Couverture de POESI_131

Article de revue

De la rectitude des noms – note sur le pétrarquisme français

Pages 283 à 302

Notes

  • [1]
    Il faut citer L’Être et l’événement dont la thèse anime le Petit Manuel d’inesthétique : « le nom ne peut qu’indiquer que le vide est ceci ou cela. L’acte de nomination, étant aspécifique, se consume lui-même, n’indique rien que l’imprésentable comme tel, qui, cependant, dans l’ontologie, advient à ce forçage présentatif qui le dispose comme le rien dont tout procède. Il en résulte que le nom du vide est un pur nom propre, qui s’indique lui-même, ne donne aucun indice de différence dans ce à quoi il se réfère, et s’autodéclare dans la forme du multiple, quoique rien, par lui, ne soit nombré […] Ce nom, ce signe indexé au vide, est en un sens pour toujours énigmatique, le nom propre de l’être » L’Être et l’événement, p. 72 et p. 409 sq.
« Et la fidélité n’a pas été donnée comme un vain présent à notre âme. »
Hölderlin, À la source du Danube
« L’hymne “j’aime” est réservé pour Elle ».
Victor Segalen, Thibet.

1Pétrarquisme. Pétrarque est l’un des rares poètes à avoir donné son nom propre à un type de poésie : avec lui, le nom propre d’un poète devient le nom commun d’une classe de poèmes unis par un genre. Si c’était aussi, avec les difficultés que l’on sait, le cas d’Orphée, ce destin est partagé par peu : telle antonomase est généralement réservée aux philosophes dont on peut recomposer les dogmes sans trop d’égard pour le système : Platon lègue le platonisme, Hegel et Marx l’hégélianisme et le marxisme, mais Dante ? mais Baudelaire ? mais Celan enfin ? Pétrarquisme serait le nom propre d’un commun de la poésie moderne, comme orphisme le nom propre d’un commun de la poésie antique – on ne s’étonne pas que les destins de l’orphisme et du pétrarquisme soient liés dans la poésie française du xvie siècle.

2De ce commun on peut affirmer trois thèses. La première concerne l’essence du pétrarquisme ; la deuxième le destin du pétrarquisme en France – baptisée la fille aînée du pétrarquisme ; la troisième touche la rectitude des noms (c’est le sous-titre du Cratyle) dans la poétique pétrarquiste.

3§ 1. Le pétrarquisme est le nom commun du destin de la poésie lyrique moderne. S’y nouent les puissances d’éros et les prestiges retrouvés de la poésie : une fiction (la forme moderne du schéma d’Orphée et sa date, le 6 avril) et une diction (le sonnet). Ruban de Moebius dont on dirait qu’il a deux faces et qu’elles se confondent : une face subjective : où puissances d’éros et prestiges du poème se nouent naît un sujet (« Et dès ce jour continuellement// en sa beauté gît ma mort et ma vie. » Scève, Délie, VI) – une face objective : où prestiges du poème et puissances d’éros se nouent se lève un nom propre : « né di sé m’ha lasciato altro che’l nome » (Pétrarque, Canzoniere, sonnet 291). Nous n’omettons pas que ce nœud de Moebius emporte avec lui toute une série de pratiques, de motifs (le mobilier mythologique et figuré du pétrarquisme) et, plus généralement, toute une poétique.

4a. La revendication du lyrisme (ancora un po’ di soggettività ? demandent les uns après les autres les romantiques et les surréalistes) comme son rejet (no grazie répondent les symbolistes avant les objectivistes de tout poil) correspondent à un même contresens sur les prestiges du poème. Ceux qui célèbrent le moi poétique comme ceux qui lui préfèrent le parti pris des choses ou celui des mots manquent l’essentiel. L’essentiel est que le poème est l’opération paradoxale par laquelle un je devient un sujet. Lacan dira subjectivation, Benveniste avant lui subjectivité dans la langue. Poète est celui qui devient sujet par fidélité à un nom. Poème, cette colonne de mots par laquelle un je devient sujet. Sans trancher la question de savoir si la poésie est d’abord expression ou communication (Bühler, Apel), il faut poser qu’il est cette composition par laquelle un sujet advient à la langue par la puissance d’éros. Mais advenir à la langue par fidélité à un nom c’est accepter le risque de la dépossession. La subjectivation poétique est un processus de soustraction : qu’il s’agisse de la théorie de l’inspiration (« Le poète en effet est chose légère, ailée, chose sainte, et il n’est pas encore capable de créer jusqu’à ce qu’il soit devenu l’homme qu’habite un Dieu, qu’il ait perdu la tête, que son propre esprit ne soit plus en lui » – Ion), de l’expérience d’un deuil d’avant toute mort (Leopardi, Baudelaire, Rilke, Celan), ou de celle de l’impersonnel (« la Destruction fut ma Béatrice », Mallarmé à Lefébure, 1867) cette soustraction enveloppe toujours une thèse sur le négatif. On tient qu’avec le pétrarquisme s’invente une figure de la subjectivité : le sujet n’y est pas une substance, il n’y est pas non plus un point vide, ni davantage le grand rassembleur de l’expérience comme chez Kant, mais il est qualifié par la rencontre des puissances d’éros et des prestiges du poème.

5b. Bien avant Hume et sa théorie de l’enthousiasme, bien avant Freud et sa théorie de la sublimation, bien avant Lacan qui distingue le réel, l’imaginaire et le symbolique, les poètes savent the truth about love (Auden) sur les puissances d’éros : much ado about nothing. En tant que relation, l’amour ne relève jamais du réel. On voudrait parfois que la pulsion sexuelle soit la vérité de l’amour, mais elle n’est peut-être pas même la réalité du sexe – les stoïciens avant Pascal : le frottement du bas du ventre, un peu de sperme, tout est là. Le poème est la vérité de l’amour. Il y a du vrai dans la plaisanterie de l’humoriste : tous les adolescents écrivent des poèmes. Tous ces poèmes sont des poèmes d’amour. Après 17 ans, et pour le motif que l’on sait, les adolescents deviennent des hommes. Ceux qui continuent à écrire sont ou des imbéciles ou des poètes. Il arrive que ces poètes écrivent des poèmes qui ne soient plus d’amour. Il reste que si l’amour est la vérité du poème, le poème est davantage encore la vérité de l’amour – les puissances d’éros relèvent de l’imaginaire. Elles n’en sont pas moins effectives, ou vraies. Or cette vérité est précisément que tout dans l’amour échappe, ce qui est dire davantage que le tout de l’amour échappe. Au reste, et Billanovich et Pasolini tombent d’accord : Laura n’exista pas et Pétrarque fut le seul à la connaître comme le rappelle Rousseau au début de La Nouvelle Héloïse, ce grand Canzoniere du xviiie siècle. Quelques siècles plus tard, Pessoa composait, sous l’hétéronyme Bernardo Soares un Hymne à Notre-Dame du Silence où il célèbre l’irréalité de la dame : « mais toi, dans ta vague essence, tu n’es rien. Tu n’as pas de réalité, pas même une réalité qui serait à toi seule. […] Tu es déjà passée, tu as déjà été, je t’ai déjà aimée – te sentir présente, c’est sentir tout cela ».

6« Farai un vers de dreyt nien » : c’est pourtant dans la tenson du néant d’Aimeric de Péguilhan que se résume le mieux cette ontologie du néant qui anime toute la poétique courtoise. Aimeric cite Guillaume IX qui entend faire un vers de pur néant, avant l’aboli bibelot d’inanité sonore. Avec la poétique courtoise, la poétique médiévale du razo se fait ontologie du néant. Pétrarque s’en souviendra, lui qui, sur les rives du Rhône et à Montpellier avait appris le provençal dans une tendre familiarité avec les troubadours. Au cœur du razo du néant, Aimeric s’adresse à Albert et souligne que le néant existe bien d’une certaine manière, puisqu’il a un nom. Le poème est le nom propre du vide – telle est la formule extrême de la poétique courtoise.

7c. Prestiges du poème et puissance d’éros sont des opérations soustractives. Ce que le pétrarquisme lègue à la modernité, dans la construction de son lieu de perfection est que la subjectivation dans le poème est anéantissement et les puissances d’éros, dépossession. Une étonnante histoire de la subjectivité reste à faire. Elle consisterait à montrer qu’au revers de la construction de l’image de l’individualisme possessif dans le roman (MacPherson, I. Watt), la poésie invente un sujet par deux fois défait. Musil se plaignait que notre époque fût la première à ne pas aimer ses poètes. On avancera que le modèle d’individu qu’elle propose, celui du self made man qui possède ses conquêtes ne correspond guère à ce que la poésie propose par ses opérations subtiles et flamboyantes, audacieuses et minimales. Que le self made man possesseur de femmes soit aussi homo communicans, suffit à expliquer qu’il ne veuille plus rien entendre à cette poésie. Où la leçon des poètes et de Pétrarque après Orphée se confirme : exister, aimer, écrire c’est accepter de perdre. On rappellera l’avertissement des Lettres à un jeune poète : « Ainsi, pour celui qui aime, l’amour n’est longtemps, et jusqu’au large de la vie, que solitude, solitude toujours plus intense et plus profonde ». L’amour, la poésie, mais sous le signe d’Orphée :

8

« Denn Orpheus ists. Seine Metamorphose
in dem und dem. Wir sollen uns nicht mühn
um andre Namen. Ein für alle Male
ists Orpheus, wenn es singt. Er kommt und geht ».
(Rilke, Die Sonette an Orpheus, V)

9§ 2. La France, fille aînée du pétrarquisme.

