Notes
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[1]
Cf. les deux éditions suivantes : N. Dunbar, Aristophanes. Birds, Oxford, Clarendon Press, 1982 ; Aristofane, Gli uccelli, Milano, Rizzoli, BUR, 2006. Cette dernière édition due aux soins d’Alessandro Grilli est remarquable, malgré un tribut un peu trop lourd aux thèses de René Girard. Elle est précédée d’une étude passionnante de plus de deux cents pages.
-
[2]
Sur le contexte historique des Oiseaux, cf. G. Paduano, « La città degli uccelli e le ambivalenze del nuovo Sistema etico-politico », Studi classici e orientali, 22, 1973, p. 115-144 ; B. Katz, « The Birds of Aristophanes and Politics », Athenaeum, 54, 1976, p. 353-381 ; D. Konstan, « A City in the Air : Aristophanes’ Birds », Arethusa, 23/2, 1998, p. 183-207. De manière plus générale, M. Heath, Political Comedy in Aristophanes, Göttigen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1987.
-
[3]
Leo Strauss, Socrate et Aristophane, 1966, Combas, Éditions de l’Éclat, trad. Olivier Sedeyn, 1993, sur les Oiseaux, p. 201-246, ici, p. 240-244.
-
[4]
Sur le désir d’argent dans les Oiseaux, cf. 593-602, 1105-1108.
-
[5]
D.M. MacDowell, « Foreign Birth and Athenian Citizenship in Aristophane », in Tragedy, Comedy and the Polis : Papers from the Greek Drama Conference, Nottingham, 18-20 July 1990, Halliwell, F.S., Sommerstein, A., Henderson, J. & Zimmermann, B. (éds.) Bari, Levante Editori, 1993, p. 359-371.
-
[6]
Leo Strauss, Socrate et Aristophane, p. 217.
-
[7]
Comme bon nombre de roitelets de l’histoire et du présent, Pisthétairos veut construire son mur, cf. 1123 sq. et 1164-1167.
-
[8]
Nan Dunbar, « Aristophane, ornithophile et ornithophage », in La Langue, la Scène, la Cité. Actes du colloque de Toulouse, 17-19 mars 1994, édités par Pascal Thiercy & Michel Menu, Bari, Levante Editori, 1997, p. 113-119.
-
[9]
La traduction italienne joue sur « strato » (couche) et « stato » (État). M.-J. Alfonsi maintient « pôle » dans sa traduction d’Aristophane, Théâtre complet, 2, Paris, GF, 1966, p. 36. Hilaire Van Daele rapproche « site » et « cité », in les Oiseaux, Aristophane, Comédies, tome III, Paris, Les Belles Lettres, Budé, 2009 [1928, 1940], p. 32.
-
[10]
Je n’ai pas pu consulter G.W. Dobrov, Winged words/Graphic Birds. The Aristophanic Comedy of Language, diss. Cornell University, Ithaca, NY, 1988.
-
[11]
Fulvia Toscano, « Figure di poeti negli Uccelli di Aristofane », GIF, 43, 1991, p. 71-79.
-
[12]
Au § 16 de la Critique de la Faculté de juger, Kant voit dans les oiseaux des exemples de beauté libre : « de nombreux oiseaux, (le perroquet, le colibri, l’oiseau de paradis), une foule de crustacés de la mer, sont en eux-mêmes des beautés qui ne se rapportent à aucun objet déterminé quant à sa fin d’après des concepts, mais qui plaisent librement et pour elles-mêmes ». Critique de la faculté de juger, Ak, 229, trad. française Alain Renaut, [1995], Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 208.
-
[13]
Sur cette dernière, cf. les analyses d’Alfonso Lingis dans L’Ivresse des profondeurs et autres excès, (1983), trad. française Dominique Janicaud, Paris, Belin, « L’extrême contemporain », p. 23-25. Nous suivons ici Lingis dans sa critique du fonctionnalisme.
-
[14]
Adolf Portmann, La Forme animale, (1948, 1960), trad. française (1961), Paris, La Bibliothèque, avec une préface de Jacques Dewitte, 2013, p. 144-145.
-
[15]
Cf. le grand poème de Charles Olson, les « Kingfishers » : « he got the color of his breast / from the heat of the setting sun » il a pris la couleur de sa gorge / à la rougeur du soleil couchant. En français : Charles Olson, Les Martins-pêcheurs et autres poèmes, trad. française Auxeméry, Paris, Ulysse fin de siècle, 2005, p. 70.
-
[16]
Cf. Giorgio Agamben, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Galilée, trad. française Martin Rueff, 2018.
-
[17]
Les 81 premiers paragraphes du livre X de l’Histoire naturelle de Pline sont consacrés à « la nature des oiseaux », Histoire naturelle, traduction et édition de Stéphane Schmitt, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2013, p. 466-504. Aristote consacre le chapitre XII du livre IV de Les parties des animaux aux oiseaux, traduction et présentation de Pierre Pellegrin, Paris, GF-Flammarion, bilingue, 2011, p. 457-469. Il émaille son Histoire des animaux d’analyses ornithologiques : cf. II, 11, 12 ; II, 17 ; IV, 9. Le livre VI (1-9) porte sur la reproduction des oiseaux ; VIII, 3 sur la nourriture des oiseaux ; VIII, 12 sur leur migration ; IX, 7-36 ; cf. Aristote, Histoire des animaux, Paris, Les Belles Lettres / Denoël, 1969. La zoologie d’Aristote a trouvé un merveilleux partisan en la personne d’Armand Marie Leroi. Cf. The Lagoon. How Aristotle Invented Science, [2014], trad. française, La lagune, Et Aristote inventa la science, Paris, Flammarion, 2017. Selon Leroi, « il n’y a aucun recoin de notre science qu’il [Aristote] n’ait éclairé » (p. 497). Il faudrait évoquer ici le Physiologos grec (iie siècle) et sa traduction latine (370) : cf. Le « Physiologus » ou Bestiaire, C. Cahier et A. Martin (éds), Mélanges d’archéologie, d’Histoire et de littérature, 4 vols. ; Paris, 1847-1856 ; II, p. 85-232 ; III, p. 203-288 ; IV, p. 55-87.
L’ornithologie connaît une envolée merveilleuse au 16e siècle : En 1544, le Avium paecipauarum de William Turner (1510-1568) est le premier livre entièrement consacré aux oiseaux ; la même année paraît le Dialogus de avibus et earum nominibus graecis, latinis et germanicis de Longolius. En 1555, c’est l’Histoire de la nature des oiseaux de Pierre Belon et Gessner consacre le troisième tome de son Historiae animalium aux oiseaux. En 1575, Volcher Coiter étudie l’anatomie des oiseaux dans De avium sceltis et praecipis musculis. Aldrovandi compose une Ornithologia hoc est de avibus historiae entre 1599 et 1603. En 1622, Giovanni Pietro Olina compose le premier livre destiné aux propriétaires de volières, Uccelliera, overo discorso della natura e proprietà di diversi uccelli e in particolar di que’ che cantano. En 1676 Francis Willughby et John Ray publient leur Ornithologia où ils décrivent près de 500 espèces d’oiseaux en s’appuyant sur l’anatomie. En 1702, Johann Ferdinand Adam von Pernau publie un livre sur le comportement des oiseaux : Unterricht was mit dem lieblichen Geschöpff, denen Vögeln, auch ausser dem Fang Nur durch die Ergründung Deren Eigenschaften und Zahmmachung oder andere Abrichtung Man sich von Lust und Zeitvertreib machen könnte : gestellt Durch den Hoch- und Wohlgebohrnen (Instruction sur le plaisir que l’on peut obtenir de ces créatures charmantes, les oiseaux, sans compter de leur capture ainsi qu’une étude complète de leurs habitudes aussi bien que les apprivoiser et les éduquer). Il récidive en 1716. En 1737, Giuseppe Zanini écrit un livre entièrement consacré aux œufs d’oiseaux – Delle uova e dei nidi degli uccelli libro primo del Conte Zanini. Pierre Barrère publie son Ornithologiae specimen novum en 1745 qui sera suivie par les ouvrages de Jacob Theodor Kelin et de Paul Heinrich Gerhard Möhring. En 1760, c’est l’Ornithologie de Mathurin Jacques Brisson, en 1761 la British Zoology de Thomas Pennant (qui signe aussi une Indian Zoology en 1769). Buffon publie entre 1770 et 1783 son Histoire naturelle des oiseaux. La publication par Linné en 1757 de son Systema naturae marque un tournant dont Tunstall tient compte pour son Ornithologia britannicae (1771) tandis que Phillip Ludwig Statius Müller publie Linné en allemand en 1773. En 1783, Pietr Boddaert attribue des noms linnéens aux oiseaux de Buffon. Pierre Joseph Bonnaterre sera le premier français à adopter le système linnéen. En 1790 paraît l’Index ornithologicus sive Systema ornithologiae de William Bartram qui décrit 2951 espèces d’oiseaux. En 1812, Johann Karl Wilhelm Illiger le dépasse : 3779 espèces. En 1816 Louis Jean Pierre Vieillot publie une Analyse d’une nouvelle ornithologie élémentaire. René Primevère Lesson publie un Manuel d’ornithologie en 1828 et en 1831 un Traité d’ornithologie. En 1846 George Robert Gray décrit 6000 espèces et sous-espèces d’oiseaux. Entre 1844 et 1848 George Robert Grax commence à faire paraître une List of the Genera of Birds. En 1853 Jean-Louis Cabanis fonde le Journal für Ornithologie. Les années 1850-1860 voient se créer les premières sociétés d’ornithologie en Europe et dans le monde. Elles ont pour but de décrire les oiseaux, de fournir à leur sujet des analyses scientifiques et de ralentir leur disparition. Entre 1869 et 1872, Gray fait paraître sa Handlist of the Genera and Species of Birds. En 1889, la Royal Society for the Protection of Birds est créée à Londres (elle compte aujourd’hui plus d’un million de membres). En 1909 Richard Bowler Sharpe inventorie 18 939 espèces et sous-espèces d’oiseaux.
Il n’est pas facile de classer les ouvrages d’ornithologie qu’il faudrait soumettre à la différenciation de seuils conformément à l’indication de Foucault dans L’Archéologie du savoir : un seuil de positivité qui correspond à sa formation et à son autonomie ; un seuil d’épistémologisation quand la formation prétend faire valoir ses normes de vérification et de cohérence et qu’elle tend à exercer à l’égard du savoir une fonction dominante ; un seuil de scientificité quand elle obéit à des critères formels et que ses énoncés répondent à certaines lois de construction ; enfin un seuil de formalisation lorsqu’elle se dote d’axiomes, de structures propositionnelles et d’un édifice formel susceptible de les articuler. Or si le seuil de positivité de l’ornithologie est ancien, il faut remarquer que plusieurs régimes de discours croisent l’exigence de construire une ornithologie scientifique : un régime lexical (qui porte, j’y reviens) sur le nom des oiseaux (il ne faut pas seulement classer les oiseaux, il faut les nommer, et ces exigences ne sont pas toujours convergentes). On ne compte pas depuis le 17e siècle les ouvrages sur les noms des oiseaux. Mais il y a aussi un régime de description locale, qui n’est pas toujours le fait d’amateurs : l’ornithologie régionale est une véritable passion (en France, mais aussi en Angleterre, en Allemagne, en Italie, aux Etats-Unis). On n’oubliera pas l’ornithologie des voyageurs et des colons (qui culmine aux 18e et 19e siècles). -
[18]
Il semble que le premier livre imprimé montrant des oiseaux soit le Buch der Natur publié en 1475 ; en 1485 le Gast der Gesundheit de Johannes de Cuba est le premier livre d’histoire naturelle illustré. Depuis, nommer, classer et montrer des oiseaux sont des efforts conjoints dont on connaît certaines figures glorieuses : en France, Jacques Barraband, aux Etats-Unis, John James Audubon et John Gould. L’ornithologie illustrée a son histoire. Quelques indications ici (à l’exception des monographies sur tel ou tel illustrateur). Cf. C.E. Jackson, Bird Etchings. The Illustrators and their Books, 1655-1855, Ithaca, Cornell University Press, 1985 ; M. Lambourne, The Art of Bird Illustration. A Visual Tribute to the Lives and Achievments of the Classical Bird Illustrations, Royston, Eagle Editions, 2001, A.M. Lysaght, The Book of Birds : five Centuries of Bird Illustration, Bookthrift, 1985.
-
[19]
Cf. Maurice Boubier, L’évolution de l’ornithologie, Paris, Felix Alcan, 1925 ; P.L. Farber, The Discovering of Birds : the Emergence of Ornithology as a Scientific Discourse, Baltimore, Johns Hopkins U.P., 1996 ; E. Streseman, Ornithology from Aristotle to Present, Cambridge, C.U.P., 1975 et Michael Walters, A Concise History of Ornithology, New Haven, Yale U.P., 2003. En français, cf. l’élégante synthèse de Valérie Chansigaud, Histoire de l’ornithologie, Paris, Delachaux et Niestlé, 2007.
-
[20]
Cf. Mark V. Barrow, A Passion for Birds. American Ornithology after Audubon, Princeton, P.U.P., 1998. On ne compte plus en France les livres intitulés : Voir les oiseaux, Reconnaître les oiseaux, etc.
-
[21]
On peut par exemple citer le best-seller de Jennifer Ackermann, Le génie des oiseaux [The Genius of Birds, 2016], Hachette, Marabout, 2017. Le texte étalé à même la couverture est édifiant : « les extraordinaires capacités qui ont permis aux oiseaux d’être présents sur toute la planète depuis des millions d’années. Une enquête fascinante qui se lit comme un roman ».
-
[22]
Cf. J.K. Anderson, Hunting in the Ancient World, Berkeley, Los Angeles, London, 1985 et Alain Schnapp, Le chasseur et la cité, chasse et érotique dans la Grèce ancienne, Paris, Albin Michel, 1997, p. 123-171.
-
[23]
Frédéric II, De Arte venandi cum avibus, trad. française, G. Holmer, Lund, 1960.
-
[24]
Cf. Gace de la Buigne, Le roman des déduis, éd. Blomqvist, Karlshamm, 1951 ; Henri de Ferrières, Le Livre du roy Modus et de la royne Ration, éd. G. Tinlander, Paris, SATF, 1932 ; Gaston Fébus, Livre de la chasse, éd. G. Tilander, Karlshamm, 1971 ; Guillaume Cretin, Débat sur le passe-temps des chiens et des oiseaux, suivi de la Chasse royale, poème de H. Salel, éd. E. Jullien, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1882 ; Guillaume Tardif, Livre de l’art de fauconnerie et des chiens de chasse, éd. E. Jullien, Paris, 1882. Sur la fauconnerie : cf. B. Van den Abeele, La fauconnerie dans les lettres françaises du xiie au xive siècle, Louvain, 1990 et du même, Les traités de fauconnerie latins au Moyen Âge, Louvain, 1991.
-
[25]
B. Van den Abeele, La fauconnerie dans les lettres françaises du xiie au xive siècle, op. cit., p. 15.
-
[26]
La Poétique de la chasse au Moyen Âge, (les livres de chasse au xive siècle), Paris, Puf, 1994, p 105.
-
[27]
Ibidem, p. 106.
