Po&sie 2007/2 N° 120

Couverture de POESI_120

Article de revue

Coleridge, l’exotisme et l’Empire

Pages 17 à 29

Notes

  • [1]
    E. P. Thompson, The Romantics, England in a Revolutionary Age, ed. D. Thompson, London 1997, p. 107-155 ; pour les informations relatives au projet inachevé, cf. p. 107.
  • [2]
    E. P. Thompson, The Romantics, p. 110.
  • [3]
    [Comme l’indique C. Ginzburg un peu plus loin, le concept d’agency est difficile à traduire. Malgré l’homonymie en français, on a préféré « agence » à « action » parce que l’action est la mise en acte dont l’agence est la possibilité. On a écarté « actance » suggéré par le vocabulaire du linguiste Tesnière, « ageance » qui présentait de nombreux avantages mais l’inconvénient de la préciosité. Le terme d’agentivité, employé par les philosophes analytiques et les spécialistes de Wittgenstein n’étant pas transposable dans les textes de Coleridge n’était pas non plus satisfaisant. N.d.T].
  • [4]
    P. Anderson, Arguments within English Marxism, London 1980, pp. 16, 18.
  • [5]
    E. P. Thompson, Collected Poems, éd. F. Inglis, Newcastle upon Tyne 1999, p. 34 « Timepiece » (un poème publié posthume) ; E. P. Thompson « Comments on a People’s Culture », Our Time, Octobre 1947, cité par P. Anderson, Arguments, p. 144 n. 24.
  • [6]
    E. P. Thompson, « Agency and Choice – 1, » New Reasoner : A Quarterly Journal of Socialist Humanism, 5 (été 1958), p. 89–107.
  • [7]
    E. P. Thompson, The Making of the English Working Class, Harmondsworth 1968 (1st ed. 1963), p. 9 ; La Formation de la classe ouvrière anglaise, trad. de l’anglais par Gilles Dauvé, Mireille Golaszewski et Marie-Noëlle Thibault ; présent. par Miguel Abensour, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1988.
  • [8]
    History and Theory, 40 (2001), 4 : « Agency after Postmodernism » (ed. D. G. Shaw).
  • [9]
    J. Revel, Un parcours critique. Douze exercices d’histoire sociale, Paris 2006, p. 24-25
  • [10]
    P. Anderson, Arguments, p. 18.
  • [11]
    An occasional discourse, concerning God’s foreknowledge, and man’s free-agency : Being an attempt to reconcile their seeming opposition, and to assert the truth of both from the H. Scriptures, Londres 1687.
  • [12]
    A Preservative against the doctrine of fate : occasioned by reading Mr. Jonathan Edwards against free will, in a book, entitled A careful and strict enquiry, &c. : Proposed to the consideration of young students in divinity.… Being, in part, an extract from Mr. Baxter’s writings against Hobbes and other fatalists, Boston 1770.
  • [13]
    Imprimé pour l’auteur à Londres, 1777. Le professeur Franziska m’a gentiment envoyé un microfilm de cette œuvre de la Göttingen Staat- und Universitätsbibliothek. La référence aux théories de Hobbes se trouve à la page p. 5 : « Many modern writers, who seem pleased with the present confusion of our affairs, affirm, that all government was originally a creature of the people, and established by compact or violence [etc.]. »
  • [14]
    S. T. Coleridge, Biographia Literaria with His Aesthetical Essays, éd. J. Shawcross, 2 vols., Oxford 1907, I, p. 10. Coleridge citait ces vers pendant une promenade vespérale en compagnie de William Hazlitt (Cf. R. Holmes, Coleridge. Early Visions, 1772-1804, New York 1989, p. 194-195). [La traduction de la citation de Milton est empruntée à Chateaubriand, Le paradis perdu suivi de Essai sur la littérature anglaise, Paris, Garnier, 1861, p. 77. N.d.T.]
  • [15]
    E.K. Chambers, Samuel Taylor Coleridge. A Biographical Study, Oxford 1938, p. 127-128 : cf. aussi Coleridge, Collected Letters, éd. Griggs, II, 106, 1-10 (H. Stanford, Thomas Poole and His Friends, 1895).
  • [16]
    Coleridge, Collected Letters, ed. Griggs, III, 490.
  • [17]
    S. T. Coleridge, Biographia, I, p. 252 (chapter XIII).
  • [18]
    « Avant d’avoir atteint sa quinzième année, il [Coleridge] avait traduit les Hymnes Grecs de Synésios en vers anglais anacréontiques » (T. De Quincey, Reminiscences of the English Lake Poets, London 1917, p. 28).
  • [19]
    The Collected Works of Samuel Taylor Coleridge, Poetical Works, I, Princeton 2001, p. 212-213.
  • [20]
    J. L. Lowes, The Road to Xanadu. A Study in the Ways of the Imagination (1927), Princeton 1986, p. xxi.
  • [21]
    J. L. Lowes, The Road to Xanadu, p. 159-161.
  • [22]
    J. L. Lowes, The Road to Xanadu, p. 68, 72, 151, 154, 192. E. S. Shaffer a rejeté dédaigneusement l’explication de Lowe pour qui « des phrases rappelées de vieux folios au charme exotique se sont combinées pour former un grand poème » (« Kubla Khan » and the Fall of Jerusalem. The Mythological School in Biblical Criticism and Secular Literature, 1770-1880, Cambridge 1975, 1980, p. 8-9). L’explication de Lowe est théoriquement inadéquate, mais sa démonstration que Coleridge a lu ces « vieux folios au charme exotique » avec le plus grand soin et qu’il les a réélaborés dans son poème est impeccable. Prétendre que « nous devons même douter que c’étaient là ses sources » n’a aucun sens. Les suggestions alternatives proposées par Shaffer pour Kubla Khan sont beaucoup moins convaincantes ; la force de son livre est ailleurs (cf. note 52).
  • [23]
    The Letters of William and Dorothy Wordsworth, établies et éditées par E. de Selincourt, 2nd ed., The Early Years 1787-1805, révisées par C. L. Shafer, Oxford 1967, p. 194.
  • [24]
    T. De Quincey, Reminiscences, p. 7.
  • [25]
    W. Wordsworth, Memoirs, Londres 1851, I, p. 107-108, cité par Lowes, The Road to Xanadu, pp. 203, 485 note 18. Dans sa copie des Specimens of the Table Talk of the Late Samuel Taylor Coleridge (1835) Wordsworth note : « C[oleridge] savait parfaitement bien que ce fait [c’est-à-dire, la mort de l’albatros] dans le voyage de Shlevocke, c’était bien moi qui lui avais suggéré, alors que le poème était déjà planifié. Il est impossible de dire s’il avait oublié ou non ce fait quand eut lieu cette conversation avec D[e] Q[incey], ou s’il a refusé de l’avouer à D[e] Q[unicey] ». (Cf. S. T. Coleridge, Table Talk, rapporté par Henry Nelson Coleridge [et John Taylor Coleridge], éd. C. Woodring, II, Princeton 1990, p. 21 note 14.
  • [26]
    Lowes, The Road to Xanadu, p. 203-204.
  • [27]
    G. Whalley, « The Mariner and the Albatross » [1946-47] in Coleridge. A Collection of Critical Essays, éd. par K. Coburn, Englewood Cliffs, N. J. 1967, p. 32-51, surtout p. 44.
  • [28]
    Lowes, The Road to Xanadu, pp. 485-86 note 18. L. Cooper « A Glance at Wordsworth’s Reading. II. » Modern Language Notes, Vol. 22, No. 4 (Avril, 1907), p. 83-88, 110-117, parle d’une « paternité commune » « joint authorship » de The Ancient Mariner (p. 113) : une thèse que rien n’étaye.
  • [*]
    [Nous utilisons ici la traduction d’Henri Parisot : Le Dit du Vieux Marin, Christabel, Koubla Khan, Castella, Albeuve, 1971, p. 28. N.d.T]
  • [29]
    G. Soule « Coleridge’s Debt to Shelvocke » Notes and Queries, Septembre 2003, p. 287-288.
  • [30]
    G. Shelvocke, A Voyage round the World by the Way of the Great South Sea, Perform’d in the Years 1719, 20, 21, 22…, Londres 1723, pp. ii-iii. Cette édition de 1723 que j’ai pu consulter à la Bibliothèque Nationale de France n’est pas mentionnée à l’entrée « Shelvocke, George » du Dictionary of National Biography. Le livre fut réimprimé en 1726 et 1757. (Je n’ai pas pu voir la dernière édition).
  • [31]
    G. Shelvocke, A Voyage, p. 257.
  • [32]
    Le texte de Shelvocke est mentionné (avec une faute dans la date de publication, 1726) par R. Immerwahr, « “Romantic” and Its Cognates in England, Germany, and France before 1790 » in « Romantic » and Its Cognates. The European History of a Word, éd. H. Eichner, Manchester 1972, p. 25. « Romantic » était à l’origine un synonyme de « fictional » ; cf. par exemple T. Bayly, Herba parietis or, The wall-flovver. As it grew out of the stone-chamber belonging to the metropolitan prison of London, called Newgate. Being a history vvhich is partly true, partly romantick, morally divine : whereby a marriage between reality and fancy is solemnized by divinity, Londres 1650.
  • [33]
    G. Shelvocke, A Voyage, p. 407-408.
  • [34]
    G. Shelvocke, A Voyage, p. 413.
  • [35]
    G. Shelvocke, A Voyage, p. 72-73.
  • [36]
    G. Shelvocke, A Voyage, p. 73.
  • [37]
    Cf ci-dessus note 23.
  • [38]
    Lowes, The Road to Xanadu, p. 235 sq.
  • [39]
    S. T. Coleridge, « Prefatory note » [1828] au The Wanderings of Cain (1798) (The Portable Coleridge, éd. I.A. Richards, New York 1978, pp. 148-155.
  • [40]
    F. Moretti, Modern Epic. The World System from Goethe to García Márquez, Londres 1996, p. 22-30, surtout, p. 25, 27 (les italiques sont dans le texte).
  • [41]
    W. Empson, « The Ancient Mariner » [1964] in Id., Argufying : Essays on Literature and Culture, éd. J. Haffenden, Londres, 1988, pp. 297-319. Le commentaire sur l’essai d’Empson est extrait d’A Companion to Coleridge, éd. par J. S. Hill, Londres 1983, p. 267 n. 32.
  • [42]
    Coleridge’s Verse, éd. W. Empson et D. Pirie, Londres 1972, p. 39.
  • [43]
    T. Fulford, « Slavery and Superstition in the Supernatural Poems » in The Cambridge Companion to Coleridge, Cambridge 2002, p. 45-58, surtout p. 49.
  • [44]
    Cf. The Ancient Mariner, vers 63, 81-82, 141-142 (The Portable Coleridge, pp. 80-105). [Parisot manque par deux fois l’allusion : « au bout d’un certain temps parut un Albatros » (p. 14) ; « d’arbalète, notre albatros, je l’abattis » (p. 17) ; et : « à la place de la croix, ce fut l’Albatros / que désormais l’on vit suspendu à mon cou » (p. 21) N.d.T].
  • [45]
    M. J.-M. Sonmez, « Archaisms in “The Rime of the Ancient Mariner” » Cardiff Corvey : Reading the Romantic Text 9 (Déc. 2002). J. Stillinger, « The Multiple Versions of Coleridge’s Poems : How Many Mariners did Coleridge Write ? » in Studies in Romanticism, 31 (été 1992), p. 127-146, surtout p. 142 n. 24, fortement argumenté en faveur d’une approche stratifiée des textes de Coleridge et de sa biographie (cf. p. 145 pour une évaluation positive des marginalia de Coleridge pour The Ancient Mariner).
  • [46]
    S. T. Coleridge, Notebooks, éd. K. Coburn, I, Princeton 1957, I, 582 (27 Novembre 1799).
  • [47]
    Notebooks, III, p. 42-43 (cité par R. Holmes, Darker Reflections, 1804-1834, New York 1998, p. 383).
  • [48]
    À Sara Hutchinson, 6 août 1802 (Letters, éd. Griggs, II, p. 842) (cité par R. Holmes, Coleridge. Early Visions, p. 330).
  • [49]
    Coleridge, Collected Letters, I, 656, cite par T. J. Mazzeo, « Coleridge, Plagiarism, and the Psychology of the Romantic Habit », European Romantic Review, 15 (2004), p. 335-341, surtout p. 340.
  • [50]
    Coleridge, Biographia Literaria, éd. J. Shawcross, Oxford 1907, I, p. 105.
  • [51]
    Confessions of an Inquiring Spirit, Aids to Reflection (Works, 11, 1136), cité, dans une perspective différente in E. S. Shaffer, « Kubla Khan » and the Fall of Jerusalem, p. 77-78. Cf. aussi M. L. Barr, « Mosaic Law and Coleridge’s “Eolian Harp” Studies in Romanticism, 44 (Automne 2005), p. 293-316.
  • [52]
    Le contexte de ce déplacement a été éclairci par E. S. Shaffer, « Kubla Khan » and the Fall of Jerusalem. Cf. aussi E. E. Bostetter, The Romantic Ventriloquists. Wordsworth, Coleridge, Keats, Shelley, Byron, Seattle et Londre 1975 (éd. révisée).
  • [53]
    Coleridge, Notebooks, ed. K. Coburn, vol. 3, 1808-1819, Londres 1962, 3587 (cf. aussi les remarques exhaustives de l’éditeur).
  • [54]
    Coleridge, Biographia Literaria, ch. 7, p. 75-76.

