Po&sie 2005/4 N° 114

Couverture de POESI_114

Article de revue

Poèmes

Pages 29 à 32

1Robert Bly, né en 1926 dans le Minnesota, a fait une entrée remarquée en poésie avec Silence in the Snowy Fields (1962) suivi par The Light Around the Body (1967, National Book Award). À cette époque, il dirigeait la revue The Sixties qui a été une tribune poétique et critique majeure des années soixante. Depuis, lors, il a publié de nombreux livres de poésie et de prose ainsi que des traductions (notamment Trakl, Rilke, Neruda, J.R. Jimenez, Tranströmer, Ekelöf). Comme Allen Ginsberg et Robert Duncan, mais suivant une tout autre esthétique, on l’a vu autrefois mener campagne contre la guerre au Vietnam et récemment protester contre la guerre en Irak. Les poèmes suivants sont extraits de My Sentence Was a Thousand Years of Joy (Harper-Collins, New York, 2005).

2

LES SOMBRES NUITS D’AUTOMNE
L’imagination est la porte de la maison du corbeau, alors
Nous sommes déjà bénis ! Le seul clou tombé du fer
A éclairé le chemin de Newton rentrant de la Foire.
La nuit passée j’ai entendu un millier de saintes femmes
Et un millier de saints hommes s’excuser à minuit
Parce qu’il y avait trop de triomphe dans leur voix.
Ceux qui étaient amour, maigres et mal vêtus, détestés
Par les parents faisaient la besogne ; ce sont eux
Qui tout le Moyen Âge ont gardé ouverte la porte des cieux.
En rentrant chez nous, nous sommes toujours troublés
Quand nous passons près des pommiers ; nous mangeons encore
Du fruit tombé à terre la nuit où Adam est né.
Saint Jean de la Croix a entendu un poème d’amour arabe
À travers les barreaux et commencé son poème. Au Nevada
C’était toujours le cheval tombé qui découvrait la mine.
Robert, tu sais parfaitement combien la substance peut être
Gaspillés par ceux qui aiment, mais je dis : Bénis soient
Ceux qui vont chez eux par les sombres nuits d’automne.

3

IL Y A TELLEMENT DE PLATON
La colombe de deuil qu’il n’y a qu’un matin.
Le clou reste fidèle à sa première planche.
La corneille éraillée craille à un millier de planètes.
Le soleil descend à travers des ghettos de nuages.
Il y a un Esprit de Feu et tellement de Platon.
L’Étoile du Matin se lève sur un battement d’ailes.
À ceux qui font de la musique, et écrivent des poèmes,
Je dis : Notre tâche consiste à devenir une langue humide
Par laquelle des idées subtiles se glisseront dans le monde.
Nous sommes nés sans doute trop près du bac aux patates.
Comme la pomme de terre nous avons trop d’yeux fermés.
Un frôlement de la cuisse déplace tous les cieux.
Il existe plus de planètes qu’on n’en a jamais trouvé.
Elles en lèvent et se recouchant. Il y a des gens
Qui disent qu’une peinture est un pichet plein d’invisible.
Robert, certaines images de ce poème sont justes.
C’est probablement le mieux que puisse faire quelqu’un
Qui vit encore dans la vieille auberge du désir.

4

VISITE AU MAÎTRE
Je suis le petit-fils de Norvégiens oublieux.
Je suis le neveu de ceux qui volaient les oignons.
Nous sommes tous invités au mariage du criminel.
Chaque fois qu’on ramasse un nid de roitelet tombé
On a un sentiment de désespoir, d’injustice mais on aime
Sentir le léger craquement des coquilles d’œufs abandonnées.
Boire une goutte d’eau augmente notre soif.
Les films en noir et blanc accroissent notre désir
Que vienne la nuit succédant simplement au jour.
L’antre sombre où nous vivons s’étend très loin
Dans le monde. Il y fait noir. Même Amundsen
Et tous ses chiens n’en trouveraient pas le bout.
Les étoiles se sont couchées si souvent sur les bois
Sans faire venir les Mages que le blaireau
Boit de la tristesse chaque fois que son nez touche l’eau.
Hier soir j’ai amené mon chagrin à mon maître.
Je lui ai demandé ce qu’il pouvait y faire. Il a dit :
Je croyais que tu venais parce que tu m’aimais bien.

5

TOBIT AVEUGLE
Pourquoi le prophète embarque-t-il toujours sur le même bateau ?
Pourquoi le dormeur visite-t-il d’autres continents la nuit ?
Le bateau se brise, et Kafka est perdu tant de fois.
L’ombre du professeur attend près du mur de pierres.
Pourquoi l’oreille se tend-elle toujours vers l’orage ?
Pharaon emprisonne et libère Joseph tant de fois.
Tobit ! Tobit ! Tes yeux sont blancs laiteux. Tout
Père est aveugle quand son fils frappa à la porte.
Tobit aveugle tâtonne à la porte tant de fois.
Pourquoi les morts près du mur de pierres à Gettysburg
Se jettent-ils sur les Allemands à Stalingrad ?
Le romancier écrit et réécrit son roman tant de fois.
Le général fait sans cesse la même guerre.
Le violoniste joue et rejoue la même toccata.
Le chef dirige la même morceau tant de fois.
Pourquoi certaines histoires d’amour sont-elles des coups de foudre ?
Es-tu surpris de voir Zoroastre si souvent renaître ?
La neige bloque si souvent les routes de campagne.

6

CONSEIL DONNÉ PAR LES OIES
Hâte-toi ! Le monde ne va pas s’améliorer ! Là, maintenant,
Fais ce que tu veux faire : la prologue est fini.
Bientôt les acteurs entreront en scène avec le cercueil.
Je ne veux pas t’effrayer mais on ne peut retirer un point
De ton couvre-pied, à moins d’étudier. Les oies te le diront –
On entend beaucoup crier avant que l’aube vienne.
As-tu un ami qui a étudié les prisons ?
Un ami dit-il : J’aime les douze maisons ?
À soi seul le mot maisons suggère la prison.
Il y a tant de souffrance parmi les prisonniers.
Tant de chagrin dans les cellules. Tant de foudre déchaînée
Se déverse de ce qui n’est pas né.
N’attend pas, je te prie, que le prochain Président
Soit meilleur que celui-ci. À quatre heures
Du matin il est l’heure de lire Basilide.
Chaque graine passe bien des nuits dans la terre.
Robert, tu as toujours été trop serein ; à toi non plus
Il ne sera pas pardonné si tu refuses d’étudier.


Date de mise en ligne : 01/10/2016

https://doi.org/10.3917/poesi.114.0029

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