Notes
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[1]
Philosophie des Formes symboliques, Paris, Minuit, 1972, p. 61.
-
[2]
« Je dois en outre remercier Ernst Hoffman d’avoir accepté de corriger avec moi, malgré un travail personnel accablant, les épreuves de ce premier volume. Certaines raisons techniques m’ont empêché au moment de l’impression de tenir pleinement compte des importantes remarques et indications qu’il m’avait alos adressées ; mais j’espère bien pouvoir les mettre à profit lors d’un retour ultérieur sur le présent sujet », ibidem, p. 11. Sur le concept de logos chez les penseurs grecs, cf. p. 63-72.
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[3]
Sur E. Hoffman, cf. P. Wilpert, « Ernst Hoffman » in Zeitschrift für philosophische Forschung, 1953, p. 265-275. une bibliographie complète des travaux d’E. Hoffman est disponible dans l’édition italienne de Platonismo e filosofia cristiana, Bologna, Il Mulino, 1967.
-
[4]
Methexis und Metaxu bei Platon, 1919 et Der historische Ursprung des Satzes von Widerspruch, 1923.
-
[5]
On pense aux travaux de Paul Natorp (Platos Ideenlehre. Eine Einführung in den Idealimus, Leipzig, 1903) et Hermann Cohen (“Die platonische Ideenlehre”, in Zeitschrift für Volkerpsychologie und Sprachwissenschaft, 1865, IV, p. 403-464).
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[6]
Cassirer remarquait : « Toutefois, à mesure que le concept d’“organisme” abandonne le domaine de l’étude spéculative du langage pour entrer dans celui de la recherche empirique, on se rend compte, encore une fois que, par son ampleur même, une certaine imprécision et une certaine ambiguïté lui sont inhérentes, qui risquent de le rendre inutilisable quand il s’agira de traiter des cas concrets et particuliers. Lorsque la spéculation philosophique avait vu dans ce concept essentiellement une médiation entre des extrêmes qui s’opposaient, il avait paru toutefois participer en quelque mesure de la nature de chacun de ses extrêmes. Mais un tel concept qui, pour ainsi dire, brille de toutes les couleurs, peut-il être utilisé lorsqu’il s’agit de fonder, non plus une métaphysique universelle du langage, mais sa méthodologie particulière ? » La philosophie des formes symboliques, 1, op. cit., p. 111.
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[7]
Cf. J. Deuschle, Die platonische Sprachphilosophie, Marburg, 1852.
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[8]
Cf. J. Stenzel, Zahl und Gestalt bei Platon und Aristoteles, Leipzig, 1924.
-
[9]
Les écoles présocratiques, Paris, Folio, 1988, édition établie par Jean-Paul Dumont, p. 65-66. Nous citons le texte allemand sur lequel s’appuie la démonstration d’Hoffman. « Für der Lehre Sinn aber, wie er hier vorliegt, gewinnen die Menschen nie ein Verständnis, weder ehe sie ihn vernommen noch sobald sie ihn vernommen. Denn geschieht auch alles nach diesem Sinn, so gleichen sie doch Unerprobten, so oft sie sich erproben an solchen Worten und Werken, wie ich sie erörtere, nach seiner Natur ein jegliches zerlegend und erklärend, wie es sich verhält. Den anderen Menschen aber bleibt wie sie das Bewusstsein verlieren für das, was sie im Schlafe tun ». Die Fragmente der Vorsokratiker, Diels, Kranz, I, Weidmannsche Verlagsbuchhandlung, Zürich, Berlin, 1963, p. 150.
-
[10]
Mais Reinhardt affirme dans Parménide, Bonn, 1916, p. 219 : « Si on conçoit le logos comme loi universelle, on tombe dans un raisonnement pratiquement incompréhensible, et surtout dans la seconde phrase ». Je retiens pour ma part que cette objection est rejetée si l’on accepte la distinction entre logos et epos.
-
[11]
Cf. à ce propos W. Gundel, Beiträge zur Entwicklungsgeschichte der Begriffe Ananke und Heimarmene, Habilitationsschrift, Giessen, 1914, p. 9 et sq.
-
[12]
D.K., 22 B, 30, 32, 33, 41, 94 et autres.
-
[13]
D.K., 22 B 32.
-
[14]
Je dis « ne peut que » (darf) et non pas « peut » (kann) parce que le concept de causalité de la philosophie archaïque prend pour modèle la sphère de la loi : nomos, diké, adikia, aitia, etc…
-
[15]
L’interprétation héraclitéenne des mots est par conséquent associée à la conception de l’action. Cf. 22 B 212 : « sagesse : dire la vérité (legein) et agir selon la nature (poiein) en le sachant » et 22 B 73 : « il ne faut pas agir (poiein) et parler (legein) comme des dormeurs. Car alors aussi nous croyons agir et parler » Les écoles présocratiques, p. 83. Chez Héraclite, le lien entre legein et poiein a exactement la même fonction caractéristique que le lien entre legein et noein chez Parménide. On trouve chez le premier une philosophie de la culture et chez le second une doctrine de la connaissance.
-
[16]
22 B 2, 10, 41, 50, 72.
-
[17]
22 B, 15, 62, 67.
-
[18]
22 B 48.
-
[19]
Quant à la controverse qui n’est toujours pas résolue, et qui ne risque pas de l’être vu l’état des documents qui nous ont été transmis par la tradition et qui consiste à savoir si le « quant à ce logos » (toude logou) du premier fragment était ou non précédé par une phrase complète, on renvoie à Capelle, in Hermes, n° 59, 1924, p. 190 et sq. Mais Capelle se trompe quand il considère qu’il faut choisir dans l’interprétation d’Héraclite entre une conception du logos comme loi universelle et une conception du logos comme contenu. Le contenu du discours d’Héraclite est lié à une « forme déterminée » qui ne coïncide pas avec celle du « mot ». Et c’est toute la difficulté.
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[20]
Mais personne ne prend en compte cette opposition à part Müller-Steinhart, (Platons Werke II, p. 535 et 657 note 3).
-
[21]
Par là, je ne veux certainement pas dire qu’Héraclite faisait la distinction grammaticale du sujet et du prédicat, mais seulement que la philosophie avait depuis longtemps conscience (et bien avant de se doter d’une grammaire au sens propre) du caractère synthétique qui servait de structure au sens de la proposition. « Si ma pensée est bien inspirée, son motif est : au principe était le sens ! »
-
[22]
Cf. Jonas Cohn, Theorie der Dialektik, 1923, p. 6
-
[23]
Il me semble que l’essai au demeurant instructif de H. Diels, Die Anfänge der Philologie, « N. Jahrb », I, 1910, p. 3, méconnaît ce fait.
-
[24]
Cf. Hegel, Werke, XIII, p. 328. Mais la distinction fondamentale qui sépare la dialectique de Hegel et celle d’Héraclite va bien au-delà de la portée de cet essai.
-
[25]
D.K. 22 B 67.
-
[26]
D.K., 22 B 88.
-
[27]
D.K., 22 B 8, 10, 51.
-
[28]
D.K. 22 B 51.
-
[29]
D.K. 22 B 19.
-
[30]
D.K. 22 B 29, 17.
-
[31]
D.K. 22 B 104.
-
[32]
DK 22 B 2, 69.
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[33]
D.K 22 B 46.
-
[34]
D.K. 22 B 72.
-
[35]
DK 22 B, 34, 72.
-
[36]
L’interprétation du logos ici proposée n’est pas sans analogie avec celle proposée par K. Joëls in Geschichte der antiken Philosophie, Tübingen, 1921, p. 315, p. 317 et sq.
-
[37]
D.K. 22 B 115.
-
[38]
Cf. à ce sujet le texte plus précis d’Erich Hoffman, Qua ratione epos, muthos, ainos, logos et vocabula ab eiudem stripibus derivata in antiquo Graecorum sermone adhibita sint, Dissertation, Göttingen, 1922, chapitre 1.
-
[39]
Cf. Erman, Die Literatur der Aegypter, Leipzig, 1923, p. 122 et sq
-
[40]
On trouvera d’autres preuves dans le Homer de Finsler, I, Leipzig, 1914, p. 149.
-
[41]
Illiade, XX, 74.
-
[42]
Héraclite a exprimé la mesure du logos jusque dans la construction de ses phrases. La phrase « quant au logos » 22 B 1 et la suivante « aussi il faut suivre ce qui est » (22 B 2) sont construites de manière exactement analogue et elles expriment à chaque fois l’opposition entre le logos qui est un et l’irrationalité du multiple à travers le même moyen syntaxique.
-
[43]
D.K. 22 B 93.
-
[44]
Cf. E. Cassirer in Lehrbuch der Philosophie, de M. Dessoir, Berlin, 1925, I, chapitre 2.
-
[45]
Crat. 6, édition Pasquali.
-
[46]
Parménide, B VIII 3, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352. Cf. aussi B VIII 28 et sq.
-
[47]
Monougenes doit se comprendre chez Parménide selon l’étymologie et non pas selon le sens qui pourrait conduire au fait contradictoire que « ce qui est » serait inné, c’est-à-dire, en quelque manière, né.
-
[48]
Le vers « et jamais il ne fut, et jamais ne sera, puisque au présent il est, tout entier, à la fois, un et continu » (Parménide, B VIII 3, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 351) articule le logos au nun : c’est pourquoi par la suite, dans la culture grecque, le présent ne cessera de se poser comme un problème philosophique. Tandis que le passé reste lié à la poésie et au mythe, et que le futur appartient aux prophéties, le présent, le nun de ce qui est saisi logiquement est hors du temps. Il reste, il perdure. D’un point de vue conceptuel, Héraclite veut pour finir les mêmes choses que Parménide : « ce monde-ci, le même pour tous, nul des dieux ni des hommes ne l’a fait. Mais il était toujours est et sera feu éternel s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure » (D.K. B XXXI, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 73). De cette manière, le terme arkhê, qui indiquait le début dans le temps, se met à signifier « principe ». On en trouve une confirmation chez Anaxagore : « mais aujourd’hui encore, toutes les choses sont ensemble comme elles étaient au commencement » (Anaxagore B VI, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 651). La doctrine platonicienne des idées se fonde aussi sur la pensée de la parousia et la métaphysique d’Aristote sur celle du to ti en einai. Chez l’un comme chez l’autre, le mot « être » indique un présent hors du temps. Aristote exprime le principe dans des termes qui l’arrachent au temps (Métaphysique, 1050 a 7). Mais chez Platon aussi l’arché et le télos sont privés de leur sens temporel.