-
[28]
E. Jünger, Chasses subtiles, trad. française, Paris, Bourgois, 1969, p. 38.
-
[29]
G. Leopardi. Elogio dei uccelli, in Operette morali, Roma, Guida, C. Galimeberti éd. (1977), 1980, p. 369-389, ici, p. 371. Sur L’Éloge des oiseaux, cf. Franco d’Intino, L’immagine della voce, Leopardi, Platone e il libro morale, Venezia, Marsilio, 2009 (je remercie Philippe Audegean de m’avoir indiqué ce livre). Dans des pages profondes, d’Intino veut interpréter ce texte de Leopardi comme un « éloge de la voix » en écho au Phèdre de Platon. Il va jusqu’à faire des réflexions développées par Leopardi dans son Éloge des oiseaux un moteur de l’écriture poétique des Canti. On n’oubliera pas « Le passereau solitaire » des Chants (cf. Chants / Canti, Paris, Aubier, trad. Michel Orcel, 1995, p. 98-101) ni la présence des oiseaux dans le Zibaldone [§ 67, 159, 221, 1716, 1717, 1722, 4293). Le § 159 mériterait une réflexion poussée – Leopardi s’interroge sur la combinaison entre chant et vol et soutient qu’elle « n’est pas accidentelle » cf. Zibaldone, trad. Bernard Schefer, Paris, Allia, 2003, p. 134-135.
-
[30]
« Le mot OISEAU : il contient toutes les voyelles. Très bien j’approuve. Mais, à la place de l’S, comme seule consonne, j’aurai préféré l’L de l’aile : OILEAU ou le V du bréchet, le V des ailes déployées, le V d’avis : OIVEAU. Le populaire dit zozio. L’S je vois bien qu’il ressemble au profil de l’oiseau au repos. Et oi et eau de chaque côté de l’S, ce sont les deux gras filets de viande qui entourent le bréchet. » Francis Ponge, La Rage de l’expression, Paris, Gallimard, 1976, p. 31. Marielle Macé fait allusion à ce passage dans Nos cabanes, Lagrasse, Verdier, 2019.
-
[31]
On peut se référer au texte classique de Georges Straka, « La division des sons du langage en voyelles et consonnes peut‑elle être justifiée ? » [1963], in Les sons et les mots, choix d’études de phonétique et de linguistique, Paris, Klincksieck, 1979, p. 59-141.
-
[32]
Ernst Jünger, Éloge des voyelles, (1934, 1979), trad. française de Jean-Luc Evard, Monaco, Éditions du Rocher, 2001, p. 61.
-
[33]
Ibidem, p. 76.
-
[34]
Ibidem, p. 80.
-
[35]
Jacques Demarcq, Rimbaldiennes, Paris, Ateliers de l’agneau, 2015, p. 41.
-
[36]
Claude Lévi-Strauss, Regarder Ecouter Lire in Œuvres (dir. Vincent Debaene), Paris, Gallimard, « Bibliothéque de la Pléiade », 2008, texte établi par Martin Rueff, p. 1578.
-
[37]
Cf. Jean Ursin, La prosopopée des animaux, texte traduit et annoté par Brigitte Gauvin, Grenoble, Jérôme Millon, 2011.
-
[38]
Sur les sources de Jean Ursin, cf. la riche préface de Brigitte Gauvin, ibidem, p. 13-15.
-
[39]
Geoffrey Chaucer, Le Parlement volatil, trad. Robert Marteau, Champ Vallon, 2008.
-
[40]
À consulter les arrêtés ministériels, on s’aperçoit que l’usage des appeaux est réglementé : aujourd’hui seuls sont autorisés les appeaux ne faisant pas appel à une assistance électronique.
-
[41]
On peut lire sur leur site internet : « Leurs imitations font écho à des techniques primitives de chant. Ils utilisent le souffle, la diphonie, la voix aspirée, le chant trillé, le sifflement haute fréquence ou encore le chant percussif. Ils proposent aujourd’hui un répertoire de milliers de sonorités d’oiseaux des cinq continents ».
-
[42]
Cf. Alessandra Pozzo, « Un langage inspiré “efficace” : la xénolalie dans les récits hagiographiques du Moyen Âge » in Le Pouvoir des mots au Moyen Âge, Nicole Bériou, J.-P. Boudet, Irène Rosier-Catach (éds.), Turnhout, Brepols, p. 287-301. Cf. aussi C. Puech, « Parler en langues, parler des langues », Langages, 1988, no 91, p. 27-38.
-
[43]
Le Concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, Paris, Champs Flammarion, 2002, p. 153. Walter Benjamin, « La tâche du traducteur », in Œuvres, tome I, Mythe et violence, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Denoël, 1971. Cf. aussi « Sur le langage en général et sur le langage humain », ibidem, p. 134. Pour l’examen de ces deux textes difficiles, cf. J.-M. Palmier in Walter Benjamin, Le chiffonnier, l’Ange et le petit Bossu, p. 407 sq. ; Giorgio Agamben, « Langue et histoire ; Catégories linguistiques et catégories historiques dans la pensée de Walter Benjamin », in La Puissance de la pensée, Essais et conférences, op. cit., et Antoine Berman, « L’âge de la traduction, cahier VI – commentaire de La Tâche du traducteur de Walter Benjamin », in Po&sie no 122-123, mai 2008.
-
[44]
« La tâche du traducteur », op. cit., p. 266.
-
[45]
Ibidem, p. 273., cf. le commentaire de J.-M. Palmier, p. 411.
-
[46]
Cf. Henriette Walter et Pierre Avénas, La Merveilleuse Histoire du nom des oiseaux, Paris, Fayard, 2007.
-
[47]
D’Arcy Thompson, Un glossaire d’oiseaux grecs, traduit et augmenté de commentaires dilettantes, d’anecdotes délectables prises à divers auteurs anciens et modernes, de remarques saisissantes et de propos inactuels sur la situation présente, Paris, Corti, 2012.
-
[48]
Cf. Jacques André, Les Noms d’oiseaux en latin, Paris, Klincksieck, 1967.
-
[49]
Inventaire des noms d’oiseaux en français, Dubois P.J., Le Maréchal P., Olioso G., Yésou P., éds, Paris, Nathan, 1998 et Nouvel Inventaire des oiseaux de France, Dubois P.J., Le Maréchal P., Olioso G. et Yésou P., Paris, Delachaux et Niestlé, 2008.
-
[50]
Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage (1962), in Œuvres (V. Debaene, dir.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 761-790.
-
[51]
H. Gardiner, La Théorie des noms propres, un essai polémique, [1940, 1957], Paris, Epcl, 2010.
-
[52]
La Pensée sauvage, op. cit., p. 774-777.
-
[53]
Jean-Claude Pariente a tenté de rendre compatibles les positions de Gardiner et de Lévi-Strauss in Le Langage et l’individuel, Paris, Armand Colin, 1973, p. 71-77.
-
[54]
C’est en ces termes que Lévi-Strauss résume l’effort de La Pensée sauvage dans le « Finale » de L’Homme nu, Paris, Plon, 1971, p. 617.
-
[55]
Pour le grec, on prendra une mesure de l’ampleur de ces questions dans l’article de Cécile Corbel-Morana, « Euripide lecteur d’Aristophane : des trilles du rossignol (à partir du verbe elelizomai, dans Oiseaux, v. 213, Hélène, 1111 et les Phéniciennes, v. 1514 », in Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, 2004/2, LXXVIII, p. 223-238.
-
[56]
Cf. Bernard Sève, De haut en bas, philosophie des listes, Paris, Seuil, 2010.
-
[57]
Cette liste est la synthèse de plusieurs facilement accessibles sur internet.
-
[58]
Les Zozios, Caen, Nous, collection Now, 2008. Il semble en effet que l’inspiration de Les Zozios remonte à « L’air de l’eau », un opéra créé en 1985 dans le Parc de Royaumont et interprété par deux cents enfants. (Nervaliennes, op. cit., p. 17-55).
-
[59]
Nervaliennes, p. 53.
-
[60]
Ibidem, p. 105.
-
[61]
Par ce terme on voudrait aussi rendre hommage au mythe du dénicheur d’oiseaux traqué par Claude Lévi-Strauss tout au long de ses Mythologiques. On se souvient que c’est sur ce mythe bororo que s’ouvre Le Cru et le cuit (1964) : le héros commet l’inceste et se voit soumis à divers exploits dangereux par son père qu’il finit par tuer. C’est sur ce mythe aussi que s’achève L’Homme nu (Paris, Plon, 1970, p. 558). Les « dénicheurs d’oiseaux » ne sont pas absents des Petites mythologiques que sont La Potière jalouse et Histoire de lynx. Cf. aussi le récit d’Emmanuel Désveaux in Quadratura Americana, chapitre VI, « Questions aux dénicheurs d’oiseaux », Genève, Georg, 2001, p. 133 sq. et surtout, p. 135-136 et la photographie de Bill Morris, dénicheur d’oiseau, en page 2.
-
[62]
Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, [1929], Paris, Seuil, trad. Maurice Betz, [1966], 1980, p. 25. Jean Clair vient de rappeler ce texte à notre mémoire dans le joli livre qu’il a consacré à Balthus et Rilke, une enfance, Paris, L’Echoppe, 2018, p. 7.
-
[63]
Ces souffrances physiques du nouveau-né, les yeux froncés au ciel l’air de se demander (p. 11) sont évoquées p. 18 (les 4 doigts palmés, le thorax écrasé côté cœur, la colonne en forme d’S, cf. p. 27), cf. le récit de l’opération, p. 60 et le chapitre « Aventures », p. 73 et notamment les trois sonnets (p. 73-76). Le petit garçon vilain petit canard a la main palmée. Voir le poème déchirant sur l’héroïsme de la tante, p. 59.
-
[64]
Cf. « Dernières nouvelles », le dialogue avec le maire, p. 98 sq. et le grand poème « Histoire de Jacques », résistant communiste arrêté et déporté, p. 103-128.
-
[65]
Cf. Phnom Poèmes, documentaire, Caen, Nous, 2017. Au Cambodge le déniquoiseau déniche aussi, cf. « Tonlé Sap », p. 79-84.
-
[66]
Demarcq traduit de l’anglais d’Amérique : Williams et Cummings. Cummings surtout : 95 Poèmes, avec une préface, Paris, Flammarion, 1983, réédité au Seuil, collection Point/Poésie, 2006 ; La Guerre-Impressions (avec une postface), Gérardmer, Æncrages, 2001 ; je : six inconférences (avec une postface), Sauve, Clémence Hiver, 2001 ; Contes de fées, 16 Poèmes enfantins (postface, gouaches de Macha Poynder), Sauve, Clémence Hiver, 2002 (prix du Petit Gaillon 2003) ; font 5 (trad. et postface), Caen, Nous, 2011 ; No Thanks (trad. et postface) ; Érotiques (avec une postface), Paris, Seghers, 2012. Il a aussi traduit Gertrude Stein : Tendres Boutons, Caen, Nous, 2005 ; Portraits singuliers, Paris, éditions RMN, 2011. Il traduit aussi de l’italien et notamment Andrea Zanzotto, Les Pâques (avec Adriana Pilia, trad. et préface de Ch. Prigent), Caen, Nous, 1999, puis réédition augmentée de Les Regards les Faits et Senhal (avec une postface), Caen, Nous, 2004.
-
[67]
Hegel, Esthétique, volume II, Paris, Librairie Générale Française, 1997, p. 411.
-
[68]
Ibidem, p. 405.
-
[69]
Cité par H. Meschonnic, « Ce que Hugo dit de la langue », Romantisme, « Conscience de la langue », no 25-26, Paris, 1979, p. 63.
-
[70]
Suite apollinaire, Barjols, Plaine page, 2017. Demarcq s’explique sur ses calligrammes qui prennent la suite de ceux d’Apollinaire, p. 27-28.
-
[71]
Il giotto, le rutebeuf, le dante, le léonard, le rabelais, un shakespeare, la fontaine, le bashô, le voltaire, le rousseau, les buffon, le diderot, le sade, le ryôkan, le blake, le baudelaire, le flaubert, le verlaine, le rimbaud, le hopkins, le pascoli, le morgenstern, le brisset, l’apollinaire, the stein, l’ungaretti, le lénine, le khlebnikov, le desnos, le schwitters, the joyce, le péret, le leiris, le bataille, l’artaud, le tardieu, le prévert, le ponge, le queneau, le dotremont, le denis roche, le maurice roche, il zanzotto, le luca, l’heidsieck, la molnar, les novarina, le verheggen, le frontier, la rouzeau (sylvia tritis), le meens, le prigent.
-
[72]
William Carlos Williams, Paterson, trad. française, Yves di Manno, Paris, José Corti, 2005, p. 243.
Pisthétairos : À la suite pie, tourterelle, alouette, éléas, hypothymis, colombe, nertos, épervier, ramier, coucou, rouget, céblépyris, porphyris, kerkhné, plongeon, pie-grièche, orfraie, pivert. Evélpidès : Iou ! Iou ! Que d’oiseaux ! Pisthétairos : Iou ! Iou ! Que de merles ! Comme ils gazouillent, comme ils arrivent à grands cris ! Est-ce qu’ils nous menaceraient ? Oh ! là, là ! Ils ouvrent le bec, ils nous regardent, toi et moi.
« Ces deux vies en effet par leurs os leurs parfums se sont cherchées. Il y avait de l’oiseau en elle, d’espèces si proches, nuptiales par saccades, quelque chose d’animal comme dans la brusquerie des branches, tombant, s’attrapant, ou sur le récent mirage de la pluie les envolées. Voltes, empennages, digressions par les combes du ciel, les déliés du branchage ».
1. Des oiseaux et Les Oiseaux
1Des oiseaux ? Des oiseaux dans Po&sie ? Emily Dickinson : « These are the days when birds come back / A very few, a bird or two/ To take a backward look ». Il est de ces jours, de ces temps, de ces moments de l’histoire qui voient les oiseaux revenir.
2Avec l’impulsion de l’œuvre et de la réflexion de Jacques Demarcq (Les Zozios, Nous, 2008 et La Vie volatile, à paraître) et sa collaboration : des oiseaux en pagaille, en averses, en mots, en vols rapprochés, en piqué aussi et en bagarre.
3Rien ne se trouve plus étranger à ce numéro que l’association de la poésie aux « petits oiseaux » et aux « petites fleurs ». L’hypocoristique cache mal les violences, les intensités, les rapports de force.
4La pièce d’Aristophane, Les Oiseaux, peut servir ici d’épouvantail. Écrite en 414 avant J.‑C. alors que la guerre du Péloponnèse dure depuis plus de vingt ans, ce chef-d’œuvre de densité fantastique et dramaturgique ne traduit pas seulement les aspirations à une vie de beauté, d’utopie fraternelle et de liberté [1]. C’est une grande pièce politique qui reflète avec amertume les rapports difficiles de l’individu et du groupe, une pièce dure, sinistre même et [2], pour Leo Strauss, « la plus scandaleuse » [3].
5Les éloges adressés à Athènes cachent mal l’inquiétude que cause la politique expansionniste de la ville qui explique l’exil des protagonistes : Evelpidès et Pisthétairos. C’est que les citoyens d’Athènes, dans Les Oiseaux, loin de bénéficier des droits qui devraient se trouver au fondement même de la démocratie, en sont exclus et se trouvent traités comme des ennemis persécutés par l’impôt (v. 38). Telle est la logique de l’impérialisme dont Les Oiseaux offrent l’impitoyable diagnostic. La démocratie ne permet pas aux individus de réaliser leurs idéaux. Elle les trahit – politiquement et économiquement ; elle les frustre (cette frustration concerne les désirs les plus centraux toujours à l’œuvre dans les comédies d’Aristophane : la nourriture [v. 327-335], le sommeil et le désir sexuel) ; elle les crible de dettes et les condamne à vivre à crédit (v. 114-116) [4] dans les tracasseries de l’administration.
