Couverture de POESI_112

Article de revue

Maurice Blanchot à Vadim Kozovoï

Pages 7 à 94

Notes

  • [1]
    En 1976, Vadim Kozovoï publie une traduction commentée des écrits sur l’art de Paul Valéry, aux éditions Iskousstvo.
  • [2]
    Cf. C. Bident, Maurice Blanchot, partenaire invisible, Champ Vallon, 1998, p. 507.
  • [3]
    Monique Antelme, épouse de Robert Antelme et grande amie de Maurice Blanchot.
  • [4]
    Il s’agit sans doute du recueil de Vadim Kozovoï, Sursis d’orage publié en russe en 1978 aux éditions de l’Age d’Homme.
  • [5]
    Georges Nivat, né en 1935, écrivain, traducteur et professeur de littérature russe à l’université de Genève. Cf. Irina Emélianova, Légendes de la rue Potapov, Fayard 2004, p. 148 sq.
  • [6]
    Otage de l’éternité. Mes années avec Pasternak, Olga Ivinskaïa, Fayard 1978.
  • [7]
    Né en 1965, Boris Kozovoï est le fils aîné d’Irina et Vadim Kozovoï.
  • [8]
    Il s’agit de Boris Pasternak mort en 1960. Sur la mort de Pasternak, cf. Légendes de la rue Potapov, op. cit., p. 166 sq.
  • [9]
    Stéphane Tatischeff (1934-1985) professeur de littérature russe à l’École des langues orientales. Stéphane Tatischeff et sa femme ont accueilli chez eux Vadim et Boris à leur arrivée en France pendant plusieurs mois.
  • [10]
    Cf. la lettre à Kroutchev évoquée dans Les légendes de la rue Potapov, p. 126-127.
  • [11]
    Andréi Kozovoï, né en 1975, fils cadet d’Irène et de Vadim, était encore en URSS avec sa mère.
  • [12]
    Cf. « De craie et d’ardoise », in Hors de la colline, p. 73. Blanchot modifie le texte : « entre deux points de douleur la poésie est la voie la plus courte ».
  • [13]
    Cf. La planche de vivre, Paris, Gallimard, 1981.
  • [14]
    Il s’agit de l’entretien avec France Huser paru dans Le Débat, Gallimard, n° 14, juillet- août 1981.
  • [15]
    Daniel Vernet, correspondant indépendant à Moscou à partir de 1977, puis directeur des relations internationales au journal Le Monde, est l’auteur de nombreux ouvrages sur la Russie. Indiquons Vivre à Moscou, des deux côtés du miroir (1984) et URSS (1990).
  • [16]
    Alors administratrice du bureau des droits d’auteur à la maison Gallimard.
  • [17]
    En mars 1981, la répression d’une occupation des militants de Solidarnosc à Bydgoszcz en faveur de la légalisation de Solidarnosc Rurale est réprimée très violemment par 200 policiers et pousse la base à une grève générale illimitée. Le Bureau Politique du POUP dénonce Solidarnosc pour « avoir créé une situation d’anarchie » ; une majorité de la direction veut même déclarer l’Etat d’urgence et envoyer la troupe contre le syndicat. Jaruzelski, chef de l’armée, s’y oppose et menace de démissionner. Pour faire face à cette pression et contrer la politique de collaboration prônée par Walesa, se développe au sein de Solidarnosc un courant « radical » autour d’Andrzej Gwiazda, de Marian Jurczyk, le candidat le plus populaire à la direction de Solidarnosc en opposition à Walesa et de Rulewski, un des militants de Bydgoszcz. En septembre 1981, au congrès de Solidarnosc, ces trois candidats rassemblent 45 % des voix. En automne 1981, sous prétexte d’aider à résoudre la crise de distribution alimentaire, des officiers sont envoyés dans les campagnes d’abord, dans les villes ensuite, pour se préparer à prendre les postes clés à travers le pays.