-
[49]
Parménide, B VIII 37, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352.
-
[50]
Il n’est pas mauvais ici de citer la traduction allemande : « Damit beschließe ich für dich mein verlässliches Reden und Denken über die Wahrheit. Aber von hier ab lerne die menschlichen Schein-Meinungen kennen, indem du meiner Worte trügliche Ordnung hörst“. Diels Kranz, op. cit., p. 239. Dans les Écoles présocratiques, Dumont traduit ainsi ce passage : « Mais ici je mets fin au discours assuré ainsi qu’à la pensée visant la vérité. Désormais apprends donc l’opinion des mortels en ouvrant ton oreille à l’ordre harmonieux du discours composé pour ton enchantement » (op. cit., p. 353). Dans sa célèbre traduction du Poème, Jean Beaufret avait proposé : « Ici je mets fin à mon discours digne de foi et à ma considération qui cerne la vérité ; apprends donc, à partir d’ici, ce qu’ont en vue les mortels, en écoutant l’ordre trompeur de mes dires ». Le poème de Parménide, Paris, P.U.F., 1955, p. 87.
-
[51]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352. Beaufret : « en conséquent sera nom tout ce que les mortels ont bien pu assigner, persuadés que c’était la vérité ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 87.
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[52]
Parménide, B XIX, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 361. Beaufret : « à chacune [des choses] les hommes ont attribué un nom qui la signale en propre ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 93.
-
[53]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352. Beaufret : « en conséquent sera nom tout ce que les mortels ont bien pu assigner, persuadés que c’était la vérité ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 87.
-
[54]
B VIII 8, v. 34 et B V, v. 1.
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[55]
Cf. Diels, „Die ältesten Philosophenschulen“, in Philosophische Aufsätze Zeller gewidmet, p. 251, n° 1.
-
[56]
Parménide, B VI, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 351. Beaufret : « nécessaire est ceci : dire et penser de l’étant de l’être ; il est en effet être, le néant au contraire n’est pas ; voilà ce que je t’enjoins de considérer ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 81.
-
[57]
En grec on trouve oute… oude que Diels propose de traduire « ou » plutôt que « et ». Mais avec ce « ou » on viole déjà l’identité du dire et du pensé, du dit et du penser. Dumont traduit par « ou » pour, Beaufret voir note suivante.
-
[58]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 351. Beaufret : « je ne te permettrai ni de dire ni de penser que c’est à partir de ce qui n’est pas ; car il n’est pas possible de dire ni de penser une façon pour lui de n’être pas ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 83.
-
[59]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352. La traduction de Beaufret est plus conforme à la thèse défendue par Hoffman : « il est donc décidé de toute nécessité, qu’il faut abandonner la première voie, impossible à penser et à nommer – car elle n’est pas la route de la nécessité, c’est l’autre au contraire qui est présence et vérité ».
-
[60]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352. Beaufret : « ici je mets fin à mon discours digne de foi et à ma considération qui cerne la vérité ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 87.
-
[61]
Il est possible d’articuler ma position à celle proposée par Cassirer dans Grieschiche Philosophie von Thales bis Platon, (Natur und Geisteswelt, Bd. 749), p. 45. Il me semble que Cassirer, dans le Lehrbuch der Philosophie de Dessoir (I, p. 41), arrive à un résultat conforme au mien dans les grandes lignes tout en utilisant un parcours complètement différent.
-
[62]
Parménide a trouvé un disciple en Empédocle (D.K., XXXI B 8) et en Anaxagore (D.K. LIX B 17).
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[63]
Parménide, B VIII, v. 53 et sq.
-
[64]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 353. Beaufret : « voilà ce que je vais te révéler en entier, afin que le sens des mortels jamais ne te dépasse ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 89.
-
[65]
Hoswald n’est pas de cet avis, cf. « Hermes », 57 BD., p. 63 et sq. Il considère que l’eikôs logos de Platon est une stricte conséquence de sa terminologie. Mais les mots de Platon (cf. Timée 29 C) indiquent un rapport problématique avec les formulations de Parménide (28 B VIII, V. 61). Et même l’usage du terme muthos chez Parménide offre des affinités avec celui que proposera Platon. La déesse déclame à la fois le logos et les epea et sa déclamation est à la fois révélation et récit de connaissance, muthos (28 B IV, V. 1 et 28 B VIII, v. 1).
-
[66]
Dans les trois monographies à notre disposition sur la doctrine du logos dans la philosophie grecque, c’est-à-dire celle de Heinze (Lehre vom Logos, 1872), celle de Aall (Geschichte der Logosidee, 1896) et celle de Walton (Development of the Logos-doctrine in Greek end Hebrew Thought, Bristol, 1911) le « logos » parlé est presque totalement passé sous silence. Et Walton va jusqu’à dire : « dans la pensée grecque, le logos est la raison et non pas la parole prononcée ».
-
[67]
Cf. Héraclite, D.K., XXII B 34, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 74. L’axunetoi d’Héraclite (22 B XXXIV) révèle une assonance avec le xunon de 22 B 2, 22 B 113, 22 B 114. Cf. Parménide, 28 B III
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[68]
La masse est convaincue de pouvoir « faire des conversations avec les murs » Héraclite, 22 B V. Cf. Les écoles présocratiques, op. cit., p. 67.
-
[69]
Cf. Ernst Cassirer, Sprache und Muthos, Studien der Bibliothek Warburg, Leipzig, 1924, p. 38 sq.
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[70]
Cf. D.K., 82 A 3. Cf. Les écoles présocratiques, op. cit., p. 701. Sur la tendance générale de la parole de Gorgias, cf. W. Nestle, in « Hermes », 57, 1922, p. 551 et sq.
1« Le problème philosophique de l’origine du langage et de son essence est au fond aussi vieux que le problème de l’essence et de l’origine de l’être. Car ce qui caractérise la première réflexion consciente sur la totalité du monde, c’est que pour elle le langage et l’être, le mot et le sens ne sont pas encore séparés l’un de l’autre et qu’au contraire ils lui apparaissent comme une entité indissociable » : tels sont les mots par lesquels Ernst Cassirer introduisait l’étude du Problème du langage dans l’histoire de la philosophie, le premier chapitre de sa Philosophie des formes symboliques [1]. Or c’est à cette « unité indissociable » dans la « logique archaïque » qu’Ernst Hoffman « de Heidelberg », auquel vont les remerciements les plus chaleureux de Cassirer [2], a consacré l’ouvrage dont nous traduisons ici l’introduction et le premier chapitre.
2Le langage et la logique archaïque est l’œuvre la plus connue d’Ernst Hoffman. Ce texte qui fut d’emblée considéré comme un « classique » fut publié la première fois en 1925 dans les « Heidelberger Abhandlungen zur Philosophie und ihrer Geschichte » qu’Ernst Hoffman dirigeait avec Heinrich Rickert [3].
3Eminent spécialiste de la culture grecque, Hoffman n’était pourtant ni un linguiste, ni un logicien, ni même un philosophe du langage. Le langage et la logique archaïque achevait un ensemble commencé par une étude sur le concept de participation chez Platon et poursuivi par une monographie consacrée à l’origine du principe de contradiction [4]. C’est sans aucun doute au sein de cette dernière étude qu’a mûri l’idée qui anime l’examen de la logique archaïque. Car il s’agit pour Hoffman de comprendre le nœud de l’ontologie et de la logique à partir de l’étude du rapport entre les mots et les choses. Mais cette enquête nécessite l’examen préalable des termes utilisés par les philosophes pour indiquer les mots. Ici se situe l’invention principale de Hoffman : on n’entendra rien à l’opposition qui traverse la logique archaïque, à la différence ontologique donc, si l’on ne comprend pas l’opposition du logos et des epea : du discours et des mots car c’est « le monde des epea [qui]est le monde de la contradiction » et non celui du logos. Or quel que soit le sens qu’Héraclite et Parménide donnent à cette opposition, elle est active dans leur pensée avant d’être capitale pour les sophistes et pour leur principal opposant.
4L’hypothèse d’Hoffman s’inscrit certes dans une période de renouveau intense de la philosophie du langage et de son histoire. On sait le profit qu’en tira Heidegger. Il n’est pas inopportun peut-être de rappeler les trois sources qui alimentaient ce renouveau : d’une part, les recherches d’une « sémantique descriptive » d’orientation phénoménologique à partir des travaux de Husserl et de Marty, d’autre part les travaux de l’école néokantienne en faveur d’une redécouverte de la logique antique [5], enfin les efforts de l’historiographie inspirés de Rickert pour penser ensemble « valeur » et « validité logique ».
5Il faut pourtant souligner la nouveauté de la perspective de Hoffman. À la différence des approches historiques mais aussi des approches phénoménologiques, il s’agit ici de penser le lien intrinsèque qui unit la philosophie et la science du langage. À cet égard, la dette envers Humboldt est grande. On la mesurera à l’opposition entre l’hypothèse du langage comme agrégat de mots et celle qui fait du discours un « tout » organisé, mais aussi à la conception du langage comme énergie, activité.
6Prolonger Humboldt, ce sera aussi l’infléchir vers une histoire des ruptures et des discontinuités plus attentive à la singularité des langues (factum linguarum) qu’à la définition spéculative du langage comme organisme (factum linguae) [6]. C’est bien en ce sens que Hoffman étudiera les différentes positions du problème du logos d’Héraclite à Platon.
