Po&sie 2007/1 N° 119

Couverture de POESI_119

Article de revue

Cher Ami, cher Poète

Lettres de René Char à Vadim Kozovoï

Pages 7 à 39

Notes

  • [1]
    Le 8 juin 1958
    Mon cher Boris Pasternak,
    Vos récentes nouvelles me sont bien parvenues. Je vous en prie : ne vous excuser pas auprès de votre « compagnon de planète » de n’avoir pas eu encore la possibilité, aux degrés d’attention que vous désirez, de lire en entier son recueil de poèmes et de lui en écrire… À vrai dire, bien qu’essentiel pour moi, ce n’est pas cela qui est urgent et une cause de l’inquiétude, même plus : le motif de celle-ci est la question trop droite, trop suspendue de votre complète santé. J’ai lu votre lettre à Pierre (qui n’a pas encore reçu votre Faust) et parlé longuement de vous cet après-midi avec Albert Cam[us] qui vous admire, vous le saurez. Nous vous assurons de tout le poids de notre pensée réfléchie au cas où votre état de santé s’aggraverait, et agissante.
    À présent, je m’efforce dans les limites de ma position – moi, « ami de l’Union Soviétique » et votre ami – de parler justement du très grand Poète que vous êtes, pour atténuer, corriger les bêtises ou les commentaires susceptibles de vous nuire. Hélas, la vilénie, je n’ai nulle peine à me l’imaginer ! Nous veillerons à ce que la pureté de vos mobiles, de votre inspiration, de votre génie, la hauteur de toute votre œuvre, outre J[ivago], demeurent telles qu’elles sont, dans leur étendue inaltérable, ici.
    Voilà, très vite, ce que je voulais vous écrire – pour aujourd’hui.
    Votre jambe est-elle moins douloureuse ? Ah ! Cette distance entre nous, que seul le peu puissant cœur peut à loisir franchir.
    Tout mon fidèle attachement.
    R. Char
    P.S. Tagore m’est à peu près demeuré illisible, depuis toujours. Je suis réfractaire au spiritualisme étale et douceâtre de cet auteur dépossédé. C’est ce que j’ai répondu (avec ménagements) à l’homme gentil qui, comme vous, m’a questionné.
  • [2]
    Il s’agit de La planche de vivre, Paris, Gallimard, 1981.
  • [3]
    Pierre Souvtchinski (1892-1985). Homme de lettres et musicologue français d’origine russe. Il fut l’ami de Prokofiev, de Stravinsky, Artaud, Michaux, Char…
  • [4]
    « Il reste », poème de Vadim Kozovoï, version française de Michel Deguy et Jacques Dupin.
  • [5]
    Vadim Kozovoï fut le premier traducteur de René Char en russe. Ses traductions se trouvent dans un recueil regroupant quatre poètes français sous le titre : Poésie française contemporaine (Moscou, Progress, 1973). Les traductions occupent les pages 301 à 390. Vadim traduit 4 poèmes du Marteau sans maître, 2 poèmes de Dehors la nuit est gouvernée, 12 poèmes de Fureur et Mystère, 7 poèmes des Matinaux, 8 poèmes de La parole en Archipel et 8 poèmes du Nu Perdu.
  • [6]
    Stéphane Tatischeff (1934-1985) professeur de littérature russe à l’École des langues orientales. Stéphane Tatischeff et sa femme ont accueilli chez eux Vadim et Boris à leur arrivée en France pendant plusieurs mois.
  • [7]
    Cette invitation chaleureuse et répétée se traduisit en démarches officielles. Elle ne put jamais se réaliser : d’abord à cause des obscénités du système soviétique, ensuite à cause des ennuis de santé de René Char.
  • [8]
    Il s’agit probablement de « Chêne abattu », poème que Vadim Kozovoï dédia à René Char. Ce poème se trouve désormais dans Hors de la colline, traduction Michel Deguy et Jacques Dupin, illustrations d’Henri Michaux, postface de Maurice Blanchot, Paris, Hermann, 1982, p. 9. Dans cette édition, la dédicace a été supprimée. Il peut s’agir aussi de « Le Nom est insaisissable » (ibidem, p. 13). Ce dernier poème porte encore les initiales de son dédicataire, « R.C ».
  • [9]
    Il s’agit de Tina Jolas (1929-1999). Chercheuse au CNRS, ethnologue et traductrice (elle appartient au laboratoire de Claude Lévi-Strauss et travaille sur Minot, un village du Châtillonais dans le cadre d’une enquête collective et on lui doit la traduction du Journal de Malinowski), Tina Jolas épouse en 1949 le poète André Du Bouchet avec lequel elle aura deux enfants. Elle se sépare de son mari en 1957 pour vivre son amour avec René Char. Sur les circonstances de cette passion, cf. Laurent Greilsamer, L’éclair au front, la vie de René Char, Paris, Fayard, 2004, p. 335 et sq.
  • [10]
    La nuit talismanique est publié chez Skira en 1972.
  • [11]
    René Char découvre l’œuvre de Georges de La Tour à l’exposition « Les Peintres de la réalité en France au xviie siècle » organisée au musée de l’Orangerie de novembre 1934 à février 1935. C’est la première fois que le public voit réunis treize des quinze tableaux alors attribués à l’artiste.
    La peinture de Georges de la Tour va occuper une place décisive dans la vie et la poésie de René Char pendant la période de la Résistance. Le poème « Madeleine à la veilleuse » est intégré dans le recueil Fureur et Mystère (« La fontaine narrative ») publié en 1948 ; cf. Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Pléiade, 1985, p. 276. Dans « Partage formel », Char associe Georges de la Tour et Héraclite dans un poème consacré au rôle du poète : « À deux mérites – Héraclite, Georges de La Tour, je vous sais gré d’avoir de longs moments poussé dehors de chaque pli de mon corps singulier ce leurre : la condition humaine incohérente, d’avoir tourné l’anneau dévêtu de la femme d’après le regard du visage de l’homme, d’avoir rendu agile et recevable ma dislocation, d’avoir dépensé vos forces à la couronne de cette conséquence sans mesure de la lumière absolument impérative : l’action contre le réel, par tradition signifiée, simulacre et miniature » p. 157.
    C’est le célèbre fragment 178 des Feuillets d’Hypnos qui dit le mieux la reconnaissance de Char : « La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j’ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n’ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l’emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l’homme assis. Sa maigreur d’ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L’écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que n’importe quelle aurore. Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres humains ».
    L’aide demandée à Georges de la Tour s’étend bien au-delà de la Résistance comme l’atteste le texte « Justesse de Georges de la Tour » daté du 26 janvier 1966 et publié dans Le nu perdu (p. 455) : « L’unique condition pour ne pas battre en interminable retraite était d’entrer dans le cercle de la bougie, de s’y tenir, en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant.
    Il ouvre les yeux. C’est le jour, dit-on. Georges de La Tour sait que la brouette des maudits est partout en chemin avec son rusé contenu. Le véhicule s’est renversé. Le peintre en établit l’inventaire. Rien de ce qui infiniment appartient à la nuit et au suif brillant qui en exalte le lignage ne s’y trouve mélangé. Le tricheur, entre l’astuce et la candeur, la main au dos, tire un as de carreau de sa ceinture ; des mendiants musiciens luttent, l’enjeu ne vaut guère plus que le couteau qui va frapper ; la bonne aventure n’est pas le premier larcin d’une jeune bohémienne détournée ; le joueur de vielle, syphilitique, aveugle, le cou flaqué d’écrouelles, chante un purgatoire inaudible. C’est le jour, l’exemplaire fontainier de nos maux. Georges de La Tour ne s’y est pas trompé ».
    Sur la signification du « Prisonnier » de Georges de la Tour chez Char, cf. Françoise Dastur, « Rencontre de René Char et de Martin Heidegger » La naissance des choses, Encre Marine, Fougères, 2005, p. 165-169.
  • [12]
    Cf. « C’est alors l’inextinguible réel incréé » Partage formel, I, p. 155.
  • [13]
    L’enveloppe contient aussi 4 cartes postales vierges de l’exposition Georges de la Tour (Paris – Orangerie des Tuileries, Mai-septembre 1972 : « La Madeleine à la veilleuse » ; « Saint Sébastien soigné par Irène à la torche » ; « La diseuse de bonne aventure » ; « Saint-Joseph charpentier »). Cf. supra, note 1, p. 14.
  • [14]
    Cf. ici même, note 1, p. 12.
  • [15]
    « Connaissance ineffable du diamant désespéré (la vie) » Feuillets d’Hypnos, 3, Fureur et Mystère, p. 175.
  • [16]
    Il s’agit de l’anthologie Avec la France dans le cœur, publiée à Moscou en 1973. Elle regroupe des proses et quelques poèmes consacrés à la Résistance. Vadim Kozovoï est un des traducteurs de cette anthologie (Paul Valéry, Jules Supervielle, Ivan Goll). Il signe la postface. Il traduit quelques poèmes des Feuillets d’Hypnos (p. 298-304).
  • [17]
    Il s’agit peut-être de Picasso sous les vents étésiens, G.L.M., 1973.
  • [18]
    Vadim Kozovoï souffrait de très sérieux troubles pulmonaires.
  • [19]
    Entre l’hiver 1973 et le printemps 1981, la revue Argile, dirigée par Claude Esteban publiera vingt-quatre numéros aux éditions Maeght. La première livraison comprenait Aromates chasseurs, désormais in Œuvres complètes, p. 509-536.
  • [20]
    Vadim Kozovoï se voit à nouveau refuser l’autorisation du gouvernement soviétique à se rendre en France à l’invitation de René Char.
  • [21]
    Georges Nivat né en 1935, écrivain, traducteur et professeur de littérature russe à l’université de Genève. Directeur de la collection Slavica aux Éditions L’Age d’Homme à Lausanne depuis leur fondation en 1967, collaborateur des Éditions Fayard à Paris depuis 1995. Principaux ouvrages : Sur Soljénitsyne (Lausanne, 1974), Soljénitsyne (Paris, 1980), Vers la fin du mythe russe, (Lausanne, 1982 ; réédition en 1988), Russie-Europe, la fin du schisme (Paris, 1993), Impressions de Russie (Lausanne, 1993), Regards sur la Russie de l’An VII, considérations sur la difficulté de sortir d’un long despotisme, aux Éditions de Fallois, 1998. Georges Nivat fut un soutien essentiel pour Irina Émélianova et Vadim Kozovoï. Cf. Irina Émélianova, Légendes de la rue Potapov, Fayard 2004, p. 148 sq.
  • [22]
    Eugene Jolas (1894-1952) : écrivain, traducteur et critique littéraire américain qui passa une grande partie de sa carrière en France. Correspondant de presse à Paris, il y fonda avec sa femme Maria McDonald et Elliot Paul, en 1927 la revue littéraire Transition qui connaîtra un important succès. Cf. quelques-uns de ses titres : Secession in Astropolis (1929), I Have Seen Monsters and Angels, Man from Babel.
  • [23]
    Vadim devient membre du Pen Club International grâce aux démarches de Pierre Emmanuel. Cf. les remarques de Denis Aucouturier dans « Celui qui accompagnait » in Po&sie 112-113, p. 115.
  • [24]
    Cf. « Retour Amont », Œuvres complètes, p. 421 sq.
  • [25]
    Sur le Barroux, cf. Laurent Greilsamer, L’éclair au front, op. cit., p. 383 sq.
  • [26]
    Il s’agit d’André Kozovoï, le deuxième fils d’Irina et Vadim, né le 27 janvier 1975 à Moscou. À la naissance d’André, René Char et Tina Jolas envoient un télégramme : « Profondes pensées d’espoir et d’affection pour le bébé pour vous deux ».
  • [27]
    Sur l’évolution de ce projet qui aboutira à La Planche de vivre, ouvrage en collaboration avec Tina Jolas, traductions de poèmes et préface de René Char, Gallimard, 1981, cf. Laurent Greilsamer, L’éclair au front, op. cit., p. 417.
  • [28]
    Le 14 juin est la date de l’anniversaire de René Char.
  • [29]
    Il s’agit de l’incipit du fameux sonnet de Verlaine (texte III) de la troisième section de Sagesse :
    « L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
    Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou
    Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
    Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ? »
  • [30]
    Guy Lévis Mano. 1904-1980 : parti d’Espagne avant la deuxième guerre mondiale, pour s’installer à Paris, Guy Levis Mano est éditeur typographe. Il publie Char, Bataille, Éluard et plus de cent poètes et peintres surréalistes. Il crée les « Cahiers G.L.M. » et traduit des poèmes de Lorca, Hölderlin, Shakespeare. Après avoir été prisonnier pendant la guerre, il poursuit son travail d’éditeur et de poète, sous le nom de Jean Garamond.
    Char publiera maintes fois chez Guy Lévis Mano : Dépendance de l’adieu, 1936, Moulin premier, 1936, Placard pour un chemin des écoliers, 1937, Dehors la nuit est gouvernée, 1937, Fête des arbres et du chasseur, 1948, Art bref, 1950, La Paroi et la prairie, 1952, À la santé du serpent, 1954, Poème des deux-années, 1955, En trente-trois morceaux, 1956, La bibliothèque est en feu et autres poèmes, 1957, Le dernier couac, 1958, Sur la poésie, 1958, Le chien de cœur, 1969, Picasso sous les vents étésiens, 1973.
    Sur Guy Lévis Mano poète, cf. le livre d’Andrée Chédid, Paris, Seghers, 1991.
  • [31]
    « Faire du chemin avec… » Œuvres complètes, p. 577-581.
  • [32]
    Cf. « Nous nous sentons complètement détachés d’Icare qui se voulut oiseau ». Bandeau de « Retour Amont », p. 656.
  • [33]
    Le 14 juin est la date de l’anniversaire de René Char.
  • [34]
    Cf. Laurent Greilsamer, L’éclair au front, p. 415 sq.
  • [35]
    Vadim Kozovoï publia des traductions de Rimbaud et de Lautréamont dans la revue géorgienne Géorgie littéraire, 1980, volume 8 : il s’agit de la première publication en russe des Chants de Maldoror et des Illuminations.
  • [36]
    Il s’agit du projet de Hors la colline qui ne sera publié qu’après l’arrivée de Vadim en France. Le recueil paraîtra d’abord en russe chez Syntaxis, en 1982, puis chez Hermann.
  • [37]
    Il s’agit d’Ania Chevalier qui fut longtemps responsable des droits chez Gallimard.
  • [38]
    Fenêtres dormantes et portes ouvertes sur le toit paraît chez Gallimard le 6 septembre 1979.
  • [39]
    Il s’agit du titre d’une anthologie de poèmes que René Char venait de rééditer chez Gallimard en août 1978.
  • [40]
    Vadim Kozovoï se rend à Tbilisi pour une conférence. Il y rencontre l’élite intellectuelle.
  • [41]
    Cf. correspondance avec Maurice Blanchot : Le 6 avril 1981 « Cher Vadim, Ressource incompréhensible (dépassant la simple compréhension) de la poésie, votre texte sur Pasternak me vient de lui-même en quelque sorte sous les yeux ; il était là, tout près, alors que je le cherchais au loin. J’y joins les fragments en russe qui l’accompagnaient. Il me revient en mémoire la réflexion provocatrice qu’on lui attribuait : « je n’aime pas la poésie en général » ou « je ne supporte pas les vers ». De même, Georges Bataille : Haine de la poésie. Mais c’est parce qu’elle est insupportable, parce que nous ne la supportons pas, hors de tout acquiescement et de toute facile admiration, qu’elle nous appelle jusque dans le silence qui lui appartient, qu’elle nous contraint à entendre l’inentendu auquel il faut répondre comme question toujours dérobée » Po&sie 112-113, p. 15.
  • [42]
    Vadim arrive à Paris le 17 février 1981.
  • [43]
    Cf. Correspondance avec Maurice Blanchot : « J’ajouterai que cette espérance est en vous, comme espérance poétique, elle ne vous laisse pas tranquille, elle est dans votre existence de Russe et dans ce séjour difficile dans un pays dont vous attendiez trop pour ne pas être déçu, légitimement déçu. Il n’y a pas de pays pour les poètes, il n’y a pas de temps non plus : « à quoi bon les poètes au temps de détresse » Po&sie 112-113, p. 29.
  • [44]
    Jean Hughes, éditeur.
  • [45]
    Vadim Kozovoï préface un catalogue de Sima, Présence de Sima, catalogue de l’exposition du Point Cardinal, Paris, 1981 : « Avec Sima ». Char aussi a consacré un texte à Sima : Se rencontrer, paysage avec Joseph Sima, avec une eau forte de Sima pour le tirage de tête, Jean Hugues, 1973.

