1Jibanananda Das (1899-1954) est l’un des poètes de langue bengalie les plus célèbres de son époque. Il a publié ses premiers poèmes dans les années 20 et son œuvre, parue dans de nombreuses revues et magazines, a fait l’objet de sept recueils publiés de son vivant, notamment : Jharâpâlak (Une plume envolée, 1927) ; Dhusarpandulipi (Le manuscrit obscur, 1936) ; Banalata Sen (1942) ; Mahâprithibi (Le monde vaste, 1944), Sâttitârartimir (L’obscurité des sept étoiles, 1948).Après sa disparition accidentelle, on a découvert près de quatre cents poèmes, des nouvelles, des romans et des essais critiques, qui ont été publiés de façon posthume.
2Au Bengale et au Bangladesh, son image reste celle d’un écrivain qui a su se libérer de l’influence romantique de Rabindranath Tagore (1861-1941), resté jusqu’alors une figure indépassable de la création littéraire. Jibanananda Das a su imposer une forme de modernisme. Contemporain du poète KaziNazrul Islam (1899-1976), il a, comme lui, dénoncé les aberrations communautaristes lors des émeutes de 1926 et appelé dans ses poèmes à une harmonie intercommunautaire. De fait, Das a obtenu les faveurs des cercles littéraires du Bangladesh, terre « indigne » née de la Partition de 1947. Ses origines familiales l’enracinent dans le tissu rural du Bengale oriental (contrairement à Tagore dont la vie et l’œuvre restent étroitement liés à Calcutta, la capitale). Il est issu d’une famille modeste, appartenant à la moyenne bourgeoisie provinciale. Das a vécu de longues années dans les bidonvilles de la région de Barisal, actuellement située au Bangladesh et il a travaillé comme simple enseignant de français.
3Alors que la poésie de Tagore est intimement associée à l’idée de renaissance au Bengale, l’œuvre de Das thématise l’amenuisement et la fin d’une époque. S’il résiste à tout engagement révolutionnaire, il se réfère souvent à l’antiquité indienne et égyptienne, symboles de civilisations perdues. De son œuvre, profondément ancrée dans la culture bengalie, se dégage, non sans un certain hermétisme, une profonde mélancolie et un univers en demi-teinte où la subtilité des sentiments et des expériences constamment vacille.
4La modernité de sa poétique tient à un usage déroutant de la versification, à des changements de registres, à des alliances de mots inattendues, à un lexique riche en images charnelles et en métaphores innovantes. Les premiers critiques ont résisté à ce qu’ils interprétaient comme un excès de subjectivisme et de nihilisme, voire comme une forme d’iconoclasme littéraire. Mais Das a fini par s’imposer comme un poète majeur du xxe siècle.