  • [18]
    Alexandre Zinoviev (1922). Ecrivain dissident : expulsé d’URSS en 1978, il y retrouve sa citoyenneté en 1990 et rentre en Russie en 1999 pour y défendre une position « stalinienne ». Parmi ses nombreux ouvrages traduits en français, on indiquera Les hauteurs béantes, 1976, Homo sovieticus, 1990 ; Les confessions d’un homme en trop, 1990 ; La suprasociété globale et la Russie, 2000
  • [19]
    En 1956-1957, Vadim Kozovoï participe à un groupe clandestin d’étudiants de l’université de Moscou qui tentaient, après le XXème congrès du Parti, d’agir en faveur de la libéralisation du régime. Tous les membres du groupe furent arrêtés et condamnés à différentes peines. Vadim fut interné pendant six ans dans le camp de Mordovie. C’est là qu’il fait la connaissance d’Irina Emélianova internée avec sa mère à la suite de la publication du Docteur Jivago. Cf. Les légendes de la rue Potapov, op. cit., p. 229 sq.
  • [20]
    C’est la première mention du projet qui aboutira à Hors de la colline, recueil de Vadim qui sera publié en 1984 chez Hermann dans la traduction de J. Dupin et M. Deguy avec la postface de M. Blanchot et les illustrations d’Henri Michaux.
  • [21]
    Andrei Sakharov (1921-1989). Physicien, il fut un des inventeurs de la bombe H soviétique (1953). Militant des droits de l’homme et prix Nobel de la Paix en 1975. Dissident, placé en résidence surveillée à Gorki de 1981 à 1986, il est élu au premier congrès des députés des peuples en 1989. Elena Bonner épousa Andreï Sakharov en 1972 et devint son ambassadrice dans le monde. En janvier 1980, Sakharov est assigné à résidence. A son tour, Elena le sera jusqu’en 1985. Après la mort du scientifique en 1989, elle est restée une figure de l’intellectuelle engagée. Elle est actuellement conservatrice du musée Zakharov à Moscou.
  • [22]
    Au début du mois de décembre, l’occupation de l’Ecole des Pompiers de Varsovie est réprimée de manière brutale avec l’intervention des forces spéciales de la police et des hélicoptères. Il s’agit d’un ballon d’essai : sans riposte majeure de la part du mouvement ouvrier, Jaruzelski sait que la voie est libre. Dans la nuit du dimanche 13 au lundi 14 décembre 1981, l’armée polonaise coupe toute communication, bloque les routes et arrête les dirigeants nationaux et régionaux de Solidarnosc réunis à Gdansk. Les troupes d’élite sont envoyées dans les centres stratégiques de Solidarnosc : les chantiers Lénine, Nowa Huta, les usines Ursus, Katowice et les principales mines de Silésie. Les travailleurs résistent avec grèves et occupations mais la grève générale ne se concrétise pas. Une chape de plomb brise l’organisation de la classe ouvrière polonaise jusqu’en 1989, date à laquelle Jaruzelski cèdera le pouvoir à Solidarnosc.
  • [23]
    Lors d’un voyage fin 1981, Jacques Derrida est enfermé quelques jours dans une prison tchèque alors qu’il soutenait sur place les intellectuels dissidents de la Charte 77. Il sera libéré le 1er janvier 1982. Cf. Cahiers de l’Herne Jacques Derrida, 2005, p. 603.
  • [24]
    Dubcek Alexander (1921-1992). Homme politique tchèque. Au début de 1968, Dubcek est nommé secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque. Lorsque les tanks soviétiques envahissent la Tchécoslovaquie le 21 août, Dubcek est arrêté par le KGB et emmené en URSS avec d’autres personnalités politiques. A la suite de négociations particulièrement délicates, il sera relâché.
  • [25]
    Hors de la colline, op. cit., p. 27.
  • [26]
    Une page du quotidien Le Matin consacrée aux librairies russes de Paris est jointe à la lettre.
