Couverture de POESI_137

Article de revue

Andrea Zanzotto est mort

Pages 5 à 11

Notes

  • [1]
    Pasolini poeta, in Pasolini. Poesie e pagine ritrovate, A. Zanzotto et N. Naldini (éd.), Rome, 1980, désormais in A. Zanzotto, Scritti sulla Letteratura, Milan, Mondadori, 2001, vol. II, p. 153-160.
« Finalement, je crois encore à la poésie, mieux,
à l’idée de poésie qui fut celle de ma propre jeunesse
(et que je crois encore valable dans la mesure où elle se
rapporte à des choses absolument constantes, auxquelles on
ne peut renoncer sans s’auto-détruire). »
Andrea Zanzotto à Giovanni Raboni

1Andrea Zanzotto est mort mardi 18 octobre 2011 à Conegliano quelques jours seulement après avoir fêté ses quatre-vingt-dix ans. Cet anniversaire avait été marqué par la publication du volume de ses poésies complètes : Tutte le poesie (Milan, Mondadori, septembre 2011, 1200 pages), mais aussi par celles de Ascoltando dal prato. Divagazioni e ricordi (Giovanna Ioli (éd.), Novara, Interlinea, octobre 2011) et d’un fort volume contenant tous les textes de Zanzotto consacrés au cinéma : Il cinema brucia e illumina – Intorno a Fellini e altri rari (Luciano dei Giusti (éd.), Venise, Marsilio, octobre 2011). En 2011, Zanzotto avait aussi publié Il mio Campana, (Francesco Carbognin (éd.), Bologne, Clueb, 2011). Indiquons enfin la parution d’un beau numéro de la revue Autografo, n° 46, I novanti anni di Andrea Zanzotto qui contient des pages inédites.

2Il serait bien difficile à l’heure de l’émotion et de la tristesse d’indiquer la signification de cette perte pour la poésie italienne, pour la poésie en général, ainsi que pour la culture européenne. Les paroles que Zanzotto consacra à Pasolini valent sans doute encore plus pour Zanzotto lui-même : « avec tout ce qu’il a écrit, et avec tout ce qu’il a créé dans les champs d’activité les plus variés, est-il juste de dire que Pasolini doit être avant tout qualifié par le nom de poète ? Oui, et cela, dans l’acception la plus gênante et presque la plus désuète que ce terme peut recouvrir » [1]. Zanzotto incarnait une confiance totale dans la poésie : il était la poésie et parlait en son nom. Il ne reculait pas devant le terme et en assumait toutes les significations, toutes les implications, toutes les complications. Et s’il prenait la parole en public, que ce soit pour dénoncer ou pour édifier, c’était en poète. En lui se nouent les plus grandes voix du siècle – il les côtoya, il leur fut ami, elles le reconnurent – d’Ungaretti à Montale (Zanzotto ne décrit pas : il circonscrit et enveloppe), de Pasolini à Fortini, de Luzi à Raboni. Et il n’est de critiques, quels que soient leurs goûts ou leurs inclinations, qui n’aient reconnu en lui l’accomplissement des plus hautes traditions – de Contini à Cortellessa.

3Il rassemblait en lui tant d’héritages : le chant pur et le poème objet, la simplicité et l’expérimentation, la tradition et l’avant-garde, l’egologie et l’écologie, l’hymne et l’élégie, le devenir hymne de l’élégie et le devenir élégie de l’hymne : le poète d’un « monde minuscule en apparence » (selon le mot qu’il appliquait à Biagio Marin) et le poète des aspirations les plus universelles. Il fut le poète de la beauté et des paysages, mais aussi celui du destin et de l’histoire des hommes. Même si Zanzotto restera aussi comme un prosateur exquis et un critique d’une pénétration remarquable, tout chez lui (tout de l’espace et tout de l’histoire) conduit au poème.