1

POIGNE DE PATRIARCHE
Terrassé gît par la tienne ciel
Poigne de patriarche
Un clou sous l’omoplate et comme par milliers
Juif errant leur marche
Ce qui vit et ce qui est mort
Aux enfants hors venus de le dire
Va-tout des abolis nous ne toucherons pas
Gueule à ta galère
Si d’un pli mortel guette l’heure un cyclope
Peu s’ouvre monde
Percera épi la cervelle de plomb
Incendier la tombe !
(Version française de Michel Deguy et Jacques Dupin)

2« Chêne abattu pour qu’il renaisse dans les yeux de l’ami lointain » – telle est l’épigraphe de ce poème écrit par Vadim Kozovoï à Moscou dans les années 70 du siècle dernier pour René Char. Vadim Kozovoï (1937-1999, mort à Paris) était non seulement un remarquable poète russe, mais aussi un brillant connaisseur et traducteur de la littérature française. C’est au cours des six années qu’il passa pendant sa jeunesse dans des camps de détention soviétiques comme prisonnier politique qu’il commença à approfondir sa connaissance de la langue et de la poésie françaises. René Char devint son idole.

3Le tempérament poétique de René Char était très proche de celui de Vadim dont l’œuvre a été au début fortement influencée par cette voix puissante : dans ses poèmes des années 70 on sent le pathétisme tendu et quelque peu distant propre à René Char.

4Après sa libération, Vadim appliqua toute son énergie à faire accepter ses traductions des œuvres de son poète préféré par le monde de l’édition soviétique. Et voilà qu’en 1973 les éditions « Progrès » de Moscou publièrent un recueil où cette poésie acquérait pour la première fois sa résonance en russe. On peut dire que Vadim Kozovoï fit découvrir René Char à la Russie. (À proprement parler, aussi étrange que cela puisse paraître, René Char fut publié pour la première fois en Union soviétique en langue tchouvache ! À 2000 exemplaires ! Mon camarade de l’Institut de littérature, le poète tchouvache bien connu en Europe, Guennady Aïgui, était lui aussi un fervent admirateur de la poésie de René Char. C’était un spectacle inoubliable : dans notre Moscou coupée du monde et figée, isolés dans une cuisine enfumée, Vadim et Guennady se récitaient mutuellement en français leurs passages préférés du Marteau sans maître en discutant âprement de la traduction de ce titre en russe !).

5Des amis français – employés de l’ambassade, journalistes, lecteurs à l’Université de Moscou – nous apportaient des livres de René Char, ce qui nous permit de nous constituer une bonne bibliothèque de ses œuvres. Et toujours dans cette même cuisine, pendant nos soirées, Vadim me lisait et relisait ces poèmes d’une manière obsessionnelle. Je l’écoutais religieusement, subjuguée non seulement par ce rythme puissant et les méandres de la syntaxe, mais aussi par le poids que le nom de René Char avait également acquis pour moi.

6J’avais entendu pour la première fois ce nom en 1958 de la bouche de Pasternak. On se souvient de la tragédie qui se déroula en octobre 1958 à l’occasion de l’attribution du prix Nobel de littérature à ce grand poète (pour son roman Le Docteur Jivago). L’opinion publique et la presse soviétique se déchaînèrent contre lui, il fut exclu de l’Union des écrivains et menacé d’arrestation comme « traître à la patrie ». Tous contacts avec des étrangers et toute correspondance lui furent interdits par le KGB. Il se retrouva totalement isolé, « comme un animal traqué » (ainsi qu’il l’écrit dans son poème « Le prix Nobel »), avec pour seul soutien un petit groupe d’amis, dont ma famille et surtout ma mère, Olga Ivinskaïa, sa compagne de longue date. Il envoya une requête à Khrouchtchev, ce geste lui valut la permission de rester en Russie et de recevoir à nouveau sa correspondance. Un beau jour de novembre 1958, la factrice rurale lui apporta d’un coup un sac plein : 57 lettres… provenant du monde entier ! Deux nous émurent surtout : celles de René Char [1] et d’Albert Camus. Des lettres pleines de chaleureuse compassion et d’inquiétude. Pasternak n’avait nul besoin de m’expliquer qui était Camus dont j’avais lu les romans et les pièces ; quant à René Char, voici comment il me le présenta : « Tu ne le connais pas, mais crois-moi, c’est un très grand poète français. À présent, ses images compliquées me sont un peu étrangères, mais la profondeur est là. Un jour tu le liras… »

7Cette prédiction se réalisa : grâce à mon mari, Vadim Kozovoï, j’eus à mon tour la révélation de René Char. Comme je l’ai déjà dit, Vadim fut à une certaine époque très influencé par la voix particulière de ce poète. À tel point qu’il choisit comme titre de son premier recueil de poèmes (L’Age d’homme, Lausanne, 1978) la traduction en russe d’un vers de son poème préféré « Certitude » :

8

Messager en sang dans l’émotion du piège expiré
Le congé d’orage
Je t’étreins sans élan sans passé…

9Le congé d’orage, ce titre du premier recueil de Vadim était comme prophétique : toute sa vie ne fut qu’une sorte de « congé d’orage ».

10Dès la parution à Moscou d’un recueil de poèmes de René Char (incluant aussi des poèmes d’Henri Michaux, de Raymond Queneau et de Jean Tardieu), Vadim l’envoya au poète avec une lettre d’hommage. Char répondit aussitôt en « accueillant à bras ouverts » son correspondant, en le remerciant et en l’invitant chez lui avec toute la générosité d’un homme de la Méditerranée. Il s’adressait à Vadim, un habitant peu connu de la lointaine Moscou, comme à un poète frère, en appréciant le travail, le tempérament et le talent de son nouvel ami. Ses messages, la plupart du temps des cartes postales et des télégrammes, n’étaient pas fréquents, mais toujours chaleureux et pleins de sympathie, il était effectivement devenu notre « ami lointain ». Il envoya même un poème impromptu pour mon anniversaire. Il nous faisait parvenir toutes sortes de livres, de belles éditions de José Corti, évoquant une lointaine culture typographique raffinée, un fragile miracle dans une Moscou encore à l’état sauvage, avec des dédicaces du genre : « Pour Vadim Kozovoï à nos côtés aujourd’hui, souvent, demain. Les Busclats, 15 août 1974. R.C. » « À mon frère le poète partout où il se trouve. R.C. » Il envoyait souvent des cartes postales avec des vues de sa maison, et même une fois sa photographie avec une dédicace très cordiale : « À Vadim Kozovoï ce temps fait de tous mes instants – et de tout cœur donné à son amitié. René Char. » Un jour, il mit même dans l’enveloppe des reproductions de tableaux de ses peintres favoris – Picasso et Georges de la Tour. Dès Moscou et jusqu’à sa mort, Vadim garda toujours près de lui, sous verre, le tableau préféré de René Char « Le Tricheur à l’as de carreau » de La Tour. René Char associa très vite à cette correspondance Tina Jolas, son amie de longue date : certaines lettres sont écrites conjointement.

