Po&sie 2007/3 N° 121

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Article de revue

Rilke et la poétique du rituel

Pages 9 à 18

Notes

  • [1]
    « Sur l’impossibilité de dire Je, paradigmes épistémologiques et paradigmes poétiques chez Furio Jesi » in La puissance de la pensée, Essais et conférences, Paris, Rivages, 2006, p. 93-104.
  • [2]
    « Scienza del mito e critica letteraria » in Furio Jesi, Esoterismo e linguaggio mitologico, Studi su Rainer Maria Rilke, D’Anna, Firenze, Messina, 1976, 23-24.
  • [3]
    Pour une bibliographie complète, cf. Risalire il Nilo. Mito, fiaba, allegoria, (édition de F. Masini, G. Schiavoni) Sellerio, Palermo, 1983, p. 383-393.
  • [4]
    Cf. E.M. Butler, Rainer Maria Rilke, Cambridge, 1941 – édition italienne, Milan, 1948, p. 89.
  • [5]
    Qu’on considère l’expression « Die Letzten » qui donne son titre au recueil des récits composés entre 1898 et 1899 et publiés en 1902. Cf « Les derniers » Œuvres en prose, Paris, Gallimard, édition de la Pléiade, 1993, p. 245 sq.
  • [6]
    Il est évident que le problème de l’enfance et de l’adolescence de Rilke pourrait être résolu en utilisant une clef psychanalytique, mais il ne nous semble pas opportun d’utiliser une telle « clef » standardisée (qui ne refléterait d’ailleurs que l’aspect le plus superficiel de cette démarche). On ne saurait oublier cependant que Rilke éprouva toujours un sentiment de dévotion singulière (et explicite) pour son père en dépit de la pauvreté affective dont ce dernier faisait preuve à son égard. Certains vers de la quatrième Élégie de Duino (v. 37 sq.) témoignent d’une participation à l’existence du père conçu comme ce dernier anneau qui reliait Rilke à ses prédécesseurs. On verra là un contraste avec la répulsion que le poète a toujours manifestée à l’égard des amants de sexe masculin. On peut faire l’hypothèse que Rilke voyait son père comme un porteur de vie douloureux, étranger à la figure de sa mère, figure dans laquelle se sont reflétés (sans y trouver leur origine) ses sentiments de répulsion pour la maternité et pour tout rapport érotique œdipien éventuel.
  • [7]
    Rilke a plusieurs fois soutenu que sa descendance d’une noble famille d’antique lignée était bien établie. Or cette famille ne semble avoir entretenu que des rapports d’homonymie avec la sienne. Pour sceller sa correspondance, le poète a toujours utilisé un sceau avec deux lévriers rampants dont le blason fut sculpté sur sa tombe à Raron. Cet emblème héraldique ne semble pas non plus avoir de rapports avec sa famille. Par ailleurs le désir de Rilke de fréquenter des personnages de l’aristocratie est bien connu : tout se passe pour lui comme s’ils étaient les dépositaires de ces antiques emblèmes destinés à survivre dans l’invisible comme la parure de Fédor.
  • [8]
    Briefe, édition de K. Altheim, Insel, Francfort, 1966, p. 80.
  • [9]
    E. M. Butler, Rainer Maria Rilke, op. cit., p. 220.
  • [10]
    Les Carnets de Malte Laurids Brigge, in R.M. Rilke, Œuvres en prose, Paris, Gallimard, édition de la Pléiade, 1993, traduction de C. David, p. 562. [La version française ne comporte pas de division en chapitres].
  • [11]
    Wenn mir zumut ist, / zu warten vor der Puppenbühne, nein, / so völlig hinzuschaun, dass, um mein Schauen / am Ende aufzuwiegen, dort als Spieler /ein Engel hinmuss, der die Bälge hochreißt. / Engel und Puppe : dann ist endlich Schauspiel“. Traduction J.P. Lefebvre, in Rainer Maria Rilke, Œuvres poétiques et théâtrales, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1997, p. 538.
  • [12]
    Thomas Mann, Le Docteur Faustus, Paris, Albin Michel, 1950, p. 410.
  • [13]
    « Poupées » in Œuvres en prose, op. cit., p. 613. M. von Hattinberg, Rilke und Benvenuta, trad. it., Florence, 1949, p. 217.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    M. von Hattinberg, Rilke und Benvenuta, cit., p. 54 : « À Florence, à Bologne, à Venise ou à Rome, partout je m’arrêtais devant des pierres tombales, comme un écolier de la mort et je me laissais éduquer ».
  • [16]
    „Wer, wenn ich schriee, hörte mich denn aus der Engel / Ordnungen ? und gesetzt selbst, es nähme / einer mich plötzlich ans Herz : ich verginge von seinem / stärkeren Dasein“. Traduction J.P. Lefebvre, in Rainer Maria Rilke, Œuvres poétiques et théâtrales, op. cit., p. 527.
  • [17]
    Briefe und Tagebücher, p. 404.
  • [18]
    Correspondance in Œuvres de R.M. Rilke, traduction B. Briod, P. Jaccottet, P. Klossowski, Paris, Le Seuil, 1976, p. 310.
  • [19]
    R.M. Rilke, Correspondance, op. cit, p. 590-591.