10Historiquement, le pétrarquisme est à l’origine de tout ce qui s’est fait de grand dans la poésie lyrique française depuis le Grand chant des troubadours qui y trouve une grande partie de son inspiration. Le pétrarquisme gouverne la poésie de la Pléiade. Mais il commande aussi le classicisme, en un sens qui reste à démontrer. Il détermine l’écriture de la Nouvelle Héloïse, le plus grand roman français du xviiie siècle, construit à la gloire de Pétrarque. Le pétrarquisme est « le mot de passe du romantisme » (Pichois). Sa doctrine règle la distribution des muses dans la première section des Fleurs du Mal (« Et t’aime d’autant plus, belle, que tu me fuis », Spleen & Idéal, xxiv). Quant à l’érotique surréaliste, René Char la résume dans le Marteau sans maître : « dans le domaine irréconciliable de la surréalité, l’homme privilégié ne pouvant être que la proie gracieuse de sa dévorante raison de vivre : l’amour ». Amour fou de Breton, Fou d’Elsa d’Aragon, L’Amour, la poésie d’Eluard. Pourtant, une chose d’affirmer l’importance du pétrarquisme en France, autre chose de tenir que la France est la fille aînée du pétrarquisme, comme elle l’est de l’Église dans la loi salique que redirent tour à tour les testaments de Saint Rémy et de Saint Louis répétés par le vœu de Louis XIII.

11En France, le pétrarquisme fonctionne bien comme une bombe à retardement. Comment peut-il être à l’origine de mouvements aussi contradictoires ? Damaso Alonso avait proposé naguère la thèse dialectique selon laquelle « la tendance de Pétrarque à s’ordonner en une pluralité est caractéristique de sa pensée poétique. Mais n’est pas moins caractéristique la tendance de cette pluralité à se distribuer en un seul vers régulièrement normé, de manière plus ou moins parfaite, ou celle qui consiste à se disséminer de manière plus ou moins régulière dans un ensemble de vers ». Elle ne suffit pas. Elle convainc moins que la formule du poète Andrea Zanzotto selon laquelle, « toute rébellion dirigée contre le pétrarquisme, tout coup de dés lancé contre Pétrarque aussi, reconduit plus que jamais à lui, au caractère radical de son opération ». Oui, le pétrarquisme fournit des explosifs aux artificiers de tout bord. Les feux d’artifice n’ont pas manqué.

12a. S’il y a un destin français du pétrarquisme, n’est-ce pas d’abord parce qu’il y eut un destin français de Pétrarque lui-même ? Il suffit de penser au long séjour du poète dans la France méridionale, aux nombreuses amitiés qui le lièrent à des français : Robert D’Anjou, Philippe de Vitry, Pierre de Bressuire, Gui de Boulogne et beaucoup d’autres, pour ne rien dire du fait que le Canzoniere est tout entier consacré à la « bella francese ». On sait bien ce que Pétrarque voulut aimer de la France : la beauté de Provence et de ses « chiare fresche e dolci acque ». On n’ignore pas ce qu’il méprisa : la « levitas gallica », l’amour excessif de ses habitants pour la bonne chère et pour le vin. Au reste, Pétrarque ne parlait pas français : « linguam gallicam nec scio, nec facile possum scire ».

13Après la mort de Pétrarque, les Triomphes imposent la réputation du poète. On en trouve de très nombreux manuscrits dans les principales bibliothèques de France. Tel épisode vaut comme symbole : quand Charles VIII traverse Florence pour aller à la reconquête du Règne de Naples, on lui offre un manuscrit des Triomphes, recouvert de dentelles et tout adorné de belles enluminures. Ce manuscrit avait appartenu à Laurent le Magnifique. Au xvie siècle, les traductions des Triomphes furent nombreuses. C’est à Georges de la Forge que l’on doit la plus fameuse. Elle connut de nombreuses réimpressions à partir de 1514. Et de plus, on traduisit aussi le commentaire qu’en avait proposé Bernardo Illicino, un érudit de Sienne. L’influence artistique des Triomphes fut immense : on en trouve des traces aux vitraux de l’église d’Ervy dans l’Aube, ils dictent quelques motifs de tapis flamands, on les retrouve dans de belles enluminures et sur les bas-reliefs de Rouen. Mais surtout, ce sont les Triomphes, et non pas La Divine Comédie qui ont fait passer la terzina de l’Italie à la France. Contrebande de terzine : Lemaire des Belges l’emploie dans son Temple d’Honneur et Marguerite de Navarre dans sa première œuvre : Le Dialogue en forme de vision nocturne. Il faut rappeler aussi que François Ier, qui nourrit un intérêt politique pour la littérature et convia à la cour des écrivains, des artistes et des hommes de culture en tout genre pour une victoire symbolique de la France, est l’auteur de textes inspirés par Pétrarque. Il propose une version précisément calquée du célèbre sonnet – « Benedetto sia ‘l giorno e’l mese e l’anno » dont Du Bellay offrira une brillante parodie.

14Épisode éloquent : quand Maurice Scève annonça la découverte de la tombe de Laura en Avignon, le roi de France fit le voyage. Il voulut visiter la tombe et, pour rendre hommage au poète, il lui dédia quelques vers. Autres temps, autres mœurs. Pourtant cette « pétrarquophilie » ne fait pas encore un pétrarquisme.

15Au xvie siècle, le Canzoniere allait devenir un élément constitutif de l’identité de la poésie lyrique française. Dans son Art poétique français pour l’instruction des jeunes studieux, encore peu avancés en la poésie française (1548) Sébillet qualifie Pétrarque de « Prince des poètes italiens ». Marot compose « Des visions de Pétrarque », et Desportes a contribué au pétrarquisme de manière parfaitement originale (Pizzorusso).

16Le reste de l’histoire est bien connu (Weber, Raymond, Dassonville, Joukovsky, Mathieu-Castellani) : le pétrarquisme va devenir le signe distinctif (la tache de naissance) des plus grands poètes français : de l’école lyonnaise de Maurice Scève et Louise Labé à la Pléiade de Ronsard, de Du Bellay, de Pontus de Tyard, de Peletier du Mans, de Baïf, de Rémi Belleau et de Jean de la Péruse. Être pétrarquiste, c’est être poète. tre poète, être pétrarquiste. Démonstration par l’absurde. On prendra ce contre-exemple. En 1558, Du Bellay publie Les Regrets, les Antiquités de Rome et les Divers Jeux rustiques où l’on découvre ce morceau splendide : Contre les pétrarquistes.

17

« J’ai oublié l’art de pétrarquiser
Je veux d’amour franchement deviser,
Sans vous flatter, et sans me déguiser :
Ceux qui font tant de plaintes,
N’ont pas le quart d’une vraie amitié,
Et n’ont pas tant de peine la moitié,
Comme leurs yeux pour vous faire pitié,
Jettent de larmes feintes ».

18Le nom de Pétrarque est devenu un verbe : pétrarquiser (destin du nom commun) et Du Bellay joue sur l’adverbe franchement. Franchement, c’est sincèrement, de manière franche, mais aussi (on pense à la Défense et illustration) à la manière des Francs, comme un français et non pas comme un italien.

19Au xviie siècle, le rejet de la poésie de la Pléiade par le classicisme ne va pas emporter Pétrarque : Racine aime en écouter la cadence et il n’est pas jusqu’à Malherbe qui n’en ait subi l’influence.

20Au xviiie siècle, Pétrarque oppose Voltaire et Rousseau qui connurent, il est vrai, d’autres pommes de discorde. Ambiguïté de Voltaire : s’il exprime un jugement très positif sur Pétrarque dans son Discours de réception à l’Académie française (1746) (« c’est Pétrarque qui, après le Dante, donna à la langue italienne cette aménité et cette grâce qu’elle a toujours conservée »), s’il loue dans son Essai sur les Mœurs (1756), l’art du poète qui a su mettre dans la langue d’Italie « plus de pureté, avec toute la douceur dont il était susceptible », il écrit à d’Argental le 22 juin 1764, « je ne fais pas grand cas des vers de Pétrarque : c’est le génie le plus fécond du monde dans l’art de dire toujours la même chose ». Pire, à la sortie des Mémoires pour servir à la vie de François Pétrarque publiés par l’abbé de Sade, il publie un article anonyme de la Gazette Littéraire où il peut écrire : « Pétrarque, après tout, n’a peut-être pas d’autre mérite que d’avoir écrit élégamment des bagatelles, sans génie, dans un temps où ces amusements étaient très estimés, parce qu’ils étaient très rares ».

21Au jugement sévère de Voltaire, Rousseau oppose sa Julie ou La Nouvelle Héloïse toute entière. Les lettres de deux amants habitants d’une petite ville au pied des Alpes s’ouvre sur une superbe citation de Pétrarque et dans l’ensemble des six parties, le poète du Canzoniere est cité ou mentionné une bonne vingtaine de fois. À quoi reconnaît-on le pétrarquisme de Rousseau ? Certes, conformément à sa théorie des langues, le philosophe romancier cite Pétrarque à chaque fois qu’il est à la recherche de la vraie langue de la communication sensible – Rousseau a théorisé dans ses écrits sur la musique la supériorité lyrique de l’italien.