  • [27]
    Le long poème « Encore une variation » (Hors de la colline, p. 101 sq.) est dédié à la mémoire de Constantin Bogatyriov, traducteur de Rilke en russe assassiné par des agents du KGB en 1976.
  • [28]
    Ingold traducteur en Allemand de Vadim Kozovoï dans le numéro 3 de la revue Akzente.
  • [29]
    Jointes à la lettre 47 deux feuilles extraites du Nouvel Observateur du 24 avril 1982 : le Cahier de lectures de Claude Roy intitulé Pouchkine, pas mort, URSS suit. Blanchot a souligné la phrase : « le culte des poètes en URSS n’a je crois d’équivalent nulle part au monde » et il ajoute une remarque : « Claude Roy est un très gentil garçon, mais.. »
  • [30]
    Il s’agit de la lettre du samedi 18 Juillet 1868 envoyée d’Avignon. Mallarmé y évoque ce sonnet « inverse : je veux dire que le sens, s’il en a un (mais je me consolerais du contraire grâce à la dose de poésie qu’il renferme, ce me semble) est évoqué par un mirage interne des mots mêmes ». Cf. Mallarmé Œuvres complètes, Paris, Pléiade, édition Marchal, 1998, p. 730-732.
  • [31]
    Il s’agit du poème Dichtermut, Courage poétique dont on connaît trois versions. Maurice Blanchot traduit le premier quatrain : « Bist denn du nicht verwandt allen Lebendigen ? / Nährt zum Dienste denn nicht selber di Parze dich ? Drum ! so wandle doch wehrlos / Fort durchs Leben und sorge nicht ». Cf. Hölderlin, Poèmes / Gedichte, Aubier, 1943.
  • [32]
    Telle est la version de Ni fleurs ni couronnes dans l’adaptation de J. Dupin et M. Deguy : « comme désastre ils furent en leur jeunesse gris / au seuil de mort gardant comme crachoir l’œil lucide / d’un bout de bottes deux fois touchèrent la peste fécale / où pelucheux poussah l’ours au rancart barbotte cabossé / du bonnet / car leur moustique poupon s’est déployé pourceau / broutant tripes pour quatre et va vite crapule / s’étouffer de vipères / plus pur que bleu des ciels ils virent un soubresaut / d’argent là-haut du dirigeable / en jeunesse seuil de mort / mais point ne s’inclinèrent devant la solitaire amorce / d’oiseau lancé au frisquet cent frissons par / l’homme-bête limpide ». Hors de la colline, op. cit. p. 87.
  • [33]
    Homme de théâtre et « metteur en voix » à France Culture.
  • [34]
    Thomas Ferenczi journaliste du Monde alors en poste en URSS.
  • [35]
    Hors de la colline, op. cit, p. 41.
  • [36]
    Hors de la colline, respectivement, p. 97, p. 115 (sous le titre de « Solitude » ?) p. 19, p. 9, et p. 87.
  • [37]
    Cf. L’instant de ma mort, Fata Morgana, 1994.
  • [38]
    Youri Andropov (1912-1984) fut à la tête du KGB de 1967 à 1982. En 1982 il succède à Brejnev comme secrétaire général du PCUS et comme président du soviet suprême. Il occupera ces fonctions jusqu’en 1984 et soutiendra l’ascension de Gorbatchev au sein du bureau politique.
  • [39]
    Cf. les remarques de Christophe Bident in Maurice Blanchot, partenaire invisible, op. cit, p. 543-544.
