Po&sie 2009/1 N° 127

Couverture de POESI_127

Article de revue

L’échelle et l’anneau

Dante, l’Islam et la culture du Moyen Âge latin à partir de la thèse d’Asín Palacios

Pages 25 à 37

Notes

  • [1]
    Liber Scalae Machometi [Paris, Bibl. Nat., Cod. Lat. 6064], LXXIX, § 202. La version latine et française (établie d’après un exemplaire réduit de l’arabe au castillan par Abraham Alfaquim) est due à Bonaventure de Siene, « domis regis notarius et scriba », sujet à la cour d’Alphonse en 1264. Rappelons que Brunetto Latini, le maître de Dante se rend à la cour d’Alphonse dans les mêmes années (1259). Un autre codex, le Vat. Lat. 472, contient en plus du Liber de Scala la Collectio Toletana, c’est-à-dire un spicilège de textes qui contient le Coran que Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, avait recueillis et fait traduire. C’est donc par de nombreuses voies, comme l’indique Asín Palacios que cette tradition pouvait être connue par Dante.
  • [2]
    Le Livre de l’échelle de Mahomet, Paris, Lettres Gothiques, 1991, traduction de Gisèle Besson et Michèle Brossard-Dandré, pp. 322-323. Cf. aussi Il libro della scala di Maometto, traduction de R. Rossi avec une note de C. Saccone (Studio Editoriale, Milan, 1991, p. 122). L’essai de Saccone retrace l’histoire des fortunes et surtout des infortunes de la thèse d’Asín au xxe siècle (pp. 155-198). Cf. aussi C. Saccone, « La Divina Commedia e una Commedia musulmana », Studia patavina, XXXIX, 1992, 3, pp. 85-119.
  • [3]
    Cette injonction provient elle aussi de celle qui guide le pèlerin. Le passage se situe à quelques vers de distance de l’illustration des quatre fleuves de l’Éden (vv. 112 sq) où Asín veut voir une des dettes les plus évidentes que Dante a contractées avec la tradition islamique.
  • [4]
    « Ma nondimen, rimossa ogni menzogna, / tutta tua visïon fa manifesta – néanmoins, écartant tout mensonge, / porte au jour ta vision tout entière » Paradis, XVII, vv. 121-128.
  • [5]
    On constate en effet qu’Asín s’inspire des plus grands modèles de la critique morphologique et du grand comparatisme roman, de Graf à d’Ancona, de Labitte à Ozanam. Il faut donc le lire comme ses modèles : comme un tableau et non pas comme une radiographie.
  • [6]
    Cf. la conclusion d’E. Cerulli à l’édition du Liber de Scala (édition italienne, p. 546 sq.). Les observations de Cerulli ne peuvent pas ne pas évoquer les échos de la longue tradition du « prophétisme politique » de Dante : qu’il s’agisse du prophétisme laïc et gibelin qui va de Dante à Machiavel – il était cher à De Sanctis, ou du prophétisme « spiritualiste » et millénariste qui va de Joachim de Flore à Savonarole – il était cher aux « novateurs » du catholicisme. Les uns et les autres sont d’accord pour retenir Dante en deçà de toute interprétation visionnaire (a fortiori islamique). Le prophétisme de Dante s’en tiendrait donc à l’histoire du monde. C’est aussi l’interprétation de Giovanni Papini, Dante vivo, LEF, Florence, 1933, pp. 35-36.
  • [7]
    Le livre des secrets d’Énoch, Apocryphes de l’ancien testament. La figure d’Énoch réapparaît dans le Liber de scala (chapitre XIV, § 33, traduction française, pp. 134-135). Asín Palacios lui-même reconnaissait que « la légende islamique du voyage nocturne et du voyage de Mahomet n’est pas totalement originale et propre au peuple musulman ; elle trouve à son tour ses origines et ses modèles dans d’autres civilisations et d’autres littératures plus anciennes […]. Il n’est pas difficile de trouver des éléments qui appartiennent à la légende islamique et aux ascensions judéo-chrétiennes apocryphes d’Énoch, de Moïse, de Baruch et d’Isaïe ». (cf. Dante e l’Islam, pp. 125-126).
  • [8]
    Bruno Nardi, « Pretese fonti alla Divina Commedia », Nuova Antologia, XC, 1955, fasc. 1855, pp. 383-398, puis dans Dal Convivio alla Commedia (Ist. Stor. Ital. Per il Medio Evo, Roma, 1960, pp. 351-370, ici, pp. 360-370 : c’est la conclusion du livre).
  • [9]
    Cf. Maria Corti, « La “favola” di Ulisse : invenzione dantesca ? », in Percorsi dell’invenzione. Il linguaggio poetico di Dante, Einaudi, Torino, 1993, pp. 113-145. Cf. aussi l’attention que Maria Corti a pu prêter aux sources arabes du Banquet, et notamment au Liber Ethicorum alexandrin dans La felicità mentale. Nuove prospettive per Cavalcanti e Dante, Einaudi, Torino, 1983, pp. 96-123.
  • [10]
    Cf. Maria Corti, Percorsi dell’invenzione. Il linguaggio poetico di Dante, op. cit., pp. 124-128. Ici aussi il faut prendre en considération la surimpression de sources antiques et en particulier du mythe d’Alexandre dans la Suasoria I de Sénèque. Cf. Carlo Ossola, Figurato e rimosso, Bologna, Il Mulino, 1988, pp. 37-42.
  • [11]
    E. Cerulli, Il viaggio di Maometto nell’Oltretomba secondo Rodrigo Ximénez de Rada e la « Cronica General » di Alfonso Savio, in Il libro della scala, édition italienne, pp. 335-345.
  • [12]
    E. R Curtius, « Dante », chapitre XVII de son monumentum : La littérature européenne et le Moyen âge latin, (1947), traduction française, Paris, PUF, 1956, pp. 429-468.
  • [13]
    Ibidem, p. 429. C’est le titre du premier paragraphe de ce chapitre XVII sur lequel s’achevait la première édition du livre.
  • [14]
    Ibidem, p. 468.
  • [15]
    Ibidem, p. 450 (§ 5).
  • [16]
    Ibidem, p. 468. C’est le souhait sur lequel s’achevait le chapitre et qui offrait sa conclusion à l’enquête.
  • [17]
    [Cf. Carlo Ossola, « Dante poète européen » in De Florence à Venise, Hommage à Christian Bec, François Livi, Carlo Ossola, Paris, PUPS, 2006, p. 483 sq. N.d.T.].
  • [18]
    Cf. Asín Palacios lui-même (volume II de l’édition italienne) et Carlo Saccone, « Il “mi’ râg” di Maometto. Una leggenda tra Oriente e Occidente », appendice au Liber de Scala, version italienne, pp. 157-198.
  • [19]
    Maria Corti, « Percorsi mentali di Dante nella Commedia » in Guida alla Commedia, Milan, Bompiani, 1993, pp. 183-200. Cf. en particulier, le § 6 : « Un caso suggestivo di modello analogico », pp. 198-200 où Maria Corti rappelle les éléments de structure avancés par Asín Palacios.
  • [20]
    Cf. le bilan de Cesare Segre, « Viaggi e visioni d’oltremondo sino alla Commedia di Dante », in Fuori del mondo, Turin, Einaudi, 1990, pp. 25-48. Parmi les matériaux de la « bibliothèque mentale » de Dante, Segre donne sa juste place au Liber de scala.
  • [21]
    Cf. Dante e l’Islam, pp. 35-37, 222-224 et passim.
  • [22]
    Ibidem, pp. 232-233. On n’oubliera pas non plus l’analogie entre l’arbre « qui prend vie de sa cime » dans le Paradis de Dante (XVIII, v. 29) et le sagarat tuba, l’arbre de la félicité islamique qui est lui aussi renversé, avec ses racines dans le dernier ciel (ibidem, p. 229).
  • [23]
    Cf. Dante e l’Islam, deuxième partie, pp. 129-258.
  • [24]
    Cf. Maria Corti, « Percorsi mentali di Dante nella Commedia », article cité, pp. 198-200.
  • [25]
    Dante Alighieri, Commedia, commentaire de A.M. Chiavacci Leonardi, vol. I, Inferno, Milan, Mondadori, 1991, p. 854.
  • [26]
    On trouve quelques mentions d’‘Alī dans le Codex Vat. Lat. 2037 qui conserve aussi une Ystoria Magometh de Geoffroi de Viterbe (cf. E. Cerulli, Il « Libro della Scala », op. cit., chapitre XVI, p. 417-427). Les autres hypothèses avancées ici (op. cit., pp. 505-506) ne fournissent aucun détail sur la mort d’‘Alī que Dante décrit de manière si détaillée.
  • [27]
    Cf. Dante e l’Islam, I, pp. 383 et 515, notes 20 et 21.
  • [28]
    Ibidem, volume I, pp. 154 et 467-468.
  • [29]
    Ibidem, volume I, pp. 162-163 et 469. On trouve aussi un parallèle frappant quant au controppasso qui frappe les devins (« car vers les reins leur face était tournée, / et ils devaient marcher à reculons/ puisqu’ils étaient privés de la vue en avant » Enfer, XX, vv. 13-15) : ils sont « retournés » comme les damnés du Coran, IV, 50. (Cf. aussi Dante e l’Islam, I, pp. 155-156).
  • [30]
    Dante Alighieri, Commedia, édition de E. Pasquini et A. Quaglio, volume I, Inferno, Milan, Garzanti, 1982, p. 345 et le commentaire de A.M. Chiavacci Leonardi, vol. I, p. 829.
  • [31]
    H. R. Jauss, « Brunetto Latini poeta allegorico », in Alterità e modernità della letteratura medievale, (1977), traduction italienne, Turin, Bollati Boringhieri, 1989, pp. 135-174.
  • [32]
    G. Hees, Der Einfluss von Brunetto Latinis « Tesoretto » auf Dantes « Divina Commedia », diss. Hambourg, 1952. Il s’agissait de réagir à la critique violente de Vossler (cf. K. Vossler, Die göttliche Komoedie, Heidelberg, 1907-1910, traduction italienne, en 4 volumes, Bari, 1909-1927).
  • [33]
    Latini, Brunetto, Le Petit Trésor. Il Tesoretto, vv. 943-950, traduit de l’italien, présenté et annoté par Bertrand Levergeois, édition bilingue, Paris, Michel de Maule, 1997.
  • [34]
    Cf. Dante e l’Islam, I, pp. 179 et 192-193 et passim. Les réserves formulées par Bruno Nardi à propos de l’Éden sont néanmoins valables. Elles se fondent sur les recherches précieuses de G. Ricciotti, La cosmologia della Bibbia e la sua transmissione fino a Dante, Brescia, 1932.
  • [35]
    Cf. E. Cerulli, op. cit., chapitres XI-XV et B. Nardi, Pretese fonti, op. cit., pp. 359-361.
  • [36]
    Ricoldo da Montecroce entre dans l’ordre des dominicains en 1267 au couvent de Santa Maria Novella de Florence. Il part pour l’Orient en 1288 et s’arrête à Acre pour commencer sa prédication missionnaire en Orient. En 1289 il se trouve en Turquie, en Perse et en Mésopotamie. Il arrive à Bagdad où il séjourne en 1295-1296. Il revient à Florence en 1300-1301. C’est alors qu’il commence la rédaction de ses grandes œuvres Ad nationes orientales et Contra legem Sarracenorum. Sur la biographie de Ricoldo da Montecroce, cf. E. Panella, « Ricerche su Ricoldo da Montecroce », in Arch. Fratr. Praed., volume LVIII, 1988, pp. 5-22. Le texte Contra legem Sarracenorum a été réédité par J.-M. Mérigoux dans Memorie domenicane, XVII, 1986, pp. 60-144 avec une étude préliminaire, L’ouvrage d’un frère prêcheur en Orient à la fin du xiiie siècle, ibidem, pp. 1-58. Le chapitre XIV du Traité examine la soi-disant « vision de Mahomet » qui offre son point de départ à la réflexion d’ Asín Palacios. Si l’on considère que l’on a retrouvé dans la bibliothèque du couvent dominicain de Santa Maria Novella un codex du début du xive siècle qui contient, à partir du folio 185, le Contra legem (un manuscrit qui a peut-être été mis au point par Ricoldo lui-même), il faut bien conclure que Dante avait sous la main des sources directes rapportant l’ascension de Mahomet. Sur ce manuscrit précieux, cf. G. Pomaro, Censimento dei manoscritti della Biblioteca di Santa Maria Novella, parte I : Origini e Trecento, « Memorie domenicane », XIII, 1980, pp. 325-467 et, en particulier, p. 374 ; cf. aussi G. Rizzardi, Introduzione e Ricoldo da Montecroce, I Saraceni, cit., pp. 24-26 et passim.
