Pôle Sud 2022/1 n° 56

Couverture de PSUD_056

Article de revue

Diversité des ancrages locaux des électeurs et vote. Le cas de la métropole lilloise

Pages 79 à 96

Notes

  • [1]
    Reprenant ici la typologie proposée par Albert O. Hirschman (1970).
  • [2]
    L’enquête a été financée par le CERAPS (Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales, CNRS / Université de Lille / Sciences Po Lille) et ESPOL (European School of Political and Social Sciences, Université Catholique de Lille). L’échantillon a été fourni par Dynata France. L’équipe de recherche est composée des auteurs du présent article ainsi que de François Briatte, Camille Kelbel et Giulia Sandri.
  • [3]
    Lille compte moins de 240 000 habitants et ne pèse donc que pour 20 % dans l’agglomération.
  • [4]
    Nous avons limité l’ACM aux seuls répondants pouvant voter et se souvenant avoir voté en 2017 (n=631), ce qui ne modifie pas la structure de l’ACM, les deux premiers axes décrivant respectivement 21,8 % et 17,3 % de la variance totale.

Introduction

1La question des relations entre les comportements politiques des électeurs et leurs ancrages locaux est centrale en sociologie électorale, a fortiori depuis le renouvellement qu’ont connu, en France, les approches écologiques du vote (Braconnier, 2010 ; Audemard, 2017 ; Huc, 2019). Un certain nombre de travaux ont ainsi montré qu’un électeur participe d’autant plus qu’il est enraciné dans la cité (Lancelot, 1968). À l’inverse, une forte mobilité spatiale se traduit, lors des scrutins municipaux, par une moindre participation (Héran & Rouault, 1995). Cette relation entre ancrage local important et surmobilisation électorale, en particulier dans les communes de petite taille, s’expliquerait par un contrôle social plus important, par une porosité plus grande entre sphère publique et sphère privée, par le développement de sociabilités municipales, par une connaissance quasiment personnelle des candidats et par l’abaissement des obstacles « culturels » à la participation. Cependant, les travaux les plus récents insistent sur la nécessité de dépasser un raisonnement simplificateur qui associerait mécaniquement proximité (physique) des élus et surmobilisation des électeurs (Vignon, 2016 ; Vignon, 2021). En saisissant la pluralité des communes rurales et l’hétérogénéité sociale de leurs habitants, Sébastien Vignon démontre en effet la diversité des rapports à l’implication dans la vie locale parmi les habitants, dans un contexte de relâchement durable de la norme participationniste (Vignon, 2021).

2D’autres travaux, moins nombreux en France, ont interrogé l’existence de relations entre ancrage local et orientation du vote. Ces travaux, qui portent sur une diversité de scrutins (présidentielles, municipales…) et de territoires (grands centres urbains hors Paris, zones périurbaines…), font en particulier état d’un lien statistique entre une ancienneté résidentielle importante et un vote davantage orienté à l’extrême-droite (Rivière, 2012 ; Laurent, 1997). Pour certains, cette relation se vérifie à âge, sexe et profession égales (Laurent, 1997). D’autres travaux soulignent plutôt que le statut d’occupation du logement (qui découle en partie des ressources économiques dont disposent les individus) et la trajectoire sociale seraient des variables bien plus déterminantes que l’ancienneté des attaches résidentielles : le statut d’occupation du logement et la trajectoire sociale conditionnent en effet en partie le rapport subjectif au territoire et la construction d’attaches en son sein (Huc, 2019 ; Girard, 2017 ; Rivière, 2012 ; Johnston et al., 2001). Le vote davantage à l’extrême-droite des populations ancrées traduirait un comportement de « voice », faute de possibilité « d’exit » [1] face à des transformations urbaines (Laurent, 1997). Mais cette pratique de « voice » serait surtout le fait d’habitants appartenant aux classes populaires stabilisées, relégués au sein de certains espaces périurbains (Huc, 2019 ; Rivière, 2012) et entretenant un rapport conflictuel au voisinage et, en particulier, aux nouveaux arrivants.

3Ce sont ces deux relations, entre un faible ancrage local et l’abstention et entre un fort ancrage local et le vote à l’extrême-droite, que nous entendons ici réinterroger à l’échelle d’un territoire donné et en croisant des matériaux quantitatifs à plusieurs échelles (voir encadré 1). Néanmoins, à la lecture de ces travaux, la définition de l’ancrage local apparaît comme un enjeu en soi. C’est pourquoi nous faisons le choix d’appréhender celui-ci à partir d’une pluralité d’indicateurs qui ne se recoupent qu’en partie : l’ancienneté résidentielle, la présence ou non sur le territoire de l’entourage (famille, amis…), le rapport subjectif au territoire, au quartier et au voisinage ou encore le statut d’occupation du logement.