4À chaque rencontre au rez-de-chaussée de Pieve, près de la table jonchée de manuscrits et de livres envoyés en hommage, alors que le merle sifflait, et que le chat le poussait à remonter dans les branches, sous le bonnet rouge qui était comme son habit d’Arménien, Zanzotto reculait d’un cran dans la conversation avec l’ironie qui le caractérisait. Il avait le regard de loin mais savait le porter au plus près de soi se penchant sur les êtres avec une infinie bonté. Sa conversation était douce et brillante : il fut curieux jusqu’au bout et c’est cette grâce qui électrise tous ses textes.

5On a souvent rappelé que sa petite santé était aussi une stratégie – mais il sentait le grand âge et ses contraintes. Il constatait avec tristesse que la table des grands amis s’était rétrécie : de la mélancolie (surtout quand il rappelait les anciennes romances), de la nostalgie (toujours quand il rappelait la beauté de la vallée avant le massacre des hommes), de l’alacrité (quand il évoquait les enfants, la vivacité de la nature, l’entrain des souvenirs) – de l’amertume jamais.

6Un jour que nous étions tous réunis, l’un d’entre nous (on ne le nommera pas) fit tomber une tasse – elle se brisa elle aussi « comme un éclat de rire ». Alors que l’on s’empressait, que certains se confondaient en excuses, Zanzotto fut pris d’un fou rire d’enfant – festa festa evviva ! c’est la fête !…c’est la fête….

7Il était le plus jeune des poètes italiens.

8Andrea Zanzotto dans Po&sie :

9n° 6, 1978 : « Cinq sonnets », traduits de l’italien par Gérard Genot

10n° 19, 1981 : « Poèmes », traduits de l’italien par Philippe di Meo

11n° 37, 1986 : « Avec Virgile », traduit de l’italien par Philippe di Meo

12n° 58, 1991 : « Sur Pessoa, réponses à trois questions d’Antonio Tabucchi », traduites de l’italien par Phillipe di Meo

13n° 68, 1994 : « En l’occasion de la mort de Biagio Marin », traduit de l’italien par Michel Valensi

14n° 71, 1995 : « Fiches, Leiris », traduit de l’italien par Philippe di Meo

15n° 79, 1997 : « Météo », poèmes traduits de l’italien par Raymond Farina

16n° 83, 1998 : « Tentatives d’expérience poétique », traduites de l’italien par Philippe di Meo

17n° 109, 2004 : « Sept poèmes », traduits de l’italien par Philippe di Meo et Martin Rueff

18n° 110, 2005 : « Parmi des ombres de perception fondatrice », traduit de l’italien par Philippe di Meo et Martin Rueff

19n° 117-118, 2006 : Dossier « Andrea Zanzotto a quatre-vingt-cinq ans » comprenant « Lacustres », poèmes inédits traduits de l’italien par Martin Rueff ; « Enfances, poésies, petite école (notes) », traduit de l’italien par Philippe Audegean ; « L’Europe, arbre aux grenades-fruits des langues », traduit de l’italien par Martin Rueff

20Études : Andrea Cortellessa : « Surimpressions, surexistences, indices de guerre civile chez Zanzotto », traduit de l’italien par Martin Rueff ; Niva Lorenzini : « Derrière le silence, outre le silence : la poésie d’Andrea Zanzotto », traduit de l’italien par Aurélie Gendrat ; Jean Nimis : « Mensonge du langage, vérité de la poésie » ; Giovanni Raboni : « Il Galateo, Fosfeni, Idioma : la trilogie de Zanzotto », traduit de l’italien par Aurélie Gendrat.

21n° 120, 2007 : « Prémisses à l’habitation », traduit de l’italien et présenté par Martin Rueff

22n° 135, 2011 : « Voyage musical – conversations entre Andrea Zanzotto et Paolo Cattelan », traduit de l’italien et présenté par Martin Rueff (première partie)

23n° 136, 2011 : « Voyage musical – conversations entre Andrea Zanzotto et Paolo Cattelan », traduit de l’italien et présenté par Martin Rueff (deuxième partie)

24Nous avons choisi de reproduire la traduction de deux poèmes sur l’ensemble que nous avait confié Andrea Zanzotto pour le numéro 117-118 de la revue. Ces poèmes furent ensuite publiés dans Sovrimpressioni (Milan, Mondadori, 2001). Nous avions retrouvé Andrea Zanzotto à Pieve di Soligo pour discuter de ces traductions et des solutions envisagées.