11René Char fut le premier à inviter Vadim à séjourner chez lui aux Busclats. Sans craindre de s’adresser au redoutable consulat soviétique ni de réunir tous les certificats voulus. Inutile de dire que sa demande fut refusée… Lorsque, après toutes ses épreuves, Vadim fut atteint de tuberculose, René Char lui recommanda de suivre un traitement à Davos, en promettant de payer tous les frais et d’effectuer toutes les démarches. Cette proposition aussi s’avéra irréalisable. Pendant que Vadim était encore à Moscou, René Char ne cessa de se préoccuper de son lointain poète-ami, signant des lettres pour sa défense et des pétitions réclamant l’autorisation pour Vadim de venir en France.

12Cette autorisation fut enfin accordée en août 1980.

13Je retrouvai Vadim devant la poste centrale : il venait d’apprendre que l’autorisation lui était accordée et était très ému, bouleversé, frappé de stupeur. Son premier mouvement fut de se précipiter dans la poste pour envoyer un télégramme à René Char. Je me souviens encore, comme si c’était hier, du formulaire sur lequel Vadim recopia en lettres latines appliquées les vers de Verlaine : « L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable… ». Je me souviens aussi de l’adresse du télégramme : « Les Busclats, L’Isle-sur-Sorgue, René Char ». La préposée au guichet « envois internationaux » compta les « signes » sans ciller, rédigea le reçu, et le télégramme partit à tire-d’aile.

14C’est surprenant, mais la réponse nous parvint des Busclats aussi à tire-d’aile : dès le lendemain ! Avec un autre vers du même poème de Verlaine : « L’espoir luit comme un caillou dans un creux ».

15En février 1981, Vadim quitta la Russie, pour toujours, comme la suite le démontra. Prenant congé d’amis lointains (en Géorgie), il écrivait : « … il faut croire que des miracles se produisent sur cette terre. Je cite à ce propos cette phrase de mon ami, l’un des poètes les plus AUTHENTIQUES de notre temps, René Char : « … et qui sait voir la terre aboutir à des fruits, point ne l’émeut l’échec quoiqu’il ait tout perdu ». Une formule parfaite. Rien à ajouter. Et c’est pourquoi je dis merci ! Ce merci couronne le défi ».

16Vadim arriva à Paris ce même mois. Il attendait avec impatience un rendez-vous avec René Char : « Sa dernière lettre était merveilleuse… Avec des mots tendres pour toi… » Et il y a ses belles dédicaces sur ses livres : « Pour Vadim Kozovoï enfin venu ! Et espérons resté. R.C. »

17En juin, René Char arriva enfin à Paris. « J’attends René, mais j’ai peur, écrit Vadim, Tina a été vexée par mon commentaire sur les traductions dans leur anthologie [2]. Leur choix aussi est étrange… » « René est arrivé aujourd’hui. J’attends son appel. Je vais essayer d’éviter les sujets poétiques délicats, mais les compromis et la diplomatie ne marchent pas… Non, je ne peux pas me taire ! » « René a été merveilleux… Il m’a serré dans ses bras, nous nous sommes embrassés ; nous nous sommes un peu querellés au début… mais ensuite tout s’est arrangé ; au début d’août j’irai le voir à l’Isle. Mais il est malade ! Il se déplace avec peine, après trois infarctus. Il vous embrasse, toi et Andrioucha ».

18Mais cette amitié prit brusquement fin. Peut-être à cause de la critique « sans compromis » de cette anthologie par Vadim. Peut-être Vadim se montra-t-il trop indépendant, rétif, osant contredire « le maître » (surtout quand il s’agissait de poésie russe). Et comment deux tempéraments aussi explosifs l’un que l’autre auraient-ils pu s’accorder ? Henri Michaux qui suivit de près les péripéties de ce « roman » a lui aussi constaté cette ressemblance entre leurs tempéraments : « Ce que vous avez en commun, René Char et vous, c’est que vous voulez tout exprimer en un seul texte, même s’il est extrêmement court ». Peut-être René Char s’est-il tout simplement lassé d’une amitié aussi impétueuse… « Avec René Char… – m’a écrit Vadim dans une de ses lettres – les rapports sont pénibles et amers ; parce que je l’aime ! Mais les maladies (et l’âge !) ne lui permettent pas de sortir de sa carapace et de s’ouvrir aux autres comme il savait le faire avant ». Mais peut-être que tout est beaucoup plus simple ? Est-il fréquent qu’une rencontre face à face après une longue période de relations à distance débouche sur une amitié stable ? Souvenons-nous de la « non-rencontre » de Tsvetaïeva et de Pasternak après leur roman épistolaire passionné, de la crainte assaillant Tchaïkovski avant même sa fugitive rencontre avec la baronne von Meck et de bien d’autres épisodes du même genre. En tout cas, les raisons concrètes de cette rupture ne sont pas évoquées dans ces lettres. On ne peut que les conjecturer. Lors de leur dernière rencontre, René dit sèchement à Vadim : « Autant que je sache, vous vous débrouillez bien sans moi »

19Il cessa d’écrire, n’accusant pas réception des livres qui lui étaient envoyés et évitant d’aborder ce sujet dans sa correspondance avec des amis.

20Vadim, de son côté, souffrit beaucoup de cette rupture. Il revient plus d’une fois sur cette douloureuse histoire dans ses lettres : « Les lettres de René Char me manquent… Ses lettres sont remarquables. On les lira un jour… Mais ma relation à lui en tant qu’homme s’est transformée, de même que ma relation à sa poésie. J’aime toujours « Le martinet », « Le partage formel » et « La Sorgue » : j’en apprécie la beauté, la force et la précision, le côté méridional. Et aussi là où il y a de la passion, c’est parfois très beau… Dommage que des œuvres vraiment remarquables soient dispersées au milieu d’une masse de déchets… » « … et malgré tout la plaie ne guérit pas, je souffre parfois comme un damné ». « Aujourd’hui, à la radio un hommage à Souvtchinski [3]. Un programme magnifique ! Beaucoup de très belle musique. Et soudain – la voix de René Char (un vieil enregistrement) : deux poèmes du recueil Retour amont… Admirable ! Je ne peux pas me contrôler… » « René Char… Oui, beaucoup ne l’aiment pas et ne peuvent pas le supporter. Mais après une sélection inéluctable parmi ses œuvres, je ne puis le taire : dans les meilleures d’entre elles (et elles sont nombreuses) il est poète par la GRÂCE DE DIEU. Et elles nous sont proches, proches du russe… »

21

« J’aime toujours, comme avant, celui qui a écrit « LE MARTINET ». Mais où est-il ? Il a disparu ».

22

« …ma relation a lui… a changé, oui. Et puis je tombe sur un de ses textes des années 40-50… cette force vertigineuse et, quoi qu’on en dise, cela n’a pas le moins du monde vieilli ! Si bien que je ne regrette rien ! Car là où j’ai écrit :
Près de ta montagne seul mon pin reste
Sans tomber les yeux au passé quittes[4] … là les relations sont autres ».

23Irina Émélianova, Paris, octobre 2006

24Traduit par A. Roubichou-Stretz

[1973]

251.

263. 3. 1973

27Carte postale

28[Carte postale du Pont Romain dit Julien (Monument historique). L’image porte le commentaire suivant : « Il est à trois arches et mesure 80 m de long pour une largeur de 4.45m. Il aurait été élevé l’an 3 av. J.C. C’est le seul encore en service sur la Via Domitia entre Nîmes et Turin].

29La carte est envoyée à M. Vadim Kozovoï, URSS, Moscou Centre, Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

30Bien cher Vadim Kozovoï,

31Votre lettre au courrier d’aujourd’hui m’a trouvé infiniment touché et solidaire. Les termes de votre amitié, traduite, si bien exprimée par votre présence dans mes poèmes et particulièrement la traduction de nombre d’entre eux sont le beau cadeau d’un poète russe à un poète français [5].

32Je vous suis reconnaissant. Est-ce que votre lettre n’a pas trop indirectement tardé pour me parvenir ? J’aimerais le savoir. À vous de tout cœur. René Char [Adresse : R. Char. Les Busclats 84 800 L’Isle-sur-Sorgue, Vaucluse, France]

332.

3410. 4. 1973

35Lettre

362 feuillets 21 × 13,5

37[Lettre adressée à Monsieur St. Tatischeff, mission culturelle Moscou, Pour Vadim Kozovoï [6]]

38Votre lettre est arrivée dans les meilleurs délais. Son regard lumineux et lucide s’est posé sur les amandiers de mon jardin qui, après l’envol de leurs fleurs, en sont au verdissement et à l’apparition de leurs fruits tenaces et tendres, dans l’avril froid. Croyez que chaque difficulté, chaque mal arbitraire éprouvé là-bas, je le fais mien. Ce n’est rien dire que d’avancer cela. Simplement, le poème, qui vous tient lieu de compagnon choisi, est augmenté pour vous de ce sentiment, à chaque rencontre. Que le cœur invente l’âme, ou l’inverse, le grand et seul espace à nous remis ne saurait capituler, qu’il se taise ou s’agite sous la blessure. Si vous venez en France, votre présence nous sera joie. Rien de plus simple que vous habitiez, tout le temps de votre séjour, auprès de nous. Vous seriez notre invité, libre de ses choix. Voilà qui est dit une fois pour toute [7] !

39Votre poème est un don de bon augure [8]. Il vous précède. Il me touche beaucoup. Je prie qu’une de mes amies le traduise. Elle sera aux Busclats à Pâques. Elle s’appelle Tina [9]. Mon salut à celle qui est auprès de vous. Qui sait. Que l’ouragan n’a pas abattu. J’admire la fermeté lumineuse, non souveraine, solitaire. L’unique ligne d’un poème, ou même un bref appel de la forêt voisine, suffit à son expression, n’est-ce pas ? Merci pour votre pensée de m’envoyer de belles images de votre architecture. Oui, mais une fois, un seul envoi, pour ne pas compliquer votre existence. Au revoir mon cher ami généreux dont je serre fraternellement la main. À bientôt. René Char

40En marge du premier feuillet :

41« La nuit talismanique », mon livre dernier né, est parti hier vers vous [10]. Quels autres ouvrages souhaitez vous recevoir ?

423.

43Carte postale

44[Dentelles de Montmirail]

45Le texte qui suit est écrit sur toute la longueur de la carte postale.

46Plus les montagnes sont hautes, plus les initiés – dans les grandes circonstances seulement où la vie intervient pour préserver la place que nous lui devons en nous – ont droit à la foudre dans leur bâton.

47Les Busclats, 25 avril 1973

484.

496-51973

50Carte postale

51[Le Barroux. Vaucluse : Le village et le château (xive siècle)]

52La carte est envoyée à Vadim M. Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

53Cher Vadim, vous me placez, par le plus tendre des gestes dans votre pays perpétuel et ses merveilles inspirées. C’est bien ainsi que je les voyais ! « Eugène Onéguine » m’avait délivré à l’heure de mes 20 ans, la mémoire du regard et la croyance des bâtisseurs le long des fleuves. Les villes ont des poumons aériens quand elles consentent à s’ouvrir, à la faveur de l’art qui sait les tracer. Le grand Nid !

