Notes
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[1]
Cf. Implicazioni di una linea lombarda, in Passione e Ideologia, puis in Saggi sulla letteratura e sull’arte, Mondadori, I Meridiani, 1999, I, pp. 1170-1178.
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[2]
Ciro Vitiello, Antologia della poesia contemporanea, op. cit., p. 70.
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[3]
A. Di Benedetto souligne la dette contractée par Erba à l’égard de Montale dans Luciano Erba, Le immagini, in Stile e Linguaggio, Roma, Bonacci, 1974, pp. 363-372.
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[4]
Comme le tunnel que l’hippopotame creuse au cœur de la jungle, les formes et les instants de la poésie ne sont qu’« événements privés d’ombre et de reflet/un simple signe qui de lui-même est signe ».
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[5]
Cf. “Consuntivo su Erba”, in Poesia italiana contemporanea, Milano, Bompiani, 1995, p. 92.
1Luciano Erba est mort le 2 août 2010. Il avait 88 ans.
2Né en 1922 à Milan, Luciano Erba s’inscrivait dans la « quatrième génération » poétique du xxe siècle qui succède à celle de Bertolucci, Caproni, Luzi, et Sereni dont il avait l’élève avant d’être l’ami. Après lui, il prolonge cette « ligne lombarde » dans des termes qui restent à préciser et avec lesquels il n’aura cessé d’ironiser. Professeur de littérature française à Milan, il a traduit de nombreux poètes des xvie et xviie siècles, mais aussi Michaux, Ponge et Reverdy, ces poètes dont il est proche à certains égards.
3Il publie son premier recueil en 1951, Linea K qu’il reprend avec d’autres textes pour composer d’abord le volume Il male minore en 1960 puis, vingt ans plus tard, et complété par d’autres poèmes encore, Il nastro di Moebius. En 1989, il publie L’Hippopotame, à la fois auto-anthologie et recueil de poèmes nouveaux. C’est à ce titre qu’on a pu suggérer que Luciano Erba était l’homme d’un seul livre. Suivra cependant, en 1995, L’ipotesi circensi, qui reprend et complète les poèmes de la plaquette Variar del verde parue en 1993. Il a publié en 1991 un florilège de traductions : Dei cristalli naturali qui comprend des traductions de Jean de Sponde, de Saint-Amant, de G. Rodenbach, mais aussi de Cendrars, de Michaux, de Ponge et de Frénaud.
4Depuis les années 80 son œuvre est saluée par de nombreux prix (le prix Viareggio en 1980, le prix Bagutta en 1988 et enfin, en 1989, le prix Librex-Guggenheim « Eugenio Montale »).
5S’il est vrai que la poésie de Luciano Erba s’inscrit dans la ligne lombarde, et s’il est vrai aussi que cette ligne, comme le précisait Luciano Anceschi, est celle d’une « poesia in re », on ne déduira ni à un réalisme ni à un objectivisme comme Pasolini l’avait déjà noté [1]. Emporté par la destruction de l’expérience (Benjamin), le poète confie les choses du monde à son regard distant. C’est dire aussi qu’il les tient à distance. Pour une poésie qui prend le parti des choses parce qu’elle refuse et l’hermétisme et l’engagement, mais tente de se tenir au monde, dans le monde, on parlerait volontiers de phénoménologie, à condition de préciser : une phénoménologie impossible.
6Un poème de L’ipotesi Circensi donne le ton. Il s’intitule Dasein :
8Être-là, vraiment ? Cette question, son ton, l’ironie bien sûr, mais surtout l’incertitude du donné phénoménologique qui ne donne rien d’autre que le rêve les yeux fermés : c’est toute la poétique de la ligne lombarde qui s’infléchit. De fait, le poème, loin de célébrer les épousailles de l’être-là avec le là accuse sans appuyer ce qui empêche telle communion : les sens, l’imagination, le souvenir. Les sens, car loin de me livrer l’immédiateté du monde, ils m’en séparent- je ne vois pas : je me vois me voir. L’imagination, qui me déporte. Le souvenir qui me rapporte. On n’est jamais vraiment là où l’on se trouve et le monde des objets est comme troué. Une telle prémisse n’est pas sans conséquences.