6La démocratie ment. Il ne s’agit pas alors de chercher une cité plus grande qu’Athènes, mais une cité mieux adaptée aux désirs des hommes (v. 123-124). Que faire sinon demander l’asile politique et fuir [5] ? Fuir très loin, quitter la terre et gagner les airs ? Si Evelpidès et Pisthétairos ont la passion des oiseaux (v. 324, 1279, 1344), c’est qu’ils veulent d’abord leurs « lois » (v. 1345). C’est pourquoi il faut construire la cité des Oiseaux – les approcher d’abord, les convaincre de se lier, d’instituer une cité et de se faire gouverner ensuite. Leo Strauss peut écrire, dans sa remarquable étude : « parmi les oiseaux, il n’existe pas de distinction entre les citoyens et les étrangers, et entre les hommes libres et les esclaves ; la société des oiseaux est égalitaire et universelle [6] ».
7Et pourtant, selon le schéma de la comédie, quand Pisthétairos sera oiseau, quand il aura des ailes et des lois, quand il tiendra sa revanche et prendra ce pouvoir qu’il dénonçait et qui corrompt ceux-là mêmes qui en condamnaient les excès, notre héros zélé disposera d’une armée (v. 1178-1183), exercera une autorité répressive (contre les oiseaux dissidents, v. 1583-1585) et surtout, il pourra abuser de ce pouvoir juridico-bureaucratique dans lequel il voyait naguère le signe le plus sûr de la décadence d’Athènes. Et c’est ainsi que le héros comique victime des abus du pouvoir abusera du pouvoir. Devenu roi, il pourra dire : l’État, c’est moi et planter des piquets dans le ciel comme le propriétaire du second discours de Rousseau (v. 183) pour défendre ses propriétés et tenir les barbares à l’écart (v. 1525-1527) [7].
8Ces Oiseaux-là sont donc de bien mauvais augure. Au reste, si Aristophane dénonce avec netteté la cruauté des hommes à l’égard des oiseaux (v. 530 sq.) [8], il ne se fait aucune illusion sur la violence des volatiles dont il dénonce la férocité :
Pisthétairos – En vérité, tu radotes absolument. Comment pleureras-tu donc, quand tu auras les deux yeux arrachés ?
Le chœur – Iou ! Iou ! En avant, attaque, élance-toi sur l’ennemi, verse le sang, déploie tes ailes de toutes parts, enveloppe-le. Il faut qu’ils gémissent tous les deux et qu’ils servent de pâture à notre bec. Il n’y a ni montagne ombragée, ni nuage aérien, ni mer chenue, qui les dérobe à ma poursuite. Hâtons-nous de les plumer et de les déchirer. Où est le taxiarque ? Qu’il lance l’aile droite ! (v. 342 sq.)
10C’est alors que la huppe n’hésite pas à décrire les oiseaux comme « les plus méchantes de toutes les bêtes sauvages » (v. 366). Un verbe semble résumer leur attitude : daknein – prendre à coups de bec, becquer.
11Pourtant, les Oiseaux d’Aristophane célèbrent le triomphe de l’imagination et du verbe. La comédie est construite tout entière sur un jeu de mots : construire une ville dans les airs, c’est jouer de l’homophonie de polis (la ville) et de polos (le pôle) [9]. Si les oiseaux peuvent construire une ville, c’est parce que le poète sait inventer des associations libres en jouant des rapports entre les mots et les êtres et qu’il suffit de parler pour que l’on se sente pousser des ailes (v. 431-433 ; v. 1436-1439) :
Le sycophante – Mon bon, ne me donne pas des conseils, mais des ailes.
Pisthétairos – En te parlant ainsi, je te donne des ailes.
Le sycophante – Et comment, avec des paroles, donnes-tu des ailes à un homme ?
Pisthétairos – Les paroles donnent des ailes à tout le monde.
Le sycophante – À tout le monde ?
Pisthétairos – N’entends-tu pas, chaque jour, des pères, chez les barbiers, tenir à des jeunes gens ce langage : « C’est au plus haut point que les discours de Diitréphès ont donné à mon fils des ailes pour l’équitation » ? Un autre dit que son fils s’est envolé vers la tragédie sur les ailes de l’esprit.
Le sycophante – Ainsi les discours donnent des ailes ?
Pisthétairos – C’est ce que je dis. Les discours font prendre l’essor à la pensée ; ils enlèvent l’homme : c’est ainsi que moi je veux te donner des ailes par de sages discours et te tourner vers un métier honorable.
13Donner des ailes avec des mots – autant dire que la comédie d’Aristophane dénonce les paroles en l’air des songe-creux et autres bonimenteurs (qui prétendent offrir des ailes aux oiseaux) [10]. La critique politique d’Aristophane est implacable – ce que Pisthétairos donne aux oiseaux, c’est de pouvoir se prendre en toute liberté pour des oiseaux : il leur offre avec la conscience et l’orgueil, la vanité et la gloriole, la perte de l’innocence qui fissure la conscience de soi et tend le désir de soi en pâture aux puissants. Les oiseaux sont alors voués à toutes les formes de traîtrises et de falsifications, eux qui se disaient si prompts à devancer le désir des hommes (v. 592). Les Oiseaux d’Aristophane n’épargnent pas non plus les poètes [11].
2. Plumage et ramage
14Au moment même de célébrer leur beauté deux fois libre (visuelle et auditive, spectaculaire et harmonieuse, plumage et ramage) [12], c’est en voulant garder les pieds sur terre que Po&sie se tourne vers les oiseaux : à la fois vers quelques oiseaux de poètes (des oiseaux), et sur les oiseaux, à leur propos : des oiseaux. Il sera moins question dans ce numéro de la beauté plastique des oiseaux que de leur chant.
15Un mot sur la première cependant. Les chercheurs essaient de comprendre la raison des motifs et des couleurs qui recouvrent le corps des oiseaux, à la manière de vêtements merveilleux, chamarrés, bigarrés, d’une intensité chromatique qui a peu de concurrents : les ailes des papillons ou la couleur des poissons sous l’eau [13].
16On peut alléguer toutes sortes de raisons à ces splendeurs – ces motifs serviraient à l’identification parmi les membres de l’espèce ; Konrad Lorenz suggère que les couleurs et les dessins qui contrastent avec l’environnement constituent des défenses. Ces deux types d’explications (la beauté attire le semblable, elle repousse l’ennemi ou le tient à l’écart) sont des réductionnismes – la beauté sert : elle est fonctionnelle. Mais suffisent‑elles à expliquer l’ampleur des phénomènes, les couleurs les plus flamboyantes, leurs associations stupéfiantes, les motifs les plus compliqués ?
17Au chapitre VI de La Forme animale, Adolf Portmann introduit l’idée d’« organes à être vus » :
Ce phénomène est frappant dans la formation des plumes où, par exemple, une décoration ornementale comme le ‘miroir’ de l’aile du canard est formée par une coloration sur un côté d’une série de plumes ayant une genèse séparée, mais qui, lorsqu’elles sont réunies et se recouvrent, forment un ornement chatoyant vert-bleu ou vert noir. L’arrangement des parties dans le dessin est si précis que toute idée de hasard est exclue : nous avons devant nous une figure dont la formation s’est effectuée selon un plan aussi concerté que celui qui a présidé à la formation de n’importe quel organe vital de l’animal. Nous sommes en présence d’un « organe à être vu », d’une configuration optique [14].
19Quelles que soient les difficultés du modèle de finalité engagé dans une telle description (c’est, on le sait, la question qui occupe Kant dans la Critique de la faculté de juger), la formule de Portman séduit : devant le plumage et les conduites de parade d’un oiseau de paradis (mais la livrée brillante de nos Martins-pêcheurs suffit : blanche et rousse sur le dessous, elle est bleue piquée de blanc sur le dessus) [15], il faut admettre un développement spécifique de l’organisme destiné à capturer le regard de l’autre. L’extérieur ne cache pas seulement les organes internes, il ne sert pas simplement à identifier ou à repousser : il révèle, il fait signe, il attire. « L’œil et la chose à voir », poursuit Portmann, « forment un cercle fonctionnel ordonné selon des règles aussi rigoureuses que celui de la nourriture et des organes digestifs » (p. 149). Au moment de conclure ce merveilleux chapitre, Portmann fait le point sur ces différentes structures visuelles : « l’effet visuel semble être la fonction particulière de cette partie visible d’une forme, comme n’importe quelle autre fonction d’un organe animal » ; « l’effet optique […] est aussi planifié que toute autre partie du corps, les structures optiques sont des organes » ; « la configuration optique est complétée par des modes de comportement particuliers de l’animal qui assurent soit l’effet signalétique, soit l’effet cryptique du dessin » (p. 159).
20C’est moins cette splendeur plastique des oiseaux qui a retenu les écrivains et poètes sollicités ici, (mais J.‑C. Bailly, C. Mouchard, M. Macé et M. Deguy l’évoquent et la questionnent) que la beauté de leur chant.
21Pour convoquer les Oiseaux pour qu’ils délibèrent sur la proposition de Pstithétairos, Epos fait chanter son épouse le rossignol :
Allons, ma compagne, laisse le sommeil, donne l’essor aux chants des hymnes sacrés par lesquels de ta bouche divine tu déplores l’objet pour toi et pour moi de tant de larmes, notre Itys. Quand vibre en mélodies limpides ton gosier brun, le son pur à travers le smilax feuillu monte jusqu’à la demeure de Zeus, où Phoibos à la chevelure d’or l’entend, et à tes chants plaintifs répond en touchant de la phorminx incrustée d’ivoire : il forme un chœur de dieux, et par des bouches immortelles, monte en même temps que la tienne la divine clameur des bienheureux. (v. 209 sq. ; cf. aussi 677 sq.)
23Le rossignol qui chante est Philomèle, le fils qu’elle pleure est Itys, tué par Procné pour se venger de Térée. Le chant de Philomèle est un thrène.
24La parure et le chant sont bien deux énigmes – l’énigme du plumage est celle de la finalité sans fin reformulée par Portmann (il faudrait ajouter la beauté mobile du vol seul ou à plusieurs, la beauté aussi de la fugacité des oiseaux) ; l’énigme du ramage est celle d’un chant qui renvoie au poète la question même de son propre phrasé et plus profondément encore la question de l’inscription du langage dans la voix. Car tout comme le poème est une possibilité du langage inscrite dans la voix des hommes (c’est, depuis le traité d’Aristote sur l’interprétation, ce « dans » qui fait question) [16], de la même manière, le chant des oiseaux est bien une possibilité inscrite dans leur propre voix. Ce qui est interrogé ici, tous azimuts, c’est le rapport entre le chant de l’oiseau et le poème.
25Interrogé ? Soient, en un programme ramassé : des oiseaux et des livres (3) ; des oiseaux et des lettres (4) ; à savoir des noms d’oiseaux et des verbes qui désignent leur chant (5) ; les oiseaux de Demarcq (6) avant un finale emprunté au Paterson de William Carlos Williams.
3. Des oiseaux et des livres
3.1 Un oiseau dans la bibliothèque
26Il arriva qu’un jour, niché dans la bibliothèque de mes études j’entendis battre dans la boîte où s’enroule un volet un chahut causé par les ailes d’un oiseau coincé là – version bibliomane du nevermore. Ce fut l’effroi parmi les condisciples. Un cœur plumé battait se débattant. L’angoisse montait. Il n’était ni dehors ni dedans mais coincé dans le dedans du dehors et « la nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison ». Je grimpai sur la table et entrepris de démonter la boîte de bois peinte de blanc. Quelle affaire ! Une fois qu’elle fut dévissée, il fallut glisser les mains derrière le rouleau de bois, aller à tâtons pour se saisir du palpitant, dominer l’effroi que suscite en moi cette cage d’os qu’on sent sous le duvet, le tirer délicatement (j’avais imaginé que si je déroulais le volet j’allais l’écraser sur le volet et que chaque latte serait comme imprimée d’une lettre écarlate – ce fantasme nourri par de nombreux films où la séquence engrenages – tapis roulants signifie sans allégorie l’écrasement du héros broyé, puis repassé) et le flanquer par la fenêtre pour s’en libérer.
27J’eus deux ou trois fois à prendre des oiseaux blessés entre mes doigts et j’ai détesté cela : pas une phobie, mais un dégoût teinté de crainte : du cartilage avec du feutre dessus et dedans, débordant, prenant toute la place de la cage thoracique, un cœur qui pulse.
3.2 Trois bibliothèques : l’ornithologue, le chasseur et l’écrivain
28Il est toutes sortes de livres sur les oiseaux et beaucoup d’actualité. Ils viennent des naturalistes, des chasseurs, des écrivains – certains auteurs furent les trois à la fois. Mais disons, pour schématiser, que tout se passe comme si naturalistes, chasseurs et écrivains répondaient à trois questions à propos des oiseaux : Que puis-je connaître ? C’est le discours du naturaliste. Que puis-je faire ? C’est le traité du chasseur. Que m’est‑il permis d’espérer ? C’est le poème de l’écrivain.
29a) Livres de savants destinés à nommer, à décrire, et à protéger [17] ; livres d’images voués à illustrer et très tôt dans notre histoire à conserver le souvenir des disparus [18] : l’ornithologie a son histoire dont on sait retracer les grandes étapes [19]. Elle connaît un regain d’intérêt public venu d’Amérique où elle est une passion qui entraîne la pratique du « bird watching » [20].
30Vaut une étrange loi – l’homme raffole de ce qu’il fait disparaître et construit les éloges les plus délicats au sujet de ce qu’il détruit avec acharnement [21].
31b) Livres de chasseurs destinés à décrire des techniques, des gestes, mais aussi à raconter des histoires et à édifier : « Pour ma part », écrit Xénophon dans De la chasse (I, 18), « j’engage donc les jeunes gens à ne pas mépriser la chasse, ni toute autre branche de l’éducation. C’est le moyen de devenir de bons soldats, et d’exceller dans tout ce qui exige le talent de bien penser, de bien parler et de bien faire ». Quand il chasse, le jeune homme s’exerce à toutes sortes de vertu qui feront de lui l’homme complet : un homme à la pensée droite, à la parole juste, à l’action décidée [22]. Si les traités de Xénophon et de Dion de Pruse n’ignorent pas les oiseaux, il faut attendre 1240 pour que Frédéric II compose son Arte venandi cum avibus [23]. À partir de Frédéric II, la chasse aux oiseaux expose ses techniques, ses ressources, sa signification aussi [24].
32Le savoir d’oiseaux est résumé dans quatre verbes qu’on trouve dans des vers du poète normand Benoît de Sainte Maure rapportés par Van den Abeele :
34Le dressage, les soins, la chasse elle-même et l’apparat – telles sont les qualités qu’il faut maîtriser pour chasser avec les oiseaux. Au Moyen-Âge, l’enseignement de la volerie distingue deux types de rapaces « affaitables » (susceptibles de s’adapter à l’homme) : les faucons, oiseaux de haut vol, aux ailes affilées en forme de faux et qui plongent en piqué sur leur proie ; les accipitridés, épervier et autour, aux ailes plus larges mais courtes, capables de se faufiler entre les branches. Frédéric II décompte huit espèces : quatre qui volent « à tour », haut et en spirale, quatre de « poig ».
35Ces livres de chasse s’attardent sur le travail qui précède le vol, la période de prise en main, et sont plus économes sur la volerie elle-même – l’envol de l’oiseau, sa descente en piqué sur la proie qu’il assomme avant de reprendre de l’altitude.
36Dans leur Poétique de la chasse au Moyen-Âge, Armand Strubel et Chantal de Saulnier citent le poème de Gace de la Buigne qui montre la variété des proies chassées par l’autour :
Butors et badrans,Poiches, égraites, herons blans,Mauves de mer, plusieurs oyseaulx,Cormorans, coranillez, corbeaux,Cines et ostardes et grues,Et oes grosses et menuezJantez, perdrix, faisens, collieux [26].