Encadré 1. Présentation des matériaux[2]

Dans cet article, nous menons une analyse combinée de données au niveau agrégé et au niveau individuel. Nous avons d’une part croisé les résultats électoraux à l’échelle de 730 bureaux de vote de la métropole lilloise entre 2017 et 2020 et des données du recensement caractérisant socialement le territoire des bureaux de vote. Si l’échelle fine limite le risque d’erreur écologique (Audemard, Gouard, 2016), on compare toutefois deux populations – les résidents et les inscrits sur les listes électorales – qui ne se recoupent qu’imparfaitement en raison de la mobilité des habitants et de la mal inscription qui en découle (Braconnier et al., 2016). De plus, les unités territoriales (bureaux de vote et îlots regroupés pour l’information statistique) ne se recoupant pas parfaitement, une méthode géographique de ventilation des résultats a été utilisée (Gombin, 2017 ; Audemard, Gouard, 2016). Cette méthode ne tient toutefois pas compte de l’hétérogénéité des IRIS - tant sur le plan social qu’en matière de densité de population.
Nous nous appuyons d’autre part sur les données de l’enquête PELMEL (Participation électorale dans la métropole lilloise) réalisée en ligne du 29 juin au 19 juillet 2020 auprès d’un échantillon de 863 répondants représentatifs de la population de la métropole lilloise âgée de 18 ans et plus selon la méthode des quotas (âge et sexe). Une pondération par calage sur les marges a été appliquée pour le niveau de diplôme et le vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Parmi les 863 répondants, 831 réunissent les conditions pour être inscrits sur les listes électorales en 2020, 716 déclarent y être inscrits et 631 étaient inscrits et se souviennent avoir voté ou s’être abstenus lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Ces chiffres nous conduisent à être prudents quant aux conclusions avancées, d’autant que les échantillons établis par quotas induisent de nombreux biais comme la sous-représentation des peu diplômés, des abstentionnistes ou encore des individus faiblement intéressés par la politique (Braconnier et al., 2016). De plus, les réponses à la question relative au vote en 2017 sont reconstruites a posteriori et peuvent être inexactes, du fait d’une mémoire du vote défaillante (van Elsas et al., 2014).
Ce croisement entre deux sources de données nous permet de diversifier les indicateurs de l’ancrage local des électeurs : l’ancienneté des résidents et le statut d’occupation du logement (propriétaires, locataires dans le parc privé, ou locataires dans le parc social) ainsi que, dans l’enquête PELMEL, l’implantation sur le territoire de l’entourage (famille et amis), la satisfaction vis-à-vis du voisinage, ou encore les raisons expliquant le « choix » du quartier d’habitation.

4Nous reviendrons tout d’abord sur l’intérêt d’une analyse localisée – ici à l’échelle de la métropole européenne de Lille qui constitue un espace diversifié et inégalitaire (1). Nous montrerons ensuite que ce n’est pas tant l’ancienneté résidentielle que le rapport au quartier et le statut d’occupation du logement qui semblent liés à la mobilisation ou non des électeurs, surtout si on considère leur participation effective et non leur inscription sur les listes électorales (2). Enfin, si une relation positive apparaît au niveau agrégé entre l’ancienneté résidentielle et le vote en faveur de l’extrême-droite, les données au niveau individuel tendent plutôt à réaffirmer le poids des variables sociales (notamment du niveau de diplôme) et du rapport au quartier (3).

La métropole lilloise : un espace inégalitaire et des ancrages locaux diversifiés

5Dans la continuité de travaux qui, en sociologie électorale, portent une attention particulière à l’environnement social, économique et politique local (Braconnier, 2010), cet article circonscrit l’analyse à un territoire spécifique : la Métropole européenne de Lille (MEL), quatrième agglomération française rassemblant 95 communes et 1,1 millions d’habitants. Raisonner à cette échelle permet, sur le plan méthodologique, de croiser plus aisément des données au niveau individuel et au niveau agrégé. En effet, l’élaboration d’un fonds de carte à une échelle plus importante est très chronophage et le coût d’une enquête en ligne, - dispositif privilégié en raison du contexte de crise sanitaire -, à une échelle plus fine particulièrement élevé.

6Mais analyser les relations entre l’ancrage local et le vote à l’échelle de la MEL permet aussi de saisir une pluralité de situations, cette agglomération formant un espace socialement très inégalitaire (Collectif Degeyter, 2017) [3]. D’un côté on trouve de grandes villes marquées par la présence massive des classes populaires comme Roubaix et Tourcoing (près de 100 000 habitants chacune), dans lesquelles la désindustrialisation a été très forte dans les années 1960 et 1970 et dont la reconversion peine à s’amorcer depuis près de 20 ans. D’un autre côté, les communes qui forment le triangle « BMW » (Bondues, Marcq-en-Barœul et Wasquehal) accueillent une population bien plus aisée. Les classes moyennes se répartissent entre certains quartiers de communes relativement centrales, notamment Villeneuve d’Ascq, et l’espace périurbain plus éloigné, en particulier au sud et à l’ouest de l’agglomération. D’importants clivages sociaux apparaissent également au niveau infra-communal comme à Lille où se côtoient des quartiers aisés, des quartiers populaires marqués par le poids de la précarité et du chômage, et, entre les deux, des quartiers en voie de gentrification. Il en est de même à Roubaix avec quelques quartiers très bourgeois où résident les grandes dynasties patronales du textile, aujourd’hui reconverties notamment dans la grande distribution. Ces inégalités socio-spatiales se traduisent particulièrement bien sur le plan électoral (Bretton-Wilk et al., 2021 ; Rivière et al., 2014 ; Desage, Haute, 2017).