  • [37]
    Cf. le bel essai de C. Sánchez-Albornoz, El Islam de España y el Occidente, in L’Occidente e l’Islam nel Alto Medioevo, Centro Ital. Sull’Alto Medioevo, Spoleto, 1965, tome I, pp. 149-308 (la citation se trouve à la page 293). Cf. aussi J. Vernet, La cultura hispano araba en Oriente y Occidente, Barcelone, 1978.
  • [38]
    M. Amari, Biblioteca arabo-sicula, Brockhaus, Lipsia, 1855-1857, trois volumes (puis, Turin Rome, 1881). Storia dei Musulmani di Sicilia, Florence, Le Monnier, 1854-1872, trois volumes (puis, réédition aux soins de C.A. Nallino, Prampolini, Catane, 1933-1939). Sur la tradition du xxe siècle, cf. les remarques de U. Rizzitano, « Gli arabi in Italia », in L’Occidente e l’Islam nel Alto Medioevo, op. cit., tome I, pp. 93-114.
  • [39]
    Ajoutons aux volumes précédemment cités les ouvrages d’ensemble de N. Daniel, Gli arabi e l’Europa nel Medioevo, traduction italienne, Bologne, Il Mulino, 1981, et Claude Cahen, Orient et Occident au temps des croisades, Paris, Aubier, 1983.
  • [40]
    H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris, 1940.
  • [41]
    Pour un exemple emblématique de « concordance » entre les cultures, cf. l’essai d’E. Cerulli, « Il “Libro della Scala” ed il “Setenario” del Re Alfonso il Savio », in Nuove ricerche sul « Libro della scala » e la conoscenza dell’Islam in Occidente, Biblioteca Ap. Vaticana, Città del Vaticano, 1972, pp. 11-18.
  • [42]
    Cf. l’essai de Sánchez-Albornoz, El Islam de España y el Occidente, op. cit., volume I, pp. 289-293.
  • [43]
    On en retrouve des traces vivaces et fascinantes dans la relecture de Pétrarque que proposera Ungaretti quand il compare le voile dont se couvrent les femmes d’Islam et qui fait ressortir l’intensité du regard au motif des yeux dans la poésie de Pétrarque. Cf. « Il poeta dell’oblio », 1943, in Vita d’un uomo. Saggi e interventi, édition de M. Diacono et L. Rebay, Milan, Mondadori, 1974, pp. 398-422 ; en particulier, p. 406.
  • [44]
    Cf. le Libro dei sette Savj di Roma, A. D’Ancona, Pise, Nistri, 1864, reprint Forni, Bologne, 1980.
  • [45]
    Ce qui passe par la Via Herákleia étudiée par Maria Corti (Percorsi dell’invenzione, cit, pp. 119-126) ou par les Baléares jusqu’aux colonnes d’Hercule et au-delà n’est pas moins riche de figurations et de connaissance (jusqu’à l’entreprise de Christophe Colomb) que la voie empruntée par Marco Polo, ou celle qui mène à Jérusalem ou à l’Inde d’Alexandre. Mais la voie d’Orient a pu jouir de recherches plus continues de L. Olschki à R. Wittkower dont nous citons l’étude « Marvels of the East : a Study in the History of Monsters », Journal of the Warburg and Courtauld Institute, V, 1942, pp. 159-197.
  • [46]
    Yĕhudā ha-Lēwī : Il re Khàzari, édité par Elio Piattelli, Turin, Bollati Boringhieri, 1991. L’apologue rapporte que le roi des Kahzàri, à la suite d’un rêve, interroge un philosophe, un sage chrétien et un sage musulman sur leur foi. Aucun ne le satisfait jusqu’à ce qu’il rencontre un sage juif qui l’instruit dans la foi juive. Il s’achemine alors vers la Terre Sainte.
  • [47]
    Si on prend en considération les trois premières nouvelles du Décaméron (« Ser Cepperello », I, 1 ; « Abraam giudeo », I, 2 ; « Melchisedech », I, 3), il ne fait aucun doute qu’elles argumentent toutes trois de fide. Comme je le montrerai plus tard, Boccace construit à travers ces nouvelles un apologue dissimulé : le bonum ne consiste pas dans la « conversion » des noms (Ser Cepperello > san Ciappelletto) ou des confessions (Abraam passe de juif à chrétien face à la « méchanceté des clercs »), mais dans la « conciliation », dans l’exercice de la compréhension et de la miséricorde réciproque.
  • [48]
    L’histoire de ce chemin philologique et exégétique a été retracée par G. Petrocchi, Itinerari danteschi, Milan, Franco Angeli, 1993 (seconde édition). Cf. aussi Enciclopedia dantescha, ad vocem.
  • [49]
    On peut regretter l’absence en Italie d’un instrument analogue à la collection des Études musulmanes dirigée par Étienne Gilson et Louis Gardet. Cette collection avait été inaugurée avec les essais toujours décisifs de Gardet et de Massignon et corroborée par la « Collection des Œuvres arabes de l’UNESCO » où parut Le livre des directives et remarques d’Ibin Sīnā aux soins d’A.-M. Goichon. La collection s’est progressivement enrichie de textes qui entretenaient de fortes relations avec le Moyen âge latin. Cf., entre autres exemples, l’édition du Livre de l’amour, du désir ardent, de l’intimité, du parfait contentement d’Al Gazālī, édité par M.-L. Siauve, Paris, Vrin, 1986, mais aussi le texte d’Al-Fārābi, Traité des opinions de la cité idéale, édition de T. Sabri, Paris, Vrin, 1990. Des commentaires précieux ont fait l’objet de réédition dans la collection Vrinreprise : cf. Les Sources Gréco-Arabes de l’augustinisme avicennisant, Paris, 1986. H. Corbin a retracé l’histoire prestigieuse des chercheurs de la Ve section de l’École Pratique des Hautes Études dans son essai « Problèmes et méthodes d’histoire des religions » (1968) repris dans L’Iran et la philosophie, Paris, Fayard, 1990. Sur le versant italien, il faut mentionner la collection des « Classici delle Religioni » (publiée à Turin chez UTET) ainsi que des initiatives comme la Biblioteca medievale.
  • [50]
    Il s’agit de deux chapitres de l’ouvrage déjà cité, Percorsi dell’invenzione. Maria Corti mentionne Lotman aussi bien dans l’essai qu’elle consacre à Dante (« Il viaggio di Ulisse nella Divina Commedia di Dante », in Testo e Contesto. Semiotica dell’arte e della cultura, trad. Ital. Bari, 1980) que dans l’essai théorique J.M. Lotman-B. Uspenskij, Tipologia della cultura, trad. ita. Milan, Bompiani, 1957.
  • [51]
    En Italie, la poésie et de la mystique islamique médiévale ont tardé à se manifester sur le versant philologique et théologique. Après la récupération de Sanâ’î avec l’édition de son Viaggio nel Regno del Ritorno (si précieux pour l’étude des rapports de Dante à l’Islam), publié par C. Saccone, Parme, Pratiche, 1993 et après celle du chef d’œuvre de Farid Ad-Din ‘Attar, Il verbo degli uccelli, publié par Saccone, Milan, SE, le projet raisonné des traductions de cette tradition a dû attendre longtemps. Cf. désormais, La sapienza dei profeti (Fusus al-Hikam), édité par T Burckhardt, Rome, éd. Mediterranee, 1987 ; Il libro dell’estinzione nella contemplazione, édité par R. Tawfik et R. Rossi Testa, Milan, SE, 1996 ; L’alchimia della felicità, édité par M. Jevolella, Côme RED,1996 ; L’epistola dei settanta veli, édité par A. Iacovella, Rome, Éd. Voland, 1997 ; Il nodo del sagace, édité par C. Crescenti, Milan, Mimesis, Milano ; Il mistero dei custodi del mondo, édité par C. Casseler, Turin, Il leone verde, 2001 ; L’interprete delle passioni, édité par Roberto Rossi Testa et Gianni De Martino, Milan, Urra – Apogeo, 2008.
  • [52]
    Cf. Maurice Halbwachs, La Mémoire collective, 1950. L’essai exemplaire pour l’histoire de la « migration » de ces modèles de la mémoire collective reste La Topographie légendaire des Évangiles en Terre Sainte ; étude de mémoire collective qui date de 1941.
  • [53]
    Cf. Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Alcan, 1925, Paris-La Haye, Mouton, 1976.
  • [54]
    Cf. la lecture de la Pala Bardi à Santa Croce proposée par C. Frugoni, Francesco. Un’altra Storia, Gênes, Marietti, 1988.
  • [55]
    Émile Mâle, « Les traditions légendaires sur l’Ancien et le Nouveau Testament », in L’art religieux au xiiie siècle en France, 1898, puis, Armand Colin, 1948, pp. 389-495.
  • [56]
    F. Pennacchietti, « Il parallelo islamico di un singolare episodio della passione di San Giorgio », Bollettino della Società per gli Studi Storici, Archeologici ed Artistici della Prov. Di Cuneo, 1992, n°107, pp. 101-110.
  • [57]
    P. Mandonnet, Siger de Brabant et l’avvéroïsme latin au xiiie siècle, Fribourg, 1899 ; Bruno Nardi, « Sigieri di Brabant nella Divina Commedia. Le fonti della filosofia di Dante », Rivista di Filosofia neoscolastica, III, 1911, pp. 187-195 ; et 526-545 et IV, 1912, pp. 73-90 et 225-239. F. Van Steenberghen, Les œuvres et la doctrine de Sigier de Brabant, Bruxelles, 1938 : Étienne Gilson, Dante et la philosophie, Paris, Vrin, 1939 et 1972.
  • [58]
    Cf. Bruno Nardi, Dante e la cultura medievale, 1941, puis, avec l’introduction de Tullio Gregory, Bari, Laterza, 1983. Ce point de vue est partagé plus récemment par Maria Corti, Percorsi dell’invenzione, op. cit. et par A. Gagliardi, Ulisse e Sigieri di Brabante. Ricerche su Dante, Catanzaro, Pullano, 1992.
  • [59]
    Dante, Le Banquet, in Œuvres complètes, traduction et commentaire André Pézard, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1965, p. 347.
  • [60]
    Boccaccio, Esposizione sopra la Comedia di Dante, édition de G. Padoan in Tutte le opere, volume VI, Milan, Mondadori, 1965, exposition au chant I, p. 61. Cf. aussi, l’exposition du chant III, p. 141.
  • [61]
    C’est la thèse vers laquelle semble pencher G. Petrocchi, Itinerari danteschi, op. cit., chapitres II et III.
  • [62]
    Summa theologicae, Secunda Secundae, qu. 175, art. 2. Somme théologique, Paris, éditions du Cerf, tome 3, 1985, p. 997.
  • [63]
    Contra Gentiles, III, chapitre LII, traduit par Vincent Aubin, Cyrile Michon et Denis Moreau, Paris, GF, 1999, III, p. 193. Ce texte est cité par A. Gagliardi, Ulisse e Sigieri di Brabant, op. cit., p. 142.
  • [64]
    Cf. Maria Corti, La felicità mentale, cit. ; et A. Gagliardi, op. cit., pp. 42-43.
  • [65]
    L’ouvrage de Claudio Sánchez-Albornoz trouve aussi son horizon dans ce distique de Machado. Cf. El Islam de España y el Occidente, in L’Occidente e l’Islam nel Alto Medioevo, tome I, p. 281.