38La chasse au héron fait l’objet d’un traitement particulier car elle présente des aspects spectaculaires dus à la disproportion du faucon et de l’échassier. Nous y revenons.
39Les maladies des oiseaux tiennent une place essentielle dans ces traités. « La fauconnerie tient surtout dans l’art et la manière de s’occuper de ces oiseaux si fascinants. [27] » Comme dans l’Antiquité, il est possible de prendre les grives et les alouettes à la glu ou aux filets, mais la chasse au faucon exerce un pouvoir d’attraction tout à fait singulier car, à la différence du chien, dévoué à l’homme, le faucon se laisse difficilement apprivoiser et nécessite des techniques sophistiquées d’apprivoisement et d’apprentissage (« mettre [l’oiseau] en arroi et ordenance »). L’affaitage a pour but de « mettre le faucon hors de sauvagine », de brider ses instincts pour lui faire accepter de côtoyer les humains, les chiens et les chevaux. Le dressage peut alors commencer. L’entretien des rapaces exige patience et douceur et c’est pourquoi les traités sont si prolixes sur les maladies des oiseaux. Ici encore, les traités de chasse sont des traités de morale – la fauconnerie exige des qualités de corps, d’esprit et d’âme – Frédéric II expose le sujet en sept chapitres : intelligence, mémoire, bonne vue et ouïe, agilité, absence de paresse, absence de gourmandise et d’ivrognerie.
40Toute une littérature de chasse reprendra, plus ou moins consciemment, ces lieux communs. On pourrait en suivre les traces : tenter de comprendre dans l’histoire comment la chasse aux oiseaux se charge de valeurs érotiques, esthétiques et morales, mais aussi symboliques et allégoriques. Il n’est pas rare que la revendication de ces valeurs soit porteuse de toutes sortes d’archaïsmes – mais il n’est pas rare non plus que ces archaïsmes alimentent une littérature attentive aux oiseaux, comme c’est le cas chez Maurice Genevoix ou même chez Ernst Jünger. Ce dernier note dans ses Chasses subtiles : « la description, elle aussi, fait partie de la chasse. Elle atteint son heure de gloire dans l’invention d’un nom qui a valeur d’investiture […] le chasseur subtil enrage, quand on lui conteste son nom d’auteur ; conférer des noms, c’est son privilège régalien, son droit de chasse qu’il défend, sans même le remarquer, d’une manière biscornue, souvent intolérante » [28]. Exercice du corps et de l’esprit, invention d’un rapport paradoxal au vivant, la chasse célèbre aussi le nom de l’animal.
4. Des oiseaux et des lettres
41Des oiseaux : qu’ils disparaissent et en chantent. Mais gais plus souvent qu’à leur tour. Leopardi : « Sono gli uccelli naturalmente le più liete creature del mondo : ce sont les oiseaux qui sont naturellement les créatures les plus joyeuses du monde » [29] et Bailly le rappelle ici ou Deguy encore : « oiseaux de bonheur ». Mais certains effraient (Mouchard).
42La question du langage des oiseaux est multiple : c’est la question du langage que « parlent » les oiseaux (a), mais c’est aussi celle du langage qu’on parle aux oiseaux (b), et enfin celle de la manière dont nous parlons des oiseaux – qu’il s’agisse de les nommer (noms d’oiseaux (c)), mais aussi des verbes que nous utilisons pour décrire leur chant (d).
43a) Les oiseaux parlent‑ils ? Cette question doit être entendue dans sa gravité. Si leur chant est audible, ce qui sort de leur gosier est‑il pour autant un langage ? L’affaire divise. Elle met en jeu la théorie de l’expression, mais plus profondément elle oblige à considérer si, en la matière, on peut décréter (pour s’en réjouir ou pour la déplorer) la fin de l’exception humaine (Jean-Marie Schaeffer).
44Depuis Aristote, l’enjeu est précisément de comprendre le rapport entre « voix » et « langage » – les oiseaux donnent de la voix, mais ce don ne correspond pas pour autant à un don des langues. Aristote semble hésiter, mais rabat finalement le langage sur la possibilité de l’articulation et il tient que les oiseaux en sont privés. Ils peuvent bien articuler des sons, mais pas des sons avec des représentations. On peut citer les exploits des perroquets et des mainates : le fait qu’ils imitent le langage des hommes ne prouve rien d’autre sinon que l’appareil phonatoire n’est pas la condition suffisante pour qu’il y ait langage. Tout au plus peut‑on dire que le langage des oiseaux est l’un des plus proches du langage humain, ne serait-ce que parce qu’il suppose des communications sémiotiques et des transmissions.
45Ajoutons que la question du chant des oiseaux est redoublée en français par un fait de langue rappelé par Ponge et souligné récemment par Marielle Macé – le mot oiseau est un mot exceptionnel en français en ce qu’il contient les cinq voyelles [30].
46On peut se laisser porter par cette coïncidence. Si pour Aristote c’est la combinaison des voyelles et des consonnes qui produit le langage humain, les oiseaux et les hommes sont frères en vocalises, mais se séparent sur les consonnes [31]. Or ce sont les consonnes qui segmentent le flux vocalique et assurent l’articulation. Les écrits sur les animaux d’Aristote soulignent la fonction de la langue et des lèvres dans la production des lettres : « Le langage à travers la voix est composé de lettres (ek tôn grammatôn suvkeitai) et si la langue n’était pas faite comme elle l’est et si les lèvres n’étaient pas humides, on ne pourrait proférer la plupart des lettres, parce que certaines d’entre elles résultent des coups de la langue et de la conjonction des lèvres » (De part. anim. 59 b 30 sq.). Avec un mot dont les grammairiens ont fait par la suite un terme proprement technique de leur science, cette inscription constitutive des lettres dans la voix est définie comme « articulation » (diartrôsis) : « Voix (phônè) et son (psophos) sont différents entre eux, et un troisième terme en outre est le langage (logos)… Le langage est l’articulation de la voix avec la langue (glôttè). La voix et le pharynx émettent les voyelles, la langue et les lèvres les consonnes. Et c’est d’elles que se produit le langage » (Hist. Anim. 535 a sq.). Aux oiseaux manquent les consonnes et le langage avec elles.
47C’est dire que les voyelles nous rapprochent des oiseaux.
48Dans son Éloge des voyelles, Ernst Jünger veut y voir « la pulpe même des mots et des langues, tandis que les consonnes en représentent la carcasse, plus coriace [32] ». Cette belle méditation conduit loin dans l’imaginaire de la langue :
Dans quelque région qu’on l’éprouve, toute douleur substantielle ne s’exprime plus en mots, mais en sons. Aux portes de la naissance et de la mort, ils sont légion. Nous avons peut-être recommencé de les entendre au pic de leur puissance pendant la guerre – dans la nuit des champs de bataille où déferlaient les appels des blessés, dans les immenses postes de premiers secours et quand se fige le bref hoquet des mourants, dont le sens n’échappe à personne. […] Les inflexions de la voix sont abolies. Les consonnes se calcinent ; les sons de la plus haute douleur sont de nature purement vocalique [33].
50Jünger se souvient‑il de la formule énigmatique de Hegel, pour qui « c’est au moment de la mort que l’animal donne de la voix – de sa voix » ? Quand il la trouve, c’est en voyelles stridentes ou mugies. Sans tomber dans la rêverie vague sur une origine onomatopéique du langage, Jünger voit dans les interjections et les exclamations les « reliquats ou les linéaments d’une langue purement vocalique [34] ». C’est pourquoi c’est avec des voyelles que l’homme s’adresse aux oiseaux :
Dans les parcs zoologiques où séjournent des paons, on tombe parfois sur des groupes qui, par le bruitage d’une admiration flatteuse, cherchent à subjuguer l’oiseau pour qu’il fasse la roue. Nous entendons alors un A, un E, un Ei bien pleins et claironnés, sons avec lesquels, de préférence, l’homme s’efforce généralement d’enjôler les animaux (p. 81).
52C’est par les voyelles que les hommes s’adressent aux paons – c’est en voyelles que les humains et les oiseaux vocalisent :
Mais c’est surtout dans le chant humain que la voyelle s’unit aux harmoniques. En lui, un art est octroyé à l’homme, où la souveraineté de la parole épouse les servitudes de l’élément sonore. Le génie de la mesure imprègne le chant des chœurs avec l’aisance native d’un banc d’oiseaux en ballet (p. 83).
54Jacques Demarcq a entrelacé le sonnet des voyelles de Rimbaud avec son ornithologie – il fait de Rimbaud un oiseau : « le rimbaud, polyglobis trotter »
Un drôle de mi-tâteur mi gratteur je fais : toutes les voix d’ailes par 5, pour simplifier :A les corblaques (délicieux)É le goéblanc des océans (poussifs)I un bengali rouge d’Asie (à Chypre)U l’uhr-vioque verdier (d’Uhrope)O un blau rollier d’Abyssinie (pas rare là-bas). [35]
56Comme celui de Rimbaud, l’esprit de Demarcq « offre aux synesthésies un terrain fertile [36] ». Aux associations rimbaldiennes, il ajoute un oiseau de la couleur de la voyelle et dont le nom la contient : A est noir comme les corbeaux sont noirs (black), E blanc comme le goéland devenu par concaténation et mot-valise goéblanc, le I rouge comme est rouge le bengali, le U viride comme le verdier dont le nom est quasiment l’anagramme, le O turquoise comme le rollier (Coracias Abyssinicus) que Rimbaud a pu croiser. Claude Lévi-Strauss dans sa lecture célèbre de ce sonnet avait mis en parallèle les sons et les couleurs. Il avait souligné qu’importait moins l’association d’une couleur à un son qu’un système d’oppositions et d’homologies structurelles. Les oiseaux de Demarcq redoublent ces jeux de structure et les relancent vers le ciel des oiseaux et des sons – « bas noir, bec blanc, pli rouge, cul vert dos bleu : l’oiselle ».
57Comme nous l’avons constaté, ce n’est pas parce que les oiseaux ne parlent pas qu’Aristophane se prive de les faire parler : on ne compte pas les œuvres littéraires qui leur donnent la parole dans des desseins variés. Rares sont les poètes qui ont exploité la question de manière radicale – en la reconduisant aux sources de la philosophie de l’expression. (On en tient un.) On distinguera le monologue des oiseaux de leur conférence.
58Il arrive en effet qu’un oiseau parle en son nom. C’est le cas dans la Prosopopée des animaux de Jean Ursin, ce médecin du xvie siècle qui fut sans doute un des premiers auteurs à donner la parole aux animaux dans un contexte qui n’est pas celui des fables [37]. Ursin semble prendre au sérieux l’incitation formulée dans le Livre de Job : « Mais, je t’en prie, interroge donc les bêtes, et elles t’enseigneront ; et les oiseaux des cieux, ils te diront ; ou parle à la terre, et elle t’instruira, et les poissons de la mer te raconteront » (Job, 12, 7). Dans ses poèmes Ursin compile les sources antiques (Pline surtout et le Physiologos) [38]. Au cours de ses prosopopées, les animaux vantent leurs vertus, dispensant des informations de caractère tout à la fois médical et zoologique, esthétique et magique. Ils réclament aussi la clémence et l’attention des hommes, entonnant un monologue sans réponse. Sur la centaine de ces animaux parleurs, on peut compter vingt-cinq oiseaux en formation groupée : l’aigle, le vautour, le hibou, le paon, le corbeau, le milan, le coq, la poule, l’oie, le canard, la grue, la tourterelle, le pigeon ramier, la colombe, le coucou, le rossignol, le loriot, l’hirondelle, la huppe, le moineau, la chouette, la corneille, l’épervier, la perdrix, la pie, auxquels s’ajoutent, dans le livre II des Nouveaux Poèmes : le faucon, l’orfraie, le phénix, la cigogne, le pivert, le cygne, l’alouette huppée, l’alcyon, le plongeon et la chauve-souris.
59On donnera trois exemples de cette loquacité aviaire.
Le moineau
Certains disent que je m’unis aux femelles trois cents fois par jour (futuire trecentum) ; je m’étonne qu’ils puissent en faire le compte (p. 218-219).
La chouette
Dois-je parler ou me taire (Eloquar an taceam) ? Je crains, si je donne de la voix (si guttura soluam), que toute la troupe des oiseaux ne se jette sur moi. Ainsi ce serait donc pour moi, et non pour les autres, que je deviendrais prophétesse de malheur, à moins que Pallas ne m’apporte une aide bienvenue. Hélas, taisons-nous donc (sic taceam), à moins que je n’utilise ma voix pour expliquer à quoi sert d’absorber ma chair, ma cervelle, ou mes œufs. Si on la mange, ma chair soulage les tremblements nerveux ; celui que le dieu Ogygien entraîne dans ses pratiques déshonorantes, qu’il gobe mes œufs. Ma cervelle soigne les raideurs de la nuque, si on la mange après l’avoir fait cuire dans un vin doux (p. 220-221).
La pie
Je suis bavarde, moi, la pie, et mon gosier émet des sons humains (Profero, picca loquax, humanas gutture voces) ; ce n’est pas moi qu’il faut manger si on y voit mal, mais mes petits (p. 228-229).
63C’est bien de « prosopopée » qu’il s’agit et l’on constate que Jean Ursin aime à jouer sur les moments où les oiseaux parleurs mettent en scène leur propre capacité énonciative en évoquant leur voix, leur prise de parole, leurs jacasseries.
64Une scène revient de manière récurrente dans plusieurs littératures : la conférence des oiseaux. C’est, dans la littérature arabe, le célèbre texte du poète Attar, La conférence des oiseaux (xiie siècle). On trouvera plus loin la belle méditation de sa traductrice Leili Anvar qui en a changé le titre pour Le cantique des oiseaux mieux conforme sans doute à la dimension spirituelle de ce voyage initiatique de milliers d’oiseaux en quête de Sîmorgh, la manifestation visible du divin.
65Mais à côté de cette tradition mystique, il en est une autre qu’incarne Chaucer dans Le Parlement des oiseaux ou parlement volatil, The Parliament of Fowls [39]. Le narrateur du poème raconte comment il s’endormit un jour après avoir lu et médité le Songe de Scipion rappelé par Cicéron et commenté par Macrobe. Dans son rêve, Scipion le mène dans un jardin. Il passe la grille du parc « muré de pierre verte » – Chaucer se rappelle de toute évidence le songe du Roman de la Rose. Il se retrouve alors, parmi les frondaisons, sous un arbre qui bruit de la parole des oiseaux – « avec des voix d’ange en leur harmonie / with voys of aungel in here armonye » (v. 192) :
D’instruments à cordes en accordJ’entendis jouer si merveilleusement,Que Dieu, créateur, et seigneur de tout,N’ouït jamais mieux, selon moi.Alors vint un vent, soupir à peine,Qui fit dans le feuillu vert faible noiseS’accordant au chant volatil d’en haut. (v. 197-203)
67Il décrit leur disposition. À la cime se trouvent les oiseaux de proie (v. 323) : l’aigle, le noble faucon, l’émerillon. En-dessous, il y a la colombe, le cygne et le hibou :
La grue, une géante à son de trompette ;Le crave, ce voleur ; et la pie babillarde ;Le geai crâneur : le héron, terreur des anguilles ;Le traître vanneau, tout plein de tricherie ;L’étourneau qui tout secret peut trahir ;Le rouge-gorge ami, et le milan peureux ;Le coq, qui est l’horloge des lieux-dits […]Comment dirais-je ? Volatiles de tous genresQui en ce monde ont plumes et statureOn peut en ce lieu trouver assemblésDevant la noble déesse Nature,Chacun faisant une cour affairéeBénignement pour choisir ou bien prendre,Avec son accord, sa promise moitié. (v. 344-371)
69En ce jour de Saint-Valentin, les oiseaux doivent rivaliser de compliments pour conquérir leur amie. En ce tournoi galant et perché convergent plusieurs traditions – la fable d’Ésope, la littérature lucianesque, les luttes d’amour. Les tiercelets ouvrent le bal. Ils veulent conquérir le cœur de l’aiglesse que Dame Nature tient au poing. Chacun plaide pro domo. Ils sont suivis par « l’oie et le coucou, et le canard aussi / ainsi crièrent : Cac Cac ! coucou ! coin coin ! », puis c’est le tour de « la gent aquatique – the water-foules ». L’oie se dresse et cancane. L’épervier la rabroue.