  • [40]
    Le 3 juin 1982 dans la soirée, l’ambassadeur d’Israël à Londres est abattu par un membre du groupe Abou Nidal. Le 4 juin, dans l’après-midi, l’aviation israélienne pilonne le stade municipal de Beyrouth, arsenal principal de l’OLP qui riposte dans la soirée par des tirs d’artillerie sur la Galilée. Simultanément, Béchir Gémayel est averti de l’imminence de la grande offensive israélienne. Le 6 juin, Tsahal s’empare du château de Beaufort, de Tyr, Natabiyé et Hasbaya. Elle poursuit sa progression et investit le Chouf puis atteint l’aérodrome de Khaldé le 9 juin d’où elle commence à bombarder Beyrouth. Le 13 juin, elle parfait l’encerclement de la capitale en occupant Baabda. En une semaine, les Palestiniens perdent 2000 hommes.
  • [41]
    Il s’agit du jour de l’expiration des visas temporaires de Vadim et Boris.
  • [42]
    Le 9 août 1982 un attentat à la bombe fait 6 morts et 22 blessés, rue des Rosiers, devant le restaurant Goldenberg.
  • [43]
    Le théâtre de Grenoble avait refusé d’utiliser la traduction des Trois Sœurs par Vadim Kozovoï.
  • [44]
    Jacques Amalric était alors correspond du Monde à Moscou et Tiflis.
  • [45]
    Hors de la colline, op. cit., p. 41 et 57 sous le titre « Ton aile ».
  • [46]
    Il s’agit de « La parole ascendante, ou Sommes-nous encore dignes de la poésie ? » que Blanchot rédige pour la postface de Hors de la colline, p. 119-27.
  • [47]
    Hors de la colline, op. cit, p. 21.
  • [48]
    Efim Etkind (1918-1999) écrivain, traducteur et théoricien de la traduction, il fut forcé à l’exil par le KGB en 1974 et devint professeur à la Sorbonne.
  • [49]
    « La théorie spéculative de la traduction », essai d’Antoine Berman publié dans Po&sie, n° 22, 1982.
  • [50]
    Recueil de Pasternak publié chez Gallimard le 21 octobre 1982.
  • [51]
    L’article de la Gazette littéraire paru en octobre 1982 attaquait les traductions de Rimbaud par Vadim Kozovoï. Il s’agissait probablement d’un avertissement visant à dissuader Kozovoï de ne pas revenir en URSS.
  • [52]
    Jack Lang fut ministre de la Culture de François Mitterrand de 1981 à 1992.
  • [53]
    Après son arrestation en 1960 pour terrorisme, une grande campagne internationale avait été lancée pour obtenir la libération d’Armando Valladares. Durant sa détention, il fit semblant d’être invalide et un fauteuil roulant fut envoyé par la Croix Rouge Internationale. En 1982, le gouvernement de François Mitterrand, intervint auprès de Cuba pour obtenir sa libération et envoya Régis Debray qui réussit à convaincre le gouvernement de La Havane. Cf. Armando Valladares, Prisonnier de Castro, Grasset Fasquelle, 1979 ; Mémoires de prison, Paris, Albin Michel, 1985.
  • [54]
    Nathan Charansky, ancien dissident « refuznik » de l’URSS devenu par la suite champion de la cause de démocratisation du Moyen-Orient, sera ministre du gouvernement d’Ariel Sharon dont il démissionnera le 1er mai 2005.
  • [55]
    Le Montage de Vladimir Volkoff venait d’obtenir le Grand Prix du Roman de l’Académie Française.
  • [56]
    Leonid Brejnev est mort le 10 novembre 1982.
  • [57]
    Souvtchinsky : musicologue d’origine soviétique. Immigré en France. Grand ami de Vadim Kozovoï dont il a publié la correspondance avec Pasternak. Blanchot fait référence au texte qui sera publié en russe dans le journal Pensée russe le 2 août 1984. Ce texte est inédit en français.
  • [58]
    Il s’agit du poème « Cicéron » de Féodor Tioutchev (1803-1873) : « Heureux qui vécut sur la terre / Les grandes heures du destin, / Puisque les dieux le convièrent / Comme un égal à leur festin ». (1830, traduction de Dimitri Sesemann in Poésie russe, anthologie du xviiie au xixe siècle présentée par E. Etkind, La Découverte, Maspero, 1983.
