Notes
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[1]
A. Quondam, Petrarca. L’italiano dimenticato, Milano, Rizzoli, 2004, p. 26.
-
[2]
M. Moretti, “Dante al ministero. Note sui programmi scolastici dell’Italia unita”, in Dante nelle scuole. Atti del convegno di Siena (8-10 marzo 2007), N. Tonelli et A. Milani (éds.), Firenze, F. Cesati, 2009, p. 45-69, ici p. 45.
-
[3]
Voir la Gazzetta ufficiale du10 décembre 2010.
-
[4]
“Ha compiuto letture dirette dei testi (opere intere o porzioni significative di esse, in edizioni filologicamente corrette), ha preso familiarità con le caratteristiche della nostra lingua letteraria, formatasi in epoca antica con l’apparire delle opere di autori di primaria importanza, soprattutto di Dante. Ha una conoscenza consistente della Commedia dantesca, della quale ha colto il valore artistico e il significato per il costituirsi dell’intera cultura italiana”.
-
[5]
Voir MIUR 2010, La riforma della scuola secondaria superiore (istruzione.it).
-
[6]
Voir MIUR, 1er ottobre 2019, linee guida per i professionali 2019 .
-
[7]
U. Carpi, “Leggere Dante : perché e per chi ?” in Dante nelle scuole, op. cit., p. 199-203, ici, p. 201.
-
[8]
Ibidem, p. 202.
-
[9]
R. Mantegazza, Di mondo in mondo : La pedagogia nella «Divina Commedia», Roma, Castelvecchi, 2014.
1Natascia Tonelli est professeure de Littérature italienne à l’université de Sienne. Spécialiste de poésie, ses travaux portent aussi bien sur la tradition que sur la modernité. On lui doit des livres sur Cavalcanti, Dante, Pétrarque. Parmi ses derniers livres indiquons : Fisiologia della passione. Poesia d’amore e medicina da Cavalcanti a Boccaccio (Florence, Sismel, 2015), Per queste orme. Saggi sul Canzoniere (Pise, Pacini, 2016), Leggere il Canzoniere (Bologne, il Mulino, 2017).
1.
2Depuis l’unification de l’Etat italien, qui s’est accompagnée de la création d’un système d’instruction homogène sur la totalité du territoire, on assiste à la mise en place, au sein de l’école, mais plus encore, de la société italienne dans son ensemble, d’un cercle vertueux tout à fait singulier qui a fait de Dante un des emblèmes de la nation. Le poète figure même sur les pièces de deux euros, comme a pu le faire remarquer Amedeo Quondam en le comparant au sort bien différent qu’a connu Pétrarque. [1] Mais il y a plus : Dante est ainsi devenu une ressource pédagogique fondamentale, un objet culturel dont la valeur fait l’unanimité. C’est sur Dante que se penchent les millions d’Italiennes et d’Italiens qui ont la possibilité de conclure le second cycle d’instruction.
3Le principal élément de continuité entre le passé scolaire de l’Italie post-unitaire et prédémocratique et l’Italie républicaine se trouve donc dans le choix de proposer la Comédie comme lecture obligatoire et fondamentale des trois dernières années de lycée : l’Inferno en troisième (l’équivalent de la seconde en France) ; le Purgatorio en quatrième (l’équivalent de la première) et en cinquième (l’équivalent de notre terminale) le Paradiso.
4On peut lire ainsi dans le Décret royal no 689 daté du 11 septembre 1892, rapporté par l’historien Mauro Moretti : [2]
Lycée
Classe I. – Lectures de prose et de poésie – Exposition de l’Inferno – Histoire littéraire des origines à la Renaissance.
Classe II. – Lectures de prose et de poésie. Exposition du Purgatorio – Histoire littéraire jusqu’à l’époque de l’Arcadie.
Classe III. – Lectures de prose et de poésie. Exposition du Paradiso – Histoire littéraire jusqu’à la mort de Manzoni.
