Couverture de POESI_167

Article de revue

Remarques sur les essais sur l’origine de la musique où il est parlé d’ornithologie

Pages 89 à 111

Notes

  • [1]
    Cité par Marius Schneider, « La musique dans les civilisations non européennes », in Histoire de la Musique, Des origines à Jean Sébastien Bach, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 152.
  • [2]
    Hisdosus Scholasticus, ad Chalcidium in Plat. Tim. [Cod. Paris, Lat. 8624, sec. XII f.2] ; Diels, 22 B 67 a = J.P. Dumont, D. Delattre et J.-L. Poirier, Les Présocratiques, B 67, p. 161 : « De même que l’araignée, dit‑il, immobile au milieu de la toile, sent, dès qu’une mouche rompt quelque fil, et y court rapidement, comme affectée de douleur par la coupure du fil, de même l’âme de l’homme, lorsqu’une quelconque partie du corps est blessée, s’y précipite, comme si elle ne pouvait supporter la blessure de ce corps auquel elle est solidement et harmonieusement attachée ».
  • [3]
    Boèce, De consolatione philosophiae, C. Moreschini ed., Opuscula theologica, Bibliotheca Teubneriana, Munich, Leipzig : K.G. Saur, 2005, p. 40. Metrum III, v. 10-15 : « Tu numeris elementa ligas ut frigora flammis Arida conveniant liquidis, ne purior ignis Evolet aut mersas deducant pondera terras. Tu triplicis mediam naturae cuncta moventem Conectens animan per consona membra resolvis ; 15 Quae cum secta duos motum glomeravit in orbes. »
  • [4]
    Homère, Odyssée, XXI, 40.
  • [5]
    Alcman, ap. Athen. ix 374d (ii 318 Kaibel) = Alcman, fragm. 40, Fragments, W. Heinemann éd., 2015, London, Loeb Classical Library, Cambridge, Mass, Harvard University Press, p. 424.
  • [6]
    Athénée, Deipnosophistes, IX, 389 f.
  • [7]
    Plutarque, De sollertia animalium, 974 a = Diels-Krantz, Die Fragmente der Vorsokratikern, 68 B 154.
  • [8]
    « At liquidas avium voces imitarier ore ante fuit multo quam levia carmina cantu concelbrare homines possent aurisque iuvare, et zephyri, cava per calamorum, sibilia primum agrestis docuere cavas inflare cicutas », 1379-1380, p. 420 ; Lucrezio, Classici greci e latini, éd. Guido Milanese, Milano, Mondadori, 1992, p. 418-419.
  • [9]
    C’est ainsi que le théoricien du xve siècle, Johannes Tinctoris, soutint que Dieu avait insufflé la science musicale à son fils avant sa naissance de telle sorte qu’il pût, après les tentatives brouillonnes des théoriciens de la Grèce ancienne, lui, le musicien suprême, réunifier toutes les choses séparées en une seule, dans son église, grâce à la proportion double de sa double nature et ouvrir la voie aux fondateurs du chant liturgique. Johannis Tinctoris, Proportionale Musices, I, 10 Opera theoretica, ed. Albert Seay, 3 vols. in 2 ; Corpus scriptorum de musica, vol. 22 ([Rome] : American Institute of Musicology, 1975-78), 2a : 9–60.
  • [10]
    Dante, La Divine Comédie, Jacqueline Risset, Paris, GF-Flammarion, 2010, p. 310-311.
  • [11]
    Saint Augustin, Confessions, Paris, Garnier, 1964, 10, 33, 49-50, p. 236-237.
  • [12]
    L’objection contre une telle lecture consiste régulièrement à citer le passage dans lequel Augustin aurait qualifié les mélodies du jubilée de l’alléluia comme une « laetitia sine verbis », c’est-à‑dire comme une joie excessivement mesurée pour correspondre aux déterminations rationnelles d’un texte chanté. Pourtant ceux qui veulent tirer profit de ce passage ignorent qu’il s’agit d’un excursus des Enarrationes in psalmos sur les chants de travail des paysans aux champs, qui n’a aucun rapport ni avec le jubilée de l’alléluia, ni avec la mesure liturgique. On ne saurait tenter de le concilier avec l’éthique augustinienne du chant.
  • [13]
    St Augustin, Traité de la Musique, I, 4-6. Œuvres complètes de Saint Augustin, traduites pour la première fois en français sous la direction de M. Poujoulat & de M. L’Abbé Raulx, Bar-le Duc, L. Guérin & Cie, 1864-1873, Tome III, p. 401.
  • [14]
    « Musicorum et cantorum magna est distantia  : Isti dicunt, illi sciunt, quae componit musica. Nam qui facit, quod non sapit, diffinitur bestia.Ceterum tonantis vocis si laudent acumina,Superabit philomela vel vocalis asina, Quare eis esse suum tollit dialectica. Hac de causa rusticorum multitudo plurima, Donec frustra vivit, mira laborat insania, Dum sine magistro nulla discitur antiphona. », Guidonis Aretini, « Regulae rhythmicae », éd. Joseph Smits van Waesberghe et Eduard Vetter, Divitiae musicae artis, A/IV, Buren, Knuf, 1985, p. 96.
    Kirsten Gibson (Kirsten Gibson auteure et Ian Biddle éditeur, Masculinity and Western musical Practice, Routledge, Ashgate Publishing, Ltd., 2009, p. 28) a essayé de tirer parti du féminin « asina » – jenny (she ass) – et de « Philomela », dans la tentative de ramener les épithètes de Guido d’Arezzo à des propos phallocratiques de mépris à l’égard des femmes. Elle veut y trouver la marque d’un « rhetorical slippage between the bestial an the feminine » : « Guido’s nightingale is a positive contrast to the jenny, but it is still a bird. And both animals are female. […] This makes the human judge, and not the nightingale, a musicus. What the human practicioners – a group of boys learning how to be men – must avoid is getting the song right without understanding […]. Although monastic masculinity, like that of university scholars, was principally defined in contradistinction to the irrationality of the animals, the femininity of both creatures in Guido’s meter is suggestive […]. Although some traditions, as discussed above, encouraged the development of certain feminine traits as a means of accessing spiritual humility, women’s greater closeness to nature and lesser rationality facilitated rhetorical slippage between the bestial an the feminine. » À cette tentative d’exégèse on répondra que le sujet de la discussion est ici l’opposition générique entre la rationalité de la science musicale et la cécité de la pratique aveugle. Le terme de son incarnation, dans le texte, est le cantor, le chantre masculin, et il n’est pas question de femmes mais d’animaux. Si le dessein de Guido d’Arezzo avait été « the rhetorical slippage between the bestial an the feminine », il aurait certainement employé le féminin cantatrix au lieu du masculin générique cantor. En outre la source de Guido est le passage du De Musica de St Augustin sur l’antinomie musicus- cantor, où l’animalité des musiciens victimes de la seule oreille est incarnée par l’ensemble des animaux, nonnulla genera bestiarum, parmi lesquels des animaux aussi masculins que les éléphants et les ours. Enfin, on aurait tort de consacrer trop d’importance aux thèses d’un auteur qui n’a pas hésité à pourvoir d’un attribut sexuel même le demi-ton, sous prétexte que la « variabilité » du B dur et du B mol ou la rondeur du bémol dans le système de Guido d’Arezzo auraient été regardées comme un signe de féminité… : « Unlike other accidentals, Bb is part of the Guidonian gamut and proper to chant (musica recta). The variability of the letter-name note B (which could be b-mi or b-fa, hard or soft b, in our terms Bu Bb  ; in German h or b), together with the rounded shape of the soft b, and its associations with the idea of softness, linked, as discussed above, to feminine music and – originally and vestigially – to semitone-rich Greek modes, are all discussed as feminine traits. » (p. 28.)
  • [15]
    Jean Calvin, Epistre au lecteur, Pierre Pidoux, Le Psautier huguenot du xvie siècle, Mélodies et documents, Bâle, Bärenreiter, 1962, II, p. 21.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Jean Calvin, Institution de la Religion chrétienne, I, xv, 5, p. 214.
  • [18]
    Jean Calvin, À tous chrestiens, Pidoux, II, p. 20. Dans les ajouts de 1534 à l’Epistre au LecteurLa forme des prières et chantz ecclesiastiques (1542) –, le réformateur décrit ce pouvoir comme un fait d’expérience personnelle.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Jean Calvin, Sermons sur l’épître aux Ephésiens, Œuvres Complètes, LI, 646.
  • [21]
    Calvin, Epistre au lecteur, Pierre Pidoux, Le Psautier huguenot, II, p. 21.
  • [22]
    Cité par Pidoux, Le Psautier huguenot, Introduction, I, p. XV. Dans son commentaire à ce passage (I, p. XVI), ce dernier note que « Les termes à la fois vagues et précis de l’Institution ne peuvent donc se rapporter qu’à certaines pratiques musicales catholiques. Calvin vise les pièces dans lesquelles l’abondance des mélismes ou la complexité de la polyphonie entravent l’intelligence des paroles chantées ». En réalité la terminologie de Calvin est tout sauf « vague ». L’expression « musique rompue » est une traduction du terme technique musica fractibilis, synonyme de musique « mesurée ». « Chose faite » traduit la locution res facta, et désigne la composition écrite, comme antithèse au contrepoint improvisé. Ce langage ne se limite pas à condamner « certaines pratiques catholiques » abusives : il associe à la musique qui « ne plaît pas à Dieu » l’ensemble de la polyphonie du xvie siècle reçue dans le rite catholique, mélismatique ou syllabique : celle de Josquin Depres, Willaert, Gombert, Lasso, Victoria, Palestrina etc. Selon les canons théoriques de l’époque, la polyphonie est un mélange de qualités contraires, que les meilleurs auteurs, de Ficin à Girolamo Mei, identifient aux éléments en conflit dans les corps. Soprano, alto, ténor et basse répondent aux quatre humeurs : bile jaune, sang, flegme et mélancolie.
  • [23]
    Œuvres de Luther, ed., Jaroslav Pelikan et Helmut T. Lehmann, in Liturgy and Hymns, Philadelphia 1965, p. 320.
  • [24]
    Athanasius Kircher, Musurgia universalis, Romae, 1650, Liber I., Anatomicus de Natura soni et vocis, ch.XIV, § 1, De vocibus animalium in genere, p. 25.
  • [25]
    Ibid., De quadrupede animali americano quam pigritiam dicunt et mira vocis eiusdem conromatione, p. 26.
  • [26]
    Ibid., p. 30.
  • [27]
    Versuche einer Einleitung in die historiam litterariam antediluvianam, Halle, 1708, p. 13.
  • [28]
    Johann Mattheson, Der Volkommene Kappelmeister, Vorrede, III, Ursprung des Gesanges, Hamburg, ed. Margaret Reimann Kassel, 1954 [1739], p. 12.
  • [29]
    Jean Baptiste Louis Gresset, Discours sur l’harmonie, Paris, 1737.
  • [30]
    Hawkings, A General History of Music, I, London, T. Payne, 1776, p. 42.
  • [31]
    Jean-Jacques Rousseau, « Dictionnaire de Musique », Œuvres Complètes, Édition thématique du Tricentenaire sous la direction de Raymond Trousson et Frédéric Eigeldinger, XIII, 1, Genève, Éditions Slatkine, Paris, Éditions Champion, 2013, p. 571.
  • [32]
    Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, lettre IV, XI, Œuvres, tome II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1964, p. 475.
  • [33]
    Ibidem, V, IX, p. 618.