1Nous publions la traduction de la préface que Carlo Ossola avait rédigée en 1993 pour la réédition italienne de L’escatologia islamica nella Divina Commedia (Parme, Pratiche, 1994, puis Il Saggiatore, 2008) de l’arabiste espagnol Miguel Asín Palacios (1871-1944).

2L’eschatologie islamique dans la Divine Comédie (qui a connu aussi une version française publiée en Italie chez Arche, Milan, 1992) paraît en 1919. Miguel Asín Palacios y compare systématiquement la vision eschatologique de la Divine Comédie avec d’autres règnes imaginaires de l’au-delà décrits dans des œuvres littéraires et religieuses arabes. Miguel Asín Palacios y met en évidence, pour la première fois, le strict parallèle qui existe entre l’ascension de Dante et Béatrice à travers les sphères du Paradis et l’ascension, ou mi’ rāğ, qui conduit Mahomet de Jérusalem au trône de Dieu. Cette ascension est elle aussi précédée par un voyage nocturne ou isrā, à travers les demeures infernales – Asín Palacios peut alors écrire : « la légende musulmane m’est apparue alors, à l’improviste, comme un des types précurseurs de la Divine Comédie ».

3Le travail du philologue a consisté à relever que l’architecture des règnes d’outre-tombe décrite par Dante n’a aucun précédent dans la culture romane des « voyages dans l’au-delà ». Elle ne peut donc être expliquée que par la seule tradition du mi’ rāğ de Mahomet. Cette explication vaut pour la structure (c’est-à-dire la distribution des peines dans l’Enfer et la succession des ciels dans la contemplation du Paradis) mais aussi pour la structure fonctionnelle et conceptuelle de la Comédie. Elle concerne aussi la loi du talion (contrappasso) pratiquée dans l’Enfer dantesque et la métaphysique de la lumière.

4La polémique qui a suivi la publication L’eschatologie islamique dans la Divine Comédie fut considérable. Elle n’a pas cessé. Cet ouvrage connaîtra plusieurs rééditions. En 1924, Miguel Asín Palacios y ajoutait une Histoire et critique de la polémique. La troisième édition date de 1961. C’est elle qui a été rééditée en 1984.

5Voici quelques articles récents qui permettent de situer la polémique :

  • D. Baroncini, « Asín Palacios e le fonti arabe della Commedia », Studi di Estetica, s. 3a, 23, XIXII, 1995, 1-2, pp. 192-198 ;
  • F. Cisneros, « Dante e l’Islam nella Commedia », in La Italia del siglo XX, 2001, pp. 205-234 ;
  • S. Rapisarda, « La “Escatologia dantesca” di Asín Palacios nella cultura italiana contemporanea. Una ricezione ideologica », in Echi letterari della cultura araba nella lirica provenzale e nella Commedia di Dante », 2006, pp. 159-190 ;
  • G. Tardiola, « “Ancor nel libro suo che ‘Scala’ ha nome…”. In occasione della traduzione italiana della “Escatologia” di Asín Palacios », in Letteratura Italiana Antica. Rivista annuale di testi e studi, 1, 2000, pp. 59-67

6On comprendra mieux les enjeux de ces polémiques grâce à l’ouvrage récent de Andrea Celli, Figure della relazione. Il Medioevo in Asin Palacios e nell’arabismo spagnolo (Roma, Carocci, 2005).

7Les traductions de la Divine Comédie sont celles de Jacqueline Risset (Paris, GF-Flammarion, 2004).

8***

9

caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Antonio Machado

1 – Toi, note

10Dans le Liber de scala, une fois achevé sa visite de l’Enfer et du Paradis, l’archange Gabriel s’adresse au Prophète en ces termes :

11

Post hec autem dixit michi Gabriel : « Machomete, habes tu bene cordetenus omnia que uidisti ? » Ego respondi : « Utique. » Tunc ipse : « Vade ergo et prout hec uidisti sic omnia tuo dicas populo et ostendas ut ea sciant, et legis teneant uiam rectam ; pensent eciam et procurent quomodo in paradisum uadant et se custodiant ab inferno. »[1]

12Après cela, Gabriel me dit : « Mahomet, as-tu bien retenu au fond de ton cœur tout ce que tu as vu ? » Je répondis : « Oui. » Alors, lui : « Va donc, et ce que tu as vu, dis-le et révèle-le à ton peuple pour que les gens sachent et restent dans le droit chemin de la loi, pour qu’ils prennent leurs dispositions et leurs précautions, de façon à aller au paradis et à se garder de l’enfer. » [2]

13C’est de la même manière que Béatrice, dans le paradis terrestre, au moment où la vision apocalyptique s’achève sous forme de procession au sommet de la montagne, commande les paroles de Dante :

14

Tu nota ; e sì come da me son porte,
cosí queste parole segna a’ vivi
del viver ch’è un correre a la morte.
Toi, note et, comme je dis ces mots,
rapporte-les tels quels aux autres vivants,
dont la vie est une course à la mort. [3]

15La proximité des textes, qui va jusqu’au parallèle des formules stylistiques impératives, plus nette ici (au moment de la clôture du chant du « temps humain », c’est-à-dire, là où le temps de la fin est représenté dans le lieu même des origines) que dans toute autre consécration solennelle du poème [4], semble récapituler de la manière la plus forte tous les éléments qu’Asín Palacios a tenté de réunir (avec quelle érudition on le sait), pour motiver le rapprochement de la Divine Comédie et de la tradition du mi’ rāğ, l’ascension de Mahomet. Le grand érudit ne connaissait pas le Liber de scala, et nous ne pouvons donc pas trouver ce rapprochement dans son répertoire admirable et incomplet qui ne se contente pas de recueillir les sources, les parallèles, les analogies, les ressemblances, mais qui procède aussi à leur accumulation afin de faire se rejoindre les deux traditions islamique et romane des « voyages dans l’au-delà ». Proposer à nouveau, au début du xxie siècle une recherche qui s’appuyait essentiellement sur des sources de la fin du xixe siècle [5], ne peut se justifier qu’à la condition de lire la somme d’Asín Palacios avec le Liber de scala. Mieux : une telle entreprise se nourrit du désir d’ouvrir à nouveaux frais l’inventaire de la culture romane et néolatine qui se trouvait à la disposition de Dante.

