Poétique 2018/1 n° 183

Couverture de POETI_183

Article de revue

Poésie surréaliste, conte et comptine

Le poème 27 de Poisson soluble

Pages 109 à 120

Notes

  • [1]
    André Breton, Poisson soluble, Paris, Gallimard, « Poésie », 1996 [1924], p. 105-106.
  • [2]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », Poétique, no 16, 1973, p. 499-520 ; Jean-Michel Adam, Linguistique et discours littéraire, Paris, Larousse, 1976, p. 176-182 ; Michaël Riffaterre, La Production du texte, Paris, Seuil, « Poétique », 1979, p. 86-88.
  • [3]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 501.
  • [4]
    Michaël Riffaterre, La Production du texte, op. cit., p. 88.
  • [5]
    Ibid., p. 87.
  • [6]
    Pour Riffaterre, l’anagramme ouvre cependant sur un « vide sémantique » : le poème surdétermine un « déni de référentialité » en accumulant les signes de la fiction qui s’autodésigne dans le refrain, dans la formule « il y avait une fois » et dans l’expression latente le dindon de la fable. Dès lors, « le lecteur doit renoncer à décoder le texte comme un récit caractérisé par la successivité et des relations hypotactiques de cause à effet ». Tout le texte ne fait, selon lui, que répéter le « sème fiction » qui s’inscrit dans un « processus de négativation du référent » (ibid., p. 87-88). Selon moi, la question de la référentialité n’est pas l’enjeu central de cette historiette, qui, à l’évidence, ne met pas en place un univers régi par des règles de la vraisemblance et de la réalité, ce qui ne l’empêche pas d’être motivée par des logiques culturelles.
  • [7]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 501.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Ibid., p. 503.
  • [10]
    Ibid., p. 504.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    Ibid., p. 505.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Jean-Michel Adam, Linguistique et discours littéraire, op. cit., p. 178.
  • [15]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 507.
  • [16]
    Ibid., p. 508.
  • [17]
    Ibid., p. 509.
  • [18]
    Ibid., p. 510.
  • [19]
    Jean-Michel Adam, Linguistique et discours littéraire, op. cit., p. 180.
  • [20]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 504.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Arnold Van Gennep, cité par Jean Baucomont, Comptines de langue française, Paris, Seghers, 1961, p. 121.
  • [23]
    Michèle Simonsen, « Les randonnées (contes énumératifs). Entre récits, virelangues et facéties », Studies in Oral Folk Literature, no 2, 2013, p. 190.
  • [24]
    Jean-Michel Adam, Linguistique et discours littéraire, op. cit., p. 180.
  • [25]
    On ne peut pas dès lors affirmer, comme le fait Jenny, que, dans la lexie, « le prêtre chantait dans la moule, la moule chantait dans le rocher […] », « la solution adoptée consiste à poser un prédicat arbitraire (chantait dans) et à le compléter en série avec des thèmes pour la plupart repris au récit » (« La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 509).
  • [26]
    Voir Lothaire Mabru, « Musique et enfance. La chanson énumérative », Cahiers de littérature orale, no 33, 1993, p. 111-133 ; Conrad Laforte, « La chanson de tradition orale, patrimoine poétique et musical », Les Cahiers de l’association pour l’avancement de la recherche en musique au Québec, no 16, 1995, p. 53-64 ; Madeleine Béland, « Les chansons énumératives », Musicultures, vol. 5, 1977, p. 49-56, en ligne : https://journals.lib.unb.ca/index.php/MC/article/view/21865/25354.
  • [27]
    Pour Cyril Bagros, les « objets sont alors traités selon un mouvement de rangement du plus petit dans le plus grand, qui évoque quelque remballage des éléments du décor à la fin d’une représentation théâtrale » (L’Espace surréaliste. Promenade en zone interdite, Paris, Phénix éditions, « Les Pas perdus », 2003, p. 243). Si l’interprétation s’avère intéressante (le dindon sur une scène fort éclairée doit « émouvoir » le passant), la comptine-randonnée s’inscrit davantage dans la logique générique du conte qui donne la structure au texte de Breton.
  • [28]
    Comme le chapeau contient la méduse, la lexie « chantée » contient les éléments importants du texte.
  • [29]
    Paul Eluard, « Dans Paris », Œuvres complètes, vol. 2, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, p. 565.
  • [30]
    Josiane Bru, « Le repérage et la typologie des contes populaires. Pourquoi ? Comment ? », Bulletin de liaison des adhérents de l’AFAS, n° 14, automne 1999, en ligne : https://afas.revues.org/319.
  • [31]
    Jean-Noël Pelen, « La littérature orale enfantine en domaine occitan », Cahiers de littérature orale, no 33, 1993, p. 36.
  • [32]
    Michèle Simonsen, « Les randonnées (contes énumératifs). Entre récits, virelangues et facéties », art. cité, p. 192.
  • [33]
    Pierre Lartigue, Une cantine de comptines, Paris, Les Belles Lettres, 2001, p. 14.
  • [34]
    Ibid., p. 133 sqq.
  • [35]
    Eugène Rolland, Rimes et jeux de l’enfance, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002 [1883]. Mentionnons également le livre d’Achille Montel et Louis Lambert, Chants populaires du Languedoc, Paris, Maisonneuve, 1880.
  • [36]