  • [59]
    Nicole Zand était alors correspondante du Monde à Moscou.
  • [60]
    Voznessenski : poète russe né à Moscou en 1933. La lecture des poèmes de Voznessenski à la Mutualité avait rencontré un grand succès. Cf. A. Voznessenski, Au vent virtuel, Mémoires, Caractères, 2005.
  • [61]
    Vladimir Boukovsky a passé douze ans dans les goulags et hôpitaux psychiatriques d’URSS sous Brejnev. A sa grande stupéfaction, il sera échangé- en 1977 - par Brejnev et Pinochet contre le communiste chilien Luis Corvalan. En 1982, il publie Les pacifistes contre la paix, nouvelle lettre aux Occidentaux (Robert Laffont).
  • [62]
    Le 4 avril 1983, 47 diplomates et résidents soviétiques sont expulsés parce qu’ils sont soupçonnés d’espionnage. Cf. « Mitterand, l’URSS et la Russie », in Mitterand et la sortie de la guerre froide, Paris, PUF, 1998, p. 23-61 et surtout p. 31.
  • [63]
    Jacques Huntzinger était alors le secrétaire chargé des relations internationales au sein du parti socialiste. Il s’était réjoui de l’installation des fusées Pershing américaines sur le territoire de la RFA, en réponse aux SS 20 soviétiques car il pensait que le règlement de la question allemande serait ainsi repoussé de vingt ans.
  • [64]
    Cf. James Knowlson, Beckett, Actes Sud, p. 152 sq.
  • [65]
    Il s’agit d’Adriana Efron (1912-1975) qui passa dix-huit années en exil après son retour en URSS en 1937. Cf. Les légendes de la rue Potapov, p. 261-328.
  • [66]
    Benedikt Livchits (1886-1938) poète futuriste et traducteur de poésie française fusillé par Staline. Ses mémoires, L’archer à un œil et demi : histoire du futurisme russe (L’Âge d’homme, Lausanne, 1971), traitent de la période cruciale, entre 1911 et 1914, de l’effervescence artistique en Russie et constituent un document essentiel sur la première avant-garde russe.
  • [67]
    La Correspondance à trois, Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak, Marina Tsvétaïeva. Paru chez Gallimard en 1983 traduit par Philippe Jaccottet et Lily Denis.
  • [68]
    Bernard Guetta : né en France en 1951. Journaliste, entre autres, au Nouvel Observateur. Correspondant du journal Le Monde à Varsovie de 1980 à 1983. A écrit, entre autres, L’URSS de Gorbatchev.
  • [69]
    Claude Cheysson était alors ministre des Affaires étrangères. Il avait accompagné François Mitterrand lors de son premier voyage en URSS.
  • [70]
    Michel Tatu, soviétologue, souvent sollicité pour ses analyses.
  • [71]
    Médecin français en Afghanistan détenu par le pouvoir de Kaboul.
  • [72]
    Les poèmes de Hors de la colline traduits par J. Dupin et M. Deguy ouvraient le numéro 26 de la revue Po&sie, p. 2-22.
  • [73]
    En septembre 1983, la « guerre de la Montagne » oppose Chrétiens et Druzes. Ceux-ci prennent le contrôle de la région du Chouf.
  • [74]
    Né en 1927, Vadim Zagladine fut journaliste à Novoé Vrémya (1957-1960) puis à Problemy Mira i sotsializma (1960-1964) avant de devenir premier vice- responsable de la section internationale du CC du PCUS (1967-1988). Il fut conseiller de Gorbatchev de 1988 à 1991.
  • [75]
    Vadim Kozovoï avait lu ses poèmes le 12 janvier 1984 dans la petite salle du théâtre de Chaillot.