22Ainsi, dans la lettre XLVIII de la première partie, Saint Preux fait une double déclaration d’amour, à la musique italienne et à sa Julie. Cette musique renverse les canons anciens de la mimésis et la loi de causalité qui les sous-tend car elle sait « exciter et dépeindre le désordre des passions violentes ». Entendez qu’elle fait naître son modèle. Or, au moment de la plus grande excitation, Saint Preux ne peut pas ne pas citer le sonnet 213 : « E’l cantar che nell’anima si sente ». Dans cette lettre qui chante et les puissances d’éros et les prestiges de la musique, Saint Preux n’a qu’un regret : qu’un castrat chante les premières. « O ma Julie ! n’est-ce pas à nous de revendiquer tout ce qui appartient au sentiment ? Qui sentira, qui dira mieux que nous ce que doit dire et sentir une âme attendrie ? Qui saura prononcer d’un ton plus touchant le cor mio, l’idolo amato ? Ah ! que le cœur prêtera d’énergie à l’art si jamais nous chantons ensemble un de ces duos charmants qui font couler des larmes si délicieuses ! ». Erotique du duo amoureux : chanter l’amour sur la même scène. Un volume ne suffirait pas à résumer le pétrarquisme de la Julie. Il désigne une structure narrative : l’amour impossible qui unit les amants et trouve sa non-résolution dans la mort de l’idole, une théorie de l’éros qui recouvre le livre V de l’Émile, une théorie de l’expression qui correspond à la lecture de l’Essai sur l’origine des langues où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musicale. Au chapitre IX de l’essai, consacré à la formation des langues méridionales, Rousseau propose la formule célèbre qui doit tant à Pétrarque : « et du pur cristal des fontaines sortirent les premiers feux de l’amour ». Faudrait-il évoquer aussi une théorie de la vérité, dont le voile est moins la métaphore que le symbole ? Enfin, l’appendice narratif consacré aux Amours de Milord Edouard Bostom, le stoïcien d’Angleterre, met en scène à Rome un amour triangulaire dont le troisième terme est une jeune prostituée vertueuse. Son nom est Laura.

23Pour Chateaubriand comme pour Madame de Staël, Pétrarque reste le bel esprit qu’il avait été pour Voltaire. Le goût des romantiques pour Pétrarque sera donc comme une redécouverte. L’épisode est bien connu. C’est à Londres, en 1809, que Lamartine achète une édition de Pétrarque. Pour Lamartine, l’auteur du Canzoniere est « le plus parfait poète de l’âme, de tous les temps et de tous les pays, depuis la mort du doux Virgile ». Il explique dans le Cours Familier les motifs de son admiration : il insiste sur la sincérité du poète, sur son humanité, mais aussi sur la transparence de sa langue, « entre ciel et terre », langue qu’il dit supérieure à celle de Racine. Le pétrarquisme des Méditations (1820) est tel que les lecteurs de Lamartine virent en lui un Petrarca redivivus même s’il faut souligner que son pétrarquisme est plus une affaire de thèmes et d’atmosphère qu’une question de technique et de poétique. En 1821, Biagioli publie à Paris les Rime en trois volumes. Sainte-Beuve dit alors de Pétrarque : « J’irais à Rome pour un seul sonnet de lui ». Le poète est aussi présent dans les écrits de Stendhal depuis la liste des Ouvrages de première importance de décembre 1802 aux Chroniques Italiennes, écrites entre 37 et 39 et publiées posthumes en 1855. Renan dans son Averroès et l’Averroïsme voit en Pétrarque le « premier homme moderne ». Musset lui dédie un hymne : « De la langue des dieux lui seul sut faire usage » et Quinet écrit dans les Révolutions d’Italie : « l’originalité de Pétrarque est d’avoir senti le premier que chaque instant de notre vie contient en soi la substance d’un poème ». Or, Carducci reprendra ce jugement dans son discours Presso la tomba del Petrarca.

24b. Pourquoi donc y a-t-il un pétrarquisme français ? Les raisons de fait sont bien connues. Mais du point de vue de l’histoire des idées, y a-t-il dans le pétrarquisme un commun susceptible de bien passer en français ? Il faut distinguer. Est-ce que le pétrarquisme allait trouver sa relève dans le rationalisme français (Raymond) ? ou dans l’humanisme (Nolhac) ? Faut-il penser avec Dorez que la poésie amoureuse de Pétrarque passe mieux que le poème de Dante parce qu’elle est plus facile ? C’était déjà le jugement de Lamartine. Faut-il supposer avec l’excellent Carlo Pellegrini que c’est le goût des Français pour l’analyse psychologique qui fit le succès de Pétrarque ? Ces motifs, pour judicieux qu’ils soient, ne suffisent pas. On tiendra plutôt que si la France est la fille aînée du pétrarquisme c’est que la France a développé en son sein un côté Pétrarque dans la conception qu’elle se fait du rapport entre la langue et les prestiges de la poésie. On ne saurait ignorer les raisons politiques de ce côté Pétrarque.

25Dans son extrême acribie, le texte magistral de Contini, Preliminari sulla lingua del Petrarca (1951) offre peut-être une clef : il distribue deux côtés (Proust) ou deux fonctions (Jakobson). En effet, en opposant au plurilinguisme de Dante, le monolinguisme de Pétrarque, Contini opposait bien deux poétiques. Deux styles d’abord : la tendance à embrasser la richesse du monde et de la langue d’une part (c’est elle qui fait la copia de la Comédie), la tendance à les concentrer dans une expérience, unitaire et rassembleuse (osera-t-on ? celle d’un Je transcendantal) de l’autre. Contini distinguait ainsi deux tendances dont il acceptait certes qu’elles pussent se ramener à des pôles dialectiques, mais qui formaient bien pour lui les deux extrémités d’un arc de cercle. En second lieu, la pluralité des tons et des niveaux de langue de Dante contre l’unité de tons, comme nappés chez Pétrarque. Troisième critère : l’opposition d’une poésie qui accepte les risques de la poétique et de la théorie (Dante) contre une poésie de la spontanéité qui ne peut les accepter. Dernier critère enfin, l’opposition de l’expérimentation à tout crin et de son refus. Un tel cadre d’oppositions permettait à de distribuer les poètes selon une ligne de crête bien visible. Il valait à coup sûr pour de nombreuses poésies. Mais il était fort utile pour penser la situation de la poésie italienne du xxe siècle et le double héritage de Pound, dont le lien avec Dante peut se lire jusqu’au titre de ses Cantos, et de la ligne Mallarmé-Valéry. Poésie unitaire, monolingue, organique et centrifuge, poésie de l’inspiration et de la régularité formelle : la fonction Pétrarque l’emporte en France. Pour quelles raisons et sous quelles formes ? C’est ce qui reste à déterminer.

26Le Canzoniere est le triomphe de la poésie monolingue. Faut-il s’étonner qu’il s’impose dans un pays qui fait de l’unité de la langue comme de celle de son territoire et de son administration la clef de sa modernité ? En France, le mot de Pound, selon lequel Dichten = condenser s’enrichit de nombreuses significations. Condenser, c’est concentrer dans la langue. On sait depuis longtemps le rôle joué en France par l’État monarchique dans la destruction des cultures périphériques, par l’imposition systématique de la langue française dans les actes publics. Alors que l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539 – dix ans avant la Défense de Du Bellay) ne visait qu’à interdire l’usage du latin et prescrivait celui du « langage maternel françois » (c’est-à-dire qu’il laissait place aux idiomes particuliers), les édits qui suivent l’annexion des provinces nouvellement conquises exigent tous, à partir de la moitié du xviie siècle l’emploi exclusif de la langue française. Faut-il rappeler que la révolution française, allait radicaliser cette tendance ? Le funeste rapport Grégoire (1794) portait « sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française ». Car s’il importait moins pour la royauté de faire parler le français que de le faire comprendre, il importait, pour la Révolution, de susciter l’adhésion populaire en fondant un ordre politique nouveau. Si le pétrarquisme consiste à faire corps avec une langue autour d’un nom, si le pétrarquisme consiste à ordonner la voix et à fonder un monolinguisme centralisateur, alors, la France était politiquement pétrarquiste.

27Faut-il s’étonner alors qu’elle ait été la fille aînée du pétrarquisme ? C’est moins le psychologisme, le rationalisme ou le goût de la clarté qui explique le pétrarquisme français. C’est l’imaginaire de la langue. Ainsi, lorsque M. Raymond affirme : « il fallait bien, en effet, que le pétrarquisme, pour subsister et obtenir dans la langue, droit de cité définitif, se laissât pénétrer par la raison, qui allait constituer de plus en plus l’armature de l’esprit français » il dissocie ce qui était bien vivant chez Pétrarque et il attribue à l’histoire des idées ce qui relève de l’histoire de la langue et de ceux qui la pratiquent – les poètes. Il serait piquant de montrer comment c’est la combinaison de Pétrarque et de Descartes qui anime les tragédies de Racine, il n’est pas moins utile de voir les auteurs emprunter tour à tour les arguments du pétrarquisme pour se critiquer. Un seul exemple suffira. Il est paradoxal. C’est la critique des classiques à l’encontre des poètes de la Pléiade.

28Ouvrons le chant I de l’Art Poétique (1673). Boileau veut y régler les exigences du classicisme. Premier geste : distinguons-nous des Italiens :

29

« La plupart, emportés d’une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée :
Ils croiraient s’abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S’ils pensaient ce qu’un autre a pu penser comme eux.
Évitons ces excès : laissons à l’Italie
De tous ces faux brillants l’éclatante folie ».

30Suit une généalogie de la mauvaise poésie française dont Malherbe, la formule est bien connue, assurera la rédemption. A-t-on assez remarqué que les critiques que Boileau adresse à la Pléiade au nom du rationalisme classique, sont celles d’un pétrarquiste ?

31

« Ronsard qui le suivit par une autre méthode,
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa muse, en français parlant grec et latin,
Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque ».

32Boileau critique Ronsard au nom d’un pétrarquisme, monolingue, rationaliste et porteur de clarté discursive :

33

« Avant donc que d’écrire apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément ».