1La revue Po&sie a publié dans son numéro, n° 108 « Identité comme altérité, Une discussion sur la rime pendant la période élisabéthaine » (2004, p. 55-70) qui devait former le deuxième chapitre de Nulle île n’est une île, quatre regards sur la littérature anglaise (Paris, Verdier, 2005).

2Dans « Coleridge, l’exotisme et l’Empire » Carlo Ginzburg revient sur la poésie anglaise pour s’interroger, à partir du concept d’agence retracé à travers l’œuvre de Coleridge, sur les relations entre quelques obsessions du poète et la rhétorique du colonialisme. Pour éclairer la portée de cet essai, on peut renvoyer, entre autres, à « Au-delà de l’exotisme : Picasso et Warburg » in Rapports de force, histoire, rhétorique, preuve (Paris, Hautes Études, Gallimard, Le Seuil, 2003, p. 101-116).

Actus, non agens.
Luther

31. Parmi les projets qu’E. P. Thompson a laissés inachevés à sa mort se trouvait une grande étude consacrée à Coleridge. Dans les années 1970, l’intérêt constant que Thompson portait à Coleridge lui avait inspiré trois essais qui ont été republiés dans le recueil posthume, The Romantics. [1] À cette époque, Thompson avait abordé son sujet à travers des lunettes explicitement contemporaines en comparant le changement de position qui avait conduit Coleridge du radicalisme de sa jeunesse au conservatisme des dernières années aux trajectoires qui avaient pu mener de la gauche vers la droite pendant la guerre froide. Une analogie avec le présent avait aussi inspiré à Thompson des efforts pour replacer dans leur contexte les premières sympathies de Coleridge pour les Jacobins.

4On peut trouver un entrelacs d’animosité et d’ouverture intellectuelle dans beaucoup d’écrits d’E. P. Thompson. Mais dans ses essais sur Coleridge, c’est à peine si l’on peut repérer une trace de sympathie, comme l’atteste le passage suivant :

5

« Coleridge constitue l’acmé même de l’auteur pour érudit. Comme John Livingston Lowes a été le premier à le montrer dans The Road to Xanadu, il n’y a presque pas une ligne qui ne soit sortie de la plume de Coleridge qui ne fût un dérivé de quelque expérience littéraire. Semaine après semaine, toutes les années, ce rendement ne cessait pas, et semaine après semaine, il revenait, plus ou moins bien assimilé, à travers les lettres, les carnets de notes, les poèmes, les articles, les cours. Il ne faut pas chercher le charme de Coleridge dans son originalité, sa force ou son intelligence (bien souvent surestimée par les spécialistes dont un travers professionnel consiste à confondre l’ampleur des références avec l’originalité créative) mais dans l’envergure de ses curiosités intellectuelles ». [2]

6Mon approche de Coleridge commencera aussi par le livre brillant de John Livingstone Lowes, The Road to Xanadu ; mes conclusions divergeront de celles de Thompson. Cette divergence est due en large part à une lecture différente d’une catégorie thompsonienne fondamentale : l’agence (agency) [3].