  • [76]
    Homme politique russe et théoricien du marxisme né en 1888 et mort en 1938. Après avoir participé au mouvement bolchevik de 1906 il est exilé en Suisse, rencontre Lénine à Cracovie et vit aux Etats-Unis où il publie un journal, Novy Mir (Nouveau Monde). Revenu à Moscou en 1917, il est élu au comité central du parti bolchevique et au Comité exécutif du Komintern. Rédacteur en chef de la Pravda de 1917 à 1929, il rédige à la demande de Lénine l’ABC du Communisme (1920) et la Théorie du matérialisme historique (1921). Au début de 1937 il est victime des grandes purges staliniennes et condamné à mort pour « activités fractionnelles droitières- trotskistes ».
  • [77]
    Accusateur public des bolcheviks lors des trois procès de Moscou, Vichinsky (1883-1954) fut le théoricien de ce « droit prolétarien » dont le cœur était que des aveux suffisent à condamner un prévenu.
  • [78]
    Souvarine (1895-1984). Souvarine anime à partir de mai 1919 le Comité de la III° Internationale et publie peu après le Bulletin Communiste. Après la fondation du P.C.F., il en devient un dirigeant de premier plan, ainsi que de l’Internationale Communiste. Dès 1924, il s’oppose au stalinisme mais il rompt avec Trotski en 1929.Il est l’auteur d’un Staline. Cf. A contre-courant, Ecrits, (1925-1939), Denoël, 1985.
  • [79]
    Alexandre Siniavsky (1925-1997). Écrivain dissident soviétique. Arrêté en 1965 et condamné à la détention de 1966 à 1973. Arrivé en France, il obtient un poste à la Sorbonne comme professeur invité.
  • [80]
    Jacques Andréani, né en 1929 : ambassadeur de France puis premier secrétaire d’ambassade à Moscou en 1961.
  • [81]
    Romancier et essayiste polonais, 1916-2000. Cf. De mémoire, Gallimard, 2003 et Les Nouveaux cahiers franco-polonais de l’université de Paris IV- Sorbonne, n°1 : « Autour de la vie et de l’œuvre de Kazimierz Brandys », Paris-Varsovie, 2002.
  • [82]
    Gromyko (1909-1989) : ministre des Affaires étrangères de l’URSS de 1957 à 1985 puis président du Praesidium du soviet suprême de 1985 à 1988.
  • [83]
    Il s’agit de l’article de Georges Nivat, « Pour la culture russe » [réponse à Milan Kundera], publié dans Le Débat, n° 29, mars 1984, pp. 183-185.
  • [84]
    Il s’agit de la première promesse d’un visa pour Irène et son fils André.
  • [85]
    Alors directeur du Monde.
  • [86]
    Irène Kozovoï a obtenu son visa.
  • [87]
    Nicolas Khardjiev (1903-1996) : critique littéraire, spécialiste de l’avant-garde et russe et collectionneur. Grand ami de Vadim Kozovoï et admirateur de sa poésie.
  • [88]
    Après la mort du poète, la datcha qui ne lui appartenait pas fut récupérée par les pouvoirs soviétiques qui refusèrent de conserver les manuscrits et les biens du poète.
  • [89]
    Cf. lettre 42 p. 27 et lettre de Vadim p. 107.
  • [90]
    Tarkovski (1930-1986). Le cinéaste avait été condamné à une expérience analogue à celle de la famille Kozovoï. Il était parti s’exiler en Italie tandis que sa femme était restée avec son fils en URSS.
  • [91]
    Ira était rentrée au mois d’août d’un voyage organisé pendant 5 jours pour revoir ses parents.
  • [92]
    Ville natale de Vadim Kozovoï.
  • [93]
    Il s’agit d’une carte de vœux portant une reproduction des Jeunes filles au piano de Renoir.
  • [94]
    Il s’agit de « l’Oasis », publié dans le numéro 37 de Po&sie, 1986.
  • [95]
    Il s’agit peut-être du dialogue « Discernement » qui sera publié dans Po&sie n° 46 en 1989 et repris dans Le monde est sans objet, p. 149 sq.