7Assigner à la logique archaïque la distinction du mot et du discours, relever la pertinence de cette opposition dans le formidable essor de l’ontologique grecque, en parcourir les étapes chez Héraclite et chez Parménide d’abord avant de la retrouver chez Démocrite et les sophistes puis chez Platon et Aristote, tel est l’objet déclaré de ce livre.
8Il nous a semblé qu’il n’était pas étranger aux préoccupations des lecteurs de Po&sie.
9Selon Melandri commentant Hoffman dans sa préface, il conviendrait de parler de linguistique des structures profondes plutôt que de logique puisque la logique archaïque renvoie à cette régularité, à cet ordre, à cette structure qui se trouvent, de manière immanente, dans la langue elle-même. Cette logique ne fait pas encore l’objet d’une théorie qui lui permettrait de se penser à l’extérieur de la langue. Au sein de la langue, donc, on peut opposer epos à logos ; une sémantique nominale à une sémantique propositionnelle. D’une part, le nom renvoie à la chose à laquelle il est censé correspondre ; d’autre part, la proposition renvoie au fait, plutôt qu’à la chose. Elle est le siège de la vérité. Tandis que Hegel, dans des pages bien connues, avait opposé Parménide et Héraclite en raison d’un différend portant sur l’ontologie, Hoffman reconduit cette opposition à une distinction dans leur conception de la sémantique : Héraclite représente le parti de la sémantique nominale, Parménide fonde sa philosophie sur l’identité du logos et de la pensée, c’est-à-dire sur l’identité de l’être et de la pensée : c’est une même chose….
10Remarque : Faute de mettre la main sur le texte allemand, nous avons traduit la version italienne publiée sous les auspices d’E. Melandri, l’auteur de la formidable La linea e il circolo (Il Mulino,1968, Quodlibet, 2005) : Il linguaggio e la logica arcaica, traduit et introduit par Luca Guidetti, Spazio libri, Firenze, 1981. Quant Hoffman commente les traductions des présocratiques par Diels et Kranz, nous citons dans les notes le texte allemand.
Avertissement
11L’ancienne conception selon laquelle le système de la philosophie pourrait être divisé en trois parties : la physique, l’éthique et la logique se reflète aussi dans la vision historique que l’antiquité tardive a proposée de l’évolution de la philosophie grecque : selon elle, toute la spéculation présocratique a une matrice naturaliste ; Socrate est le fondateur de l’éthique ; la logique trouve son origine chez Platon et Aristote.
12Qu’il soit licite de ramener l’éthique philosophique à l’activité du seul Socrate et par là-même, à une signification sans pareille, n’a cessé de constituer jusqu’à nos jours un point fixe. Socrate a fait du concept de loi répudié par les sophistes un élément fondamental, le pilier de sa philosophie, et, grâce à cette décision, il a posé pour la première fois les conditions de possibilité d’une éthique. S’il n’existe aucune loi « morale », mais seulement des règles qui tirent leur origine de l’habitude et de l’expérience, alors, l’obligation de les respecter ne constitue pas encore un devoir. La loi seule assume le caractère de devoir moral et peut devenir l’objet d’un savoir éthique. Tous les préceptes et toutes les maximes morales, tous les conseils et toutes les règles de vie de la période présocratique peuvent bien porter témoignage d’une moralité (Sittlichkeit) des plus élevées, et être l’expression d’une conscience morale (Moralität) digne de tout respect, comme nous pouvons l’admirer dans le jurement corporatiste d’Hippocrate, ou dans la conscience élitaire de Pindare : rien de tout cela ne permet d’en faire les principes d’une éthique. Une éthique n’est possible conceptuellement qu’à partir du moment où l’on peut reconnaître la forme dans laquelle il est possible de penser scientifiquement les questions de la moralité.
13De la même manière, il est correct de dire que les conditions pour la véritable origine de la logique ne furent posées que par le platonisme et que les conditions de son élaboration formelle furent offertes pour la première fois par la systématique aristotélicienne. Certes, le terrain de la logique fut très bien défriché par les présocratiques. Il suffit de rappeler la formulation par les éléates du principe de non-contradiction. Et pourtant, il ne s’agissait pas encore de « logique », mais de phases préparatoires de la logique car si des concepts comme être et devenir, mouvement et unité étaient sans aucun doute soumis à la plus précise dialectique, le concept de concept restait quant à lui soustrait à la problématique. Et si les études platoniciennes du siècle dernier sont parvenues à une conclusion certaine c’est à la thèse selon laquelle la loi individuelle, celle qui doit précisément rester au fondement de la chronologie relative (maintenant bien établie dans l’ensemble), des derniers dialogues platoniciens, constitue dans le même temps le principe selon lequel la logique explicite a commencé à se développer régulièrement à partir des thèmes du platonisme. Ce qui unit Platon et Aristote, et en même temps, ce qui les divise, est qu’ils furent chacun les premiers architectes du grand édifice de la logique, tout en l’ayant construite suivant des styles tout à fait différents.
14Et pourtant, il serait complètement erroné de penser que les présocratiques n’ont qu’une philosophie de la nature à nous offrir. À partir de l’époque de Pythagore et d’Héraclite on n’a pas cessé d’associer la spéculation sur la physis et le kosmos à une philosophie de la culture, qu’il se soit agi de la tourner directement, comme ce fut le cas chez ces deux penseurs, vers la transformation pratique de la réalité sociologique, ou de vouloir la poser comme une philosophie de l’origine de la culture dans le passé, comme il advint avec Protagoras et Démocrite. Et si, jusqu’à peu, nous avons considéré que cet aspect de la philosophie présocratique était trop limité, au point de l’ignorer parfois, c’est que nous étions toujours sous l’effet d’Aristote et de Théophraste. Comment la tradition n’aurait-elle pas été influencée par le fait qu’Aristote avait posé le tableau à de son histoire de sa philosophie précisément à l’intérieur du cadre de sa Métaphysique ? Comment ne l’aurait-elle pas été par Théophraste qui avait justement conçu sa doxographie comme une histoire des opinions doctrinales des « physiciens » ? Bref, une philosophie de la culture existait chez les présocratiques. On pouvait la reconnaître et elle n’était pas toujours contenue dans la philosophie de la nature (comme c’est le cas pour l’auteur du De prisca medicina) : elle constituait un corps autonome, près de cette dernière, ou dans une relation de réciprocité avec elle. C’est même en elle, et de manière bien plus importante par exemple que dans les maximes morales des Sept Sages, que résidaient les noyaux d’où allait germer par la suite l’éthique classique des Grecs.
15Mais à côté de la philosophie de la nature et de la philosophie de la culture se trouve, en troisième lieu, la philosophie du langage. Pour autant que nous soyons capables de regarder en arrière vers ces problèmes, c’est-à-dire, de commencer à nouveau avec Pythagore et Héraclite, l’objet de la philosophie grecque ne fut pas simplement le « monde » mais aussi le « discours » sur le monde. Ce qui est en jeu c’est bien la nature du cosmos. Or il faut l’exprimer. Soit, mais est-elle susceptible de l’être ? Le discours humain peut-il être le réceptacle (Gefäß) de la vérité ? Ce problème ne gisait pas lui non plus de manière purement latente au sein de la spéculation philosophique-naturaliste : il s’affirmait et se développait avec une telle indépendance et une telle obstination que nous devons ouvertement considérer la philosophie présocratique du langage comme la forme archaïque à l’intérieur de laquelle la logique s’est préparée avant de voir le jour dans le platonisme.
16C’est ce à quoi sont consacrées les exposés qui suivent. Mises à part les révisions formelles du texte, il s’agit de quelques discours tenus à l’université de Heidelberg pendant l’automne 1923 comme une « introduction historique à la philosophie du langage ». Pour autant que je puisse en juger, depuis l’excellente dissertation de Deuschle, Sur la philosophie du langage platonicien (Marbourg, 1852) [7], texte que l’on ne peut plus accepter sur aucun point décisif, on n’a plus travaillé sur ces problèmes particuliers avec des résultats dignes d’être mentionnés. Une nouvelle tentative m’apparaissait d’autant plus intéressante que les problématiques fondamentales de la logique archaïque se trouvent articulées de manière très étroites avec les propositions de cette nouvelle philosophie du langage qui commence à peine à se développer : j’entends par là les recherches d’avant-garde de Cassirer sur la dimension « symbolique » de la forme linguistique. Or ces recherches, si l’on considère leurs fondements méthodiques sont enracinées dans le logos grec de manière bien plus profonde encore que ne l’était même la philosophie du langage de Humboldt.
17Pour ce qui concerne le titre que j’ai donné à ces pages, le terme « archaïque » doit signifier en philosophie, quelque chose de proche de ce qu’on entend par archaïque quand on évoque l’art figuratif. Nous appelons « archaïque » cet art dans lequel les statues ont des parties mais pas encore de membres : la forme esthétique traverse le matériel morceau après morceau, tandis que la forme dans son ensemble n’apparaît pas s’être encore affranchie de la matière mais y reste attachée. De la même manière, la « logique archaïque » est encore liée au matériel à travers lequel l’eidos philosophique doit s’exprimer : c’est-à-dire la langue. Stenzel lui-même dans son livre instructif sur « nombre » et « idée » chez Platon et Aristote utilise la désignation « logique archaïque » et précisément, me semble-t-il, dans un sens très proche du sens que nous lui donnons [8]. Si Stenzel entend par là le lien qui subsiste pour la pensée archaïque entre la logique et le nombre, j’y vois pour ma part ce qui continue à la lier au mot. Pour cette raison, il est possible que nos travaux soient complémentaires, puisque, avec le nombre et avec le mot il me semble que nous mettons en évidence les deux aspects fondamentaux articulés dans cette première phase extraordinaire de la pensée scientifique.