16Mais on ne saurait non plus cacher qu’une fois qu’on l’aura ainsi « feuilleté », le volume de Dante s’enrichira encore davantage de cette universalité que l’auteur pressentait et revendiquait (« poema sacro/ al quale ha posto mano e cielo e terra – le poème sacré où le ciel et la terre ont mis la main » ; Paradis, XXV, vv. 1-2) : c’est pourquoi il excède toutes les annexions qui entreprendraient de « territorialiser » ses sources. Et il suffirait pour le prouver, à propos de l’allégation de la forte contiguïté qui pourrait exister entre la Divine Comédie et le Liber de Scala, de rappeler que c’est ce même mouvement d’injonction et d’autorisation qui accompagne toujours le prophète de l’Ancien Testament :

17

Il dit alors : Va, et dis à ce peuple : « Vous entendrez, et vous ne comprendrez point. ».
(Isaïe, VI, 9)

18

Ainsi parle l’Éternel des armées, le Dieu d’Israël : « Va, et dis aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem. ».
(Jérémie, XXXV, 13)

19Et que c’est ce même mouvement qui se répète enfin, dans le livre de l’Apocalypse avec un geste que Béatrice refera elle aussi avec Dante au moment où s’achève la figuration apocalyptique :

20

Et la voix, que j’avais entendue du ciel, me parla de nouveau, et dit : « Va, prends le petit livre ouvert dans la main de l’ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre. ».
(Apocalypse, X, 8)

21Ainsi, au moment même où s’ouvrent les grandes vannes de la culture islamique médiévale dans ses contacts avec l’Occident chrétien, une question se pose, d’une toute autre complexité : à savoir si ce ne serait pas encore le « grand code » biblique, à la fois canonique et apocryphe qui agirait en sous-main à la manière d’une référence commune aux deux traditions. C’était, on s’en souvient, l’hypothèse que formulait Cerulli en conclusion de son édition exemplaire :

22

Et, du côté des arabes, il s’agit de données et de croyances qui au sein même de leur élaboration musulmane, révèlent par bien des côtés leur origine commune avec les données et les croyances de l’Orient chrétien et du judaïsme. Il ne fait aucun doute que Dante pouvait directement accéder aux sources originales, chrétiennes et judaïques, de ces données musulmanes, sans passer nécessairement par les arabes. Il admet les connaître :
per Moisè, per profeti e per salmi,
per l’Evangelio e per voi che scriveste
poi che l’ardente Spirto vi fé almi.
par Moïse, par les prophètes et par les psaumes,
par l’Évangile, et par vous qui avez écrit
après que l’Esprit ardent vous eut fait saints
(Paradis, XXIV, vv. 135-138) [6].

23On trouve une confirmation ultérieure de cette hypothèse dans la littérature apocryphe vétérotestamentaire, et en particulier dans la grande efflorescence du cycle d’Énoch qui, dans certaines de ses branches, et en particulier, dans Le livre secret sur l’enlèvement d’Énoch le Juste, correspond précisément au Liber de scala et s’achève exactement sur la même injonction, qui se retrouvera chez Dante, à prendre bonne note de la vision :

24

Le Seigneur appela un de ses archanges qui était habile à retranscrire toutes les œuvres du Seigneur. Le Seigneur dit à : « Prends des livres dans les dépôts, un calame et dicte-lui les livres. […] Vriel me dit alors : « assieds-toi, et écris tout ce que je t’ai exposé » [7].

25Quand Asín exposa les éléments de cette vertigineuse ascension céleste du monde islamique, la réaction fut généralement défensive, au point qu’elle a pu conduire à une restriction mortifiante de la bibliothèque de Dante. En témoigne l’attitude de Bruno Nardi quand il fit le compte-rendu des œuvres de Asín et de Cerulli, dans un essai dont l’ambition était pourtant de faire le point sur la culture philosophique de Dante :

26

Je suis convaincu que Dante ignorait bien des choses que certains de ses contemporains bien plus savants que lui connaissaient. Je suis persuadé, par exemple, qu’à part le commentaire de l’Éthique d’Aristote, il ne savait pas grand-chose des autres écrits de Saint Thomas et qu’il avait un connaissance très superficielle de la Somma Contra Gentiles, même s’il la cite trois fois. Ses connaissances scientifiques n’allaient pas au-delà de ce qui était largement répandu à l’époque. Et il n’est pas jusqu’à ses connaissances littéraires qui ne présentent des lacunes surprenantes. Il ignore le retour d’Ulysse à Ithaque et la disparition de ses compagnons […]
Et pourtant, il se peut bien que le fait d’avoir ignoré toutes ces choses que savaient ses contemporains, loin de lui avoir nui, lui ait été d’un grand profit. En effet, libre de toute cette érudition littéraire encombrante, il a pu créer son Ulysse, en le tirant de son imagination toute puissante et il a pu ainsi se mesurer avec Homère sans redouter d’être vaincu par lui. Disons-le sans fausse modestie : nous sommes beaucoup plus savants que Dante, et c’est peut-être pour cela que nous ne sommes pas des poètes. [8]

27Or, c’est justement à propos d’Ulysse que le savoir de Dante semble avoir dépendu pour l’essentiel de « canaux d’information arabes et castillans » [9] : c’est du moins ce que Maria Corti a démontré [10], et elle rappelle, parmi les sources les plus certaines du poète, cette Crónica general d’Alphonse le Sage qui contient justement de larges extraits de la légende de l’ascension de Mahomet – ce qu’avait déjà souligné l’étude de Cerulli [11].

28L’autre réaction, symétrique et pour ainsi dire opposée à celle-ci consiste à « faire remonter en arrière » à l’origine, les apports d’Asín, et à dériver ce que Dante sait de la légende de l’ascension de Mahomet d’une souche biblique commune, dans laquelle se grefferait solidement la leçon classique (Virgile, en particulier) pour se disséminer ensuite dans l’imaginaire médiéval : depuis la Légende des trois moines d’Orient à la Vision de Saint Paul, de la Légende du Purgatoire de Saint Patrice à la Vision d’Albéric, depuis la Vision du Chanteur de Regio à la Navigation de saint Bredan, sources que Asín prend en considération dans la troisième partie de son essai.

29Le Dante qui apparaît au terme de ce parcours n’est pas très différent de celui que Curtius a décrit lucidement [12] : un Dante, auteur classique[13], avant toutes choses et, aussi, une Divine Comédie qui « se présente, une dernière fois, comme le théâtre universel du Moyen-âge latin » [14].

2 – D’Alī à Melchisédech

30Ce théâtre universel où entrent en scène, selon le calcul de Curtius, plus de 500 figurants [15], reste cependant sans analogue satisfaisant : « la dantologie a encore une grande tâche à accomplir : étudier méthodiquement les rapports de Dante avec le Moyen Âge latin » [16]. Et c’est de là qu’il faut repartir, si l’on ne va pas laisser se perdre la riche moisson de suggestions récoltées par Asín Palacios. On pourrait au moins les classer en fonction des trois directions suivantes : a) les textes latins ou romans qui, outre le Liber de scala, ont apporté à Dante des personnages et des éléments de l’histoire et de la mystique latine ; b) la culture romane dans sa tradition islamo-arabe passée le long des filières siciliennes et provençales jusqu’au stil novo, puis jusqu’à la Vita Nuova, au Banquet et aux Rimes de Dante ; c) la relecture du Paradis, aussi bien pour ce qui est la « métaphysique de la lumière », que pour la valeur emblématique de Sigier [17].

31Pour ce qui est du premier ensemble, la recherche de Asín Palacios mérite encore la réputation qu’elle a acquise lors de sa publication et tout au long des polémiques qui n’ont cessé d’entourer cette œuvre [18]. Ce qu’il importe de distinguer, désormais, dans la grande « machine démonstrative » érigée par le chercheur, est la mesure de ce que Dante a pu connaître directement (et non pas à travers d’autres sources) de cet univers textuel et figural – que ce soit par le Liber de scala, ou par d’autres intermédiaires latins ou romans. Il se trouve que Maria Corti elle-même a surmonté les réserves prudentes de Cerulli pour épouser la thèse topologique d’Asín Palacios. Elle affirme en effet que « l’influence de cette œuvre est plus structurale que ponctuelle, c’est-à-dire qu’on peut penser qu’elle a agi sur l’idée de la construction du poème dans son ensemble, et seulement de manière locale sur tel ou tel épisode » [19]. Une des idées à laquelle Asín Palacios tenait le plus était justement que l’architecture de la Divine Comédie telle que Dante l’avait conçue ne connaît aucun correspondant dans la tradition des « voyages dans l’au-delà » de la tradition romane [20] si l’on ne fait pas référence à la tradition du mi’ rāğ de Mahomet [21] qui permettrait seule d’expliquer la distribution des peines de l’enfer et les ciels de la contemplation [22]. Il reste qu’on ne saurait isoler l’hypothèse structurale, sous peine de la voir se dissoudre dans les ruisseaux des traditions apocryphes de la Bible et des nombreux voyages médiévaux dans le paradis terrestre. Il faut la corroborer par d’autres faits textuels : pour l’enfer, par le fait que les lieux sont fonctionnels à l’économie du talion (contrappasso) ; pour le paradis, par le caractère progressif de la vision dans ce déploiement de la « métaphysique de la lumière » dont saint Thomas avait déjà déclaré qu’il la devait à la tradition philosophique arabe.

32Il n’est donc pas nécessaire de récapituler ici les symétries structurelles qu’Asín Palacios avait déjà soulignées [23] et que Maria Corti a pu confirmer [24] ; il vaut mieux revenir sur la commination des peines qui obéit, dans l’univers infernal islamique, à une loi du talion (le « contrappasso ») rigoureuse qui semble être le legs fonctionnel le plus consistant de cette tradition à la Divine Comédie.

33Je ne crois pas qu’on ait assez souligné que la déclaration dantesque de la loi du talion (« Così s’osserva in me lo contrapasso/ Ainsi s’observe en moi la loi du talion » ; Enf., XXVIII, 142) constitue un véritable hapax sur lequel s’achève justement ce chant XXVIII de l’Enfer où se rassemblent les figures de Mahommet et de ‘Alī. Dans un commentaire récent de la « peine épouvantable » (« pena molesta », XXVIII, 130), Anna Maria Chiavacci Leonardi indique des sources vétero-testamentaires, quelques définitions de saint Thomas, ainsi qu’une occurrence de la Visio Tungdali[25] : mais aucune de ces références ne présente la variété typologique et la richesse figurale à l’œuvre dans le système du mi’ rāğ islamique : comme si Dante avait voulu déclarer (en cette seule et unique fois) la structure du contrappasso au lieu éponyme de sa figure originale : justement à la clôture du chant où apparaissent Mahomet et ‘Alī.

