour avoir « parlé un langage qu’ils ne comprennent pas », ont manqué de probité intellectuelle en s’accrochant obstinément aux conséquences de l’immigration, et non aux causes de la croissance démographique, pour faire leurs suggestions.

12On le voit, nos conseillers savants ont usé d’une litote en minimisant l’ampleur du phénomène d’immigration en Côte d’ivoire et d’une hyperbole en commentant leurs propres chiffres. Malheureusement, comme je le montrerai tout au long de la présente contribution, leur rapport foisonne de semblables digressions. Il apparaît donc qu’en oubliant tout simplement que « n’est pas démographe qui veut », fût-il linguiste comme le professeur Ano Boa, ou pharmacien comme l’autre professeur Yapo Abbé Étienne, nos conseillers ont étalé leur insuffisance en produisant « un devoir hors sujet bien rédigé » qui n’a pas suivi scientifiquement « tous les contours de la question ».

13Du coup, leur insuffisance avérée ne leur a pas permis de prendre en compte les autres graves problèmes démographiques auxquels le pays est aussi confronté : mortalité élevée […] ; extrême jeunesse de la population […] ; bas niveau de l’espérance de vie à la naissance […] ; forte propension à l’urbanisation (en 1988, la population urbaine représentait 39 % de la population totale, contre 51,6 % en 1998 et 59,9 % en 2008, selon les projections les plus optimistes). À terme, les conséquences de chacun de ces problèmes paraissent plus graves que celles de l’immigration, dont le niveau baisse et qui peut être maîtrisée plus rapidement dans la durée […].

14Ce n’est pas en cherchant à exclure les étrangers, en en faisant des boucs émissaires par une grossière manœuvre de diabolisation ou en tentant de les « jeter dehors » par des tracasseries policières, que l’on résoudra les problèmes posés par l’immigration dans un pays comme la Côte d’Ivoire, qui aura toujours besoin des étrangers aussi longtemps qu’elle n’aura pas restructuré son économie, qui repose encore sur une économie de plantation extensive dont le fonctionnement, à l’évidence, connaît un essoufflement ; tant que les nationaux continueront d’éprouver de la répugnance pour certaines activités dans des secteurs économiques importants ; et tant que ceux qui, parmi eux, possèdent des capitaux importants à l’extérieur, n’investiront pas dans leur pays, en y contribuant effectivement au processus d’ivoirisation des capitaux et des emplois.

15Ainsi peut-on dire qu’aussi longtemps que la Côte d’Ivoire aura besoin d’une force de travail étrangère pour poursuivre le processus de son développement économique et social, la notion de seuil de tolérance demeurera une notion xénophobe, d’autant plus que l’économie de marché en vigueur dans notre pays, pour prospérer a toujours besoin d’une plus ou moins grande armée de chômeurs pour équilibrer le marché du travail et préserver ainsi les marges de profit […].

16Faut-il le rappeler, notre pays est un pays d’immigration pour des raisons historiques et économiques que nos conseillers ont pourtant su montrer dans leur rapport. Pourquoi, alors, n’en ont-ils pas tenu compte pour faire des suggestions plus objectives ? Sans doute, aussi, étaient-ils préoccupés par des considérations de politique politicienne, afin de rester dans le sillage de l’idéologie de l’ivoirité, pour épouser l’air du temps, dans le seul souci de préserver leurs besoins alimentaires […].

17Mais, depuis 1988, la Côte d’Ivoire a commencé à devenir un pays d’émigration comme le Burkina Faso, le Sénégal, le Mali, la Guinée, etc. Cette tendance, qui reste le fait des jeunes, ne semble pas encore retenir l’attention des responsables politiques. En faisant leurs suggestions, nos conseillers n’en ont tenu aucun compte, puisqu’ils ont oublié que les pays qui, en Afrique ou sur d’autres continents, reçoivent de nombreux Ivoiriens, pourraient aussi être amenés à prendre contre ceux-ci des mesures de rétorsion.

18Les auteurs du rapport auraient donc mieux fait de se saisir du thème de l’émigration des jeunes, qui deviendra à l’orée du troisième millénaire un phénomène préoccupant […]. Si cette tendance à l’émigration devait se poursuivre, la Côte d’Ivoire continuerait de perdre ainsi une partie importante de sa force de travail potentielle et d’avoir forcément recours à une main-d’œuvre étrangère plus ou moins abondante.