9La première est que la poésie de Luciano Erba est un art de la distance. Ciro Vitiello le souligne à juste titre : « Erba agit essentiellement dans le teneur d’une indifférence active qui qualifie la dimension de la distance : de cette manière, l’esprit est en mesure de saisir les choses et les événements, le sens objectif, neutre, comme purifié de toute émotion et de toute nostalgie » [2]. Indifférence active ? Autant dire époché. D’où l’ironie de ce poète qui se regarde voir. Cette ironie éloigne Luciano Erba de Montale, son autre maître qui croisa la grande ligne lombarde avec les succès que l’on sait [3]. L’époché implique aussi un refus du symbolisme du monde. Le monde n’est pas rempli d’énigmes que le poète devrait déchiffrer comme une forêt de symboles : le monde est cette énigme d’objets auquel le poète ne peut rien : « l’objet ce sont les lieux et les choses quand tu demandes s’il s’agit […] de la menace de leur invasion ou des reliquats et des débris de leur défaite » [4]. S. Agosti commente : « un vuoto attraverso un massimo di pieno » [5]-“un vide à traverrs un maximum de plein”. Enfin, et c’est la denière conséquence, si le monde de Luciano Erba est comme cette terre du milieu, cette « terra di mezzo », alors, le sujet poétique est toujours déchiré. Il n’est jamais vraiment là. Son monde est celui de l’entre-deux. Il préfère le virtuel au réel (les collines au parquet) ; il écrit à l’optatif. C’est le poète sceptique : Luciano Erba ou le lombard sceptique.
10D’où le goût constant du décalage qui l’emporte dans l’Hippopotame. Luciano Erba avoue se « sentir attiré par les déserts de l’inattention, par la botte de foin plutôt que par l’épingle ».
11D’où aussi le refus de l’effet : le poète rejette l’avant-garde et toute sophistication. Ce poète raffiné choie les petits effets de dégagement, les micro-séismes de la perception et du vers. Cette tension s’accroît au fil des recueils : Erba dirige son regard non plus tant sur les choses que sur l’espace qui les sépare : ces particules du rien, cette terra di mezzo cette autre moitié qu’évoque le premier poème inédit.
12Le monde, comme une pomme coupée en deux, est une moitié et le poème s’inscrit dans cette déchirure.
13*
14Luciano Erba avait accompagné avec générosité la double anthologie de la revue. Nous l’avions vu plusieurs fois à Paris, à Lyon et à Milan aussi.
15Qu’on nous permette l’évocation d’un souvenir personnel.
16Luciano Erba vivait depuis qu’il était né dans un appartement élégant d’un bel immeuble via del Maino Giasone à Milan.
17C’est là qu’il nous recevait, avec Mimmia, à l’ancienne.
18Lors de notre dernier entretien il nous raconta que des ouvriers s’étaient enfin décidés à changer le trop vieil ascenseur. En le démontant, leur regard avait été arrêté par des papiers qui avaient été glissés entre la plaque de métal et le montant en bois où se trouvaient les boutons qui menaient aux étages.
19Ces papiers, c’étaient des petits poèmes et des bouts rimés que Luciano enfant, avait planqués là.
20Pour qui ? Pour quoi ?
21Le vieux Luciano nous regarda et son sourire était baigné de larmes.