34Rappelons en outre que dans ce même chant XXVIII, la mort d’‘Alī est représentée ainsi : « Dinanzi a me sen va piangendo Alì,/ fesso nel volto dal mento al ciuffetto – Ali devant moi s’en va en pleurant, / la face fendue du menton à la houppe » (vv. 32-33). Or si les termes de cette évocation ne se retrouvent dans aucune des traditions et des chroniques pratiquées par Dante [26], la référence précise d’Asín à une tradition islamique bien consolidée et en tout point concordante (« Ton assassin – lui disait Mahomet – te donnera un coup là-dessus – et il lui touchait le crâne – et le sang de la blessure mouillera celle-ci – et il lui touchait la barbe » [27]) semble difficilement discutable : il faudrait à tout le moins trouver, dans l’absence de témoins proches de Dante, les intermédiaires qui auront pu lui fournir cette information et un tel ictus mortis.

35Il semble difficile de lire différemment les références à la tradition islamique condensées dans l’épisode de Bruno Lattini, le maître de Dante, et sans doute, l’intermédiaire pour le Liber de Scala : cette humble marche accomplie « a’panni » (sur [ses] pas – Enfer, XV, v. 40) à laquelle est obligé Brunetto, ce renversement dramatique des positions entre le disciple et le maître (« Io non osava scender de la strada/ per andar par di lui ; ma’l capo chino/ tenea com’uom che reverente vada – « Je n’osais pas descendre de la berge pour aller près de lui ; mais je tenais la tête baissée comme qui chemine avec respect » ; vv. 43-46), reflète exactement le même supplice que la tradition islamique réserve aux « savants qui n’ont pas accordé leur conduite aux enseignements » :

36

Jetés en enfer, ils se verront condamnés à tourner sans pause ni répit [« “O figliuol”, disse, “qual di questa greggia/ s’arresta punto, giace poi cent’anni/ sanz’arrostarsi quando ‘l foco il feggia [..]” » – « “Ô fils”, dit-il, “quiconque s’arrête un peu/ dans ce troupeau gît ensuite pour cent ans/ sans pouvoir s’abriter quand le feu le blesse” » – Enfer, XV, vv. 37-39] comme le font les ânes quand ils tournent autour d’une noria, d’une machine ou d’un moulin.
Certains disciples qui les avaient connus dans le monde, les verront depuis le ciel ou depuis l’enfer lui-même, et demanderont quand ils les auront reconnu en les accompagnant dans leur ronde : « Qu’est-ce donc qui vous a conduits ici, si c’est de vous et de vous seulement que nous savons tout ce que nous avons appris ? » [28]

37Ajoutons enfin qu’il n’est pas jusqu’à la terrible punition de Bertrand de Born (« e’l capo tronco tenea per le chiome,/ pesol con mano a guisa di lanterna : […] Di sé facea a sé stesso lucerna – « il tenait sa tête coupée par les cheveux, suspendue à la main comme une lanterne : […] De soi-même à soi-même il faisait un flambeau » Enfer, XXVIII, vv. 121-124) qui ne trouve son exact correspondant parmi les sources islamiques recueillies par Asín :

38

En ce jour [celui du Jugement dernier], l’assassiné conduira l’assassin par la main, portant par les cheveux sa tête tranchée qui versera du sang par la veine jugulaire et il dira : « Ô Seigneur ! Demande-lui pourquoi il m’a assassiné ? » [29]

39On peut donc conclure qu’ici, comme souvent dans la Comédie, un chant est porteur de la mémoire stylistique des auteurs qu’il met en scène. Il va ainsi dans le chant XXVIII où Dante rappelle la figure de Bertrand en paraphrasant sa chanson Si tuit il dol[30], mais aussi avec Mahomet et ‘Alī qui sont représentés selon les modalités de l’eschatologie dont ils sont les représentants (et il en va de même de Brunetto Lattini qui fut le vénérable intermédiaire de ces visions).

40Et pour ce qui est de Brunetto, il faut reprendre vigoureusement l’hypothèse formulée par Jauss qui considérait le Tesoretto [31], son poème allégorique, comme la reprise de ses modèles poétiques (Boèce, Alain de Lille, Guillaume de Lorris) mais aussi philosophiques et encyclopédiques (y compris les sources arabo-hispaniques). Et quand bien même on n’irait pas aussi loin que Georges Hees qui voulait voir dans le Tesoretto un « voyage dans l’au-delà à la hauteur de la Divine Comédie » [32], il reste que ce poème est bien plus qu’un congestiorum : une préfiguration, presque, de nombreux épisodes mémorables de la Comédie, depuis l’errance au cœur de la forêt où l’on se perd, jusqu’aux aux quatre fleuves édéniques. Rappelons la morphologie du Paradis Terrestre et de ses fleuves :

41

io vidi apertamente
come fosse presente
i fiumi principali,
che son quattro, li quali,
secondo il mio aviso
movon il Paradiso,
ciò son Tigre e Fisòn,
Eofrade e Giòn ;
je vis ouvertement,
comme s’ils étaient présents
les fleuves principaux
qui sont au nombre de quatre
lesquels, à mon avis,
parcourent le Paradis,
ce sont le Tigre et le Pishôn
l’Euphrate et le Gihôn[33] ;

42Soit : cette morphologie ramène plus près les sources « édéniques » qu’Asín va chercher dans la culture islamique [34] et que ses détracteurs ont voulu faire refluer vers des rivages romans à la fois trop nombreux et trop étendus [35]. On comprend mieux à cette occasion la méthode qu’il faut suivre avec les textes offerts par Asín Palacios à la relecture de la Comédie : il ne saurait s’agir du calque d’une copie sur son modèle (comme semble le vouloir Asín), mais bien plutôt d’une reprise d’intermédiaires plus familiers à Dante, en partie déjà délimités (Brunetto, le Liber de scala) et qu’il faut encore identifier le long des voies de l’itinerarium médiéval : un itinéraire qui n’est pas seulement celui qui se déroule mentis in Deum, mais qui correspond aussi à une peregrinatio vers Jérusalem comme vers Saint Jacques de Compostelle, en parcourant les itinéraires et les notices précieuses que Ricoldo da Montecroce a pu léguer à la Florence de Dante [36] – en traversant, de Rome jusqu’à Tolède, les trois livres et les trois cultures : « Tolède, comme umbilicus de la culture latine, arabe et juive » [37].

43Une telle entreprise signifie d’abord qu’on remédie aux exclusions culturelles que la civilisation médiévale ignorait : tout comme Asín Palacios est incroyablement absent de l’Enciclopedia Dantesca, on a oublié l’héritage de cette fresque admirable que fut le monumentum historique érigé par Michele Amari dans sa Biblioteca arabo-sicula, ainsi que cette autre fresque non moins merveilleuse que forme la Storia dei Musulmani di Sicilia[38]. À quarante ans de distance, les deux volumes de L’Occidente e l’Islam nell’Alto medioevo[39], restent encore exemplaires dans leur effort pour faire tenir ensemble ce que la recherche emblématique de Pirenne avait placé comme le grand commencement d’une fracture qui ne s’est toujours pas recomposée : Mahomet et Charlemagne[40].

44Et il ne s’agit pas seulement de l’œuvre souvent rappelée d’Alphonse le Sage [41], mais aussi de celles de Burgos García Gudiel (1274-1280) et de ses collaborateurs, Juan Gonzáles et du juif Salomón [42], dans leur entreprise de traduction des œuvres d’Avicenne. Et si de la Murcie d’Ibn ‘Arabī ou de la Cordoue d’Ibn Massara, on passe à Palerme, l’influence arabe n’apparaît pas moins forte à la prestigieuse cour de Frédéric II. Cette influence fut déterminante pour les origines mêmes de la poésie sicilienne (comme pour celles de la poésie provençale) et, en définitive, pour l’héritage profond transmis ainsi au stil novo, à Dante lui-même et à Pétrarque enfin [43]. Mais les contaminations et les croisements culturels ne se limitent certes pas aux rivages de la Méditerranée : les arabes n’ont pas seulement joué le rôle de médiateurs vers l’Occident des textes philosophiques, scientifiques et mystiques, mais aussi, depuis l’Orient, où l’essaimage des Croisades a rapporté des échos du merveilleux inventaire des narrabilia du monde de l’Inde et de la Perse, comme le démontre en arabe et en sanscrit, puis en hébreu, en grec et en latin, le merveilleux recueil de paraboles et de nouvelles de Sindbād, de Sendabar, de Syntipas, et enfin, de l’Historia Septem Sapientium[44]. À côté des célèbres Marvels of the East, il faut aussi rétablir les Marvels of the West[45].

45C’est si l’on fait référence à la conscience partagée d’une émulation prestigieuse des trois cultures, greco-arabe, hébraïque et latino-chrétienne et à la considération (fondée et répandue) que seule leur « concorde » serait porteuse de sagesse, que l’on peut expliquer des formalisations narratives aussi solidaires et abouties que celles qui vont de l’apologie du juif castillan qui dicte au xiie siècle Le roi des Khazàri[46], à la célèbre nouvelle de Boccace « Melchisédech le juif », (nouvelle qui présente de nombreux aspects synthétiques) et des « trois anneaux », qu’il faut lire, du reste, avec la nouvelle contiguë consacrée à « Abraham Juif », comme le véritable début du Décaméron[47].

46Retrouver cet anneau est une tâche toujours à venir et que la considération de l’étude d’Asín Palacios rend plus urgente encore ; le retard à combler ne concerne pas Dante seulement, mais Asín lui-même : comment pouvait-il être perçu en 1919 ? D’un côté, c’est le binôme poésie/ non-poésie de Croce qui l’emportait (et les études Asín Palacios s’inscrivaient très certainement sur le versant de la non-poésie) ; de l’autre, c’était la haute idée d’un Dante « initié » et mystique, avancée par Pascoli, qui suggérait la vision d’un « riprofondato nel miro gurge » et, contribuait peu après, en bénissant l’aventure en Lybie (La grande proletaria s’é mossa, 1911), à éloigner et à affaiblir l’image de ce monde arabe qui n’allait pas cesser d’être l’objet de conquêtes militaires jusqu’aux néfastes chemises noires. (Et qu’il soit aussi rappelé avec tendresse qu’à l’époque, la Société Dantesque faisait tout ce qu’elle pouvait pour défendre les origines florentines de Dante, qu’il s’agisse d’établir le texte critique de la Comédie, ou de ne pas trop décentrer les pôles cultures du gibelin fugitif) [48].