    La première publication des Comptines de langue française, recueillies et commentées par Jean Baucomont, Frank Guibat, Tante Lucile, Roger Pinon et Philippe Soupault, a lieu en 1961. Soulignons aussi le livre de Jean et Henriette Château, Brindilles : comptines glanées par nos villes et nos campagnes, Paris, Bourrelier, 1950. Plus récemment, voir Conrad Laforte, Le Catalogue de la chanson folklorique française, t. V : « Chansons brèves (les enfantines) », Québec, Les Presses de l’Université Laval, « Archives de folklore », 1987 [1977].
  • [37]
    Les Cent Comptines de Pierre Roy sont publiées en 1926, mais la préface est datée de 1922 (Paris, H. Jonquières et Cie, 1926). La collecte de Roy avait été annoncée par Apollinaire dès 1914.
  • [38]
    Cité par Claude Allemand-Cosmeau, Pierre Roy. Nantes, 1880-Milan, 1950, Nantes, Musée des Beaux-Arts de Nantes et Somogy éditions d’art, 1995, p. 23.
  • [39]
    Sur cet auteur et son lien avec les « nursery rhymes, les berceuses et comptines, les chansons du folklore, les cris de Paris et litanies proverbiales », voir Marie-Paule Berranger, « Fêtes de l’impatience. Les chansons de Philippe Soupault », Europe, no 769, 1er mai, 1993, p. 36-49. Voir aussi plus généralement sur le lien entre la poésie surréaliste et la comptine, Marie-Paule Berranger, « L’enfance de l’art », Les genres mineurs dans la poésie moderne, Paris, PUF, « Perspectives littéraires », 2004, p. 87-144, et Renée Balibar, Les Français fictifs. Le rapport des styles littéraires au français national, Paris, Hachette, « Analyse », 1990, p. 119-228.
  • [40]
    Citée par Jean Baucomont, Comptines de langue française, op. cit., p. 80.
  • [41]
    Ibid., p. 95.
  • [42]
    Ibid., p. 23.
  • [43]
    Paul Eluard, Les sentiers et les routes de la poésie, in Œuvres complètes, op. cit., p. 565.
  • [44]
    André Breton, « Silence d’or », La Clé des champs, Paris, Pauvert, 1967, p. 95.
  • [45]
    André Breton, Manifeste du surréalisme (1924), Œuvres complètes, op. cit., p. 331 et p. 340.
  • [46]
    Daniel Fabre, « “C’est de l’art !” : le peuple, le primitif, l’enfant », Gradhiva, no 9, « Arts de l’enfance, enfances de l’art », 2009, en ligne : https://gradhiva.revues.org/1343.
  • [47]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 501.
  • [48]
    Il s’agit en somme d’une version dindonnière de la voie initiatique des oiseaux (voir Daniel Fabre, « La voie des oiseaux. Sur quelques récits d’apprentissage », L’Homme, no 99, 1986, p. 7-40).
  • [49]
    Sur la méduse, voir Jean-Pierre Vernant, La Mort dans les yeux, Paris, Hachette, « Pluriel », 1998 ; Pascal Quignard, Le Sexe et l’effroi, Paris, Gallimard, « Folio », 1996.
  • [50]
    Jean-Noël Pelen, « La littérature orale enfantine en domaine occitan », art. cité, p. 33.
  • [51]
    D’ailleurs, plusieurs motifs de la transformation apparaissent dans le texte : le papillon, l’enterrement (mort symbolique), la moule (sortir de sa coquille), le dindon qui se métamorphose en chapeau et ensuite en méduse.
  • [52]
    Voir Jean-Michel Adam (Linguistique et discours littéraire, op. cit., p. 181) et Laurent Jenny (« La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 503-505). Voir plus haut pour la démonstration du « fonctionnement » surréaliste et analogique du texte.
  • [53]
    Il s’agit ici de la figure de l’anadiplose, qui est ce procédé rhétorique par lequel le dernier mot d’une proposition ou expression est utilisé comme premier mot de la deuxième proposition (___A, A___B, B___C, C___D). Ce procédé est d’ailleurs mentionné par Breton dans le Manifeste pour expliquer le mode langagier de certains malades mentaux : « celui-ci [le malade], qui continue à répondre aux questions, se borne à s’emparer du dernier mot prononcé devant lui ou du dernier membre de phrase surréaliste dont il trouve trace dans son esprit : “Quel âge avec-vous ! – Vous” (Echolalie) » (André Breton, Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 336).
  • [54]
    La matrice, comme la définit Riffaterre, est un mot ou une phrase qui détermine la structure du poème : « la matrice est hypothétique, puisqu’elle est seulement l’actualisation grammaticale et lexicale d’une structure latente. […] Elle est toujours actualisée par des variants successifs […]. » (Sémiotique de la poésie, Paris, Seuil, « Poétique », 1983, p. 33). Le théoricien affirme que « la véritable signifiance du texte réside dans la cohérence de ses références de forme à forme et dans le fait que le texte répète ce dont il parle, en dépit de variations continues dans la manière de dire » (La Production du texte, op. cit., p. 76). Mais contrairement à Riffaterre pour qui les textes ne renvoient qu’à d’autres textes (et pour qui les matrices sont fortement textualisées), l’ethnocritique fait l’hypothèse d’une interdiscursivité culturelle : le texte littéraire – et le poème n’y échappe pas – est en dialogue non seulement avec des textes, mais avec des discours, des genres, des formes langagières, des pratiques et des usages. Bref, il est en relation avec l’ensemble des systèmes symboliques de sa culture.
  • [55]
    Michaël Riffaterre, La Production du texte, op. cit., p. 86.