1Malgré le chapitre que Giorgio Agamben lui a consacré dans La puissance de la pensée, Furio Jesi reste encore méconnu en France [1]. Ce penseur original mérite pourtant la plus vive attention. Qu’on en juge. Égyptologue de formation (il fut chercheur à la Fondation égyptologique Reine Elisabeth de Bruxelles et au Pelizaeus Museum de Hildesheim), Furio Jesi a consacré sa brève existence (1941-1980) à l’étude de la mythologie, à la littérature allemande (il est l’auteur de deux livres sur Rilke), mais aussi aux mythologies politiques (on mentionnera son livre sur Spartakus et son essai sur l’antisémitisme) et, de manière plus générale, aux problèmes critiques et esthétiques du mythe. On peut penser que l’invention théorique principale de Furio Jesi fut la « machine mythologique ». Le mythe ? « Une machine qui a beaucoup d’usages, ou du tout du moins, le cœur prétendument mystérieux, le prétendu moteur immobile et invisible d’une machine qui sert à tant de choses, tant en bien qu’en mal. C’est à la fois la mémoire et le rapport avec le passé, le portrait du passé dans lequel un écart, fût-il minime, suffit à donner une impression définitive de fausseté […] Mais le mythe est aussi violence, mythe du pouvoir ; et par conséquent il est à jamais suspect face aux évocations des mythes chargées d’une fonction précise : celle qui consiste à consacrer les formes d’un présent qui veut coïncider avec un présent éternel » [2].

2Les travaux de Furio Jesi sur Rilke sont ceux d’un mythologue. Il ne s’agit pas seulement pour Jesi d’établir les relations précises de Rilke avec la mythologie, mais aussi de comprendre le fonctionnement mythologique des « rituels poétiques de Rilke ». Les poètes sont peut-être les inventeurs de rituels poétiques sans croyance.

3Il y a au moins trois bonnes raisons de lire Furio Jesi. D’abord (et c’est une raison théorique), Jesi porte toute son attention sur la naissance langagière du mythe. Ensuite (et c’est une raison poétique), Jesi permettrait d’éviter les naïvetés qui ne manquent pas d’accompagner le tournant mythologique des études françaises. Enfin (et c’est une raison politique), Jesi nous oblige à interroger le rapport du mythe à la croyance. Le rite poétique serait-il une forme de « prière démythifiée » ?

4Ne serait-ce que parce qu’il nous aide à mieux poser cette question, il faut traduire Furio Jesi.

5Bibliographie sommaire [3] : La ceramica egizia. Dalle origini al termine dell’età tinita, SAIE, Torino 1958 ; Letteratura e mito, Torino, Einaudi, 1968 ; Rilke, La Nuova Italia, Firenze 1971 ; Thomas Mann, La Nuova Italia, Firenze 1972 ; Che cosa ha veramente detto Rousseau, Ubaldini, Roma 1972 ; La vera terra. Antologia di storici e prosatori sul mito e sulla storia, avec un essai introductif de Georges Dumézil, Paravia, Torino 1974 ; Esoterismo e linguaggio mitologico, Studi su Rainer Maria Rilke, D’Anna, Firenze, Messina, 1976 et Macerata, Quodlibet, 2002 ; La Festa, Antropologia etnologia e folklore, Torino, Rosenberg e Sellier, 1976 ; Materiali mitologici, Torino, 1979 ; L’ultima notte, Genova, Marietti, 1987 ; Lettura del Bateau ivre, Macerata, Quolibet, 1996 ; Spartakus. Simbologia della rivolta, a cura di A. Cavalletti, Bollati Boringhieri, Torino 2000 ; Bachofen, a cura di A. Cavalletti, Bollati Boringhieri, Torino 2006 ; L’accusa del sangue, Mitologie dell’antisemitismo, Brescia, 1993 ; Furio Jesi-Karoly Kerényi, Demone e mito, Carteggio, 1964-1968, Macerata, Quodlibet, 1999.

6Sur F. Jesi, cf. Cultura Tedesca, volume publié par Giorgio Agamben e Andrea Cavalletti, n° 12 (dicembre 1999), Donzelli editore, Rome.

7Le texte que nous présentons ici est extrait de Letteratura e mito (p. 95-109).

8Quand il publie en 1906 la seconde édition du Livre des images, Rilke choisit d’y insérer un ensemble de six poèmes intitulés « Les Tsars » écrits en 1899, à l’époque où son intérêt pour la poésie orale russe était au plus haut. Trois de ces poèmes ont seulement l’apparence des bylines, ces légendes héroïques russes, mais il est probable que leur argument – l’histoire de Fédor, le fils d’Ivan le terrible et dernier des Rurik – ne dérive d’aucun cycle traditionnel des byliny[4]. Un de ces poèmes contient une évocation qui semble appartenir déjà au monde spectral de Malte : le tsar se trouve seul dans une salle du Kremlin, au crépuscule, face à une icône de la Vierge recouverte de bijoux et de plaques d’or et d’argent conformément à la coutume tardive qui consistait à « vêtir » les icônes de métaux précieux pour ne laisser découverts que leur visage et leurs mains. Le tsar lui-même, dans ses parements rigides tissés de fils d’or et d’argent semble une icône étincelante et, de ses habits lumineux, son visage comme ses mains effleurent aussi pâles que sont obscurs ceux de la Vierge. Dans la lueur du couchant, mains et visages semblent disparaître et dans la salle emplie d’ombre, seules deux enveloppes scintillantes à l’apparence humaine restent face à face.