19Peut-on décemment traiter de l’immigration en Côte d’Ivoire sans envisager cette perspective ?

L’immigration et la question religieuse [*]

20Quant au déséquilibre socioculturel lié à l’augmentation du nombre des musulmans grâce à l’apport de l’immigration, ce discours n’est pas propre à nos seuls conseillers. Il est aussi répandu chez les statisticiens et les démographes de l’Institut national de la statistique […]. Quelles sont donc les données socioculturelles réelles propres aux religions dans notre pays ?

Tableau 2

Évolution des proportions des adeptes des religions depuis 1975

Tableau 2
1975 1988 1993 CHRÉTIENS 28,6 % 27,4 % 23 % MUSULMANS 33,3 % 38,6 % 43 % ANIMISTES 30,0 % 18,9 % 14 % AUTRES 1,9 % 3,4 % nd SANS RELIGION 6,1 % 11,7 % nd

Évolution des proportions des adeptes des religions depuis 1975

21À ces données, il convient d’ajouter celles montrant l’évolution des proportions des croyants de nationalité ivoirienne. En leur sein, « les chrétiens (catholiques, protestants et harristes) arrivent en tête avec 31,2 % de la population. Ils sont suivis des musulmans (25,1 %) et des animistes (22,8 %) » (RGPH, 1988).

22Chez les non-Ivoiriens, les chrétiens représentaient 18 % et les musulmans 73,3 % (RGPH, 1988). Lorsque l’on convertit toutes ces proportions en valeur absolue et que l’on analyse les chiffres, il apparaît que les inquiétudes des conseillers économiques et sociaux quant au soit disant déséquilibre socioculturel ne sont pas scientifiquement fondées […].

23Ainsi, en 1975 et 1988, la proportion des musulmans est-elle passée de 33,3 % à 38,7 % de la population totale, soit de 2 234 160 à 4 185 673 de personnes […]. Chez les animistes, en revanche, on observe au contraire une baisse, puisque leur proportion est passée de 30 à 17 %. Mais, en valeur absolue, leur nombre augmente en passant de 536 720 à 1 817 038 de personnes, soit une hausse de 29,5 %, représentant 1 301 318 de personnes (en treize ans). Cette dernière tendance, qui n’émeut point nos conseillers économiques et sociaux, dénote pourtant la prolifération des sectes dans notre pays. Or, si la pauvreté continue de se développer en Côte d’Ivoire, cette tendance s’accentuera au détriment des religions révélées.

24En ce qui concerne l’augmentation de la proportion et du nombre des musulmans dans notre pays, elle est due à plusieurs facteurs : l’apport des immigrants ; la conversion et la reconversion à l’islam de nombreux nouveaux fidèles dans toutes les régions, mais plus massivement dans l’ouest, l’est et le centre du pays. À ces facteurs il faut ajouter l’indice de fécondité des musulmans ivoiriens et, dans des proportions moindres, de celui des immigrants non-ivoiriens.

25Ce dynamisme de l’islam en Côte d’Ivoire est certes un fait indéniable que les auteurs du rapport ont tenté d’éluder. Mais les religions chrétiennes sont aussi caractérisées par un certain dynamisme […] : en valeur absolue, le nombre de leurs fidèles a connu une hausse significative de 58,3 %, représentant 1 095 795 de fidèles (en treize ans), en passant de 1 878 520 à 2 974 315 de personnes. Ce dynamisme des religions chrétiennes est attesté par leur présence de plus en plus marquée dans toutes les régions, même celles du nord et du nord-est du pays, considérées comme traditionnellement acquises à l’islam et à l’animisme. Il y a donc en Côte d’Ivoire, comme partout ailleurs, un regain de religiosité […].

Tableau 3

La situation des croyants selon la religion et la nationalité en 1988(*)

Tableau 3
IVOIRIENS NON-IVOIRIENS ENSEMBLE % % % CHRÉTIENS 2 421 850 545 110 2 966 960 31,1 % 18 % 27,4 % MUSULMANS 1 954 612 2 219 812 4 174 424 25,1 % 73,3 % 38,6 % ANIMISTES 1 775 504 263472 2 038 976 22,8 % 8,7 %* 18,9 % AUTRES 1 635 334 nd 1 635 334 et SANS 21 % nd 15,1 % TOTAL 7 787 300 3 028394 10 815 694

La situation des croyants selon la religion et la nationalité en 1988(*)

(*) Cette proportion concerne les animistes, les sans-religion et les adeptes des religions « autres ».