1En 1924, André Breton publie Poisson soluble. Constitué de trente et une historiettes poétiques, ce recueil au cadre générique flou est surtout connu pour le célèbre paratexte intitulé le premier Manifeste du surréalisme qui initialement l’accompagnait. Le poème 27 a tout de même retenu l’attention de la théorie littéraire :

Il y avait une fois un dindon sur une digue. Ce dindon n’avait plus que quelques jours à s’allumer au grand soleil et il se regardait avec mystère dans une glace de Venise disposée à cet effet sur la digue. C’est ici qu’intervient la main de l’homme, cette fleur des champs dont vous n’êtes pas sans avoir entendu parler. Le dindon, qui répondait au nom de Troisétoiles, en manière de plaisanterie, ne savait plus où donner de la tête. Chacun sait que la tête des dindons est un prisme à sept ou huit faces tout comme le chapeau haut de forme est un prisme à sept ou huit reflets.
Le chapeau haut de forme se balançait sur la digue à la façon d’une moule énorme qui chante sur un rocher. La digue n’avait aucune raison d’être depuis que la mer s’était retirée, avec force ce matin-là. Le port était, d’ailleurs, éclairé tout entier par une lampe à arc de la grandeur d’un enfant qui va à l’école.
Le dindon se sentait perdu s’il n’arrivait pas à émouvoir ce passant. L’enfant vit le chapeau haut de forme et, comme il avait faim, il entreprit de le vider de son contenu, en l’espèce une belle méduse à bec papillon. Les papillons peuvent-ils être assimilés à des lumières ? Evidemment ; c’est pourquoi l’enterrement s’arrêta sur la digue. Le prêtre chantait dans la moule, la moule chantait dans le rocher, le rocher chantait dans la mer et la mer chantait dans la mer.
Aussi le dindon est-il resté sur la digue et depuis ce jour fait-il peur à l’enfant qui va à l’école [1].
Laurent Jenny, dans la revue Poétique, Jean-Michel Adam, dans Linguistique et discours littéraire, et Michaël Riffaterre, dans La Production du texte, ont proposé des lectures brillantes de ce poème en prose [2]. Dans l’ensemble, ces trois critiques analysent les « surprises », les passages « inintelligibles », les écarts, que Jenny appelle les « indices de la surréalité » et que Riffaterre nomme les « agrammaticalités sémantiques ». C’est d’un point de vue ethnocritique que je reprendrai la question en l’orientant vers l’étude du mode d’engendrement culturel du poème : on verra que, loin d’être totalement arbitraires, les signes de la surréalité activent des effets de culture et réactivent des imaginaires langagiers, qui font partie de la trame sociale de l’époque surréaliste.

Le fonctionnement du texte surréaliste

2Avant d’entreprendre l’étude ethnocritique du poème, je résumerai, en la commentant et en ajoutant certaines informations, l’incontournable explication de texte qu’a réalisée Laurent Jenny. Celle-ci est nécessaire à la compréhension minimale du poème-récit.

3– Il y avait une fois un dindon sur une digue. Agissant comme un embrayeur générique qui désigne l’univers du conte ou de la fable, donc comme un « souvenir culturel [3] », la tournure impersonnelle « il y avait une fois » déclenche une histoire dont le héros est un dindon. Plus précisément, le segment « il y avait une fois un dindon » noue une relation intergénérique avec la locution idiomatique « le dindon de la fable », locution plus connue sous sa forme moderne de « dindon de la farce », qui renvoie à l’hypotexte de la fable de Florian « Le singe qui montre la lanterne magique » (1792) [4]. A cette interdiscursivité fabuleuse s’ajoute une « espèce d’anagramme » cernée par Riffaterre dans « dindon sur la digue » ; syntagme qui, une fois lu à l’envers, sonne comme le diguedindon « refrain bien connu des comptines [5] » et comme l’onomatopée des cloches (qu’on peut entendre, par exemple, dans la célèbre berceuse française « Frère Jacques » : « Sonnez les matines ! Ding daing dong [6] »). Cette première phrase annonce que ce récit surréaliste est tributaire d’un collage de « matrices narratives empruntées [7] » à la culture orale.

4Ce dindon n’avait plus que quelques jours à s’allumer au grand soleil et il se regardait avec mystère dans une glace de Venise disposée à cet effet sur la digue. La seconde phrase est une expansion de la première : entre le « dindon » et la « digue » de la phrase 2 s’intègrent des informations sur la nature du héros qui, apprend-on, est en train de « s’allumer au grand soleil ». Retrouvant un « lieu commun du conte », celui de « l’animal devenu vieux », ce segment renforce le cadre narratif et générique du conte activé dans l’incipit [8].

5C’est ici qu’intervient la main de l’homme, cette fleur des champ dont vous n’êtes pas sans avoir entendu parler. Le discours métalinguistique, l’« arbitraire difficilement admissible » de la métaphore « main de l’homme = fleur des champs » produit une « rupture importante [avec le] modèle du conte » initié dans les deux premiers énoncés [9]. De plus, le poème embraye un « code gnomique », une référence à un savoir apparemment partagé entre le lecteur et le narrateur [10]. Or, il s’agit d’une fausse connivence, car la « main de l’homme » (qui n’est pas la « main de Dieu ») « n’éveille aucun souvenir particulier chez le lecteur, contrairement à ce qu’il adviendrait si la référence était à quelque mythique ogre ou fée aux attributs et qualifications bien connues [11] » : le bon sens de la sagesse populaire devient du non-sens.

6Le dindon qui répondait au nom de Troisétoiles, en manière de plaisanterie, ne savait plus où donner de la tête. Chacun sait que la tête des dindons est un prisme à sept ou huit faces tout comme le chapeau haut de forme est un prisme à sept ou huit reflets. Le texte active une blague d’initiés : outre que la moquerie et le sobriquet supposent une communauté et apposent une identité au dindon, ils permettent une réactualisation de la locution être le dindon de la farce – la farce et la plaisanterie forment bien un paradigme ; mais, absentes du poème, elles sont imperceptibles pour le lecteur qui est en quelque sorte lui aussi le dindon de la farce. La locution farcesque se combine à l’expression ne plus savoir où donner de la tête. De même, plusieurs agrammaticalités sémantiques organisent ce segment qui véhicule encore une fois l’illusion d’une connaissance collective (« chacun sait »), qui fait montre d’une « liberté analogique [12] » (la tête du dindon comparée à un prisme lui-même comparé à un chapeau) et surtout, selon moi, qui agit comme une parodie d’un énoncé didactique : « la tête du dindon est un prisme à sept ou huit reflets ». Cette phrase informationnelle, on pourrait la retrouver, sous une autre forme, dans un manuel scolaire (elle est en lien avec l’écolier). Le poème évidemment la dénature en la rendant imprécise. A la culture orale s’ajoute une culture écrite.