6Dans le règlement qui est aujourd’hui en vigueur, les Indications nationales portant sur les objectifs spécifiques de l’apprentissage au Lycée (Ministère de l’Instruction, 2010) [3], on peut lire qu’au cours de son apprentissage de la Langue et de la littérature italienne, l’étudiant
… a mené à terme des lectures directes des textes (œuvres intégrales, ou extraits substantiels de ces dernières, proposées dans des éditions philologiquement soignées) ; a acquis une certaine familiarité avec les caractéristiques de notre langue littéraire telle qu’elle s’est formée dans des époques reculées avec l’apparition des œuvres d’auteur de première importance, et avant tout, avec Dante. Il a une connaissance solide de la Comédie, dont il a saisi la valeur artistique et la signification pour la construction de la culture italienne dans son ensemble. [4]
8La Comédie, peut‑on lire plus loin, devra être lue au cours des « trois dernières années, dans une mesure qui correspond au moins à vingt-cinq chants », laissés au choix de l’enseignant.
9La structure des livres de texte proposés aux lycéens prévoit qu’aux trois volumes d’histoire de la littérature et de l’anthologie, soit associée une anthologie de la Comédie, qui reprend en général une sélection d’une trentaine de chants accompagnés de paraphrases, d’analyses de texte et de lectures critiques.
2.
10Les normes en vigueur qui doivent indiquer les résultats de l’apprentissage prévus pour les autres types d’école secondaire dans le second cycle (lycées techniques et lycées professionnels) sont moins prescriptives. [5]
11Pour ce qui est des lycées techniques, en effet, la législation se limite à préciser les connaissances suivantes :
Lignes d’évolution de la culture et du système littéraire italien des origines à l’unité nationale. Textes et auteurs fondamentaux qui caractérisent l’identité culturelle nationale italienne au cours de l’histoire.
13On sait en outre que les livres de textes proposés pour les trois années des lycées techniques sont faits de trois volumes, un par année – avec une anthologie d’œuvres disposées selon un ordre chronologique, parmi lesquels figure aussi, évidemment, un choix de textes de la Comédie, qu’on lit surtout en troisième, avec une attention particulière aux chants les plus célèbres de la première partie.
14Pour ce qui est des livres réservés aux lycées professionnels, et bien qu’elle ne soit pas encadrée par une norme particulière, on rencontre une situation analogue. De fait, les Lignes directrices formulées en 2019 [6] laissent la plus grande liberté au corps enseignant. Professeures et professeurs peuvent donc éviter d’adopter un schéma d’analyse historiciste comme de suivre le canon des classiques de la littérature italienne.
3.
15Mais ce qui se trouve dans les livres ne nous dit pas grand chose des pratiques didactiques. On trouve davantage dans l’usage des paraphrases, toujours plus utilisée sous une forme globale, qui risque de se substituer au texte lui-même, comme dans les exercices proposés. On assiste ici à une tendance générale qui fait augmenter les apparats didactiques des éditions, comme s’il s’agissait de répondre à une exigence des enseignants qui auraient besoin d’un nombre toujours plus grand d’indications didactiques, d’exercices de compréhension, d’analyses de textes et d’interprétation, puis de production écrite et de réélaboration multi-médiale. Faut‑il comprendre que les enseignants ne sont plus capables de concevoir et de mener à bien leur métier en toute autonomie ?
16En plus des livres de classe, on peut se pencher sur l’enseignement de Dante à travers l’activité de recherche et de divulgation dans la didactique de la littérature : le tableau qui ressort de cette recherche est des plus hétérogènes. Pour ce qui est des lycées classiques et scientifiques [en Italie, les options choisies par les lycéennes et les lycéens déterminent le choix de lycées classiques, scientifiques, techniques, professionnels. NdT] la littérature sur Dante concerne aussi bien la Comédie que les autres œuvres. Ces dernières (Vie nouvelle, Banquet, Rimes, Monarchie, De l’éloquence en langue vulgaire) sont présentées dans leurs grandes lignes, mais elles ne sont pas toujours lues pour elles-mêmes, bien que les textes figurent souvent dans les manuels. Pour ce qui est de la Comédie elle-même, ici aussi l’Inferno et le Purgatorio sont privilégiés, tandis que le Paradiso connaît un sort moins glorieux : ou bien il n’est tout simplement pas lu, ou bien c’est une portion congrue de ses chants qu’on prélève.
