Proust aurait-il pu naître en hébreu ? À cette question, je n’ai pas de réponse mais elle en suscite d’autres, en cascade. Est-ce la langue qui donne naissance à la littérature ou bien est-ce la littérature qui modèle la langue, qui la crée ? Qui enfante qui ? Dans quelle mesure la langue détermine-t-elle le champ visuel de ceux qui la parle ? Quelle influence la langue exerce-t-elle sur le regard ou bien est-ce lui qui en imprime les teintes et les nuances selon l’état de la lumière et de l’obscurité ? Ainsi, la loi talmudique : « Celui qui se tient dans l’obscurité voit ce qu’il y a dans la lumière, celui qui se tient dans la lumière ne voit pas ce qu’il y a dans l’obscurité » Une telle question a-t-elle même un sens ? C’est peut-être idiot, mais elle me vient parfois en travaillant.
Il y a trente ans, lorsque je me suis mise à traduire Proust et que je me suis trouvée face à sa longue phrase, j’ai cherché, pour m’ancrer, une référence littéraire hébraïque. Le premier écrivain qui m’est venu à l’esprit : S. Yizhar, idole de ma jeunesse. Celui qui, à mes yeux de lectrice de 17 ans, a brisé la distance convenue entre le récit et la poésie et mit le paysage du désert en musique. Les deux volumes des Jours de Ziklag m’ont coupé le souffle. Mais l’hébreu, même quand il respire, garde son staccato et, pour ce qui est de ma quête de référence hébraïque, ça n’allait pas. J’ai pensé à Pour inventaire de Yaakov Shabtai. Sa longue phrase non plus, ne m’a pas sauvée. J’avais besoin d’un mouvement large, d’une syntaxe qui tente de transmettre le mouvement du temps…
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