7– Le chapeau haut de forme se balançait sur la digue à la façon d’une moule énorme qui chante sur un rocher. Cette lexie constitue un ébranlement du récit, une confusion des plans de sens, et, à ce titre, Jenny remarque que les éléments du plan métaphorique ont tendance à passer dans le plan littéral [13]. Ainsi, le « chapeau » engendré par l’analogie dans la phrase précédente – la tête du dindon (le comparé) est comme un chapeau (le comparant) – « devient l’objet de l’énoncé suivant [14] ». Transitant de la comparaison à l’univers de la diégèse poétique, le « chapeau » est pris au pied de la lettre. Le langage figuré donne magiquement la vie. Et le texte de surcroît ajoute à l’insolubilité en substituant le chapeau au dindon. En fait, le chapeau et le dindon forment les deux faces réversibles de la comparaison.

8– La digue n’avait aucune raison d’être depuis que la mer s’était retirée, avec force ce matin-là. Le port était, d’ailleurs, éclairé tout entier par une lampe à arc de la grandeur d’un enfant qui va à l’école. Outre que le récit met à mal son décor, il se sert aussi d’une comparaison arbitraire : le comparant de « la grandeur d’un enfant qui va à l’école » n’est pas une unité précise de mesure [15]. Par ailleurs, « la lampe à arc » s’allie au « grand soleil », au « bec papillon » et aux « lumières » pour former un paradigme de l’éclairage, suggérant une autre manière de voir le monde et les mots.

9– Le dindon se sentait perdu s’il n’arrivait pas à émouvoir ce passant. L’enfant vit le chapeau haut de forme, et comme il avait faim, il entreprit de le vider de son contenu, en l’espèce une belle méduse à bec papillon. Réapparaît ici l’imaginaire du conte : le dindon doit accomplir une épreuve, durant laquelle il est tenu d’affronter un passant (qui, le lecteur peut le supposer, est l’enfant qui s’en va à l’école) [16]. Or, subitement, le chapeau remplace, sans raison apparente, le dindon ; et l’enfant s’introduit dans le récit – comme le chapeau dans le paragraphe précédent – par un transfert du plan métaphorique au plan littéral. De comparant à la lampe, l’enfant se transforme en actant de l’historiette.

10– Les papillons peuvent-ils être assimilés à des lumières ? Evidemment ; c’est pourquoi l’enterrement s’arrêta sur la digue. Les papillons intègrent le récit de la même façon que le chapeau et l’enfant : de qualificatif servant à caractériser la méduse, le papillon se multiplie et devient sujet de la phrase suivante. En plus, ces deux lexies forment un cadavre exquis qui « permet d’introduire des éléments inattendus dans la représentation [17] » : ici l’enterrement (le terme implicite « cadavre exquis » engendre la procession funéraire). Apparaît à la fin le retour de la « digue » qui annonce l’énoncé subséquent.

11– Le prêtre chantait dans la moule, la moule chantait dans le rocher, le rocher chantait dans la mer et la mer chantait dans la mer. / Aussi le dindon est-il resté sur la digue et depuis ce jour fait-il peur à l’enfant qui va à l’école. Le poème se clôt sur une récapitulation d’un certain nombre de mots importants qui l’ont constitué (le dindon, l’enfant, la digue, la mer). Laurent Jenny conclut : « [Le résumé] autorise l’esquisse d’une conclusion à cette historiette dont l’articulation sémantique nous sera restée étrangère de bout en bout [18]. » De son côté, Jean-Michel Adam suggère que « la tautologie finale est celle des mots, de leur gratuité » et « ne reste que la logique déceptive d’un texte qui s’achève sur une reprise des actants du conte et des formules-types [19] ». Peut-on réellement affirmer que le sens reste étranger, déceptif, gratuit ? Le récit poétique mobilise pourtant des logiques culturelles structurantes : il emprunte au conte non seulement sa matrice de l’initiation, de la métamorphose, du passage, mais également ses procédés formels, structurels et son matériel verbal.

L’engendrement culturel du poème

12Le texte de Breton commence comme un conte ; ce fait est souligné par Jenny et Riffaterre. Or ni l’un ni l’autre n’étudient réellement les logiques du conte à l’œuvre dans ce poème ; leur postulat est plutôt de démontrer comment celui-ci s’en écarte. Jenny mentionne « une certaine permanence de la structure narrative du conte », mais qui est « traversée d’éléments thématiques qui lui sont parfaitement étrangers [20] ». Pour lui, il y a un décalage insurmontable entre la forme du récit (celle du conte) et la « substance sémantique qui ne répond pas aux promesses de ces signaux formels [21] ». De mon côté, je voudrais expliquer en quoi ce poème surréaliste s’apparente, plus que ne le croient Jenny et Riffaterre, au conte. Non seulement la première phrase s’inscrit directement dans ce cadre générique, mais le dernier énoncé est lui aussi une variation sur la forme culturelle reconnaissable du conte étiologique : « et depuis ce jour » le dindon fait peur à l’enfant ; suggérant que ce qui précède est une explication de la relation entre l’enfant et le dindon. Ce texte déploie un réseau signifiant de canevas liés au folklore enfantin : outre la chansonnette initiale (le fameux ding daing dong) et le conte étiologique final, il médiatise des motifs du conte animalier (le dindon comme héros), de la fable (le dindon de la fable), du conte facétieux (le dindon-idiot de la farce). Aussi, remarquons la surprésence de chiffres : une fois, un dindon, une digue, Troisétoiles, sept ou huit faces, sept ou huit reflets, une moule, un rocher, une lampe, un enfant. Ces chiffres convoquent, en les déformant, les procédés rhétoriques de la comptine numérique (« comptine » vient de « compter »). On pourrait ajouter la formule scolaire mentionnée précédemment (la tête d’un dindon possède « sept ou huit faces »), car Van Gennep rappelle que « dans maintes comptines ou formulettes subsistent des fragments de leçons » pédagogiques [22]. Enfin, une autre variation sur ces catégories génériques mobilisées par le poème se déploie sous la forme latente du conte-attrape, dont le but est de piéger le lecteur, de frustrer « l’auditeur dans son attente d’un vrai récit complet [23] », explorant facétieusement, comme l’historiette de Breton, les limites de la narration.