17Du point de vue méthodologique, il arrive souvent que les enseignants se limitent à introduire les chants sans en proposer la lecture en classe avec la paraphrase, l’explication et les approfondissements historiques et culturels qui s’imposeraient. Tout au contraire, la plupart du temps, on demande aux étudiants de préparer la lecture des textes chez eux, lecture à laquelle ils peuvent ajouter des extraits d’essais critiques. Paradoxe : c’est souvent sur ces derniers qu’on leur demande de fixer leur attention. Il est rare qu’on fasse des liens avec d’autres disciplines. Dans la majorité des cas, on n’accorde pas l’importance nécessaire à la lecture et à la paraphrase autonome du texte : or c’est ce qui permettrait de traverser le texte et de le comprendre. C’est ce qui arrive non seulement pour Dante, mais pour l’ensemble des textes, et en particulier pour les plus anciens. Les livres de texte actuels, comme on a pu le montrer, reportent dans l’appareil de notes une paraphrase complète : ce qui signifie en fait que les étudiants ne s’exercent pas au contact direct du texte, parce qu’ils peuvent s’appuyer sur un travail de simplification (et de banalisation) du texte, et qu’ils passent inévitablement à côté de toutes ses valeurs esthétiques. Plus souvent encore, on se réfère à des connaissances théoriques acquises dans un manuel. L’excès des apparats critiques dans les livres tend aussi à recouvrir les difficultés qui naîtraient d’un rapport direct avec le texte, difficultés qui sont parfois celles des enseignants eux-mêmes.
18Les enseignants qui réussissent à mettre en œuvre un contact direct avec le texte et à travailler de manière autonome à sa compréhension sont rares. Ils s’appuient sur des méthodologies variées, qui vont de l’étude des parcours thématiques à travers la Comédie, à des exercices consistant en travaux écrits et/ou oraux de réécriture, reformulation ou mise en récit du texte, ce qui conduit les étudiants à l’interpréter. D’autres pratiquent « les jeux de rôle ». Cette approche expérimentale est la seule qui puisse garantir la traversée directe du texte ; elle a du mal à s’imposer dans les lycées où domine encore un apprentissage affirmatif, explicite, fondé sur l’étude plutôt que sur l’expérience de la lecture, de l’écriture ou du dialogue.
4.
19S’il est difficile de sous-évaluer l’impact d’un siècle et demi d’enseignement de Dante dans les lycées, il n’est pas facile d’analyser avec précision l’effet de ces normes et de ces habitudes sur la culture des Italiens, pour lesquels Dante, bien avant d’être un objet d’études spécialisées, reste un monument national : mieux, selon une vulgate diffusée par le romantisme et le Risorgimento, un véritable héros, père de la langue et de la culture italiennes, et aussi, de la patrie. Certes, la longue fréquentation de la Comédie dans le milieu des personnes les plus instruites, qui au moins par le passé, coïncidaient avec les classes dirigeantes du pays et représentent aujourd’hui encore une minorité au sein de la population, n’a cessé d’alimenter le mythe de Dante comme de garantir une présence constante de la Comédie dans l’imaginaire collectif. On n’omettra pas non plus les innombrables représentation des personnages et des paysages de l’outre-monde au sein d’une culture populaire faire de bandes dessinées, d’illustrations, de jeux vidéo.
5.
20Le risque, dans un contexte culturel qui pourrait laisser penser que la présence de Dante va de soi et qui fait de lui un objet culturel privilégié, destiné à la dernière partie de l’instruction au lycée pour ceux qui une fois qu’ils ont achevé leur parcours dans le secondaire choisissent l’université, le risque donc, est de vider de sens le contact direct avec l’œuvre et son altérité, d’en offrir une vision domestiquée comme celle qu’on peut trouver dans les récits biographiques ou dans toute la mythologie qui entoure la vie et l’œuvre de Dante.
21En 2007, lors d’un colloque consacré à Dante dans les écoles, Umberto Carpi soulignait combien ce Dante qui nous a été transmis « filtré par plus de deux siècles de grilles interprétatives univoques qui ont fait de lui un des éléments constitutifs de l’identité nationale » [7] aurait besoin aujourd’hui d’une mise à l’épreuve radicale. Cette dernière porterait sur le sens à donner à l’enseignement de tel ou tel auteur et de ses œuvres et non pas, comme d’aucuns continuent à l’affirmer avec insistance, sur le niveau supposé des étudiants ou sur leurs compétences linguistiques.