9Fédor est le dernier descendant d’ancêtres qui lui ont soutiré des forces avant sa naissance parce que leurs aventures ont épuisé la vitalité de la lignée. On saisit sans peine comment Rilke a pu se reconnaître dans cette figure : lui qui pas n’a cessé de se définir comme le dernier rejeton d’une longue descendance [5], il identifie la frustration de sa jeunesse avec la faiblesse inévitable de celui qui porte un sang fatigué [6]. L’évocation de Fédor permet aussi de comprendre une des raisons secrètes du désir de Rilke de s’attribuer (de manière arbitraire apparemment) une noblesse familiale antique avec son trousseau de blasons et de sceaux [7]. Ces emblèmes aristocratiques du passé constituent en fait l’équivalent de la parure dorée de Fédor parce qu’ils offrent des témoignages d’une élection ancienne qui n’auraient rien perdu de leur efficacité. Il est remarquable, en effet, que ce soit précisément la parure souveraine de Fédor qui lui accorde une dernière survie au moment où les ténèbres gagnent et que ce soit elle encore qui permette d’identifier ce qui reste de lui avec le simulacre divin. Ce salut est pourtant ambigu puisque l’icône elle-même de la Vierge devient un simulacre sans visage et que c’est précisément par là qu’elle ressemble à Fédor. L’individualité humaine disparaît ; il ne reste de l’homme que ce qu’il croit être sa semblance. Rien d’autre. On pourrait dire que demeure aussi ce qui contenait l’homme, et dont l’homme était seulement le « contenu » provisoire et périssable. C’est en ce sens surtout qu’il faut comprendre l’apparition de Fédor, si on se veut bien se souvenir que le souci constant de Rilke est de transformer le visible en invisible à travers l’activité poétique.

10Dans une lettre de 1915 écrite pendant l’élaboration de la quatrième Élégie de Duino, Rilke affirme que sa mission consiste probablement à représenter le monde du point de vue d’un ange devenu aveugle qui regarderait à l’intérieur de soi [8]. La métamorphose de Fédor peut indiquer l’épiphanie des images que l’ange aveugle découvre dans son for intérieur tandis que la dimension humaine du visible disparaît dans le noir.

11Ce qui survit dans la vision de l’ange affleure du passé, comme les emblèmes souverains de Fédor et les emblèmes héraldiques de Rilke et permet de participer – fût-ce de manière passive – à la transformation du visible en invisible. Au reste, selon la théorie de Rilke l’attitude passive de l’homme est typique de l’artiste, objet inerte qui se trouve pris dans l’aventure des forces qui président à la métamorphose. Pourtant cette passivité inévitable permet un minimum d’activité qui semble bien volitive : l’exécution d’un rituel qui consiste à accueillir au sein de son existence les survivances de son propre passé personnel, prénatal, tout en sachant que l’homme ne pourra en déduire aucune possibilité de survie mais bien au contraire qu’il en résultera la transformation du visible en invisible, dans la vision de l’ange aveugle.

12Un acte de ce rituel est l’évocation de Fédor qui permet à Rilke à la fois de reconnaître son identité en la personne de Fédor et d’anticiper sa propre disparition. Un autre acte analogue à celui-ci est sans aucun doute l’identification de Rilke au personnage principal des Aufzeichnungen de Malte Lauris Brigge (Les Carnets de M.L.B.). Il reste que nous ne pouvons pas partager la thèse d’E. Butler selon laquelle Malte serait un « bouc émissaire poétique », un frère de Werther :

13

Goethe et Rilke (et combien d’autres poètes ?) font porter leurs tourments émotifs et intellectuels à une créature faite à leur image qu’ils envoient dans les ténèbres pour qu’elle porte toutes leurs injustices dans une « terre inhabitée » [9].

14En effet, Rilke ne s’éloigne jamais de son propre personnage ; ce que Malte a d’humain, c’est Rilke lui-même : le reste, les symboles et les emblèmes qui survivent à Malte comme la parure dorée de Fédor, forme l’ensemble des éléments du passé auquel Rilke doit accéder rituellement pour autant qu’ils constituent son propre passé. Malte n’a pas une vie autonome différente de celle de Rilke : il s’agit de Rilke lui-même sur le point d’accomplir le rituel prescrit. Et les angoisses de Malte sont les restes de la terreur qu’éprouve celui qui sait devoir accomplir un rituel qui ne garantira pas sa survie mais sa disparition. Une telle disparition n’a rien de rassérénant en tant que passage dans l’invisible observé par l’ange : dans cet invisible parviennent les éléments qui contenaient l’homme – la parure de Fédor, ou l’habit ducal de Charles le Téméraire sur son lit de mort décrit minutieusement dans les Cahiers de Malte. Mais c’est seulement en tombant dans l’obscurité et en cessant d’exister que l’homme obtient la grâce ambiguë de participer à la métamorphose du visible.