1Professeur de musicologie à l’université de Genève, Brenno Boccadoro est un spécialiste mondialement reconnu des théories musicales de l’Antiquité au xviiie siècle. Sur la Grèce on peut lire son Ethos e varietas  : trasformazione qualitativa e metabole nella teoria armonica dell’antichità greca (Florence, Olschki, 2002). On lui doit l’édition du Dictionnaire de musique de Jean-Jacques Rousseau dans la « Bibliothèque de la Pléiade » (Paris, Gallimard, 1993).

1. La caverne, l’arc, l’araignée et l’hirondelle

2Selon un mythe que l’on retrouve aussi bien chez les peuples de l’Afrique australe que chez les peuples précolombiens et qui est connu en paléontologie sous le nom du mythe de l’« émergence de l’humanité », le nombre des hommes sur terre serait identique à celui des chants d’un oiseau. Les premiers habitants de la terre auraient émergé d’une caverne en compagnie des animaux. Ils s’en seraient extraits à l’aide d’un roseau, à moins que ce ne fût grâce à un arbre comme enchanté par leur musique. Ce sont là les deux symboles du vecteur transitif de l’harmonie universelle, une corde qui vibre, une flûte, l’arbre comme image totémique du tonnerre produit par le tambour primordial qui fait venir au monde une par une l’ensemble des créatures. Dans la version attestée par les Hopis de l’Utah, arrivés à la surface, les hommes auraient été accueillis au sortir de la grotte par le chant d’un oiseau moqueur, dont la mélodie spécifique aurait déterminé l’identité, l’état civil, le caractère, la langue et la tribu d’appartenance de chaque individu. Le chant achevé, le répertoire des noms à disposition fut épuisé de telle sorte qu’aucun homme ne pût sortir de la grotte pour venir à l’existence. Tout homme dépourvu d’un chant individuel se vit ainsi privé d’une place légale dans la société [1]. C’est pourquoi, afin d’y libérer une place, les chasseurs de tête obligeaient leur victime à confesser son nom avant de le mettre à mort. Si le mythe ne le dit pas explicitement, il est parfaitement clair que le chant de l’oiseau a pour fonction de décliner le caractère individuel de chaque être humain à partir de l’universalité incolore du fond de résonance universelle qui donna naissance au monde. Or c’est de la même manière que le son d’une corde fondamentale module l’ordre particulier des sons à l’intérieur d’une mélodie particulière selon la définition que la culture grecque archaïque avait donnée de l’éthos d’une mélodie : la transposition du caractère individuel d’une personne, le double psychique de son âme incarnée dans le son.

3Si on a raison de soutenir que ce récit, répété durant des milliers d’années par deux populations qui n’ont pu avoir de contacts entre elles puisqu’elles se trouvaient aux antipodes, dérive d’un archétype commun plurimillénaire, on n’a pas tort, dans le cadre de la musicologie, de vouloir y trouver l’une des toutes premières tentatives de description de l’origine du monde à travers le son.

4Pendant des siècles, dans l’histoire de la pensée occidentale, le chant des oiseaux ne cessera de reconduire l’homme vers les origines du monde et de la musique. Comme en contrepoint de leurs intervalles recourbés et de la polymétrie de leurs rythmes, les oiseaux chanteront sans trêve l’harmonie du monde et enseigneront ce chant à l’humanité. Fermement nichés parmi les frondaisons des arbres des forêts primordiales, ils célèbreront le réveil du monde avec le lever du soleil « sur les eaux éternelles empourprées par les rayons de l’aurore » (Marius Schneider). Que l’instrument soit le chant des oiseaux, une corde sonore, un roseau ou un tronc d’arbre-tambour – à l’image du tonnerre qui donna naissance au monde, le mécanisme est toujours le même : dans son effort tragique de rendre compte de son réveil dans cette vallée de larmes, royaume de la « putréfaction et de la mort », l’humanité au berceau a tout fait pour abolir la distance qui la séparait du monde. Pour entrer en communication avec lui, l’homme a conçu l’univers sous la forme d’un vaste organisme vivant pourvu d’une âme et d’un corps à son image et ressemblance. Et la musique lui a servi de médiateur. Car le son se propage dans l’espace, avec une facilité supérieure. Il voyage dans l’eau, dans l’air, il imprègne les corps de sa substance, il pénètre la matière comme la chaleur du feu, il entre dans le corps à travers les sens.

5Il est probable – mais s’ouvre ici le chapitre d’une histoire conjecturale qu’on ne saurait prouver, et il faudrait dire comme le Rousseau du second Discours, que l’on ne saurait ici se flatter d’avoir vu ce qu’on ne saurait voir –, que l’histoire des tentatives d’appropriation du monde à travers le son a commencé le jour où le premier de nos ancêtres a eu l’idée de faire vibrer la corde de son arc entre ses lèvres en variant le son dans sa cavité buccale. Il donnait ainsi naissance à cet objet hybride mi-arme, mi-instrument, connu par les historiens de l’organologie sous le nom d’« arc musical » – l’« arc » et la « lyre » dont se souvient encore Héraclite dans le fragment 51 à propos de l’harmonie discordante de l’univers. Muni de cordes supplémentaires, l’instrument de mort emprunta un chemin différent, générant l’imposante progéniture des harpes, dont notre Steinway est le dernier descendant. Encore en usage de l’Afrique australe à l’Afrique centrale, l’arc d’Héraclite figure dans la bouche d’un sorcier déguisé avec des peaux de bêtes dansant sur les parois de la « Grotte ariégeoise des Trois-Frères » (17 000 à 12 000 ans av. J.‑C.).

Figure 1

6Il n’est pas invraisemblable que des phénomènes empiriquement attestés, tels que la propagation du son au sein de tous les éléments ou la vibration sympathique – qui a lieu quand une corde vibre avec l’autre sans la toucher – aient pu corroborer l’idée que l’harmonie déployait ses articulations dans les trames d’un tissu harmonique préétabli qui dépassait de loin les limites de l’instrument.

7La communication instaurée par l’harmonie entre le semblable et le dissemblable a certainement offert le modèle réduit le plus éloquent de tous les phénomènes d’action à distance qui traversent le corps du monde. Tout ce qui a pu être interprété en termes de relation a été ainsi ramené à un problème de consonance et de dissonance, d’accord du visible avec l’invisible, d’union de l’âme et du corps, en passant par la médiation entre le ciel et la terre établie par les talismans, les instruments issus des tibiae (lat. flûtes) d’un défunt pour communiquer avec son âme, ou encore, le corps du chamane transformé par le jeûne en une peau tendue sur un châssis osseux en guise de résonateur cosmique.

8Dans un grand nombre de mythes, un symbole éloquent de ce principe transitif de communication fut offert par l’œuvre d’un autre animal industrieux expert dans l’art de nouer des liens géométriques : l’araignée tissant sa toile, image spatiale de l’action médiatrice de l’harmonie – car bon nombre de peuples primordiaux ont compté en faisant des nœuds sur une corde. Dans la mythologie des Pima (nord du Rio grande), veuves joyeuses et volatiles concourent à l’origine du monde : le créateur est une plume d’oiseau, à savoir un chant – car les plumes volent dans les airs, comme le son et les âmes des esprits. L’oiseau rit de la poussière qui se trouvait sur sa poitrine et se mit à chanter. Et de là se formèrent la terre et une grande araignée, dont la toile qui reliait le ciel et la terre, tissa le rêve du monde dans celui des sons et des esprits.

