Notes
-
[1]
Ingeborg Bachmann, Œuvres, Actes Sud, Thesaurus, 2009.
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[2]
On pense notamment aux livraisons monographiques des Cahiers du Grif n° 35, Paris 1987 et au numéro Europe n° 892-893, déjà coordonné par Françoise Rétif (août-septembre 2003).
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[3]
Sur Ingeborg Bachmann et Thomas Bernhard, cf. Jean-Marie Winkler, « L’ultime hommage de Thomas Bernhard » (Europe, n° 892-893, op. cit., pp. 209-219) et Maria Luisa Wandruzska, « Frasi interrotte e frasi infinite : Ingeborg Bachmann e Thomas Bernhard », conférence prononcée au congrès national de l’AGI (Pise). Je remercie l’auteur de m’avoir permis la lecture de ce texte. De Maria Luisa Wandruzska on peut lire sur Bachmann : « ‘Se qui con me confina una parola’. Ingeborg Bachmann », in : Il globale e l’intimo. Luoghi del non ritorno, Liana Borghi et Uta Treder (éd.), Morlacchi, Perugia 2007, pp. 155-171 ; « Ingeborg Bachmann und Hannah Arendt unter Mördern und Irren », in Sprachkunst XXXVIII, 1, 2007, pp. 55-66 ; « Il dubbio sulla fotografia : Brecht, Bachmann, Handke », in Guardare oltre. Letteratura, fotografia e altri territori, Silvia Albertazzi e Ferdinando Amigoni (éd.), Meltemi, Roma 2008, pp. 69-88.
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[4]
Anselm Kiefer au Grand Palais, Editions du Regard, 2007.
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[5]
Il faudrait notamment revenir sur les relations de Bachmann à la philosophie de Wittgenstein auquel elle consacre plusieurs essais. Rappelons au moins que, sous le titre « Le dicible et l’indicible, la philosophie de Ludwig Wittgenstein », la poétesse consacra un dialogue philosophique au philosophe. Ce dialogue était composé de citations commentées extraites surtout du Tractatus. Cette pièce radiophonique est disponible en italien, dans la traduction de Barbara Agnese, Il dicibile e l’indicibile, Milan, Adelphi, 1998, pp. 45-79. Cf. aussi Giorgio Agamben, Il silenzio delle parole, préface à Ingeborg Bachmann, In cerca di frasi vere (Bari, Laterza, 1989, pp. v-xv).
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[6]
« La littérature, une utopie », Leçons de Francfort, in Œuvres, op. cit., p. 719.
-
[7]
Elle ne quittera plus Rome de la fin 1965 à l’automne 1973. Elle est morte à l’hôpital San Eugenio le 17 octobre.
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[8]
Verrà un giorno, Conversazioni romane, Genova, Marietti 1820, 2009, p. 71. Un peu plus haut (séquence 15 du film), Ingeborg Bachmann avait pu dire : « Un jour viendra où les hommes auront les yeux rouge or et des voix astrales, où leurs mains seront faites pour l’amour et où la poésie de leur sexe connaîtra une nouvelle création… et leurs mains seront faites pour la bonté, ils cueilleront de leurs mains innocentes les biens les plus grands, parce qu’ils ne doivent pas attendre éternellement les hommes, ils ne doivent pas éternellement, ils ne doivent pas éternellement attendre » (ibidem, p. 69).
1Au moment où paraît en France une belle édition des œuvres d’Ingeborg Bachmann qui ne contient aucun de ses poèmes [1], la revue Po&sie offre un fort dossier consacré à la poétesse. Ce n’est certes pas le premier [2]. Mais on ne fera jamais assez pour préciser les contours de celle que Thomas Bernhard considérait comme « la poétesse la plus intelligente et la plus importante que l’Autriche ait produite au cours de ce siècle » [3]. Et, plus récemment, Anselm Kiefer déclarait : « Ingeborg Bachmann, pour moi, c’est la poétesse, le poète le plus important du xxe siècle… Les trois choses qui font un créateur ou une créatrice – l’intellect, l’émotion et la volonté – sont combinées chez elle de façon idéale. Ces deux poètes, Ingeborg Bachmann et Paul Celan, sont inscrits dans ma mémoire. Je suis, on peut le dire ou presque, né avec eux ; j’ai lu des poèmes très tôt, quand j’allais encore à l’école. Et ils m’ont accompagné tout au long de mon existence. » [4]
2Il faut lire et relire, traduire et traduire Ingeborg Bachmann, renouer les fils de poème qui lient chez elle le poème et la prose, le poétique et le philosophique [5].
3Au reste, l’utopie qu’elle appelle de ses vœux n’est pas étrangère à celle qui nous anime.
4On le mesurera en comparant ces deux citations.
5La première est extraite des dernières pages de la dernière des Leçons de Francfort :
Or la littérature qui ne sait dire elle-même ce qu’elle est, ne se fait reconnaître que dans la violation d’une médiocre langue, commise mille et mille fois depuis des milliers d’années, car la vie ne possède qu’une langue médiocre et elle ne fait qu’opposer à cette langue une utopie du langage. Elle a donc beau chercher et se tenir le plus près possible de son temps et de sa médiocre langue, il faut célébrer son cheminement désespéré vers ce langage utopique, ce n’est qu’à ce titre qu’elle est glorieuse et porte l’espérance des hommes. Les plus vulgaires et les plus précieux de ses langages participent encore à un rêve de langage. Chaque vocable, chaque syntaxe, chaque période, chaque ponctuation, chaque métaphore et chaque symbole accomplit quelque chose de ce rêve d’expression, le nôtre même si nous ne pourrons jamais le réaliser complètement [6].