18La pensée archaïque se caractérise par la lutte où elle tente de se libérer de ce lien qui reste, pour la pensée primitive quelque chose de définitif, tandis que pour la pensée « classique » ce lien sera une chose du passé. Les formes de la pensée primitive, comme le montrent la mythique, la mantique et la magie, ne portent pas encore en elles-mêmes, la possibilité de leur émancipation ; la pensée classique et rationnelle de la philosophie attique considère, de manière complètement fausse, qu’elle est désormais si bien immunisée contre ces formes primitives précédemment éliminées qu’elle peut s’en servir comme des fonctions qui ne la concernent plus. Et pourtant, les archaioi (tout à la fois « dépassés » et « vénérables » pour Platon) sont aussi ceux qui mènent la bataille pour l’émancipation.
1 – § Héraclite
19« Au principe il y avait le logos » : cette formule vaut à la lettre pour l’histoire de la philosophie occidentale.
20Dans la teneur de ces mots, en effet, aucune phrase philosophique ne nous est donnée qui soit plus ancienne que celle par laquelle commençait l’écrit d’Héraclite. Diels le traduit ainsi :
« Le Logos, ce qui est toujours, les hommes sont incapables de le comprendre, aussi bien avant de l’entendre qu’après l’avoir entendu pour la première fois. Car bien que toutes choses naissent et meurent selon ce Logos-ci, les hommes sont inexpérimentés quand ils s’essaient à des paroles ou à des actes, tels que moi je [les] explique. Selon sa nature séparant chacun et exposant comment il est ; alors que les autres hommes oublient tout ce qu’ils font à l’état de veille comme ils oublient, en dormant, tout ce qu’ils [voient] » [9].
22Dans cette traduction, on trouve trois fois le terme « mot ». De ce « mot », les hommes n’ont aucune compréhension ; tout arrive selon ce « mot » ; ils se comportent comme des personnes privées d’expérience dès qu’ils s’essaient avec de « tels mots ». Pourtant, avec cette traduction l’enjeu décisif de toute cette phrase apparaît entièrement obscurci ; dans le texte grec, il est dit en effet que les hommes n’ont aucune compréhension du logos ; que tout arrive selon ce logos, mais que les hommes se comportent comme des personnes inexpérimentées à peine ils s’exercent avec de telles epea. Le sens de la phrase d’Héraclite nécessite donc que l’on fasse une distinction entre logos et epos, et c’est sur cette distinction que se fonde en dernière instance ce que les Grecs ont légué à la philosophie du langage. Soit. En quoi consiste cette différence ?
23Que logos signifie « loi universelle » est hors de doute [10], mais Héraclite désigne aussi cette dernière en utilisant d’autres mots comme dikè, nomos, sagesse, raison, nécessité [11], fatum, ce qui est un, ce qui est commun ; ce dernier est aussi identique au feu, au cosmos lui-même, et par ailleurs à Zeus [12]. Chacun de ces termes est approprié et aucun ne l’est vraiment ; et, en attendant « L’Un, le seul Sage, ne veut être appelé et veut le nom de Zeus » [13]. Il doit donc appartenir à l’essence du logos (et donc du « discours ») que son contenu ne puisse être épuisé à travers un simple epos (c’est-à-dire un « vocable »), ni même à travers une série de plusieurs vocables.
24Que logos et epos soient opposés c’est pour le moins évident. Pourtant, leur opposition ne saurait se ramener à ce que les epea devraient être éliminés et tout bonnement sacrifiés, puisque le logos est « discours » et que tout discours a besoin de « mots » ; l’opposition doit donc être telle qu’on puisse la dépasser dans l’hypothèse d’une interprétation adéquate des epea en fonction de leur phusis ainsi que d’une compréhension correcte du logos. Or c’est bien cela qu’Héraclite revendique : les epea doivent être « distingués et expliqués selon leur nature » de manière à ce que le logos devienne compréhensible comme ce selon quoi tout arrive. La question devient : comment penser le nœud qui unit le contenu de logos et l’interprétation héraclitéenne des epea ?
25Le logos « affirme » que dans les oppositions du devenir, dans la veille et dans le sommeil, dans la mort et dans la vie, dans la victoire et dans la défaite, dans chaque descente et dans chaque montée règne une mesure, un rythme, un ordre polémique tel que les opposés s’équilibrent. Le pendule ne peut osciller dans un sens que jusqu’à un certain point à partir duquel il ne peut que repartir nécessairement dans l’autre sens [14]. Connaître cette mesure rythmique comme la loi qui domine l’ensemble du devenir qui s’écoule apparemment, voilà ce que signifie connaître le logos. Et connaître le logos signifie vivre en accord et en conformité avec lui [15]. Le logos est quelque chose d’universel qui domine le tout et se trouve au-delà des oppositions [16].
26Mais comment Héraclite distingue-t-il « chaque epos selon sa nature » ? Il montre combien l’epos pris tout seul, le mot isolé, présente, dans sa séparation, quelque chose d’absurde. Le logos était, en fonction de son essence, quelque chose d’universel ; l’epos, lui, en fonction de son essence, est quelque chose de particulier, et, en tant que tel, de contradictoire par rapport à lui-même. Le mot « mortel », par exemple, est utilisé par la plupart des hommes comme s’il pouvait caractériser un homme et énoncer à son propos quelque chose d’approprié ; et pourtant, c’est toujours ce même homme que nous appelons mortel que nous pouvons appeler « immortel » sous un autre aspect. On définit une certaine situation comme situation de « guerre » et pourtant la guerre renferme en elle son contraire, c’est-à-dire la conclusion de la paix. Et de la même manière, il est possible d’appeler l’hiver été, ce qui est mort vivant, Hadès Dionysos [17]. La phusis de chaque vocable est donc son caractère incommensurable par rapport à tout ce qu’il permet d’entendre, autrement dit, par rapport à cette tâche que la plupart lui attribuent (mais cette prétention n’est pas correcte selon Héraclite) et qui consiste à offrir une dénomination exhaustive et une désignation qui permette de fixer de manière univoque un objet. Cette nature, selon Héraclite, se reflète de manière visible dans l’ambiguïté de bien des mots. Ainsi, bios, accentué sur la première syllabe, signifie « vie », mais accentué sur la seconde, indique « l’arc qui porte la mort » [18]. Ainsi, la possibilité de l’ambiguïté démontre l’impuissance du mot pris isolément. Le monde des epea est le monde de la contradiction.
27Tandis que le logos, la loi universelle, est l’expression d’une validité et d’une légalité étendue, la parole seule est l’expression d’un démembrement qui, parce qu’il s’adresse toujours à une seule oscillation du pendule, est en lui-même contradictoire. Et pourtant, il est possible d’exprimer et de faire connaître la loi universelle sous la forme du « discours » ; la loi du monde signifie simplement discours, logos [19]. Le discours est alors quelque chose de fondamentalement différent des mots [20]. En quoi consiste-t-il ?
28Le discours ne veut rien dénommer, il n’entend fixer aucune chose particulière ; dans le cas contraire, il ne serait qu’un amas d’epea. Le véritable discours entend bien embrasser la vie en avant et en arrière, la voie en montée et en même temps la même voie en descente. Il n’a aucun mal à le faire et s’il est capable de le faire c’est parce qu’il n’est pas un mot mais une phrase qui, grâce à sa nature synthétique, peut accueillir la synthèse des opposés [21]. Et c’est parce qu’il est capable de faire cela, que le logos, le discours, peut s’élever au-dessus de chaque terme isolé (epea), c’est-à-dire au-dessus de ce qui est sporadique, et, en soi-même privé de substance et vain, et utiliser de surcroît le caractère contradictoire du mot isolé pour mettre face à lui son opposé [22] (par exemple, opposer « vie » et « mort »), et déduire de cette opposition l’unité et l’identité du sens (« la même chose le vivant et le mort »). C’est pour cette raison que le « discours » et « la loi universelle » peuvent porter le même nom de logos [23]. Ce que Hegel appelait la « dialectique » d’Héraclite se fonde ouvertement sur la phusis de la parole [24]. C’est seulement parce que nous pouvons aussi dire mort pour vie, pénurie pour abondance, et mettre ensemble ces opposés en un seul logos (onomazein [25]) que la possibilité d’un renversement des concepts nous est donnée (metapiptein) [26]. Le « discours », le logos est tout un. Il est un tout. En fait, tout ce qui est un au sens plein du terme se sépare (diaipheresthai, ex henos panta : le tout devient ce qui n’est pas tout, des parties (>hola kai oukh hola) ; de même le discours se décompose en mots, mais « ce qui tend à se séparer se réunit » et « au sein de la discorde a lieu la plus belle harmonie ». Les mots isolés, qui, pris un à un forment des entités contradictoires, s’articulent pour former une « homologie » [27]. Cet acte qui consiste à se séparer et à se réunir constitue le véritable devenir, la véritable activité qui nous est offerte de manière emblématique dans le « discours ».
29Ainsi, ce n’est qu’après avoir reconnu que le discours des hommes (pour peu que l’on ait bien compris son essence), peut contenir et exprimer le sens du gouvernement du monde et qu’il peut, grâce à la forme synthétique du logos, faire connaître, à travers le cours inconstant des epea, le mouvement conforme à la loi du rythme universel, que l’on peut révéler ce avec quoi l’aveuglement de la masse se trouve pris dans le rapport le plus étroit, mais aussi ce en quoi, en un certain sens, cet aveuglement trouve son origine. La masse ne comprend pas la palintropos harmonia du logos [28] ; elle est victime de l’illusion qui consiste à croire aux mots isolés, à leur sens apparent, et elle ne comprend absolument pas ce que signifie écouter ou parler [29]. Les hommes enivrés, ne pensent qu’à se rassasier comme des bêtes [30] ; et l’on pourrait aussi dire qu’ils se rassasient de mots simples et qu’ils font trop confiance aux aèdes qui s’en tiennent au monde de l’epos, au lieu d’écouter les philosophes qui leur annoncent le logos [31]. C’est pourquoi la masse se prend au destin des mots mal compris auxquels elle adhère : le destin de l’imagination peut faire de chacun un idion, une singularité substantielle, alors que c’est seulement dans le koinon que l’être tout entier se trouve réuni.