26À l’analyse des données de ce tableau, il apparaît aussi que la psychose créée chez nos conseillers par le poids des musulmans en général et des musulmans non-ivoiriens en particulier se justifie d’autant moins que, au total, la Côte d’Ivoire laïque comptait en 1988 4 185 673 musulmans, 6 630 021 non-musulmans dont 2 974 315 chrétiens, 1 838 668 animistes et 1 817 038 adeptes de religions « autres » et de sans religion.

27Est-il besoin de faire remarquer qu’à la même date, les Ivoiriens de « souche » étaient au nombre de 7 787 300 […]. Ainsi, parce que les « Ivoiriens de souche » resteront toujours majoritaires, n’y a-t-il ni péril intégriste musulman ni danger d’invasion de la Côte d’Ivoire par les étrangers en perspective, et ce d’autant plus que, depuis 1990, les étrangers ne prennent plus part aux consultations électorales, au grand désarroi du PDCI.

28Les conseillers économiques et sociaux auteurs du rapport affichent avec un souverain mépris la piètre opinion qu’ils ont des Ivoiriens lorsqu’ils sous-entendent que ceux-là peuvent, on ne sait pour quelles raisons, laisser n’importe quel groupe d’étrangers prendre le pouvoir d’État. Dès lors, ces Messieurs oublient qu’un peuple ne laisse librement accéder au pouvoir d’État, à un moment de son histoire, que le groupe d’hommes dans lequel il se reconnaît et auquel il peut, sans aucune crainte, confier son destin.

29Ainsi, à l’époque coloniale, parce qu’il défendait conséquemment les intérêts du peuple, le PDCI-RDA (panafricaniste), qui n’était ni un parti ethnique ni un parti religieux et qui comptait plus de militants au nord, à l’ouest, à l’est et au sud qu’au centre du pays, avait-il eu la confiance du peuple qui s’est reconnu en lui […].

30Nos conseillers devraient le savoir : la structure de la population ivoirienne de « souche » selon la religion montre qu’en Côte d’Ivoire, les fidèles d’aucune des religions présentes ne peuvent prendre le pouvoir politique sur une base confessionnelle, sans l’accord et l’apport des adeptes d’au moins une des autres religions. De même, en compulsant les données chiffrées de la répartition de la population de nationalité ivoirienne selon l’ethnie, on se rend compte que des ressortissants d’une région ou des membres d’une ethnie quelconque du pays, fût-elle majoritaire par rapport à chacune des ethnies du pays, ne peuvent, sur une base tribaliste, accéder au pouvoir d’État et le conserver durablement qu’avec la complicité bienveillante et l’appui des membres des autres ethnies. Ce sont d’ailleurs ces raisons et l’exemple historique du PDCIRDA qui font que les appareils de tous les partis politiques de notre pays recrutent, avec plus ou moins de bonheur, des adeptes de toutes les religions, des membres de toutes les ethnies et des ressortissants de toutes les régions […].

31De quoi les auteurs du rapport sur l’immigration ont-ils donc peur ? Du bradage de la nationalité par des fonctionnaires ivoiriens indélicats. Or donc les étrangers ne sont pas les seuls corrupteurs et les seuls corrompus dans notre pays.

32Pour éviter ce bradage et l’aggravation des exactions de xénophobie comme celles de l’assassinat de Dramera à Divo, de l’expulsion « manu militari » des Bozo de notre pays, celle des Fanti de Sassandra, « il paraît raisonnable d’anticiper cet état de fait, d’une part, dans le cadre juridique actuel, par une politique active d’intégration, et d’autre part, en envisageant un élargissement des conditions d’attribution ou d’acquisition de la nationalité », comme le suggèrent plutôt (d’autres) experts. Si la Côte d’Ivoire veut jouer un rôle moteur dans la sous-région ouest-africaine (dans la perspective de l’intégration économique de celle-ci), il sied mieux qu’elle envisage les suggestions susmentionnées de ces experts (qui ont d’ailleurs inspiré les grandes lignes de la déclaration de la politique de population du gouvernement) ; car elles sont susceptibles de déboucher « sur une croissance économique maîtrisée entraînant des transformations démographiques, étant entendu qu’elles (les suggestions) privilégient les variables internationales, la compétitivité et la croissance économique à moyen terme, qui exercent à leur tour un impact positif sur le secteur social et les variables démographiques ».