34Il ne serait pas impossible de montrer que l’on retrouve cet alliage de raison et de sensibilité chez un Baudelaire comme chez un Valéry et qu’il n’est pas absent chez René Char. Le pétrarquisme français correspond à un certain goût de l’unité. Unité d’un sujet dans la langue, unité thématique et unité de la raison et de la sensibilité dans un vers mesuré. On trouve la trace de ce songe dans les Mémoires d’un poète de Valéry : « En somme, plus un poème est conforme à la Poésie, moins il peut se penser en prose sans périr. Résumer, mettre en prose un poème, c’est tout simplement méconnaître l’essence d’un art. La nécessité poétique est inséparable de la forme sensible, et les pensées énoncées ou suggérées par un texte de poème ne sont pas du tout l’objet unique et capital du discours, – mais des moyens qui concourent également avec les sons, les cadences, le nombre et les ornements, à provoquer, à soutenir une certaine tension ou exaltation, à engendrer en nous un monde – ou mode d’existence – tout harmonique ».

35On tiendrait volontiers que les raisons qui ont fait que la poésie française fût pétrarquiste sont les mêmes qui la firent si peu encline à Dante. Ne sont-ce pas aussi ces mêmes raisons qui expliquent le faible succès en France des Cantos de Pound, le grand œuvre dantesque du xxe siècle ?

36§ 3. De la rectitude des noms

37a. « Je vais vous faire un aveu que l’on n’a jamais fait à son mari ». Lors d’une des scènes les plus célèbres de la littérature française, dans un jardin de fleurs d’un pavillon de Coulommiers, une femme avoue à son époux « qu’elle a des raisons de s’éloigner de la cour » mais qu’elle ne l’a pas trompé, ni donné la moindre marque publique de son amour. M. de Nemours, qui est l’objet de cet amour mais n’en a reçu aucune certitude, est présent, caché parmi les arbres, barone rampante. Lors d’une fameuse polémique qui marque un des points les plus élevés du classicisme, Valincour a dénoncé l’invraisemblance de ce procédé théâtral. Comme le prince de Clèves, Nemours est bouleversé par la noblesse du procédé, mais comme lui, il reste sur sa faim. Qu’est-ce qu’avouer qu’on aime ailleurs quand on n’avoue pas qui ? À juste titre, les commentateurs ont attiré l’attention sur cet aveu qui n’avoue pas, sur ce langage en sourdine qui ne dit pas, sur la délicatesse et l’oblique et sur la perversion de l’aposiopèse. Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel c’est le nom. Le mari : « madame, achevez et apprenez-moi qui est celui que vous voulez éviter ». La Princesse de Clèves se refuse à cette nomination : « je suis résolue de ne pas vous le dire et je crois que la prudence ne veut pas que je vous le nomme ». M. de Nemours n’est pas moins jaloux : « il ne pouvait pardonner à M. de Clèves de ne pas assez presser sa femme de lui dire ce nom qu’elle lui cachait ». Les noms. Le prince et le duc, mus par une pulsion onomastique veulent des noms. C’est la scène judiciaire de la dispute amoureuse. Dis seulement un nom et je serai guéri…

38Un an auparavant, en 1677, Racine donnait Phèdre, une des plus extraordinaires tragédies du théâtre classique – celle, en tout cas, où l’influence des fureurs héroïques, faisait comme imploser la splendeur cristalline de l’édifice classique, comme les agates qu’anime un feu, les hématites iridescentes ou les quartz fantômes. Or, à la scène 3 du premier acte, cédant aux sollicitations d’Oenone, Phèdre avoue elle aussi qu’elle aime. « Phèdre : J’aime… à ce nom fatal, je tremble, je frissonne. J’aime… // Oenone : Qui ? // Phèdre : Tu connais ce fils de l’Amazone, / Ce prince si longtemps par moi même opprimé… // Oenone : Hyppolite ! Grands dieux. // Phèdre : C’est toi qui l’as nommé ». Nom fatal ? Mais ce n’est pas le nom commun de l’amour qui est fatal. La fatalité de ce nom commun est bien plutôt celle de ce nom propre qu’elle ne peut pas même prononcer. Comme dans la comptine enfantine : c’est celui qui dit qui l’est. Au reste, à l’acte II, quand elle avouera son amour à Hyppolite elle l’appellera Thésée – « oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée ».

39Les puissances d’éros s’enflamment dans un nom propre au point que le nom devient l’enjeu de toute relation amoureuse : nommer, renommer, dénommer, c’est-à-dire invoquer. C’est avec le nom propre et lui seul, que se lève l’absente de tout bouquet. C’est pourquoi Gertrud Stein proposait d’annuler la différence entre noun et name.

40b. En 1933, W. Benjamin rédige une note intitulée Amour platonique.

41

L’essence et le type d’un amour se définissent le plus rigoureusement dans le destin qu’ils réservent au nom, au prénom. Le mariage prive la femme de son ancien nom de famille pour lui substituer celui du mari, et pourtant – la chose vaut aussi pour presque toute approche sexuelle, il ne laisse pas intact son prénom. Il l’enveloppe et le déforme par des surnoms affectueux qui souvent le laissent dans l’ombre pour des années, pour des dizaines d’années. Au mariage entendu dans ce sens large s’oppose l’amour platonique, et c’est ainsi seulement – dans le destin du nom, non dans celui des corps – qu’il se peut vraiment définir, avec son seul sens authentique, son seul sens important : comme l’amour qui ne sacrifie pas le nom pour expier son plaisir, mais qui aime l’aimée dans son nom même, la possède en son nom et dans son nom la choie. Qu’il garde et protège dans leur intégrité le nom, le prénom de l’aimée, voilà seul qui exprime vraiment la tension, l’inclination au lointain, qui se nomme amour platonique. Pour cet amour la présence de l’aimée sort de son nom comme le rayonnement d’un foyer ardent, et c’est de lui encore que procède l’œuvre de celui qui aime.
Walter Benjamin, Œuvres II, Paris, Folio Essais, 2000, pp. 340-341. (Première publication : Neue Scweitzer Rundschau, n° 232, fasc. 11, novembre 1929)

42Ainsi, alors que la vocation de l’histoire est de rédimer le passé de l’humanité (Sur le concept d’histoire), le dessein du poème est de sauver l’aimée en son nom. Si le nom propre ne m’appartient pas c’est qu’il me lie à mes parents : il est le leur. Seul le prénom qu’ils m’ont donné m’appartient. Au moment où la femme se marie, elle se voit, pour la deuxième fois, attribuer un nom de famille. Son prénom seul lui appartient. Or il est souvent submergé par les diminutifs (nom tronqué), les noms d’oiseaux (nom troqué) ou les appellatifs du baby talk qui empruntent à l’animalerie. Le poète sauve la femme en son nom et, à chaque fois qu’il le prononce, il tremble et le fait trembler ; il la libère dans ce mot magique qui est son nom : il la délie – « Celle tu fus, es et seras delie // Qu’amour a joinct à mes pensées vaines // Si fort que Mort jamais ne l’en deslie » (Maurice Scève, Délie, dizain XXII).

43Au mot de Hegel, on opposera la pratique du poète : c’est dans le nom que nous aimons en toute liberté. Cette liberté de l’amour dans le nom est l’amour platonique : il n’a rien de chaste ni de pudique. Que les poètes de la Renaissance française aient tous, à la suite de Pétrarque, exploré les richesses poétiques d’un nom propre, et qu’ils aient aussi, à la suite de Ficin, proposé une poétique platonicienne (cf. le dizain CCLXXV de la Délie) confirme que l’on peut défendre l’amour platonique en platonicien. N’oublions pas que ces poètes avaient lu le Cratyle, consacré à la rectitude des noms. Ronsard le cite : « Les noms (ce dit Platon) ont de très grandes vertus ». Rabelais y renvoie dans le chapitre du Quart Livre consacré à la manière de « prognostiquer par noms ».

44c. Mais qu’est-ce qu’un nom propre ? et quelles sont ses vertus ? En 1970, le philosophe et logicien américain Saül Kripke tenait une série de conférences à l’université de Princeton qu’il réunissait deux ans plus tard sous le titre Naming and Necessity. Sa thèse de la référence allait révolutionner l’approche philosophique de la question des noms propres. Contre la théorie descriptiviste de Frege et de Russell, qui assimilait les noms propres à des descriptions définies, Kripke retrouvait une intuition de J. Stuart Mill et défendait la thèse du caractère irréductible de la distinction entre noms propres et descriptions. Ces classes d’expressions se comportent différemment dans des contextes modaux. Contrairement aux descriptions (la muse du poète) qui possèdent à la fois un sens et une référence, les noms propres (Laura) ont bien une référence mais n’ont pas de sens. Leur fonction est de désigner et ils désignent chacun une même entité à travers tous les mondes possibles. Ce sont des « désignateurs rigides » : le nom de Pétrarque est un désignateur rigide, parce que, en tout monde où existe Pétrarque, son nom le désigne, et le désigne comme celui qui est, dans le monde réel, l’auteur du Canzoniere. Tandis que la même description peut convenir à des individus différents selon les mondes possibles, le nom propre désigne le même individu dans tous les mondes possibles où il existe. Désigner quelqu’un par son nom propre, c’est donc le désigner indépendamment des descriptions qui lui conviennent, non pas nier aucune de ces descriptions, mais poser que, tout en étant dénoté par elles, il est toujours assignable autrement que comme leur dénotation – le nom propre est ce moyen que nous offre le langage de constituer l’individu en objet indépendant du discours, il assume la tâche paradoxale de représenter dans le discours une entité qui ne se réduit pas à ce qui est dit d’elle.

45La référence des noms propres n’est pas déterminée par un quelconque contenu conceptuel (qui se laisserait décrire par la mention de propriétés), mais par une chaîne causale, les noms étant transmis « par la tradition, de maillon en maillon ». Cette théorie est appelée « théorie causale de la référence ». Kripke généralise la théorie des noms propres pour l’étendre aux noms d’espèce naturelle. On n’est pas surpris qu’une discussion logique sur les noms propres recouvre une dispute ontologique sur l’essentialisme.