30De même que les mots laissent entendre qu’ils signifient quelque chose de précis, de singulier et de propre, et que c’est cela qui les rend absurdes dans leur prétention à se soustraire à la connexion générale du logos, de même les hommes sont convaincus de posséder une « sagesse particulière » [32] grâce à laquelle ils pourraient dominer le cours des choses. Mais une telle présomption est une sorte de myopie [33]. Avec le don du logos les hommes reçoivent l’instrument qui leur permet de saisir l’universel, mais la plupart d’entre eux ne sont pas capables de l’utiliser : « quelle que soit l’assiduité avec laquelle ils fréquentent le logos (qui gouverne toutes choses), ils se séparent de lui » [34] ; « présents, ils sont absents » [35]. Tout comme manque à leur nature la volonté de tendre vers le tout, vers la loi, vers le lien dans « ce qui est commun », il leur manque cette intuition que le monde des choses n’est qu’un « amas d’ordures » tant qu’ils croient pouvoir le nommer avec des « mots » et qu’ils ne comprennent pas qu’il ne pourra être un « cosmos » que pour celui qui s’élèvera des significations des mots qui donnent toujours l’illusion trompeuse de leur isolement vers la signification du tout : ce qui signifie, pour Héraclite, vers la synthèse des opposés par la puissance du logos [36].
31Mieux : c’est là et là seulement qu’il y a progression ; seul le logos est mouvement et devenir. Parce qu’elle exprime la loi, la phrase « vie et mort sont une seule et même chose » est à la fois devenir et mouvement. Pour Héraclite, le devenir authentique n’appartient pas à la mutabilité et à l’instabilité des epea, qui, pris en eux-mêmes, ne cessent de nous induire en erreur, mais au logos lui-même qui saisit le mouvement dans sa légalité. Il va d’une oscillation à l’autre du pendule et, en pensant ce mouvement comme rythme éternel, il progresse lui aussi de manière éternelle en parcourant (loin de la simple inquiétude, de la simple instabilité et de l’inconstance des variations) un authentique pro-cessus, qui ne connaît ni limite ni conclusion, mais croît éternellement. Le logos de l’âme ne cesse de s’accroître de lui-même [37].
32Le « discours » d’une part, qui est l’organe qui permet d’accueillir et d’embrasser le tout (logos vient de legô, réunir, mettre ensemble) et la simple parole d’autre part (d’epos qui renvoie au son [38]), qui, parce qu’elle est séparée dans son emploi habituel de la connexion du logos, est détachée et fugace comme l’objet qu’elle est sensée déterminée : tous deux ne correspondent pas chez Héraclite à une opposition semblable à celle qui oppose la somme et ses composants élémentaires, mais bien plutôt à cette opposition sur laquelle se fonde toute sa philosophie : c’est-à-dire celle de la synthèse et de ses parties.
33Dans les mots de Schiller, « Pourquoi l’esprit vivant ne peut-il pas apparaître à l’esprit ? C’est l’âme qui parle, elle parle ainsi, l’âme. Ah ! l’âme seule, et rien de plus » : selon Héraclite, avec de tels mots, la nature du logos resterait totalement inconnue. L’esprit vivant, la loi cosmique appartient en réalité uniquement à l’âme précisément parce que cette dernière possède le logos ; mais logos signifie discours et la définition archaïque de l’âme l’indique de la manière la plus directe comme l’organe du discours. À l’époque du moyen empire égyptien déjà, dans le dialogue entre l’homme fatigué de la vie et son âme, « l’âme ouvre la bouche » [39], et chez Homère aussi, tout acte de réflexion est un colloque de l’âme avec son thymos [40]. « Espère ne pas connaître tous mes mots (muthous) » dit Zeus à Héra et il ne dit pas : « mes pensées ». De manière similaire, la parole est pour Héraclite aussi la fonction première de l’âme. La loi universelle, c’est-à-dire la divinité, se propage par le discours. Chez Homère, les dieux parlent une langue différente de celle des hommes (par exemple ils disent Xanthos au lieu de Scamandre) [41]. Pour Homère, le langage consiste encore en vocables isolés et si imparfaits que les mots des hommes ne peuvent convenir à la parole des dieux. Mais pour Héraclite, le discours s’est transformé en quelque chose qui diffère de ce que sont les mots et de ce qu’ils peuvent être : le discours devient une chose divine qui « dévoile » le secret du monde. « Dieu est sans nom » dirait Héraclite en accord avec toute sa mystique, mais il dirait aussi, en opposition à toute mystique cohérente : « Dieu est discours ».
34Que le discours soit ce grâce à quoi l’âme peut saisir la loi universelle et l’exprimer ne représente certes pas seulement une vertu, mais bien un besoin de la doctrine d’Héraclite. La loi universelle, la mesure rythmique de la décomposition et de la recomposition des opposés peut sans aucun doute être représenté à travers la synthèse propositionnelle, mais jamais autrement qu’à travers des symboles et des métaphores, comme le fleuve et la guerre, la lyre et la flamme. À la manière de la Sibylle, Héraclite [42] ne peut s’exprimer que par « allusions » (sêmainein) [43]. Pour Héraclite il doit être impossible de séparer de ces symboles le contenu de vérité du concept de loi universelle pour le revêtir d’une formulation cosmique abstraite. Parce que la « mesure » ne peut être exposée qu’à travers le « discours », alors le « discours » doit être achevé quant à son contenu ; et par ailleurs, la mesure ne s’exprime ni plus ni moins à travers les phrases qui concernent l’été et l’hiver qu’à travers celles qui s’adressent à Hadès ou à Dionysos. Que par la suite cette « mesure » puisse aussi être saisie par la pensée à travers d’autres logoi, qui ne seront plus des logoi parlants, mais à travers des arithmêtikoi kai harmonikoi logoi, c’est-à-dire les purs concepts de nombre et de rapport, cette possibilité n’appartient pas au modèle de la sagesse d’Héraclite, mais à celui de Pythagore [44]. Proclus raconte que Pythagore avait attribué au créateur des mots la deuxième place selon l’ordre de la sagesse : le nombre est ce qui est le plus savant [45] ! Il appartient à la dimension archaïque de la logique d’Héraclite qu’aucune voie ne puisse mener chez lui du « discours » au « nombre ». On ne saurait aller de la qualité à la quantité. Ni de la vie dans sa plénitude à l’être pur.
2 – § Parménide
35La dualité entre l’un, l’entier, le divin, et le multiple, le fragmentaire, ce qui est fugace et caduc, reçut sa formulation la plus nette lorsque Parménide s’efforça d’établir le premier ensemble comme le monde de l’être et de la véritable connaissance intellectuelle, et le second comme le monde du devenir et de l’expérience sensible trompeuse. Il est bien connu d’ailleurs que conformément à ces deux mondes, les deux parties du poème de Parménide, fondamentalement didactique, sont construites sur une très forte coupure. La première partie annonce l’être éternel et immuable comme il est conçu par la pure pensée, tandis que la seconde partie prend position par rapport aux opinions trompeuses que les mortels expriment à propos du monde du devenir.
36La première partie du poème se fonde sur la présupposition fondamentale qu’être et pensée entretiennent un tel rapport de réciprocité qu’ils sont inséparables. Penser ne signifie rien d’autre que penser ce qui est. La simple copule montre déjà le chemin qu’il faut parcourir pour parvenir à une bonne compréhension du concept de l’être. Toute pensée, tout jugement trouve son aboutissement dans la forme A « est » B. Cependant selon la conception des Eléates, ce « est » a le sens de la durée, de la persistance, de l’être qui est comme il « est » et exclut par conséquent tout être autre, tout non-être et tout devenir. C’est pourquoi l’unique forme légitime de jugement qui nous soit donnée pour penser est absolument incompatible avec ce monde des sens dans lequel le devenir se manifeste. Si nous n’avons cependant que la capacité de penser l’être, cela signifie que nous sommes capables seulement de penser ce qui est « un », puisque l’être reste identique à soi. La multiplicité se trouve par là exclue de la sphère de ce qui est pensable : elle habite seulement le monde sensible du devenir. Il devient facile par conséquent de décider quels sont les jugements que nous devons éliminer parce qu’on ne saurait les soutenir logiquement. Il s’agit en effet de tous les jugements qui concernent les choses sensibles. Dans ces jugements, la pensée se trouve prise dans le devenir et la multiplicité. Elle court alors le risque irrémédiable d’attribuer l’être à ce qui est privé de l’être véritable.
37Mais quels sont alors les jugements et les connaissances valides ? Ceux par lesquels nous nous autorisons à unir un sujet et un prédicat par le truchement de l’être identifiant de la copule ? Ceux où nous retrouvons l’être à proprement parler que notre organe intellectuel est autorisé à penser ? La solution de Parménide est la suivante : le véritable être ne se trouve rassemblé que dans la totalité indivise de l’oulon. Si je pense à ce qui est comme à ce « tout » à côté duquel et au-delà duquel il n’y a pas et il ne saurait y avoir rien d’autre ; si je pense à ce qui est comme à la totalité de tout ce qui comprend l’ensemble des existants dans l’espace et dans le temps, alors, à ce moment précis j’ai identifié l’objet par rapport auquel je puis formuler des connaissances certaines auxquelles on ne saurait rien opposer. Et de fait, à partir de là, l’être autre et le non-être sont exclus. « Car la génération comme la destruction ont été écartées loin de lui, et la foi véridique les a, elle aussi, rejetées. Identique à lui-même en lui-même il repose. Il est là en lui-même immobile en son lieu » [46]. Or seuls les jugements vrais par excellence sont possibles comme : l’un n’est pas engendré, il est immobile ne connaît pas la modification, il est sans fin, unique [47], il est maintenant [48], tout d’une pièce, un, continu, et ainsi de suite. Dans ces jugements, le sujet et le prédicat font voir l’identité réclamée par Parménide.