9Héraclite ne s’est pas exprimé avec moins de précision dans un fragment conservé par Chalcidius dans son commentaire au Timée de Platon [2] qui avait décrit l’âme du monde comme une vaste toile de rapports logiques. Et Boèce, divinité tutélaire de la théorie mathématique de l’harmonie, ne l’a pas manqué, lui qui salue dans l’univers l’œuvre d’un tisserand par les vers Tu numeris elementa ligas,dans la Consolation Philosophique[3]. De nos jours les Navajos vendent aux enfants des touristes des « capteurs de rêves » (dream catchers) fabriqués avec un cerceau en saule qui sert de cadre à un tissage de cordes imitant une toile d’araignée. Selon la légende, leur vertu magique fut révélée durant une vision à un vieux sage en transe par l’ombre d’un sorcier qui se transforma en araignée pour la tisser : « utilise cette toile afin d’aider les gens de ton peuple à aller au bout de leurs visions. La toile va capturer les bons rêves et va laisser passer les mauvais par le trou du centre ».

10Il est difficile de dire si l’association d’idées a été le fruit d’une coïncidence, mais on trouve une résonance entre l’arc musical et le chant des oiseaux dans un vers homérique où l’on voit Ulysse revenu à Ithaque qui

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tendit sans effort, le grand arc, puis sa main droite prit et fit vibrer la corde, qui chanta bel et clair comme un cri d’hirondelle [4].

12Quittons les sables mouvants de la préhistoire pour atteindre la terre ferme de la mémoire écrite.

13Que la poésie soit née du chant des oiseaux est rapporté par un vers du poète archaïque Alcman, convaincu de connaître « les chants (nomoi – lois musicales) de tous les oiseaux [5] ». C’est le premier à exploiter poétiquement cette origine :

14

Alcman a trouvé ces paroles
et de sa langue a sifflé
l’air en tressant la chanson des perdrix [6].

15Démocrite partage cette conviction. Selon Plutarque, Démocrite soutenait en effet que ce sont les animaux qui ont enseigné les techniques aux hommes : « l’araignée leur a appris le tissage et le raccommodage, les hirondelles la construction, les oiseaux mélodieux comme le cygne et le rossignol le chant en vertu de l’imitation [7] ». Mais c’est Lucrèce qui incarne la plus haute autorité pour l’Occident latin : « L’humanité apprit la musique en imitant la voix limpide des oiseaux, bien avant de faire entendre des poèmes ornés de douces mélodies [8] ».

2. L’oiseau de la nature et les chiffres du ciel : deux paradigmes antagonistes

16Voici un problème susceptible de susciter l’intérêt. Non seulement ce mythe qui fait naître la musique du sein des frondaisons des arbres a traîné une mauvaise réputation, mais il est entré en compétition avec d’autres mythes étiologiques relatifs à l’origine de la musique. Ces mythes se sont développés parallèlement au sein de traditions culturelles diamétralement opposées. On devine sans peine que l’hypothèse d’une origine physique de la musique dans la voix de têtes de linotte et autres volatiles privés d’entendement n’allait pas manquer de heurter les grandes figures tutélaires du savoir musical de l’Occident latin pour lesquelles la musique, loin de naître de la profondeur des forêts primordiales, tombe littéralement du ciel. Au récit de l’origine de la musique née hic et nunc des frondaisons du monde physique, devait ainsi répondre celui d’une musique des Idées qui aurait préexisté à son expression sonore et qui se serait incarnée dans un second temps dans la musique sonore par la vertu d’un intermédiaire. Au sein de la théologie, la tension a été accentuée par le caractère païen de tout récit faisant remonter l’origine de la musique au chant des oiseaux, quand bien même il serait garanti par les sources gréco-latines. On n’en trouve nulle trace en effet dans les Écritures et il faudra bien des contorsions aux auteurs du xvie siècle pour trouver dans la Genèse l’idée que la musique serait née de la jalousie d’Ève envers les oiseaux perchés dans les arbres de l’Éden.

17Au scénario de la musique née du fond des forêts équatoriales devait ainsi répondre l’idée de la musique entendue comme expression sonore d’une harmonie incorporelle d’essence musico-mathématique qu’une certaine divinité insuffle de l’extérieur dans le corps du monde. Qu’il s’agisse du démiurge du Timée de Platon ou de la divinité judéo-chrétienne ne change rien au modèle d’intelligibilité de l’origine de la musique. Quant aux lecteurs du Liber Sapientiae, ils apprennent que la musique est un « don de Dieu » qui a tiré parti de sa science pour orchestrer l’univers à travers le « nombre, le poids et la mesure ».

18Sur le versant du savoir diffusé par les disciplines libérales, le dénominateur commun entre la musique du cosmos et son expression sonore fut pendant plus d’un millénaire le tissu des rapports numériques découverts par le divin Pythagore, inventore musicae, qui « trouve » la musique – au sens étymologique du terme – toute prête et préétablie dans les canons musico-mathématiques relevés par l’analyse des corps sonores. Et la présence simultanée de cette mathématique dans les deux sources de la pensée musicale de l’Occident latin, à savoir l’Ancien Testament et la philosophie gréco-latine, constitue un argumentum ex auctoritate qui a permis d’asperger d’eau bénite le pythagorisme antique. Ceci permit de soutenir que le divin Pythagore était parvenu à entendre les résonances de l’harmonie universelle créée par le « vrai Dieu ».

19Sur le versant de la chrétienté, la première épiphanie de la musique céleste fut l’œuvre de Jésus-Christ lui-même qui fut capable, en vertu de sa double nature divine et humaine, de rétablir l’accord détruit par le péché originel [9].

20On finit toutefois par trouver le truchement qui permettait de raccrocher les racines célestes et les racines agrestes de la musique, en élevant la voix d’or des volatiles au rang d’instrument de l’harmonie universelle.

21L’exemple le plus célèbre est celui du premier animal à plumes que l’on rencontre en remontant le cours de l’histoire, un volatile qui s’est trouvé investi, malgré ses faibles performances mélodiques, des plus hautes fonctions de transmission : une colombe blanche. Or cette même colombe blanche se vit attribuer par la tradition, à partir du ixe siècle, la seconde épiphanie du chant mise en œuvre par le pape Grégoire. Le chant de l’oiseau se trouva ainsi promu au rang d’intermédiaire entre les chœurs des anges et le chant liturgique qui était sous l’autorité du pape. L’exemple le plus célèbre est le symbole magnifique imaginé par Dante au Chant XXVIII du Purgatoire où la suavité du gazouillis des oiseaux nichés dans les frondaisons du jardin d’Éden entre en contrepoint avec la vibration du vent cosmique engendré par les sphères célestes qui déploient leur immensité devant le poète à peine sorti de l’Enfer.

22

Désirant chercher par là et alentour
La divine forêt épaisse et vive
qui tempérait aux yeux le jour naissant,
sans plus attendre, je laissai la rive,
en prenant la campagne très lentement,
dont le sol embaumait de tous côtés.
Un léger souffle, sans changement,
glissait à travers mon image,
sans me frapper plus qu’un vent très doux ;
les feuilles, tremblant, dociles
se pliaient toutes de ce côté
où le saint mont jette sa première ombre ;
mais elles restaient cependant assez droites
pour que les oiseaux sur leurs cimes
pussent continuer à pratiquer leur art ;
ils accueillaient en chantant dans les feuilles,
d’une joie pleine, les premières heures,
qui tenaient le bourdon à leurs rimes :
ainsi passe un son de branche en branche
au rivage de Chiassi, par la pinède,
quand Éole délivre le sirocco [10].

23Néanmoins, ces récits élogieux ne pouvaient manquer d’entrer en conflit, du point de vue théologique, avec une attitude moins condescendante, dictée par la conviction conforme aux principes rationnels de la musique, que le chant des oiseaux restait inférieur d’un point de vue sémantique. Dans l’Occident latin, les différentes tentatives pour évaluer l’éloquence des sons – à travers leurs degrés de rationalité – et leur valeur éthique ont été le corollaire d’une entreprise qui consistait à mettre en parallèle les éléments actifs dans le corps de la mélodie – matière sonore du chant, forme mathématique, texte chanté – et l’ordre hiérarchique des pouvoirs cognitifs de l’âme engagée dans leur perception.

24Décrire les différentes facettes d’un tel système exigerait une vie entière. Qu’il soit cependant permis de schématiser l’ordre des facultés dans la synthèse des différents courants de la pensée antique. Ce sont eux qui confluent dans la psychologie éclectique de l’Occident latin pour aboutir à une structure pyramidale qui prendrait la forme d’un lambda, simple au sommet et complexe à la base, à l’image de la dichotomie infinie de la matière vivante. Et ainsi de haut en bas, l’âme intellective (mens, ratio), anima sensitiva memoria, imaginatio phantasia sensus communis, vis aestimativa, sensus, spiritus. Au sommet, l’œil céleste de l’âme, simple, unitaire, supérieur au devenir indéterminé de la matière et de l’histoire ; à l’opposé, l’opacification progressive des facultés inférieures, plus proches de la matière corporelle. L’âme est alors une harmonie discordante de contraires, en équilibre instable entre l’intellect et le corps, distribuée en facultés intermédiaires, comme les sons de l’échelle diatonique entre les deux extrêmes de l’octave. Entre la passivité de celui qui écoute et la mélodie active, la psychologie tend comme un miroir qui réfléchit les porte-voix sonores des puissances cognitives de l’âme. À l’âme sensitive répond la signification « fantastique » du son indéterminé du point de vue conceptuel. À la raison, siège du discours, répond le texte chanté et le nombre harmonique – ratio rime avec fractio – dans ses différentes déclinaisons métaphysiques, de la matière à l’Idée : numeri sensati, occurrentes, judiciales (Saint Augustin, De Musica).

25En outre, associés à la raison, le texte et le nombre harmonique sont à la matière du son comme la liberté du jugement critique est aux facultés inférieures. C’est si vrai que la liberté qu’a celui qui écoute de résister aux tentatives de séduction opérées par les sons est directement proportionnelle à l’intelligence des puissances cognitives : plus l’organe du jugement plonge ses racines dans la boue de la matière incarnée, plus sa cécité sera grande. C’est avec une facilité accrue que la virtus flexanima de la mélodie pénétrera dans l’imagination à travers les esprits animaux pour parasiter la raison, réduisant le sujet à un esclavage semblable à celui que provoquent le vin ou les drogues.