54René Char

555.

56Carte postale

57[Exposition Georges de La Tour, Paris, Orangerie des Tuileries, Mai-Septembre 1972 : « Le tricheur à l’as de carreau » [11]]

58La carte est envoyée à Vadim M. Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

59L’Isle 27-5-1973

60Cher Vadim

61Votre lettre a multiplié vos paroles et vos pensées dont tous les échos trouvent l’entente avec nos propres commotions. Nos existences, quoique différentes, ont une essence commune et une identité semblable – celle que la poésie délivre. J’ai entamé les démarches afin que nous puissions travailler bientôt ensemble dans ma maison ici. J’ai écrit à l’Ambassadeur d’URSS à Paris dans le sens souhaité ainsi qu’à notre ami. L’invitation est officielle.

62Tout à vous de cœur

63René Char

646.

65Lettre

66[Sur papier à en-tête 21 × 27 :

67Les Busclats

68L’Isle-sur-Sorgue

6984800 Vaucluse]

7029 mai 1973

71Mon cher ami Vadim

72Votre lettre du 17 mai arrive au courrier de ce matin. J’espère que n’aura pas trop tardé, et vous sera bien parvenue, une carte postée à votre domicile, avant-hier. Cette carte pour apprendre fermement que nous faisions les démarches officielles exigées pour votre voyage en France auprès de nous. À présent, j’attends la réponse de l’ambassadeur d’U.R.S.S. à qui je me suis adressé le premier. Enfin, comptez sur notre fervent désir de vous accueillir aux Busclats et de tout faire pour cela, dans la mesure de nos forces et de nos moyens. Vous serez tenu au courant strictement. Espérons, pour finir un « oui », encore au « futur incréé » [12]…Nous ne disposons pas en France de traductions des poètes que vous nommez dans votre lettre. Affreux dommage ! J’ai lu, jeune homme, dans une traduction convenable, « Eugène Oneguine », qui m’a toujours habité et hanté depuis lors. Mais quelle maigre moisson pour un si vaste champ, celui de la littérature poétique russe ! Les Français n’ont plus le désir, enfin ceux qui seraient à même de faire mûrir toujours des fruits dans l’arbre dévasté. Tenir, tenir, tenir, jusqu’au sommeil réconciliateur, au creux ou au sommet d’une grande gerbe d’étincelles qui ne devra qu’au sentiment de sa précarité sa profonde raison d’être. Je vous en prie : j’aimerais que votre poème écrit en français rejoigne votre poème que j’ai sous les yeux, poème dont je parcours le lac profond sous le verbe incisif et saignant.

73À vous, de cœur, René Char

74En marge, écrit dans le sens de la longueur sur la première page : Ci-joint quelques cartes-images de G. de la Tour [13].

757.

76Carte postale

77[V. Van Gogh. Le Train Bleu]

78La carte est envoyée à Vadim M. Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

79L’Isle sur Sorgue

8019.12. 1973

81Mon cher ami

82J’ai été muet trop longtemps et contre mon gré. Quelques difficultés de santé. Mais je n’ai pas cessé de penser à vous et d’espérer votre venue prochaine. Nous aurons tout pour vous accueillir et vous rendre la vie agréable et indépendante. Comptez sur nous. Le livre à quatre poètes est arrivé hier, accompagné de votre lettre [14]. Merci. Rarement un de mes ouvrages m’aura plus touché, même mutilé dans son costume enfantin de toile rose… Je vous serre affectueusement la main. Mes vœux, mes pensées pour votre compagne et votre fils, R. Char

838.

84Lettre

85[format 21 × 27]

86L’Isle, 20 121973

87Mon cher Ami

88Merci ! La carte envoyée à votre domicile vous aura dit brièvement que l’anthologie de poèmes en langue russe m’était bien parvenue. Je vous en suis reconnaissant. C’est, certes, dommage que le bistouri de l’éditeur ait taillé à tort et à travers dans votre choix initial de textes ; mais on ne peut que déplorer… Sans plus. L’œil du cyclope n’a pas un vrai regard ! Nous le savons, vous et moi. J’ai eu quelques ennuis « naturels » (ils me viennent en partie de la guerre) de santé. C’est pourquoi je vous ai peu écrit. Vous voudrez bien m’en excuser. Enfin, trop souvent, malgré ma lutte contre l’accablement de tant d’horreurs continuellement répétées en ce monde, tout l’important affectif est confié à la pensée, elle intacte, parce que son abri est le cœur. Pensée non suivie d’écriture, hélas !

89Mais je vous attends aux Busclats fermement. Nous nous promettons des joies pures. Enfin, votre fils pourra être soigné et surveillé dans les meilleures conditions ; que sa maman n’ait nul souci. Je lis et relis vos trois poèmes. Savoir (noble certitude !) que vous écrivez vos poèmes, que votre œuvre personnelle voit le jour, en dépit de tant de vicissitudes, me raffermit, me fait du bien, me donne à voir la perpétuité du « diamant désespéré » [15] produit par le mystère, toujours altéré de création, de la vie. Travaillez bien ! L’année se termine. Mon vœu est d’affection, dans le tourment que l’affection se doit d’être concrète. Dans son égoïsme merveilleux, cette pensée d’affection vous dit, à votre Femme, à votre fils, à vous : « Bonne Année ! À bientôt ».

90De tout cœur votre René Char

91Je voudrais tout de même l’anthologie de la Résistance dont votre lettre me parle longuement [16]. Est-ce possible ? Sans vous infliger trop de tracas ?

92P.S. Ci-joint mon dernier né [17]. Il m’a pris toute une année, irrégulièrement.

[1974]

939.

94Lettre [15 × 21] sous enveloppe adressée à Monsieur St. Tatischeff Services Culturels de l’Ambassade de France, Moscou, Pour Vadim Kozovoï

95a – La première partie de cette lettre est écrite par Tina Jolas

96Le 14 février 1974

97Cher Vadim Kozovoï,

98René Char qui vous écrit par ailleurs, me prie de vous répondre en toute hâte et après avoir pris les informations nécessaires, sur le point pratique soulevé dans votre lettre : vous pouvez être soigné en France, dans les meilleures conditions, et ces conditions, nous vous les assurerons [18]. Actuellement, et sous réserve du diagnostic médical, on garde rarement les malades même atteints comme vous l’êtes, six mois à l’hôpital. La durée de l’hospitalisation n’est en général que de quelques semaines, suivie d’un traitement sous étroite surveillance médicale. Mais tout dépend, bien entendu, du diagnostic. Si cette assurance – et c’est une joie pour nous de vous la donner – pouvait vous permettre de profiter d’une éventuelle décision favorable, lorsqu’ils répondront, et de décider de votre voyage au plus bref, tous les problèmes que pose votre état, nous sommes très certains de pouvoir les résoudre, et très heureux de les assumer. Ce sera à Paris d’abord, puis en Provence, à L’Isle-sur-Sorgue, ou ailleurs suivant votre désir.

99Recevez cher Vadim Kozovoï, l’assurance de notre pensée fidèle et amicale,

100Tina Jolas

101b –

102Très cher ami

103Je confirme en tous points ce qu’écrit Tina. Dès réception de votre lettre, il y a six jours, je suis venu à Paris me renseigner auprès d’amis docteurs sûrs. Ensuite j’ai obtenu d’autres amis peintres et poètes une assurance d’aide matérielle. Votre poème en russe m’est connu, Tina me l’a traduit lentement. Il pourra, si comme je l’espère, vous pouvez venir, être publié dans la revue Argile dont le 1er n° vient de paraître à Paris. Aromates chasseurs y figure [19]. De tout cœur, votre R. Char

104P.S. Je repars pour l’Isle-sur-Sorgue lundi prochain. M’écrire là-bas. L’adresse de Tina Jolas à Paris : 11 Rue Monsieur, 7e.

10510.

106Carte postale

107[L’Isle sur la Sorgue (Vaucluse) Vue générale]

108La carte est envoyée à Vadim M. Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

1091er mars 1974

110Très cher Vadim

111Votre télégramme nous a beaucoup attristés [20]. Nous avions espéré malgré le vent qui souffle, que l’autorisation de venir en France, si justifiée littérairement, vous serait accordée. Nos pouvoirs sont limités, hélas ! de pays à pays. Néanmoins nous allons faire tout notre possible pour que la question soit reposée dans son juste contexte. Et dès aujourd’hui. Ni espoir, ni désespoir… Le courage de cœur qui est le vôtre. Affection. René Char

112Bien reçu hier l’anthologie des écrivains en russe. Merci.

11311.

114Lettre [15 × 21] sous enveloppe adressée à Monsieur St. Tatischeff Services Culturels de l’Ambassade de France, Moscou, Pour Vadim Kozovoï

115a – La première partie de cette lettre est écrite par Tina Jolas

116L’Isle sur Sorgue, Le 8 mai 1974

117Cher Vadim Kozovoï,

118Nous sommes heureux de vous savoir en bonne voie de guérison, et espérons que les nouvelles radios ont pleinement confirmé en mieux.

119Notre pays, vous l’imaginez, est aujourd’hui dans l’incertitude : tout est brouillé, en suspens et pour quelque temps encore. Avant de reprendre des démarches nouvelles après celles qui furent conduites officiellement, il faut attendre les jours prochains. Dès que l’on verra clair, René (lui-même assez fatigué en ce moment) renouvellera ses démarches. Il pense s’adresser au président de l’assemblée, mais pour cela, il lui faut grouper tous les éléments de connaissance : en particulier, il lui faut savoir qui, conjointement ou parallèlement, est intervenu en votre faveur ? Quels Français, écrivains ou politiques, sont au courant de l’invitation officielle que René vous a adressée et, éventuellement, quelle démarche, en dehors de la sienne, a été tentée ? Ceci afin d’éviter les confusions.

120Et peut-on, cher Vadim Kozovoï, vous demander de ne pas trop attendre du monde littéraire français en tant que tel, de ne pas vous faire trop d’illusions sur ses pouvoirs et sur ses vouloirs. Ce n’est pas calomnier que de dire cela : affaire de réalisme. Il s’agit d’être efficace dans la continuité et de faire converger les efforts.

121Quant à S.V., il a écrit à René qui le verra à Paris, à son prochain voyage, et soyez sans craintes, en pleine connaissance de cause.

122À votre femme et à vous-même, j’envoie toute ma chaleureuse amitié et mon espoir,

123Tina Jolas

124b –

125Cher ami Vadim, il y a quelques problèmes de santé, mais le printemps aplanira les difficultés. La revue Argile désirerait fort publier poèmes ou textes de vous. Est-ce possible et lesquels ? Je vous écrirai mieux et plus longuement bientôt. Le manuscrit de Heidegger m’appartient avec de nombreux autres offerts par lui.

126De tout cœur, R.C.

12712.

128Lettre [15 × 21] sous enveloppe adressée à Monsieur St. Tatischeff Services Culturels de l’Ambassade de France, Moscou, Pour Vadim Kozovoï

129L’Isle s/ Sorgue 11 Juin 1974

130Mon cher ami

131Mon silence n’est pas perte ni éloignement. Durant ces derniers mois il fut impossible d’écrire ; à peu près bloqué par une arthrose agressive. Je retrouve mes mouvements peu à peu après des soins à Paris bien usants. Merci pour vos lettres, pour votre texte pour Argile. Mais cela est bien bref. Les poèmes que j’ai reçus de vous par deux fois peuvent-ils être joints à ce dernier ? Dites-le moi je vous prie rapidement, afin que j’entreprenne les démarches pour une traduction en français : la meilleure possible !