72. Perry Anderson avait remarqué il y a plusieurs années que l’agence (à laquelle il avait consacré un chapitre entier d’Arguments within English Marxism) est la « clef de voûte de tout le travail de Thomspon » ainsi qu’une « dominante dans son vocabulaire depuis ses premiers travaux » [4]. Les preuves ne manquent pas. Nous pourrions partir de Poème sur le temps (Timepiece), que le futur historien avait griffonné en octobre 1943 alors qu’il se trouvait sur un bateau qui l’emmenait en Afrique du Nord où il devait accomplir son service militaire dans l’active : « But Time is action, movement, Time is what we do, / and what we do is out of what old Time has done to us » : « Mais le temps est action, mouvement, le temps est ce que nous faisons/ et ce que nous faisons est hors de ce que le temps passé nous a fait ». Ces vers furent developpés quatre ans plus tard dans une remarque qu’on lit dans un article sur la Yougoslavie et la Bulgarie de l’après-guerre consacré à « la nature humaine elle-même changée par l’action humaine » [5]. En 1947, cet énoncé emphatique faisait écho à l’interprétation volontariste du marxisme répandue par Staline. Une dizaine d’années plus tard, l’invasion de la Hongrie par les soviétiques transformait ce marxisme antidéterministe en un rejet du stalinisme, qui devait prendre la forme de « Agency and Choice » un texte que Thompson publia en 1958 dans le journal qu’il avait fondé avec John Saville The New Reasoner : A Quarterly Journal of Socialist Humanism. En plus de constituer une déclaration politique, « Agency and Choice » annonçait quelques-unes des préoccupations historiographiques qui devaient occuper Thompson par la suite [6]. Mais les premières phrases de The Making of the English Working Class introduisaient un élément supplémentaire : « ce livre a un titre maladroit, mais il s’agit d’un titre qui correspond à son propos. Faire la classe ouvrière anglaise parce que cette une étude se propose comme un processus actif, qui doit autant à l’agence qu’au conditionnement » [7].

8On sait bien que dans les deux dernières décennies, l’agence est devenue un concept à la mode parmi les philosophes et les historiens qui ont voulu y trouver un instrument postmoderne pour rejeter le structuralisme (il est parfois associé au discours post-colonial). Mais c’est en vain que l’on chercherait le nom d’E.P. Thompson dans « Agency after Postmodernism/ L’agence après le postmodernisme » une livraison de la revue History and Theory publiée en 2001, qui offre une série d’essais où l’on trouve, à mon avis, des théories brumeuses et bien peu d’histoire [8]. Récemment Jacques Revel assignait E. P. Thompson « au tournant pragmatique » des sciences sociales qui n’a pas grand-chose à avoir avec le postmodernisme. Pour Thompson, comme le remarquait Revel, « agency » (un concept qui ne se laisse pas facilement traduire dans les autres langues) signifiait à la fois les dispositions pour l’action et les possibilités d’agir dans une situation donnée [9]. Mais il y a longtemps que Perry Anderson avait signalé une autre ambiguïté. En commentant les idées de Thompson au sujet de l’interaction entre l’agence et le conditionnement, Anderson avait rappelé les deux significations opposées du terme « agent » dans le langage de tous les jours : « il signifie à la fois l’initiateur actif et l’instrument passif » [10].

93. Les racines de cette ambivalence pourraient se trouver dans les débats théologiques sur le libre arbitre et la grâce qui atteignirent leur sommet aux dix-septième et dix-huitième siècles. Nombreux alors étaient ceux qui se demandaient si les humains étaient des initiateurs actifs ou des instruments passifs de la volonté de Dieu. Ceux qui assumaient l’existence du libre arbitre essayaient de concilier « la prescience de Dieu et la libre “agence” de l’homme » selon le titre d’un Discours occasionnel publié en 1687. [11] Mais ceux qui rejetaient l’existence du libre arbitre avaient parfois très à cœur de délimiter la frontière qui séparait la stricte prédestination des calvinistes et la nécessité telle que l’avaient posée Hobbes et d’autres fatalistes : cet enjeu était affronté par exemple dans A Preservative against the Doctrine of Fate, un tract anonyme adressé aux « jeunes étudiants en matière divine » qui fut publié à Boston en 1770 [12]. Les théories de Hobbes sur les origines de l’État étaient aussi la cible implicite d’un sermon prononcé le 13 décembre 1776 au sujet de la révolution américaine ayant pour titre Government not Originally Proceeding from Human Agency, but Divine Institution. [13] L’auteur de ce sermon était John Coleridge, Pasteur d’Ottery St. Mary, Devon et père de Samuel Taylor Coleridge.

104. Coleridge avait neuf ans à la mort de son père : « Mon père n’était pas un génie de première classe, mais un Chrétien de première classe ». On a parfois pris cette remarque comme un signe d’une certaine froideur de sentiment : thèse peu convaincante. En fait, les preuves que Coleridge se souvenait de son père avec affection ne manquent pas. C’est de lui qu’il avait appris, enfant, les noms des étoiles ; c’est de lui, fût-ce de manière indirecte, qu’il avait été conduit, comme on peut le lire dans la Biographia Literaria, à s’intéresser passionnément à la « métaphysique et aux controverses théologiques ». Le compte-rendu rétrospectif qu’en offre Coleridge suffit à montrer que ses intérêts précoces pour ces matières (il n’avait pas quinze ans) sont liés à la perte de son père :

11

« Dans mes errances sans amis nos jours de permission (j’étais orphelin et je n’avais presque aucun contact à Londres), je me régalais au plus haut point, si un voyageur, surtout s’il était habillé en noir, voulait entamer la conversation avec moi. Car je ne tardais pas à le diriger vers mes sujets de prédilection
« Sur la Providence, la prescience, la volonté et le destin : destin fixé, volonté libre, prescience absolue. Ils ne trouvent point d’issue, perdus qu’ils sont dans ces tortueux labyrinthes » [14].

12Dans ces vers du Paradis perdu de Milton, il serait très facile d’ajouter le terme « agence ». « Agent » et « agence » sont des mots dont Coleridge raffolait ; il les utilisait dans toutes sortes de contextes, du plus facétieux au plus métaphysique. À sa famille qui essayait de le convaincre de vivre à Ottery, Coleridge répondit : « Je dois décliner aux noms de la liberté publique et de la liberté d’agence individuelle » [15]. Bien plus tard, dans une lettre à John Morgan, il évoque l’opium, la drogue d’une vie, dans les termes d’un « free-agency annihilating poison » : d’un poison susceptible d’annihiler la liberté d’agence [16]. Dans un passage décisif de sa Biographia Literaria, il reformula la comparaison néoplatonicienne de l’activité poétique et de la création divine en se référant à l’agence comme à une charnière entre deux formes d’imagination, primaire et secondaire.

13

« Je tiens l’IMAGINATION primaire pour la Puissance vitale et le premier agent de toute perception humaine ainsi que pour la répétition dans l’esprit fini de l’acte éternel de création dans le JE SUIS infini. Je considère l’IMAGINATION secondaire comme un écho de la précédente, qui coexiste avec la volonté consciente, et qui, néanmoins, est identique à la première, par l’espèce de son agence et ne diffère d’elle que par le degré et le mode de son opération » [17].

14Le treizième chapitre de la Biographia Literaria, dont est extraite la citation précédente, est introduit par des devises empruntées à Milton, à Leibniz et à Synésios, le philosophe néoplatonicien qui s’était converti au christianisme au début du cinquième siècle [18]. En 1794 Leibniz avait déjà inspiré Coleridge dans un texte qui faisait partie de sa collaboration au poème Jeanne d’Arc de Robert Southey :

15

But Properties are God : the naked mass
Acts only by its inactivity.
Here we pause humbly. Others boldlier think
That as one body is the aggregate
Of atoms numberless, each organiz’d ;
So by a strange and dim similitude,
Infinite myriads of self-conscious minds
Form one all-conscious Spirit, who directs
With absolute ubiquity of thought
All his component monads, that yet seem
Within various province and apt agency
Each to pursue its own self-centering end.[19]
Mais les propriétés sont Dieu : la masse nue
Agit seulement par son inactivité.
Ici nous hésitons humblement. D’autres plus hardis pensent
Que tout comme un corps est l’agrégat
D’atomes innombrables, chacun organisé ;
De même, par une étrange et troublante ressemblance,
Des myriades infinies d’esprits conscients d’eux-mêmes
Forment un seul esprit conscient de tout, qui dirige
Avec une ubiquité de pensée absolue
Toutes les monades qui le composent, et qui semblent pourtant
Au sein de régions différentes et selon une agence appropriée
Poursuivre chacune sa propre fin centrée sur soi.

16Suivant les traces de Leibniz, Coleridge posait des monades pourvues d’esprits douées de conscience de soi et reliées entre elles par l’agence à un « Esprit conscient de tout ».