38Mais si maintenant, partant de l’un et du tout, je me tourne vers la multiplicité et vers ce qui est fractionné par le monde sensible, alors ma pensée vise quelque chose de proprement impensable. Dans le monde du devenir, unité et être, vérité et identité ne sont pas de mise ; le devenir ne peut être pensé. Mais si d’aventure nous voulions le penser, il s’offrirait à nous comme le passage du non être à l’être, si ce n’est que le non être n’est pas et qu’il est par conséquent impensable tout comme on ne saurait penser un passage depuis ce qui n’est pas. Aucun vrai jugement isolé ne saurait se référer au monde instable de la multiplicité. Et si la pensée vise l’être c’est en vertu « du décret dicté par le Destin de toujours demeurer Immobile en son tout » [49]. Pourtant cela n’empêche certes pas Parménide, dans la deuxième partie de son poème, d’offrir une image du monde de la multiplicité. Mais comment cela est-il possible si le monde de la multiplicité est impensable ? De nouveau, dans le cas de Parménide comme dans celui d’Héraclite, les traductions allemandes ont une tendance à dissimuler légèrement les faits. Diels rend de la manière suivante le passage de la première à la deuxième partie du poème : « Avec cela j’interromps mon discours digne de foi et mes pensées sur la vérité ; désormais, en écoutant le cours trompeur de mes vers, apprends quelles sont les opinions des mortels » [50]. En réalité, on trouve dans le texte grec la version suivante : « Avec cela je mets fin à mon logos digne de foi et à mes pensées sur la vérité ; désormais, en écoutant le cours trompeur de mes epea apprends quelles sont les opinions des mortels ». Les epea s’opposent de manière évidente au logos : tandis que les premiers sont trompeurs, ce dernier est digne de foi ; tandis que les epea sont tournés in pluralis vers le monde de la multiplicité, le logos renvoie in singularis à l’un ; tandis qu’ils se rapportent à tout ce que l’on accepte par ouï dire (doxa de dekhomai), il est lié strictement à la fonction intellectuelle (noêma). L’opposition entre logos et epos est la même que celle qui existe entre « l’habitude d’user sa langue » (glôssa) et « juger avec raisonnement ». C’est pourquoi la traduction du terme epos par « vers » me semble aussi nous induire en erreur. Car la première partie du poème est elle aussi composée en vers, et elle est pourtant « digne de foi ». De nouveau, il me semble qu’il convient, comme chez Héraclite, d’identifier les epea aux simples « vocables », aux simples « noms » (onomata), « à tout ce que les mortels, croyant que c’était vrai ont d’un mot désigné » [51] puisque que « chaque chose a reçu, de par le fait de l’homme, un nom déterminé, en signe distinctif » [52]. La pensée du vrai toutefois « ne saurait être proférée » (pephatismenon) à travers de « simples mots », mais seulement dans l’être, lequel, ne peut pas signifier dans le simple mot « être » (qui, comme tel, est un pur son vide comme le mot « non-être » [53]) mais dans l’être du logos, dans l’identité du jugement, légitimé du point de vue des Éléates. L’epos isolé ne peut être vrai, parce qu’il n’est qu’un fragment, et l’accumulation d’epea au sein de ce qui prétend être un « discours » ne reflète que le chaos d’un monde réduit à un ensemble de particularités et de pluralités. Seul est vrai le logos qui sait qu’il est capable d’énoncer exclusivement l’être de ce qui est un et entier. Pour Parménide c’est dans le logos que se réalise la triade complète de ce qui est, de ce qui est pensable et de ce qui est dit ; la triade de l’être, de la vérité et du discours ; en effet, l’être, le but de la pensée, est pleinement atteint par la pensée de l’être [54], qui trouve dans le jugement vrai, dans le logos, sa forme expressive pleinement adéquate. C’est pourquoi on trouve constamment chez Parménide cette double expression [55] : « ce qui peut être dit et pensé se doit d’être : car l’être est en effet, mais le néant n’est pas » [56] ; « Je t’interdis de dire (ou/ et [57]) même de penser que le “il est” pourrait provenir du non- être car on ne peut pas dire ou penser qu’il n’est pas [58] » ; « il est donc notifié, de par nécessité, qu’il faut abandonner la voie de l’impensé, que l’on ne peut nommer (car celle-ci n’est pas la voie qui conduirait jusqu’à la vérité), et tenir l’autre voie pour la voie authentique réelle et existante » [59] et, au moment de passer à la seconde partie du poème : « mais ici je mets fin au discours assuré ainsi qu’à la pensée visant la vérité » [60].
39Il est désormais plus facile de comprendre pourquoi Parménide a donné une seconde partie à son poème. Tant que nous essaierons de comprendre l’opposition des deux parties en nous contentant de la contradiction entre les « vérités » de la première et les « tromperies » de la seconde, il sera difficile d’éliminer les difficultés et de faire disparaître tout résidu problématique [61]. En effet, on a souvent posé la question suivante : pourquoi Parménide n’anéantit-il pas l’illusion produite par le monde de la doxa en choisissant tout simplement le silence ? Et bien, si l’on considère que le monde représenté dans la première partie du poème doit être entendu comme le monde du logos, et que celui présent dans la seconde partie est le monde des epea, il est clair que le monde des epea ne saurait être anéanti mais qu’il doit simplement être circonscrit à l’intérieur de ses limites. Il s’agit donc plutôt de lutter contre ces epea qui se comportent comme s’ils pouvaient énoncer quelque chose ; il s’agit de supprimer le verbalisme qui prétend, à travers de simples « noms » (dans une espèce de caractérisation mythique et populaire) révéler quelque chose sur la nature des objets ; il s’agit enfin de frapper dans leur principe même les cosmogonies non philosophiques des poètes épiques qui ne réussissent pas à aller au-delà des epea. Mais il est aussi possible de détruire la fausse prétention des epea qui voudraient pouvoir « consigner » (episêma) et fixer « l’être » ; les epea qui n’ont en eux-mêmes aucune valeur et sont à la fois sans puissance et privés de signification, peuvent être complémentaires du logos (mais il est clair que chez Parménide ils ne le sont jamais et que rien ne permet de les sauver comme dans la perspective d’Héraclite) au sein de la relation qui lie les fragments et la véritable totalité : les composants doivent être évalués selon le tout et non pas le tout à partir de ses composants. Or justement, dans la seconde partie du poème, Parménide tente de présenter le monde du devenir de manière telle que les fausses dénominations [62], qui se comportent comme si l’être sensible était ce qui existe, soient évitées. Il essaie aussi de faire en sorte que « le devenir et le flux », le « changement de position et le changement d’apparence au gré de la couleur » ne soient pas posés, comme certains aiment le faire, comme l’être, mais comme étrangers à l’être et à la pensée, comme simples apparences.
40S’il est vrai que ce monde de l’apparence n’est pas un aspect d’une totalité, il n’en est pas moins vrai que Parménide ne l’oppose pas radicalement au monde de la pensée, comme le non-être s’oppose à l’être : il s’agit bien plutôt d’un mélange des deux tout comme la lumière qui chatoie est un mélange de lumière et de ténèbres [63]. Le monde du devenir n’est pas simplement la négation du monde de l’être, tout comme l’epos ne représente pas la négation du logos. Les prétentions à fixer les epea doivent être condamnées comme des durcissements qui induisent en erreur, et l’impuissance des epea isolés doit être comprise comme parfaitement adéquate à l’instabilité des objets du devenir. Et c’est alors seulement que le tout apparaît comme fragmenté sans le moindre espoir et le logos éparpillé en epea, c’est-à-dire quand la pensée, dévoyée par les sens et le logos, trompé et corrompu par les mots, considèrent le mundus sensibilis comme une entité existante. Il faut encore souligner avec énergie que l’Éléate est bien loin de considérer ce qui est isolé comme un « aspect » nécessaire à côté de la totalité, c’est-à-dire l’epos comme un moment à côté du logos. Il reste néanmoins que la seconde partie du poème de Parménide est le monument historique de la plus ancienne tentative d’attribuer aux epea « trompeurs » un contenu de vérité relatif et à la sensibilité un bien-fondé relatif. C’est que si les epea sont bien bannis du mundus intelligibilis où ils ne peuvent manquer d’échouer, dès lors qu’ils renoncent à des prétentions illégitimes, ils conservent par rapport à cette nullité radicale une existence relative : cette distance du logos qui correspond à leur existence fragmentaire. Il s’agit de la même distance qui sépare le devenir de l’être, la sensibilité de la pensée, la multiplicité des choses de l’unité. Les mots restent toujours des mots, mais celui qui les emploie de manière à ce qu’ils n’apparaissent pas comme s’ils étaient déjà le logos les utilise d’une manière bien moins trompeuse que l’usage. C’est pourquoi il est vrai que la seconde partie évoque « l’opinion des mortels » mais de telle sorte que « nul mortel n’en sache plus que toi » [64]. Et la correction relative de ce point de vue est déjà indiquée par Parménide au moyen du terme flottant eoikôs auquel sera par la suite apparenté l’eikôs platonicien [65].