22*
23Bibliographie
24Linea K, (Guanda, Modena, 1951) ; Quarta Generazione, antologia, con la coll. di Piero Chiara, (Magenta, Varese, 1954) ; Il Bel Paese, (La Meridiana, Milano, 1955) ; Ippogrammi & Metaippogrammi di Giovanola, (Scheiwiller, Milano, 1958) ; Il prete di Ratanà, (Scheiwiller, Milano, 1959) ; Il male minore, (Mondadori, Milano, 1960) ; Il prato più verde, (Guanda, Milano, 1977) ; Il nastro di Moebius, (Mondadori, Milano, 1980) ; Françoise, racconti, (Il Farfengo, Brescia, 1982) ; Il cerchio aperto, (Scheiwiller, Milano, 1983) ; Il tranviere metafisico, (Scheiwiller, Milano, 1987) ; L’ippopotamo, (Einaudi, Torino, 1989) ; Dei cristalli naturali, (traduzioni di poesie francesi e inglesi, Guarini e Associati, Milano, 1991) ; Come quando in Crimea, (Laghi di Plitvice, Lugano, 1992) ; Solo segni. Nove poesie, (Rotary Club, 1992 (con tre disegni di Enrico Della Torre), Milano, 1992) ; Variar del verde, Scheiwiller, Milano, 1993 ; L’ipotesi circense, (Garzanti, Milano, 1995).
25Son dernier recueil, Remi in barca est paru chez Mondadori en 2006.
26En 2002, Luciano Erba a publié aux éditions Mondadori une anthologie de cinquante ans d’activités poétiques : Poesie, 1951-2002. Cette édition établie par Stefano Prandi comprend une riche note bibliographique.
27En novembre 2003, 80 poètes contemporains ont voulu fêter les 80 ans de Luciano Erba dans un volume édité par Silvio Ramat : Omaggio a Luciano Erba, Interlinea, Novara, 2003.
28En langue française :
29L’Hippopotame, poèmes, trad. Bernard Simeone, préface de Philippe Jaccottet, 1992 avec une préface de P. Jacottet : Petit salut à Luciano Erba
30Sur la terre du milieu, Nella terra di mezzo, Editions Comp’act, avec une préface de L. Sozzi et un avant-propos de B. Simeone, 2002.
31Luciano Erba était présent dans l’anthologie de la revue Po&sie, n° 109, 2005 ainsi que dans un dossier réalisé avec J.P. Courtois pour la revue Le Nouveau recueil, n° 81, décembre 2006-janvier 2007.
32Critique : Sans clin d’œil, propos recueillis par Bernard Simeone, Cahiers de la Villa Gillet, Circé, Cahier n° 1, 1994, suivis par un texte de Bernard Simeone, Avec Luciano Erba, en mineur…
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34Nous reprenons ici la traduction de quelques poèmes de son dernier livre Remi in Barca (Mondadori, octobre 2006) : Remi in barca regroupait Westminster, L’altra metà (plaquette publiée une première fois à Gênes, San Marco dei Giustiniani, 2004), Un po’ di repubblica (Novara, Interlinea editori, 2005), ainsi que des poèmes de jeunesse rassemblés avec malice sous le titre « In Limine ».
35Le titre de ce livre, Remi in barca laissait pressentir le retrait. « Tirare le remi in barca », ranger les rames dans la barque, c’est « raccrocher les gants ».
36Le dernier poème « Le nuage » remonte à 1937. Luciano avait 15 ans.
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Notes
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[1]
Cf. Implicazioni di una linea lombarda, in Passione e Ideologia, puis in Saggi sulla letteratura e sull’arte, Mondadori, I Meridiani, 1999, I, pp. 1170-1178.
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[2]
Ciro Vitiello, Antologia della poesia contemporanea, op. cit., p. 70.
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[3]
A. Di Benedetto souligne la dette contractée par Erba à l’égard de Montale dans Luciano Erba, Le immagini, in Stile e Linguaggio, Roma, Bonacci, 1974, pp. 363-372.
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[4]
Comme le tunnel que l’hippopotame creuse au cœur de la jungle, les formes et les instants de la poésie ne sont qu’« événements privés d’ombre et de reflet/un simple signe qui de lui-même est signe ».
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[5]
Cf. “Consuntivo su Erba”, in Poesia italiana contemporanea, Milano, Bompiani, 1995, p. 92.