175. Ces spéculations métaphysiques pourraient sembler éloignées, sinon de l’esprit spacieux de Coleridge, du moins de l’exotisme et de l’empire. Je vais soutenir le contraire, en partant d’une hypothèse : il se peut bien que le concept d’agence d’E.P. Thompson lui ait été suggéré par la notion de Coleridge qui porte le même nom, et quand bien même il aurait été modifié par une addition cruciale – « le conditionnement ».

18Revenons au commentaire proposé par Thompson du livre de John Livingston Lowes The Road to Xanadu : « Coleridge constitue l’acmé même de l’auteur pour érudit ». Dans son livre, qui offre des lectures subtiles de A Study in the Ways of Imagination, Lowes étudiait le concept « d’agence » chez Coleridge et le reformulait pour en faire un véritable instrument analytique comme le montre cette citation empruntée au premier paragraphe de la préface : « Car l’agence qui ensorcelait n’était pas du tout, justement, une paire de contes de fées merveilleux [c’est-à-dire The Ancient Mariner et Kubla Khan] ni même la personnalité provocatrice et déconcertante de leur créateur. C’était l’énergie imaginative elle-même, surprise à l’œuvre (c’est du moins ce qui me semblait) derrière les fabriques de son tissage » [20].

19Lowes évitait les implications métaphysiques de l’agence de Coleridge, tout en préservant sa dimension impersonnelle (« C’était l’énergie imaginative elle-même »). Et The Road to Xanadu démontrait avec force que dans ses poèmes, Coleridge réélaborait une myriade d’images et d’idées qu’il reprenait de ses lectures (et surtout des récits des voyageurs). Mais la remarque doublement négative de Thompson – « Coleridge en tant acmé même de l’auteur pour érudit » – n’est pas tout à fait juste, puisque Lowes était aussi capable de repérer dans les poèmes de Coleridge les échos à des expériences qui n’avaient rien de livresque – comme regarder la lune, par exemple, un moment fugace qui nous est accessible parce que Dorothy Wordsworth l’a noté dans son journal. [21]

20Thompson eût pu formuler une critique d’une autre espèce à l’encontre du livre de Lowes. Dans The Road to Xanadu l’agence est mentionnée à plusieurs reprises, mais sans le moindre essai de définir ses opérations – en explorant, par exemple, ses principes de sélection [22]. Lowes posait ainsi une agence cohérente, en effet, mais indéterminée. Certes, Coleridge considérait l’agence comme un principe universel : mais il pensait, comme nous l’avons vu, que chaque monade semble « Au sein de régions différentes et selon une agence appropriée/ Poursuivre chacune sa propre fin centrée sur soi ». Coleridge était tout à fait conscient que son « agence » de poète différait de celle de Wordsworth. Les « conditionnements » de Thompson peuvent-ils apporter quelque lumière sur la manière qu’avait Coleridge de poursuivre « sa propre fin centrée sur [lui] » ?

21« Conditionnement » est un terme à large portée, puisqu’il peut renvoyer à la fois à des éléments textuels et extratextuels. Je partirai des textes – et plus précisément, de certains textes dont les fragments, emmagasinés dans l’extraordinaire mémoire de Coleridge, ont fini par trouver leur voie dans ses poèmes, souvent grâce à une réélaboration formelle. Il faut avouer qu’ici l’aide apportée par The Road to Xanadu est véritablement inestimable. Mais la force de la reconstruction détaillée de Lowes – son souci exclusif de la lettre, la mise en mots effective d’une myriade de passages – permet aussi d’indiquer ses limites intrinsèques. Lowes a identifié les matériaux textuels que Coleridge avait travaillés, mais il n’a jamais exploré la possibilité d’une interaction plus large entre Coleridge et les textes qu’il lisait. Au-delà du passage qu’il avait repris dans son œuvre, Coleridge n’avait-il pas lu d’autres passages ? Et comment une analyse qui se fonderait sur une telle thèse pourrait-elle affecter notre perception de l’œuvre de Coleridge ?

226. On pourrait poser cette question en reprenant un cas célèbre : The Ancient Mariner. Commençons par rappeler quelques faits bien connus. Coleridge et Wordsworth avaient prévu de gagner un peu d’argent en écrivant un poème à quatre mains. En novembre 1797, après une promenade dans le comté de Somerset par une « soirée sombre et nuageuse », les deux amis jettent sur le papier le plan d’une balade [23]. Wordsworth finit par abandonner la partie, après avoir pris conscience que leurs attitudes divergent trop fortement. En mars 1798, Coleridge achève le poème qu’il lit à William et à Dorothy Wordsworth. Dans les Lyrical Ballads que Wordsworth et Coleridge font paraître en septembre, The Ryme of the Ancient Mariner figure aussi parmi l’ensemble des poèmes anonyme. Plus tard, Wordsworth rééditera ses poèmes et Coleridge publiera The Ancient Mariner de manière autonome et sous une forme révisée. Un débat relatif aux circonstances qui entourent la composition de The Ancient Mariner devait commencer en 1834 avec la publication des souvenirs de De Quincey sur Coleridge, qui venait juste de mourir. Quelques années auparavant, plongé dans la lecture du Voyage autour du monde de George Shelvocke, un récit de voyage datant du premier dix-huitième siècle, De Quincey était tombé sur un passage décrivant un lieutenant qui, dans un accès de mélancolie, avait abattu un albatros qu’il tenait pour responsable d’une « longue saison de mauvais temps ».

23

« Tout d’un coup », [commentait De Quincey], « je vis le germe de The Ancient Mariner ; et j’adressais une question à Coleridge en conséquence. Pouvait-on imaginer qu’il verrait là une cause de refuser totalement une dette aussi légère à l’égard de Shelvocke ? Lorsqu’il apprit cela, Wordsworth, homme de la plus grande véracité, admit qu’il avait du mal à comprendre l’intention de Coleridge puisqu’il était de notoriété publique, comme il me l’avait dit, que Coleridge avait dérivé du passage que j’avais cité le point de départ de l’action de son poème ; bien qu’il soit tout à fait possible, si l’on se fonde sur un propos de Coleridge en une autre occasion, qu’il ait pensé, avant de rencontrer une fable dans laquelle incarner ses idées, à un poème sur le délire, confondant le scénario de ses rêves avec les choses extérieures, et qu’il l’ait relié aux images des hautes latitudes » [24].

24Les souvenirs de De Quincey sur Coleridge sont souvent désagréables et comprennent, à côté de remarques calomnieuses de divers genres, des accusations répétées de plagiat. Mais en dépit du ton hostile de ses remarques, De Quincey n’insiste pas sur ce que Coleridge devait aux Voyages de Shelvocke, et qui n’était pour lui qu’une « dette légère ». Par ailleurs, près de cinquante ans après la composition de The Ancient Mariner, Wordsworth a dicté ses propres souvenirs sur sa genèse et sur le rôle qu’il y a personnellement joué :

25

« La plus grande partie de l’histoire était l’invention de M. Coleridge ; mais j’ai suggéré certaines parties moi-même, et, par exemple, j’ai soutenu qu’il fallait qu’un crime fût commis pour ramener le Vieux Navigateur, comme Coleridge se plaisait à l’appeler par la suite, la persécution spectrale, comme une conséquence de ce crime, et ses propres errances. J’avais lu, un ou deux jours avant, dans les Voyages de Shelvocke que pendant qu’ils doublaient le cap Horn, il arrivait souvent aux hommes d’équipage d’apercevoir sous cette latitude des albatros, l’espèce la plus grande des oiseaux de mer, quelques-uns pouvant atteindre jusqu’à douze ou quinze pieds d’envergure. “Supposez, dis-je, que vous représentiez qu’il a tué un de ces oiseaux en entrant dans les Mers du Sud, et que les Esprits tutélaires de ces régions prennent sur eux de venger le crime”. On pensa que l’incident convenait bien au propos et il fut accepté en conséquence » [25].

26Quelques années plus tard, comme nous le savons d’une source différente, Wordsworth avait mentionné un détail supplémentaire, quoique hypothétique : « L’idée de tirer sur un albatros était la mienne, car j’avais lu les Voyages de Shelvocke, que Coleridge n’avait probablement jamais vus » [26].