41Il est difficile de trouver dans l’histoire de la métaphysique deux penseurs de l’importance d’Héraclite et de Parménide qui présentent une opposition aussi nette et aussi tranchée. Pour l’un, la loi universelle est renfermée dans le devenir, pour l’autre la vérité repose dans l’être. Pour l’un, la loi universelle s’exprime à travers la synthèse des contraires, pour l’autre, la vérité se trouve dans la pensée de l’identité de l’un-tout, qui « est » et qui est transcendant par rapport au sensible. Pour chacun, cependant, alors que la fonction du logos renvoie au tout et à ce qui est parfaitement achevé, celle des epea concerne l’œuvre fragmentaire de la multiplicité [66]. Le logos d’Héraclite est vie, les mots de la masse sont morts et ne peuvent être animés que par le logos ; le logos de Parménide « est », les mots n’ont aucune existence réelle mais seulement une existence relative. Enfin, pour chacun des deux penseurs, le logos vaut comme expression adéquate de la vérité qui peut se manifester. Pour Héraclite le mot, utilisé comme simple epos, selon l’usage qu’en fait la masse, reste tellement incommensurable par rapport à la pensée que la forme lexicale, tout comme son accent et son contenu sont totalement équivalents ; pour Parménide, l’epos appartient à la sphère de la sensibilité, le mot devient pour lui une expression incarnée, un flatus vocis ; l’organe des epea est la langue qui appartient au même genre que l’œil et que l’oreille ; or la langue n’est pas moins trompeuse que « l’œil qui ne voit pas et que l’oreille qui retentit de sons illusoires » : à coup sûr, celui qui ne perçoit pas distinctement le logos est « sourd et aveugle » [67]. Et pour chacun cependant la parole isolée est un simple « nom » et le « nominalisme » qu’engendrent les epea au sein de la pensée ingénue du peuple est ce contre quoi ils s’élèvent tous deux. La magie des mots n’adhère en effet qu’aux simples noms ; les simples noms sont l’objet d’une vénération portée par le sentiment religieux et ingénu de la masse [68] ; les noms sont porteurs du sacré dans le culte et les mythes qui circulent ne sont pas sans relation avec les noms simples. Aux noms, chacun des deux philosophes entend opposer le discours, à la magie la loi, aux choses la connexion, aux simples reconnaissances hasardeuses une connaissance authentique qui permette de dépasser ces dernières.
42Le fait que les noms « soient » constitue une des caractéristiques de la pensée préscientifique [69] : il faut bien qu’ils soient pour pouvoir être effectifs. Or Parménide a transformé l’être : il a fait de cette forme simple de représentation une véritable catégorie de la philosophie. Mais de la sorte, « l’être » des mots a connu sa perte.
43Si l’on voulait rendre la doctrine de Parménide en une formule, on pourrait dire : les mots sont « faux » parce qu’ils feignent d’être identiques aux choses qu’ils prétendent nommer alors que seuls l’être et la pensée sont identiques. Seul ce qui peut être objet de la véritable pensée, seul ce qui est véritablement pensable, peut être le contenu d’un « discours véridique ». Ce qui est, ce qui est pensable et ce qui peut être dit ne doit pas être séparé : par cette affirmation, Parménide a créé la présupposition de la logique archaïque des Grecs. La pensée prélogique pose comme identiques, en vertu de la connaissance du nom, l’être de la chose, son nom et ce qui lui appartient. Parménide retire l’identité au monde des choses et des mots pour leur attribuer une demeure dans le mundus intelligibilis. C’est alors et alors seulement que l’identité est chez elle, c’est là et là seulement que se réalise l’unité sans partage de l’eon, du noêma et du logos. Telle est la thèse proposée par Parménide et c’est exactement cette thèse que les sophistes ont convertie en son contraire. Gorgias ne dit-il pas « premièrement et pour commencer que rien n’existe, deuxièmement que, même s’il existe quelque chose, l’homme ne peut l’appréhender, [et] que même si on peut l’appréhender, on ne peut ni le formuler ni l’expliquer aux autres » ? [70]
Notes
-
[1]
Philosophie des Formes symboliques, Paris, Minuit, 1972, p. 61.
-
[2]
« Je dois en outre remercier Ernst Hoffman d’avoir accepté de corriger avec moi, malgré un travail personnel accablant, les épreuves de ce premier volume. Certaines raisons techniques m’ont empêché au moment de l’impression de tenir pleinement compte des importantes remarques et indications qu’il m’avait alos adressées ; mais j’espère bien pouvoir les mettre à profit lors d’un retour ultérieur sur le présent sujet », ibidem, p. 11. Sur le concept de logos chez les penseurs grecs, cf. p. 63-72.
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[3]
Sur E. Hoffman, cf. P. Wilpert, « Ernst Hoffman » in Zeitschrift für philosophische Forschung, 1953, p. 265-275. une bibliographie complète des travaux d’E. Hoffman est disponible dans l’édition italienne de Platonismo e filosofia cristiana, Bologna, Il Mulino, 1967.
-
[4]
Methexis und Metaxu bei Platon, 1919 et Der historische Ursprung des Satzes von Widerspruch, 1923.
-
[5]
On pense aux travaux de Paul Natorp (Platos Ideenlehre. Eine Einführung in den Idealimus, Leipzig, 1903) et Hermann Cohen (“Die platonische Ideenlehre”, in Zeitschrift für Volkerpsychologie und Sprachwissenschaft, 1865, IV, p. 403-464).
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[6]
Cassirer remarquait : « Toutefois, à mesure que le concept d’“organisme” abandonne le domaine de l’étude spéculative du langage pour entrer dans celui de la recherche empirique, on se rend compte, encore une fois que, par son ampleur même, une certaine imprécision et une certaine ambiguïté lui sont inhérentes, qui risquent de le rendre inutilisable quand il s’agira de traiter des cas concrets et particuliers. Lorsque la spéculation philosophique avait vu dans ce concept essentiellement une médiation entre des extrêmes qui s’opposaient, il avait paru toutefois participer en quelque mesure de la nature de chacun de ses extrêmes. Mais un tel concept qui, pour ainsi dire, brille de toutes les couleurs, peut-il être utilisé lorsqu’il s’agit de fonder, non plus une métaphysique universelle du langage, mais sa méthodologie particulière ? » La philosophie des formes symboliques, 1, op. cit., p. 111.
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[7]
Cf. J. Deuschle, Die platonische Sprachphilosophie, Marburg, 1852.
-
[8]
Cf. J. Stenzel, Zahl und Gestalt bei Platon und Aristoteles, Leipzig, 1924.
-
[9]
Les écoles présocratiques, Paris, Folio, 1988, édition établie par Jean-Paul Dumont, p. 65-66. Nous citons le texte allemand sur lequel s’appuie la démonstration d’Hoffman. « Für der Lehre Sinn aber, wie er hier vorliegt, gewinnen die Menschen nie ein Verständnis, weder ehe sie ihn vernommen noch sobald sie ihn vernommen. Denn geschieht auch alles nach diesem Sinn, so gleichen sie doch Unerprobten, so oft sie sich erproben an solchen Worten und Werken, wie ich sie erörtere, nach seiner Natur ein jegliches zerlegend und erklärend, wie es sich verhält. Den anderen Menschen aber bleibt wie sie das Bewusstsein verlieren für das, was sie im Schlafe tun ». Die Fragmente der Vorsokratiker, Diels, Kranz, I, Weidmannsche Verlagsbuchhandlung, Zürich, Berlin, 1963, p. 150.
-
[10]
Mais Reinhardt affirme dans Parménide, Bonn, 1916, p. 219 : « Si on conçoit le logos comme loi universelle, on tombe dans un raisonnement pratiquement incompréhensible, et surtout dans la seconde phrase ». Je retiens pour ma part que cette objection est rejetée si l’on accepte la distinction entre logos et epos.
-
[11]
Cf. à ce propos W. Gundel, Beiträge zur Entwicklungsgeschichte der Begriffe Ananke und Heimarmene, Habilitationsschrift, Giessen, 1914, p. 9 et sq.
-
[12]
D.K., 22 B, 30, 32, 33, 41, 94 et autres.
-
[13]
D.K., 22 B 32.
-
[14]
Je dis « ne peut que » (darf) et non pas « peut » (kann) parce que le concept de causalité de la philosophie archaïque prend pour modèle la sphère de la loi : nomos, diké, adikia, aitia, etc…
-
[15]
L’interprétation héraclitéenne des mots est par conséquent associée à la conception de l’action. Cf. 22 B 212 : « sagesse : dire la vérité (legein) et agir selon la nature (poiein) en le sachant » et 22 B 73 : « il ne faut pas agir (poiein) et parler (legein) comme des dormeurs. Car alors aussi nous croyons agir et parler » Les écoles présocratiques, p. 83. Chez Héraclite, le lien entre legein et poiein a exactement la même fonction caractéristique que le lien entre legein et noein chez Parménide. On trouve chez le premier une philosophie de la culture et chez le second une doctrine de la connaissance.
-
[16]
22 B 2, 10, 41, 50, 72.
-
[17]
22 B, 15, 62, 67.
-
[18]
22 B 48.
-
[19]
Quant à la controverse qui n’est toujours pas résolue, et qui ne risque pas de l’être vu l’état des documents qui nous ont été transmis par la tradition et qui consiste à savoir si le « quant à ce logos » (toude logou) du premier fragment était ou non précédé par une phrase complète, on renvoie à Capelle, in Hermes, n° 59, 1924, p. 190 et sq. Mais Capelle se trompe quand il considère qu’il faut choisir dans l’interprétation d’Héraclite entre une conception du logos comme loi universelle et une conception du logos comme contenu. Le contenu du discours d’Héraclite est lié à une « forme déterminée » qui ne coïncide pas avec celle du « mot ». Et c’est toute la difficulté.
-
[20]
Mais personne ne prend en compte cette opposition à part Müller-Steinhart, (Platons Werke II, p. 535 et 657 note 3).
-
[21]
Par là, je ne veux certainement pas dire qu’Héraclite faisait la distinction grammaticale du sujet et du prédicat, mais seulement que la philosophie avait depuis longtemps conscience (et bien avant de se doter d’une grammaire au sens propre) du caractère synthétique qui servait de structure au sens de la proposition. « Si ma pensée est bien inspirée, son motif est : au principe était le sens ! »
-
[22]
Cf. Jonas Cohn, Theorie der Dialektik, 1923, p. 6
-
[23]
Il me semble que l’essai au demeurant instructif de H. Diels, Die Anfänge der Philologie, « N. Jahrb », I, 1910, p. 3, méconnaît ce fait.