33Alors que le gouvernement de la République a élaboré laborieusement une politique de population qu’il veut mettre en œuvre, avec l’appui de structures consultatives et techniques, voilà qu’une institution aussi importante que le Conseil économique et social se saisit d’une question aussi sensible que l’immigration pour […] faire des suggestions qui ne tiennent aucun compte ni du cadre de cette politique ni des stratégies et activités qui y sont définies. Les conseillers économiques et sociaux ignorent-ils les activités du gouvernement ou bien, en faisant des suggestions scélérates dans leur rapport, ont-ils voulu marquer leurs désaccords avec les stratégies et les activités proposées par celui-ci, pour faire face aux problèmes posés par l’immigration, dans le cadre de sa nouvelle politique de population ? Telles sont les questions essentielles que se sont posées tous les experts qui travaillent sur la population ivoirienne, après la lecture de ce rapport.

Des suggestions anachroniques et xénophobes

34L’anachronisme des suggestions qui ont été faites par les auteurs du rapport transparaît, tant dans le caractère suranné des structures nouvelles à créer pour lutter contre l’immigration, que dans les aveux d’impuissance (liés à la non-application de la loi dans certain domaines) qui renvoient, en fait, à la conception d’un nouveau code de la nationalité fondée non pas sur les principes du droit du sol, mais sur ceux du sang, comme l’a d’ailleurs déjà réclamé bruyamment un militant bien connu de l’ONG ADIR, cette autre officine de la Curdiphe, ce haut lieu où des intellectuels à la solde du pouvoir du PDCI élaborent les théories de l’« ivoirité », le nouvel opium proposé au bon peuple de Côte d’Ivoire […].

35Une dizaine de suggestions vise à durcir les lois sur la nationalité dans le sens de la restriction de la naturalisation ; à limiter l’immigration et à renforcer l’application rigoureuse des lois déjà répressives ; à réprimer les fonctionnaires indélicats qui « bradent à tour de bras » la nationalité ivoirienne aux étrangers, à mettre les Ivoiriens au travail, etc.

36Ces suggestions constituent, d’abord, des aveux d’impuissance face à l’incapacité des Ivoiriens à appliquer les lois qu’ils se sont librement données. Les étrangers peuvent-ils être comptables de cette situation ? À qui incombe la responsabilité de cet état de fait ? Au lieu de diaboliser les étrangers, les auteurs du rapport auraient dû s’attaquer non pas aux conséquences, mais aux causes de ce qu’ils considère comme une défaillance. Ces suggestions, ensuite, constituent une régression de notre pays en matière de gestion des problèmes posés par l’immigration, eu égard au mouvement de généralisation des principes du droit du sol à l’échelle mondiale. Tous les pays modernes dirigés par des régimes progressistes visent à adopter ces principes, au moment où nos conseillers prônent le retour aux principes réactionnaires du droit du sang dans le processus d’exclusion et non celui d’intégration des immigrés.

37Enfin, comme l’a déjà si bien montré monsieur Diégou Bailly dans ce débat, certaines de ces suggestions visent à « purifier la Côte d’Ivoire, à l’expurger de ces étrangers ». Comme toutes les professions de foi fascistes, ces suggestions vouent aux gémonies tous les Ivoiriens de seconde zone pour avoir commis le crime de naître d’une mère ou d’un père ivoirien et non « d’un père et d’une mère eux-mêmes ivoiriens de naissance ». Ils sont rendus responsables de « liaisons dangereuses criminalisées » de leurs parents dont certains n’ont été guidés dans leur amour que par le panafricanisme prôné jadis par tous les militants anticolonialistes.

38En somme, il s’agit de « demi-Ivoiriens » qui n’auraient que des devoirs, mais pas les mêmes droits que leurs demi-frères (pour certains d’entre eux) et les Ivoiriens de la première catégorie (pour eux tous). Les « Ivoiriens de seconde zone » pourraient, par exemple, jouer dans les équipes nationales de football, et d’autres sports mineurs, amuser la galerie en gagnant des buts pour notre bonheur ; ils pourront voter, mais ils ne pourront pas, par exemple, prétendre à tous les postes électifs […]. Ce qu’on veut nous imposer, c’est une formule de citoyenneté à deux vitesses, une sorte d’application casuistique de la loi qui n’aura plus un caractère général, mais sélectif […]. Quelle frustration pour ces « Ivoiriens de seconde zone » !