27Coleridge s’était-il entièrement reposé sur le compte-rendu de Wordsworth comme ce dernier l’avait suggéré ? Un chercheur a carrément récusé la question comme dénuée de tout intérêt : « Que Wordsworth ou Coleridge soit vraiment tombé sur l’albatros, chez Shelvocke ou ailleurs, n’a aucune importance ». [27] Mais il s’agit d’une voix isolée. Lowes avait soutenu qu’une série de convergences « permettait de prendre pour une quasi certitude la probabilité selon laquelle Coleridge s’était tourné vers Shelvocke de lui-même ». [28] Un article récent a définitivement mis fin au débat en démentant les souvenirs du vieux Wordsworth : il faut bien que Coleridge ait entretenu une certaine familiarité avec le récit de Shelvocke, puisqu’on retrouve chez lui des détails minimes comme les « serpents d’eau » (« Beyond the shadow of the ship, /I watched the watersnakes… » : « Par delà l’ombre du navire, / J’observais les serpents de mer » [*]). Mais le même article fait remarquer que la qualité rédemptrice des serpents d’eau (« O happy living things !… And I blessed them unaware. / The self-same moment I could pray » : « Ô joie en ces être vivants ! […]/ Puisque sans m’en rendre compte, je les bénis. // À l’instant même, j’eus licence de prier ».) doit être attribuée à Coleridge et non pas à sa « source » [29]. On peut bien sûr étendre cette remarque au sentiment de la culpabilité de l’Ancient Mariner qui rend son besoin de rédemption si pressant. La lecture que fait Coleridge de ses sources nous ramène à la manière dont il les approchait – l’agenda qui donnait une forme à son « agence ». Un examen plus attentif du récit de Shelvocke pris dans son ensemble pourrait jeter quelque lueur sur cette interaction.

287. « Une Nation telle que la nôtre, dont la santé et la grandeur sont soutenues par une Marine puissante […] une puissance Maritime comme l’est la nôtre, qui par le passé et aujourd’hui encore maintiennent nos voisins européens dans un état de crainte respectueuse, non seulement sur leurs côtes natales, mais aussi sur les rivages plus lointains dont ils se sont eux-mêmes emparés dans les autres régions du monde ». Au tout début de son Voyage round the World by the Way of the Great South Sea, publié pour la première fois en 1723, George Shelvocke se présentait lui-même comme un Anglais fier de l’être qui entendait faire de son récit de voyage une contribution à la gloire de son pays [30]. En réalité, entre 1718 et 1720, Shelvocke, capitaine d’un bateau qui comptait vingt-quatre canons et une centaine d’hommes d’équipages, navigua autour de l’Amérique du Sud en menant une guerre privée, à la manière des pirates, sous couvert de la guerre appelée Guerre de la Quadruple Alliance qui mettait aux prises l’Espagne d’un côté et l’Angleterre, l’Autriche, la France et les Provinces Unies de l’autre. Shelvocke ne se contenta pas de mettre à sac les cités côtières et de saisir des navires espagnols (y compris un bateau qui remplaça le sien détruit dans une tempête) : il attaqua un navire portugais près de la côté du Brésil, ce qui lui valut, à peine rentré en Angleterre en 1722, d’être arrêté et accusé de piraterie.

29Pour sa défense, Shelvocke écrivit (il aura sans doute été aidé par quelqu’un, mais on ne sait toujours pas par qui) son Voyage autour du monde, en couvrant ses actes d’un voile patriotique. William Betagh, un des hommes d’équipage de Shelvocke, ne tarda pas à mettre en discussion la véracité de A Voyage around the World. Mais ces débats ne passionnèrent pas des lecteurs tels que Wordsworth et Coleridge. Dans le récit de Shelvocke, ils auraient pu trouver de vivaces descriptions d’espaces exotiques chargés d’émotion. Voici la conclusion de la section consacrée par Shelvocke à l’île de Juan Fernandes, située au large de la côte chilienne à 33.30° de latitude sud :

30

« En bref, toutes les choses qu’on peut voir ou entendre sur cette île sont parfaitement romantiques. La figure même de l’île, dans toutes ses parties, possède une certaine beauté sauvage et irrégulière, qui ne peut pas être exprimée ; les nombreuses perspectives des collines inaccessibles et la solitude de ces tristes vallées encaissées, qui pendant une grande partie de la journée ne profitent pas beaucoup du soleil et les chutes d’eau, que chacun peut entendre alentour, seraient agréables à quiconque voudrait se laisser aller un moment à une mélancolie pensive. Pour conclure, on ne saurait rien concevoir de plus tristement solennel que d’entendre le silence de cette nuit paisible détruit par le mouvement de la vague venant battre au rivage, avec le rugissement sauvage des lions de mer répété tout autour par les échos des vallées profondes, par le mugissement incessant des phoques (qui, selon leur âge font des bruits plus rauques ou plus stridents) ; c’est au point que dans ce mélange confus, un homme pourrait imaginer qu’il a entendu les bruits de toute les espèces animales qui se trouvent sur terre, mélangés tous ensemble » [31].

31On n’omettra pas le saveur édénique de la conclusion. Mais les sentiments contradictoires que provoquent les paysages exotiques de l’île – « une certaine beauté irrégulière, sauvage », « la mélancolie sauvage », « tristement solennel » – se trouvent condensés en un mot qui n’avait commencé que récemment à exprimer justement ces nuances : « romantique – romantick » [32]. Le monde exotique et dépouillé décrit dans le Voyage de Shelvocke est regardé par des yeux européens. Regardé – et conquis.

328. Ce monde édénique était habité par des êtres humains. Une longue section du récit de Shelvocke est consacrée aux Indiens qui vivaient pour la plupart dans le sud de la Californie.

33

« Ils semblent passer leur vie dans la plus pure simplicité des premiers âges du monde, avant que la discorde et la dispute n’aient fait leur apparition parmi les hommes. Ils n’ont jamais été corrompus par l’entretien et le commerce des autres nations qui eussent pu pervertir leur innocence et leur moralité et leurs esprits n’ont pas été émoussés par l’oppression d’un conquérant, qui, en exerçant leurs cruautés sur eux, eussent pu leur apprendre à trouver des délices dans la barbarie, comme cela a pu se produire pour les Indiens du Mexique et du Pérou, qui, n’en doutons pas, ont vu leurs notions de l’humanité considérablement augmentées par les Espagnols qui leur ont montré un exemple horrible par les boucheries continuelles auxquelles ils exposaient les Indiens ». [33]

34Le récit de Shelvocke ne manque pas d’observations hostiles contre l’Espagne et les Espagnols. Mais ce qui est établi ici a des implications plus larges. Les cruautés de la conquête espagnole du Mexique et du Pérou étaient présentées comme un exemple d’une règle générale. Les populations indiennes innocentes devaient être corrompues par « l’oppression d’un conquérant » – quel qu’il fût. Comme de nombreux auteurs avant lui Shelvocke remplissait son compte-rendu de comparaisons entre l’Ancien et le Nouveau Monde :

35

« On pourrait dire que ces Californiens agissent selon les commandements de la Nature, tandis que nous, au contraire, nous agissons contre les justes remontrances de notre raison. […] Ils semblent jouir d’une parfaite tranquillité, au bonheur de laquelle rien ne pourrait être ajouté, si ce n’est la véritable connaissance de Dieu et le culte qui permettrait de l’adorer justement. […] Leur gouvernement […] n’est pas très strict ni très rigoureux : ce qu’ils ont de loi pourrait se réduire aux bornes les plus étroites où la justice ne peut avoir d’autre fonction que de venger le meurtre, ce dont je suis persuadé qu’ils ne se rendent jamais coupables de leur propre volonté ». [34]

369. Il se peut que la description de la « simplicité originale » des Indiens de Californie ait renforcé les rêves que nourrissait Coleridge d’une utopie Pantisocratique : la communauté des amis qu’il espérait implanter dans le Nouveau Monde. Mais la présence dans le récit de Shelvocke de ces paysages et de ces humains édéniques, comme s’ils précédaient le péché originel, joua un rôle encore plus important, qui poussa Wordsworth, et de là, Coleridge, à se concentrer sur l’albatros. Voici maintenant le fameux passage de Shelvocke :

37

« Nous ne cessions d’essuyer des rafales de neige fondue, de neige et de pluie, et les cieux nous étaient toujours dissimulés par des nuages sinistres et lugubres. En bref, personne ne pouvait penser que quoi que ce fût de vivant pût subsister dans un climat aussi rigoureux ; et en effet, nous avions tous observé, que nous n’avions pas eu l’occasion d’apercevoir le moindre poisson depuis que nous étions parvenus au sud des détroits de Le Mair, pas le moindre oiseau de mer, excepté un Albitross noir à l’air désolé, qui nous accompagnait depuis plusieurs jours, planant au-dessus du bateau comme s’il s’était perdu, jusqu’au moment où Hatley (mon capitaine en second) fît observer, dans un de ses accès de mélancolie, que cet oiseau ne cessait de planer à nos côtés, et qu’à en juger par sa couleur, il pouvait bien être une espèce de mauvais augure. Ce qui le poussa le plus à nourrir sa superstition, j’imagine, était la série continue des bourrasques de vents contraires qui n’avaient cessé de nous oppresser depuis que nous étions rentrés dans cette mer. Mais quoi qu’il en soit, après plusieurs vaines tentatives, il finit par abattre l’Albitross, ne doutant pas (peut-être) que nous aurions après cela un vent favorable ». [35]