-
[24]
Cf. Hegel, Werke, XIII, p. 328. Mais la distinction fondamentale qui sépare la dialectique de Hegel et celle d’Héraclite va bien au-delà de la portée de cet essai.
-
[25]
D.K. 22 B 67.
-
[26]
D.K., 22 B 88.
-
[27]
D.K., 22 B 8, 10, 51.
-
[28]
D.K. 22 B 51.
-
[29]
D.K. 22 B 19.
-
[30]
D.K. 22 B 29, 17.
-
[31]
D.K. 22 B 104.
-
[32]
DK 22 B 2, 69.
-
[33]
D.K 22 B 46.
-
[34]
D.K. 22 B 72.
-
[35]
DK 22 B, 34, 72.
-
[36]
L’interprétation du logos ici proposée n’est pas sans analogie avec celle proposée par K. Joëls in Geschichte der antiken Philosophie, Tübingen, 1921, p. 315, p. 317 et sq.
-
[37]
D.K. 22 B 115.
-
[38]
Cf. à ce sujet le texte plus précis d’Erich Hoffman, Qua ratione epos, muthos, ainos, logos et vocabula ab eiudem stripibus derivata in antiquo Graecorum sermone adhibita sint, Dissertation, Göttingen, 1922, chapitre 1.
-
[39]
Cf. Erman, Die Literatur der Aegypter, Leipzig, 1923, p. 122 et sq
-
[40]
On trouvera d’autres preuves dans le Homer de Finsler, I, Leipzig, 1914, p. 149.
-
[41]
Illiade, XX, 74.
-
[42]
Héraclite a exprimé la mesure du logos jusque dans la construction de ses phrases. La phrase « quant au logos » 22 B 1 et la suivante « aussi il faut suivre ce qui est » (22 B 2) sont construites de manière exactement analogue et elles expriment à chaque fois l’opposition entre le logos qui est un et l’irrationalité du multiple à travers le même moyen syntaxique.
-
[43]
D.K. 22 B 93.
-
[44]
Cf. E. Cassirer in Lehrbuch der Philosophie, de M. Dessoir, Berlin, 1925, I, chapitre 2.
-
[45]
Crat. 6, édition Pasquali.
-
[46]
Parménide, B VIII 3, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352. Cf. aussi B VIII 28 et sq.
-
[47]
Monougenes doit se comprendre chez Parménide selon l’étymologie et non pas selon le sens qui pourrait conduire au fait contradictoire que « ce qui est » serait inné, c’est-à-dire, en quelque manière, né.
-
[48]
Le vers « et jamais il ne fut, et jamais ne sera, puisque au présent il est, tout entier, à la fois, un et continu » (Parménide, B VIII 3, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 351) articule le logos au nun : c’est pourquoi par la suite, dans la culture grecque, le présent ne cessera de se poser comme un problème philosophique. Tandis que le passé reste lié à la poésie et au mythe, et que le futur appartient aux prophéties, le présent, le nun de ce qui est saisi logiquement est hors du temps. Il reste, il perdure. D’un point de vue conceptuel, Héraclite veut pour finir les mêmes choses que Parménide : « ce monde-ci, le même pour tous, nul des dieux ni des hommes ne l’a fait. Mais il était toujours est et sera feu éternel s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure » (D.K. B XXXI, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 73). De cette manière, le terme arkhê, qui indiquait le début dans le temps, se met à signifier « principe ». On en trouve une confirmation chez Anaxagore : « mais aujourd’hui encore, toutes les choses sont ensemble comme elles étaient au commencement » (Anaxagore B VI, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 651). La doctrine platonicienne des idées se fonde aussi sur la pensée de la parousia et la métaphysique d’Aristote sur celle du to ti en einai. Chez l’un comme chez l’autre, le mot « être » indique un présent hors du temps. Aristote exprime le principe dans des termes qui l’arrachent au temps (Métaphysique, 1050 a 7). Mais chez Platon aussi l’arché et le télos sont privés de leur sens temporel.
-
[49]
Parménide, B VIII 37, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352.
-
[50]
Il n’est pas mauvais ici de citer la traduction allemande : « Damit beschließe ich für dich mein verlässliches Reden und Denken über die Wahrheit. Aber von hier ab lerne die menschlichen Schein-Meinungen kennen, indem du meiner Worte trügliche Ordnung hörst“. Diels Kranz, op. cit., p. 239. Dans les Écoles présocratiques, Dumont traduit ainsi ce passage : « Mais ici je mets fin au discours assuré ainsi qu’à la pensée visant la vérité. Désormais apprends donc l’opinion des mortels en ouvrant ton oreille à l’ordre harmonieux du discours composé pour ton enchantement » (op. cit., p. 353). Dans sa célèbre traduction du Poème, Jean Beaufret avait proposé : « Ici je mets fin à mon discours digne de foi et à ma considération qui cerne la vérité ; apprends donc, à partir d’ici, ce qu’ont en vue les mortels, en écoutant l’ordre trompeur de mes dires ». Le poème de Parménide, Paris, P.U.F., 1955, p. 87.
-
[51]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352. Beaufret : « en conséquent sera nom tout ce que les mortels ont bien pu assigner, persuadés que c’était la vérité ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 87.
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[52]
Parménide, B XIX, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 361. Beaufret : « à chacune [des choses] les hommes ont attribué un nom qui la signale en propre ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 93.
-
[53]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352. Beaufret : « en conséquent sera nom tout ce que les mortels ont bien pu assigner, persuadés que c’était la vérité ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 87.
-
[54]
B VIII 8, v. 34 et B V, v. 1.
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[55]
Cf. Diels, „Die ältesten Philosophenschulen“, in Philosophische Aufsätze Zeller gewidmet, p. 251, n° 1.
-
[56]
Parménide, B VI, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 351. Beaufret : « nécessaire est ceci : dire et penser de l’étant de l’être ; il est en effet être, le néant au contraire n’est pas ; voilà ce que je t’enjoins de considérer ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 81.
-
[57]
En grec on trouve oute… oude que Diels propose de traduire « ou » plutôt que « et ». Mais avec ce « ou » on viole déjà l’identité du dire et du pensé, du dit et du penser. Dumont traduit par « ou » pour, Beaufret voir note suivante.
-
[58]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 351. Beaufret : « je ne te permettrai ni de dire ni de penser que c’est à partir de ce qui n’est pas ; car il n’est pas possible de dire ni de penser une façon pour lui de n’être pas ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 83.
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[59]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352. La traduction de Beaufret est plus conforme à la thèse défendue par Hoffman : « il est donc décidé de toute nécessité, qu’il faut abandonner la première voie, impossible à penser et à nommer – car elle n’est pas la route de la nécessité, c’est l’autre au contraire qui est présence et vérité ».
-
[60]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 352. Beaufret : « ici je mets fin à mon discours digne de foi et à ma considération qui cerne la vérité ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 87.
-
[61]
Il est possible d’articuler ma position à celle proposée par Cassirer dans Grieschiche Philosophie von Thales bis Platon, (Natur und Geisteswelt, Bd. 749), p. 45. Il me semble que Cassirer, dans le Lehrbuch der Philosophie de Dessoir (I, p. 41), arrive à un résultat conforme au mien dans les grandes lignes tout en utilisant un parcours complètement différent.
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[62]
Parménide a trouvé un disciple en Empédocle (D.K., XXXI B 8) et en Anaxagore (D.K. LIX B 17).
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[63]
Parménide, B VIII, v. 53 et sq.
-
[64]
Parménide, B VIII, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 353. Beaufret : « voilà ce que je vais te révéler en entier, afin que le sens des mortels jamais ne te dépasse ». Le poème de Parménide, op. cit., p. 89.
-
[65]
Hoswald n’est pas de cet avis, cf. « Hermes », 57 BD., p. 63 et sq. Il considère que l’eikôs logos de Platon est une stricte conséquence de sa terminologie. Mais les mots de Platon (cf. Timée 29 C) indiquent un rapport problématique avec les formulations de Parménide (28 B VIII, V. 61). Et même l’usage du terme muthos chez Parménide offre des affinités avec celui que proposera Platon. La déesse déclame à la fois le logos et les epea et sa déclamation est à la fois révélation et récit de connaissance, muthos (28 B IV, V. 1 et 28 B VIII, v. 1).
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[66]
Dans les trois monographies à notre disposition sur la doctrine du logos dans la philosophie grecque, c’est-à-dire celle de Heinze (Lehre vom Logos, 1872), celle de Aall (Geschichte der Logosidee, 1896) et celle de Walton (Development of the Logos-doctrine in Greek end Hebrew Thought, Bristol, 1911) le « logos » parlé est presque totalement passé sous silence. Et Walton va jusqu’à dire : « dans la pensée grecque, le logos est la raison et non pas la parole prononcée ».
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[67]
Cf. Héraclite, D.K., XXII B 34, Les écoles présocratiques, op. cit., p. 74. L’axunetoi d’Héraclite (22 B XXXIV) révèle une assonance avec le xunon de 22 B 2, 22 B 113, 22 B 114. Cf. Parménide, 28 B III
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[68]
La masse est convaincue de pouvoir « faire des conversations avec les murs » Héraclite, 22 B V. Cf. Les écoles présocratiques, op. cit., p. 67.
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[69]
Cf. Ernst Cassirer, Sprache und Muthos, Studien der Bibliothek Warburg, Leipzig, 1924, p. 38 sq.
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[70]
Cf. D.K., 82 A 3. Cf. Les écoles présocratiques, op. cit., p. 701. Sur la tendance générale de la parole de Gorgias, cf. W. Nestle, in « Hermes », 57, 1922, p. 551 et sq.