15Le chapitre XVII de la deuxième partie des Carnets se conclut sur la recherche du cadavre de Charles le Téméraire à travers des champs gelés aux alentours de Nancy. Mais ce que les courtisans précédés par le bouffon retrouvent c’est une dépouille rongée par les loups que seule une vieille cicatrice permet d’identifier.

16La disparition de l’homme est bien avancée :

17

Mais le visage était pris dans la glace et quand on l’en retira, une des joues abandonna une peau mince et rêche et on aperçut que l’autre joue avait été déchirée par des chiens ou des loups ; et l’ensemble était fendu par une grande blessure, qui commençait à l’oreille, si bien qu’on ne pouvait plus parler de visage [10].

18Le visage de Fédor a déjà disparu dans le noir, mais la parure ne cesse de resplendir : en marge du manuscrit on trouve la description du cadavre, préparé sur son lit funèbre et vêtu de ses habits ducaux.

19

Le blanc de la camisole et le rouge carmin du manteau se détachaient l’un de l’autre de façon brutale et désagréable entre les deux noirs du baldaquin et du lit. En face de lui se dressaient de hautes bottes écarlates avec de grands éperons dorés. Et personne ne pouvait disconvenir qu’il n’y eût aussi une tête au-dessus de tout cela, puisqu’on voyait clairement la couronne. C’était une grande couronne ducale, avec je ne sais quelles pierres précieuses.

20Le bouffon observe attentivement le cadavre :

21

La mort lui apparaissait comme un montreur de marionnettes, qui, cette fois-là, avait eu besoin d’un duc.

22Ces derniers mots sont révélateurs. Ils valent comme conclusion : la mort fait passer dans l’invisible « un duc », les armoiries du duc qui « contenaient » Charles le Téméraire. Le reste, l’homme contenu dans ces emblèmes, a cessé d’être, et il ne peut accéder à l’invisible.

23Les « réceptacles » de l’humain – comme la parure de Fédor– dans leur anthropomorphisme ambigu, sont analogues à la marionnette qui devient le symbole des réalités qui ressemblent à l’homme mais sont destinées à durer transformées dans l’invisible, alors que « là où l’homme sent, il se détruit ». L’image de la marionnette revient en effet avec cette même signification dans la quatrième Élégie de Duino :

24

Lorsque j’aurai l’humeur
d’attendre face au théâtre des marionnettes, non
d’y regarder pleinement, que pour compenser
à la fin de mon regard, un ange devra venir là,
joueur, et qui d’un coup enfournera les enveloppes.
Ange et pantin : alors enfin, il y aura spectacle [11].

25« Ange et pantin » : il est fort probable que Rilke ait pensé au texte de Kleist dont Thomas Mann dira plus tard dans son Docteur Faustus :

26

Toutefois, il est question seulement d’esthétique, de séduction, de libre grâce en somme réservée au pantin désarticulé et au dieu, c’est-à-dire à l’inconscience ou à une conscience infinie, alors que tout esprit de réflexion intermédiaire entre le néant et l’infini tue la grâce. [12]

27Cette « libre grâce » c’était pour Rilke la participation à l’invisible, réservée à la marionnette et à l’ange, non pas à l’homme. La terreur qui affleure souvent dans les premières élégies renvoie au soupçon plein d’angoisse selon lequel les hommes seraient les apparences de marionnettes ou de parures anthropomorphes et non pas le contraire. On peut trouver un discours très clair sur cette vie autonome des marionnettes destinées à survivre dans l’invisible dans l’essai de Rilke sur les Poupées (Puppen). Les poupées, « dédaignées, méprisées, mises au rebut », « se délivrent enfin de la complicité et de la sympathie, de la joie et du chagrin de l’enfant, elle sont devenue autonomes » [13]. En éclairant la vie autonome des poupées, Rilke esquisse brièvement une théorie de la vie des objets inanimés et il insiste de manière révélatrice sur l’amour avec lequel il peut rappeler la vie qui se trouve logée « dans une travailleuse [Nähstock], un rouet, un métier à tisser familial ; le gant d’une jeune mariée, une tasse » et en revanche sur la haine « qui fut inconsciemment toujours pour nous une part dans nos relations avec elle », la poupée, « le monstre ». Tous les objets donc, peuvent jouir d’une vie autonome grâce à laquelle ils survivront dans l’invisible. Et l’homme observe avec plaisir, et avec tendresse même, les symptômes de cette vie, nourrissant l’illusion peut-être de retrouver ces objets familiers à côté de lui dans l’invisible quand la métamorphose sera achevée. Seule la vie autonome de la poupée suscite de la haine dans l’homme, parce que la poupée est l’objet anthropomorphe ; la poupée, avec sa forme, annonce tragiquement à l’homme que c’est elle, et non lui, qui survivra dans l’infini.