46De fait, le nom propre est l’instrument de classement des êtres : nommer, c’est classer (Lévi-Strauss consacre un très beau chapitre de la Pensée sauvage à l’intelligence classificatoire du nom propre : « L’individu comme espèce ») : « dire qu’un mot est perçu comme nom propre, c’est dire qu’il se situe à un niveau au-delà duquel aucune classification n’est requise, non pas absolument, mais au sein d’un système culturel déterminé. Le nom propre demeure toujours du côté de la signification » :

47

Dans chaque système, par conséquent les noms propres représentent des quanta de signification, au-dessous desquels on ne fait plus rien que montrer. Nous atteignons ainsi à la racine l’erreur parallèle commise par Peirce et par Russell, le premier en définissant le nom propre comme un « index », le second en croyant découvrir le modèle logique du nom propre dans le pronom démonstratif. C’est admettre, en effet, que l’acte de nommer se situe dans un continu où s’accomplirait insensiblement le passage de l’acte de signifier à celui de montrer. Au contraire, nous espérons avoir établir que ce passage est discontinu, bien que chaque culture en fixe autrement les seuils.
(La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, pp. 285-286)

48Assigner un nom propre à quelqu’un (tu es Petrus), ce n’est pas dire en quoi il est différent, c’est dire seulement qu’il est différent, ce n’est pas préciser les traits qui le différencient, c’est signaler qu’il présente un ensemble de traits qui le différencient. Le nom propre c’est donc la différence pure : il atteste que chaque individu est différent des autres, comme son nom propre est différent des autres ; peu importe la nature de ces différences, c’est la différence qui compte. Le nom propre est la forme vide, ou quasi vide, de la différence. Est-ce à dire que ce vide ne peut être rempli ?

49Les poètes depuis Pétrarque pensent le contraire. Et ils ont raison. On appellera pétrarquisme la pratique qui consiste à remplir le vide de la différence par la collection encyclopédique des attributs qui renvoient tous au vide de la différence – à l’unique. Il est vrai que le pétrarquisme radicalise une tendance courante qui consiste à lester chaque nom propre d’une signification.

50Soit l’énoncé : « Pétrarque n’a pas rencontré Laura le 6 avril 1327 à Avignon ». Si, comme le soutient Kripke, le nom propre n’était qu’un instrument de référence, simplement destiné à être substitué à une variable libre pour permettre d’assigner une valeur de vérité à un énoncé, mais dépourvu de tout contenu représentatif, il serait difficile, semble-t-il, d’expliquer pourquoi je peux être surpris par une telle affirmation, pourquoi je peux refuser (et parfois violemment) de lui accorder quelque crédit. C’est, on le sait bien, tout l’enjeu philosophique de la signature qui associe un nom propre à un individu – Pétrarque n’a pas pu écrire cela ! C’est parce que le nom propre s’est incorporé peu à peu tout un réseau de certitudes et d’anticipations concernant son porteur qu’il est rarement employé comme un simple moyen de désigner et qu’il engage souvent à proférer imprudemment des « cela ne se peut » qui débouchent parfois sur l’aveu que je n’aurais jamais cru (attendu, imaginé, espéré) cela de tel individu : tu quoque…nomen. Chaque individu est constitué d’un noyau de propriétés : certaines d’entre elles peuvent être communes à d’autres individus (être italien, être poète, vivre au xvie après Jésus-Christ), mais leur conjonction ne convient qu’à lui. Le nom propre désigne alors cette constellation singulière. Le nom propre s’accompagne d’un cortège de représentations, identifiantes ou non, mais dans des conditions telles qu’aucune de ces représentations n’est nécessairement liée à son objet, qu’elles ne constituent pas la définition du porteur du nom propre, et qu’il peut persister à faire référence au même objet quand ces représentations sont modifiées. La poésie est la construction la plus pure de cette désignation.

51Aimer le nom, oui, chérir le visage dans le nom, oui, mais non pour répéter à l’infini dans le pur vocatif de la prière, le nom de l’aimée comme le fait Antoine Doisnel, le jeune héros du film de Truffaut. Le nom propre n’ouvre pas un dictionnaire mais une encyclopédie : le lyrisme de la Pléiade est indissociable de ce qu’Albert Marie Schmidt nommait une poésie scientifique. Bâtir une encyclopédie autour du vide et de la disparition. Il y aurait une onomastique négative comme une théologie négative – nomen absconditum : c’est un trait que les pétrarquistes partagent avec la grande poésie amoureuse persane : Ibn Hazam : « Au secret de mon âme, combien précieusement, je cache le nom de ma bien aimée. Jamais je n’en prononce les syllabes et pour le garder mieux, à tous je ne cesse de le rendre obscur par des énigmes ». Pétrarque reçoit la leçon courtoise et Du Bellay donne la formule définitive du pétrarquisme : « je remplis d’un beau nom ce grand espace vide ».

52On pourrait alors opposer les pétrarquistes substantialistes aux anti-substantialistes : le nom propre qui désigne un individu introduit-il son objet comme une substance sans qualités, comme dépourvu de propriétés en tant qu’il serait le support nu de ces propriétés ? Pour les uns, le nom propre désigne bien un vide, que le recueil de poèmes circonscrit ; pour les autres, un univers de connotations que le recueil parcourt. Le nom propre pose Laura au-delà de ses qualités ou au-delà de ses apparences. Le pétrarquisme radical posera qu’il se réfère à une substance dépourvue de toute apparence. Un pétrarquisme plus modéré soutiendra qu’être au-delà des apparences, au-delà des qualités, ce n’est pas être identifiable sans qu’aucun compte ne soit tenu des qualités qu’on présente, c’est, plus simplement soit sur le plan du réel, changer de propriétés sans changer d’identité, soit d’un point de vue ontologique, ne pas être nécessairement ce qu’on est. C’est dans ce sens limité que le nom propre de ces pétrarquistes désigne l’individu au-delà de ses qualités ; son fonctionnement n’exige pas que soient admis à l’existence des individus sans propriété, mais des individus, c’est-à-dire des être discernables par leurs propriétés sans pour autant se confondre avec elles. L’individualité, telle que la nomination la fait concevoir, ne paraît définissable ni par l’absence de qualités, ni comme faisceau de qualités (Pascal) ; elle est plutôt ce qui fait qu’un être n’est jamais inqualifiable, mais aussi ce qui fait que, jusqu’à sa mort, le faisceau ne peut être lié.

53À Scève, hyper-pétrarquiste on opposera Ronsard et Du Bellay, pétrarquistes non substantialistes. Scève nourrit son hyper-pétrarquisme de platonisme. Chez lui la nomination est évidemment, Niemandsrose.

54Dans le dizain CCCXXX, les répétitions et anagrammes autour de la syllabe /san/ déploient cette poétique de la privation :

55

« Au Centre heureux, au cœur impénétrable
À cest Enfant sur tous les Dieux puissant
Ma vie entra en tel heur misérable
Que pour jamais de moi me bannissant
Sur son Printemps librement fleurissant,
Constitua en ce saint lieu de vivre
Sans autrement de liberté poursuivre
Ou se nourrit de pansement funèbres.. »
Et plus ne veut le jour, mais la nuit suivre.
Car sa lumière est toujours en ténèbres.

56L’ontologie poétique commence, bien avant Mallarmé et Celan, par la pure profération de l’arbitraire d’un nom propre. Ce nom, ce signe, indexé au vide, est, en un sens, pour toujours énigmatique, le nom propre de la poésie.

57Chez les pétrarquistes modérés, le nom de l’aimée, loin d’être le désignateur rigide d’une personne est à la fois la clef d’une bibliothèque et un mot de passe pour l’infini. Qu’il s’agisse, avec Du Bellay, de jouer sur le signifiant d’Olive et sur la dissémination de son nom, selon une leçon bien entendue du sonnet 5 de Pétrarque (voile, viol, violence, oblivieux) ou qu’il s’agisse avec Scève d’emprunter plutôt la logique du signifié (Délie, la déesse de Délos, la sœur jumelle de Délius, Apollon) pour évoquer le mythe de Diane et démultiplier son nom en Hécate, Artémis, Perséphone, Séléné, Daphné, Dictymine, Minuit, Diotime, Pandora, la fonction du nom ne consiste pas à désigner une personne mais à créer un monde à travers une tactique des pseudonymes ou de paronymes – « révolution par le pluriel des noms » selon l’heureuse formule de P. Quignard. Le merveilleux Belleau conçoit le poème comme un circuit où déployer les échos d’un nom – on pense aux Amours et Nouveaux Échanges des pierres précieuses, vertus et propriétés d’icelles, (1576) dans lesquels Belleau rejoue la tradition du lapidaire en le croisant avec la poésie scientifique et le pétrarquisme.

58Quant à Ronsard, il se joue de toutes les conventions. Le triptyque des Amours est un canzoniere paradoxal : il n’obéit plus à l’unité d’une forme mais mélange le sonnet, l’ode, l’hymne, le dithyrambe, l’épigramme. Il multiplie les noms de l’unique : Cassandre, (1552), Marie (1555 et 1556), Hélène (1578) pour célébrer « l’amour levis, désinvolte » (élégie à Morel).

59Dans le discours amoureux qu’il adresse en 1564 à une mystérieuse Genèvre le poète déclare :

60

« À la fin privément tu t’enquis de mon nom
Et si j’avais aimé d’autres femmes ou non ».

61Virtuosité de Ronsard qui joue du signifiant et du signifié :

62

« Marie qui voudrait votre beau nom tourner,
Il trouverait Aimer : aimez-moi donc, Marie,
Faites cela vers moi dont votre nom vous prie,
Votre amour ne se peut en meilleur lieu donner ».

63Avec Ronsard, le nom se fait performatif : le désignateur, opérateur lyrique.