39Ils sont d’ailleurs légion parmi les enfants et proches parents des personnalités qui ont voix au chapitre dans notre pays et qui restent muets comme des carpes.

40Cette frustration habite aussi ceux qui sont devenus ivoiriens par le biais du mariage ou par les autres formes de naturalisation, surtout lorsqu’ils portent des patronymes à consonance sahélienne ou « exotique », ou encore des prénoms musulmans.

41Est-ce que les auteurs du rapport savent que les démographes ont découvert une loi, selon laquelle les « immigrés de la deuxième génération » s’illustrent toujours plus, par la force de leur « nationalisme », que les autochtones des pays qui ont accueilli leurs parents et qui les ont adoptés ? Ne connaissant que ces pays, ils s’y identifient et en ont une représentation « surdéterminée ». Pourquoi donc continuerions-nous d’humilier et de persécuter nos « Ivoiriens de la deuxième génération » ? Pourquoi ne chercherions-nous pas à intégrer ceux d’entre eux qui le mériteraient par la loi, rien que par la loi ? […]

42Le poids des étrangers dans l’économie nationale est déterminée non seulement par les structures de celle-ci et le modèle de développement choisi par la Côte d’Ivoire, mais aussi par notre code des investissements. La structure de l’économie ivoirienne en fait une consommatrice de main-d’œuvre dans le secteur primaire. Aussi, la Côte d’Ivoire a-t-elle toujours eu recours à une abondante main-d’œuvre étrangère. Mieux, elle a aussi besoin de cadres expatriés dans le secteur tertiaire privé pour la gestion des capitaux importés. En outre, il faut noter que le secteur informel qui se développe de façon continue est presque entièrement contrôlé par les étrangers. Enfin, parce que les Ivoiriens répugnent à certains types d’emplois dans le secteur secondaire, les étrangers occupent la majorité des emplois dans ce secteur.

43Aussi, sur toute l’étendue du territoire, lorsqu’on a une roue de secours de son véhicule à faire réparer, des fleurs, des matériaux de construction, des fruits et légumes (dans une certaine mesure), du charbon, du café chaud, des meubles, etc., à acheter, sait-on où il faut aller et chez qui il faut aller. De même, lorsqu’on a besoin de gardiens, de gens de maison de sexe masculin, de cireurs, de journaux, de manœuvres agricoles, de manutentionnaires, d’artisans dans certains secteurs, on a généralement recours à des étrangers […].

44C’est bien cette réalité caractérisant notre pays qui explique non seulement la présence d’un grand nombre d’étrangers (32 % de la population totale) dans notre pays, mais aussi l’importance du taux d’activité (73,2 % en 1993) et le bas niveau du chômage (6,4 % en 1993) chez eux […]. Si, depuis presque quarante ans, le gouvernement du PDCI n’a pas cru devoir mettre en œuvre une politique [de restructuration de l’économie nationale], […] il est malséant aujourd’hui de chercher à exclure ou à « jeter dehors » ceux qui continuent encore de nous aider à maintenir et à entretenir notre vieux système d’exploitation des produits d’exportation sur lesquels repose encore, pour une grande part, notre économie. Il faut se garder de faire comme le Ghana qui, pour avoir « mis dehors » les « étrangers » en 1969, a perdu à notre profit, quelques années plus tard, sa place de premier producteur mondial de cacao.

45De même, les conséquences du choix du libéralisme économique ne peuvent et ne doivent être assumées que par les Ivoiriens eux-mêmes. Ceux-ci ne peuvent pas élaborer, par exemple, un code des investissements aussi généreux que celui qu’ils ont élaboré pour attirer les capitaux étrangers, et s’opposer à son application.

46On ne peut vouloir à la fois une chose et son contraire. Nos conseillers, qui ne sont pas souvent à une contradiction près, ont-ils seulement pensé à cette logique élémentaire ?