28Malgré cette évidence douloureuse et cette haine non dissimulée, Rilke soutiendra qu’il trouve une « beauté émouvante » à ces poupées monstrueuses qu’avait peintes Lotte Pritzel et qui se rapportent à son essai [14]. Et c’est ici que réside un élément fondamental de ce que nous avons voulu définir comme la « poétique du rituel » de Rilke : la mission du poète consiste à célébrer soigneusement un rituel qu’il harmonise avec la transformation du visible dans l’invisible. Au cours de cette célébration, le poète doit faire sien le point de vue de l’ange aveuglé qui regarde en soi. Il doit regarder comme quelqu’un qui verrait dans l’invisible. Pour celui qui adopte ce point d’observation, les poupées monstrueuses de Lotte Pritzel – les poupées qui vivent d’une existence autonome – sont bien d’une « beauté émouvante » parce qu’elles sont destinées à durer dans l’invisible. La célébration du rituel qui coïncide avec la pratique de la poésie impose au poète de doubler son point de vue d’homme de celui de l’ange et de vaincre ses répulsions et ses terreurs pour contempler aussi l’objet haï qui prend la place de l’homme dans l’invisible.

29Cela implique, en plus, que le poète soit quelque chose de différent, et quelque chose de plus que l’homme. Ce dernier en effet, et fût-ce passivement, est utilisé par les forces surhumaines de manière à lui faire acquérir le point de vue de l’ange, ce qui fait de lui, véritablement un « écolier de la mort » [15]. Mais doit-on pour autant en conclure que la pratique du rituel garantira au poète un destin différent de celui des autres hommes ainsi qu’une survie dans l’invisible ? Rilke n’a jamais donné de réponse à cette question qui a constitué l’obsession la plus tragique de son existence problématique et de son expérience poétique. Le poète acquiert-il le point de vue de l’ange seulement dans le moment de la métamorphose du visible dans l’invisible pour disparaître ensuite comme c’est le lot de tous les hommes ? Ou faut-il comprendre qu’il possède avec l’ange une faculté de vision éternelle et qu’il survit dans l’invisible ? Quand bien même on ne trouverait pas de solution explicite à ce problème dans son œuvre, on peut néanmoins observer que si, dans les premières Élégies de Duino, Rilke exerce bien la faculté de figuration « angélique » qui lui a été imposée, il n’en reste pas moins douloureusement proche des hommes. Tout se passe comme s’il savait qu’il participera à leur destin de destruction dès que le rituel sera parvenu à son terme.

30Soit l’évocation tragique qui ouvre la première élégie :

31

Et qui, si je criais, m’entendrait donc depuis les ordres
des anges ? Et quand bien même l’un d’entre eux
soudain me prendrait sur son cœur : son surcroît de présence
me ferait mourir. [16]

32Ces vers annoncent toute une série de constatations douloureuses sur l’abîme qui sépare les hommes des anges et de l’invisible. Tandis qu’il parle au nom des hommes, il est tout à fait évident que Rilke parle aussi pour lui-même, ou du moins pour ce moi auquel il sera réduit une fois que les forces surhumaines qui exigent la célébration du rituel et la naissance de la poésie auront cessé de se servir de lui. Dans l’élaboration des élégies, il est cependant une heure (qu’il est difficile d’établir chronologiquement) à partir de laquelle l’ange disparaît et où seule l’évocation du destin rassérénant du jeune mort gagne en précision. L’élégie X comporte elle aussi un rituel fait d’éléments pris à un passé mythique. Mais il ne s’agit plus d’un rituel accompli face à la présence menaçante de l’ange, c’est-à-dire d’un rituel qui préluderait à la disparition de l’homme : la Lamentation qui guide le jeune mort le conduit « instruit » au pied des monts de la « douleur archaïque » vers lesquels il se dirige solitaire et purifié, ou tout du moins, prêt pour une purification définitive. Il était déjà arrivé plusieurs fois à Rilke d’évoquer cette impureté qui empêcherait l’accès à l’invisible. Dans les Fragmenten aus verlorenen Tagen [Fragments des jours perdus], document de la grave crise qui l’avait frappé pendant l’hiver 1900, il avait constaté l’impureté qui marque l’homme quand il se trouve dans ce « no man’s land » spectral qui coïncide avec sa condition humaine la plus authentique [17] : « des journées comme celle-ci n’appartiennent pas à la mort comme elles n’appartiennent pas à la vie. Elles appartiennent à … ô terre de personne, s’il existe un Esprit de personne, un Dieu de personne au-dessus de vous, et bien, alors, elles lui appartiennent à cet être invisible et sinistre… On se serre à des pensées infimes, on boit et on s’enivre de déchets ; on fouille dans la boue, puis on avance barbouillés de souvenirs précieux ; on ruisselle de saleté sur la terre sacrée, on saisit des choses honorées et intactes jusque là dans nos mains humides et gonflées et alors tout devient commun, commun pour tous, valide pour tous… ». On peut sentir dans cette dernière remarque (« et alors tout devient commun, commun pour tous, valide pour tous ») l’angoisse de celui qui sent disparaître son privilège de poète, proche des anges, pour finir par redevenir un homme, condamné à impureté et à l’impossibilité de la survie dans l’invisible. Les poupées elles-mêmes sont impures en tant que telles (« débraillées, contentes d’elles, impures… »). Rilke avait écrit à Magda von Hittenberg : « Ne me dis pas qu’un jouet abîmé a quelque chose d’innocent ; au contraire, il faut toute l’innocence de l’enfant pour garder sans faute ce qu’il a de sale, de gâté. » [18] Mais si l’enfant est innocent et porteur d’innocence, le poète, en tant qu’instrument de forces surhumaines, ne l’est pas moins. L’essai sur les poupées, en dépit de toutes les images de haine qu’il contient, constitue finalement le rituel grâce auquel les mots du poète donnent aux poupées la possibilité d’acquérir l’innocence qui permettra à leur vie autonome de survivre dans l’invisible à la différence des hommes.