7Du fait de cette hétérogénéité de l’espace lillois, les ancrages locaux des électeurs sont très diversifiés. Nous avons réalisé une analyse en composante principale (ACP) avec, comme variables actives, la part, pour chaque bureau de vote, des locataires dans le parc social, des propriétaires, des habitants présents depuis moins de 2 ans, depuis 2 à 4 ans, depuis 5 à 9 ans et depuis 10 ans ou plus (voir figure 1). Le premier axe (décrivant 56,6 % de la variance totale) oppose les bureaux de vote où on trouve une population très mobile (là depuis moins de 5 ans), davantage confrontée à la précarité de l’emploi, aux bureaux où les résidents sont plus ancrés (là depuis 10 ans ou plus) ainsi que davantage propriétaires, âgés et retraités. Le second axe (décrivant 25,5 % de la variance totale) isole les bureaux où les parts de locataires dans le parc social et de résidents là depuis 5 à 9 ans sont importantes, des bureaux également marqués par une forte proportion de chômeurs et d’immigrés parmi les résidents.

Figure 1

Espace des bureaux de vote de la MEL selon l’ancrage local des résidents

Figure 1

Espace des bureaux de vote de la MEL selon l’ancrage local des résidents

N. B. Pour garantir la lisibilité, les modalités des variables illustratives trop proches du centre du plan factoriel ont été masquées.
Source : INSEE, 2016

8Une classification ascendante hiérarchique réalisée à partir de l’ACP fait apparaître cinq groupes de bureaux de vote, soulignant à ce titre l’hétérogénéité tant des villes-centres que des zones périurbaines (voir figure 2).

Figure 2

Diversité des ancrages locaux dans la métropole lilloise

Figure 2

Diversité des ancrages locaux dans la métropole lilloise

Source : INSEE, 2016 ; fond de carte produit par Thomas Soubiran (CNRS, CERAPS) ; carte réalisée par Rémy Bretton-Wilk (Université de Lille)

9Un premier ensemble de bureaux (A, 196 bureaux, 25,5 % des inscrits en 2020) est marqué à la fois par une ancienneté résidentielle importante et par une proportion élevée (largement majoritaire) de propriétaires. La population y est plus âgée qu’ailleurs et significativement moins confrontée au chômage et à la précarité de l’emploi. La part d’immigrés en son sein est bien plus faible que dans le reste de l’agglomération. Il s’agit essentiellement des petites communes périurbaines aisées de la MEL, mais aussi d’une partie des bureaux du triangle BMW.

10Un second groupe de bureaux (B, 195 bureaux, 27 % des inscrits) se rapproche du premier, mais les propriétaires y sont moins majoritaires et la part de résidents depuis 10 ans ou plus y est plus faible, compensée par une part importante de résidents là depuis 5 à 9 ans. Si la présence de personnes au chômage, de salariés précaires ou d’immigrés est là encore plus faible que dans le reste de la MEL, ces bureaux sont marqués par une surreprésentation des catégories populaires stabilisées (ouvriers et employés). Il s’agit principalement de bureaux de communes périurbaines.

11Un troisième ensemble de bureaux (C, 72 bureaux, 10 % des inscrits) se caractérise, à l’inverse, par une faible ancienneté résidentielle et par une faible proportion de propriétaires. La population y est significativement plus jeune et davantage diplômée du supérieur que dans le reste de la MEL, mais, si la part de cadres et professions intellectuelles supérieures est plus importante, c’est aussi le cas de la part de salariés en contrat précaire, de personnes au chômage et d’immigrés, preuve de la mixité qui caractérise certains de ces bureaux de vote. Il s’agit en effet principalement des quartiers centraux et péricentraux de Lille (63 bureaux).

12Un quatrième ensemble de bureaux (D, 80 bureaux, 10,9 % des inscrits) se distingue par une population majoritairement logée dans le parc social. La proportion de diplômés du supérieur et de cadres y est plus faible que dans le reste de la MEL, tout comme l’âge moyen des inscrits, alors que la proportion de personnes au chômage et d’immigrés est plus importante. Il s’agit majoritairement des quartiers populaires d’habitat social des grandes villes de l’agglomération (sud de Lille, sud de Roubaix, nord de Tourcoing, Villeneuve d’Ascq…).

13Un dernier ensemble de bureaux (E, 187 bureaux, 26,7 % des inscrits) s’inscrit au croisement des deux groupes précédents, se distinguant par une mobilité résidentielle plus importante que dans l’ensemble de l’agglomération (mais plus faible que dans le groupe C). Ce groupe apparaît peu marqué socialement si on excepte une population légèrement plus jeune et un peu plus confrontée au chômage qu’ailleurs. En réalité, cette catégorie est hétérogène, regroupant aussi bien les bureaux plus mixtes des communes aisées du nord de l’agglomération (Marcq-en-Barœul, La Madeleine, Lambersart), une partie des bureaux de Lille et une grande partie des bureaux de Roubaix et Tourcoing que des communes d’urbanisation récente.