47En ce qui concerne la criminalité, nos conseillers ne semblent viser que les malfrats étrangers, alors que, depuis belle lurette, la criminalité a commencé à « s’ivoiriser » dans notre pays. Ils ont aussi ignoré, par xénophobie, la criminalité en col blanc qui est plus le fait des « Ivoiriens de souche » que des étrangers. Or elle porte plus, sinon autant de préjudice à l’économie nationale que les autres formes de la criminalité. Pourquoi, diantre, les auteurs du rapport ont-ils voulu masquer les vrais maux qui rongent le pays en faisant des étrangers leurs causes ? Ici, encore, ils n’ont pas cru devoir s’éloigner du principe de deux poids et de deux mesures, cher au PDCI qui en a fait la principale règle pour traiter les conflits entre les citoyens vivant dans notre pays […]. Notre pays est si gangrené par la corruption que tout le monde (« Ivoiriens de souche » et étrangers) est obligé, et partout dans les services administratifs, sur les routes, de mettre la main à la poche pour rentrer dans ses droits ou pour échapper à l’arbitraire.

48Les étrangers sont-ils les seuls responsables de ce drame que connaît notre pays ? Les auteurs du rapport ont préféré déplacer les problèmes liés à l’immigration plutôt que de les poser avec la responsabilité attachée à leur fonction rémunérée de conseillers économiques et sociaux. Cela est proprement triste et scandaleux. Du coup, en banalisant et en caricaturant les problèmes de l’immigration dans notre pays, les auteurs du rapport ouvrent désormais à notre Le Pen national, Pépé Paul, les portes de leur auguste Conseil.

Conclusion

49De nombreux points du rapport auraient pu encore appeler des commentaires de ma part. Mais ceux qui précèdent prouvent suffisamment que les inquiétudes exprimées par les auteurs du rapport relèvent d’un fantasme et leurs suggestions de la xénophobie.

50Dans tous les pays de forte immigration comme le nôtre, celle-ci pose des problèmes d’intégration des immigrés. Mais partout, comme chez nous aussi, il se trouve des personnes qui font de ces problèmes un épouvantail et un fonds de commerce pour tenter d’atteindre des buts inavoués […].

51Notre pays a longtemps souffert de la politique nataliste des gouvernements qui se sont succédé sous le règne d’Houphouët-Boigny. Cette longue période marquée par une politique de population obscurantiste a contribué à l’aggravation des problèmes démographiques auxquels notre pays doit faire face. Parce que ces différents problèmes sont liés entre eux et conditionnent le processus du développement économique et social, seule une politique démographique cohérente permet de les identifier et de les résoudre. C’est ce que le gouvernement de la République tente de faire depuis plus d’un an. C’est ainsi que le document de « Déclaration de la politique national de population » a été conçu à partir de réflexions menées tant au niveau central que dans chacune des régions administratives du pays par plusieurs équipes d’experts issus de l’administration centrale et des ONG […].

52La mise en œuvre rapide et le suivi régulier de cette politique de population concomitamment avec celle d’un plan de développement cohérent, permettraient aux Ivoiriens de maîtriser la croissance démographique, développer un autre modèle de croissance, réaliser l’intégration sociale, réduire la pauvreté et les inégalités sociales et profiter au maximum de l’intégration économique des États de l’Afrique de l’Ouest.

53Mais la maîtrise de la croissance démographique passe surtout par la baisse du niveau de la fécondité et de la stabilisation de l’immigration en Côte d’Ivoire. La baisse de la fécondité ne peut être accélérée que par la mise en œuvre d’un ambitieux programme de planification familiale et par la promotion de la scolarisation des filles.

54En effet, il est prouvé partout, que lorsque le niveau d’éducation et de formation des femmes s’élève, celui de la fécondité baisse, tout comme la proportion des jeunes de moins de quinze ans connaît une baisse dans le temps. Un programme vigoureux d’insertion peut être mis en œuvre pour ces jeunes. Il apparaît enfin, qu’avec la baisse de la fécondité doublée de l’augmentation du taux d’activité des nationaux, l’immigration se stabilise.

55En s’orientant dans ces différentes directions, je suis convaincu que non seulement les Ivoiriens résoudront dans la sérénité et la responsabilité les problèmes démographiques qui se posent à eux, mais aussi qu’ils éviteront à leur pays les aventures que connaissent, malheureusement aujourd’hui, nombre de pays africains. Telle est ma première contribution dans ce débat et je remercie les responsables du journal Le Jour de l’avoir initié.


Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.3917/polaf.078.0075

Notes

  • [1]
    Article paru dans Le Jour, Abidjan, n° 1285, jeudi 20 mai 1999.
  • [*]
    Les intertitres signalés d’une astérisque sont de la rédaction de Politique africaine.

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