Notre gentille volaille éclata de rire,Et tout aussitôt les granivores choisirentLa fiable tourte à qui ils firent appelLa priant de dire la vérité vraieEn la matière, et de ne pas avoir peur.À quoi elle répondit que c’est pleinementEt calmement qu’elle s’exprimerait. (v. 575-581, p. 99)
71Ces oiseaux parlent d’amour :
Dieu veuille que jamais amant ne varie !Dit la tourterelle en rougissant de pudeur ;Sa dame, fût‑elle étrange à jamais,Qu’il la serve néanmoins jusqu’à la mort (til he be ded)Vrai, je ne prise pas ce que l’oie a dit ;Si mon aimée mourait, je n’en voudrais pas d’autre,Fidèle jusqu’à ce que mort me prenne.
73Après que l’émerillon s’en est pris au coucou, Dame Nature met fin au débat – ce ne sont pas les tiercelets qui choisiront leur Dame Oiselle, c’est l’inverse : « Que ce soit elle qui fasse part de son choix / À celui qu’elle choisit ; fâché ou content, / Celui-ci sera à elle tout de suite ». L’aiglesse convoitée peut enfin dire à qui elle réserve ses faveurs, mais la faveur qu’elle réclame est de voler sans convoler : « qu’un répit me soit accordé pour que j’avise – I axe respit for to avise me » (v. 648, p. 109). Et Dame nature d’exprimer le vœu que tous s’envolent.
74Le poème s’achève par une louange à saint Valentin :
Saint Valentin, qui es si haut dans les hauteurs,Ainsi chante pour toi la menue volaille :Lors salut, été au si doux soleil,Qui as le temps d’hiver banni.Ils ont mainte raison de s’éjouirLors que chacune ou chacun de l’autre jouit,Plain-chant de grâces chantant dès l’éveil […]. (v. 683- 689, p. 113-114)
76b) Si les oiseaux ne parlent pas, il arrive qu’on prétende leur parler, qu’on les appelle ou qu’on les siffle. Cette technique fort ancienne est le propre des « chanteurs » d’oiseaux, bergers ou chasseurs. Sans qu’on puisse décider si elle a pu les inspirer, cette pratique ancestrale doit être distinguée des mythes religieux ou artistiques qui laissent imaginer, au cours de ces dialogues où un homme s’adresse à un animal, un rêve d’entente et une illusion de communauté, à tout le moins, le refus d’une séparation.
77Avec ou sans appeau, les hommes imitent depuis longtemps les vocalisations des oiseaux pour les attirer [40]. Ces imitations prisées dans le contexte de la chasse se développent parfois pour elles-mêmes. Elles entraînent la création de fédérations et de concours. Certains imitateurs ont développé cette technique comme un art et se produisent sur scène, moins comme des phénomènes de foire que comme de véritables artistes. C’est le cas aujourd’hui des très renommés Johnny Rasse et Jean Boucault, deux Picards experts en imitation du chant d’oiseau et qui organisent de véritables concerts avec des musiciens [41].
78Ce n’est certes pas ce type de parole qu’employa saint François quand il parla aux oiseaux. Il ne s’agissait pas de les imiter mais de leur prêcher Dieu. Dans sa « Louange de l’alouette », Sylvain Piron rapporte et explique le sens de cette scène discutée et commentée de plusieurs manières. Il y a peu de commentaires sur la langue de ces prêches. Saint François parlait‑il sa langue aux oiseaux et ces oiseaux la comprenaient‑ils ? Saint François parlait‑il oiseau ?
79On retrouve sans peine dans cette scène une évocation des Actes des apôtres (chapitre 2) :
01 Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours, ils se trouvaient réunis tous ensemble.
02 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
03 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux.
04 Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
05 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel.
06 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
07 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont‑ils pas tous Galiléens ?
08 Comment se fait‑il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
09 Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
81Charisme, le don des langues est l’instrument de l’évangélisation. Il répond au désir de saint Paul (1 Corinthiens, 14, 5). Quand les apôtres parlent, il semble qu’ils parlent leur propre langue, mais que chacun les entende dans sa langue. Il ne s’agit donc pas de xénolalie – opération qui consiste à parler une langue étrangère que l’on n’a pas apprise – [42], mais d’un langage qui se convertit directement dans une forme d’entente cordiale – comme un système de signes souterrains passés en traduction automatique. Les apôtres parlent en langue et non en langues – et leurs signes, comme ceux qu’évoque Rousseau dans le monde idéal qui ouvre ses Dialogues. Rousseau juge de Jean-Jacques, est « vrai dès qu’il est senti ».
82Cette langue des apôtres, cette langue de saint François habite comme un rêve de rédemption certains penseurs de la traduction confrontés à la pluralité des langues. On la retrouve chez Walter Benjamin quand il imagine l’élément du « pur langage ». Cette langue universelle de l’humanité rédimée, qui ne ferait qu’un avec son histoire, est « l’idée de la prose même, comprise par tous les hommes comme l’est la langue des oiseaux par ceux qui sont nés un dimanche » [43] :
Toute parenté supra-historique entre les langues repose bien plutôt sur le fait qu’en chacune d’elles, prise comme un tout, une chose est visée, qui est la même, et qui pourtant ne peut être atteinte par aucune d’entre elles isolément, mais seulement par le tout de leurs visées intentionnelles complémentaires ; cette chose est le langage pur [44].
84C’est le « langage pur » qui définit la tâche du traducteur : « racheter dans sa propre langue ce pur langage exilé dans la langue étrangère » [45]. À partir de l’harmonie de toutes les langues, le traducteur fait pressentir « le terme messianique de leur histoire ». À la fin de « La tâche du traducteur », cette langue pure est décrite à travers la figure décisive d’une « parole sans expression » qui s’est libérée du poids et de l’étrangeté du sens : « Dans cette langue pure qui ne vise [nichts mehr meint] et n’exprime plus rien [nichts mehr ausdrückt], mais parole inexpressive et créatrice, est la visée de toutes les langues, toute communication, tout sens et toute intention rejoignent une sphère où leur destin est de s’effacer ». Parler aux oiseaux, c’est peut-être parler cette langue pure. Il n’est pas sûr néanmoins, que cette pureté soit souhaitable, ni même cohérente. Il est certain qu’elle ne correspond pas à l’idéal du poème s’il s’agit de le purifier de toute la matérialité phonétique et imagée du langage. Il serait sans doute plus juste de rêver de parler aux oiseaux comme si nous parlions leur langue – de faire « comme si ».
85c) S’il est difficile d’imaginer ce langage pur parlé avec les oiseaux, c’est aussi parce que, dans chaque langue, le discours tenu sur les oiseaux est d’une richesse prodigieuse et plonge profond dans la singularité des idiomes. Cette richesse caractérise aussi bien les noms des oiseaux que les verbes qui indiquent leurs chants. Dans chaque langue le lexique des noms d’oiseaux suscite surprise et émerveillements [46]. En témoigne l’impressionnant Glossaire d’oiseaux grecs de William d’Arcy Thompson, dont Dominique Meens donna une traduction foisonnante [47], mais aussi le lexique latin des oiseaux [48]. Le lexique des noms d’oiseaux en français fait lui aussi l’objet de nombreuses études [49].
86Les noms d’oiseaux sont si singuliers qu’on voudrait les traiter comme des noms propres. Le fait‑on que nous sommes contraints de nous interroger sur les noms propres, sur la méthode d’individuation qu’ils mettent en œuvre et sur l’épineux problème de leur signification. Dans La Pensée sauvage, Claude Lévi-Strauss consacre un chapitre à « L’individu comme espèce » et s’oppose à la Théorie des noms propres, un essai polémique [50] d’Howard Gardiner. [51] Le nom des oiseaux occupe ici une position décisive.
87Si le nom propre désigne un individu et un seul, comment procède-t‑il ? Le fait‑il en lui attribuant un prédicat qui vaudrait pour lui et pour lui seul ? Ou procède-t‑il autrement ? Pour Gardiner, le nom propre individualise non en associant une grappe de prédicats à un individu, mais par son seul signifiant. Lévi-Strauss s’oppose deux fois aux théories de Gardiner : « les noms propres nous sont apparus voisins des noms d’espèce, surtout dans les cas où ils jouent clairement le rôle d’indicatif de classe, donc quand ils appartiennent à un système signifiant ». La vertu d’un nom propre c’est de ranger un individu dans une classe. C’est ici que le nom des oiseaux intervient.
Nous n’utilisons pas la nomenclature scientifique pour nouer un dialogue avec les plantes et les animaux. Pourtant, nous donnons volontiers aux animaux, et nous empruntons aux plantes certains des noms qui servent de termes d’adresse entre humains : nos filles se prénomment parfois Rose ou Violette, et, réciproquement, plusieurs espèces animales sont admises à partager, avec des hommes ou des femmes, les prénoms que ceux-ci portent habituellement. Mais pourquoi, comme nous l’avons déjà noté, ce libéralisme profite-t‑il surtout aux oiseaux ? Par la structure anatomique, la physiologie et le genre de vie, ils se situent plus loin des hommes que les chiens, auxquels on ne donne pas de prénom humain sans provoquer un sentiment de malaise, sinon même un léger scandale. Il nous semble que l’explication est déjà contenue dans cette remarque.
Si, plus aisément que d’autres classes zoologiques, les oiseaux reçoivent des prénoms humains selon l’espèce à laquelle ils appartiennent, c’est qu’ils peuvent se permettre de ressembler aux hommes, pour autant que, précisément, ils en diffèrent. Les oiseaux sont couverts de plumes, ailés, ovipares, et physiquement aussi, ils sont disjoints de la société humaine par l’élément où ils ont le privilège de se mouvoir. Ils forment, de ce fait, une communauté indépendante de la nôtre, mais qui, en raison de cette indépendance même, nous apparaît comme une société autre, et homologue de celle où nous vivons : l’oiseau est épris de liberté ; il se construit une demeure où il vit en famille et nourrit ses petits ; il entretient souvent des rapports sociaux avec les autres membres de son espèce ; et il communique avec eux par des moyens acoustiques qui évoquent le langage articulé.
Par conséquent, toutes les conditions sont objectivement réunies pour que nous concevions le monde des oiseaux comme une société humaine métaphorique : ne lui est‑elle pas, d’ailleurs, littéralement parallèle à un autre niveau ? […]
Or, cette relation métaphorique, imaginée entre la société des oiseaux et la société des hommes, s’accompagne d’un procédé de dénomination qui, lui, est d’ordre métonymique […] : quand on baptise des espèces d’oiseaux Pierrot, Margot, ou Jacquot, on prélève ces prénoms sur un lot qui est l’apanage des êtres humains, et le rapport des prénoms d’oiseaux aux prénoms humains est donc celui de la partie au tout [52].
89Le système formé par les noms d’oiseaux, de chiens, de chevaux et du bétail permet à la fois de soutenir que « les noms propres et les noms d’espèce faisant partie du même groupe, il n’y a aucune différence entre eux » (p. 786) et que « les noms propres représentent des quanta de signification » (p. 789) [53]. Par quoi Lévi-Strauss s’oppose à Russell. Lévi-Strauss interprète le nom des oiseaux « comme l’indice que l’ensemble de leurs espèces évoque pour nous une sorte de contrepartie métaphorique de la société humaine » [54].
90d) Une chose est de trouver un nom pour évoquer les oiseaux, autre chose d’inventer un verbe qui puisse traduire leur chant. Certes, l’argument d’une origine onomatopéique des verbes associés aux oiseaux tombe face à l’argument de la traduction, car si la colombe ou le ramier roucoulent en français, they coo en anglais et tubano en italien tandis que sie gurren en allemand. Pourtant on ne saurait nier que ces verbes qui désignent le nom des oiseaux présentent des particularités morphologiques exceptionnelles faites de redoublements vocaliques et consonantiques remarquables.
91Il est sans doute plus juste de dire que le mimétisme phonétique de certains de ces verbes qui indiquent ces chants sollicite certaines vertus phonétiques propres à chaque langue [55] : ces verbes montreraient comment le langage inscrit dans la voix des hommes l’écho, qui n’est pas la trace de la manière dont le langage des oiseaux s’inscrit dans leur gosier.
92Pour classer ces verbes, on peut partir du chant ou de l’oiseau. On soulignera que le même oiseau peut correspondre à deux verbes et le même verbe à deux oiseaux.
93On suggérera, pour l’amusement et la poésie de la liste [56], quelques noms sur la liste des oiseaux :
L’aigle glapit, trompette, l’alouette grisolle ou turlutte, la bécasse croule ou coucouanne, la buse piaule, le butor butit, la caille carcaille, courcaille, margotte, le canard cancane, canquette, nasille, la chouette chuinte, hue, (h)ulule, la cigogne craquette, glottore, la colombe roucoule, le coq chante, coqueline, coquerique, le coq de bruyère dodeldire, le corbeau coraille, croaille, croasse, graille, la corneille babille, corbine, craille, criaille, graille, le coucou coucoue, coucoule, le cygne drense, drensite, siffle, trompette, le dindon glouglotte, glougloutte, l’épervier glapit, piale, tiraille, l’étourneau pisote, le faisan criaille, glapit, piaille, le faucon huit, réclame, la fauvette zinzinule, le geai cageole, cajacte, cajole, cocarde, frigulote, fringote, gajole, la gélinotte glousse, le goéland pleure, raille, la grue craque, glapit, trompette, le hibou bouboule, bubule, hue, (h)ulule, miaule, tutube, l’hirondelle gazouille, la huppe pupule, pupute, le jars cagnarde, jargonne, le manchot brait, le merle appelle, babille, flûte, siffle, la mésange zinzinule, le milan huit, le moineau chuchete, chuchote, pépie, l’œdicnème crie, l’oie cacarde, crialle, siffle, le paon braille, criaille, la perdrix brourit, cacabe, glousse, pirouitte, rappelle, le perroquet cause, jase, parle, piaille, siffle, la perruche jacasse, siffle, le pic jacasse, pleupleute, la pie agasse, bavarde, jacasse, jase, le pigeon caracoule, jabotte, roucoule, le pinson fringote, ramage, siffle, la pintade criaille, la poule caquette, cocaille, coclore, codeque, coucasse, crettelle, glousse, le poussin piaille, piaule, le rossignol chante, gringotte, quiritte, trille, la sarcelle truffle, le serin ramage, trille.
Quant à la tourterelle, eh bien la tourterelle gémit [57].
5. Demarcq, le déniquoiseau
« Il avait un faible pour les oiseaux. C’est un signe auquel on reconnaît généralement les magiciens. »
« Maintenant tu raisonnes en tout et pour tout comme un homme et comme un oiseau à la fois. »
« Il s’agit, comme toujours en poésie, d’inventer un langage qui, débarrassé des représentations admises, fouille la nature, humanité comprise, en quête de signes dont les échos, l’aimantation “magnétique”, les réseaux feront sens. »
95a) En 2008, Jacques Demarcq publie chez Nous Les Zozios, où s’accomplit une recherche menée à coups de poèmes depuis plus de vingt ans et qu’on peut décrire comme celle d’une langue des oiseaux, une poétique aviaire ou mieux peut-être une ornitho-logique [58]. Elle est des plus cohérentes comme le démontrent les pages de « En théorie » sur lesquelles s’achève le livre (p. 302-316).