38Pour ceux qui connaissent l’épisode à travers Coleridge, ce qui est le plus frappant dans le récit de Shelvocke est le caractère neutre, détaché de sa description. La mort de l’albatros, commente Shelvocke, nous laissa « sans un compagnon qui eût pu divertir nos pensées de la réflexion que nous nous trouvions dans une partie du monde si reculée ». [36] Car pour Wordsworth et Coleridge tuer l’albatros constituait un crime. La lecture de cet épisode fournit une réponse à la recherche de Coleridge d’un élément crucial pour le poème qu’il projetait d’écrire. Voici à nouveau les mots de Wordsworth : « il fallait qu’un crime fût commis pour ramener le Vieux Navigateur, comme Coleridge se plaisait à l’appeler par la suite, la persécution spectrale, comme une conséquence de ce crime, et ses propres errances. […] “Supposez, dis-je, que vous représentiez qu’il a tué un de ces oiseaux en entrant dans les Mers du Sud, et que les Esprits tutélaires de ces régions prennent sur eux de venger le crime” ». [37]

39L’esprit de Coleridge était alors rempli du juif errant et de The Wanderings of Cain. [38] Il avait commencé à travailler avec Wordsworth sur ce dernier thème à un projet commun qu’il n’allait pas tarder à abandonner (comme Coleridge le rappellera quelques années plus tard) et « le Vieux Marin fut écrit à la place » [39]. Ce nouveau sujet était pertinent, puisque les deux projets précédents concernaient des thèmes fondés sur le crime et le sentiment de la culpabilité : Jésus bafoué pendant qu’il porte la croix et le meurtre d’Abel. La culpabilité joua un rôle décisif dans la vie de Coleridge. Il semble que de manière indépendante, ou pour répondre à une question posée par Coleridge, Wordsworth a réuni plusieurs éléments du Voyage round the World, en faisant de la mort de l’albatros un acte symbolique, un acte qui incarne la violence que les envahisseurs européens infligèrent à un monde innocent et édénique où le meurtre délibéré était inconnu.

4010. Une telle interprétation doit beaucoup à Modern Epic, le livre stimulant de Franco Moretti. Moretti a identifié un élément qui « apparaît d’une façon ou d’une autre dans tous les chefs d’œuvre de l’imagination coloniale » à savoir un « renversement idéologique tout à fait saisissant » qui transforme un acte de conquête en « une libération de la barbarie ». Ce procédé, fondé sur « une stratégie du déni et de la dénégation – une projection de la violence à l’extérieur d’elle-même » pourrait être appelé, selon Moretti « une rhétorique de l’innocence ». [40] The Ancient Mariner, qui fut aussi, comme nous l’avons vu, inspiré par une espèce de récit colonial, pourrait aussi être considéré comme un exemple isolé d’un procédé inverse : « une rhétorique de la faute ». Dans un essai qu’un critique a récemment rejeté comme un texte « hautement idiosyncrasique et fondé sur des cercles vicieux », William Empson avait défini The Ancient Mariner comme « la grande ballade de l’expansion maritime et de l’empire » en soulignant les sentiments de culpabilité que pouvaient susciter l’une et à l’autre [41]. Plus tard, et de manière moins convaincante, Empson a pu écrire que « le poème porte […] sur la faute névrotique ; [et que] c’est la première étude d’envergure sur cette condition » : or une telle remarque ne tient pas compte des interactions entre les dimensions personnelles et les dimensions politiques qui sont à l’œuvre dans The Ancient Mariner[42]. Plus récemment, Tim Fulford a rappelé la condamnation puissante de l’impérialisme britannique dans Fears of Solitude, un poème écrit par Coleridge tout de suite après The Ancient Mariner : [43]

41

« We have offended, Oh ! My countrymen !
We have offended very grievously,
And been most tyrannous. From east to west
A groan of accusations pierces Heaven !
(…) have we gone forth
And borne to distant tribes slavery and pangs. »
Nous avons péché ! Oh mes chers compatriotes !
Nous avons très gravement péché,
Et nous avons été très tyranniques. D’est en ouest
Un gémissement d’accusations transperce les cieux !
(…) nous sommes allés de l’avant
Et nous avons apporté à des tribus lointaines esclavage et douleurs ».

42Coleridge soulignait par deux fois la faute du Vieux Marin : d’abord, en acceptant la suggestion de Wordsworth selon laquelle tuer l’albatros était un crime ; ensuite, en créant un écart énorme entre le crime et sa punition éternelle – un thème qui était inspiré par la légende du Juif errant, évoquée par trois fois à la rime « cross [croix] / albatros » : « At length did cross an Albatross » ; « With my cross-bow / I shot the ALBATROSS » ; « Instead of the cross, the Albatross / About my neck was hung. » [44]

43Dans les premières versions de The Ancient Mariner, publiées entre 1798 et 1805, le crime – « I shot the ALBATROSS » – restait inexpliqué. Un tel silence donnait à la « rhétorique de la faute » de Coleridge une force extraordinaire. Harold Bloom a écrit une fois que « Coleridge, comme Kafka, rend son œuvre ininterprétable ». Les gloses pédantes, et parfois terre à terre, que Coleridge a ajoutées en 1817 en guise d’explication à son poème de jeunesse apporte une preuve paradoxale à cette thèse [45].

4411. On a beaucoup écrit sur le profond sentiment de culpabilité de Coleridge. Approchons ce thème de manière indirecte, en partant d’un célèbre passage que Coleridge gribouilla dans un de ses carnets, à la fin du mois de novembre 1799 et qu’il recopia trois ans plus tard en apportant quelques changements :

45

« Des étourneaux en de vastes vols évoluaient comme de la fumée, de la brume ou quoi que ce fût de brumeux dénué de volonté – maintenant une aire circulaire inclinée [en un] arc – un globe maintenant – [désormais d’une orbe complète en une] ellipse et oblongue – maintenant un ballon avec le [char suspend] u, maintenant un [dem] i cercle concave et [encore] il s’épand et se condense à certains [moments] miroitant, tremblant, pâle et indécis, maintenant plus épais, plus profond, plus noir ! » [46].

46Ces étourneaux parcourus d’une agitation frénétique et dépourvus de « volonté » – agissaient-ils ou étaient-ils agis ? Il est possible que Coleridge ait médité sur cette alternative. Il a toujours pensé que sa propre faiblesse consistait en un manque total de volonté, un sous-produit de « ses nombreux péchés et chagrins, contenus ou symbolisés par l’opium ». [47] Il savait que l’opium, ce « poison susceptible d’annihiler la liberté d’agence » était à la fois une cause et un symptôme, qui plongeait ses racines dans ces brusques sautes d’humeur qui faisaient alterner découragement et joie et qu’il décrivait dans une lettre qu’il envoya en 1802 à Sarah Hutchinson, la femme qu’il aimait :

47

« Quand la Raison et la Volonté sont loin, il ne reste que le Noir, la Confusion, une Honte déroutante et une Douleur qui est un Seigneur qui nous domine complètement et qui fait flotter l’âme à travers les airs en lui faisant prendre plusieurs formes, jusqu’à celle d’un vol d’étourneaux dans un vent ». [48]

48Coleridge a dû savoir, d’une certaine manière, que sa plus grande faiblesse était sa plus grande force. Il demanda une fois à son ami John Thelwall « si jamais, fût-ce comme un ventriloque inconscient de sa propre agence, vous avez, selon votre humeur, et selon le moment, balancé la voix de vos désirs humains dans l’espace qui ne vous contient pas pour l’écouter comme si c’était la réalité ». [49] Le même mot devait refaire surface quelques années plus tard. « Je regarde la vérité comme un ventriloque divin » écrivit Coleridge [50]. Il décrit le David des psaumes comme un « ventriloque », « comme un pur instrument de sa harpe, un poète automaton, affligé, suppliant. » [51] Toutes ces métaphores renvoyaient à une version sécularisée de l’inspiration religieuse [52]. Les poètes, comme les prophètes, sont pénétrés de vérité, envahis par la vérité.