14Pour terminer, nous avons réalisé, au niveau individuel, une analyse des correspondances multiples à partir des données de l’enquête PELMEL (voir figure 3) avec, en variables actives, le statut d’occupation du logement, la satisfaction vis-à-vis du voisinage, le fait d’être ou non résident depuis moins de 5 ans dans sa commune, le fait ou non d’avoir au moins un membre de son entourage dans sa commune et le fait de ne pas avoir choisi son quartier ou de l’avoir choisi pour des raisons économiques. La figure 3 fait état d’une tripartition : un premier axe (décrivant 21,8 % de la variance totale) oppose des propriétaires, plus âgés et qui ont choisi leur quartier à des locataires dans le parc social, plus précaires ou n’ayant jamais été en emploi, moins satisfaits vis-à-vis du voisinage et n’ayant pas choisi leur quartier alors qu’un second axe (décrivant 17,1 % de la variance) isole les locataires dans le parc privé, dont une partie, plus jeune, semble avoir un ancrage local faible (là depuis moins de 5 ans et sans entourage dans leur commune). Il y a donc bien une imbrication entre l’ancienneté résidentielle, le rapport au quartier, le statut d’occupation du logement et les caractéristiques sociales.

Figure 3

Espace des ancrages locaux des résidents de la MEL

Figure 3

Espace des ancrages locaux des résidents de la MEL

Champ : ensemble des répondants (n=831)
N. B. Pour garantir la lisibilité, les modalités des variables illustratives trop proches du centre du plan factoriel ont été masquées.
Source : PELMEL, 2020

L’ancrage local et la mobilisation électorale : une équation à géometrie variable

15La relation entre ancrage local et participation électorale peut être saisie de différentes manières. À l’échelle du bureau de vote, on remarque sur l’ACP et l’ACM présentées plus haut que la participation, projetée en variable supplémentaire, semble moins associée à une ancienneté résidentielle importante qu’au statut de propriétaire (voir figure 1). Les données de l’enquête PELMEL ne font de même pas apparaître de lien entre l’ancienneté résidentielle et la participation. Ainsi, si une plus faible ancienneté résidentielle ou l’absence de membre de l’entourage dans la commune vont de pair avec une participation plus faible, cette relation n’est pas significative à situation sociale égale au regard des résultats des modèles de régression réalisés (voir encadré 2 et tableau 1).

Encadré 2. Présentation des modèles de régression

Nous avons réalisé des modèles de régression logistique avec, comme variables dépendantes, la non inscription et la participation au premier tour des élections municipales de 2020 (modèle multinomial), la mal inscription (modèle binaire pondéré limité aux inscrits) ainsi que le comportement de vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 (modèle multinomial limité aux inscrits se souvenant avoir voté ou non). Les variables indépendantes sont le sexe, l’âge, le niveau de diplôme, le type de l’emploi actuel (ou du dernier emploi exercé), le statut d’occupation du logement, le fait ou non d’être résident depuis moins de 5 ans dans sa commune, le fait ou non de ne pas avoir de membre de son entourage (famille ou amis) dans sa commune, la satisfaction vis-à-vis du voisinage et le fait de considérer qu’habiter dans son quartier n’est pas un choix ou est un choix lié à des raisons économiques. La petite taille des échantillons nous a conduits à écarter l’inclusion d’effets d’interaction dans le modèle. Les rapports de chance issus des modèles sont présentés dans les tableaux 1 et 4.
Tableau 1

Résultats des modèles de régression relatifs à la mobilisation électorale en 2020

VariableModalitéNon inscription en % (rapport de chance)Abstention en % (rapport de chance)Participation en % (modalité de référence)Mal- inscription en % (rapport de chance)
SexeHomme19,6 (ref)32,6 (ref)47,8 (ref)7,1 (ref)
Femme15,2 (ns)35,2 (ns)49,6 (ref)11,2 (1,67*)
ÂgeMoins de 30 ans31,5 (ns)34,3 (ns)34,1 (ref)26,8 (7,50***)
30 à 44 ans16,8 (ns)41,1 (ns)42,1 (ref)9,2 (ns)
45 à 59 ans16,8 (ref)31,3 (ref)52 (ref)5,4 (ref)
60 ans ou plus6,9 (0,44*)29,2 (ns)63,8 (ref)2,7 (ns)
Niveau de diplômeInférieur au baccalauréat22,1 (2,10**)34,2 (ns)43,7 (ref)6,1 (ns)
Baccalauréat17,1 (ref)35,1 (ref)47,8 (ref)12,1 (ref)
Supérieur au baccalauréat10,1 (ns)33 (ns)56,9 (ref)12,2 (2,21**)
Type d’emploi (actuel ou dernier emploi exercé)Indépendant17 (ns)26,7 (ns)56,3 (ref)4,8 (ns)
Salarié en contrat stable13,4 (ref)30,1 (ref)56,5 (ref)8,2 (ref)
Salarié en contrat précaire21,3 (ns)36,3 (ns)42,3 (ref)17 (ns)
N’a jamais été en emploi29,9 (3,33***)52,2 (3,07***)17,9 (ref)7,4 (0,27***)
Statut d’occupation du logementPropriétaire7,1 (0,38***)28,7 (ns)64,1 (ref)4,9 (0,42**)
Locataire dans le parc privé24,1 (ref)26,4 (ref)49,5 (ref)20 (ref)
Locataire dans le parc social25,2 (ns)48,7 (1,72**)26,5 (ref)10,4 (ns)
Réside depuis moins de 5 ans dans sa communeNon14,8 (ref)33,8 (ref)51,4 (ref)6,3 (ref)
Oui30,2 (2,29**)34,8 (ns)35 (ref)28,7 (4,28***)
N’a pas de membre de son entourage dans sa communeNon15,1 (ref)34,6 (ref)50,3 (ref)8,6 (ref)
Oui28,8 (ns)30,8 (ns)40,4 (ref)13,9 (ns)
Satisfaction vis-à-vis du voisinagePlutôt pas ou pas du tout satisfait18,8 (ref)50,8 (ref)30,4 (ref)7,9 (ref)
Plutôt ou tout à fait satisfait16,9 (ns)30,6 (0,69*)52,4 (ref)9,6 (ns)
Le quartier n’est pas un choix ou a été choisi pour des raisons économiquesNon15,5 (ref)32,6 (ref)51,9 (ref)8,2 (ns)
Oui21,6 (1,58*)37,6 (ns)40,8 (ref)12,6 (ns)
Ensemble17,23448,89,3
PseudoR20,100,100,100,14