47Il faut désormais combler ce retard : qu’il s’agisse de retrouver les « anneaux » qui permettent de relier la pensée philosophique et théologique, ou de retrouver les nombreux fils qui traversent « l’imaginaire littéraire » [49].

48Maria Corti a évoqué le concept lotmanien de « typologie de la culture » : à ce propos, elle a tenté d’articuler, avec une grande finesse de méthode et une grande richesse de résultats, surtout pour ce qui est de la « fable » d’Ulysse, « Le livre de la mémoire » et les livres de l’écrivain[50]. Je préférerais pour ma part m’inspirer d’un historien des voyages en terre sainte qui fut aussi un grand théoricien de la « mémoire collective » [51] pour parler des « cadres sociaux de la mémoire » [52]. Or ces « cadres sociaux » ne passent pas seulement à travers l’écrit, mais ils agissent aussi le long des sinopies mentales que le visible dépose. Ainsi, tout comme la légende de san Francesco, selon la belle démonstration de Maria Chiara Frugoni, ne laisse pas seulement ses franges les plus ardues dans les écrits, mais parfois dans les tableaux [53], et comme les apocryphes de la vie de Jésus qui eux aussi, et plus encore peut-être, ont vécu davantage dans les sculptures des portails médiévaux que dans les codex – ce sont du moins les conclusions de Mâle, suivi par Asín Palacios [54] ; des filons importants des légendes islamiques se sont infiltrés dans la réécriture murale à plusieurs mains de la legenda aurea médiévale, selon le bel exemple de la « passion de saint Georges », que Fabrizio Pennachietti a su étudier avec une grande largeur de vues [55].

49Et ce n’est qu’une fois que tous les « nœuds » de cet entrelacs de culture auront été retrouvés, qu’on pourra enfin les dénouer comme il se doit. C’est bien la leçon de celui qui avait dû, pour réduire ces nœuds et les défaire, les parcourir d’abord avec le plus grand soin dans le Pugio fidei adversus mauros et judaeos : « Quoniam autem, ut ait Aben Reschod, nescit nodos solvere, ut convenis, qui eos prius nodare non noverit » [56].

3 – « Quasi per aliud a se »

50Et Sigier reste là à « sillogizz[are] invidïosi veri – à syllogiser ces vers qui lui firent tort » (Paradis, X, 138) : les thèses d’Asín Palacios ne sont pas seulement morphologiques, mais, avec l’essai El averroísmo teológico de S.to Tomás de Aquino, elles touchent aux racines mêmes de la théologie de Dante, à la signification de son voyage, à sa « lisibilité ». On ne saurait revenir ici sur les débats qui traversent depuis un siècle la critique de Dante, de Madonnet jusqu’à Bruno Nardi, de Asín Palacios à Gilson [57]. Indiquons seulement que tous s’accordent pour se concentrer sur la « dignité » de la connaissance dans le binôme sans voile Ulysse/ Sigier [58].

51« Connaissance » (« canoscenza », Enfer, XXVI, v. 120) et connaissance de la vérité sont du Banquet à la Comédie, les sources, le « propre » de la béatitude : « potemo la veritade speculare, che è ultima perfezione nostra, sì come dice lo Filosofo nel sesto dell’Etica, quando dice che ’l vero è lo bene dello ’ntelletto/ nous pouvons spéculer la vérité, qui est notre perfection dernière, comme dit le Philosophe au sixième Livre de l’Éthique, quand il dit que le vrai est le bien de l’intellect » (Banquet, II, XIII, 6) [59]. C’est bien ce qui explique le sort des damnés. Ils ont perdu le sens « téléologique » de la vérité : « tu vedrai le genti dolorose / c’hanno perduto il ben de l’intelletto – tu verras les foules douloureuses / qui ont perdu le sens de l’intellect » (Enfer, III, vv. 18-20). Et c’est ce qui explique aussi la glose de Boccace, fidèle disciple de cette tradition thomiste averroïste : « et c’est pourquoi l’on dit des damnés qu’ils dorment dans le sommeil de la misère, parce qu’ils ont perdu la capacité de voir, de connaître et de goûter le bien de l’intellect, en quoi consiste la gloire des béats » [60].

52La Divine comédie offre-t-elle une ascèse de l’intellect [61] ou une union mystique en Dieu ? Quand saint Thomas se demande si le ravissement relève de la faculté de connaissance, ou d’appétit, il répond que c’est aussi l’excessus mentis qui sous-tend l’impulsion de la vis cognoscitiva :

53

Nous pouvons entendre le ravissement de deux manières. Par rapport à son objet. Ainsi, à proprement parler, le ravissement ne peut pas concerner la puissance appétitive, mais seulement la puissance cognitive. On vient de voir en effet que le ravissement se fait en dehors de l’inclination naturelle de celui qui est ravi. Or le mouvement de la puissance appétitive est une inclination vers le bien désirable. Par suite, à proprement parler, l’homme qui désire un bien n’est pas ravi, mais se meut par lui-même [62].

54Au moment où l’ascèse et la vision semblent guidées fermement et résolues dans l’intellect, les « vers » de Sigier semblent plus proches et moins « individïoso ». Et pourtant, quand saint Thomas parcourt à nouveau cette voie, une légère cassure apparaît :

55

Une substance intellectuelle ne peut donc voir Dieu par l’essence divine elle-même que si c’est Dieu qui le fait. Qui plus est. La forme propre d’une chose ne devient celle d’une autre que sous l’action de la première chose : l’agent, en effet, produit ce qui lui est semblable en tant qu’il communique à un autre sa propre forme. Or, il est impossible de voir la substance de Dieu si l’essence divine n’est pas la forme par laquelle l’intellect pense [quasi per aliud a se]. Il est donc impossible qu’une substance créée parvienne à cette vision si ce n’est par l’action divine [63].

56Quasi per aliud a se : à nouveau la joie de la pensée [64] se sépare du Pensé ; c’est pourquoi le Sigier de Dante brûle de mettre fin à ce chemin et à cette distance, « che ‘n pensieri / gravi a morir gli parve venir tardo – d’un esprit aux si graves pensées / qu’il trouva que la mort était lente à mourir » (Paradis, X, 134-135). C’est pourquoi, à la fin, toute « luce intellettüal, piena d’amore/ lumière intellectuelle, pleine d’amour » (Paradis, XXX, 40) renvoie bien plus au cheminement qu’à l’union elle-même :

57

caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Marcheur, tu n’as pas de chemin,
Le chemin se fait à la marche. [65]