49Lentement, dans l’esprit de Coleridge, cette approche de la poésie, et du savoir, qui se concentrait sur la passivité, devait céder le pas à une attitude différente, plus complexe, inspirée par sa lecture de Kant et de Fichte. Réfléchissant aux implications d’une (fausse) étymologie qui liait « chose » (thing) et « penser » (thinking), res et reor, Coleridge remarquait : « La pensée (“thought”) est le participe passé de la chose (“thing”) – une chose agit sur moi, mais pas de manière purement passive, ce qui est le cas dans toute affection, affectus, mais la res agit in co-agentem – d’abord je suis “thinged”, et puis je pense (“thing” ou “thing”) – rem reorreatam rursus reor » [53].

50Quelques années plus tard, dans sa Biographia Literaria Coleridge devait transformer ces remarques abstraites en une métaphore fondée, une nouvelle fois, sur un animal :

51

« La plupart de mes lecteurs auront remarqué un petit insecte d’eau à la surface des ruisseaux, qui jette une ombre à cinq taches frangée des couleurs du prisme sur le fond ensoleillé du cours d’eau ; la manière dont ce petit animal fraye son chemin contre le courant ne leur aura pas échappé : il alterne des poussées de mouvement actif et passif, parfois en résistant au courant, parfois en y cédant de manière à rassembler de la force et un pivot momentané pour une propulsion successive. Il y a là un emblème qui n’est pas sans rapport avec l’expérience de l’esprit dans l’acte de la pensée. On trouve de toute évidence deux pouvoirs à l’œuvre, qui sont relativement l’un par rapport à l’autre actif et passif ; et cela ne serait pas possible sans une faculté intermédiaire qui est tout à la fois active et passive. (Dans le langage philosophique, nous devons nommer cette faculté intermédiaire à tous ses degrés et dans toutes ses déterminations, l’IMAGINATION) » [54].

52Le poète comme un « initiateur actif et un instrument passif » : ce sont les deux significations opposées du mot « agent » que Perry Anderson indiquait. Les deux éléments, actif et passif, étaient présents dans la reprise du récit de Shelvocke par Coleridge et dans ses implications. Le meurtre de l’albatros entrait en résonance avec ses propres sentiments de culpabilité, qui finissaient par exprimer un sentiment plus large de culpabilité historique né des horreurs de la colonisation européenne. Ce cas est loin d’être unique. La dette qu’E.P. Thompson a pu contracter à l’égard de Coleridge – à travers la médiation de leur filiation commune de l’idéalisme allemand – ourrait nous conduire à formuler une hypothèse plus générale. Une expérience ayant un rapport avec un agencement poétique, avec la relation complexe qui se noue entre l’agence consciente et l’agence inconsciente, entre l’expérience d’agir et l’expérience d’être agi, pourrait devenir un modèle pour des phénomènes différents et plus largement répandus : des processus sociaux qui engagent eux aussi, comme E.P Thompson l’avait formulé, une interaction entre l’agence et le conditionnement. Il y a bien longtemps, on nous a appris à considérer le monde comme un texte ; nous pourrions maintenant essayer, pour changer, de considérer les textes comme des mondes.

Ce texte constitue la version remaniée de la E. P. Thompson 2007 Lecture que j’ai donnée à Pittsburgh en janvier 2007. Je tiens à remercier très vivement Marcus Rediker pour son hospitalité chaleureuse et ses remarques pleines de pertinence. Sam Gilbert, qui m’avait introduit quelques années au livre de J. L. Lowes The Road to Xanadu, en m’en faisant le cadeau, a revu mon texte et formulé quelques remarques critiques rigoureuses. Les remarques de Saverio Marchignoli sur « agency » m’ont été précieuses.