33Mais pourquoi le poète ne peut-il pas exercer sur l’homme ses facultés purificatrices ? Dans les premières élégies de Duino, la réponse à cette question est un simple « non » sans explications. Au reste, même l’Élégie X avec ses évocations tranquillisantes n’étend pas à tous les hommes l’accès au salut et à la survie dans l’invisible. Le protagoniste de l’Élégie X est le jeune mort et non pas le mort en général et nous savons bien que l’anthropologie de Rilke s’articule selon des catégories bien précises : l’enfant, innocent et porteur d’innocence ; les jeunes morts, auxquels une participation à l’invisible est peut-être garantie et les adultes enfin, les hommes dans leur grande majorité, auxquels la pureté et la survie dans la visible sont refusées. Il s’agit sans doute ici aussi d’une répartition rituelle qui coïncide avec le rituel qui correspond à la pratique de la poésie. C’est de ce rituel que la poésie tire sa valeur et sa signification de telle façon que le jeune mort devient le prototype de celui qui est mort de sa propre mort, parce qu’il laisse mûrir en lui sa propre mort « comme un fruit ».

34Mourir de sa propre mort est un concept fréquent (et très célèbre) dans la pensée de Rilke. Avant d’en affronter la signification authentique dans le cadre de sa poétique, il est d’abord nécessaire d’observer que la pensée de Rilke ne se livre pas comme un ensemble ordonné et harmonieux, mais qu’elle correspond plutôt à des antinomies et à des choix angoissants et provisoires. Rilke semble sans cesse troublé par l’opposition dialectique entre la perception de la présence de l’ange (qu’accompagne la certitude que l’homme ne connaîtra pas de survie dans l’invisible) et l’intuition qu’un rapport secret lie la vie humaine et la mort de telle sorte qu’on peut définir la mort comme un espace intérieur à l’existence humaine. L’Élégie X marque le triomphe de cette dernière intuition et comporte la disparition de l’ange alors qu’on percevait dans les premières élégies des efforts pour tenter d’harmoniser entre elles ces deux composantes dialectiques et pour sauver en l’homme la faculté qui lui permettrait d’accéder à l’invisible, au moins dans le cas des jeunes morts – c’est-à-dire dans le cas de ceux qui mourront de leur propre mort.

35Mourir de sa propre mort est presque le rituel de vie opposé au rituel de poésie sur la voie qui conduit à l’invisible. Ainsi, tout comme le poète accomplit sa propre mission par l’évocation rituelle des images qui survivront dans la vision de l’ange, l’homme qui meurt de sa propre mort s’empare de la seule réalité logée en lui qui lui permettra de survivre à la transformation du visible en invisible. Les célébrations de ces deux rituels impliquent une certaine passivité, puisque Rilke affirme que le poète doit se laisser exploiter par les forces surhumaines tout comme l’homme doit se laisser mourir de sa propre mort (et lui-même célébra ces deux rituels aussi bien dans son activité de poète que dans les derniers moments de son existence. On sait que Rilke refusa d’absorber les stupéfiants qui auraient allégé les souffrances de la forme de leucémie extrêmement douloureuse qui l’affligeait parce que ces stupéfiants l’eussent rendu moins lucide). La signification du rituel qui consiste à mourir de sa propre mort réside en grande partie dans cette passivité qui transforme pratiquement l’homme en cette marionnette privée de volonté à laquelle l’accès à l’invisible est garanti. Voilà qui nous reconduit à cette sensation de Rilke qui se voyait comme le dernier descendant affaibli d’ancêtres qui avaient épuisé avant sa naissance les forces vitales de la lignée. Cette faiblesse coïncidait par ailleurs avec une élection singulière ou avec une prédisposition à subir (avec la passivité qu’imposait le rituel) la maturation de sa propre mort. Il ne semble pourtant pas que Rilke ait eu l’intention de transposer sa condition personnelle et sa propre expérience de la vie sur un plan plus général. Et pourtant, dans la fameuse lettre du 13 novembre 1925 à son traducteur polonais Witold von Hulewicz, alors qu’il précise la signification des Élégies de Duino Rilke attribue à sa condition « de dernier » la valeur d’un paradigme dont la signification vaudrait pour la condition présente de tous les hommes. C’est avec regret qu’il attribue aux réalités du passé (ainsi qu’aux hommes du passé) des facultés de connaissance exceptionnelles (bien qu’elles fussent passives) :

36

Pour nos grands-parents encore, une « maison », une « fontaine », une tour familière, et même leurs habits, leur manteau, étaient infiniment plus, infiniment plus familiers ; chaque chose ou presque un réceptacle, dans lequel ils trouvaient de l’humain et l’épargnaient. Aujourd’hui, l’Amérique nous inonde de choses vides, indifférentes, de pseudo-choses, d’attrapes de vie… Une maison au sens américain, une pomme ou une grappe de raisin américaines, n’ont rien de commun avec la maison, le fruit, la grappe qu’avaient imprégnés les pensives espérances de nos aïeux…Les choses douées de vie, les choses vécues, conscientes de nous, sont sur leur déclin et ne seront pas remplacées. Nous sommes peut-être les derniers qui auront encore connu de telles choses [19].