25Ce furent de belles heures de poésie.

26

I
Lac de Lago/ 23 décembre 1999
Sacrement- danger
qui se fait paix de gemme sombre
ou nacre la plus sombre
et qui n’est plus danger, mais
pour d’autres, certes, l’est encore. Vagues gelées
en pierre bleue là vers les bas fonds
du lac qui fut éternel, qui l’est et le sera
du lac jamais las
de se livrer en gouffres sombres vierges
d’absence la plus pure. Oh petits ponts
oh mille pieds fragiles pour l’abord de barques
qui dans le feu presque enfoui du soir
qui dans l’albumen et l’ébène de l’atmosphère
s’avancent incertaines sur, dans la glace des fonds.
Alors tout l’être varié, le crépitant-fixe
de perle noire du lac nous assaille
et nous encercle comme pour des départs vers des mondes supérieurs
d’inventivités hivernales turbides
ce frémissement bloqué, et vivant pourtant, apeuré,
quand voilé d’antinomies torves
quand nourri de turbides euphories.
Le voilà notre ralliement de la quiddité
jamais plus, jamais plus animée ou animale,
ni végétale, ni australe, ni boréale.
Pris dans le sacre du verre, sacre de nacre, sacre de vent
seigneurs des cinq passerelles avec vos jambettes
si justement fillettes que
véritables stations de transmissions aux cosmos
sources du véritable lac-perle et de son ciel entêté
dans le dernier souffle de rouge
messages et rayons noirs pour trous noirs
vers outre-tombe vers cimetières ou plus
peut-être à distances faites de tabous
et pourtant, vous nous rendez heureux, moi tournoyant
dans le noir, néant heureux, dépoulpé des dernières ou avant-dernières
images, de tout imaginaire
ou symbolique, par toi, lac, dépassé.
Et dans le roulé boulé des zéros de l’an deux mille
couchant adouci,
agglutiné d’infini.

27

I
Lago di Lago – 23 dic. 99
Sacramento-pericolo
che in pace di gemma cupa
o cupissima madreperla si trasforma
e non è più pericolo, ma per
qualcuno sì, lo è. Onde gelate
in pietra blu là verso i bassi fondi
del lago che fu eterno e lo è e lo sarà
del lago mai pago
di darsi in cupi virginei baratri
di purissima assenza. Oh ponticelli
oh tenui millepiedi per l’approdo di barche
che nel fuoco già mezzo sepolto della sera
che nell’albume e nerume dell’atmosfera
si protendono incerti sul, nel ghiaccio dei fondali.
Tutto il diverso lo scopiettante-immoto
stare di perla-nera del lago ora ci assale
e circonvolve come per partenze verso sopramondi
di inventività torbide invernali
quel fremito bloccato eppure vivo, pauroso,
perché velato di torve antinomie
perché nutrito di torbide euforie.
Ecco il nostro raggiungimento di quidditas
mai più, mai più animata né animale
né vegetale, né australe, né boreale.
Coinvolti nel madrevetro, madreperla madrevento
signori delle cinque passerelle con le gambine
così debitamente bambine che
stazioni vere di trasmissioni ai cosmi
fonti del vero lago-perla e del suo cielo incaponito
nell’ultimo anelito di rosso
messaggi e neri raggi a buchi neri
ad oltretombe a cimeteri o più
forse a lontananze fatte di tabù
pur ci fate beati, me prillante nel
nero nulla beato, spolpato dalle ultime o penultime
immagini, d’ogni immaginario
o simbolico, da te, lago, superato.
E nel rotolio degli zeri del duemila addolcito tramonto,
agglutinato d’infinito

