Il écrivait en serre. Ce n’était pas un secret. Tout le monde le savait, excepté lui. C’était son histoire.
En tant qu’auteur européen avec des origines, il habitait un milieu reconstitué dans le champ littéraire de son pays de naissance. Bien qu’il n’ait pas reçu une éducation biculturelle, tout le monde disait qu’il avait la double culture. Tout le monde en était convaincu, sauf lui. On l’avait soigneusement enfermé dans une biculturalité imaginaire à laquelle il tentait en vain de se soustraire.
« Je ne suis pas un immigré, disait-il. Je n’ai pas la double nationalité. Je suis né ici. Je suis d’ici, même si mon nez vient d’ailleurs. »
Tout le monde trouvait ses propos étranges. Comment peut-on avoir des cheveux crépus et être d’ici ?
Il écrivait en hydroponie, c’est-à-dire sans véritable sol. Son écriture hydroponique croissait sous serre. Il lui revenait de susciter son propre sol par l’entremise de son geste de créativité.
Sa poésie n’était pas orpheline. Elle n’était pas non plus hors sol. Dans la serre où il tentait de prendre racine, il s’était trouvé arraché de ses déterminations sociohistoriques et géographiques.
« Je ne suis pas de là-bas, se défendait-il. Je suis d’ici, quoique ma couleur vienne d’ailleurs. »
Tout le monde le regardait avec un air d’étrangeté. Comment peut-on avoir un nez épaté et être d’ici ?
Il disait son siècle avec une écriture entièrement européenne. Sa langue n’était pas hybridée. Elle n’était pas nourrie d’un vécu africain…
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