22Carpi évoque les leçons-conférences que Carducci proposait sur la littérature des origines devant une des premières Sociétés Ouvrières Italiennes.
23C’était en 1870 :
En 1870, un ouvrier ou un artisan de Bologne ne maîtrisait certainement pas davantage de notions linguistiques ou historiques que celles qui se trouvent aujourd’hui mises à la disposition de nos étudiants dans les collèges, les lycées ou les universités. Tout est ici affaire d’attente, de motivation, de disposition mentale : et cela vaut, selon moi, aussi bien pour ceux qui apprennent que pour les enseignants eux-mêmes. Carducci et son public populaire […] y croyaient. Carducci croyait – et je souligne le terme pour faire entendre ce qu’il comporte de plus intense quant à la volonté de réalisation – mettre en œuvre à travers Dante une opération d’élévation sociale et d’éducation au sens littéraire et national du mot ; le peuple en question croyait, à son tour, qu’il accomplissait à travers cet accès inouï à Dante, un acte puissant d’acquisition et de conquête. En un sens, un acte politique conflictuel [8].
25Pour enseigner Dante, et pour le lire aussi, conclut Carpi, « il faut y croire, ce qui vaut, je le redis, pour qui l’enseigne et pour qui apprend à le lire », et ce, quelles que soient les techniques didactiques décidées en amont, ou des extraits étudiés. « Y croire, dis-je, à l’intérieur d’un système de valeurs et d’attentes sociales, historiques et politiques en vue de la formation culturelle des citoyens ».
26C’est pourquoi, il n’est peut-être pas inutile, quand on se propose de mener une enquête sur la signification d’une didactique de la littérature attentive à l’usage d’œuvres complexes et historiquement stratifiées comme la Comédie, d’interroger les pratiques qui sortent des nomenclatures habituelles.
27Pensons, notamment, à ces tentatives qui osent proposer la lecture de la Comédie, sous la forme de laboratoire de lecture et d’écriture, dans l’école primaire, et secondaire du premier cycle – à savoir là, en effet, où il est possible de faire du Dante, à condition d’y croire, entendons à condition que les adultes et les enfants croient à sa valeur formative. Telle est aussi la thèse que soutient Raffaele Mantegazza, spécialiste de pédagogie, dans son livre Di mondo in mondo : La pedagogia nella «Divina Commedia [9] : cette croyance on la trouve, soutient‑elle, dans l’œuvre elle-même, à commencer par l’usage du voyage comme dispositif éducatif. C’est cet esprit de croyance que l’on retrouve dans ces laboratoires qui recourent à la lecture à voix haute comme à ces différentes formes de réécriture qui cherchent à retrouver l’expérience physique de Dante : les émotions ressenties au moment de perdre son chemin, la signification même de sa recherche.
Notes
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[1]
A. Quondam, Petrarca. L’italiano dimenticato, Milano, Rizzoli, 2004, p. 26.
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[2]
M. Moretti, “Dante al ministero. Note sui programmi scolastici dell’Italia unita”, in Dante nelle scuole. Atti del convegno di Siena (8-10 marzo 2007), N. Tonelli et A. Milani (éds.), Firenze, F. Cesati, 2009, p. 45-69, ici p. 45.
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[3]
Voir la Gazzetta ufficiale du10 décembre 2010.
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[4]
“Ha compiuto letture dirette dei testi (opere intere o porzioni significative di esse, in edizioni filologicamente corrette), ha preso familiarità con le caratteristiche della nostra lingua letteraria, formatasi in epoca antica con l’apparire delle opere di autori di primaria importanza, soprattutto di Dante. Ha una conoscenza consistente della Commedia dantesca, della quale ha colto il valore artistico e il significato per il costituirsi dell’intera cultura italiana”.
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[5]
Voir MIUR 2010, La riforma della scuola secondaria superiore (istruzione.it).
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[6]
Voir MIUR, 1er ottobre 2019, linee guida per i professionali 2019 .
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[7]
U. Carpi, “Leggere Dante : perché e per chi ?” in Dante nelle scuole, op. cit., p. 199-203, ici, p. 201.
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[8]
Ibidem, p. 202.
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[9]
R. Mantegazza, Di mondo in mondo : La pedagogia nella «Divina Commedia», Roma, Castelvecchi, 2014.