7La seconde provient du scénario du film que Gerda Haller consacra à Ingeborg Bachmann quelques mois avant sa mort : Ingeborg Bachmann in Italia. Il semble que la poétesse se soit directement exprimée en italien, une langue qu’elle connaissait bien pour avoir traduit la littérature italienne qu’elle aimait et pour avoir vécu à Rome les dernières années de sa vie [7]. C’est sur cette séquence que se clôt le film :
8On me demande parfois pourquoi j’ai une idée ou bien une vision d’un pays utopique, d’un monde utopique où tout sera bien et où tous les hommes seront bons. Répondre à une telle question peut être paradoxal puisque nous devons tous les jours affronter les horreurs du quotidien. Ce que nous possédons ne vaut rien, on est riche si on possède quelque chose qui vaut plus que toute sorte de bien matériel. Et bien moi je ne crois pas à ce matérialisme, je ne crois pas à cette société de masse, à ce capitalisme, à cette monstruosité d’aujourd’hui, à l’enrichissement de ces gens qui n’ont aucun droit de s’enrichir sur notre dos. Moi je crois vraiment en quelque chose et ce quelque chose, je l’appelle « un jour viendra ». Et qui sait, peut-être qu’il ne viendra jamais parce qu’on l’a toujours déjà détruit. Ça fait des milliers d’années qu’on continue à le détruire. Il ne viendra pas, et pourtant j’y crois, parce que si je n’y crois pas, alors je ne peux même plus écrire [8].
9Sauf indications contraires, toutes les traductions d’Ingeborg Bachmann sont de Françoise Rétif.
Notes
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[1]
Ingeborg Bachmann, Œuvres, Actes Sud, Thesaurus, 2009.
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[2]
On pense notamment aux livraisons monographiques des Cahiers du Grif n° 35, Paris 1987 et au numéro Europe n° 892-893, déjà coordonné par Françoise Rétif (août-septembre 2003).
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[3]
Sur Ingeborg Bachmann et Thomas Bernhard, cf. Jean-Marie Winkler, « L’ultime hommage de Thomas Bernhard » (Europe, n° 892-893, op. cit., pp. 209-219) et Maria Luisa Wandruzska, « Frasi interrotte e frasi infinite : Ingeborg Bachmann e Thomas Bernhard », conférence prononcée au congrès national de l’AGI (Pise). Je remercie l’auteur de m’avoir permis la lecture de ce texte. De Maria Luisa Wandruzska on peut lire sur Bachmann : « ‘Se qui con me confina una parola’. Ingeborg Bachmann », in : Il globale e l’intimo. Luoghi del non ritorno, Liana Borghi et Uta Treder (éd.), Morlacchi, Perugia 2007, pp. 155-171 ; « Ingeborg Bachmann und Hannah Arendt unter Mördern und Irren », in Sprachkunst XXXVIII, 1, 2007, pp. 55-66 ; « Il dubbio sulla fotografia : Brecht, Bachmann, Handke », in Guardare oltre. Letteratura, fotografia e altri territori, Silvia Albertazzi e Ferdinando Amigoni (éd.), Meltemi, Roma 2008, pp. 69-88.
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[4]
Anselm Kiefer au Grand Palais, Editions du Regard, 2007.
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[5]
Il faudrait notamment revenir sur les relations de Bachmann à la philosophie de Wittgenstein auquel elle consacre plusieurs essais. Rappelons au moins que, sous le titre « Le dicible et l’indicible, la philosophie de Ludwig Wittgenstein », la poétesse consacra un dialogue philosophique au philosophe. Ce dialogue était composé de citations commentées extraites surtout du Tractatus. Cette pièce radiophonique est disponible en italien, dans la traduction de Barbara Agnese, Il dicibile e l’indicibile, Milan, Adelphi, 1998, pp. 45-79. Cf. aussi Giorgio Agamben, Il silenzio delle parole, préface à Ingeborg Bachmann, In cerca di frasi vere (Bari, Laterza, 1989, pp. v-xv).
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[6]
« La littérature, une utopie », Leçons de Francfort, in Œuvres, op. cit., p. 719.
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[7]
Elle ne quittera plus Rome de la fin 1965 à l’automne 1973. Elle est morte à l’hôpital San Eugenio le 17 octobre.
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[8]
Verrà un giorno, Conversazioni romane, Genova, Marietti 1820, 2009, p. 71. Un peu plus haut (séquence 15 du film), Ingeborg Bachmann avait pu dire : « Un jour viendra où les hommes auront les yeux rouge or et des voix astrales, où leurs mains seront faites pour l’amour et où la poésie de leur sexe connaîtra une nouvelle création… et leurs mains seront faites pour la bonté, ils cueilleront de leurs mains innocentes les biens les plus grands, parce qu’ils ne doivent pas attendre éternellement les hommes, ils ne doivent pas éternellement, ils ne doivent pas éternellement attendre » (ibidem, p. 69).