26C’est la raison pour laquelle, depuis l’antiquité, les maîtres de rhétorique conseillent à leurs disciples de s’adresser à l’imagination à travers des tropes et des images spatiales, comme l’ekphrasis, les gesticulations de l’orator pendant l’actio, et de s’adresser aux yeux de l’imagination pour plier le jugement critique (flectere animam) à travers un langage qui serait compris par l’imagination seulement : langue de formes, d’images et de sons. Siège de l’activité duplicative de l’imaginatio, l’âme sensible se limite à séparer les formes de leurs vecteurs sensibles. Elle imagine les gestes, sons, figures, symboles, figures rhétoriques qu’elle déforme ad libitum. Elle possède en elle-même tous les arts mimétiques de la scène. Mais c’est précisément parce qu’elle peine à s’abstraire du monde dans les formes spatiales, qu’elle est la plus myope des facultés, aussi bien du point de vue formel que moral. C’est ce qu’attestent les anathèmes des pères de l’Église à propos des porte-voix scéniques thymelici, histriones, fatui cantores, acteurs de théâtre, mimes et amuseurs publics. Mauvaise dialecticienne, l’imagination est incapable d’opposer la moindre résistance aux séductions des formes, et comme une courtisane facile à séduire, elle acquiesce au moindre objet qu’on lui met sous les yeux. (Nos publicitaires l’ont bien compris. Les exemples ne manquent pas.)

27Déchiré entre l’âme et le corps, le jugement critique du sujet est alors tyrannisé au sens propre par une harmonie discordante de forces antagonistes, comme la caisse de la lyre qui résiste aux tensions de la corde. La vertu de la musique est scellée par la victoire du libre-arbitre qui triomphe du corps. Le vice est l’abandon délibéré de la volonté conduite par le chant à se faire esclave des sens. Il n’est que trop vrai que, quelle que soit la nature de la musique, le sujet qui écoute est seul en cause – faute de quoi il n’y aurait ni gloire ni déshonneur.

28Mais il n’est pas moins vrai qu’il y a des objets plus attirants que d’autres, comme le démontrent les tentations de saint Antoine.

29Sur le plan musical, ce rôle a été assigné à la valeur fantastique du son, capable de libérer pendant le sommeil de la raison, des monstres difformes et incontrôlables, comme l’écrivit Goya. Pendant des siècles, la responsabilité en incombera au très célèbre passage des Confessions dans lequel Augustin dénonce le pouvoir émotionnel de la musique liturgique. Conformément à la racine étymologique du terme melos, qui renvoie aux parties anatomiques des animaux, saint Augustin considère la mélodie comme un double psychique de l’âme. Il pousse cette métaphore jusqu’à ses dernières conséquences, en reconnaissant dans le texte chanté et dans le corps sonore qui le revêt les deux porte-voix respectifs de l’âme rationnelle et de l’âme sensitive. Il situe dans l’âme rationnelle les opérations de la perception du texte, et avec elles les facultés de l’activité critique, qui assurent au sujet la liberté de résister aux tentatives de séduction mises en œuvre par la musique sur les sens internes. C’est ce qui explique la méfiance à l’égard du pouvoir psychique de la musique, capable d’enivrer l’esprit en plongeant la volonté dans la boue de l’imagination, là où Satan a planté l’arbre de la concupiscence. Saint Augustin a bien lu Aristote et il sait que la raison est le maître, et l’âme irrationnelle son esclave. Mais quand le son parvient à manipuler les formes de l’âme sensitive, mettant à l’épreuve le libre arbitre, la mélodie agit avec le pouvoir coercitif du chant des Sirènes, qui conduisirent à la mort des marins qui auraient bien aimé poursuivre leur existence de marins. Dans ce cas-là, c’est l’âme sensitive qui gouverne comme un maître et la raison suit sans broncher, comme un esclave. Aristote chevauché par une courtisane.

30Cette logique plonge ses racines dans l’antiquité grecque. Mais aucun philosophe de l’Antiquité, et pour cause, n’aurait pu écrire que la musique avait le pouvoir de compromettre la vie de l’âme ou qu’un glissement du libre arbitre dans le limon de l’imagination pouvait reproduire le péché originel. Saint Augustin n’hésite pas à confesser qu’il pèche musicalement quand il est davantage ému par la musique que par les paroles et que, dans ce cas, il mérite pénitence.

31

Les plaisirs de l’ouïe m’avaient enveloppé et subjugué plus tenacement, mais vous m’avez délié et libéré. Je me plais maintenant encore, je l’avoue, aux chants qu’animent vos paroles […] sans toutefois me laisser lier par eux et tout en gardant la liberté de me lever quand je le veux […]. Parfois je crois leur accorder plus d’honneur que je ne devrais : je me rends compte que ces paroles saintes, accompagnées de chant, m’enflamment d’une pitié plus religieuse et plus ardente que si elles n’étaient sans cet accompagnement. C’est que toutes les émotions de notre âme ont selon leurs caractères divers, leur mode d’expression propre dans la voix et le chant, qui par je ne sais quelle mystérieuse affinité les stimule. Mais le plaisir des sens, par quoi il ne faut pas laisser énerver l’âme, me trompe souvent : la sensation ne s’en tient pas à accompagner la raison en la suivant modestement mais elle qui tient de la raison tous ses titres à être admise, cherche à la précéder et à la conduire. C’est en cela que je pèche à mon insu ; j’en prends conscience après coup. D’autres fois je me défie par trop de sévérité : c’est au point qu’en ces moments je voudrais à tout prix éloigner de mes oreilles, et de celles de l’église même, la mélodie de ces suaves cantilènes qui servent d’habituel accompagnement aux psaumes de David. Alors je crois plus sûre la pratique qui fut celle d’Athanase, l’évêque d’Alexandrie. Je me souviens d’avoir souvent entendu dire qu’il les faisait réciter avec de si faibles modulations de voix que c’était plutôt une déclamation qu’un chant […]. Ainsi je flotte entre le danger du plaisir et la constatation des bons effets qu’elle opère ; et, tout en me gardant d’un avis irrévocable, je penche à approuver la coutume du chant dans l’Église, afin que, par le charme des oreilles, l’âme encore trop faible s’élève aux sentiments de la piété.D’ailleurs, quand il m’arrive d’être plus ému du chant que des paroles chantées, j’avoue que mon péché mérite pénitence, et alors je préférerais ne pas entendre de chants [11].

32Porte-voix de l’âme sensitive, la musique pure dit les émotions irrationnelles placées hors du contrôle de la volonté. On comprend mieux pourquoi, peut-être, Augustin se méfie de la musique et ne l’aime qu’à la condition de conserver sa liberté et de ne pas se laisser enchaîner par son charme : en un mot de pouvoir partir quand il le veut pour lui tourner le dos (comme Nietzsche, il aurait certainement comparé la musique de Wagner au pouvoir sédatif de l’opium). Il arrive que saint Augustin, pour réduire un tel pouvoir séducteur, adopte le parti de saint Athanase qui rapporte les intervalles mélodiques au rang d’un récitatif liturgique du texte. Il remercie Dieu de l’avoir libéré des chaînes du plaisir. En tant qu’instance de ces facultés que l’homme partage avec les animaux, oiseaux compris, le pouvoir séducteur de la musique est un mal nécessaire, bon, comme le miel qui sucre le pourtour du pot, pour élever « l’âme encore trop faible […] aux sentiments de la piété » [12]. Mais elle reste un mal.

33Cette logique résume à elle seule le discours théologique sur l’éthique musicale. Mais il y a plus : elle porte aussi sur l’esthétique de la musique sacrée. On en vint ainsi à la conclusion que la bonne musique est celle qui impose un frein inhibiteur à une matière sonore, comme le cocher dans le mythe de l’attelage ailé du Phèdre de Platon. Dans la monodie ce rôle de modérateur échut au texte appelé à combler la signification fantastique du son, ou au nombre. Avec l’émergence des grandes constructions polyphoniques de l’ère gothique, de l’École de Notre-Dame à l’ars nova, il appartiendra à la gestion des échéances rythmiques à grande échelle, par le nombre et la proportion, d’informer la matière informe du son pour empêcher son développement protéiforme en vue du pathos.