96Demarcq écrivait en 1984 : « Après les giboulées, le soleil. Et dans les arbres, les oiseaux avouent le printemps. Comme ils chantent à mille à l’heure, les poètes n’y ont jamais rien compris. Mais il suffit d’accélérer la traduction » [59]. L’ornitho-logique consiste donc à prendre les oiseaux de vitesse sur le terrain de l’expression. C’est une gageure. Avec Demarcq, l’oiseau n’est plus l’occasion de poèmes encomiastiques, le motif d’une exaltation de la beauté naturelle ; il n’est plus le porte-voix, le prophète ou l’interlocuteur du poète, ni même sa figure. C’est un défi à la poétique de l’expression – la relance périlleuse d’une question principielle : quelles sont les chances de la poésie, comment peut‑elle inscrire une langue neuve dans la voix ?
97Les Zozios cherchent à continuer la grande poésie (celle de Nerval, de Rimbaud ou d’Apollinaire dont se réclame Demarcq) par d’autres moyens. De ses aînés, Demarcq conserve un ton allègre, volontiers joueur, et celui de la complainte douce-amère (Corbière et Laforgue ne sont jamais très loin). Il a la muse comique, mais aussi la mélancolie grinçante d’un poète politique. Il reste que la technique de son ornitho-logie est à lui. C’est elle qui donne la forme à son poème.
J’ignorais répondre à une suggestion d’Aurélia (II, IX) : « passant devant une maison, j’entendis un oiseau […] dont le bavardage confus me parut avoir un sens ». Peu importe qu’il se soit agi d’un perroquet désarticulant les mots qu’on avait tenté de lui apprendre ; comme Nerval, m’intéressait le sens susceptible de ressortir malgré tout de l’incompréhensible, du charabia des babils, gazouillis, pépiements. Et le dénouement du livret a dépassé l’idylle. Pendant plus de vingt ans, j’ai reformulé-réorganisé la parole humaine au travers du miroir aveugle des chants d’oiseaux – ce qui n’est pas moins fou que d’en passer par le rêve ou l’hallucination [60].
99« Reformuler et réorganiser la parole humaine au travers du miroir aveugle des chants d’oiseaux » – tel est l’objectif déclaré de l’ornitho-logique de Jacques Demarcq.
100b) On trouve dans les Travailleurs de la mer un nom qui offre un beau portrait de Jacques Demarcq, le poète de la vie volatile. Ce mot, c’est « déniquoiseau ». Voici comment Hugo l’explique : « Dans la nuit du samedi au dimanche, nous précisons la date et nous la croyons exacte, trois enfants escaladèrent l’escarpement de Plainmont. Ces enfants s’en retournaient au village. Ils venaient de la mer. C’était ce qu’on appelle dans la langue locale des “déniquoiseaux”. Lisez déniche-oiseaux. Partout où il y a des falaises et des trous de rochers au-dessus de la mer, les enfants dénicheurs d’oiseaux abondent. […] Les déniquoiseaux sont des espèces de gamins de l’océan, peu timides » (I, V, V, p. 243). Cette explication vient loin après l’évocation de Gilliat comme « déniquoiseau » (le mot n’était pas avancé dans les premières pages du roman).
Il avait un faible pour les oiseaux. C’est un signe auquel on reconnaît généralement les magiciens. Les enfants ont pour joie de dénicher les nids de goélands et de mauves dans les falaises. Ils en rapportent des quantités d’œufs bleus, jaunes et verts avec lesquels on fait des rosaces sur les devantures des cheminées. Comme les falaises sont à pic, quelquefois le pied leur glisse, ils tombent, et se tuent. Rien n’est joli comme les paravents décorés d’œufs d’oiseaux de mer. Gilliatt ne savait qu’inventer pour faire le mal. Il grimpait, au péril de sa propre vie, dans les escarpements des roches marines, et y accrochait des bottes de foin avec de vieux chapeaux et toutes sortes d’épouvantails, afin d’empêcher les oiseaux d’y nicher, et, par conséquent, les enfants d’y aller. (I, I, IV, p. 131)
102La grande bonté de Gilliatt le fait détester, selon une figure sacrificielle qui obsède Hugo et dont Jean Valjean est un avatar. Cet homme qui est à jamais associé à la pieuvre (III, IV, II, p. 494 sq.) tient de l’oiseau. Soit le portrait de Jacques Demarcq en déniquoiseau [61].
103« Pour écrire un seul vers », écrit Rilke dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, « il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux [man muß fühlen, wie die Vogel fliegen] et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent » [62].
104Héroïque ou pas, c’est le long parcours qui mène au vers – à un seul vers : des heures d’attention, au monde vivant, aux êtres, des amours, des morts, des attentes, des souvenirs, des souvenirs oubliés. Parmi les heures d’attention – il faut avoir senti la manière dont volent les oiseaux.
105c) Demarcq a raconté dans Avant-taire, roman en vers, la généalogie du déniquoiseau, depuis l’entrée dans le langage (p. 13).
106On peut suivre les heures d’attente, d’amour et de souvenir qui ont permis au poète d’apprendre à sentir comment les oiseaux volent. Avant-taire, ce livre de souffrances physiques et psychiques et de libération par l’expression rageuse [63] – « roman d’un comment dire / apprentissage défamilial » (p. 44) est aussi un livre d’histoire – d’histoire de France et de dépaysement. C’est le livre de l’Oise (cf. la « Chronique locale » d’Oise : « en celte / Oise = eau », p. 80) et de Compiègne depuis le « compendium » des Romains (p. 78) jusqu’à
l’époque du camplorsque la ville était sommée de sommeillervolets clos sur le passage des juifs des résistantsà pied dans les rues par colonne d’un millier [64]. (p. 92)
108Il faudrait dire les étapes qui font du déniquoiseau un poète. Une place essentielle revient à la basse-cour :
La cour était un long roman de 50 m au moinsmais ç’a été surtout mon cours préparatoire de poésieà poules chasser des boules de plumes qui ont si peu l’idée d’unsens qu’elles les prennent tous à la godilleFallait commencer par attraper le rythmeInsinuer l’entortilleuse en des détours moins tordus […]. (p. 48)
110Le rêve de l’oiseau s’ancre dans un corps meurtri en ses suites hospitalières (la main, le dos, cf. « La danse du dos », p. 139 sq.). Le dernier vers du « roman en vers » relie l’envol à la souffrance : « peau quelle main palmée ne rêverait finir canard » (p. 165).
111d) Plusieurs carrières préparent « l’état » de déniquoiseau : celle du poète de l’avant-garde (moins lié à son geste par l’obsession de la rupture, me semble-t‑il, que par la conviction que le poème vaut comme exploitation systématique de la forme de l’expression, graphique et phonétique), celle du compositeur de livres (Demarcq est typographe, éditeur, fabricateur de livres d’art), celle du voyageur et celle du traducteur. Demarcq voyage et va chercher partout des oiseaux (en Amérique, en Afrique, en Asie surtout) [65] – mais ce Compiégnois n’aime pas l’exotisme et rechigne au chic qui n’est que du chiqué. Il aime les oiseaux de France, les oiseaux humbles, les passereaux, les moineaux et les pies.
112À n’en pas douter, c’est l’expérience du traducteur qui joue un rôle décisif dans l’ornitho-logie de Demarcq [66]. Ne se définit‑il pas comme « traducteur d’oiseaux et de littérature » ? Comprendre la tresse de la traduction des oiseaux et de la reproduction phonétique du chant des oiseaux, c’est approcher au plus près de l’ornitho-logie de Demarcq. On défendra la thèse selon laquelle notre ornithologue est un poète bilingue. Pour l’entendre il faut partir d’un peu plus haut.
113e) Dans son Esthétique, Hegel veut tenir une position subtile et risquée : il soutient que la poésie est le moment où l’esprit se défait de ce que la forme a de matériel, ce qui libère l’esprit, mais il fait aussi de la poésie la grande rivale de la philosophie (« la poésie n’est attachée à aucune forme déterminée de l’art. Elle est l’art universel ») :
la poésie parvient à spiritualiser à tel point son élément sensible, le son, que cet élément qui s’éloigne le plus de la matière pesante, au lieu d’être façonné comme la forme dans l’architecture, au lieu d’être un symbole significatif de la pensée, n’est plus qu’un signe dénué d’expression propre. Mais par là se détruit la fusion du contenu et de la forme à un degré qui commence à ne plus répondre à l’idée originelle de l’art. De sorte que maintenant la poésie court le danger de se perdre elle-même en passant de la région sensible dans celle de la pensée purement spirituelle [67].
115La poésie est si bien « spirituelle », si bien « conceptuelle », que les « moyens empruntés à la musique et à la peinture lui sont étrangers » : « la manifestation sensible disparaît et la pensée poétique se dépouille de toute forme matérielle. Dans la musique, le sentiment s’identifie avec les sons ; dans la peinture la pensée tout entière est incorporée à la forme et à la couleur ; ici les sons de la parole ne renferment ni ne représentent immédiatement la pensée tout entière. Aussi l’expression musicale, la mesure, l’harmonie et la mélodie doivent disparaître pour faire place à de simples combinaisons extérieures, telles que la mesure des syllabes, et des mots, le rythme et l’harmonie des rimes » [68]. Pourtant, la poésie est encore trop liée à la matérialité du langage pour être philosophique – « elle ne se contente pas d’exprimer de manière figurée une pensée déjà conçue en soi dans sa généralité. Au contraire, conformément à son essence immédiate, elle s’arrête dans l’unité substantielle au sein de laquelle n’a pas encore été faite une telle séparation ou établi un tel rapport ». Entravé dans la matérialité de la forme poétique, l’esprit ne s’est pas encore complètement libéré. Dans la poésie, la pensée reste individualisée et confuse. Poètes, encore un effort pour être philosophes ; poèmes, encore un effort pour vous libérer de la matérialité de la langue.
116La poésie, cet « art particulier dans lequel l’art lui-même commence à se dissoudre », se trouve donc sur une ligne de crête qui sépare deux précipices : si elle se libère complètement de la matérialité de la forme, de la réalité de la manifestation de l’esprit, elle verse dans la philosophie (ce que Hegel veut – thèse de la mort de l’art – et ne veut pas – thèse de la spécificité absolue de la philosophie) ; mais si elle ne s’en libère pas complètement, elle reste entravée par ses déterminations matérielles et l’esprit reste comme prisonnier, englué.
117Or traduire comme matérialiser (phonétiquement – dans le sens de la musique, ou graphiquement – dans le sens de l’image) les voix des oiseaux sur la page en les y figurant parfois, c’est prendre le parti inverse. C’est décider que la matérialité de la poésie est la garante même de sa spiritualisation, de sa puissance évocatrice, pensive, sentimentale, politique aussi.
118C’est dans une même tension, soulignons-le, que Demarcq défend le poème en vers, la transcription des gazouillis, des bégaiements et des trilles d’oiseaux, traduits phonétiquement sur la page et ses traductions de Cummings. L’ornitho-logie libère la matérialité du poème. Soit le paragraphe « Litterae liberae » :
E.E. Cummings, je me souviens d’avoir acheté il y a quelque trente ans ses poèmes complets sur un simple coup d’œil : ça ressemblait si peu au libre-verbisme postsurréaliste des années 60 ! Dix ans plus tard, Christian Prigent puis Bernard Noël, à première vue aussi, publiaient mes traductions.
Cummings, c’est la liberté pour ce que la réalité concrète de l’écriture – pas le bavardage ! – a de plus humble : la lettre. Son intérêt pour les petites gens, pauvres ou marginaux, va de pair ; et pour les souris, piafs, lunes solitaires, étoiles insaisissables qui pareillement chiffonnent le discours plat sans fin repassé du tissu social. Pas une liberté acquise de haute lutte, qui bombe le torse sur son piédestal. Une liberté si native qu’elle n’a besoin que de sa naïveté pour voltiger, planer, pirouetter en des poèmes déroutants d’évidence, où chaque lettre est un des moments du mot, chaque syllabe un tournant de la vie. (Les Zozios, p. 310)
120Cummings pour une liberté concrète de l’écriture qui semble celle d’un oiseau : il voltige, plane, pirouette. C’est tout naturellement donc que les oiseaux arrivent pour confirmer Cummings : « les oiseaux combinent pareillement le mouvement avec la voix : ils flysing, volent-chantent, en trois réelles dimensions ». On rappellera le célèbre texte de Victor Hugo : « les traducteurs superposent les idiomes les uns aux autres, et quelquefois, par l’effort qu’ils font pour amener et allonger le sens des mots à des acceptions étrangères, ils augmentent l’élasticité de la langue. À la condition de ne point aller jusqu’à la déchirure, cette traduction sur l’idiome le développe et l’agrandit » [69]. Traduire le chant des oiseaux, c’est accepter de tendre la langue jusqu’à la déchirer en rythmes et sons, et lettres.
121Telles sont les deux pratiques de l’ornitho-logie poétique : il y a l’ornitho-logie phonétique et l’ornitho-logie graphique.
122f) « Rythmes et sons sont : la part asémantique des langues, qui ne se raccroche à aucun sens défini, ni n’en produit. Bébégaiement farceur de la rime, allitération trébu… chante, calembourdaine parano-mastic » écrit Demarcq en songeant à Stéphane Mallarmé (Les Zozios, p. 303). « Les ingénus gazouillis-bredouillis d’enfant ou d’oiseau […] sont la contrepartie sonore de ce silence du poète, qui les laisse se répandre librement. Céder l’initiative… aux syllabes, qui diviseront menu les mots, pourrait bien être cette “presque disparition vibratoire” qui aboutit – abruitissante ? – à la “notion pure” » (ibidem, mais voir aussi p. 26).
123On peut décrire en les graduant ces variations syllabiques de l’ornithologue. Demarcq exploite tour à tour les ressources de la concaténation, du télescopage et de la rime :
l’hirondelleEffrontiérant toutes les limites, l’hirondelle,dix : rondelsdiront ; d’elleles ronds d’ailes… (p. 22)
125Il aime traduire phonétiquement les langues étrangères, surtout quand elles évoquent des ornitho-logies comme dans la section islandaise des Zozios.
126Il aime enfin composer des poèmes avec des sons d’oiseaux translittérés et non traduits qu’il mêle à des rimes et allitérations. Il ne s’agit donc pas de « traduire ces chants » : « la tradition poétique me pardonnera : la langue des oiseaux, c’est du pipeau ! […] Traduire ces chants, c’était les dessécher. Mais les singer, bêtement ! Plier la langue au modèle de leurs modulations. Voire la tordre pour l’essorer… » (p. 316). Ici l’ornithologue triomphe :
le merle (à Rachel et Chricri)tac-tac-tacsriiihtix ! tix ! tix ! tixà l’attaquesriiih& du tac au tactaxi ! ? ! taxile compteur cliquetique& ressorts prolixesmais : rideaux tiréstacde quoi j’me merleriih tchoucsriih tchoucsrih tchouc (p. 145)
128L’ornithologue va jusqu’à imaginer des dialogues et des joutes entre oiseaux via onomatopées translittérées (cf. les respons du rouge-gorge et de l’hypolaïs polyglotte, p. 148-149). Le langage des oiseaux n’est pas un avant du poème. Il est son effet.