Résultats des modèles de régression relatifs à la mobilisation électorale en 2020

Champ : ensemble des répondants (colonnes 3, 4 et 5, n=831), répondants inscrits sur les listes électorales (colonne 6, n=716) ;
N. B. *** : significatif au seuil de 1 % ; ** : significatif au seuil de 5 % ; * : significatif au seuil de 10 % ; ns : non significatif ; ref : modalité de référence ; la modalité « autres situations de logement » a été masquée en raison du faible effectif de répondants concernés.
Source : enquête PELMEL, 2020

16L’absence de lien significatif entre l’ancienneté résidentielle et la participation s’explique par le fait que les répondants les plus mobiles se caractérisent moins par l’abstention que par la non inscription et la mal inscription. Définie comme le fait de ne pas être inscrit dans son bureau ou dans sa commune de résidence, la mal inscription implique une abstention plus importante (Braconnier et al., 2016) : dans l’enquête PELMEL, seuls 40,2 % des répondants mal inscrits ont voté au premier tour des élections municipales de 2020 contre 60,9 % des bien inscrits.

17Les résultats des modèles de régression réalisés montrent que mal et non inscrits ont des traits communs, en particulier leur faible ancienneté résidentielle et leur statut de locataire (voir figure 3), rejoignant en grande partie les résultats de la littérature existante (Pan Ké Shon, 2004 ; Braconnier et al., 2016). Ainsi, les répondants ayant moins de 5 ans d’ancienneté dans la commune (30,2 %) et les locataires, que ce soit dans le parc social (25,2 %) ou dans le parc privé (24,1 %), sont significativement plus non inscrits que l’ensemble des répondants (17,2 %). De même, les répondants habitant depuis moins de 5 ans dans leur commune de résidence (28,7 %) sont significativement plus mal inscrits que l’ensemble des répondants inscrits (9,3 %) à l’inverse des propriétaires de leur logement (4,9 %). Toutefois, la faible part de répondants mobiles nous conduit à rester prudents : en effet, seuls 16 % des répondants habitent depuis moins de 5 ans dans leur commune actuelle et seuls 15,6 % des répondants n’ont aucun membre de leur entourage (ami ou famille) dans leur commune de résidence. De plus, les non inscrits se distinguent par un niveau de diplôme significativement plus faible (Pan Ké Shon, 2004) et les mal inscrits par leur plus jeune âge, ce qui est d’autant moins surprenant que la part des étudiants à Lille ou à Villeneuve d’Ascq est importante.

18S’agissant de la participation, les résultats du modèle multinomial soulignent tout d’abord le poids des variables sociales (Haute, 2020) : ainsi, les répondants n’ayant jamais été en emploi se sont significativement plus abstenus au premier tour des élections municipales de 2020. En matière d’ancrage local, c’est le statut d’occupation du logement qui apparaît comme le plus déterminant : les locataires dans le parc social (48,7 % des répondants) se sont significativement plus abstenus que les propriétaires (28,7 % des répondants) lors du premier tour de l’élection municipale de 2020 - alors même qu’ils sont déjà moins inscrits (voir supra). On retrouve ici la preuve d’un effet « patrimoine » (Le Hay, Sineau, 2010 ; Johnston et al., 2001). Le rapport au quartier semble également jouer : les répondants qui ne sont pas satisfaits du voisinage se sont significativement plus abstenu au premier tour des élections municipales de 2020 (50,8 %) que l’ensemble des répondants (34 %).

19Les liens entre l’ancrage local des électeurs et leur participation électorale sont donc doubles. D’une part, une faible ancienneté résidentielle dans la commune va de pair avec une non inscription et une mal inscription plus importantes, - cette dernière étant un facteur d’abstention. D’autre part, du moins pour les scrutins locaux, un rapport positif au quartier s’accompagne d’une surmobilisation électorale. Cependant le poids du statut d’occupation du logement, que ce soit en matière d’inscription ou de participation, suggère une forte imbrication entre l’ancrage local des électeurs et leurs caractéristiques sociales.