34Il se déduit avec évidence de ce qui précède que la hiérarchie des pouvoirs cognitifs de l’âme qui travaille dans les coulisses de cette logique ne pouvait avoir d’autres conséquences que de reléguer le chant des oiseaux dans les couches inférieures de l’âme – et en particulier à travers la vis aestimativa, que l’homme partage avec les animaux. Que cette faculté constitue l’unique ressource « mentale » des animaux est démontrée par leur incapacité à s’exprimer verbalement. Ainsi, pendant des siècles, la tradition philosophique reconduira la thèse selon laquelle si l’homme se trouvait réduit à l’âme sensitive, il parlerait comme les singes et les animaux au moyen du langage non verbal des gestes et des sons. Quant au contre-exemple offert par le psittacisme des perroquets, il faisait long feu. En effet, l’objection était démontée sans coup férir par l’incapacité des perroquets à rendre compte théoriquement de leur pratique imitative. Comment les perroquets sauraient‑ils parler alors qu’ils ne peuvent même pas dire qu’ils le font ? Ils rappellent le masque de théâtre évoqué dans la nouvelle du Phèdre, quanta species cerebrum non habet. Cette thèse est défendue par Augustin lui-même dans un passage du De Musica dont il faut rappeler qu’il s’agit d’un dialogue entre un élève et son maître :

35

5. Il nous reste à examiner pourquoi le mot science entre dans la définition. — L’E. Oui, car je me rappelle que l’ordre de la discussion le demandait ainsi. — L. M. Eh bien ! es-tu d’avis que le rossignol conduise bien les modulations de sa voix dans la saison printanière ? Son chant est plein d’harmonie et de charme ; il est de plus, si je ne me trompe, en parfaite conformité avec la saison (1). — L’E. D’accord. — L. M. S’ensuit‑il qu’il connaisse les règles de notre art ? — L’E. Non. — L. M. Tu vois donc que le mot de science est nécessaire à la définition. — L’E. Je le vois fort bien. — L. M. Dis-moi, je te prie, ne te paraissent‑ils pas ressembler au rossignol tous ceux qui, guidés par une sorte d’instinct, chantent bien, je veux dire, avec mesure et avec grâce, et ne savent que répondre, si on leur fait une question sur l’harmonie et sur l’échelle des sons graves et aigus ? — L’E. Ce ne sont que des rossignols. —L. M. Et comment qualifier ceux qui prennent plaisir à les écouter sans avoir aucune teinture de cette science ? Nous voyons des éléphants, des ours, et d’autres animaux exécuter des mouvements en cadence, aux sons de la voix humaine, les oiseaux eux-mêmes s’enivrent de leurs chants, et ils ne les prodigueraient pas sans doute avec tant d’ardeur, s’ils n’obéissaient à l’attrait du plaisir plutôt qu’aux calculs de l’intérêt ; à ce titre, ne faut‑il pas comparer aux animaux de pareilles gens ? — L’E. D’accord ; mais voilà une critique à l’adresse de la plupart des hommes. — L. M. Ma pensée ne va pas si loin. Des hommes éminents, étrangers à la musique, se plaisent à partager les goûts du peuple, qui ne s’élève guère au-dessus des animaux et qui est en immense majorité, ce qui est chez eux un trait de modération et de prudence : mais ce n’est pas le moment de discuter cette question ; ou bien ils vont les écouter pour se délasser de leurs sérieuses occupations et chercher avec discrétion un plaisir qui les récrée. Mais s’il est raisonnable de prendre de temps en temps un pareil plaisir, il est honteux et dégradant de s’y laisser prendre même de temps en temps.
6. Ne te semble-t‑il pas aussi que les joueurs de flûte, de cithare ou de tout autre instrument ne sont que des rossignols ? — L’E. Pas tout à fait. — L. M. Et en quoi diffèrent‑ils du rossignol ? — L’E. En ce qu’il y a un certain art, à mon sens, chez le musicien, tandis que le rossignol n’est guidé que par la nature. — L. M. Ce que tu dis a quelque vraisemblance : Mais faut‑il décorer du nom d’art ce qui n’est chez eux, qu’un effet de l’imitation ? — L’E. Pourquoi pas ? Car l’imitation joue un si grand rôle dans les arts, qu’ils disparaîtraient presque avec elle. Les maîtres s’offrent en modèle et c’est là ce qu’ils appellent enseigner. — L. M. L’art, sans doute, relève à tes yeux de la raison, et procéder avec art, c’est procéder avec raison : N’est-ce pas ton avis ? — L’E. Oui. — L. M. Par conséquent, sans la raison, il n’y a point d’art. — L’E. C’est un point que je t’accorde encore. — L. M. Crois-tu que les animaux, qui n’ont l’usage ni de la parole, ni de la raison, comme on dit, soient capables de procéder avec raison ? — L’E. En aucune façon. — L. M. Tu vas donc reconnaître ou que les perroquets, les pies, les corbeaux sont des animaux raisonnables ou que tu as trop légèrement donné le nom d’art à l’imitation. On sait en effet que les oiseaux apprennent, à l’école de l’homme, à produire certains chants, certains sons, et qu’ils n’y arrivent que par l’imitation. As-tu une autre opinion ? — L’E. Je ne saisis pas très-bien la conséquence de ton raisonnement, ni ce qu’elle peut avoir de décisif contre ma réponse. —- L. M. Je t’avais demandé si les joueurs de cithare, de flûte et autres gens de ce métier possédaient l’art musical, quoiqu’ils ne dussent qu’à l’imitation les effets qu’ils produisaient sur leurs instruments. Ils possèdent l’art, m’as-tu répondu ; ce qui est si vrai, as-tu ajouté, que presque tous les arts seraient en péril si l’on en retranchait l’imitation. On peut donc conclure de tes paroles, qu’on procède avec art, lorsqu’on atteint un but par imitation, quand bien même on ne devrait pas à l’imitation la connaissance de l’art. Or, si l’imitation se confond avec l’art, et l’art avec la raison, imitation et raison sont la même chose ; mais l’animal sans raison ne fait pas usage de la raison ; il ne possède donc pas l’art, et comme il est capable d’imiter, l’art ne peut se confondre avec l’imitation [13].

36La source qui faisait autorité pour reconduire la dichotomie entre âme rationnelle et âme sensitive à un rapport hiérarchique entre un homme libre et un esclave est le chapitre sur l’éthique musicale qui se trouve au livre VIII de la Politique d’Aristote. Dans les chapitres précédents, Aristote avait prouvé que la répartition inégale des facultés voulue par la nature était telle qu’une partie de l’humanité naissait, dans son propre intérêt, dans une condition d’esclavage par rapport aux hommes dotés de facultés intellectuelles plus aiguës. Aristote tirait plusieurs conséquences radicales de la condition d’esclavage dans laquelle se trouve l’âme sensitive par rapport à l’âme rationnelle. Il justifiait ainsi la liberté de la connaissance dispensée par les disciplines libérales par rapport aux techniques, subordonnées servilement à des finalités pratiques situées à l’extérieur de la discipline – parmi lesquelles la contamination de la vérité en vue du profit. Une telle thèse nourrit le lieu commun répété à l’envi pendant des siècles qui voulait que Pythagore eût élevé les disciplines mathématiques au-dessus des soucis répugnants des marchands.

37Au livre VII, Aristote entend délibérer sur les contenus de l’éducation musicale qu’il faut donner dans la polis : faut‑il former des connaisseurs de la musique ou des techniciens susceptibles de s’exhiber dans les théâtres ? Aristote opte pour la première des deux solutions. C’est que la pratique concertante n’est pas seulement l’expression corporelle des facultés les plus basses de l’esprit, il s’agit également d’une activité appliquée, orientée vers la séduction d’un public hétérogène, composé d’hommes libres et d’esclaves abrutis. Aux difformités mentales de ce genre de public, dont l’âme « a dévié de son état naturel », poursuit Aristote, le virtuose doit offrir des modes et des structures harmoniques tout aussi déviantes (parekbaseis), proportionnées à leurs difformités – dans la mesure où ils sont incapables de comprendre quoi que ce soit d’autre : des mélodies démesurément pathétiques colorées de micro-intervalles chromatiques sophistiqués, des tonalités métaboliques modulées qui « bifurquent » brusquement dans les régions les plus inattendues du registre pour altérer l’imagination du sujet avec la plus grande violence possible. Et c’est ainsi que la volonté de s’attirer les applaudissements du public grâce au recours de tels processus de séduction enracinés dans les passions passives de l’âme sensitive réduira l’esprit du virtuose à une condition de dépendance impure, en tous points analogue à la prostitution.

38Au ve siècle, grâce à Boèce, autorité tutélaire de l’ars musica pendant plus d’un millénaire – Rameau le cite encore par cœur – la situation pour ainsi dire schizophrénique du musicien divisé entre ratio et sensus, mathématiques et oreille musicale, offrira une caution scientifique à la fracture de l’activité musicale entre musique spéculative et pratique musicale. D’un côté la contemplation gratuite des causes mathématiques de l’harmonie, dispensée, sans préoccupations pratiques, du haut de la chaire du musicus ; de l’autre, le cantor, réduit à la connaissance « aveugle » de l’oreille – précurseur de ces professeurs d’ignorance qui peuplent aujourd’hui les conservatoires.

3. L’ânesse de Guido d’Arezzo et la linotte de Calvin

39Dans ses Regulae rythmicae, Guido d’Arezzo qui fut pourtant l’inventeur emblématique d’une activité pratique aussi importante que la solmisation, présente, en accord avec Augustin, le chanteur qui ignorerait sa pratique comme une « bête ». Moins qu’un rossignol, il est une véritable « ânesse vocale » :

40

Très grande est la distance qui sépare les chanteurs des musiciens ; ceux-ci prétendent dire de quoi se compose la musique, les autres le savent. Car celui qui fait ce qu’il ne sait pas peut être qualifié d’animal. D’ailleurs, si quelqu’un louait les voix par rapport au volume d’un son tonitruant, le braiement d’une ânesse dépasserait celle d’un rossignol [14].

41Pour des raisons qui tiennent très probablement à des questions de « parapsychologie » comme la possibilité reconnue au spiritus phantasticus de s’incarner dans un animal maléfique comme le loup-garou ou l’oiseau de mauvais augure, bête féroce, la culture médiévale a poussé très loin la méfiance à l’endroit du chant des volatiles au point de voir dans son imitation une pratique proprement diabolique. Au xve siècle en témoigne encore la question protocolaire relative à cette éventualité, qu’on trouve formulée dans les procès pour sorcellerie.

42Au xvie siècle, Calvin se révèle un ennemi du chant des oiseaux plus catholique que saint Augustin lui-même. Dans la préface du Psautier Huguenot, il ne perd de vue ni la distinction établie dans les Confessions entre le texte et son vêtement sonore, ni leur correspondance avec les facultés de l’âme :

43

Or en parlant maintenant de la Musicque ie comprens deux parties, asçavoir la lettre, ou subiect et matière. Secondement le chant, ou la mélodie [15].