132J’ai repris à Paris mes interventions pour votre voyage. Mais que peuvent les Français au-delà des promesses que les hommes politiques font si facilement ? Je ne perds ni espoir ni patience. Et vous gardez ces deux « vertus intactes ». Pardon de vous en prier de nouveau. J’ai rencontré le préfacier à Paris de notre livre dont vous m’aviez annoncé la présence en France. Brève rencontre.

133Je vous serre les mains affectueusement et vous écrirai moins superficiellement bientôt.

134René Char

13513. Lettre de Tina Jolas

136Dans cette lettre, écrite à Paris est datée du 1er octobre 1974, Tina Jolas commence par s’enquérir de la santé de Vadim (« avons-nous tort d’être un peu rassurés quant à votre étant de santé ? ») avant d’évoquer en ces termes les poèmes pour la revue Argile : « vos textes sont entre les mains de Georges Nivat à qui René les a envoyés – mais peut-être Nivat est-il en ce moment près de vous [21] ? Il se charge de les traduire, et en premier lieu, de les “déchiffrer” dit-il ». Le dernier tiers de la lettre est consacré aux démarches que René Char entreprendra à Paris : « les choses, en ce domaine, sont tellement mouvantes, qu’il faut clairement juger de la situation, afin de savoir quel clou enfoncer, avec quel marteau, à un moment donné ».

137Tina Jolas joint à cette lettre une carte postale : « Je vous envoie ces hommes souffrants et aimés. Le musée Rodin est tout près, plein de roses, et nous y allons souvent. Les Bourgeois de Calais accompagnent René. Ils portent secours ».

138En post-scriptum :

139

« Oui, mon père était Eugène Jolas, poète et éditeur d’une revue, dans les annes’30, « Transition », où il a publié des poètes russes » [22].

14014.

141Carte postale

142[Le cirque de Saint Amand avec ses genêts en fleurs. Au fond : les Dentelles de Montmirail (Vaucluse)].

143La carte est envoyée à Vadim M. Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

1444-12-1974 R. Char 84860 L’Isle-sur-Sorgue

145Bien cher Vadim,

146Je vous ai tout de suite rassuré par télégramme. À partir de l’âge d’érosion les maux doivent être assumés légèrement. Je m’y emploie. Je n’ai pas de nouvelles de Georges Nivat sans doute occupé à traduire vos poèmes pour Argile. Nous les reverrons avec Tina. Vos lettres sauf une me sont bien parvenues dont celle envoyée vers la fin du mois d’août. J’ai répondu. Nous sortons à peine d’une grève totale des Postes de plus d’un mois… Etc. La presse a parlé de vous au PEN club [23]. Nous vous espérons activement cher Poète. Bien affectueusement, René Char

14715. Lettre de Tina Jolas

148Cette lettre, datée du 9 décembre est encore écrite à Paris. Tina Jolas formule des vœux pour Vadim, Irina et « pour ce petit enfant qui va bientôt naître » (il s’agit d’André). Elle évoque le train qu’elle prendra le soir même gare de Lyon et qui la mènera en Provence : « Un peu avant, on aperçoit, à l’horizon, le Mont Ventoux et les Dentelles de Montmirail, à l’aube. Je vous dis tout cela parce que j’ai la chaude conviction que vous le verrez. Il y a un village dans ces dentelles de Montmirail, où nous habitons souvent, Amont [24]. Un vrai village serré et chaleureux où nous avons beaucoup d’amis, où il y a des maisons qui attendent qu’on y vive, qu’on y fasse le feu. Ce village s’appelle le Barroux, au pied du Ventoux » [25].

14916.

150Carte postale

151[Les belles Images de Provence. Malaucène. Vue générale et le Mont Ventoux].

152La carte est envoyée à Vadim M. Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

15326-12-1974

154Bien cher Ami

155Vous avez dû recevoir de nos nouvelles comme nous avons eu les vôtres. Vous savoir de nouveau auprès de votre compagne et de votre fils, sorti de l’hôpital où vous étiez soigné, nous rassure. L’année 1975 comblera, nous l’espérons, vos désirs et notre espoir de vous accueillir. Tina et moi vous embrassons tous trois très affectueusement.

156Tina

157René Char

[1975]

15817.

159Carte postale

160[Jean-Baptiste Corot, Souvenir de Mortefontaine, Musée du Louvre]

161La carte est envoyée à Vadim M. Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

1626-2-1975

163Mon cher ami

164La naissance de votre fils a retenti jusqu’aux Busclats [26]. Dites, je vous prie, nos pensées d’affection à la jeune mère et… à l’enfant. À vous les vœux du poète au poète. Avez-vous reçu ma carte postale précédente ? Je vous parlais de vos poèmes en français entre autres, en cours de traduction par Georges Nivat. Nous les attendons bientôt et vous aussi. De cœur, votre R. Char

165Ex : René Char. Les Busclats, 84800 L’Isle-sur-Sorgue

16618.

167Carte postale

168[Mollans « Sur la route des princes d’Orange » La Fontaine Comtadine, le Beffroi, vues du Lavoir Municipal]

169La carte est envoyée à Mr et Madame Vadim M. Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

1704 avril 1975

171Chère Irène Kozovoï, cher Vadim,

172Votre pensée et la photographie nous touchent beaucoup. Votre petit André regarde déjà loin devant lui. Comme nous. Tout ce que vous rappelez a pour moi valeur inaltérable. Merci de le garder, vous aussi, vivant, et toujours devenant. J’espère, Vadim, que Nivat a été un cordial messager. Vos poèmes nous occupent. Mon anthologie, avec Tina, est en bon chemin et fera un vrai livre avant ou après Avignon [27]. J’ai bien reçu mais avec un grand retard votre lettre écrite pour le 14 juin [28]. Fraternellement. Irène, venir à Moscou, avec mes difficultés de santé n’est pas sûrement prochain. Nous vous embrassons. René Char (Tina)

17319.

174Carte postale de Tina Jolas adressée à Irina et datée du même jour (4 avril). La carte postale représente la chambre du Cerf du palais des papes (la chasse au faucon) :

175

« Nous vous avons écrit ensemble ce matin et je vous écris encore, pour doubler cette chance heureuse ».

17620.

177Carte postale

178[Monet. Nymphéas, paysage d’eau. Museum of Fine Arts. Boston]

179La carte est envoyée à Vadim M. Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

180L’Isle-sur-Sorgue

18128-11-1975

182Cher ami, votre lettre et vous poèmes nous sont bien parvenus. Il m’est physiquement difficile « à présent » d’avoir une correspondance suivie. Cela, c’est l’âge, qui tord même le fer, et je l’accepte avec le plus d’humour possible. Nous pensons à Irène, au petit André, et à vous avec une amitié que rien n’altère. Que du moins ce sentiment vous reste présent à l’esprit. Pour vous parler en toute franchise, le peu de traductions de vos poèmes que Georges Nivat a faites ne me convainc pas du tout. Celui-ci est mal, très mal à l’aise, dans la poésie en général. C’est un prosateur imbu de Montaigne. Il affadit la poésie. Comment le lui dire, surtout lorsqu’il affirme votre accord avec sa production ? Je vous écrirai dans quelques jours de nouveau. Affectueusement, René Char.

183P. S. Tina est à Paris pour son travail.

18421.

185Carte de Tina Jolas envoyée à Irina et Vadim Kozovoï. La carte représente le mois de juin des « Très riches heures du Duc de Berry » (Fenaison) :

186

« oui il y a l’arthrose, la fatigue, le travail, et les travaux, mais cela va, dans l’espoir constant, et la chaude amitié, et la poésie ».

[1976]

18722. Cartes de vœux.

188Cartes postales sous enveloppe adressées sans timbre à Monsieur St. Tatischeff, mission culturelle Moscou, pour Vadim Kozovoï.

189Aucun de ces documents n’est daté. Ils sont postérieurs à la naissance d’André et antérieurs à la venue de Vadim en France. Il ne peut donc s’agir que de 1976, 1977, 1978 ou 1979.

190La carte postale où sont écrits les vœux représente Le Barroux [le village dominé par le Château].

191La carte postale est écrite à deux mains :

192Tina Jolas :

193Tous nos vœux affectueux et nos espoirs solidement ancrés pour l’année qui vient.

194Nous pensons à vous quatre et espérons des nouvelles bientôt, Tina

195René Char :

196Avec l’espoir que nos pensées vous parviennent. Nous sommes sans écriture de vous depuis un jour d’octobre. « L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable » [29]. Croire ne pas croire, la poésie n’est pas confondue. Affection, R. Char.

19723.

198Cette lettre est dactylographiée sur une feuille 21 × 27

199Le Barroux, 15 février 1976

200Cher poète et ami

201Voici, en réponse plus particulièrement à votre lettre du 14 janvier dernier – concernant la traduction et la publication de vos poèmes –, où en sont les choses.

202Je ne suis plus, depuis déjà longtemps, en rapport avec Claude Esteban et la revue Argile. Mais cette revue continue de paraître et elle a publié récemment des textes traduits du russe (dans lesquels nous ne sommes, Tina et moi, pour rien). Quant à G.L.M., malheureusement pour la poésie et les poètes, il a dû renoncer à toute activité à la suite d’une grave maladie subie en juillet-août 1975 [30].

203C’est manifestement Georges Nivat qui dans la collection qu’il dirige à Genève publie les textes littéraires russes les plus importants. Il me semble donc opportun et souhaitable que ce travail que vous avez entrepris en collaboration avec lui – la traduction de vos poèmes – se poursuive et trouve sa suite normale dans une publication. Et Georges Nivat pourrait également transmettre vos textes à Argile dont il connaît personnellement le directeur, comme je le lui avais suggéré quand il est venu me voir.

204Vous vous rendez mal compte, c’est clair dans vos lettres, qu’ici les choses, les individus changent, ou se modifient gravement. D’où des difficultés imprévisibles. Enfin je vous rappelle que je ne suis pas un poète officiel, donc répandu et les bras longs (sic), que je me tiens éloigné de toute activité journalistique littéraire etc. et que ce sont là des positions que je ne suis pas prêt d’abandonner. Mes ennuis de santé sont à part.

205Je vous ai envoyé « Aromates chasseurs » qui vient de paraître auquel Tina a joint un petit opuscule « Faire du chemin avec… » imprimé par ses soins [31]. J’espère que vous les recevrez bientôt.

206Char ajoute à la main

207Tina vous dit, ainsi qu’à Irène et à vos enfants ses pensées affectueuses.

208Amicalement à vous

209René Char

210P.S. Il va de soi que nous restons tout à fait attentifs à des possibilités nouvelles vous concernant.

[1977]

21124.

212Carte postale

213[Jan Vermeer – Little street in Delft, Amsterdam, Rijks Museum]

214La carte est envoyée à Vadim M. Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

21529 juillet 1977. L’Isle-sur-Sorgue

216Cher ami

217Les formalités se font. « Déjà » les signatures du maire et du préfet sont obtenues et légalisées. Reste celle du ministère des affaires étrangères. Ces choses sont toujours lentes. Sitôt que j’aurai reçu au complet la demande je vous l’enverrai par avion et recommandé.

218Merci pour votre poème.

219J’aimerais l’avoir en russe aussi. Votre parole a une respiration et une flèche admirables. Merci.

220Je n’ai pas le téléphone pour votre ami. Je lui écris de venir me voir.

