Toute création est en même temps une résurrection. Parce qu’elle insuffle la vie à des mots morts, car les mots sont des dépouilles abandonnées sur les champs de bataille du passé, lointain ou immédiat, parce qu’elle ranime des sentiments, des impressions, des observations, des souvenirs, volontaires ou non, et parce qu’elle rétablit une communication entre moi et les autres, un dialogue avec autrui qui, interrompu sans arrêt, me fait continuellement mourir à lui et lui à moi.
Le temps, lui, est à la fois création et résurrection. Création ex nihilo, jamais l’instant qui surgit n’a existé, et résurrection dans la mesure où sa substance, son tissu, fait d’unités minuscules, jusqu’à la micro-seconde et moins encore, s’irrigue lors de l’instant qui vient de sang nouveau et que de momie entourée bandelettes il devient être de chair. De chair, bien sûr, également, parce que par l’Homme, il s’incarne et s’humanise à son tour. S’il était un vampire, on pourrait dire que la nuit du surgissement le réveille et que le tue le jour annihilateur de l’apparition.
Temps et création font donc fondre le « gel de mort » comme l’appelle Dante, au chant 13 du Paradis. Printemps, soleil, ils ont pour vertu cardinale de générer et regénérer.
Et la mémoire ? La mémoire tend à stabiliser, nous enseigne le philosophe Miguel de Unamuno, c’est-à-dire à rationaliser, à figer, à donner forme, à formaliser au sens littéral, et ainsi, le coup de grâce. Avec la mémoire, le couperet tombe. Rien n’est plus éloigné de la vie que la mémoire…