13Mais surtout, observons de plus près l’enchaînement des mots générateurs de la supposée « tautologie » finale [24] : « Le prêtre chantait dans la moule, la moule chantait dans le rocher, le rocher chantait dans la mer et la mer chantait dans la mer. » Ce segment poétique est construit comme un écho au dingdondaine initial, car il emprunte sa configuration à la même culture orale et enfantine : celle de la comptine, spécifiquement désignée et surdéterminée par le verbe « chanter » répété à cinq reprises dans le texte (on peut ajouter à ce dénombrement la « fleur des champs » qui est une homophonie du « chant ») [25]. Ce dernier pattern culturel motive l’organisation de ce récit surréaliste qui en effet mobilise une formulette sise à la jonction du chant et du conte. Ce qui apparaît ici, c’est un conte-randonnée que les folkloristes appellent également une comptine-randonnée, une chanson énumérative ou un conte en chaîne. Une randonnée est un conte court, souvent chanté, qui possède une structure où s’enchaînent des situations, des objets ou des personnages qui se répètent jusqu’au dénouement. Elle présente plusieurs types de raccords issus de la tradition orale : énumération, élimination, remplacement, emboîtement, toboggan. Le poème s’accommode des logiques cumulatives qui forment la notion clé dans le repérage et le classement des randonnées [26] : ainsi la séquence « [l]e prêtre chantait dans la moule, la moule chantait dans le rocher, le rocher chantait dans la mer » est une reprise des éléments du récit poétique [27] ; mais, en même temps, la longue phrase rythmée crée un effet d’enchâssement généré par la préposition « dans » (c’est le modèle des poupées russes). Chaque unité d’un syntagme en contient une autre [28] : « la moule chante dans le rocher, le rocher dans la mer », et ainsi de suite. Bref, le poème « entreprend de [s]e vider de son contenu ».

14On retrouve d’autres exemples dans la poésie surréaliste de poème-randonnées. Le plus connu est certainement « Dans Paris » d’Eluard :

15

Dans Paris il y a une rue ;
dans cette rue il y a une maison ;
dans cette maison il y a un escalier ;
dans cet escalier il y a une chambre ;
dans cette chambre il y a une table ;
sur cette table il y a un tapis ;
sur ce tapis il y a une cage ;
dans cette cage il y a un nid ;
dans ce nid il y a un œuf ;
dans cet œuf il y a un oiseau.
L’oiseau renversa l’œuf ;
l’œuf renversa le nid ;
le nid renversa la cage ;
la cage renversa le tapis ;
le tapis renversa la table ;
la table renversa la chambre ;
la chambre renversa l’escalier ;
l’escalier renversa la maison
la maison renversa la rue ;
la rue renversa la ville de Paris [29].

16Comme on le voit dans ce poème éluardien, les contes en chaîne sont « des enchaînements à la fois rigides et poétiques, qui, après un périple, nous ramènent au point de départ afin que tout rentre dans l’ordre [30] ». La randonnée crée des effets d’engrenage et d’enroulement de la narration sur elle-même ; effets que se réapproprie le texte de Breton. Les spécialistes du folklore des enfants s’accordent pour dire que les randonnées ont pour fonction d’ordonner le monde, de proposer des logiques classificatoires et des manières d’appréhender les rapports de proximité, de ressemblance, de dissemblance, d’inclusion, de causalité [31]. En somme, il s’agit d’une manipulation verbale ritualisée de l’univers, et d’une « initiation à la maîtrise du récit [32] » et aux « jeux verbaux [et aux] courses acrobatiques à travers le langage [33] ».

17Ce poème en prose est donc une variation sur la comptine, dont une vaste collecte a précisément été faite au début du xxe siècle. En effet, en 1931-1932, Le Manuel général de l’Instruction publique inaugure une enquête sur les jeux et les formulettes des sociétés enfantines. Plus de cinq mille chansonnettes seront archivées par les maîtres et maîtresses d’école [34]. Ces activités ludiques et poétiques, appartenant à une culture orale, avaient déjà à la fin du xixe siècle fait l’objet d’un premier inventaire par le folkloriste Eugène Rolland dans son livre Rimes et jeux de l’enfance publié en 1883 [35]. La collecte la plus connue survient autour de 1957 à l’initiative du poète surréaliste Philippe Soupault qui anime à la Radiodiffusion française une émission consacrée aux comptines ; huit mille textes seront recueillis, et une sélection paraîtra dans les Comptines de langue française avec des commentaires notamment de Jean Baucomont [36]. Notons enfin que le mot « comptine » est attesté dans la langue française en 1922 (Poisson soluble est publié en 1924), le terme ayant été inventé par Pierre Roy, qui a répertorié « cent comptines » dans l’ouest de la France [37] et qui est, selon Aragon, « le plus grand méconnu du surréalisme [38] ». On sait que, plus tardivement, les surréalistes vont rédiger des comptines comme les Chantefables et Chantefleurs de Robert Desnos, et les chansons de Philippe Soupault [39]. Bref, l’époque surréaliste voit le foisonnement écrit et vocal de la comptine.