28

II
Noël 2001, nuit
Ici la lumière se figea, se congela
et non entre les murs d’un laboratoire.
Ici autre chose survint dont il reste trace
demeure comme une senteur d’impossible, en fuite
et multiplication, efflorescences gélificoles
vallées envahies par la fête fière
qui devient force ensuite et qui dure
en dessous de zéro de pure géniture
dans ma joie maudite, pure,
battant à l’orée de la forêt falsifiée
et rédimée et portant sur la houle
des éboulements
que je vis hier, couronnes de ferme
terrestrité prise dans une éternelle
révolte vers le bas et qui n’ira pas plus bas.
Oh ruisselet de glace brunie
toi ainsi définie
dans ta mort vivante compacte, fixe et qui serpente
face à la source la plus saine
eau prisée par tant de générations
qui dépasserait toutes les marques en vogue
dénoue ici le nœud à mon cou
pris entre le sub et le limis à crémaillère
pour tout un maximum de jours à venir.
Dents de requins et signaux du destin.
Pattes partout gantées
aux animaux pour qu’ils survivent.
Animation, animation dans les crissements du pack
des coups domestiques du pack qui se brise aux portes.
Il n’est plus question de vie ni de mort
mais de voleurs qui jusqu’au dernier infime centime
entendent bien faire d’un bouton un butin
à leur nœud papillon
lacs
qui te fera exploser le nez et les yeux
comme dans la plus répétitive
des séries de terreur pour les usagers les plus sots :
mais assourdis par les chocs des en dessous de zéro nocturnes
du lac pétrifié en sa traîtrise
claquement sidéré de dents et de portants
et de papillons vampiriques
et poussières pyriques de glace et aux confins
la non rémission sans fin, écrite en perles de verre
et verroteries provenant de manière et à moments perdus
des coffres forts de la MAGRA LADY
qui selon Goffredo gère l’univers
(stridences, jappements de tanières de gangsters
et de pères de gangsters)

29

II
Natale 2001, notte
Qui si fermò la luce, si raggelò
non nel chiuso di un laboratorio
Qui altro avvenne di cui resta traccia
resta come un sentore d’impossibile, in fuga
e moltiplicazione, fioriture galavernicole
vallette invase dalla festa franca
che forza poi diviene,duratura
nel sottozero di pura genitura
nella mia gioia maledetta, pura
battendo sull’orlo della foresta falsificata
e redenta e portento sul fare delle frane
che ieri vidi, esse, corone di ferma
terrestrità coinvolta da un’eterna
rivolta al giù senza slittare mai più.
Oh ruscelletto di ghiaccio brunito
tu così definito
nella tua mortevita compatta, ferma e serpeggiante
dirimpetto a una sanissima fonte
acqua pregiata da tante generazioni
che ogni marca supererebbe di quelle in corso
sciogli qui il nodo del mio collo
preso tra il sub e i limis a cremagliera
per tutto un massimo avvenire dei giorni.
Denti di squali e segnali fatali.
Zampe dovunque guantate
perché sopravvivano, agli animali.
Animarsi, animarsi nello scricchiolio del pack
del casalingo bussare del pack che s’infrange alle porte.
Non è più questione di vita né di morte
ma di ladri che fin l’ultimo centesimino
aspirano a far da bottioncino bottin
alla propria cravatta a farfalla,
strangolino
che ti farà esplodere naso e occhi
come dentro il più ripetitivo
telehorror per gli utenti più sciocchi :
ma assorditi dagli urti dei sottozeri notturni
dell’infido del lago impietrato
assiderato sbattere di denti e portenti
e di farfalle vampiriche
e polvere piriche di ghiaccio e sul confine
la non remissione senza fine, scritta con perline
e conterie provenienti in modo e moment perso
dai forzieri della MAGRA LADY
che secondo Goffreddo regge l’universo
(stridori, squitti di tane di ladri
e di padri di ladri)


Date de mise en ligne : 01/10/2016

https://doi.org/10.3917/poesi.137.0005

Notes

  • [1]
    Pasolini poeta, in Pasolini. Poesie e pagine ritrovate, A. Zanzotto et N. Naldini (éd.), Rome, 1980, désormais in A. Zanzotto, Scritti sulla Letteratura, Milan, Mondadori, 2001, vol. II, p. 153-160.

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