64Ronsard, parti du pétrarquisme radical du Premier Livre des Amours, passe à un pétrarquisme simplifié dans le deuxième, plus proche d’un lyrisme naturel inspiré d’Ovide, avant d’opter dans le dernier pour un style mignard et pastoral. Il incarne à lui seul et mieux que tout autre les tensions et les tendances du pétrarquisme français.

65d. On peut alors énumérer cinq thèses sur le pétrarquisme – quasi un pentagone, ou un pentacorde pétrarquiste.

66Muse, celle dont la forme du visage est un nom.

67Muse, celle dont le nom remplit tout entier et à lui seul le pronom de la seconde personne du singulier.

68Muse l’unique d’un nom vide.

69Pétrarquisme, la fidélité au nom pur de la muse comme forme de son visage.

70Poète qui se soutient de la fidélité au nom de la muse par une procédure de fidélité.

71On peut énoncer quelques corollaires du pentacorde.

721. La fidélité au nom confond les noms de l’échange pronominal dans la pérennité du souvenir. Il s’agit, comme le dit Ronsard « d’enfanter une fleur // qui de mon nom et de mon mal soit peinte » (Amour de Cassandre 16). Dans cette tactique glorieuse où Ronsard réinvente le mythe de Hyacinthe, ce n’est pas le nom de la muse qui sera renommé, mais bien celui du poète, responsable d’un palindrome aussi facile que décisif : mon/ nom.

73Le poème gardera la mémoire des noms ; qu’il cite son nom propre, comme dans les Sonnets pour Hélène (II, 24) :

74

« Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle ».

75Ou qu’il se contente de l’indiquer :

76

« Je te donne ces vers afin que si mon nom
Aborde heureusement aux époques lointaines […]
Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu’un tympanon
Et par un fraternel et mystique chaînon
Reste comme pendue à mes rimes hautaines ».
Spleen & Idéal, XXXIX

772. La fidélité au nom est un constructivisme. Le nom propre est souvent la fiction de cette fidélité – Scève : « Pardonnez moi si ce nom lui donnai// Sinistrement pour mon mal inventé » ; Du Bellay : « soit ce nom / d’Olive véritable ou non » ; Jouve plus récemment : « personne aimée par moi inventée et vraiment fausse ».

783. Cette fidélité aux noms définit une érotique dont René Char, poète du mont Ventoux et de la Lettera Amorosa et qui évoque Iris comme « ce nom propre de femme, dont les poètes se servent pour désigner une femme aimée et même quelque dame dont on veut taire le nom » a donné la formule souveraine : « le poème est l’amour réalisé du désir demeuré désir. » Seuls demeurent, XXX.

794 § Dans le Lys dans la vallée, au moment de céder à sa passion pour Félix de Vandenesse, la belle Henriette de Mortsauf implore : « La Laure de Pétrarque peut-elle se recommencer ? ». Laura rediviva ? Mais demandez donc aux adolescents qui écrivent partout le prénom de l’amante, sur les tables de cours, où il leur est parfois demandé de poser le Canzoniere, sur le pare-brise de leur scooter, sur les murs des villes et parfois même dans la chair de leur peau. Recommencer Pétrarque ? Mais c’est à chaque fois qu’une foule en concert entame en chœur le chant d’un même prénom au rythme d’une même musique. Recommencer Pétrarque ? Mais c’est résumer un visage en un nom. Un nom. C’est souvent ce que nous avons connu de meilleur, mais c’est déjà le début du poème.

80Le narrateur de la Recherche, ayant entendu l’une des fillettes qu’il rencontre aux Champs-Élysées appeler Gilberte, écrit : « Ce nom de Gilberte passa près de moi, en action pour ainsi dire […] transportant à son bord, je le sentais, la connaissance, les notions qu’avait de celle à qui il était adressé, non pas moi, mais l’amie qui l’appelait […] ». Or, ce qui vaut du nom d’un autre, vaut aussi pour mon nom propre : « je m’émerveillai, dit-il, que Swann sût mon nom, qui était ma mère, et pût amalgamer autour de ma qualité de camarade de sa fille quelques renseignements sur mes grands parents, leur famille, l’endroit que nous habitions, certaines particularités de notre vie d’autrefois, peut-être même inconnues de moi ». Oui, inconnues de moi. Sur mon nom ; au hasard de quelques rencontres, la vie a déposé ces images qui orientent tout ce qu’autrui attend de moi, qui font que je mène en lui une existence que je ne connais pas et qui est pourtant mon existence, qui disparaîtront avec lui en me dépouillant à sa mort d’une partie à jamais mystérieuse de ma vie. Cet amalgame de représentations, c’est peut-être là toute mon essence.

81Sur mon nom, oui, mais sur ton nom, Lesbia, Cynthia, Delia, avec ton nom Laure, Hélène, Marie, Cassandre, de ton nom Olive, de ton nom Juliette, Aurélia, Lou, Nadja, Elsa, pour ton nom Diane, en ton nom, rivale délivrée d’avril, avant de disparaître en appelant mes chiens par leur nom propre pour qu’ils ne me dévorent pas, je te jure qu’au point où nos visages disparaîtront, j’écrirai un poème, un poème, midons, un poème, mia senhor.


Annexes

1 – Le nom des dieux

82

La mythologie est inévitable, elle est une nécessité inhérente au langage, si nous reconnaissons dans le langage la forme extérieure : elle est en un mot, la forme obscure que le langage jette sur la pensée et qui ne disparaîtra jamais, aussi longtemps que langage et pensée ne coïncideront pas entièrement – ce qui ne pourra jamais être le cas. Il ne fait aucun doute qu’il existe une mythologie de nos jours comme au temps d’Homère, mais nous ne la remarquons pas parce que nous vivons dans son ombre, et parce que nous reculons tous, éblouis par la pleine lumière de midi dans la vérité. La mythologie, au sens le plus pur du terme, est le pouvoir que le langage exerce sur la pensée, dans toutes les sphères possibles de l’activité spirituelle.
F.M. Müller, La science de la religion, Paris, 1873

83a) S’il est vrai qu’aucun théologien chrétien ne peut se soustraire à la question des noms de Dieu (et ce, qu’il le fasse de manière explicitement – comme dans la tradition qui va de Grégoire de Nazianze à Denys et Jean Damascène – ou implicitement), on gagne peu à oublier que la problématique du nom des dieux fut la grande affaire des mythologies païennes.

84Du rapprochement de ces traditions émerge une inversion riche de sens pour toute réflexion sur la référence des noms propres : dans le monothéisme chrétien, dès lors qu’il s’agit de nommer l’innommable, la nomination du singulier entraîne le pluriel des noms divins : leur prolifération – « Deus vero multipliciter quidem dicitur » selon le De Trinitate, VI, 7, 8, 15, 488 (Jean-Luc Marion a récemment attiré l’attention sur ce texte et sur la réflexion des Confessions, I, 4, 4, 13, 278 sq, cf. Au lieu de soi, l’approche de Saint Augustin, Paris, § 44, pp. 389-394). Dans le polythéisme, la pluralité des dieux implique leur nomination singulière – quand bien même ce nom est susceptible de paraphrase et de périphrase. Usener peut ainsi écrire : « les noms de dieu valaient pour une seule entité, mais ils la désignaient d’un mot doté d’une capacité adjectivale ». Le nom des dieux est si bien adéquat à son essence qu’il la révèle.

85Selon le Cratyle, les mots, loin de provenir d’une convention artificielle, furent institués par les législateur (nomothétês) par analogie avec la nature même de ce qu’ils sont destinés à exprimer : les noms appartiennent naturellement (phusei) aux choses. Ils appartiennent aux dieux. Les stoïciens poursuivront cette réflexion : Cléanthe explique ainsi le nom de Dyonysos : « il parcourt complètement (dianusai) le cercle du ciel » ; pour Chrysippe Rhéa nomme la terre parce que c’est d’elle que coulent les eaux (reî). Les anciens n’ignorèrent pas le danger que court la mythologie si le mythe devient une suite de noms propres dépliés. Le mythe risquerait de devenir un jeu de noms comme il y a des jeux de mots.

86Ce chiasme du singulier et du pluriel (un seul nom pour plusieurs dieux ou plusieurs noms pour un seul dieu : un seul nom qui signifie en référant, plusieurs noms qui signifient l’impossibilité de nommer la référence) risque cependant de faire manquer la continuité d’une tradition à l’autre.

87b) Cette continuité fait l’objet de l’essai magistral de Hermann Usener (1834-1905, auteur de deux volumes de Religiongeschichtliche Untersuchungen) : Götternamen (1896, 1928) dont il faut dire un mot, par provision. Les noms des dieux, essai de théorie de la formation des concepts religieux repose sur une hypothèse évolutive. Usener reprend la question du passage du polythéisme au monothéisme et formule l’hypothèse d’une triple évolution qui se marque par la singularisation du personnel divin et sa nomination. Au début se trouvent les dieux momentanés (Augenblicksgötter) – dans son compte rendu pour l’Année sociologique (I, 1898, pp. 290-296), Mauss dira son admiration pour cettet invention. Ces dieux se manifestent en un instant et se confondent avec le moment de leur fonction : la semaison, la récolte. Viennent ensuite les dieux particuliers, particularisés (Sondergötter), dieux fonctionnels qui agissent dans des situations qui se répètent. Enfin, dans une phase postérieure où le nom du dieu n’est plus relié à sa fonction, apparaissent les typiques dieux personnels du polythéisme que distingue leur nom propre. Usener radicalise la formule de Max Müller selon laquelle la mythologie est l’ombre obscure que le langage projette sur la pensée ». La philologie n’est pas simplement pour Usener une disciple utile pour étudier la mythologie : elle est la seule voie d’accès à la mythologie car c’est dans le langage que se forme cette dernière. Le langage porte la trace de la formation des dieux, la dynamique de leur représentation qui advient selon deux modalités différentes : la personnification comme attribution d’une âme et la métaphorisation comme invention d’une image adaptée pour représenter l’objet mental qui s’est constitué.