18Les formulettes d’élimination, d’incantation et les randonnées composent donc une riche et vaste matière verbale que récupèrent les surréalistes (au même titre que les proverbes et les locutions figées de la langue). Cet usage poétique et scriptural d’une pratique orale et enfantine est certainement dû au fait que ce matériel langagier nouveau, vivant, rythmé, singulier recèle déjà un aspect littéraire, voire arbitraire et surréaliste, comme on peut l’entendre dans les deux exemples ci-dessous :

19

Bouton d’or
Carillon
En France
La balance
Va-t’en dehors.
(Comptine d’origine alsacienne [40])

20

Une pomme
Du rhum
Carum
Six pieds
Bordeaux
Anglais
Tu l’es.
(Comptine de la Touraine [41])

21Etant pour les enfants une sorte de langage d’initié, les comptines se composent de formules magiques et agissent comme des rites incantatoires en ce qu’elles engendrent une « ivresse linguistique [42] », comme l’écrit d’ailleurs Eluard :

22

Par une comptine, l’enfant saute à pieds joints par-dessus le monde sur mesure dont on lui enseigne les rudiments. Il jongle délicieusement avec les mots, et s’émerveille de son pouvoir d’invention. Il prend sa revanche, il fait servir ce qu’il sait au plaisir défendu d’imaginer, d’abuser [43].

23Puisque, « en matière de langage », les poètes se sont épris de « cette propriété des mots à s’assembler par chaînes singulières pour resplendir, et cela au moment où on les cherche le moins » [44], on comprend leur intérêt pour les comptines formées de « chaînes singulières » de mots, pour reprendre l’expression de Breton, de faits de langage poétiques, de jeux phonétiques et d’associations (parfois) incongrues de termes. L’auteur du célèbre Manifeste y qualifie d’ailleurs « l’art magique surréaliste » comme cet art qui retrouve l’émerveillement langagier et « la meilleure part de [l’]enfance [45] ». Les comptines, lieu de l’improvisation enfantine, de la rupture discursive, de l’altérité linguistique, sont la part autre, sauvage, de la poésie écrite ; et cet « autre [enfantin] de l’art » devient une source où les œuvres surréalistes puisent un nouveau répertoire de formes. C’est que la perception sensible attribuée à l’enfance est depuis Baudelaire au cœur d’une « rénovation radicale de l’art [46] ».

24Le poème 27 se construit comme une variation sur le conte en chaîne qui renvoie à un folklore enfantin en train de se constituer. Il n’est pas en « rupture avec les formes stylistiques du conte [47] » ni avec son contenu initiatique (les randonnées narrent ou chantent un parcours, un cheminement). Ce conte-randonnée surréaliste raconte ceci : un enfant s’en allant à l’école – donc faisant littéralement une randonnée – aperçoit un oiseau alléchant et décide d’explorer la digue où ce dernier est perché ; il parcourt un lieu frontière typique d’une phase liminaire où le futur initié doit faire le détour par l’autre, se confronter à l’invisible et s’éloigner de l’espace domestique pour acquérir une nouvelle identité [48]. Apparaissent déjà les séquences types du conte : départ du héros, quête, déplacement vers un territoire inconnu ou dangereux, épreuve. L’enfant en effet affronte le dindon, puisqu’il a faim de savoir (pulsion orale) et, dans ce corps-à-corps où il dépouille son adversaire (comme le Petit Poucet, affamé, déleste l’ogre de ses biens et bottes de sept lieues), il voit quelque chose qui l’effraie (la méduse !). Littéralement médusé, il prend conscience de l’altérité radicale, celle de la méduse / mort / sexe [49]. Soulignons brièvement que cette confrontation avec l’autre médusant actualise l’initiation, change la trajectoire enfantine, car, enfin, « depuis ce jour le dindon fait peur à l’enfant qui va à l’école ». S’éloignant de la mer / la mère, l’enfant revient sur le chemin de l’école, et on peut supposer qu’il ne s’écartera plus de cette ligne droite de la littératie. Ayant appris à voler de ses propres ailes (ce que le dindon est incapable de faire), il ne sera pas « bête comme un dindon », il ne sera pas une « moule » ni non plus une cloche. Peut-être parce qu’il maîtrise désormais ses faims, il ne sera plus « gourmand comme un dindon ». L’initiation est bien un processus de médusation, c’est une des vérités anthropologiques que souligne en creux le poème. On a ici une reprise, avec variantes, du modèle narratif des contes de peur ou d’avertissement qui ont pour fonction d’éloigner les tout-petits des dangers liés à l’espace (l’eau, la forêt) en associant le péril à un animal. Ainsi le conte initie « l’enfant à l’existence d’un au-delà effectif des apparences [50] », c’est-à-dire à l’existence d’un invisible qu’on pourrait appeler avec Breton la surréalité.

25Ce poème-randonnée thématise et formalise dans sa structure et dans sa langue des modalités culturelles de type initiatique [51]. Il raconte comment devenir un sujet garçon, ce qui d’un point de vue anthropologique correspond à l’initiation. De surcroît, il montre, d’un point de vue linguistique et narratif, comment certaines lexies placées dans la position du complément se transforment en sujets d’une phrase, comment le métaphorique produit du littéral [52] ; comment le comparant s’émancipe de sa condition de deuxième ordre (dans laquelle il ne sert qu’à préciser et actualiser les propriétés du comparé) pour se métamorphoser magiquement en sujet de la phrase suivante ; c’est ce qui arrive à la « tête », au « chapeau », au « papillon » et surtout à l’« enfant ». En somme, le conte nous dit comment l’enfant devient un sujet au sens initiatique et comment le mot « enfant » devient sujet de la phrase et du poème. Cette confusion des plans métaphorique et littéral rejoint le principe d’emboîtement de la comptine randonnée (chanter dans la moule / la moule qui chante dans le rocher / le rocher, etc.) où la fin de la phrase qui est un complément se transforme en sujet de l’autre phrase [53]. On le voit (et surtout on l’entend), le poème de Breton ne fait pas qu’intercaler une chanson énumérative ; en fait, le genre intercalaire de la comptine est le signe de la matrice culturelle [54] organisant l’ensemble du texte qui emprunte ses mécanismes de raccords, d’enchaînements, de transition, bref sa logique rythmique, successive et cumulative à la randonnée.