44Calvin relie les « aureilles » à l’« harmonie » et l’« esprit » au « sens spirituel des parolles », partageant l’auditeur entre raison et sensation, texte et musique. Il cite alors saint Augustin pour élever la rationalité de la musique pourvue d’un texte au-dessus du chant sans paroles, qu’il relègue au rang du chant des oiseaux :

45

Et en cela (dict Saint Augustin) gist la différence entre le chant des hommes & celui de oiseaux. Car une linote, un rossignol, un papegay chanteront bien : mais ce sera sans entendre. Or le propre don de l’homme est de chanter en sachant ce qu’il dit. Après l’intelligence doit suivre le cœur et l’affection […] [16].

46Dans la tradition philosophique, le pouvoir séducteur de la musique touche son sommet d’intensité lorsque la musique et l’âme vibrent à l’unisson lors du sommeil de la raison et du libre arbitre. Alors que St Augustin parvenait – grâce à l’aide de Dieu – à se « lever quand il le désir[ait] », Calvin noie le libre arbitre dans la fange de la chair. Corrompue sans remède possible par le péché originel, l’âme est « une caverne de toutes ordures et puantises » [17], en proie à la discordance de toutes ses parties. Sa volonté malade tombera inévitablement sur le terrain glissant de la chair. Et c’est alors que la musique exerce sur l’auditeur une action psychotrope d’une violence accrue :

47

une vertu secrette et quasi incroyable tourner ou fléchir çà et là les mœurs des hommes, comme Plato l’a prudemment considéré. Et de fait, nous expérimentons qu’elle a une vertu secrette & quasi incroyable à esmouvoir les cœurs en une sorte ou en l’autre [18].

48Faute d’un frein inhibiteur, ce pouvoir est tel qu’il n’a d’égal que l’action enivrante du vin :

49

Il est vray que toute parole mauvaise (comme dict Saint Paul) pervertit les bonnes mœurs : mais quand la mélodie est avec, cela transperce beaucoup plus fort le cœur, & entre au-dedans : tellement que comme par un entonnoir le vin est jeté dedans le vaisseau : aussi le venin & la corruption est distillée jusqu’au profond du cœur, par la mélodie [19].

50Mieux. Chez Calvin la musique agit non seulement comme un vin de Falerne, mais elle multiplie son pouvoir en agissant sur un alcoolique en puissance, génétiquement programmé par la corruption de son sens de la mesure :

51

Si une fille s’accoustume à chanter de folles amours, on en fera une paillarde devant même qu’elle sache ce qu’est la paillardise [20].

52C’est pourquoi les lois genevoises du xvie siècle proscrivent de la cité la musique profane sous toutes ses formes, avec toutes ses « superflueues insollences » propres à « lascher la bride à dissolution », de la danse, aux « momons », en passant par les chansons paillardes et le chant des moissonneurs (loi de 1577) :

53

chansons en partie vaines et frivolles, en partie sottes et lourdes en parties salles et vilaines et par conséquens mauvaises et nuysibles.

54Reste comme dernier remède, la possibilité d’un recours analogue aux tampons de cire préconisés par Ulysse contre le pouvoir séducteur du chant des Sirènes :

55

mais il se faut tousiours donner garde que les aureilles ne soyent plus attentives à l’harmonie du chant, que les esprits au sens spirituel des parolles [21].

56Don de Dieu, la musique est bonne à condition qu’on use de la « modération » : et on comprend que par ce terme le réformateur genevois entend le frein inhibiteur imposé par le texte et son écoute active à la mélodie, comme l’eau tempère la puissance calorifique du vin :

57

Quand donc on usera de telle modération, il n’y a aucun doute que ce ne soit une façon tressaincte et utile ; comme au contraire, les chants et mélodies qui sont composées au plaisir des aureilles seulement, comme sont tous les fringots et fredons de la Papisterie, et tout ce qu’ils appellent musique rompue et chose faite et chants à quatre parties, ne conviennent nullement à la majesté de l’Église et ne se peut faire qu’ils ne desplaisent grandement à Dieu [22].

4. Le paresseux de Kircher et les avancées d’Hawkins

58Au xvie siècle l’émergence de l’autonomie individuelle et de l’esprit critique font voler en éclats un grand nombre de certitudes. Un terrain fertile de cette libération est offert par le luthérianisme sans commune mesure avec le calvinisme. Dans la préface rédigée par Luther au Geystlich Gesangk Buchleyn (1524) de Johann Walther, le rossignol est dépeint comme le maître de musique qui chante les louanges de Dieu qui est l’auteur de son chant [23]. Maître : le mot compte si l’on veut bien se souvenir du contexte sémantique du terme, réservé à la description du génie de Josquin Desprez, loué par Luther en qualité de « noten Meister » supérieur à toutes les règles.

59Et tout d’un coup voici que se trouvent libérés de la cage de fer du néoplatonisme augustinien les rossignols, mésanges, merles et pies qui entonnent leurs chants de joie au printemps des vertes prairies de l’aristotélisme parmi les partisans d’un retour à l’antique (Vincenzo Galilei) « laïque » que le pythagorisme et le néoplatonisme ont fini par lasser.

60Mais c’est avec la révolution scientifique du xviie siècle que le triomphe de l’immanence semble avoir définitivement raison du mépris médiéval manifesté pour la boîte crânienne des volatiles. On ne sera pas surpris d’apprendre que dans le milieu catholique, ce fut l’intérêt des courants militants infiltrés dans le monde séculier comme l’était la compagnie de Jésus qui permit d’effectuer un grand pas en avant. Dans le chapitre proprement stupéfiant consacré par Athanasius Kircher au chant des oiseaux au sein de sa Musurgia Universalis, acoustique, organologie et physiologie des organes vocaux des animaux font tout un en chantant en chœur le triomphe de la Providence divine. Dans le chapitre introductif à l’excursus sur la voix des oiseaux, consacré à l’analogie établie entre la physique des instruments pneumatiques (De analogia organi vocali cum instrumentis musicis penumaticis), les manteaux sont à l’orgue comme les poumons aux humains, le larynx est une trombe, et tout comme les trous des flûtes modulent les différents sons à la base du larynx, de la même manière le grand artificier a prévu une figure différenciée pour prononcer les différents sons articulés dans le discours. Plus que la traditionnelle absence de raison, c’est le manque d’articulation entre la langue et le larynx qui a privé les volatiles de la faculté de la parole, cum enim lingua eorum non respondeat Laryngi, nec ullam habeat ad vocales consonantesque pronunciandas, ut ex anatomia illorum patet, habitudinem, mirum non est articuliatam quoque pronunciationem in ipsis deficere. C’est pourquoi les bœufs mugissent, les brebis bêlent, les chiens aboient, les chevaux hennissent, les éléphants barrissent, les lions rugissent, les ânes râlent, contents de la voix reçue en partage de la nature [24]. La providence de Dieu a doté chaque animal d’une langue spécifique qui module en fonction des passions qui les habitent et qui assure la communication de chaque espèce.

61Mais c’est à un miracle enfanté par la nature dans les colonies d’Amérique que revient le rôle de donner le la à l’étude du chant des oiseaux. Si la musique a été empruntée aux animaux sur le continent américain, on n’aurait pas tort de retracer son origine dans la voix de l’animal nommé « Paresseux », dormeur invétéré décrit par le frère Johannes Toro, procureur de la province du nouveau royaume américain.

62Doté d’un organe vocal approprié, il est en mesure d’entonner la nuit les notes de l’hexacorde ut ré mi fa sol la en montant et en descendant, avec une telle exactitude que les Espagnols des colonies qui entendirent une telle vocifération nocturne crurent entendre des hommes instruits dans la musique [25].

Figure 2

63Après quoi, le primat échoit de droit au perroquet, instruit par la nature à rivaliser avec l’homme sur le terrain même de l’ingéniosité et de l’éloquence discursive (sagacitate ingenii et sermone quae intellectui nostro propria sunt). Comment expliquer sinon que le perroquet adresse ses salutations aux spectateurs en grec ancien ? En raison de l’affinité de ses organes avec la nature humaine, de la dimension de sa boîte crânienne aux cordes vocales en passant par le bec la triple articulation de l’appareil phonatoire à la racine de la langue, les mâchoires gonflées semblables à celles d’un homme. C’est ensuite le tour de la pie dont l’organe de phonation a pu imiter la voix d’un chasseur au point, rapporte Nifo, de tromper même les chiens (p. 28).

64Pour ce qui est des oiseaux chanteurs, en vertu de la dynamique propre à leurs organes, leur virtuosité dépasse les diminutions ornementales des plus habiles castrats. Jamais dans l’histoire, un auteur n’avait atteint l’hyperbole qui consiste à déclarer ou à écrire qu’un animal irrationnel est capable, comme le rossignol, d’entonner des intervalles aussi complexes que les micro-intervalles décrits avec la plus grande attention par les calculs mathématiques des auteurs de l’antiquité grecque : les tétracordes chromatiques, diatoniques, enharmoniques (non tantum diatonicam, sed et chromaticam et exharmonicam catandi rationem) [26] ;au point de dépasser en exactitude tout instrument accordé en micro-intervalles, clavecin chromatique ou enharmonique. Mais il va de soi que Kircher évite avec soin de se prononcer sur les facultés psychiques qui se trouvent à la racine de ces intervalles dans la mélodie, pour se replier, en lieu et place, sur un exposé anatomique sur les causes bio-mécaniques.