Date de mise en ligne : 01/10/2016

https://doi.org/10.3917/poesi.127.0025

Notes

  • [1]
    Liber Scalae Machometi [Paris, Bibl. Nat., Cod. Lat. 6064], LXXIX, § 202. La version latine et française (établie d’après un exemplaire réduit de l’arabe au castillan par Abraham Alfaquim) est due à Bonaventure de Siene, « domis regis notarius et scriba », sujet à la cour d’Alphonse en 1264. Rappelons que Brunetto Latini, le maître de Dante se rend à la cour d’Alphonse dans les mêmes années (1259). Un autre codex, le Vat. Lat. 472, contient en plus du Liber de Scala la Collectio Toletana, c’est-à-dire un spicilège de textes qui contient le Coran que Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, avait recueillis et fait traduire. C’est donc par de nombreuses voies, comme l’indique Asín Palacios que cette tradition pouvait être connue par Dante.
  • [2]
    Le Livre de l’échelle de Mahomet, Paris, Lettres Gothiques, 1991, traduction de Gisèle Besson et Michèle Brossard-Dandré, pp. 322-323. Cf. aussi Il libro della scala di Maometto, traduction de R. Rossi avec une note de C. Saccone (Studio Editoriale, Milan, 1991, p. 122). L’essai de Saccone retrace l’histoire des fortunes et surtout des infortunes de la thèse d’Asín au xxe siècle (pp. 155-198). Cf. aussi C. Saccone, « La Divina Commedia e una Commedia musulmana », Studia patavina, XXXIX, 1992, 3, pp. 85-119.
  • [3]
    Cette injonction provient elle aussi de celle qui guide le pèlerin. Le passage se situe à quelques vers de distance de l’illustration des quatre fleuves de l’Éden (vv. 112 sq) où Asín veut voir une des dettes les plus évidentes que Dante a contractées avec la tradition islamique.
  • [4]
    « Ma nondimen, rimossa ogni menzogna, / tutta tua visïon fa manifesta – néanmoins, écartant tout mensonge, / porte au jour ta vision tout entière » Paradis, XVII, vv. 121-128.
  • [5]
    On constate en effet qu’Asín s’inspire des plus grands modèles de la critique morphologique et du grand comparatisme roman, de Graf à d’Ancona, de Labitte à Ozanam. Il faut donc le lire comme ses modèles : comme un tableau et non pas comme une radiographie.
  • [6]
    Cf. la conclusion d’E. Cerulli à l’édition du Liber de Scala (édition italienne, p. 546 sq.). Les observations de Cerulli ne peuvent pas ne pas évoquer les échos de la longue tradition du « prophétisme politique » de Dante : qu’il s’agisse du prophétisme laïc et gibelin qui va de Dante à Machiavel – il était cher à De Sanctis, ou du prophétisme « spiritualiste » et millénariste qui va de Joachim de Flore à Savonarole – il était cher aux « novateurs » du catholicisme. Les uns et les autres sont d’accord pour retenir Dante en deçà de toute interprétation visionnaire (a fortiori islamique). Le prophétisme de Dante s’en tiendrait donc à l’histoire du monde. C’est aussi l’interprétation de Giovanni Papini, Dante vivo, LEF, Florence, 1933, pp. 35-36.
  • [7]
    Le livre des secrets d’Énoch, Apocryphes de l’ancien testament. La figure d’Énoch réapparaît dans le Liber de scala (chapitre XIV, § 33, traduction française, pp. 134-135). Asín Palacios lui-même reconnaissait que « la légende islamique du voyage nocturne et du voyage de Mahomet n’est pas totalement originale et propre au peuple musulman ; elle trouve à son tour ses origines et ses modèles dans d’autres civilisations et d’autres littératures plus anciennes […]. Il n’est pas difficile de trouver des éléments qui appartiennent à la légende islamique et aux ascensions judéo-chrétiennes apocryphes d’Énoch, de Moïse, de Baruch et d’Isaïe ». (cf. Dante e l’Islam, pp. 125-126).
  • [8]
    Bruno Nardi, « Pretese fonti alla Divina Commedia », Nuova Antologia, XC, 1955, fasc. 1855, pp. 383-398, puis dans Dal Convivio alla Commedia (Ist. Stor. Ital. Per il Medio Evo, Roma, 1960, pp. 351-370, ici, pp. 360-370 : c’est la conclusion du livre).
  • [9]
    Cf. Maria Corti, « La “favola” di Ulisse : invenzione dantesca ? », in Percorsi dell’invenzione. Il linguaggio poetico di Dante, Einaudi, Torino, 1993, pp. 113-145. Cf. aussi l’attention que Maria Corti a pu prêter aux sources arabes du Banquet, et notamment au Liber Ethicorum alexandrin dans La felicità mentale. Nuove prospettive per Cavalcanti e Dante, Einaudi, Torino, 1983, pp. 96-123.
  • [10]
    Cf. Maria Corti, Percorsi dell’invenzione. Il linguaggio poetico di Dante, op. cit., pp. 124-128. Ici aussi il faut prendre en considération la surimpression de sources antiques et en particulier du mythe d’Alexandre dans la Suasoria I de Sénèque. Cf. Carlo Ossola, Figurato e rimosso, Bologna, Il Mulino, 1988, pp. 37-42.
  • [11]
    E. Cerulli, Il viaggio di Maometto nell’Oltretomba secondo Rodrigo Ximénez de Rada e la « Cronica General » di Alfonso Savio, in Il libro della scala, édition italienne, pp. 335-345.
  • [12]
    E. R Curtius, « Dante », chapitre XVII de son monumentum : La littérature européenne et le Moyen âge latin, (1947), traduction française, Paris, PUF, 1956, pp. 429-468.
  • [13]
    Ibidem, p. 429. C’est le titre du premier paragraphe de ce chapitre XVII sur lequel s’achevait la première édition du livre.
  • [14]
    Ibidem, p. 468.
  • [15]
    Ibidem, p. 450 (§ 5).
  • [16]
    Ibidem, p. 468. C’est le souhait sur lequel s’achevait le chapitre et qui offrait sa conclusion à l’enquête.
  • [17]
    [Cf. Carlo Ossola, « Dante poète européen » in De Florence à Venise, Hommage à Christian Bec, François Livi, Carlo Ossola, Paris, PUPS, 2006, p. 483 sq. N.d.T.].
  • [18]
    Cf. Asín Palacios lui-même (volume II de l’édition italienne) et Carlo Saccone, « Il “mi’ râg” di Maometto. Una leggenda tra Oriente e Occidente », appendice au Liber de Scala, version italienne, pp. 157-198.
  • [19]
    Maria Corti, « Percorsi mentali di Dante nella Commedia » in Guida alla Commedia, Milan, Bompiani, 1993, pp. 183-200. Cf. en particulier, le § 6 : « Un caso suggestivo di modello analogico », pp. 198-200 où Maria Corti rappelle les éléments de structure avancés par Asín Palacios.
  • [20]
    Cf. le bilan de Cesare Segre, « Viaggi e visioni d’oltremondo sino alla Commedia di Dante », in Fuori del mondo, Turin, Einaudi, 1990, pp. 25-48. Parmi les matériaux de la « bibliothèque mentale » de Dante, Segre donne sa juste place au Liber de scala.
  • [21]
    Cf. Dante e l’Islam, pp. 35-37, 222-224 et passim.
  • [22]
    Ibidem, pp. 232-233. On n’oubliera pas non plus l’analogie entre l’arbre « qui prend vie de sa cime » dans le Paradis de Dante (XVIII, v. 29) et le sagarat tuba, l’arbre de la félicité islamique qui est lui aussi renversé, avec ses racines dans le dernier ciel (ibidem, p. 229).
  • [23]
    Cf. Dante e l’Islam, deuxième partie, pp. 129-258.
  • [24]
    Cf. Maria Corti, « Percorsi mentali di Dante nella Commedia », article cité, pp. 198-200.
  • [25]
    Dante Alighieri, Commedia, commentaire de A.M. Chiavacci Leonardi, vol. I, Inferno, Milan, Mondadori, 1991, p. 854.
  • [26]
    On trouve quelques mentions d’‘Alī dans le Codex Vat. Lat. 2037 qui conserve aussi une Ystoria Magometh de Geoffroi de Viterbe (cf. E. Cerulli, Il « Libro della Scala », op. cit., chapitre XVI, p. 417-427). Les autres hypothèses avancées ici (op. cit., pp. 505-506) ne fournissent aucun détail sur la mort d’‘Alī que Dante décrit de manière si détaillée.
  • [27]
    Cf. Dante e l’Islam, I, pp. 383 et 515, notes 20 et 21.
  • [28]
    Ibidem, volume I, pp. 154 et 467-468.
  • [29]
    Ibidem, volume I, pp. 162-163 et 469. On trouve aussi un parallèle frappant quant au controppasso qui frappe les devins (« car vers les reins leur face était tournée, / et ils devaient marcher à reculons/ puisqu’ils étaient privés de la vue en avant » Enfer, XX, vv. 13-15) : ils sont « retournés » comme les damnés du Coran, IV, 50. (Cf. aussi Dante e l’Islam, I, pp. 155-156).
  • [30]
    Dante Alighieri, Commedia, édition de E. Pasquini et A. Quaglio, volume I, Inferno, Milan, Garzanti, 1982, p. 345 et le commentaire de A.M. Chiavacci Leonardi, vol. I, p. 829.
  • [31]
    H. R. Jauss, « Brunetto Latini poeta allegorico », in Alterità e modernità della letteratura medievale, (1977), traduction italienne, Turin, Bollati Boringhieri, 1989, pp. 135-174.
  • [32]
    G. Hees, Der Einfluss von Brunetto Latinis « Tesoretto » auf Dantes « Divina Commedia », diss. Hambourg, 1952. Il s’agissait de réagir à la critique violente de Vossler (cf. K. Vossler, Die göttliche Komoedie, Heidelberg, 1907-1910, traduction italienne, en 4 volumes, Bari, 1909-1927).
  • [33]
    Latini, Brunetto, Le Petit Trésor. Il Tesoretto, vv. 943-950, traduit de l’italien, présenté et annoté par Bertrand Levergeois, édition bilingue, Paris, Michel de Maule, 1997.
  • [34]
    Cf. Dante e l’Islam, I, pp. 179 et 192-193 et passim. Les réserves formulées par Bruno Nardi à propos de l’Éden sont néanmoins valables. Elles se fondent sur les recherches précieuses de G. Ricciotti, La cosmologia della Bibbia e la sua transmissione fino a Dante, Brescia, 1932.
  • [35]
    Cf. E. Cerulli, op. cit., chapitres XI-XV et B. Nardi, Pretese fonti, op. cit., pp. 359-361.
  • [36]
    Ricoldo da Montecroce entre dans l’ordre des dominicains en 1267 au couvent de Santa Maria Novella de Florence. Il part pour l’Orient en 1288 et s’arrête à Acre pour commencer sa prédication missionnaire en Orient. En 1289 il se trouve en Turquie, en Perse et en Mésopotamie. Il arrive à Bagdad où il séjourne en 1295-1296. Il revient à Florence en 1300-1301. C’est alors qu’il commence la rédaction de ses grandes œuvres Ad nationes orientales et Contra legem Sarracenorum. Sur la biographie de Ricoldo da Montecroce, cf. E. Panella, « Ricerche su Ricoldo da Montecroce », in Arch. Fratr. Praed., volume LVIII, 1988, pp. 5-22. Le texte Contra legem Sarracenorum a été réédité par J.-M. Mérigoux dans Memorie domenicane, XVII, 1986, pp. 60-144 avec une étude préliminaire, L’ouvrage d’un frère prêcheur en Orient à la fin du xiiie siècle, ibidem, pp. 1-58. Le chapitre XIV du Traité examine la soi-disant « vision de Mahomet » qui offre son point de départ à la réflexion d’ Asín Palacios. Si l’on considère que l’on a retrouvé dans la bibliothèque du couvent dominicain de Santa Maria Novella un codex du début du xive siècle qui contient, à partir du folio 185, le Contra legem (un manuscrit qui a peut-être été mis au point par Ricoldo lui-même), il faut bien conclure que Dante avait sous la main des sources directes rapportant l’ascension de Mahomet. Sur ce manuscrit précieux, cf. G. Pomaro, Censimento dei manoscritti della Biblioteca di Santa Maria Novella, parte I : Origini e Trecento, « Memorie domenicane », XIII, 1980, pp. 325-467 et, en particulier, p. 374 ; cf. aussi G. Rizzardi, Introduzione e Ricoldo da Montecroce, I Saraceni, cit., pp. 24-26 et passim.