26Ce poème du « dindon sur la digue » n’est bien évidemment pas en adéquation parfaite avec le conte et la comptine ; mais la production de son sens, de sa signifiance, de sa forme s’articule et s’invente à partir de variations, détournements, expansions et rénovations des logiques contiques / comptiques. Il ne relève pas dès lors d’une « littérature du non-sens [55] ». L’engendrement du poème se constitue d’un collage de matrices culturelles qui se placent sous le prisme thématique, sémantique et formel de la comptine-randonnée et plus globalement des oralités de sa culture que le texte ne cesse de cumuler et de réactiver : oralités de la fable, du conte, de la comptine, de la blague, de la sagesse populaire, du mythe, du virelangue :

27

Didon dîna, dit-on,
de dix dos dodus,
de dix dodus dindons.

Notes

  • [1]
    André Breton, Poisson soluble, Paris, Gallimard, « Poésie », 1996 [1924], p. 105-106.
  • [2]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », Poétique, no 16, 1973, p. 499-520 ; Jean-Michel Adam, Linguistique et discours littéraire, Paris, Larousse, 1976, p. 176-182 ; Michaël Riffaterre, La Production du texte, Paris, Seuil, « Poétique », 1979, p. 86-88.
  • [3]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 501.
  • [4]
    Michaël Riffaterre, La Production du texte, op. cit., p. 88.
  • [5]
    Ibid., p. 87.
  • [6]
    Pour Riffaterre, l’anagramme ouvre cependant sur un « vide sémantique » : le poème surdétermine un « déni de référentialité » en accumulant les signes de la fiction qui s’autodésigne dans le refrain, dans la formule « il y avait une fois » et dans l’expression latente le dindon de la fable. Dès lors, « le lecteur doit renoncer à décoder le texte comme un récit caractérisé par la successivité et des relations hypotactiques de cause à effet ». Tout le texte ne fait, selon lui, que répéter le « sème fiction » qui s’inscrit dans un « processus de négativation du référent » (ibid., p. 87-88). Selon moi, la question de la référentialité n’est pas l’enjeu central de cette historiette, qui, à l’évidence, ne met pas en place un univers régi par des règles de la vraisemblance et de la réalité, ce qui ne l’empêche pas d’être motivée par des logiques culturelles.
  • [7]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 501.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Ibid., p. 503.
  • [10]
    Ibid., p. 504.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    Ibid., p. 505.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Jean-Michel Adam, Linguistique et discours littéraire, op. cit., p. 178.
  • [15]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 507.
  • [16]
    Ibid., p. 508.
  • [17]
    Ibid., p. 509.
  • [18]
    Ibid., p. 510.
  • [19]
    Jean-Michel Adam, Linguistique et discours littéraire, op. cit., p. 180.
  • [20]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 504.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Arnold Van Gennep, cité par Jean Baucomont, Comptines de langue française, Paris, Seghers, 1961, p. 121.
  • [23]
    Michèle Simonsen, « Les randonnées (contes énumératifs). Entre récits, virelangues et facéties », Studies in Oral Folk Literature, no 2, 2013, p. 190.
  • [24]
    Jean-Michel Adam, Linguistique et discours littéraire, op. cit., p. 180.
  • [25]
    On ne peut pas dès lors affirmer, comme le fait Jenny, que, dans la lexie, « le prêtre chantait dans la moule, la moule chantait dans le rocher […] », « la solution adoptée consiste à poser un prédicat arbitraire (chantait dans) et à le compléter en série avec des thèmes pour la plupart repris au récit » (« La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 509).
  • [26]
    Voir Lothaire Mabru, « Musique et enfance. La chanson énumérative », Cahiers de littérature orale, no 33, 1993, p. 111-133 ; Conrad Laforte, « La chanson de tradition orale, patrimoine poétique et musical », Les Cahiers de l’association pour l’avancement de la recherche en musique au Québec, no 16, 1995, p. 53-64 ; Madeleine Béland, « Les chansons énumératives », Musicultures, vol. 5, 1977, p. 49-56, en ligne : https://journals.lib.unb.ca/index.php/MC/article/view/21865/25354.
  • [27]
    Pour Cyril Bagros, les « objets sont alors traités selon un mouvement de rangement du plus petit dans le plus grand, qui évoque quelque remballage des éléments du décor à la fin d’une représentation théâtrale » (L’Espace surréaliste. Promenade en zone interdite, Paris, Phénix éditions, « Les Pas perdus », 2003, p. 243). Si l’interprétation s’avère intéressante (le dindon sur une scène fort éclairée doit « émouvoir » le passant), la comptine-randonnée s’inscrit davantage dans la logique générique du conte qui donne la structure au texte de Breton.
  • [28]
    Comme le chapeau contient la méduse, la lexie « chantée » contient les éléments importants du texte.
  • [29]
    Paul Eluard, « Dans Paris », Œuvres complètes, vol. 2, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, p. 565.
  • [30]
    Josiane Bru, « Le repérage et la typologie des contes populaires. Pourquoi ? Comment ? », Bulletin de liaison des adhérents de l’AFAS, n° 14, automne 1999, en ligne : https://afas.revues.org/319.
  • [31]
    Jean-Noël Pelen, « La littérature orale enfantine en domaine occitan », Cahiers de littérature orale, no 33, 1993, p. 36.
  • [32]
    Michèle Simonsen, « Les randonnées (contes énumératifs). Entre récits, virelangues et facéties », art. cité, p. 192.
  • [33]
    Pierre Lartigue, Une cantine de comptines, Paris, Les Belles Lettres, 2001, p. 14.