20L’observation de la participation électorale dans les cinq groupes de bureaux de vote précédemment dégagés (voir tableau 2) souligne à ce titre elle aussi la diversité des articulations entre ancrage local et participation électorale. Dans certains territoires populaires, notamment ceux dans lesquels la proportion de locataires dans le parc social est importante, l’ancrage local est synonyme de relégation sociale et d’assignation à résidence des classes populaires (Vignon, 2016). En témoigne une plus forte insatisfaction vis-à-vis du voisinage (voir figure 3), quoique toujours minoritaire. Cela produit inévitablement de la démobilisation électorale, en particulier lors des scrutins locaux pour lesquels le vote n’est plus perçu comme un moyen de « voice ». Ainsi la participation dans les bureaux de vote du groupe D (bureaux populaires d’habitat social) est particulièrement faible : 24,4 % dans ce groupe contre 34,3 % à l’échelle de la MEL lors du premier tour des élections municipales de 2020. À l’inverse, c’est dans des espaces où la propriété du logement est la norme, l’ancienneté résidentielle importante et les classes supérieures davantage présentes (groupe A) qu’on observe une surmobilisation électorale : 39,2 % de participation dans ce groupe lors du premier tour des élections municipales de 2020 contre 34 % à l’échelle de la MEL.

Tableau 2

Participation électorale dans les différents groupes de bureaux de vote de la MEL

Municipales 2020
(tour 1)
Européennes 2019Présidentielle 2017
(tour 1)
Bureaux des classes moyennes et supérieures âgées et ancrées (A)39,253,781
Bureaux des classes moyennes et populaires stabilisées ancrées (B)35,148,177,2
Bureaux des classes supérieures, mixtes et mobiles (C)33,745,975,3
Bureaux populaires d’habitat social (D)24,435,765,7
Bureaux mixtes mobiles (E)3345,874,3
Ensemble des bureaux34,347,576

Participation électorale dans les différents groupes de bureaux de vote de la MEL

Champ : bureaux de vote des communes de la MEL (n=730).
Source : Ministère de l’Intérieur, 2017, 2019, 2020 ; INSEE, 2016.

Fort ancrage et vote à l’extrême-droite, une relation à nuancer

21Il est par ailleurs intéressant d’étudier les liens entre ancrage local et orientation du vote et, en particulier, la relation positive, déjà suggérée par Annie Laurent (1997) dans le cas lillois, entre un fort ancrage local et un vote davantage orienté à l’extrême-droite. On remarque alors, à l’échelle des bureaux de vote, que, si on projette les résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2017 et des élections européennes de 2019 (en % des inscrits) en variables supplémentaires de l’ACP précédemment présentée (voir figure 1), le vote pour le RN aux élections européennes de 2019 semble associé à une ancienneté résidentielle plus importante. Au contraire, le constat est inverse concernant les votes en faveur de Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon en 2017. Si on reprend les catégories de bureaux de vote précédemment mises en évidence (voir tableau 3), on remarque que Marine Le Pen obtient, en 2017, ses moins bons résultats dans le groupe C (bureaux des classes supérieures, mixtes et mobiles), marqué par une prédominance de la gauche. De même, les résultats de la candidate du FN sont plus importants dans les groupes de bureaux où l’ancienneté résidentielle est la plus importante (groupes A et B), même si les différences avec les autres groupes sont plus ténues. Notre analyse semble donc confirmer, au niveau agrégé, une relation positive entre l’ancienneté résidentielle et les résultats de l’extrême-droite.

Tableau 3

Résultats du premier tour de l’élection présidentielle dans les différents groupes de bureaux de vote de la MEL

J.-L. MélenchonB. HamonE. MacronF. FillonM. Le Pen
Bureaux des classes moyennes et supérieures âgées et ancrées (A)13,34,318,619,517,1
Bureaux des classes moyennes et populaires stabilisées ancrées (B)15,94,717,114,317,3
Bureaux des classes supérieures, mixtes et mobiles (C)22,17,920,512,77
Bureaux populaires d’habitat social (D)21,75,311,85,115,5
Bureaux mixtes mobiles (E)17,15,317,213,714,1
Ensemble des bureaux16,85,217,314,315,2

Résultats du premier tour de l’élection présidentielle dans les différents groupes de bureaux de vote de la MEL

Champ : bureaux de vote des communes de la MEL (n=730).
Source : Ministère de l’Intérieur, 2017 ; INSEE, 2016.

22Au niveau individuel, si on projette les comportements de vote lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017 sur l’ACM précédemment réalisée [4], le vote en faveur de Marine Le Pen, tout comme celui en faveur de François Fillon et Emmanuel Macron, semblent plutôt se projeter à l’opposé de la mobilité résidentielle, - à l’inverse de l’abstention et du vote pour Jean-Luc Mélenchon (voir figure 4). Cependant, à la lecture du modèle multinomial réalisé (voir encadré 2 et tableau 4), l’ancienneté résidentielle ou la présence de l’entourage n’ont pas de liens significatifs avec l’orientation du vote, contrairement au statut d’occupation du logement et au rapport au quartier. Alors que les caractéristiques sociales (âge, niveau de diplôme, précarité de l’emploi) semblent significativement associées à des comportements électoraux spécifiques, on constate que les propriétaires votent significativement moins pour la gauche, preuve d’un effet patrimoine persistant (Le Hay, Sineau, 2010 ; Johnston et al., 2001). Par ailleurs, les répondants insatisfaits vis-à-vis du voisinage ont significativement plus voté pour Marine Le Pen (23,9 %) que les répondants satisfaits vis-à-vis du voisinage (11,1 %). Cette relation entre insatisfaction vis-à-vis du voisinage et vote à l’extrême-droite pourrait s’expliquer, dans certains espaces sociaux, par une volonté de différenciation vis-à-vis d’un milieu social local rejeté (Laurent, 1997, p. 347 ; Agrikoliansky et al., 2019). Comme le montre l’ACM, l’insatisfaction vis-à-vis du voisinage, si elle est très minoritaire, est plus répandue parmi les répondants locataires dans le parc social (voir figure 4). Pour autant, le fait de ne pas avoir choisi son quartier de résidence ou de l’avoir choisi pour des raisons économiques ne semble pas associé à un vote davantage orienté à l’extrême-droite.