88À Wilamowitz qui lui reprochait de trop accorder aux mots et de ne pas s’appuyer davantage sur le cœur ou le sentiment religieux Usener écrivit une lettre décisive qu’il devait tenir pour lui :

89

La sévère objection que vous soulevez contre l’importance excessive que j’accorde au nom et à la parole ne me touche pas. Connaissez-vous par hasard une autre source qui ne soit pas la parole pour approcher la manière dont se forment les concepts dont la résonance est la parole ? Dans vos mots « le nom est écorce et souffle », je ne réussis à me représenter rien de réel. Vous savez bien quel était l’enjeu : se mettre à l’écoute des noms des dieux pour connaître l’accès à la formation des concepts religieux […] pour ce qui me concerne, je voulais produire un morceau de logique formelle, et certes pas une théorie de la connaissanc, dont l’analogue ne pourra venir qu’avec les parties suivantes du travail.

90Dans Langage et mythe, À propos des noms de dieu (Sprache und Mythos, 1924, Yale University, 1953, Paris Minuit, 1973), essai qui n’a pas reçu tout l’intérêt qu’il mérite, Ernst Cassirer consacre tout un chapitre (le 2) aux résultas d’Usener. Comme la conscience linguistique, la conscience mythique n’obtient des différences entre les figures singulières qu’en posant progressivement ces différences, en les « séparant » d’une intuition unitaire indifférenciée et originaire. « Il faut qu’intervienne », écrit Cassirer, « un processus propre à l’histoire du langage pour que se constituent des dieux personnels » (p. 32). L’histoire des dieux est lisible dans l’histoire de leur nom : car là où un dieu spécial se détache en tant que figure déterminée, il possède un certain nom, procédant de la sphère particulière d’activités à laquelle il préside. Aussi longtemps que ce nom est ressenti dans sa signification d’origine, la limitation du nom correspond à celle du dieu : un dieu est toujours maintenu par son nom dans le domaine le plus étroit pour lequel il a été originellement créé. Mais il peut arriver que la signification du nom du dieu se perde en route et le nom n’éveille plus alors la représentation d’une activité singulière qui permettait l’identification du dieu. « Le nom est bien plutôt devenu un nom propre, et celui-ci évoque, comme le nom d’un homme, l’idée d’une personnalité déterminée. Ainsi s’est constitué un nouvel être, et c’est en obéissant à sa propre loi qu’il poursuit sa formation ».

91c) Peut-être le retour des dieux antiques (Seznec, mais avant lui Warburg, puis Panofsky) à la Renaissance s’explique-t-il aussi par l’imaginaire du langage et la place qu’y occupe le nom propre – on le mesurerait chez Boccace ou chez Rabelais.

92d) Resterait à situer la différence entre une philosophie et une mystique du nom : comme le rappelle Giorgio Agamben (« L’idée du nom », in Idée de la prose, Paris Bourgois, 1998) tandis que la mystique veille à ce qu’on ne puisse faire coïncider le plan des noms et celui des propositions puisque l’édifice tout entier du langage repose sur un nom au sujet duquel toute proposition échoue, la « philosophie ne désespère pas de faire justice à ce qui est appelé par le nom […] dans le nom,, elle poursuit l’idée » (p. 94). Il reste cependant que Platon n’est pas étranger à la mythologie des noms de dieu et que l’on n’entendra rien (je rejoins ici la lecture inspirante d’Henri Joly, in Le renversement platonicien, Paris, Vrin, 2e édition, 1985) au travail d’étymologie du Cratyle si l’on ne rappelle pas qu’elles constituent un hommage indirect rendu aux anciennes théologies qui pratiquaient l’étymologie pour révéler le dieu caché dans la nature du mot (sur le Cratyle, cf. outre l’essai classique de Victor Goldschmidt, Essai sur le Cratyle : contribution à l’histoire de la pensée de Platon, Paris, P.U.F., 1940, Roberto Dionigi, Nomi, Forme, Cose, intorno al Cratilo di Platone [1994], Macerata, Quodlibet, 2001 ; ce livre est absent de la bibliographie de l’édition de Christine Dalimier in Cratyle, Paris, GF-Flammarion, 1998).

2 – De quoi le nom est-il le nom ?

93En 2007, Alain Badiou, qui accorde au nom une place décisive dans son ontologie, s’il est vrai que sa philosophie est une théorie de la nomination et son ontologie l’attribution du nom propre de l’être (le vide) [1], intitulait un petit opuscule (le tome IV de ses Circonstances qui lui sont – c’est du moins ce qu’il souhaite – ce que ses Situations étaient à Sartre) : De quoi Sarkozy est-il le nom ?

94Il s’agissait, porté par la grande rhétorique du polémiste et du philosophe de la politique, d’inviter l’auditoire, puis le public des lecteurs, à ne pas se méprendre sur l’importance qu’il fallait accorder à Nicolas Sarkozy : son nom propre n’indiquait pas tant une figure distincte et porteuse d’un destin propre qu’il n’était le dénominateur d’un commun, le prête nom d’une circonstance. Comme le nom d’une société à responsabilité limitée, si j’ose dire, un acronyme. Le nom (propre) de Sarkozy était le nom commun d’un commun – « ce qui vous déprime, c’est ce dont Sarkozy est le nom. Voilà de quoi nous retenir : la venue de ce dont Sarkozy est le nom, vous la ressentez comme un coup que cette chose vous porte » (p. 28). On comprend la charge polémique d’un tel titre : ne vous illusionnez pas sur la puissance d’un individu, il représente des conflits qui le dépassent. C’était aussi, on le sait, critiquer le système électoral qui accroche à un nom propre l’avenir des forces en présence – Badiou poursuivait : « j’en ai dit assez sur le vote pour que vous sachiez que s’il s’est passé quelque chose, on ne trouvera pas ce dont il s’agit dans le registre de la pure succession électorale ». Le scrutin uninominal paraît glorifier les noms, mais tout comme l’électeur anonyme dans l’isoloir ne parle en son nom propre que pour autant qu’il le reverse au nom commun du peuple (c’est la vertu même de la volonté générale), on se méprendra si l’on suppose que le nom propre de l’élu est une élection du nom – le nom vaut pour : tout nom propre ici est un prête-nom. La critique de la démocratie électorale et celle du nom propre vont de paire.

95Cela vaut aussi pour Mai 68, dont le spectre hantait le candidat Sarkozy qui voulait en finir, écrit Badiou avec ce dont « mai 68 est le nom » (p. 52). C’est pourquoi le philosophe polémiste pouvait par une série de périphrases et de dénominations successives renommer Sarkozy sans que la référence du nom en soit modifiée : il mérite, peut-on lire, pp. 47 sq, p. 107 et 127 un « nom psychanalytiquement fameux. Je propose de nommer Sarkozy « l’homme aux rats » ». Il ne s’agit pas de discuter de la pertinence de cette prédication (le bestiaire est une des vieilles armes de la polémique). L’essentiel n’est pas là : l’essentiel est de savoir si l’on peut nommer un nom propre et, dans le cas présent si nommer un nom propre au moyen d’une description définie (qui cachait en plus un autre nom propre) est une véritable nomination.

96Si le nom propre de Sarkozy vaut pour un commun dont il est le nom, si mai 68 est un nom qui vaut aussi pour ce dont cet événement est le nom, que vaut le nom ? Et, par exemple, que vaut le nom de Sarkozy ? Faut-il se contenter de dire que le nom renvoie, qu’il réfère ? De quoi le nom de Sarkozy est-il le nom ? C’est au chapitre 6 que le philosophe répond : Sarkozy nomme le « pétainisme transcendantal de la France » (p. 104), un pétainisme requalifié de soft (p. 107). Voilà qui ne simplifie rien. Il ne s’agit pas, répétons-le, de discuter au philosophe ses analyses politiques, mais de comprendre sa pratique théorique du nom. N’écrit-il pas lui-même (page 123) : « de façon générale, je préfère la lutte pour une nouvelle appropriation des noms, à la pure et simple création de nouveaux noms, bien que cette dernière soit requise » (p. 123). C’était aussi la pratique de Kant pour qui c’est le recours à une langue savante déjà existante qui permettra d’éviter de se rendre inintelligible (Critique de la raison pure, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, tome I, p. 1026). Transcendantal indique chez Badiou un mouvement qui n’est pas empirique mais qui se révèle dans l’empirie – le pétainisme comme transcendantal de la politique française, commencerait avec la Restauration de 1815 : « dans le cas de notre pays, nommer ce transcendantal « pétainiste » évite de le nommer, soit faiblement, antidémocratique ou bonapartiste (ce sont des qualifications de « gauche ») ; soit de le qualifier de fasciste, ou de pré-fasciste, ce qui serait excessif, ultra-gauche » (p. 104). Et Badiou d’asséner, avec sa force thétique : « je propose de dire que « pétainiste » est le transcendantal, en France, des formes étatisées et catastrophiques de la désorientation ».

97Il y aurait beaucoup à dire sur cette philosophie de l’histoire et sur la philosophie politique qu’elle sous-tend. Concentrons-nous sur les noms. De quoi Sarkozy est-il le nom ? On l’a vu, c’est le nom propre d’un commun : un transcendantal de la politique française. Mais ce n’est pas exactement ce que dit Badiou, ou pas seulement. Sarkozy est le nom d’un commun qui s’exprime par un autre nom propre ou plutôt par un nom propre dérivé en nom commun : le pétainisme. Or soutenir que « sarkozy est le nom du fascisme, ou de l’antidémocratie » ne revient pas à dire qu’il est le nom du « bonapartisme » ou du « pétainisme ». Dans un cas, un nom propre renvoie à un nom commun. Dans l’autre à deux autres noms propres (Bonaparte, Pétain).

