Dans un article de 1979, le photographe Wright Morris, s’interrogeant sur les rapports d’exclusion ou de dépendance entre mots et photographies, décrivait une sorte de préhistoire de ces relations, où l’un des termes faisait encore défaut. Plus exactement, selon lui, dans son premier âge, la « photographie », encore toute stupéfaite de sa nouveauté reproductrice, se suffisait à elle-même. Du temps de Solomon Butcher (pionner du Nebraska en 1889 et documentariste de ces terres désolées) ou d’Eugène Atget (bien connu pour ses archives de Paris), la photographie n’avait d’autre fonction que de constituer une attestation muette du visible disponible. Cette opération, par son évidence, se passait de commentaire, et on peut même dire qu’elle se passait de photographe. C’est la lumière qui faisait son œuvre, the pencil of nature, comme disait Henry Fox Talbot, l’opérateur n’étant après tout qu’un truchement accessoire du commerce du monde avec lui-même. « Prendre » une photo n’était pas la « faire ». Le style ou la personnalité du photographe comptait pour peu. Les « photographies » n’étaient pas encore des « images », au sens où l’entend Morris. Pour qu’elles le deviennent, il fallait des intentions et des mots. Et les mots sont venus, avec les « photographes » et leurs efforts pour exister à travers leurs photographies en en faisant des « images » dotées de sens. Cet irrésistible mouvement, Morris l’associait à notre incapacité à « résider dans ce que nous voyons ». Et, de fait, la photographie, plus encore que la peinture, a aggravé cette labilité du regard et y a cherché remède dans le discours…
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