Figure 4

Espace des ancrages locaux des répondants inscrits en 2017

Figure 4

Espace des ancrages locaux des répondants inscrits en 2017

Champ : répondants ayant pu voter au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 (n=631)
N. B. Pour garantir la lisibilité, les modalités des variables illustratives trop proches du centre du plan factoriel ont été masquées.
Source : PELMEL, 2020

23Dès lors, l’équation entre un fort ancrage local et un vote davantage orienté à l’extrême-droite se doit d’être nuancée. Les différences observées au niveau agrégé semblent ainsi bien plus liées au profil social et au rapport au quartier des résidents qu’à leur seule ancienneté résidentielle, comme le confirment nos données au niveau individuel. Le vote à l’extrême-droite étant associé à une insatisfaction plus importante vis-à-vis du voisinage, il constituerait une pratique de « voice » faute de possibilité « d’exit ».

Tableau 4

Rapports de chance issus du modèle de régression multinomial (vote à la présidentielle de 2017)

Tableau 4
Variable Modalité Abstention Mélenchon J.-L. Hamon B. Macron E. Fillon F. Le M. Pen Sexe Homme 21,9 (ref) 20,9 (ref) 3,7 (ref) 16,7 (ref) 15,7 (ref) 12,1 (ref) Femme 18,8 (ns) 14,1 (ns) 7,5 (1,99**) 14,5 (ref) 12 (ns) 13,9 (ns) Âge Moins de 30 ans 28,9 (ns) 23,8 (ns) 3,7 (ns) 12,8 (ref) 7,9 (0,27**) 8,5 (ns) 30 à 44 ans 21,9 (ns) 17 (ns) 5,5 (ns) 14,2 (ref) 11,9 (ns) 13,5 (ns) 45 à 59 ans 18,4 (ref) 16,5 (ref) 6,2 (ref) 15,7 (ref) 14,8 (ref) 16,3 (ref) 60 ans ou plus 13,9 (ns) 13,1 (ns) 7,2 (ns) 18,4 (ref) 18,5 (ns) 12,6 (ns) Niveau de diplôme Inférieur au baccalauréat 28,9 (2,18*) 17,7 (ns) 5,2 (ns) 11,8 (ref) 5,9 (ns) 17,4 (ns) Baccalauréat 20,2 (ref) 16,5 (ref) 6,1 (ref) 16,8 (ref) 11,3 (ref) 13,6 (ref) Supérieur au baccalauréat 7,7 (0,30***) 16 (ns) 6,7 (ns) 20 (ref) 25,7 (2,45*) 6,8 (0,41**) Type d’emploi (actuel ou dernier emploi exercé) Indépendant 24,9 (3,35**) 5,2 (ns) 9,9 (3,75*) 22,5 (ref) 11,9 (ns) 17,4 (ns) Salarié en contrat stable 15,7 (ref) 16,7 (ref) 4,9 (ref) 17,4 (ref) 15,9 (ref) 13,6 (ref) Salarié en contrat précaire 26,6 (ns) (24,1 2,45**) 7 (2,46**) 9,7 (ref) 6,9 (0,46*) 13,4 (ns) N’a jamais été en emploi 42 (ns) 14,5 (ns) 8,1 (ns) 5,6 (ref) 9,1 (7,20***) 4,2 (ns) Statut d’occupation du logement Propriétaire 7,3 (0,12***) (15,3 0,28***) 4,5 (0,22***) 21,2 (ref) 21,4 (ns) 14,6 (ns) Locataire privé dans le parc 25,8 (ref) 21 (ref) 8,5 (ref) 9,8 (ref) 9,2 (ref) 8,1 (ref) Locataire social dans le parc 40,6 (ns) 19 (ns) 7,7 (ns) 9,5 (ref) 0 (0***) 12,6 (ns) Réside depuis moins de 5 ans dans sa commune Non 18,2 (ref) 16,6 (ref) 6,4 (ref) 16,4 (ref) 14,3 (ref) 13,9 (ref) Oui 30,4 (ns) 19,4 (2,34**) 3 (ns) 10,1 (ref) 10,5 (ns) 8,9 (ns) N’a pas de membre de son entourage dans sa commune Non 18,7 (ref) 17,9 (ref) 5,4 (ref) 16,4 (ref) 14,3 (ref) 13,7 (ref) Oui 28,1 (ns) 12,9 (ns) 8,3 (2,09*) 10,5 (ref) 10,1 (ns) 9,9 (ns) Satisfaction vis-à-vis du voisinage Plutôt satisfait pas ou pas du tout 23,4 (ref) 17,6 (ref) 3,8 (ref) 7,5 (ref) 10,7 (ref) 23,9 (ref) Plutôt satisfait ou tout à fait 19,6 (ns) 17 (ns) 6,2 (ns) 16,9 (ref) 14,2 (0,34*) (11,1 0,39**) Le quartier n’est pas un choix ou a été choisi pour des raisons économiques Non 22,1 (ref) 13,8 (ref) 6,1 (ref) 16,7 (ref) 15,5 (ref) 12,4 (ref) Oui 14,8 (ns) 26,1 (1,79*) 5 (ns) 11,9 (ref) 8,6 (ns) 15 (ns) Ensemble 20,2 17,1 5,8 15,4 13,7 13,1