65Au xviiie siècle, le passage des origines du chant des Idées de Dieu à celles du monde naturel et de ses premiers habitants est accompli. Dieu aurait préparé les conditions comprises en puissance dans la nature et dans l’homme afin que ce dernier en fît la découverte. Mattheson rappelle que selon Jacob Friedrich Reimann [27], les premiers inventeurs de la musique vocale furent les singes qui apprirent leur art du chant des oiseaux [28]. Un auteur anonyme [29] – poursuit Mattheson – aurait soutenu que la jalousie aurait conduit Ève à déduire la mesure des sons du chant des oiseaux. Peu d’auteurs ont poussé, comme le fit Hawkings, l’ornithologie musicale de Kircher jusque dans ses derniers retranchements. Selon lui, le chant précéda l’invention de la musique instrumentale, chose impossible sans une connaissance « des relations harmoniques qui constituent l’essence de l’art » (« the harmonic relations and coincidences of sound, which are the essence of the art »). Les premiers habitants de la terre déduisirent des sons du monde naturel, des cascades, de la percussion des corps, et du chant des oiseaux, non seulement les mesures de l’échelle diatonique naturelle, mais aussi les principes de leur mise en relation dans la mélodie :

66

Such a knowledge as this we may easily conceive was soon attained by even the earliest inhabitants of the earth. The voices of animals, the whistling of the winds, the fall of waters, the concussion of bodies of various kinds, not to mention the melody of birds, as they contain in them the rudiments of harmony, may easily be supposed to have furnished the minds of intelligent creatures with such ideas of sound, as time, and the accumulated observation of succeeding ages, could not fail to improve into a system [30].

67Ainsi le merle chante-t‑il une triade majeure qui aurait convenu à la glotte d’un castrat dans un aria di tromba chez Haendel tandis que le coucou, « comme tout le monde le sait », chante en tierces mineures.

Figure 3

68Et Hawkins de corriger les erreurs de notation de Kircher à propos du coq dunghill :

Figure 4

69La suite est bien connue : au cours du xviiie siècle, l’homme et la nature reprennent définitivement leurs droits contre la transcendance du récit biblique des origines. Le chant des oiseaux a fait son temps. Au dire de Laborde leurs intervalles ne sauraient satisfaire l’oreille humaine et on ne saurait penser qu’ils ont pu servir de modèle aux humains.

70Les auteurs à la pointe du progrès finirent par comprendre que la musique était née en même temps que l’homme et son langage :

71

On suppose communément que le mot de Musique vient de Musa, parce qu’on croit que les Muses ont inventé cet Art ; mais Kircher, d’après Diodore, fait venir ce nom d’un mot Égyptien ; prétendant que c’est en Égypte que la Musique a commencé à se rétablir après le déluge, et qu’on en reçut la première idée du Son que rendaient les roseaux qui croissent sur les bords du Nil, quand le vent soufflait dans leurs tuyaux.

72Il est significatif que dans la version parue dans l’Encyclopédie, traduite de l’article « Music » de la Cyclopaedia d’Elias Chambers (1728), Rousseau achève ici la citation, empruntée par sa source (Malcolm) à Kircher.

73Quarante ans plus tard, dans le Dictionnaire de Musique (1748), Rousseau, insatisfait, ajouta ce qui suit :

74

Quoi qu’il en soit de l’étymologie du nom, l’origine de l’Art est certainement plus près de l’homme, et si la parole n’a pas commencé par du Chant, il est sûr, au moins, qu’on chante partout où l’on parle [31].

5. La volière et la voix

75Dans Julie ou La Nouvelle Héloïse, au cœur de l’Élysée de Clarens, il est une volière où bruissent des oiseaux. Saint Preux s’inquiète et s’interroge, lui qui n’aime rien moins que les prisonniers.

76

Presque à l’extrémité de l’enceinte était un petit bassin bordé d’herbes, de joncs, de roseaux, servant d’abreuvoir à la volière, et dernière station de cette eau si précieuse et si bien ménagée. Au-delà de ce bassin était un terre-plein terminé dans l’angle de l’enclos par une monticule garnie d’une multitude d’arbrisseaux de toute espèce ; les plus petits vers le haut, et toujours croissant en grandeur à mesure que le sol s’abaissait ; ce qui rendait le plan des têtes presque horizontal, ou montrait au moins qu’un jour il le devait être. Sur le devant étaient une douzaine d’arbres jeunes encore, mais faits pour devenir fort grands, tels que le hêtre, l’orme, le frêne, l’acacia. C’étaient les bocages de ce coteau qui servaient d’asile à cette multitude d’oiseaux dont j’avais entendu de loin le ramage ; et c’était à l’ombre de ce feuillage comme sous un grand parasol qu’on les voyait voltiger, courir, chanter, s’agacer, se battre comme s’ils ne nous avaient pas aperçus. Ils s’enfuirent si peu à notre approche, que, selon l’idée dont j’étais prévenu, je les crus d’abord enfermés par un grillage ; mais comme nous fûmes arrivés au bord du bassin, j’en vis plusieurs descendre et s’approcher de nous sur une espèce de courte allée qui séparait en deux le terre-plein et communiquait du bassin à la volière. M. de Wolmar, faisant le tour du bassin, sema sur l’allée deux ou trois poignées de grains mélangés qu’il avait dans sa poche ; et, quand il se fut retiré, les oiseaux accoururent et se mirent à manger comme des poules, d’un air si familier que je vis bien qu’ils étaient faits à ce manège. « Cela est charmant ! » m’écriai-je. Ce mot de volière m’avait surpris de votre part ; mais je l’entends maintenant : je vois que vous voulez des hôtes et non pas des prisonniers. – Qu’appelez-vous des hôtes ? répondit Julie : c’est nous qui sommes les leurs ; ils sont ici les maîtres, et nous leur payons tribut pour en être soufferts quelquefois. – Fort bien, repris-je ; mais comment ces maîtres-là se sont‑ils emparés de ce lieu ? Le moyen d’y rassembler tant d’habitants volontaires ? Je n’ai pas oui dire qu’on ait jamais rien tenté de pareil ; et je n’aurais point cru qu’on y pût réussir, si je n’en avais la preuve sous mes yeux [32].

77Ce texte a attiré mille commentaires : l’Élysée est certes une synthèse de l’art des jardins au mitan du siècle. Il est à la fois le jardin d’Éden d’où les amants ont été chassés après le baiser du bosquet ; il est l’exposition de la vertu ; il offre le spectacle de la nature recréée selon le modèle du « remède dans le mal » (Jean Starobinski) ; il est aussi un modèle d’économie de la décroissance dont la richesse est la jouissance.

78Certains interprètes plus osés voulurent y voir une métonymie du sexe de Julie. Il est aussi un jardin de morts où dialoguer dans l’au-delà. Le pépiement des oiseaux peut jouer sa part dans toutes ces interprétations. Une chose est sûre : leur ramage fait vibrer les arbres d’une harmonie naturelle et rassurante. Quand Saint Preux revient à bride abattue de Villeneuve où il a rêvé la mort de Julie, il s’arrête à la lisière de l’Élysée. Il croyait l’avoir perdue, mais il la retrouve sans avoir besoin de la voir :

79

J’avançais toujours, quoique lentement, et j’étais déjà près de la cour quand j’entendis ouvrir et refermer la porte de l’Élysée. N’en voyant sortir personne, je fis le tour en dehors et j’allai par le rivage côtoyer la volière autant qu’il me fut possible. Je ne tardai pas de juger qu’on en approchait. Alors, prêtant l’oreille, je vous entendis parler toutes deux ; et, sans qu’il me fût possible de distinguer un seul mot, je trouvai dans le son de votre voix je ne sais quoi de languissant et de tendre qui me donna de l’émotion, et dans la sienne un accent affectueux et doux à son ordinaire, mais paisible et serein, qui me remit à l’instant et qui fit le vrai réveil de mon rêve [33].

80Qu’il bruisse du ramage des oiseaux ou de la voix des inséparables, l’Élysée est un jardin acoustique où la voix annonce la liberté et la vie menacées.