129h) L’ornitho-logie graphique n’est pas en reste. Demarcq s’en explique dans « Dits visibles » (p. 307). Les chants d’oiseaux éclatent sur les pages comme traversées, mais aussi griffées, criblées de calligrammes d’idéogrammes et de pictogrammes. Demarcq a dit sa dette à Apollinaire dans Suite apollinaire, où il libère le calligramme, l’orne d’images d’oiseaux, change les graphies, les polices, les couleurs des caractères [70]. Dans « ’CRIVENT » (la sixième section de Les Zozios) il propose son anthropologie graphique et remonte jusqu’à Lascaux pour parcourir tout le cycle des écritures d’oiseaux : le hiéroglyphe, le cunéiforme, l’alphabet (grec avec Aristophane, p. 188-189 ; latin avec Catulle, p. 191-192, chrétien avec Jésus et l’ecclésiaste), arabe (ce qui lui permet de réécrire Attar, p. 205-207), mais aussi les idéogrammes chinois (p. 196-203).
130Cette section est aussi une bibliothèque d’oiseaux nommés par des noms propres de poètes avec un nom latin qui le classe dans l’espèce d’une poétique. Par exemple « il zanzotto, soligo cogito » (p. 273). Dans ces poèmes, l’oiseau assume une diction conforme à la poétique du poète dont il porte le nom. Il s’agit de poèmes adressés, d’injonctions, de dialogues aussi, qui n’excluent pas la critique. [71]
131i) On comprend mieux peut-être le bilinguisme ou la diglossie (phonétique et graphique) de Demarcq. Elle est interne à l’expérience de la parole poétique qu’elle déchire et recoud. C’est la diglossie entre la langue des oiseaux et la langue des hommes. Entre les deux s’écrit une espèce de pacte social. Une chose est sûre en tout cas : la langue des oiseaux n’est pas un passé à retrouver, mais une possibilité neuve du poème ornithologique.
6. Épilogue
132Pour finir, ces vers du Paterson de William Carlos Williams. On les trouve au livre V de l’immense poème.
Envol groupé d’oiseaux | A flight of birds all together |
cherchent leur nid avant l’aube | seeking their nests in the season |
au printemps une horde de petits oiseaux | a flock before dawn, small birds |
« Qui la nuit dorment les yeux ouverts » | “That slepen al the night with open Yë” |
Comme à chaque saison c’est le désir qui | moved by desire, passionately, they |
les fait venir de si loin. | have come a long way, commonly. |
Ils se séparent et par deux vont | Now they separate and go by pairs |
instinctivement s’accoupler. Leurs | each to his appointed mating. The |
plumes ont des tons indéchiffrables | colors of their plumage are undecipherable |
quand ils volent dans la clarté solaire | in the sun’s glare against the sky |
mais l’âme du vieillard est émue | but the old man’s mind is stirred |
par les blancs les jaunes les noirs | by the white, the yellow, the black |
comme s’il pouvait les distinguer d’ici. | as if he could see them there. |
Leur présence en plein ciel une fois de plus | Their presence in the air again |
l’apaise. Bien qu’il se sache près de | calms him. Though he is approaching |
mourir, tant de poèmes continuent de l’habiter. | death he is possessed by many poems |
[…] Tous ensemble ils travaillent – | […] The birds |
tous les oiseaux ensemble. Les oiseaux | and leaves are designed to be woven |
et les feuilles ont été esquissés pour être | in his mind eating and |
tissés dans son esprit avide et | |
tous ensemble, à ses propres fins [72]. | all together for his purposes. |
133Les oiseaux de ce numéro de Po&sie viennent de loin – du fond de quel désir ? du fond de quel désarroi ? du fond de quel ciel ? du fond de quel présent ?
134Ils reviennent. Et tous ensemble ils travaillent. Tous les oiseaux ensemble.
136La revue Po&sie tient à remercier Geneviève Bouffartigue, qui a tenu cette volière à bout de bras.
Notes
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[1]
Cf. les deux éditions suivantes : N. Dunbar, Aristophanes. Birds, Oxford, Clarendon Press, 1982 ; Aristofane, Gli uccelli, Milano, Rizzoli, BUR, 2006. Cette dernière édition due aux soins d’Alessandro Grilli est remarquable, malgré un tribut un peu trop lourd aux thèses de René Girard. Elle est précédée d’une étude passionnante de plus de deux cents pages.
-
[2]
Sur le contexte historique des Oiseaux, cf. G. Paduano, « La città degli uccelli e le ambivalenze del nuovo Sistema etico-politico », Studi classici e orientali, 22, 1973, p. 115-144 ; B. Katz, « The Birds of Aristophanes and Politics », Athenaeum, 54, 1976, p. 353-381 ; D. Konstan, « A City in the Air : Aristophanes’ Birds », Arethusa, 23/2, 1998, p. 183-207. De manière plus générale, M. Heath, Political Comedy in Aristophanes, Göttigen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1987.
-
[3]
Leo Strauss, Socrate et Aristophane, 1966, Combas, Éditions de l’Éclat, trad. Olivier Sedeyn, 1993, sur les Oiseaux, p. 201-246, ici, p. 240-244.
-
[4]
Sur le désir d’argent dans les Oiseaux, cf. 593-602, 1105-1108.
-
[5]
D.M. MacDowell, « Foreign Birth and Athenian Citizenship in Aristophane », in Tragedy, Comedy and the Polis : Papers from the Greek Drama Conference, Nottingham, 18-20 July 1990, Halliwell, F.S., Sommerstein, A., Henderson, J. & Zimmermann, B. (éds.) Bari, Levante Editori, 1993, p. 359-371.
-
[6]
Leo Strauss, Socrate et Aristophane, p. 217.
-
[7]
Comme bon nombre de roitelets de l’histoire et du présent, Pisthétairos veut construire son mur, cf. 1123 sq. et 1164-1167.
-
[8]
Nan Dunbar, « Aristophane, ornithophile et ornithophage », in La Langue, la Scène, la Cité. Actes du colloque de Toulouse, 17-19 mars 1994, édités par Pascal Thiercy & Michel Menu, Bari, Levante Editori, 1997, p. 113-119.
-
[9]
La traduction italienne joue sur « strato » (couche) et « stato » (État). M.-J. Alfonsi maintient « pôle » dans sa traduction d’Aristophane, Théâtre complet, 2, Paris, GF, 1966, p. 36. Hilaire Van Daele rapproche « site » et « cité », in les Oiseaux, Aristophane, Comédies, tome III, Paris, Les Belles Lettres, Budé, 2009 [1928, 1940], p. 32.
-
[10]
Je n’ai pas pu consulter G.W. Dobrov, Winged words/Graphic Birds. The Aristophanic Comedy of Language, diss. Cornell University, Ithaca, NY, 1988.
-
[11]
Fulvia Toscano, « Figure di poeti negli Uccelli di Aristofane », GIF, 43, 1991, p. 71-79.
-
[12]
Au § 16 de la Critique de la Faculté de juger, Kant voit dans les oiseaux des exemples de beauté libre : « de nombreux oiseaux, (le perroquet, le colibri, l’oiseau de paradis), une foule de crustacés de la mer, sont en eux-mêmes des beautés qui ne se rapportent à aucun objet déterminé quant à sa fin d’après des concepts, mais qui plaisent librement et pour elles-mêmes ». Critique de la faculté de juger, Ak, 229, trad. française Alain Renaut, [1995], Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 208.
-
[13]
Sur cette dernière, cf. les analyses d’Alfonso Lingis dans L’Ivresse des profondeurs et autres excès, (1983), trad. française Dominique Janicaud, Paris, Belin, « L’extrême contemporain », p. 23-25. Nous suivons ici Lingis dans sa critique du fonctionnalisme.
-
[14]
Adolf Portmann, La Forme animale, (1948, 1960), trad. française (1961), Paris, La Bibliothèque, avec une préface de Jacques Dewitte, 2013, p. 144-145.
-
[15]
Cf. le grand poème de Charles Olson, les « Kingfishers » : « he got the color of his breast / from the heat of the setting sun » il a pris la couleur de sa gorge / à la rougeur du soleil couchant. En français : Charles Olson, Les Martins-pêcheurs et autres poèmes, trad. française Auxeméry, Paris, Ulysse fin de siècle, 2005, p. 70.
-
[16]
Cf. Giorgio Agamben, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Galilée, trad. française Martin Rueff, 2018.
-
[17]
Les 81 premiers paragraphes du livre X de l’Histoire naturelle de Pline sont consacrés à « la nature des oiseaux », Histoire naturelle, traduction et édition de Stéphane Schmitt, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2013, p. 466-504. Aristote consacre le chapitre XII du livre IV de Les parties des animaux aux oiseaux, traduction et présentation de Pierre Pellegrin, Paris, GF-Flammarion, bilingue, 2011, p. 457-469. Il émaille son Histoire des animaux d’analyses ornithologiques : cf. II, 11, 12 ; II, 17 ; IV, 9. Le livre VI (1-9) porte sur la reproduction des oiseaux ; VIII, 3 sur la nourriture des oiseaux ; VIII, 12 sur leur migration ; IX, 7-36 ; cf. Aristote, Histoire des animaux, Paris, Les Belles Lettres / Denoël, 1969. La zoologie d’Aristote a trouvé un merveilleux partisan en la personne d’Armand Marie Leroi. Cf. The Lagoon. How Aristotle Invented Science, [2014], trad. française, La lagune, Et Aristote inventa la science, Paris, Flammarion, 2017. Selon Leroi, « il n’y a aucun recoin de notre science qu’il [Aristote] n’ait éclairé » (p. 497). Il faudrait évoquer ici le Physiologos grec (iie siècle) et sa traduction latine (370) : cf. Le « Physiologus » ou Bestiaire, C. Cahier et A. Martin (éds), Mélanges d’archéologie, d’Histoire et de littérature, 4 vols. ; Paris, 1847-1856 ; II, p. 85-232 ; III, p. 203-288 ; IV, p. 55-87.
L’ornithologie connaît une envolée merveilleuse au 16e siècle : En 1544, le Avium paecipauarum de William Turner (1510-1568) est le premier livre entièrement consacré aux oiseaux ; la même année paraît le Dialogus de avibus et earum nominibus graecis, latinis et germanicis de Longolius. En 1555, c’est l’Histoire de la nature des oiseaux de Pierre Belon et Gessner consacre le troisième tome de son Historiae animalium aux oiseaux. En 1575, Volcher Coiter étudie l’anatomie des oiseaux dans De avium sceltis et praecipis musculis. Aldrovandi compose une Ornithologia hoc est de avibus historiae entre 1599 et 1603. En 1622, Giovanni Pietro Olina compose le premier livre destiné aux propriétaires de volières, Uccelliera, overo discorso della natura e proprietà di diversi uccelli e in particolar di que’ che cantano. En 1676 Francis Willughby et John Ray publient leur Ornithologia où ils décrivent près de 500 espèces d’oiseaux en s’appuyant sur l’anatomie. En 1702, Johann Ferdinand Adam von Pernau publie un livre sur le comportement des oiseaux : Unterricht was mit dem lieblichen Geschöpff, denen Vögeln, auch ausser dem Fang Nur durch die Ergründung Deren Eigenschaften und Zahmmachung oder andere Abrichtung Man sich von Lust und Zeitvertreib machen könnte : gestellt Durch den Hoch- und Wohlgebohrnen (Instruction sur le plaisir que l’on peut obtenir de ces créatures charmantes, les oiseaux, sans compter de leur capture ainsi qu’une étude complète de leurs habitudes aussi bien que les apprivoiser et les éduquer). Il récidive en 1716. En 1737, Giuseppe Zanini écrit un livre entièrement consacré aux œufs d’oiseaux – Delle uova e dei nidi degli uccelli libro primo del Conte Zanini. Pierre Barrère publie son Ornithologiae specimen novum en 1745 qui sera suivie par les ouvrages de Jacob Theodor Kelin et de Paul Heinrich Gerhard Möhring. En 1760, c’est l’Ornithologie de Mathurin Jacques Brisson, en 1761 la British Zoology de Thomas Pennant (qui signe aussi une Indian Zoology en 1769). Buffon publie entre 1770 et 1783 son Histoire naturelle des oiseaux. La publication par Linné en 1757 de son Systema naturae marque un tournant dont Tunstall tient compte pour son Ornithologia britannicae (1771) tandis que Phillip Ludwig Statius Müller publie Linné en allemand en 1773. En 1783, Pietr Boddaert attribue des noms linnéens aux oiseaux de Buffon. Pierre Joseph Bonnaterre sera le premier français à adopter le système linnéen. En 1790 paraît l’Index ornithologicus sive Systema ornithologiae de William Bartram qui décrit 2951 espèces d’oiseaux. En 1812, Johann Karl Wilhelm Illiger le dépasse : 3779 espèces. En 1816 Louis Jean Pierre Vieillot publie une Analyse d’une nouvelle ornithologie élémentaire. René Primevère Lesson publie un Manuel d’ornithologie en 1828 et en 1831 un Traité d’ornithologie. En 1846 George Robert Gray décrit 6000 espèces et sous-espèces d’oiseaux. Entre 1844 et 1848 George Robert Grax commence à faire paraître une List of the Genera of Birds. En 1853 Jean-Louis Cabanis fonde le Journal für Ornithologie. Les années 1850-1860 voient se créer les premières sociétés d’ornithologie en Europe et dans le monde. Elles ont pour but de décrire les oiseaux, de fournir à leur sujet des analyses scientifiques et de ralentir leur disparition. Entre 1869 et 1872, Gray fait paraître sa Handlist of the Genera and Species of Birds. En 1889, la Royal Society for the Protection of Birds est créée à Londres (elle compte aujourd’hui plus d’un million de membres). En 1909 Richard Bowler Sharpe inventorie 18 939 espèces et sous-espèces d’oiseaux.
Il n’est pas facile de classer les ouvrages d’ornithologie qu’il faudrait soumettre à la différenciation de seuils conformément à l’indication de Foucault dans L’Archéologie du savoir : un seuil de positivité qui correspond à sa formation et à son autonomie ; un seuil d’épistémologisation quand la formation prétend faire valoir ses normes de vérification et de cohérence et qu’elle tend à exercer à l’égard du savoir une fonction dominante ; un seuil de scientificité quand elle obéit à des critères formels et que ses énoncés répondent à certaines lois de construction ; enfin un seuil de formalisation lorsqu’elle se dote d’axiomes, de structures propositionnelles et d’un édifice formel susceptible de les articuler. Or si le seuil de positivité de l’ornithologie est ancien, il faut remarquer que plusieurs régimes de discours croisent l’exigence de construire une ornithologie scientifique : un régime lexical (qui porte, j’y reviens) sur le nom des oiseaux (il ne faut pas seulement classer les oiseaux, il faut les nommer, et ces exigences ne sont pas toujours convergentes). On ne compte pas depuis le 17e siècle les ouvrages sur les noms des oiseaux. Mais il y a aussi un régime de description locale, qui n’est pas toujours le fait d’amateurs : l’ornithologie régionale est une véritable passion (en France, mais aussi en Angleterre, en Allemagne, en Italie, aux Etats-Unis). On n’oubliera pas l’ornithologie des voyageurs et des colons (qui culmine aux 18e et 19e siècles). -
[18]
Il semble que le premier livre imprimé montrant des oiseaux soit le Buch der Natur publié en 1475 ; en 1485 le Gast der Gesundheit de Johannes de Cuba est le premier livre d’histoire naturelle illustré. Depuis, nommer, classer et montrer des oiseaux sont des efforts conjoints dont on connaît certaines figures glorieuses : en France, Jacques Barraband, aux Etats-Unis, John James Audubon et John Gould. L’ornithologie illustrée a son histoire. Quelques indications ici (à l’exception des monographies sur tel ou tel illustrateur). Cf. C.E. Jackson, Bird Etchings. The Illustrators and their Books, 1655-1855, Ithaca, Cornell University Press, 1985 ; M. Lambourne, The Art of Bird Illustration. A Visual Tribute to the Lives and Achievments of the Classical Bird Illustrations, Royston, Eagle Editions, 2001, A.M. Lysaght, The Book of Birds : five Centuries of Bird Illustration, Bookthrift, 1985.