221Bien à vous

222René Char

22325.

224Carte de vœux

225[La carte représente le « Paysage avec la chute d’Icare » de Breughel. Musée Royaux des Beaux Arts. Bruxelles] [32]

226La carte est envoyée sous enveloppe à M. et Mme à Vadim Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

22727-12-77

228Chère Irène, cher Vadim

229Nous sommes avec vous en ces brefs jours et en ces longues nuits, – comme si l’hiver s’allongeait sur toute forme pour la couvrir et pour la découvrir, seul maître à trancher les saisons.

230[Tina poursuit]

231Mais nous croyons au petit jour,

232Toute notre amitié et nos vœux à tous deux et à aux enfants,

233René Char

234Tina

235Char rajoute sur la rabat droit de la carte :

236Votre carte du 15 décembre vient de nous parvenir merci tout à la fois.

[1978]

23726.

238Carte postale envoyée le 23-8-1978

239La carte est envoyée à M. et Mme à Vadim Kozovoï, Moscou Centre Potapovski pereoulok, (ruelle), 9/ 11, app. 18, URSS

240Cher Poète, cher Ami

241J’ai tardé un peu à vous remercier de votre pensée du 14 juin [33] – et de l’anthologie russe. Plus d’un mois pour me parvenir en Vaucluse. Votre lettre fut la plus lente.

242En juillet une crise d’angine de poitrine m’a vraiment mis en difficulté [34]. Ce sont des habitudes à présent à prendre. Ces trucs de l’âge.

243Nous vous disons à Irène, à vous, à votre famille vos sentiments amicaux et affectueux. René Char

244Bien à vous, fidèlement, Tina

[1979]

24527.

246Lettre sous-enveloppe adressée à Monsieur et Madame Vadim Kozovoï, l’adresse est écrite en russe par Tina Jolas.

247Le cachet de la poste indique 4-1-1979.

248La lettre porte la date du 3 janvier 1978 écrite à la main par Tina Jolas qui se trompe.

249La première partie de la lettre est écrite par Tina Jolas :

250Chère Irène, cher Vadim,

251Nous sommes heureux de ce que vous dites dans le mot reçu il y a quelques jours : la joie que vous donne le petit André, les travaux de Vadim sur Rimbaud et Lautréamont [35] et surtout la proche parution de son second livre venant compléter celui que nous avons aimé [36].

252La santé de René reste fragile car à la maladie de cœur viennent s’ajouter les douleurs rhumatismales ; mais nous voulons croire au travail bénéfique du temps qui vous éloigne peu à peu du mal. Ce sera la tâche de cette année nouvelle, et à cette occasion, nous formons pour vous quatre, des vœux chaleureux et amicaux.

253Tina

254La seconde partie est écrite par René Char

255Bien cher poète et ami

256Les lointains sont bien insupportables, mais ils nous rendent heureux quand nous parviennent vos lettres, et cartes (parfois avec de longs retards, hélas ! les postes françaises souffrent de beaucoup de désordres.)

257Que vos travaux puissent s’accomplir tels que vous les établissez est l’un de nos vœux pour vous. Votre ouvrage deuxième sera le très bienvenu ici. Le premier a été une joie pour de nombreux amis français.

258Notre affection à Irène, à vous, à vos enfants.

259Fidèlement votre René Char

26028.

261Lettre

262Cette lettre est adressée à Madame Irène Kozovoï, rue Bol. Spasskaïa 6, apt. 189, Moscou

263129010 URSS. L’enveloppe porte la date du 2-7-1979.

264Il s’agit d’un billet de petit format et de couleur crème.

265À Irène Kozovoï

266Un lac ! Qu’on nous l’accorde ! Un lac, non une source, au milieu de ses joncs, mais un pur lac, non pour y boire, un lac pour s’offrir au juron glacé de ses eaux estivales. Qui sollicites-tu ? Nul n’est prêteur, nul n’est donnant.

267R.C. 1979

268Pour son Anniversaire. Affectueusement.

26929.

270Carte postale

271[Provence du temps jadis. Avignon vu depuis le Rhône]

272La carte est adressée à Monsieur et Madame Vadim Kozovoï, rue Bol. Spasskaïa 6, apt. 189, Moscou 129010 URSS

2731-10-1979

274Bien chers Amis,

275Madame Ania m’a donné de vos récentes nouvelles à son retour de Moscou, et Tina et moi avons été émus [37]. Nous espérons que vos désirs seront œuvre de poète se poursuivra au mieux du possible. Je vous envoie ce jour, mon livre qui vient de paraître chez Gallimard [38].

276Nous vous embrassons tous quatre

277Tina

278René Char

27930.

280Carte postale

281[Musée Rodin. Les Bourgeois de Calais]

282La carte est adressée à Mr Vadim Kozovoï, rue Bol. Spasskaïa 6, apt. 189, Moscou

283129010 URSS

284L’Isle-sur-Sorgue 84800

2855 nov. 79

286Très cher Ami

287Deux longs mercis. L’une pour la photo de vous prise par Ania Chevallier. Commune présence [39] ! L’autre pour votre pensée de Tbilisi [40]. Vous êtes souvent présents par le cœur aux Busclats avec Irène et vos enfants. Votre travail nous est cher. Vos poèmes sont irrésistiblement disant. Nous les aimons. À vous, de nous deux de cœur,

288Votre René Char

28931.

290Carte postale sous enveloppe adressée à Mr et Mme Kozovoï rue Bol. Spasskaïa 6, apt. 189, Moscou 129010 URSS

291[Vieille fontaine à Mollans]

29216-11-1979

293Chère Irène, cher Vadim,

294Vos lettres récentes nous sont bien parvenues, avec la bonne nouvelle du travail de poésie fécond de Vadim. (Tina est penchée sur le long poème de Vadim).

295Nous ne perdons pas l’espoir de vous voir. Ania Chevallier vient de m’envoyer l’émouvante image prise à la foire du livre cet été, à Moscou, car je désirais posséder celle-ci ! Merci, Vadim, pour ce que vous m’écrivez à propos de mon dernier né.

296Toute notre affection, René Char

297Et ma pensée affectueuse, Tina

[1980]

29832.

299Carte postale adressée à Mr et Mme Kozovoï rue Bol. Spasskaïa 6, apt. 189, Moscou 129010 URSS

300[Camille Pissaro – « Dans les champs à Enneray », pointe-sèche, 1875]

30114 juin

302Cher Vadim, chère Irène, le livre de votre pensée Vardzia, admirable retour au désir de Parménide, arrivé aujourd’hui même. Je vous remercie ; mon cœur, mon vieux cœur endommagé est très ému à ce signe suprême de vous. Les courriers se font mal, traînent ou font défaut. Pour Pasternak n’est pas paru fin mai [41]. Le monde… où l’étoile qui descend vers nous ?

303L’affection de fidèle de René Char. Je vous écrirai mieux bientôt

30433.

305Lettre adressée à Vadim Kozovoï. L’adresse est écrite en russe par Tina Jolas. Elle contient une carte postale et une lettre écrite par Tina.

306La lettre du 4 juillet accompagne une carte postale représentant une miniature médiévale « La Sauge » (B.N., N.a., lat, fol. 34). Tina Jolas précise :

307

« parmi ces herbes “sœurs froides”, voici la sauge dont un proverbe provençal dit qu’elle guérit tous les maux ».

308Elle demande :

309

« pourquoi, cher Vadim, ne pas nous envoyer votre mot à mot des poèmes que vous désireriez que nous aimions, en votre français (qui est si remarquable) ».

310La lettre s’achève ainsi :

311

« Dites à Irène que nous regardons toujours avec émotion certaines photographies d’elle, toute jeune, et aussi, les plus récentes de vous-même. Et celles des enfants qui grandissent ».

31234.

313Carte postale sous enveloppe de Tina Jolas postée à Avignon le 11 octobre 1980 envoyée à Irina et Vadim, rue Bol. Spasskaïa 6, apt. 189, Moscou 129010 URSS [Malaucène – Les toits de la ville, le beffroi et les ruines du château]

314

« Ce mot vite, pour vous dire que nous sommes en Provence, et que je n’ai plus l’appartement de la rue Monsieur à Paris. C’est donc à l’Isle sur Sorgue ou au Barroux que nous vous accueillerons, je l’espère. René sera prévenu par nos amis ».

[1981]

31535.

316Carte postale sous enveloppe de René Char datée du mardi 24-2-1981 et adressée à Monsieur Vadim Kozovoï c/o Mr et Mme Stéphane Tatischeff, 48 rue André Salel, Fontenay aux Roses, 92

317Tête du roi de Juda provenant de la galerie des rois de Juda à Notre Dame de Paris, 1230.

318Cher Poète et Ami

319Beaucoup de vœux et ma pensée pour vous. Affectueuse et forte. Vous êtes en France et je vous verrai bientôt [42]. (Il est aberrant d’avoir le misérable refuge de la mauvaise montante santé lorsqu’on parle de soi à ses amis ! Et pour établir un horaire…) Mais je n’ai plus fait le voyage à Paris depuis un an. Tina m’a transmis votre téléphone. Qui m’a ému fraternellement. Nous allons voir ensemble le possible.

320Paris ne vous pèse-t-il pas trop ? J’espère que le courrier vous touchera sans trop de difficultés. Savez-vous que de Moscou, en plus des lettres qui arrivaient si mal, il y avait des mois où le néant était le seul manifestant. Affection.

321R. C.

32236.

323Carte postale vierge représentant « le pittoresque et charmant petit village de Brantes (Vauscule) au pied du mont Ventoux » et lettre de Tina Jolas sous enveloppe datée du 25-2-1981. L’ensemble est adressé à Monsieur Vadim Kozovoï c/o Mr et Mme Stéphane Tatischeff, 48 rue André Salel, Fontenay aux Roses, 92

324Il s’agit d’une lettre de bienvenue et de conseils.

325Tina Jolas traduit la préoccupation partagée par Char de la santé de Boris « votre souci premier ». Quelle solution envisager ? « Prudence, prudence – me semble-t-il – avant d’engager un enfant dans une filière aussi absolue, exclusive que la filière psychanalytique ! » Tina Jolas recommande « L’école nouvelle d’Antony ».

32637.

327Lettre de Tina Jolas sous enveloppe datée du 9-4-1981 adressée à Monsieur Vadim Kozovoï c/o Mr et Mme Stéphane Tatischeff, 48 rue André Salel, Fontenay aux Roses, 92

328« Il me semble que la solution trouvée pour Boris est la bonne, et je me réjouis de vous vous voir tous deux début mai (où je viens à Paris) ». Tina Jolas précise les raisons de santé qui retiennent Char au Barroux.

329« Je n’ai pas trouvé le texte sur Pasternak parmi les manuscrits de vous, que nous gardons précieusement ».

330« Je suis triste de ce que vous me dites d’Irène, et ne comprends pas exactement sa situation. Je comprends, en revanche, que vous éprouviez des déceptions et lassitudes ici » [43].

33138.

332Lettre sous enveloppe de René Char envoyée le 13-4-1981 à Monsieur Vadim Kozovoï c/o Mr et Mme Stéphane Tatischeff, 48 rue André Salel, Fontenay aux Roses, 92.

333Les Busclats, 12 avril

334Cher Poète, cher Ami

335Je vous remercie de votre lettre et me réjouis des amitiés que vous rencontrez à Paris. Jean Hughes m’a parlé de vous à son passage, il y a 8 jours, avec chaleur [44]. Cela m’a, sinon consolé de la rudesse et de la sottise de mes maux, mais du retard mis à vous serrer les mains. Je pense tout de même que je pourrais aller à Paris après ces Pâques ronflantes d’automobiles et de bruits épuisants. Si vous deviez repartir pour la Russie, je vous demanderai de venir ici, ou aux Barroux bien que je vive comme un sanglier solitaire dans son fourré ! Obligatoirement.