37C’était pourtant déjà le discours de celui qui avait achevé l’Élégie X en faisant disparaître l’ange de la poésie, fût-ce de manière provisoire. Rilke pouvait écrire dans la même lettre :

38

La terre n’a pas d’autre issue que de devenir invisible : en nous, qui participons pour une part de nous-mêmes à l’Invisible ; qui en possédons (au moins) des actions, et qui pouvons augmenter notre capital d’Invisible pendant que nous sommes ici […]

39La possibilité donnée aux hommes « d’augmenter [leur] possession d’invisibilité » consistait d’ailleurs à célébrer ce double rituel, de vie et de poésie, avec la volonté d’accepter passivement sa propre mort et sa propre mission de poète. Chaque instant passé dans l’acceptation de cet état de passivité constituait pour Rilke une thésaurisation de l’invisible. On peut donc conclure qu’alors même qu’il accordait la plus grande confiance aux facultés humaines pour accéder à l’infini, Rilke était dominé par une pensée qui obéissait à cette structure fondamentale : il existe une force surhumaine qui se révèle dans la métamorphose du visible à l’invisible et qui impose à l’homme de s’accueillir passivement en célébrant un rituel prescrit. Face à cette force surhumaine, Rilke a été partagé entre l’instinct qui le poussait à reconnaître en elle une puissante d’anéantissement – l’ange, et la volonté de reconnaître en l’homme une part de cette force. Selon la première hypothèse, l’homme n’a pas accès à l’invisible où les marionnettes ou bien la parure de Fédor viennent se ranger à sa place. Selon la seconde, l’homme peut accéder à l’invisible à la condition de s’abandonner passivement et de mourir de sa propre mort, c’est-à-dire s’il ne s’oppose pas à la part de l’invisible qui est en lui. De la même façon, le destin du poète peut être de disparaître une fois que la célébration du rituel a pris fin, ou bien l’élection à une condition « angélique » éternelle pendant et après le rituel, ou encore le destin commun des hommes qui peuvent survivre dans l’invisible en mourant de leur propre mort.

40Il serait purement arbitraire de décider lequel de ces destins a pu apparaître à Rilke comme le plus authentique au moment de sa mort. Sa volonté même de garder toute sa lucidité dans les dernières heures, fût-ce au prix des pires souffrances, pourrait finalement correspondre encore à une volonté extrême et héroïque de participer jusqu’au bout à son propre destin, quel qu’il ait été. Il se pourrait encore que l’explication la plus authentique du rituel (malgré tout mystérieux) du « mourir de sa propre mort » consiste à accepter de manière impeccablement passive un destin inconnu, au terme d’une vie pendant laquelle l’homme n’aurait rien opposé à la présence et à la maturation de la mort qui gisait en lui. Cette mort lui a été transmise par ses pères en même temps que sa vie ; et c’est sa mort, qui lui arrive dans le sang de sa lignée et qui se complète avec sa vie comme les deux moitiés symétriques d’un fruit. Le problème de l’identité personnelle est toujours résolu chez Rilke en un sens religieux puisqu’il affirme que c’est avant tout la mort qui donne son individualité à l’autre moitié du fruit : la vie – qui nous appartient en propre. Et la mort que chacun porte en lui-même est une part de l’invisible et donc une présence des forces surhumaines qui président au destin des métamorphoses. Sans ces dernières, et sans la mort qui en procède, l’homme ne saurait posséder un moi individuel. Selon des termes empruntés à Jung, on pourrait dire paradoxalement que l’homme ne peut pas dire : « je pense » s’il ignore que « ça pense en lui » avec la différence – ou à la paraphrase près – que Rilke mettait la mort à la place de la pensée.

41La notion d’un rituel de vie et surtout d’un rituel de poésie a permis à Rilke de ne pas se condamner au silence au lieu de pratiquer la poésie. Il a par là même dépassé l’expérience de Rimbaud qui parvint justement au silence à cause de son incapacité à accepter un rituel plutôt qu’une garantie de salut et qui a fini par refuser la passivité absolue face au surhumain en poussant sa propre faculté poétique jusqu’à la limite extrême de « l’activisme » sotériologique.

42Tout compte fait, Rilke a su voir dans le comportement humain (entendu tout simplement comme une série de gestes) une valeur (fût-elle réfléchie) dont seul D’Annunzio a fait l’expérience dans la poésie du début du xxe siècle. En se reconnaissant « comme le dernier d’une longue descendance », Rilke a vécu jusqu’à la fin le destin de la culture occidentale. Il a réussi à reconnaître dans la faiblesse même et dans la consumation le masque contingent et « historique » de la condition humaine.