-
[19]
Cf. Maurice Boubier, L’évolution de l’ornithologie, Paris, Felix Alcan, 1925 ; P.L. Farber, The Discovering of Birds : the Emergence of Ornithology as a Scientific Discourse, Baltimore, Johns Hopkins U.P., 1996 ; E. Streseman, Ornithology from Aristotle to Present, Cambridge, C.U.P., 1975 et Michael Walters, A Concise History of Ornithology, New Haven, Yale U.P., 2003. En français, cf. l’élégante synthèse de Valérie Chansigaud, Histoire de l’ornithologie, Paris, Delachaux et Niestlé, 2007.
-
[20]
Cf. Mark V. Barrow, A Passion for Birds. American Ornithology after Audubon, Princeton, P.U.P., 1998. On ne compte plus en France les livres intitulés : Voir les oiseaux, Reconnaître les oiseaux, etc.
-
[21]
On peut par exemple citer le best-seller de Jennifer Ackermann, Le génie des oiseaux [The Genius of Birds, 2016], Hachette, Marabout, 2017. Le texte étalé à même la couverture est édifiant : « les extraordinaires capacités qui ont permis aux oiseaux d’être présents sur toute la planète depuis des millions d’années. Une enquête fascinante qui se lit comme un roman ».
-
[22]
Cf. J.K. Anderson, Hunting in the Ancient World, Berkeley, Los Angeles, London, 1985 et Alain Schnapp, Le chasseur et la cité, chasse et érotique dans la Grèce ancienne, Paris, Albin Michel, 1997, p. 123-171.
-
[23]
Frédéric II, De Arte venandi cum avibus, trad. française, G. Holmer, Lund, 1960.
-
[24]
Cf. Gace de la Buigne, Le roman des déduis, éd. Blomqvist, Karlshamm, 1951 ; Henri de Ferrières, Le Livre du roy Modus et de la royne Ration, éd. G. Tinlander, Paris, SATF, 1932 ; Gaston Fébus, Livre de la chasse, éd. G. Tilander, Karlshamm, 1971 ; Guillaume Cretin, Débat sur le passe-temps des chiens et des oiseaux, suivi de la Chasse royale, poème de H. Salel, éd. E. Jullien, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1882 ; Guillaume Tardif, Livre de l’art de fauconnerie et des chiens de chasse, éd. E. Jullien, Paris, 1882. Sur la fauconnerie : cf. B. Van den Abeele, La fauconnerie dans les lettres françaises du xiie au xive siècle, Louvain, 1990 et du même, Les traités de fauconnerie latins au Moyen Âge, Louvain, 1991.
-
[25]
B. Van den Abeele, La fauconnerie dans les lettres françaises du xiie au xive siècle, op. cit., p. 15.
-
[26]
La Poétique de la chasse au Moyen Âge, (les livres de chasse au xive siècle), Paris, Puf, 1994, p 105.
-
[27]
Ibidem, p. 106.
-
[28]
E. Jünger, Chasses subtiles, trad. française, Paris, Bourgois, 1969, p. 38.
-
[29]
G. Leopardi. Elogio dei uccelli, in Operette morali, Roma, Guida, C. Galimeberti éd. (1977), 1980, p. 369-389, ici, p. 371. Sur L’Éloge des oiseaux, cf. Franco d’Intino, L’immagine della voce, Leopardi, Platone e il libro morale, Venezia, Marsilio, 2009 (je remercie Philippe Audegean de m’avoir indiqué ce livre). Dans des pages profondes, d’Intino veut interpréter ce texte de Leopardi comme un « éloge de la voix » en écho au Phèdre de Platon. Il va jusqu’à faire des réflexions développées par Leopardi dans son Éloge des oiseaux un moteur de l’écriture poétique des Canti. On n’oubliera pas « Le passereau solitaire » des Chants (cf. Chants / Canti, Paris, Aubier, trad. Michel Orcel, 1995, p. 98-101) ni la présence des oiseaux dans le Zibaldone [§ 67, 159, 221, 1716, 1717, 1722, 4293). Le § 159 mériterait une réflexion poussée – Leopardi s’interroge sur la combinaison entre chant et vol et soutient qu’elle « n’est pas accidentelle » cf. Zibaldone, trad. Bernard Schefer, Paris, Allia, 2003, p. 134-135.
-
[30]
« Le mot OISEAU : il contient toutes les voyelles. Très bien j’approuve. Mais, à la place de l’S, comme seule consonne, j’aurai préféré l’L de l’aile : OILEAU ou le V du bréchet, le V des ailes déployées, le V d’avis : OIVEAU. Le populaire dit zozio. L’S je vois bien qu’il ressemble au profil de l’oiseau au repos. Et oi et eau de chaque côté de l’S, ce sont les deux gras filets de viande qui entourent le bréchet. » Francis Ponge, La Rage de l’expression, Paris, Gallimard, 1976, p. 31. Marielle Macé fait allusion à ce passage dans Nos cabanes, Lagrasse, Verdier, 2019.
-
[31]
On peut se référer au texte classique de Georges Straka, « La division des sons du langage en voyelles et consonnes peut‑elle être justifiée ? » [1963], in Les sons et les mots, choix d’études de phonétique et de linguistique, Paris, Klincksieck, 1979, p. 59-141.
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[32]
Ernst Jünger, Éloge des voyelles, (1934, 1979), trad. française de Jean-Luc Evard, Monaco, Éditions du Rocher, 2001, p. 61.
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[33]
Ibidem, p. 76.
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[34]
Ibidem, p. 80.
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[35]
Jacques Demarcq, Rimbaldiennes, Paris, Ateliers de l’agneau, 2015, p. 41.
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[36]
Claude Lévi-Strauss, Regarder Ecouter Lire in Œuvres (dir. Vincent Debaene), Paris, Gallimard, « Bibliothéque de la Pléiade », 2008, texte établi par Martin Rueff, p. 1578.
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[37]
Cf. Jean Ursin, La prosopopée des animaux, texte traduit et annoté par Brigitte Gauvin, Grenoble, Jérôme Millon, 2011.
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[38]
Sur les sources de Jean Ursin, cf. la riche préface de Brigitte Gauvin, ibidem, p. 13-15.
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[39]
Geoffrey Chaucer, Le Parlement volatil, trad. Robert Marteau, Champ Vallon, 2008.
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[40]
À consulter les arrêtés ministériels, on s’aperçoit que l’usage des appeaux est réglementé : aujourd’hui seuls sont autorisés les appeaux ne faisant pas appel à une assistance électronique.
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[41]
On peut lire sur leur site internet : « Leurs imitations font écho à des techniques primitives de chant. Ils utilisent le souffle, la diphonie, la voix aspirée, le chant trillé, le sifflement haute fréquence ou encore le chant percussif. Ils proposent aujourd’hui un répertoire de milliers de sonorités d’oiseaux des cinq continents ».
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[42]
Cf. Alessandra Pozzo, « Un langage inspiré “efficace” : la xénolalie dans les récits hagiographiques du Moyen Âge » in Le Pouvoir des mots au Moyen Âge, Nicole Bériou, J.-P. Boudet, Irène Rosier-Catach (éds.), Turnhout, Brepols, p. 287-301. Cf. aussi C. Puech, « Parler en langues, parler des langues », Langages, 1988, no 91, p. 27-38.
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[43]
Le Concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, Paris, Champs Flammarion, 2002, p. 153. Walter Benjamin, « La tâche du traducteur », in Œuvres, tome I, Mythe et violence, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Denoël, 1971. Cf. aussi « Sur le langage en général et sur le langage humain », ibidem, p. 134. Pour l’examen de ces deux textes difficiles, cf. J.-M. Palmier in Walter Benjamin, Le chiffonnier, l’Ange et le petit Bossu, p. 407 sq. ; Giorgio Agamben, « Langue et histoire ; Catégories linguistiques et catégories historiques dans la pensée de Walter Benjamin », in La Puissance de la pensée, Essais et conférences, op. cit., et Antoine Berman, « L’âge de la traduction, cahier VI – commentaire de La Tâche du traducteur de Walter Benjamin », in Po&sie no 122-123, mai 2008.
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[44]
« La tâche du traducteur », op. cit., p. 266.
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[45]
Ibidem, p. 273., cf. le commentaire de J.-M. Palmier, p. 411.
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[46]
Cf. Henriette Walter et Pierre Avénas, La Merveilleuse Histoire du nom des oiseaux, Paris, Fayard, 2007.
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[47]
D’Arcy Thompson, Un glossaire d’oiseaux grecs, traduit et augmenté de commentaires dilettantes, d’anecdotes délectables prises à divers auteurs anciens et modernes, de remarques saisissantes et de propos inactuels sur la situation présente, Paris, Corti, 2012.
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[48]
Cf. Jacques André, Les Noms d’oiseaux en latin, Paris, Klincksieck, 1967.
-
[49]
Inventaire des noms d’oiseaux en français, Dubois P.J., Le Maréchal P., Olioso G., Yésou P., éds, Paris, Nathan, 1998 et Nouvel Inventaire des oiseaux de France, Dubois P.J., Le Maréchal P., Olioso G. et Yésou P., Paris, Delachaux et Niestlé, 2008.
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[50]
Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage (1962), in Œuvres (V. Debaene, dir.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 761-790.
-
[51]
H. Gardiner, La Théorie des noms propres, un essai polémique, [1940, 1957], Paris, Epcl, 2010.
-
[52]
La Pensée sauvage, op. cit., p. 774-777.
-
[53]
Jean-Claude Pariente a tenté de rendre compatibles les positions de Gardiner et de Lévi-Strauss in Le Langage et l’individuel, Paris, Armand Colin, 1973, p. 71-77.
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[54]
C’est en ces termes que Lévi-Strauss résume l’effort de La Pensée sauvage dans le « Finale » de L’Homme nu, Paris, Plon, 1971, p. 617.
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[55]
Pour le grec, on prendra une mesure de l’ampleur de ces questions dans l’article de Cécile Corbel-Morana, « Euripide lecteur d’Aristophane : des trilles du rossignol (à partir du verbe elelizomai, dans Oiseaux, v. 213, Hélène, 1111 et les Phéniciennes, v. 1514 », in Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, 2004/2, LXXVIII, p. 223-238.
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[56]
Cf. Bernard Sève, De haut en bas, philosophie des listes, Paris, Seuil, 2010.
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[57]
Cette liste est la synthèse de plusieurs facilement accessibles sur internet.
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[58]
Les Zozios, Caen, Nous, collection Now, 2008. Il semble en effet que l’inspiration de Les Zozios remonte à « L’air de l’eau », un opéra créé en 1985 dans le Parc de Royaumont et interprété par deux cents enfants. (Nervaliennes, op. cit., p. 17-55).
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[59]
Nervaliennes, p. 53.
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[60]
Ibidem, p. 105.
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[61]
Par ce terme on voudrait aussi rendre hommage au mythe du dénicheur d’oiseaux traqué par Claude Lévi-Strauss tout au long de ses Mythologiques. On se souvient que c’est sur ce mythe bororo que s’ouvre Le Cru et le cuit (1964) : le héros commet l’inceste et se voit soumis à divers exploits dangereux par son père qu’il finit par tuer. C’est sur ce mythe aussi que s’achève L’Homme nu (Paris, Plon, 1970, p. 558). Les « dénicheurs d’oiseaux » ne sont pas absents des Petites mythologiques que sont La Potière jalouse et Histoire de lynx. Cf. aussi le récit d’Emmanuel Désveaux in Quadratura Americana, chapitre VI, « Questions aux dénicheurs d’oiseaux », Genève, Georg, 2001, p. 133 sq. et surtout, p. 135-136 et la photographie de Bill Morris, dénicheur d’oiseau, en page 2.
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[62]
Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, [1929], Paris, Seuil, trad. Maurice Betz, [1966], 1980, p. 25. Jean Clair vient de rappeler ce texte à notre mémoire dans le joli livre qu’il a consacré à Balthus et Rilke, une enfance, Paris, L’Echoppe, 2018, p. 7.
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[63]
Ces souffrances physiques du nouveau-né, les yeux froncés au ciel l’air de se demander (p. 11) sont évoquées p. 18 (les 4 doigts palmés, le thorax écrasé côté cœur, la colonne en forme d’S, cf. p. 27), cf. le récit de l’opération, p. 60 et le chapitre « Aventures », p. 73 et notamment les trois sonnets (p. 73-76). Le petit garçon vilain petit canard a la main palmée. Voir le poème déchirant sur l’héroïsme de la tante, p. 59.
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[64]
Cf. « Dernières nouvelles », le dialogue avec le maire, p. 98 sq. et le grand poème « Histoire de Jacques », résistant communiste arrêté et déporté, p. 103-128.
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[65]
Cf. Phnom Poèmes, documentaire, Caen, Nous, 2017. Au Cambodge le déniquoiseau déniche aussi, cf. « Tonlé Sap », p. 79-84.
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[66]
Demarcq traduit de l’anglais d’Amérique : Williams et Cummings. Cummings surtout : 95 Poèmes, avec une préface, Paris, Flammarion, 1983, réédité au Seuil, collection Point/Poésie, 2006 ; La Guerre-Impressions (avec une postface), Gérardmer, Æncrages, 2001 ; je : six inconférences (avec une postface), Sauve, Clémence Hiver, 2001 ; Contes de fées, 16 Poèmes enfantins (postface, gouaches de Macha Poynder), Sauve, Clémence Hiver, 2002 (prix du Petit Gaillon 2003) ; font 5 (trad. et postface), Caen, Nous, 2011 ; No Thanks (trad. et postface) ; Érotiques (avec une postface), Paris, Seghers, 2012. Il a aussi traduit Gertrude Stein : Tendres Boutons, Caen, Nous, 2005 ; Portraits singuliers, Paris, éditions RMN, 2011. Il traduit aussi de l’italien et notamment Andrea Zanzotto, Les Pâques (avec Adriana Pilia, trad. et préface de Ch. Prigent), Caen, Nous, 1999, puis réédition augmentée de Les Regards les Faits et Senhal (avec une postface), Caen, Nous, 2004.
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[67]
Hegel, Esthétique, volume II, Paris, Librairie Générale Française, 1997, p. 411.
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[68]
Ibidem, p. 405.
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[69]
Cité par H. Meschonnic, « Ce que Hugo dit de la langue », Romantisme, « Conscience de la langue », no 25-26, Paris, 1979, p. 63.
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[70]
Suite apollinaire, Barjols, Plaine page, 2017. Demarcq s’explique sur ses calligrammes qui prennent la suite de ceux d’Apollinaire, p. 27-28.
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[71]
Il giotto, le rutebeuf, le dante, le léonard, le rabelais, un shakespeare, la fontaine, le bashô, le voltaire, le rousseau, les buffon, le diderot, le sade, le ryôkan, le blake, le baudelaire, le flaubert, le verlaine, le rimbaud, le hopkins, le pascoli, le morgenstern, le brisset, l’apollinaire, the stein, l’ungaretti, le lénine, le khlebnikov, le desnos, le schwitters, the joyce, le péret, le leiris, le bataille, l’artaud, le tardieu, le prévert, le ponge, le queneau, le dotremont, le denis roche, le maurice roche, il zanzotto, le luca, l’heidsieck, la molnar, les novarina, le verheggen, le frontier, la rouzeau (sylvia tritis), le meens, le prigent.
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[72]
William Carlos Williams, Paterson, trad. française, Yves di Manno, Paris, José Corti, 2005, p. 243.