98Le nom propre de Sarkozy nomme le propre du pétainisme qui nomme le propre de Pétain qui nomme le commun des formes étatisées et catastrophiques de la désorientation. Une telle séquence permet-elle de penser le propre du nom propre ? Que fait le nom propre selon Badiou ?

99Il est la différence d’une indifférence, l’instance d’une généralité – la variante d’un nom commun. Le philosophe démystifie ainsi le pouvoir des noms – il invite son auditoire et ses lecteurs à ne pas avoir peur des noms, à ne pas se laisser impressionner par les noms et pourtant, au moment même où il entend nous défaire des prestiges du nom propre en le rabattant sur du commun, c’est bien à un nom propre qu’il se réfère. Alain Badiou apparaît ici comme le maître démytificateur des noms propres par antonomase, s’il est vrai que l’antonomase est la figure qui consiste à remplacer, en vue d’une expression plus spécifiante ou plus suggestive, un nom propre par un nom commun (le Sauveur pour Jésus-Christ) ou un nom commun par un nom propre (un Tartuffe pour un hypocrite). [cf. Bernard Meyer et Jean Daniel Balayn, « Autour de l’antonomase de nom propre », in Poétique 46, avril 1981, pp. 183-199].

100Alors qu’une telle philosophie de l’histoire fait proliférer les antonomases pour dire l’indifférence du nom propre, le poète et l’historien luttent contre l’antonomase au nom de la différence du nom propre. L’historien, comme le poète, tendent à sauver la singularité ou la propriété des noms propres. Sauver les noms, c’est réfuter l’antonomase.

3 – Le semi nom propre des sciences sociales

101Le nom propre du poème entretient-il un rapport avec le « semi nom propre » des sciences humaines » pour rappeler l’invention de Jean-Claude Passeron qui indiquait par là les concepts des sciences humaines ? Pour lui (Le Raisonnement sociologique : un espace non poppérien de l’argumentation, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Albin Michel, 2006, pp. 361-384), l’idéal type des sciences sociales est un semi-nom propre dont le Sens (Sinn) est défini par une description toujours partielle qui énumère quelques propriétés génériques dont la dénotation (Bedeutung) se fait par une indexation sur une série ouverte de référents qui sont autant de cas singuliers : la société médiévale en Occident, le césarisme en Italie, etc. Tandis que la définition se borne à une série de traits, la description complète des référents serait indéfinie. C’est pourquoi une définition historique ne peut être séparée de ses référents. Il en va de même des notions des sciences sociales : si je veux indiquer telle ou telle réalité sociale (politique), je vais utiliser l’expression « démocratie parlementaire » ou « religion » qui fonctionnent alors comme des noms propres. Toute comme les noms propres exigent un travail infini de description, les concepts des sciences sociales « ne peuvent se clore dans une description définie ni s’épanouir dans l’universalité des lois » (p. 349).

102L’historien hisse le nom propre à l’extension d’un concept mais il n’en reste pas moins que la plupart des noms communs qu’il utilise dans ses descriptions valent comme des « semi noms propres ».

103Il reste que certains historiens accrochent leur enquête à des noms propres au sens propre – ce fut le cas de Marc Bloch qui n’oublie pas le nom des laissés pour compte dans son maître ouvrage Les rois thaumaturges. C’est le cas aujourd’hui, et d’une manière si singulière qu’elle exige un traitement approprié, de Carlo Ginzburg.

104À en croire les dernières lignes de la préface du Fromage et les vers, le rôle de l’historien ne diffèrerait pas de celui du poète : il s’agit de sauver les sans nom dans leur nom. Ici : Mennochio. (Il formaggio e i vermi, Il cosmo di un mugnaio del ‘500, Torino, Einaudi, 1976, p. XXV). Mais cf. aussi, “Traces” in Mythes emblèmes traces (morphologie et histoire), Paris, Flammarion, 1989, p. 171.

  • poétique et nom propre : pour la bibliographie récente de langue française, il faut toujours revenir au livre pionnier de François Rigolot, Poétique et onomastique, l’exemple de la renaissance, Genève, Droz, 1977 ; cf. aussi les deux articles classiques d’Eugène Nicole (« Personnage et rhétorique du nom », Poétique 46, avril 1981, p. 200-216 et « L’onomastique littéraire [mise au point] », Poétique 54, avril 1983, pp. 233-253). Il faudrait faire état de toute une série de travaux consacrés à la question du nom propre dans la poétique de tel ou tel auteur. Je pense au livre de Michèle Aquien consacré à Saint John Perse, L’être et le nom, Champ Vallon, 1985, surtout pp. 35-64. à quoi on ajoutera, pour le domaine italien, le livre de Flaviano Pisanelli, In poesis nomine, onomastique et toponymie dans les Occasioni d’Eugenio Montale et Trasumanar e organizzar de Pier Paolo Pasolini, Grenoble, Ellug, 2007 – cet ouvrage attire justement l’attention sur la question (proustienne) du nom de lieu. Elle mériterait à elle seule un traitement car la toponymie oblige à repenser en termes singuliers le problème de la désignation. Sur la toponomastique, cf. les travaux de Georges R. Stewart : Names on the Land : an historical account of place-naming in the United States (1945, rpt. 2008) ; Names on the Globe (1975) ; American Given Names (1979). C’est à la suite de son roman Maria (1941) dans lequel un prénom féminin est donné à une tempête que le National Weather Service a pris l’habitude de donner des noms propres aux tempêtes.
  • sur le nom des dieux : je rappelle ici quelques classiques de la philologie allemande : Hermann Usener, Götternamen (1896, 1928 – je m’appuie sur l’édition italienne, I nomi degli dèi, saggio di teoria della formazione dei concetti religiosi, Brescia 2008, traduction de Monica Ferrando) ; Ernst Cassirer, Langage et mythe, À propos des noms de dieu (Sprache und Mythos, 1924, Yale University, 1953, Paris Minuit, 1973) ; cf. aussi Reynal Sorel, Critique de la raison mythologique, fragments de discursivité mythique, Hésiode, Orphée, Eleusis, Paris, PUF, 2000.
  • sur l’imaginaire linguistique de la Renaissance française : cf. C.-G. Dubois, Mythe et langage au xvie siècle, Bordeaux, Ducros, 1970 ; M.-L. Dumonet, Les voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580), Paris, Champion, 1992 ; et, de manière plus générale les réflexions de François Cornilliat su Pétrarque dans Sujet caduc noble sujet, Paris-Genève Droz, 2010, pp. 59-100.
  • philosophie du nom propre : on doit à Jean-Claude Pariente une des réflexions les plus raffinées sur le problème philosophique du nom propre. Ce problème est au cœur de sa thèse : Le langage et l’individuel, Paris, Armand Colin, 1972, il y est revenu dans « Le nom propre et la prédication dans les langues naturelles », in Le langage à l’œuvre, Paris, PUF, 2002 (pp. 7-49). Il a participé aussi au beau numéro que la revue Corpus a consacré récemment au problème, Le nom propre, Corpus n° 50 (dirigé par Francine Markovits, 2006) : « De quelques usages impropres du nom propre », pp. 187-211.
  • actualité de Kripke en France : La logique des noms propres (Naming and Necessity, Paris, Minuit, 1982) fait l’objet de discussions récurrentes. On en prend la bonne mesure dans l’ouvrage de Filipe Drapeau Vieira Contim et Pascal Ludwig, Kripke, référence et modalités, Paris, PUF, 2005. Cf. aussi la discussion récente de François Rivenc « Les noms propres encore une fois », in Philosophie, Paris, Minuit, n°104, hiver 2009, pp. 74-90. Cf. aussi Pascal Engel, « Et si finalement Russel avait raison ? » in Corpus n° 50, op. cit., pp. 213-227
  • quelques références utiles sur la grammaire du nom propre : en plus des numéros classiques des revues Langages, n° 66 et Langue française, n° 92, on tire le meilleur profit les travaux de G. Kleiber, Problèmes de référence : descriptions définies et noms propres, Paris, Klincksieck, 1981 (ainsi que d’une dizaine d’articles que ce grammairien philosophe a consacrés à la question), de Marc Wilmet (La détermination nominale, Paris, PUF, 1986) et de M.-N. Gary-Prieur, Grammaire du nom propre (Paris, PUF, 1994) et L’individu pluriel, les noms propres et le nombre, (Paris, CNRS, 2001). Enfin, sur l’histoire de la construction des systèmes de noms à Rome, je renvoie aux travaux de Clive Cheesman, Personal Names in the Roman World, Londres, Duckworth, 2010.


Date de mise en ligne : 01/10/2016

https://doi.org/10.3917/poesi.131.0283

Notes

  • [1]
    Il faut citer L’Être et l’événement dont la thèse anime le Petit Manuel d’inesthétique : « le nom ne peut qu’indiquer que le vide est ceci ou cela. L’acte de nomination, étant aspécifique, se consume lui-même, n’indique rien que l’imprésentable comme tel, qui, cependant, dans l’ontologie, advient à ce forçage présentatif qui le dispose comme le rien dont tout procède. Il en résulte que le nom du vide est un pur nom propre, qui s’indique lui-même, ne donne aucun indice de différence dans ce à quoi il se réfère, et s’autodéclare dans la forme du multiple, quoique rien, par lui, ne soit nombré […] Ce nom, ce signe indexé au vide, est en un sens pour toujours énigmatique, le nom propre de l’être » L’Être et l’événement, p. 72 et p. 409 sq.

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