336En toute amitié

337René Char

338Tina m’a donné des nouvelles de votre fils, bien soigné depuis votre venue en France, malgré les difficultés. Et aussi la bonne pensée d’Irène et de votre second fils, auxquelles je suis très sensible.

33939.

340Pli de René Char adressé à Monsieur Vadim Kozovoï, 25 avenue Loubart, 92260 Fontenay-aux-Roses.

341L’enveloppe contient outre une lettre de Char, une photo de Char collée sur un carton blanc.

34211 mai 1981

343Cher Poète et Ami

344J’ai lu avec l’attention que vous savez le texte que vous avez écrit sur Sima [45]. Vous traversez, la main assurée sur votre gouvernail, et les yeux sur la verrine, cette œuvre dont l’artiste qui la créa est un des hommes les plus admirables que j’ai rencontrés.

345Je mesure combien est difficile le passage d’une langue de toujours à une langue seulement familière. À quelques mots près vous la dominez remarquablement, et mieux.

346Merci d’avoir pensé à me donner à lire ce beau texte.

347J’espère vous voir en juin à Paris.

348Très amicalement,

349René Char

350P.S. Vous verrez Tina qui se rend à Paris bientôt. Vous lui direz, d’après les renseignements recueillis, quelle est la meilleure façon pour vous aider matériellement au titre d’écrivain en France.

35140.

352Lettre de Tina Jolas datée du 17-6-1981 et adressée à Monsieur Vadim Kozovoï c/o Mr et Mme Stéphane Tatischeff, 48 rue André Salel, Fontenay aux Roses, 92. La lettre est postée de Paris.

353Tina Jolas prie Vadim de venir trouver Char 18-20 Blvd Edgar Quinet :

354

« Bref, René vous attend samedi à 5 heures ».

35541.

356Lettre de René Char adressée à Monsieur Vadim Kozovoï, 25 avenue Loubart, 92260 Fontenay-aux-Roses, postée de L’Isle-sur-Sorgue le 30-7-1981.

35729 Juillet

358Cher Vadim Kozovoï

359Je vous remercie des traductions que vous m’avez envoyées. Je crois, comme vous me le disiez à Paris que vous poèmes sont particulièrement difficiles, dans le creusement et le profond jusant russe des mots – et aussi dans cette propension à la scatologie noble, soudaine à laquelle vous avez parfois recours – d’être pénétrés par le français selon vos vœux. Reste que vos poètes, à vos côtés, ont travaillé avec amitié et générosité. Comment obtenir mieux « en votre présence » ?

360L’été que je passe est pénible et ma mauvaise santé ne m’autorise rien.

361Aussi ne pourrai-je pas vous recevoir à l’Isle-sur-Sorgue en ce mois d’Août, car pudeur oblige, parfois.

362Et c’est le cas dans ces réseaux d’ennuis multiples.

363J’espère fort que la santé de votre fils connaîtra une amélioration ici en France.

364Je ne me cache pas combien vous ressentez le mal-être de son état, ainsi qu’Irène que nous affectionnons.

365Au revoir, cher Poète, je vous serre la main très amicalement,

366René Char

Deux dédicaces de René Char à Vadim Kozovoï. Ci-contre, Recherche de la base et du sommet (Gallimard)

figure im1

Deux dédicaces de René Char à Vadim Kozovoï. Ci-contre, Recherche de la base et du sommet (Gallimard)

« Le martinet », extrait de Poèmes et proses choisis, 1935-1957 (Gallimard)

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« Le martinet », extrait de Poèmes et proses choisis, 1935-1957 (Gallimard)

figure im3

367Analyse graphologique de René Char pour Vadim Kozovoï

368Cet autographe ne résume-t-il pas le parcours graphique d’un arpenteur, marcheur attentif, qui s’ancre dans un terrain solidement jalonné.

369Le bon croisement des forces dénote l’alliance de la « profondeur de l’impatience et de la verticale patience ».

370Le mouvement ascendant est propulsif, tel une ligne de vol, incliné vers l’avenir : dynamique confirmée par la marge grandissante d’un homme hanté par le processus créateur et qui ne s’attarde pas à « l’ornière du résultat ».

371La ligne de base, méticuleusement tenue, dans une tension qui allie les contraires, enracine le geste graphique dans un même rythme, cadencé et maîtrisé, que celui de la mélodie de ses vers.

372Les masses graphiques, structurées, aux contours bien définies sont volontiers concrètes, visuelles, sensorielles et incarnées, comme l’est la coulée d’encre.

373Les blancs inégaux, porteurs de mots, symbolisent l’incréé, l’imprévisible, l’inspiration du poète et son imagination libre, toujours en éveil, en alerte : silences denses et tendus.

374Hermétique et ciselée, avec la patience d’un artisan, telle est sa phrase, comme le montre l’écriture en arcades, aux formes précises et élégantes dans leur simplicité et leur sobriété, définissant l’exigence et la rigueur de l’acte poétique.

375Le geste, efficace, rapide, n’exclut pas un rythme posé, emprunt « de la lenteur qui butine », et la liaison, « lenteur qui s’obstine » amasse les images avec la patience d’un paysan aux goûts rustiques ; les pauses entre les lettres signent la réflexion de celui qui observe inlassablement une nature qui le fascine.

376Le graphisme, d’une parfaite lisibilité, au dessin décisif, garde toute sa richesse et sa complexité avec ses pochages et sa pâtosité ; il laisse transparaître le désir intense et passionné du poète, de faire passer dans son œuvre « toute sa vie et toute sa personne » : authenticité d’un homme qui est resté fidèle à lui-même tout au long de sa vie.

377Les gestes libres, lancés et acérés, projetés hors des limites du mot, montrent la crispation frémissante de l’homme régissant et insoumis, en proie à des pulsations affectives d’une force inégalée.

378De ce poseur d’énigmes, la perspicacité détecte les mystères des êtres et des choses ; l’apparente sérénité est celle d’un homme taciturne à l’humour sombre et caustique.

379La violence, trop longtemps contenue, condensée, l’énergie accumulée, laissent subitement place au doute existentiel dans cette signature au geste plus évasif et incertain qui se découd et se défait comme foudroyé ou libéré….