43© Einaudi


Date de mise en ligne : 01/10/2016

https://doi.org/10.3917/poesi.121.0009

Notes

  • [1]
    « Sur l’impossibilité de dire Je, paradigmes épistémologiques et paradigmes poétiques chez Furio Jesi » in La puissance de la pensée, Essais et conférences, Paris, Rivages, 2006, p. 93-104.
  • [2]
    « Scienza del mito e critica letteraria » in Furio Jesi, Esoterismo e linguaggio mitologico, Studi su Rainer Maria Rilke, D’Anna, Firenze, Messina, 1976, 23-24.
  • [3]
    Pour une bibliographie complète, cf. Risalire il Nilo. Mito, fiaba, allegoria, (édition de F. Masini, G. Schiavoni) Sellerio, Palermo, 1983, p. 383-393.
  • [4]
    Cf. E.M. Butler, Rainer Maria Rilke, Cambridge, 1941 – édition italienne, Milan, 1948, p. 89.
  • [5]
    Qu’on considère l’expression « Die Letzten » qui donne son titre au recueil des récits composés entre 1898 et 1899 et publiés en 1902. Cf « Les derniers » Œuvres en prose, Paris, Gallimard, édition de la Pléiade, 1993, p. 245 sq.
  • [6]
    Il est évident que le problème de l’enfance et de l’adolescence de Rilke pourrait être résolu en utilisant une clef psychanalytique, mais il ne nous semble pas opportun d’utiliser une telle « clef » standardisée (qui ne refléterait d’ailleurs que l’aspect le plus superficiel de cette démarche). On ne saurait oublier cependant que Rilke éprouva toujours un sentiment de dévotion singulière (et explicite) pour son père en dépit de la pauvreté affective dont ce dernier faisait preuve à son égard. Certains vers de la quatrième Élégie de Duino (v. 37 sq.) témoignent d’une participation à l’existence du père conçu comme ce dernier anneau qui reliait Rilke à ses prédécesseurs. On verra là un contraste avec la répulsion que le poète a toujours manifestée à l’égard des amants de sexe masculin. On peut faire l’hypothèse que Rilke voyait son père comme un porteur de vie douloureux, étranger à la figure de sa mère, figure dans laquelle se sont reflétés (sans y trouver leur origine) ses sentiments de répulsion pour la maternité et pour tout rapport érotique œdipien éventuel.
  • [7]
    Rilke a plusieurs fois soutenu que sa descendance d’une noble famille d’antique lignée était bien établie. Or cette famille ne semble avoir entretenu que des rapports d’homonymie avec la sienne. Pour sceller sa correspondance, le poète a toujours utilisé un sceau avec deux lévriers rampants dont le blason fut sculpté sur sa tombe à Raron. Cet emblème héraldique ne semble pas non plus avoir de rapports avec sa famille. Par ailleurs le désir de Rilke de fréquenter des personnages de l’aristocratie est bien connu : tout se passe pour lui comme s’ils étaient les dépositaires de ces antiques emblèmes destinés à survivre dans l’invisible comme la parure de Fédor.
  • [8]
    Briefe, édition de K. Altheim, Insel, Francfort, 1966, p. 80.
  • [9]
    E. M. Butler, Rainer Maria Rilke, op. cit., p. 220.
  • [10]
    Les Carnets de Malte Laurids Brigge, in R.M. Rilke, Œuvres en prose, Paris, Gallimard, édition de la Pléiade, 1993, traduction de C. David, p. 562. [La version française ne comporte pas de division en chapitres].
  • [11]
    Wenn mir zumut ist, / zu warten vor der Puppenbühne, nein, / so völlig hinzuschaun, dass, um mein Schauen / am Ende aufzuwiegen, dort als Spieler /ein Engel hinmuss, der die Bälge hochreißt. / Engel und Puppe : dann ist endlich Schauspiel“. Traduction J.P. Lefebvre, in Rainer Maria Rilke, Œuvres poétiques et théâtrales, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1997, p. 538.
  • [12]
    Thomas Mann, Le Docteur Faustus, Paris, Albin Michel, 1950, p. 410.
  • [13]
    « Poupées » in Œuvres en prose, op. cit., p. 613. M. von Hattinberg, Rilke und Benvenuta, trad. it., Florence, 1949, p. 217.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    M. von Hattinberg, Rilke und Benvenuta, cit., p. 54 : « À Florence, à Bologne, à Venise ou à Rome, partout je m’arrêtais devant des pierres tombales, comme un écolier de la mort et je me laissais éduquer ».
  • [16]
    „Wer, wenn ich schriee, hörte mich denn aus der Engel / Ordnungen ? und gesetzt selbst, es nähme / einer mich plötzlich ans Herz : ich verginge von seinem / stärkeren Dasein“. Traduction J.P. Lefebvre, in Rainer Maria Rilke, Œuvres poétiques et théâtrales, op. cit., p. 527.
  • [17]
    Briefe und Tagebücher, p. 404.
  • [18]
    Correspondance in Œuvres de R.M. Rilke, traduction B. Briod, P. Jaccottet, P. Klossowski, Paris, Le Seuil, 1976, p. 310.
  • [19]
    R.M. Rilke, Correspondance, op. cit, p. 590-591.

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