  • [34]
    Ibid., p. 133 sqq.
  • [35]
    Eugène Rolland, Rimes et jeux de l’enfance, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002 [1883]. Mentionnons également le livre d’Achille Montel et Louis Lambert, Chants populaires du Languedoc, Paris, Maisonneuve, 1880.
  • [36]
    La première publication des Comptines de langue française, recueillies et commentées par Jean Baucomont, Frank Guibat, Tante Lucile, Roger Pinon et Philippe Soupault, a lieu en 1961. Soulignons aussi le livre de Jean et Henriette Château, Brindilles : comptines glanées par nos villes et nos campagnes, Paris, Bourrelier, 1950. Plus récemment, voir Conrad Laforte, Le Catalogue de la chanson folklorique française, t. V : « Chansons brèves (les enfantines) », Québec, Les Presses de l’Université Laval, « Archives de folklore », 1987 [1977].
  • [37]
    Les Cent Comptines de Pierre Roy sont publiées en 1926, mais la préface est datée de 1922 (Paris, H. Jonquières et Cie, 1926). La collecte de Roy avait été annoncée par Apollinaire dès 1914.
  • [38]
    Cité par Claude Allemand-Cosmeau, Pierre Roy. Nantes, 1880-Milan, 1950, Nantes, Musée des Beaux-Arts de Nantes et Somogy éditions d’art, 1995, p. 23.
  • [39]
    Sur cet auteur et son lien avec les « nursery rhymes, les berceuses et comptines, les chansons du folklore, les cris de Paris et litanies proverbiales », voir Marie-Paule Berranger, « Fêtes de l’impatience. Les chansons de Philippe Soupault », Europe, no 769, 1er mai, 1993, p. 36-49. Voir aussi plus généralement sur le lien entre la poésie surréaliste et la comptine, Marie-Paule Berranger, « L’enfance de l’art », Les genres mineurs dans la poésie moderne, Paris, PUF, « Perspectives littéraires », 2004, p. 87-144, et Renée Balibar, Les Français fictifs. Le rapport des styles littéraires au français national, Paris, Hachette, « Analyse », 1990, p. 119-228.
  • [40]
    Citée par Jean Baucomont, Comptines de langue française, op. cit., p. 80.
  • [41]
    Ibid., p. 95.
  • [42]
    Ibid., p. 23.
  • [43]
    Paul Eluard, Les sentiers et les routes de la poésie, in Œuvres complètes, op. cit., p. 565.
  • [44]
    André Breton, « Silence d’or », La Clé des champs, Paris, Pauvert, 1967, p. 95.
  • [45]
    André Breton, Manifeste du surréalisme (1924), Œuvres complètes, op. cit., p. 331 et p. 340.
  • [46]
    Daniel Fabre, « “C’est de l’art !” : le peuple, le primitif, l’enfant », Gradhiva, no 9, « Arts de l’enfance, enfances de l’art », 2009, en ligne : https://gradhiva.revues.org/1343.
  • [47]
    Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 501.
  • [48]
    Il s’agit en somme d’une version dindonnière de la voie initiatique des oiseaux (voir Daniel Fabre, « La voie des oiseaux. Sur quelques récits d’apprentissage », L’Homme, no 99, 1986, p. 7-40).
  • [49]
    Sur la méduse, voir Jean-Pierre Vernant, La Mort dans les yeux, Paris, Hachette, « Pluriel », 1998 ; Pascal Quignard, Le Sexe et l’effroi, Paris, Gallimard, « Folio », 1996.
  • [50]
    Jean-Noël Pelen, « La littérature orale enfantine en domaine occitan », art. cité, p. 33.
  • [51]
    D’ailleurs, plusieurs motifs de la transformation apparaissent dans le texte : le papillon, l’enterrement (mort symbolique), la moule (sortir de sa coquille), le dindon qui se métamorphose en chapeau et ensuite en méduse.
  • [52]
    Voir Jean-Michel Adam (Linguistique et discours littéraire, op. cit., p. 181) et Laurent Jenny (« La surréalité et ses signes narratifs », art. cité, p. 503-505). Voir plus haut pour la démonstration du « fonctionnement » surréaliste et analogique du texte.
  • [53]
    Il s’agit ici de la figure de l’anadiplose, qui est ce procédé rhétorique par lequel le dernier mot d’une proposition ou expression est utilisé comme premier mot de la deuxième proposition (___A, A___B, B___C, C___D). Ce procédé est d’ailleurs mentionné par Breton dans le Manifeste pour expliquer le mode langagier de certains malades mentaux : « celui-ci [le malade], qui continue à répondre aux questions, se borne à s’emparer du dernier mot prononcé devant lui ou du dernier membre de phrase surréaliste dont il trouve trace dans son esprit : “Quel âge avec-vous ! – Vous” (Echolalie) » (André Breton, Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 336).
  • [54]
    La matrice, comme la définit Riffaterre, est un mot ou une phrase qui détermine la structure du poème : « la matrice est hypothétique, puisqu’elle est seulement l’actualisation grammaticale et lexicale d’une structure latente. […] Elle est toujours actualisée par des variants successifs […]. » (Sémiotique de la poésie, Paris, Seuil, « Poétique », 1983, p. 33). Le théoricien affirme que « la véritable signifiance du texte réside dans la cohérence de ses références de forme à forme et dans le fait que le texte répète ce dont il parle, en dépit de variations continues dans la manière de dire » (La Production du texte, op. cit., p. 76). Mais contrairement à Riffaterre pour qui les textes ne renvoient qu’à d’autres textes (et pour qui les matrices sont fortement textualisées), l’ethnocritique fait l’hypothèse d’une interdiscursivité culturelle : le texte littéraire – et le poème n’y échappe pas – est en dialogue non seulement avec des textes, mais avec des discours, des genres, des formes langagières, des pratiques et des usages. Bref, il est en relation avec l’ensemble des systèmes symboliques de sa culture.
  • [55]
    Michaël Riffaterre, La Production du texte, op. cit., p. 86.
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