tableau im4

Date de mise en ligne : 01/10/2016

https://doi.org/10.3917/poesi.119.0007

Notes

  • [1]
    Le 8 juin 1958
    Mon cher Boris Pasternak,
    Vos récentes nouvelles me sont bien parvenues. Je vous en prie : ne vous excuser pas auprès de votre « compagnon de planète » de n’avoir pas eu encore la possibilité, aux degrés d’attention que vous désirez, de lire en entier son recueil de poèmes et de lui en écrire… À vrai dire, bien qu’essentiel pour moi, ce n’est pas cela qui est urgent et une cause de l’inquiétude, même plus : le motif de celle-ci est la question trop droite, trop suspendue de votre complète santé. J’ai lu votre lettre à Pierre (qui n’a pas encore reçu votre Faust) et parlé longuement de vous cet après-midi avec Albert Cam[us] qui vous admire, vous le saurez. Nous vous assurons de tout le poids de notre pensée réfléchie au cas où votre état de santé s’aggraverait, et agissante.
    À présent, je m’efforce dans les limites de ma position – moi, « ami de l’Union Soviétique » et votre ami – de parler justement du très grand Poète que vous êtes, pour atténuer, corriger les bêtises ou les commentaires susceptibles de vous nuire. Hélas, la vilénie, je n’ai nulle peine à me l’imaginer ! Nous veillerons à ce que la pureté de vos mobiles, de votre inspiration, de votre génie, la hauteur de toute votre œuvre, outre J[ivago], demeurent telles qu’elles sont, dans leur étendue inaltérable, ici.
    Voilà, très vite, ce que je voulais vous écrire – pour aujourd’hui.
    Votre jambe est-elle moins douloureuse ? Ah ! Cette distance entre nous, que seul le peu puissant cœur peut à loisir franchir.
    Tout mon fidèle attachement.
    R. Char
    P.S. Tagore m’est à peu près demeuré illisible, depuis toujours. Je suis réfractaire au spiritualisme étale et douceâtre de cet auteur dépossédé. C’est ce que j’ai répondu (avec ménagements) à l’homme gentil qui, comme vous, m’a questionné.
  • [2]
    Il s’agit de La planche de vivre, Paris, Gallimard, 1981.
  • [3]
    Pierre Souvtchinski (1892-1985). Homme de lettres et musicologue français d’origine russe. Il fut l’ami de Prokofiev, de Stravinsky, Artaud, Michaux, Char…
  • [4]
    « Il reste », poème de Vadim Kozovoï, version française de Michel Deguy et Jacques Dupin.
  • [5]
    Vadim Kozovoï fut le premier traducteur de René Char en russe. Ses traductions se trouvent dans un recueil regroupant quatre poètes français sous le titre : Poésie française contemporaine (Moscou, Progress, 1973). Les traductions occupent les pages 301 à 390. Vadim traduit 4 poèmes du Marteau sans maître, 2 poèmes de Dehors la nuit est gouvernée, 12 poèmes de Fureur et Mystère, 7 poèmes des Matinaux, 8 poèmes de La parole en Archipel et 8 poèmes du Nu Perdu.
  • [6]
    Stéphane Tatischeff (1934-1985) professeur de littérature russe à l’École des langues orientales. Stéphane Tatischeff et sa femme ont accueilli chez eux Vadim et Boris à leur arrivée en France pendant plusieurs mois.
  • [7]
    Cette invitation chaleureuse et répétée se traduisit en démarches officielles. Elle ne put jamais se réaliser : d’abord à cause des obscénités du système soviétique, ensuite à cause des ennuis de santé de René Char.
  • [8]
    Il s’agit probablement de « Chêne abattu », poème que Vadim Kozovoï dédia à René Char. Ce poème se trouve désormais dans Hors de la colline, traduction Michel Deguy et Jacques Dupin, illustrations d’Henri Michaux, postface de Maurice Blanchot, Paris, Hermann, 1982, p. 9. Dans cette édition, la dédicace a été supprimée. Il peut s’agir aussi de « Le Nom est insaisissable » (ibidem, p. 13). Ce dernier poème porte encore les initiales de son dédicataire, « R.C ».
  • [9]
    Il s’agit de Tina Jolas (1929-1999). Chercheuse au CNRS, ethnologue et traductrice (elle appartient au laboratoire de Claude Lévi-Strauss et travaille sur Minot, un village du Châtillonais dans le cadre d’une enquête collective et on lui doit la traduction du Journal de Malinowski), Tina Jolas épouse en 1949 le poète André Du Bouchet avec lequel elle aura deux enfants. Elle se sépare de son mari en 1957 pour vivre son amour avec René Char. Sur les circonstances de cette passion, cf. Laurent Greilsamer, L’éclair au front, la vie de René Char, Paris, Fayard, 2004, p. 335 et sq.
  • [10]
    La nuit talismanique est publié chez Skira en 1972.
  • [11]
    René Char découvre l’œuvre de Georges de La Tour à l’exposition « Les Peintres de la réalité en France au xviie siècle » organisée au musée de l’Orangerie de novembre 1934 à février 1935. C’est la première fois que le public voit réunis treize des quinze tableaux alors attribués à l’artiste.
    La peinture de Georges de la Tour va occuper une place décisive dans la vie et la poésie de René Char pendant la période de la Résistance. Le poème « Madeleine à la veilleuse » est intégré dans le recueil Fureur et Mystère (« La fontaine narrative ») publié en 1948 ; cf. Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Pléiade, 1985, p. 276. Dans « Partage formel », Char associe Georges de la Tour et Héraclite dans un poème consacré au rôle du poète : « À deux mérites – Héraclite, Georges de La Tour, je vous sais gré d’avoir de longs moments poussé dehors de chaque pli de mon corps singulier ce leurre : la condition humaine incohérente, d’avoir tourné l’anneau dévêtu de la femme d’après le regard du visage de l’homme, d’avoir rendu agile et recevable ma dislocation, d’avoir dépensé vos forces à la couronne de cette conséquence sans mesure de la lumière absolument impérative : l’action contre le réel, par tradition signifiée, simulacre et miniature » p. 157.
    C’est le célèbre fragment 178 des Feuillets d’Hypnos qui dit le mieux la reconnaissance de Char : « La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j’ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n’ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l’emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l’homme assis. Sa maigreur d’ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L’écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que n’importe quelle aurore. Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres humains ».
    L’aide demandée à Georges de la Tour s’étend bien au-delà de la Résistance comme l’atteste le texte « Justesse de Georges de la Tour » daté du 26 janvier 1966 et publié dans Le nu perdu (p. 455) : « L’unique condition pour ne pas battre en interminable retraite était d’entrer dans le cercle de la bougie, de s’y tenir, en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant.
    Il ouvre les yeux. C’est le jour, dit-on. Georges de La Tour sait que la brouette des maudits est partout en chemin avec son rusé contenu. Le véhicule s’est renversé. Le peintre en établit l’inventaire. Rien de ce qui infiniment appartient à la nuit et au suif brillant qui en exalte le lignage ne s’y trouve mélangé. Le tricheur, entre l’astuce et la candeur, la main au dos, tire un as de carreau de sa ceinture ; des mendiants musiciens luttent, l’enjeu ne vaut guère plus que le couteau qui va frapper ; la bonne aventure n’est pas le premier larcin d’une jeune bohémienne détournée ; le joueur de vielle, syphilitique, aveugle, le cou flaqué d’écrouelles, chante un purgatoire inaudible. C’est le jour, l’exemplaire fontainier de nos maux. Georges de La Tour ne s’y est pas trompé ».
    Sur la signification du « Prisonnier » de Georges de la Tour chez Char, cf. Françoise Dastur, « Rencontre de René Char et de Martin Heidegger » La naissance des choses, Encre Marine, Fougères, 2005, p. 165-169.
  • [12]
    Cf. « C’est alors l’inextinguible réel incréé » Partage formel, I, p. 155.
  • [13]
    L’enveloppe contient aussi 4 cartes postales vierges de l’exposition Georges de la Tour (Paris – Orangerie des Tuileries, Mai-septembre 1972 : « La Madeleine à la veilleuse » ; « Saint Sébastien soigné par Irène à la torche » ; « La diseuse de bonne aventure » ; « Saint-Joseph charpentier »). Cf. supra, note 1, p. 14.
  • [14]
    Cf. ici même, note 1, p. 12.
  • [15]
    « Connaissance ineffable du diamant désespéré (la vie) » Feuillets d’Hypnos, 3, Fureur et Mystère, p. 175.
  • [16]
    Il s’agit de l’anthologie Avec la France dans le cœur, publiée à Moscou en 1973. Elle regroupe des proses et quelques poèmes consacrés à la Résistance. Vadim Kozovoï est un des traducteurs de cette anthologie (Paul Valéry, Jules Supervielle, Ivan Goll). Il signe la postface. Il traduit quelques poèmes des Feuillets d’Hypnos (p. 298-304).
  • [17]
    Il s’agit peut-être de Picasso sous les vents étésiens, G.L.M., 1973.
  • [18]
    Vadim Kozovoï souffrait de très sérieux troubles pulmonaires.
  • [19]
    Entre l’hiver 1973 et le printemps 1981, la revue Argile, dirigée par Claude Esteban publiera vingt-quatre numéros aux éditions Maeght. La première livraison comprenait Aromates chasseurs, désormais in Œuvres complètes, p. 509-536.
  • [20]
    Vadim Kozovoï se voit à nouveau refuser l’autorisation du gouvernement soviétique à se rendre en France à l’invitation de René Char.
  • [21]
    Georges Nivat né en 1935, écrivain, traducteur et professeur de littérature russe à l’université de Genève. Directeur de la collection Slavica aux Éditions L’Age d’Homme à Lausanne depuis leur fondation en 1967, collaborateur des Éditions Fayard à Paris depuis 1995. Principaux ouvrages : Sur Soljénitsyne (Lausanne, 1974), Soljénitsyne (Paris, 1980), Vers la fin du mythe russe, (Lausanne, 1982 ; réédition en 1988), Russie-Europe, la fin du schisme (Paris, 1993), Impressions de Russie (Lausanne, 1993), Regards sur la Russie de l’An VII, considérations sur la difficulté de sortir d’un long despotisme, aux Éditions de Fallois, 1998. Georges Nivat fut un soutien essentiel pour Irina Émélianova et Vadim Kozovoï. Cf. Irina Émélianova, Légendes de la rue Potapov, Fayard 2004, p. 148 sq.
  • [22]
    Eugene Jolas (1894-1952) : écrivain, traducteur et critique littéraire américain qui passa une grande partie de sa carrière en France. Correspondant de presse à Paris, il y fonda avec sa femme Maria McDonald et Elliot Paul, en 1927 la revue littéraire Transition qui connaîtra un important succès. Cf. quelques-uns de ses titres : Secession in Astropolis (1929), I Have Seen Monsters and Angels, Man from Babel.
  • [23]
    Vadim devient membre du Pen Club International grâce aux démarches de Pierre Emmanuel. Cf. les remarques de Denis Aucouturier dans « Celui qui accompagnait » in Po&sie 112-113, p. 115.
  • [24]
    Cf. « Retour Amont », Œuvres complètes, p. 421 sq.
  • [25]
    Sur le Barroux, cf. Laurent Greilsamer, L’éclair au front, op. cit., p. 383 sq.
  • [26]
    Il s’agit d’André Kozovoï, le deuxième fils d’Irina et Vadim, né le 27 janvier 1975 à Moscou. À la naissance d’André, René Char et Tina Jolas envoient un télégramme : « Profondes pensées d’espoir et d’affection pour le bébé pour vous deux ».
  • [27]
    Sur l’évolution de ce projet qui aboutira à La Planche de vivre, ouvrage en collaboration avec Tina Jolas, traductions de poèmes et préface de René Char, Gallimard, 1981, cf. Laurent Greilsamer, L’éclair au front, op. cit., p. 417.
  • [28]
    Le 14 juin est la date de l’anniversaire de René Char.
  • [29]
    Il s’agit de l’incipit du fameux sonnet de Verlaine (texte III) de la troisième section de Sagesse :
    « L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
    Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou
    Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
    Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ? »
  • [30]
    Guy Lévis Mano. 1904-1980 : parti d’Espagne avant la deuxième guerre mondiale, pour s’installer à Paris, Guy Levis Mano est éditeur typographe. Il publie Char, Bataille, Éluard et plus de cent poètes et peintres surréalistes. Il crée les « Cahiers G.L.M. » et traduit des poèmes de Lorca, Hölderlin, Shakespeare. Après avoir été prisonnier pendant la guerre, il poursuit son travail d’éditeur et de poète, sous le nom de Jean Garamond.
    Char publiera maintes fois chez Guy Lévis Mano : Dépendance de l’adieu, 1936, Moulin premier, 1936, Placard pour un chemin des écoliers, 1937, Dehors la nuit est gouvernée, 1937, Fête des arbres et du chasseur, 1948, Art bref, 1950, La Paroi et la prairie, 1952, À la santé du serpent, 1954, Poème des deux-années, 1955, En trente-trois morceaux, 1956, La bibliothèque est en feu et autres poèmes, 1957, Le dernier couac, 1958, Sur la poésie, 1958, Le chien de cœur, 1969, Picasso sous les vents étésiens, 1973.
    Sur Guy Lévis Mano poète, cf. le livre d’Andrée Chédid, Paris, Seghers, 1991.
  • [31]
    « Faire du chemin avec… » Œuvres complètes, p. 577-581.
  • [32]
    Cf. « Nous nous sentons complètement détachés d’Icare qui se voulut oiseau ». Bandeau de « Retour Amont », p. 656.
  • [33]
    Le 14 juin est la date de l’anniversaire de René Char.
  • [34]
    Cf. Laurent Greilsamer, L’éclair au front, p. 415 sq.
  • [35]
    Vadim Kozovoï publia des traductions de Rimbaud et de Lautréamont dans la revue géorgienne Géorgie littéraire, 1980, volume 8 : il s’agit de la première publication en russe des Chants de Maldoror et des Illuminations.
  • [36]
    Il s’agit du projet de Hors la colline qui ne sera publié qu’après l’arrivée de Vadim en France. Le recueil paraîtra d’abord en russe chez Syntaxis, en 1982, puis chez Hermann.
  • [37]
    Il s’agit d’Ania Chevalier qui fut longtemps responsable des droits chez Gallimard.
  • [38]
    Fenêtres dormantes et portes ouvertes sur le toit paraît chez Gallimard le 6 septembre 1979.
  • [39]
    Il s’agit du titre d’une anthologie de poèmes que René Char venait de rééditer chez Gallimard en août 1978.
  • [40]
    Vadim Kozovoï se rend à Tbilisi pour une conférence. Il y rencontre l’élite intellectuelle.
  • [41]
    Cf. correspondance avec Maurice Blanchot : Le 6 avril 1981 « Cher Vadim, Ressource incompréhensible (dépassant la simple compréhension) de la poésie, votre texte sur Pasternak me vient de lui-même en quelque sorte sous les yeux ; il était là, tout près, alors que je le cherchais au loin. J’y joins les fragments en russe qui l’accompagnaient. Il me revient en mémoire la réflexion provocatrice qu’on lui attribuait : « je n’aime pas la poésie en général » ou « je ne supporte pas les vers ». De même, Georges Bataille : Haine de la poésie. Mais c’est parce qu’elle est insupportable, parce que nous ne la supportons pas, hors de tout acquiescement et de toute facile admiration, qu’elle nous appelle jusque dans le silence qui lui appartient, qu’elle nous contraint à entendre l’inentendu auquel il faut répondre comme question toujours dérobée » Po&sie 112-113, p. 15.
  • [42]
    Vadim arrive à Paris le 17 février 1981.
  • [43]
    Cf. Correspondance avec Maurice Blanchot : « J’ajouterai que cette espérance est en vous, comme espérance poétique, elle ne vous laisse pas tranquille, elle est dans votre existence de Russe et dans ce séjour difficile dans un pays dont vous attendiez trop pour ne pas être déçu, légitimement déçu. Il n’y a pas de pays pour les poètes, il n’y a pas de temps non plus : « à quoi bon les poètes au temps de détresse » Po&sie 112-113, p. 29.
  • [44]
    Jean Hughes, éditeur.
  • [45]
    Vadim Kozovoï préface un catalogue de Sima, Présence de Sima, catalogue de l’exposition du Point Cardinal, Paris, 1981 : « Avec Sima ». Char aussi a consacré un texte à Sima : Se rencontrer, paysage avec Joseph Sima, avec une eau forte de Sima pour le tirage de tête, Jean Hugues, 1973.

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