Rapports de chance issus du modèle de régression multinomial (vote à la présidentielle de 2017)

Champ : répondants ayant pu voter au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 (n=631)
N. B. *** : significatif au seuil de 1 % ; ** : significatif au seuil de 5 % ; * : significatif au seuil de 10 % ; ns : non significatif ; ref : modalité de référence ; PseudoR2=0,12 ; les rapports de chance pour les autres comportements de vote ne sont pas présentés ici ; la modalité « autres situations de logement » a été masquée en raison du faible effectif de répondants concernés.
Source : enquête PELMEL, 2020

Conclusion

24Croisant des résultats aux niveaux individuel et agrégé, cet article réinterroge les liens entre ancrage local et vote à partir du cas de la métropole lilloise, tant en termes de participation que de choix électoral. Dans la continuité d’autres travaux, nos conclusions invitent à dépasser l’association mécanique entre implantation locale et surmobilisation des électeurs (Vignon, 2016) ou encore entre fort ancrage local et vote à l’extrême-droite.

25Cet article démontre tout d’abord qu’il est nécessaire de décortiquer tant la notion de mobilisation électorale (en tenant compte de la participation mais aussi de la non et de la mal inscription), que celle d’ancrage local. Ainsi, l’ancienneté résidentielle ou encore la présence de l’entourage à proximité n’ont pas de lien significatif avec la participation électorale et l’orientation du vote. En revanche, le statut d’occupation du logement et le rapport au quartier ont un rôle beaucoup plus central : plus participants, les propriétaires votent aussi significativement moins pour la gauche alors que les répondants insatisfaits vis-à-vis du voisinage semblent moins se mobiliser aux scrutins locaux et davantage porter leurs suffrages sur l’extrême-droite. Cependant, si l’ancrage local des électeurs est en partie associé à des comportements de vote différenciés, le rôle des caractéristiques sociales des électeurs (âge, niveau de diplôme et statut d’emploi) demeure prépondérant. L’importance de ces caractéristiques sociales vient d’ailleurs complexifier l’analyse des liens entre l’ancrage local et les comportements électoraux. En effet, il semble que c’est moins un fort ancrage en soi que sa combinaison avec une appartenance aux classes supérieures qui favorise la participation électorale alors que, au sein des classes populaires, un fort ancrage local peut aller de pair avec une démobilisation électorale des citoyens.

26Cet article n’est cependant pas exempt de limites : il est toujours difficile d’analyser simultanément des données individuelles et agrégées et nos données au niveau individuel souffrent de nombreuses limites. Néanmoins, des tendances se dessinent et il conviendra de les étudier sur le temps long, y compris à partir de matériaux plus qualitatifs. En effet, les recompositions tant sociales que politiques à l’œuvre dans les territoires étudiés et leurs effets sur la relation entre ancrage local et vote pourraient constituer un « point d’ancrage » intéressant de la littérature dédiée au cours des années à venir. Le choix de l’analyse localisée de la métropole lilloise prendra alors tout son sens.

Références / References

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  • Vignon S. (2021), « Vers une dé-singularisation tendancielle des communes rurales en matière de participation électorale ? Le cas des élections municipales en Picardie », in Vignon S., Granger C., Le Gall L. (dir.), Voter au village, Lille, Presses universitaires du Septentrion.

Mots-clés éditeurs : mal inscription, logement, non inscription, vote, ancrage local

Date de mise en ligne : 09/02/2022

https://doi.org/10.3917/psud.056.0079

Notes

  • [1]
    Reprenant ici la typologie proposée par Albert O. Hirschman (1970).
  • [2]
    L’enquête a été financée par le CERAPS (Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales, CNRS / Université de Lille / Sciences Po Lille) et ESPOL (European School of Political and Social Sciences, Université Catholique de Lille). L’échantillon a été fourni par Dynata France. L’équipe de recherche est composée des auteurs du présent article ainsi que de François Briatte, Camille Kelbel et Giulia Sandri.
  • [3]
    Lille compte moins de 240 000 habitants et ne pèse donc que pour 20 % dans l’agglomération.
  • [4]
    Nous avons limité l’ACM aux seuls répondants pouvant voter et se souvenant avoir voté en 2017 (n=631), ce qui ne modifie pas la structure de l’ACM, les deux premiers axes décrivant respectivement 21,8 % et 17,3 % de la variance totale.

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