Date de mise en ligne : 01/10/2016

https://doi.org/10.3917/poesi.120.0017

Notes

  • [1]
    E. P. Thompson, The Romantics, England in a Revolutionary Age, ed. D. Thompson, London 1997, p. 107-155 ; pour les informations relatives au projet inachevé, cf. p. 107.
  • [2]
    E. P. Thompson, The Romantics, p. 110.
  • [3]
    [Comme l’indique C. Ginzburg un peu plus loin, le concept d’agency est difficile à traduire. Malgré l’homonymie en français, on a préféré « agence » à « action » parce que l’action est la mise en acte dont l’agence est la possibilité. On a écarté « actance » suggéré par le vocabulaire du linguiste Tesnière, « ageance » qui présentait de nombreux avantages mais l’inconvénient de la préciosité. Le terme d’agentivité, employé par les philosophes analytiques et les spécialistes de Wittgenstein n’étant pas transposable dans les textes de Coleridge n’était pas non plus satisfaisant. N.d.T].
  • [4]
    P. Anderson, Arguments within English Marxism, London 1980, pp. 16, 18.
  • [5]
    E. P. Thompson, Collected Poems, éd. F. Inglis, Newcastle upon Tyne 1999, p. 34 « Timepiece » (un poème publié posthume) ; E. P. Thompson « Comments on a People’s Culture », Our Time, Octobre 1947, cité par P. Anderson, Arguments, p. 144 n. 24.
  • [6]
    E. P. Thompson, « Agency and Choice – 1, » New Reasoner : A Quarterly Journal of Socialist Humanism, 5 (été 1958), p. 89–107.
  • [7]
    E. P. Thompson, The Making of the English Working Class, Harmondsworth 1968 (1st ed. 1963), p. 9 ; La Formation de la classe ouvrière anglaise, trad. de l’anglais par Gilles Dauvé, Mireille Golaszewski et Marie-Noëlle Thibault ; présent. par Miguel Abensour, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1988.
  • [8]
    History and Theory, 40 (2001), 4 : « Agency after Postmodernism » (ed. D. G. Shaw).
  • [9]
    J. Revel, Un parcours critique. Douze exercices d’histoire sociale, Paris 2006, p. 24-25
  • [10]
    P. Anderson, Arguments, p. 18.
  • [11]
    An occasional discourse, concerning God’s foreknowledge, and man’s free-agency : Being an attempt to reconcile their seeming opposition, and to assert the truth of both from the H. Scriptures, Londres 1687.
  • [12]
    A Preservative against the doctrine of fate : occasioned by reading Mr. Jonathan Edwards against free will, in a book, entitled A careful and strict enquiry, &c. : Proposed to the consideration of young students in divinity.… Being, in part, an extract from Mr. Baxter’s writings against Hobbes and other fatalists, Boston 1770.
  • [13]
    Imprimé pour l’auteur à Londres, 1777. Le professeur Franziska m’a gentiment envoyé un microfilm de cette œuvre de la Göttingen Staat- und Universitätsbibliothek. La référence aux théories de Hobbes se trouve à la page p. 5 : « Many modern writers, who seem pleased with the present confusion of our affairs, affirm, that all government was originally a creature of the people, and established by compact or violence [etc.]. »
  • [14]
    S. T. Coleridge, Biographia Literaria with His Aesthetical Essays, éd. J. Shawcross, 2 vols., Oxford 1907, I, p. 10. Coleridge citait ces vers pendant une promenade vespérale en compagnie de William Hazlitt (Cf. R. Holmes, Coleridge. Early Visions, 1772-1804, New York 1989, p. 194-195). [La traduction de la citation de Milton est empruntée à Chateaubriand, Le paradis perdu suivi de Essai sur la littérature anglaise, Paris, Garnier, 1861, p. 77. N.d.T.]
  • [15]
    E.K. Chambers, Samuel Taylor Coleridge. A Biographical Study, Oxford 1938, p. 127-128 : cf. aussi Coleridge, Collected Letters, éd. Griggs, II, 106, 1-10 (H. Stanford, Thomas Poole and His Friends, 1895).
  • [16]
    Coleridge, Collected Letters, ed. Griggs, III, 490.
  • [17]
    S. T. Coleridge, Biographia, I, p. 252 (chapter XIII).
  • [18]
    « Avant d’avoir atteint sa quinzième année, il [Coleridge] avait traduit les Hymnes Grecs de Synésios en vers anglais anacréontiques » (T. De Quincey, Reminiscences of the English Lake Poets, London 1917, p. 28).
  • [19]
    The Collected Works of Samuel Taylor Coleridge, Poetical Works, I, Princeton 2001, p. 212-213.
  • [20]
    J. L. Lowes, The Road to Xanadu. A Study in the Ways of the Imagination (1927), Princeton 1986, p. xxi.
  • [21]
    J. L. Lowes, The Road to Xanadu, p. 159-161.
  • [22]
    J. L. Lowes, The Road to Xanadu, p. 68, 72, 151, 154, 192. E. S. Shaffer a rejeté dédaigneusement l’explication de Lowe pour qui « des phrases rappelées de vieux folios au charme exotique se sont combinées pour former un grand poème » (« Kubla Khan » and the Fall of Jerusalem. The Mythological School in Biblical Criticism and Secular Literature, 1770-1880, Cambridge 1975, 1980, p. 8-9). L’explication de Lowe est théoriquement inadéquate, mais sa démonstration que Coleridge a lu ces « vieux folios au charme exotique » avec le plus grand soin et qu’il les a réélaborés dans son poème est impeccable. Prétendre que « nous devons même douter que c’étaient là ses sources » n’a aucun sens. Les suggestions alternatives proposées par Shaffer pour Kubla Khan sont beaucoup moins convaincantes ; la force de son livre est ailleurs (cf. note 52).
  • [23]
    The Letters of William and Dorothy Wordsworth, établies et éditées par E. de Selincourt, 2nd ed., The Early Years 1787-1805, révisées par C. L. Shafer, Oxford 1967, p. 194.
  • [24]
    T. De Quincey, Reminiscences, p. 7.
  • [25]
    W. Wordsworth, Memoirs, Londres 1851, I, p. 107-108, cité par Lowes, The Road to Xanadu, pp. 203, 485 note 18. Dans sa copie des Specimens of the Table Talk of the Late Samuel Taylor Coleridge (1835) Wordsworth note : « C[oleridge] savait parfaitement bien que ce fait [c’est-à-dire, la mort de l’albatros] dans le voyage de Shlevocke, c’était bien moi qui lui avais suggéré, alors que le poème était déjà planifié. Il est impossible de dire s’il avait oublié ou non ce fait quand eut lieu cette conversation avec D[e] Q[incey], ou s’il a refusé de l’avouer à D[e] Q[unicey] ». (Cf. S. T. Coleridge, Table Talk, rapporté par Henry Nelson Coleridge [et John Taylor Coleridge], éd. C. Woodring, II, Princeton 1990, p. 21 note 14.
  • [26]
    Lowes, The Road to Xanadu, p. 203-204.
  • [27]
    G. Whalley, « The Mariner and the Albatross » [1946-47] in Coleridge. A Collection of Critical Essays, éd. par K. Coburn, Englewood Cliffs, N. J. 1967, p. 32-51, surtout p. 44.
  • [28]
    Lowes, The Road to Xanadu, pp. 485-86 note 18. L. Cooper « A Glance at Wordsworth’s Reading. II. » Modern Language Notes, Vol. 22, No. 4 (Avril, 1907), p. 83-88, 110-117, parle d’une « paternité commune » « joint authorship » de The Ancient Mariner (p. 113) : une thèse que rien n’étaye.
  • [*]
    [Nous utilisons ici la traduction d’Henri Parisot : Le Dit du Vieux Marin, Christabel, Koubla Khan, Castella, Albeuve, 1971, p. 28. N.d.T]
  • [29]
    G. Soule « Coleridge’s Debt to Shelvocke » Notes and Queries, Septembre 2003, p. 287-288.
  • [30]
    G. Shelvocke, A Voyage round the World by the Way of the Great South Sea, Perform’d in the Years 1719, 20, 21, 22…, Londres 1723, pp. ii-iii. Cette édition de 1723 que j’ai pu consulter à la Bibliothèque Nationale de France n’est pas mentionnée à l’entrée « Shelvocke, George » du Dictionary of National Biography. Le livre fut réimprimé en 1726 et 1757. (Je n’ai pas pu voir la dernière édition).
  • [31]
    G. Shelvocke, A Voyage, p. 257.
  • [32]
    Le texte de Shelvocke est mentionné (avec une faute dans la date de publication, 1726) par R. Immerwahr, « “Romantic” and Its Cognates in England, Germany, and France before 1790 » in « Romantic » and Its Cognates. The European History of a Word, éd. H. Eichner, Manchester 1972, p. 25. « Romantic » était à l’origine un synonyme de « fictional » ; cf. par exemple T. Bayly, Herba parietis or, The wall-flovver. As it grew out of the stone-chamber belonging to the metropolitan prison of London, called Newgate. Being a history vvhich is partly true, partly romantick, morally divine : whereby a marriage between reality and fancy is solemnized by divinity, Londres 1650.
  • [33]
    G. Shelvocke, A Voyage, p. 407-408.
  • [34]
    G. Shelvocke, A Voyage, p. 413.
  • [35]
    G. Shelvocke, A Voyage, p. 72-73.
  • [36]
    G. Shelvocke, A Voyage, p. 73.
  • [37]
    Cf ci-dessus note 23.
  • [38]
    Lowes, The Road to Xanadu, p. 235 sq.
  • [39]
    S. T. Coleridge, « Prefatory note » [1828] au The Wanderings of Cain (1798) (The Portable Coleridge, éd. I.A. Richards, New York 1978, pp. 148-155.
  • [40]
    F. Moretti, Modern Epic. The World System from Goethe to García Márquez, Londres 1996, p. 22-30, surtout, p. 25, 27 (les italiques sont dans le texte).
  • [41]
    W. Empson, « The Ancient Mariner » [1964] in Id., Argufying : Essays on Literature and Culture, éd. J. Haffenden, Londres, 1988, pp. 297-319. Le commentaire sur l’essai d’Empson est extrait d’A Companion to Coleridge, éd. par J. S. Hill, Londres 1983, p. 267 n. 32.
  • [42]
    Coleridge’s Verse, éd. W. Empson et D. Pirie, Londres 1972, p. 39.
  • [43]
    T. Fulford, « Slavery and Superstition in the Supernatural Poems » in The Cambridge Companion to Coleridge, Cambridge 2002, p. 45-58, surtout p. 49.
  • [44]
    Cf. The Ancient Mariner, vers 63, 81-82, 141-142 (The Portable Coleridge, pp. 80-105). [Parisot manque par deux fois l’allusion : « au bout d’un certain temps parut un Albatros » (p. 14) ; « d’arbalète, notre albatros, je l’abattis » (p. 17) ; et : « à la place de la croix, ce fut l’Albatros / que désormais l’on vit suspendu à mon cou » (p. 21) N.d.T].
  • [45]
    M. J.-M. Sonmez, « Archaisms in “The Rime of the Ancient Mariner” » Cardiff Corvey : Reading the Romantic Text 9 (Déc. 2002). J. Stillinger, « The Multiple Versions of Coleridge’s Poems : How Many Mariners did Coleridge Write ? » in Studies in Romanticism, 31 (été 1992), p. 127-146, surtout p. 142 n. 24, fortement argumenté en faveur d’une approche stratifiée des textes de Coleridge et de sa biographie (cf. p. 145 pour une évaluation positive des marginalia de Coleridge pour The Ancient Mariner).
  • [46]
    S. T. Coleridge, Notebooks, éd. K. Coburn, I, Princeton 1957, I, 582 (27 Novembre 1799).
  • [47]
    Notebooks, III, p. 42-43 (cité par R. Holmes, Darker Reflections, 1804-1834, New York 1998, p. 383).
  • [48]
    À Sara Hutchinson, 6 août 1802 (Letters, éd. Griggs, II, p. 842) (cité par R. Holmes, Coleridge. Early Visions, p. 330).
  • [49]
    Coleridge, Collected Letters, I, 656, cite par T. J. Mazzeo, « Coleridge, Plagiarism, and the Psychology of the Romantic Habit », European Romantic Review, 15 (2004), p. 335-341, surtout p. 340.
  • [50]
    Coleridge, Biographia Literaria, éd. J. Shawcross, Oxford 1907, I, p. 105.
  • [51]
    Confessions of an Inquiring Spirit, Aids to Reflection (Works, 11, 1136), cité, dans une perspective différente in E. S. Shaffer, « Kubla Khan » and the Fall of Jerusalem, p. 77-78. Cf. aussi M. L. Barr, « Mosaic Law and Coleridge’s “Eolian Harp” Studies in Romanticism, 44 (Automne 2005), p. 293-316.
  • [52]
    Le contexte de ce déplacement a été éclairci par E. S. Shaffer, « Kubla Khan » and the Fall of Jerusalem. Cf. aussi E. E. Bostetter, The Romantic Ventriloquists. Wordsworth, Coleridge, Keats, Shelley, Byron, Seattle et Londre 1975 (éd. révisée).
  • [53]
    Coleridge, Notebooks, ed. K. Coburn, vol. 3, 1808-1819, Londres 1962, 3587 (cf. aussi les remarques exhaustives de l’éditeur).
  • [54]
    Coleridge, Biographia Literaria, ch. 7, p. 75-76.

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