Date de mise en ligne : 07/08/2019

https://doi.org/10.3917/poesi.167.0089

Notes

  • [1]
    Cité par Marius Schneider, « La musique dans les civilisations non européennes », in Histoire de la Musique, Des origines à Jean Sébastien Bach, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 152.
  • [2]
    Hisdosus Scholasticus, ad Chalcidium in Plat. Tim. [Cod. Paris, Lat. 8624, sec. XII f.2] ; Diels, 22 B 67 a = J.P. Dumont, D. Delattre et J.-L. Poirier, Les Présocratiques, B 67, p. 161 : « De même que l’araignée, dit‑il, immobile au milieu de la toile, sent, dès qu’une mouche rompt quelque fil, et y court rapidement, comme affectée de douleur par la coupure du fil, de même l’âme de l’homme, lorsqu’une quelconque partie du corps est blessée, s’y précipite, comme si elle ne pouvait supporter la blessure de ce corps auquel elle est solidement et harmonieusement attachée ».
  • [3]
    Boèce, De consolatione philosophiae, C. Moreschini ed., Opuscula theologica, Bibliotheca Teubneriana, Munich, Leipzig : K.G. Saur, 2005, p. 40. Metrum III, v. 10-15 : « Tu numeris elementa ligas ut frigora flammis Arida conveniant liquidis, ne purior ignis Evolet aut mersas deducant pondera terras. Tu triplicis mediam naturae cuncta moventem Conectens animan per consona membra resolvis ; 15 Quae cum secta duos motum glomeravit in orbes. »
  • [4]
    Homère, Odyssée, XXI, 40.
  • [5]
    Alcman, ap. Athen. ix 374d (ii 318 Kaibel) = Alcman, fragm. 40, Fragments, W. Heinemann éd., 2015, London, Loeb Classical Library, Cambridge, Mass, Harvard University Press, p. 424.
  • [6]
    Athénée, Deipnosophistes, IX, 389 f.
  • [7]
    Plutarque, De sollertia animalium, 974 a = Diels-Krantz, Die Fragmente der Vorsokratikern, 68 B 154.
  • [8]
    « At liquidas avium voces imitarier ore ante fuit multo quam levia carmina cantu concelbrare homines possent aurisque iuvare, et zephyri, cava per calamorum, sibilia primum agrestis docuere cavas inflare cicutas », 1379-1380, p. 420 ; Lucrezio, Classici greci e latini, éd. Guido Milanese, Milano, Mondadori, 1992, p. 418-419.
  • [9]
    C’est ainsi que le théoricien du xve siècle, Johannes Tinctoris, soutint que Dieu avait insufflé la science musicale à son fils avant sa naissance de telle sorte qu’il pût, après les tentatives brouillonnes des théoriciens de la Grèce ancienne, lui, le musicien suprême, réunifier toutes les choses séparées en une seule, dans son église, grâce à la proportion double de sa double nature et ouvrir la voie aux fondateurs du chant liturgique. Johannis Tinctoris, Proportionale Musices, I, 10 Opera theoretica, ed. Albert Seay, 3 vols. in 2 ; Corpus scriptorum de musica, vol. 22 ([Rome] : American Institute of Musicology, 1975-78), 2a : 9–60.
  • [10]
    Dante, La Divine Comédie, Jacqueline Risset, Paris, GF-Flammarion, 2010, p. 310-311.
  • [11]
    Saint Augustin, Confessions, Paris, Garnier, 1964, 10, 33, 49-50, p. 236-237.
  • [12]
    L’objection contre une telle lecture consiste régulièrement à citer le passage dans lequel Augustin aurait qualifié les mélodies du jubilée de l’alléluia comme une « laetitia sine verbis », c’est-à‑dire comme une joie excessivement mesurée pour correspondre aux déterminations rationnelles d’un texte chanté. Pourtant ceux qui veulent tirer profit de ce passage ignorent qu’il s’agit d’un excursus des Enarrationes in psalmos sur les chants de travail des paysans aux champs, qui n’a aucun rapport ni avec le jubilée de l’alléluia, ni avec la mesure liturgique. On ne saurait tenter de le concilier avec l’éthique augustinienne du chant.
  • [13]
    St Augustin, Traité de la Musique, I, 4-6. Œuvres complètes de Saint Augustin, traduites pour la première fois en français sous la direction de M. Poujoulat & de M. L’Abbé Raulx, Bar-le Duc, L. Guérin & Cie, 1864-1873, Tome III, p. 401.
  • [14]
    « Musicorum et cantorum magna est distantia  : Isti dicunt, illi sciunt, quae componit musica. Nam qui facit, quod non sapit, diffinitur bestia.Ceterum tonantis vocis si laudent acumina,Superabit philomela vel vocalis asina, Quare eis esse suum tollit dialectica. Hac de causa rusticorum multitudo plurima, Donec frustra vivit, mira laborat insania, Dum sine magistro nulla discitur antiphona. », Guidonis Aretini, « Regulae rhythmicae », éd. Joseph Smits van Waesberghe et Eduard Vetter, Divitiae musicae artis, A/IV, Buren, Knuf, 1985, p. 96.
    Kirsten Gibson (Kirsten Gibson auteure et Ian Biddle éditeur, Masculinity and Western musical Practice, Routledge, Ashgate Publishing, Ltd., 2009, p. 28) a essayé de tirer parti du féminin « asina » – jenny (she ass) – et de « Philomela », dans la tentative de ramener les épithètes de Guido d’Arezzo à des propos phallocratiques de mépris à l’égard des femmes. Elle veut y trouver la marque d’un « rhetorical slippage between the bestial an the feminine » : « Guido’s nightingale is a positive contrast to the jenny, but it is still a bird. And both animals are female. […] This makes the human judge, and not the nightingale, a musicus. What the human practicioners – a group of boys learning how to be men – must avoid is getting the song right without understanding […]. Although monastic masculinity, like that of university scholars, was principally defined in contradistinction to the irrationality of the animals, the femininity of both creatures in Guido’s meter is suggestive […]. Although some traditions, as discussed above, encouraged the development of certain feminine traits as a means of accessing spiritual humility, women’s greater closeness to nature and lesser rationality facilitated rhetorical slippage between the bestial an the feminine. » À cette tentative d’exégèse on répondra que le sujet de la discussion est ici l’opposition générique entre la rationalité de la science musicale et la cécité de la pratique aveugle. Le terme de son incarnation, dans le texte, est le cantor, le chantre masculin, et il n’est pas question de femmes mais d’animaux. Si le dessein de Guido d’Arezzo avait été « the rhetorical slippage between the bestial an the feminine », il aurait certainement employé le féminin cantatrix au lieu du masculin générique cantor. En outre la source de Guido est le passage du De Musica de St Augustin sur l’antinomie musicus- cantor, où l’animalité des musiciens victimes de la seule oreille est incarnée par l’ensemble des animaux, nonnulla genera bestiarum, parmi lesquels des animaux aussi masculins que les éléphants et les ours. Enfin, on aurait tort de consacrer trop d’importance aux thèses d’un auteur qui n’a pas hésité à pourvoir d’un attribut sexuel même le demi-ton, sous prétexte que la « variabilité » du B dur et du B mol ou la rondeur du bémol dans le système de Guido d’Arezzo auraient été regardées comme un signe de féminité… : « Unlike other accidentals, Bb is part of the Guidonian gamut and proper to chant (musica recta). The variability of the letter-name note B (which could be b-mi or b-fa, hard or soft b, in our terms Bu Bb  ; in German h or b), together with the rounded shape of the soft b, and its associations with the idea of softness, linked, as discussed above, to feminine music and – originally and vestigially – to semitone-rich Greek modes, are all discussed as feminine traits. » (p. 28.)
  • [15]
    Jean Calvin, Epistre au lecteur, Pierre Pidoux, Le Psautier huguenot du xvie siècle, Mélodies et documents, Bâle, Bärenreiter, 1962, II, p. 21.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Jean Calvin, Institution de la Religion chrétienne, I, xv, 5, p. 214.
  • [18]
    Jean Calvin, À tous chrestiens, Pidoux, II, p. 20. Dans les ajouts de 1534 à l’Epistre au LecteurLa forme des prières et chantz ecclesiastiques (1542) –, le réformateur décrit ce pouvoir comme un fait d’expérience personnelle.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Jean Calvin, Sermons sur l’épître aux Ephésiens, Œuvres Complètes, LI, 646.
  • [21]
    Calvin, Epistre au lecteur, Pierre Pidoux, Le Psautier huguenot, II, p. 21.
  • [22]
    Cité par Pidoux, Le Psautier huguenot, Introduction, I, p. XV. Dans son commentaire à ce passage (I, p. XVI), ce dernier note que « Les termes à la fois vagues et précis de l’Institution ne peuvent donc se rapporter qu’à certaines pratiques musicales catholiques. Calvin vise les pièces dans lesquelles l’abondance des mélismes ou la complexité de la polyphonie entravent l’intelligence des paroles chantées ». En réalité la terminologie de Calvin est tout sauf « vague ». L’expression « musique rompue » est une traduction du terme technique musica fractibilis, synonyme de musique « mesurée ». « Chose faite » traduit la locution res facta, et désigne la composition écrite, comme antithèse au contrepoint improvisé. Ce langage ne se limite pas à condamner « certaines pratiques catholiques » abusives : il associe à la musique qui « ne plaît pas à Dieu » l’ensemble de la polyphonie du xvie siècle reçue dans le rite catholique, mélismatique ou syllabique : celle de Josquin Depres, Willaert, Gombert, Lasso, Victoria, Palestrina etc. Selon les canons théoriques de l’époque, la polyphonie est un mélange de qualités contraires, que les meilleurs auteurs, de Ficin à Girolamo Mei, identifient aux éléments en conflit dans les corps. Soprano, alto, ténor et basse répondent aux quatre humeurs : bile jaune, sang, flegme et mélancolie.
  • [23]
    Œuvres de Luther, ed., Jaroslav Pelikan et Helmut T. Lehmann, in Liturgy and Hymns, Philadelphia 1965, p. 320.
  • [24]
    Athanasius Kircher, Musurgia universalis, Romae, 1650, Liber I., Anatomicus de Natura soni et vocis, ch.XIV, § 1, De vocibus animalium in genere, p. 25.
  • [25]
    Ibid., De quadrupede animali americano quam pigritiam dicunt et mira vocis eiusdem conromatione, p. 26.
  • [26]
    Ibid., p. 30.
  • [27]
    Versuche einer Einleitung in die historiam litterariam antediluvianam, Halle, 1708, p. 13.
  • [28]
    Johann Mattheson, Der Volkommene Kappelmeister, Vorrede, III, Ursprung des Gesanges, Hamburg, ed. Margaret Reimann Kassel, 1954 [1739], p. 12.
  • [29]
    Jean Baptiste Louis Gresset, Discours sur l’harmonie, Paris, 1737.
  • [30]
    Hawkings, A General History of Music, I, London, T. Payne, 1776, p. 42.
  • [31]
    Jean-Jacques Rousseau, « Dictionnaire de Musique », Œuvres Complètes, Édition thématique du Tricentenaire sous la direction de Raymond Trousson et Frédéric Eigeldinger, XIII, 1, Genève, Éditions Slatkine, Paris, Éditions Champion, 2013, p. 571.
  • [32]
    Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, lettre IV, XI, Œuvres, tome II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1964, p. 475.
  • [33]
    Ibidem, V, IX, p. 618.

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