  • [37]
    Cf. le bel essai de C. Sánchez-Albornoz, El Islam de España y el Occidente, in L’Occidente e l’Islam nel Alto Medioevo, Centro Ital. Sull’Alto Medioevo, Spoleto, 1965, tome I, pp. 149-308 (la citation se trouve à la page 293). Cf. aussi J. Vernet, La cultura hispano araba en Oriente y Occidente, Barcelone, 1978.
  • [38]
    M. Amari, Biblioteca arabo-sicula, Brockhaus, Lipsia, 1855-1857, trois volumes (puis, Turin Rome, 1881). Storia dei Musulmani di Sicilia, Florence, Le Monnier, 1854-1872, trois volumes (puis, réédition aux soins de C.A. Nallino, Prampolini, Catane, 1933-1939). Sur la tradition du xxe siècle, cf. les remarques de U. Rizzitano, « Gli arabi in Italia », in L’Occidente e l’Islam nel Alto Medioevo, op. cit., tome I, pp. 93-114.
  • [39]
    Ajoutons aux volumes précédemment cités les ouvrages d’ensemble de N. Daniel, Gli arabi e l’Europa nel Medioevo, traduction italienne, Bologne, Il Mulino, 1981, et Claude Cahen, Orient et Occident au temps des croisades, Paris, Aubier, 1983.
  • [40]
    H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris, 1940.
  • [41]
    Pour un exemple emblématique de « concordance » entre les cultures, cf. l’essai d’E. Cerulli, « Il “Libro della Scala” ed il “Setenario” del Re Alfonso il Savio », in Nuove ricerche sul « Libro della scala » e la conoscenza dell’Islam in Occidente, Biblioteca Ap. Vaticana, Città del Vaticano, 1972, pp. 11-18.
  • [42]
    Cf. l’essai de Sánchez-Albornoz, El Islam de España y el Occidente, op. cit., volume I, pp. 289-293.
  • [43]
    On en retrouve des traces vivaces et fascinantes dans la relecture de Pétrarque que proposera Ungaretti quand il compare le voile dont se couvrent les femmes d’Islam et qui fait ressortir l’intensité du regard au motif des yeux dans la poésie de Pétrarque. Cf. « Il poeta dell’oblio », 1943, in Vita d’un uomo. Saggi e interventi, édition de M. Diacono et L. Rebay, Milan, Mondadori, 1974, pp. 398-422 ; en particulier, p. 406.
  • [44]
    Cf. le Libro dei sette Savj di Roma, A. D’Ancona, Pise, Nistri, 1864, reprint Forni, Bologne, 1980.
  • [45]
    Ce qui passe par la Via Herákleia étudiée par Maria Corti (Percorsi dell’invenzione, cit, pp. 119-126) ou par les Baléares jusqu’aux colonnes d’Hercule et au-delà n’est pas moins riche de figurations et de connaissance (jusqu’à l’entreprise de Christophe Colomb) que la voie empruntée par Marco Polo, ou celle qui mène à Jérusalem ou à l’Inde d’Alexandre. Mais la voie d’Orient a pu jouir de recherches plus continues de L. Olschki à R. Wittkower dont nous citons l’étude « Marvels of the East : a Study in the History of Monsters », Journal of the Warburg and Courtauld Institute, V, 1942, pp. 159-197.
  • [46]
    Yĕhudā ha-Lēwī : Il re Khàzari, édité par Elio Piattelli, Turin, Bollati Boringhieri, 1991. L’apologue rapporte que le roi des Kahzàri, à la suite d’un rêve, interroge un philosophe, un sage chrétien et un sage musulman sur leur foi. Aucun ne le satisfait jusqu’à ce qu’il rencontre un sage juif qui l’instruit dans la foi juive. Il s’achemine alors vers la Terre Sainte.
  • [47]
    Si on prend en considération les trois premières nouvelles du Décaméron (« Ser Cepperello », I, 1 ; « Abraam giudeo », I, 2 ; « Melchisedech », I, 3), il ne fait aucun doute qu’elles argumentent toutes trois de fide. Comme je le montrerai plus tard, Boccace construit à travers ces nouvelles un apologue dissimulé : le bonum ne consiste pas dans la « conversion » des noms (Ser Cepperello > san Ciappelletto) ou des confessions (Abraam passe de juif à chrétien face à la « méchanceté des clercs »), mais dans la « conciliation », dans l’exercice de la compréhension et de la miséricorde réciproque.
  • [48]
    L’histoire de ce chemin philologique et exégétique a été retracée par G. Petrocchi, Itinerari danteschi, Milan, Franco Angeli, 1993 (seconde édition). Cf. aussi Enciclopedia dantescha, ad vocem.
  • [49]
    On peut regretter l’absence en Italie d’un instrument analogue à la collection des Études musulmanes dirigée par Étienne Gilson et Louis Gardet. Cette collection avait été inaugurée avec les essais toujours décisifs de Gardet et de Massignon et corroborée par la « Collection des Œuvres arabes de l’UNESCO » où parut Le livre des directives et remarques d’Ibin Sīnā aux soins d’A.-M. Goichon. La collection s’est progressivement enrichie de textes qui entretenaient de fortes relations avec le Moyen âge latin. Cf., entre autres exemples, l’édition du Livre de l’amour, du désir ardent, de l’intimité, du parfait contentement d’Al Gazālī, édité par M.-L. Siauve, Paris, Vrin, 1986, mais aussi le texte d’Al-Fārābi, Traité des opinions de la cité idéale, édition de T. Sabri, Paris, Vrin, 1990. Des commentaires précieux ont fait l’objet de réédition dans la collection Vrinreprise : cf. Les Sources Gréco-Arabes de l’augustinisme avicennisant, Paris, 1986. H. Corbin a retracé l’histoire prestigieuse des chercheurs de la Ve section de l’École Pratique des Hautes Études dans son essai « Problèmes et méthodes d’histoire des religions » (1968) repris dans L’Iran et la philosophie, Paris, Fayard, 1990. Sur le versant italien, il faut mentionner la collection des « Classici delle Religioni » (publiée à Turin chez UTET) ainsi que des initiatives comme la Biblioteca medievale.
  • [50]
    Il s’agit de deux chapitres de l’ouvrage déjà cité, Percorsi dell’invenzione. Maria Corti mentionne Lotman aussi bien dans l’essai qu’elle consacre à Dante (« Il viaggio di Ulisse nella Divina Commedia di Dante », in Testo e Contesto. Semiotica dell’arte e della cultura, trad. Ital. Bari, 1980) que dans l’essai théorique J.M. Lotman-B. Uspenskij, Tipologia della cultura, trad. ita. Milan, Bompiani, 1957.
  • [51]
    En Italie, la poésie et de la mystique islamique médiévale ont tardé à se manifester sur le versant philologique et théologique. Après la récupération de Sanâ’î avec l’édition de son Viaggio nel Regno del Ritorno (si précieux pour l’étude des rapports de Dante à l’Islam), publié par C. Saccone, Parme, Pratiche, 1993 et après celle du chef d’œuvre de Farid Ad-Din ‘Attar, Il verbo degli uccelli, publié par Saccone, Milan, SE, le projet raisonné des traductions de cette tradition a dû attendre longtemps. Cf. désormais, La sapienza dei profeti (Fusus al-Hikam), édité par T Burckhardt, Rome, éd. Mediterranee, 1987 ; Il libro dell’estinzione nella contemplazione, édité par R. Tawfik et R. Rossi Testa, Milan, SE, 1996 ; L’alchimia della felicità, édité par M. Jevolella, Côme RED,1996 ; L’epistola dei settanta veli, édité par A. Iacovella, Rome, Éd. Voland, 1997 ; Il nodo del sagace, édité par C. Crescenti, Milan, Mimesis, Milano ; Il mistero dei custodi del mondo, édité par C. Casseler, Turin, Il leone verde, 2001 ; L’interprete delle passioni, édité par Roberto Rossi Testa et Gianni De Martino, Milan, Urra – Apogeo, 2008.
  • [52]
    Cf. Maurice Halbwachs, La Mémoire collective, 1950. L’essai exemplaire pour l’histoire de la « migration » de ces modèles de la mémoire collective reste La Topographie légendaire des Évangiles en Terre Sainte ; étude de mémoire collective qui date de 1941.
  • [53]
    Cf. Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Alcan, 1925, Paris-La Haye, Mouton, 1976.
  • [54]
    Cf. la lecture de la Pala Bardi à Santa Croce proposée par C. Frugoni, Francesco. Un’altra Storia, Gênes, Marietti, 1988.
  • [55]
    Émile Mâle, « Les traditions légendaires sur l’Ancien et le Nouveau Testament », in L’art religieux au xiiie siècle en France, 1898, puis, Armand Colin, 1948, pp. 389-495.
  • [56]
    F. Pennacchietti, « Il parallelo islamico di un singolare episodio della passione di San Giorgio », Bollettino della Società per gli Studi Storici, Archeologici ed Artistici della Prov. Di Cuneo, 1992, n°107, pp. 101-110.
  • [57]
    P. Mandonnet, Siger de Brabant et l’avvéroïsme latin au xiiie siècle, Fribourg, 1899 ; Bruno Nardi, « Sigieri di Brabant nella Divina Commedia. Le fonti della filosofia di Dante », Rivista di Filosofia neoscolastica, III, 1911, pp. 187-195 ; et 526-545 et IV, 1912, pp. 73-90 et 225-239. F. Van Steenberghen, Les œuvres et la doctrine de Sigier de Brabant, Bruxelles, 1938 : Étienne Gilson, Dante et la philosophie, Paris, Vrin, 1939 et 1972.
  • [58]
    Cf. Bruno Nardi, Dante e la cultura medievale, 1941, puis, avec l’introduction de Tullio Gregory, Bari, Laterza, 1983. Ce point de vue est partagé plus récemment par Maria Corti, Percorsi dell’invenzione, op. cit. et par A. Gagliardi, Ulisse e Sigieri di Brabante. Ricerche su Dante, Catanzaro, Pullano, 1992.
  • [59]
    Dante, Le Banquet, in Œuvres complètes, traduction et commentaire André Pézard, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1965, p. 347.
  • [60]
    Boccaccio, Esposizione sopra la Comedia di Dante, édition de G. Padoan in Tutte le opere, volume VI, Milan, Mondadori, 1965, exposition au chant I, p. 61. Cf. aussi, l’exposition du chant III, p. 141.
  • [61]
    C’est la thèse vers laquelle semble pencher G. Petrocchi, Itinerari danteschi, op. cit., chapitres II et III.
  • [62]
    Summa theologicae, Secunda Secundae, qu. 175, art. 2. Somme théologique, Paris, éditions du Cerf, tome 3, 1985, p. 997.
  • [63]
    Contra Gentiles, III, chapitre LII, traduit par Vincent Aubin, Cyrile Michon et Denis Moreau, Paris, GF, 1999, III, p. 193. Ce texte est cité par A. Gagliardi, Ulisse e Sigieri di Brabant, op. cit., p. 142.
  • [64]
    Cf. Maria Corti, La felicità mentale, cit. ; et A. Gagliardi, op. cit., pp. 42-43.
  • [65]
    L’ouvrage de Claudio Sánchez-Albornoz trouve aussi son horizon dans ce distique de Machado. Cf. El Islam de España y el Occidente, in L’Occidente e l’Islam nel Alto Medioevo, tome I, p. 281.

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