  • [96]
    Yannick Guilloux : journaliste au Monde, rédacteur chez Gallimard, à l’époque directeur de la section de littératures étrangères.
  • [97]
    Ligatchev, né en 1920, ce communiste orthodoxe, membre du Politburo fut responsable à l’idéologie jusqu’en 1988. Il s’opposera à Gorbatchev sur la Glasnost, l’économie et la politique étrangère. Co-fondateur du Parti Communiste de Russie dont il sera député.
  • [98]
    Souslov (1902-1982) apparatchik et idéologue du Comité central, membre du Politburo ; « protecteur » d’Andropov et de Gorbatchev. Souslov soutint Kroutchev en 1957 contre Malenkov et il a joué un rôle déterminant dans la destitution de Kroutchev et la nomination de Brejnev en 1964.
  • [99]
    Du 27 au 29 février 1988 les nationalistes arméniens, opposés aux Azéris, organisent des manifestations pour le rattachement à l’Arménie du Haut Karabakh. Les heurts violents aboutiront au pogrom de Soumgait (banlieue de Bakou) et à un exode croisé des deux communautés. Le 18 juillet 1988, le soviet suprême d’URSS rejettera la possibilité de modifier les frontières du Nagorno-Karabakh.
  • [100]
    Il s’agit du « Retour en URSS », publié par Vadim dans Le Monde.
  • [101]
    Il s’agit du texte intitulé « Discernement » publié par Vadim dans le numéro 49 de Po&sie et reproduit partiellement dans Le monde est sans objet, op. cit, p. 149 sq.
  • [102]
    Il s’agit du centenaire de la naissance de Boris Pasternak célébrée en grande pompe à Moscou en février.
  • [103]
    La lettre fut envoyée aux éditions Gallimard.
  • [104]
    Cf. « Une anarchie en ébullition », in Le Débat 1991, n° 1, p. 4-25.
  • [105]
    En janvier 1991 à Vilnius des chars soviétiques se mobilisent pour écraser une tentative de rébellion. Profondément bouleversé par cette nouvelle qui marquait le retour des pires méthodes soviétiques, Vadim composa une pétition de soutien qui fut signée par de nombreux intellectuels français, dont Jacques Derrida. Cette pétition fut soumise à Maurice Blanchot.
  • [106]
    Il s’agit du premier coup de téléphone adressé par Maurice Blanchot à Vadim Kozovoï.
  • [107]
    Le 19 août, à 7 h 20 (heure de Moscou), alors que le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev est en vacances en Crimée, l’agence TASS annonce qu’il est « incapable d’assumer ses fonctions » pour « raisons de santé » et qu’il est remplacé par le vice-président Guennadi Ianaiev. Celui-ci est à la tête d’un Comité pour l’instauration de l’état d’urgence. Le putsch est soutenu notamment par le chef du KGB Vladimir Krioutchkov et le ministre de la Défense Dmitri Iazov. Les putschistes proclament l’état d’urgence pour six mois, le rétablissement de la censure, et font entrer les chars de l’armée dans la capitale. Vers midi les blindés encerclent la Maison blanche (siège du parlement). Retranché dans le Parlement de Russie bloqué par les blindés, Boris Eltsine, élu deux mois plus tôt à la présidence de la république soviétique de Russie, appelle à la désobéissance civile et à la grève générale. Les bassins miniers de Russie, d’Ukraine et de Biélorussie cessent le travail. Paris, Washington et Londres expriment leur inquiétude. Le 20 août, 100 000 personnes manifestent à Leningrad, tandis que 180 blindés font mouvement vers la ville. A Moscou, 50.000 manifestants autour du Parlement russe bravent le couvre-feu décrété en fin de soirée. A 17 heures, Boris Eltsine annonce qu’il prend le commandement des forces armées en Russie. La signature, prévue le 20 par Mikhaïl Gorbatchev, d’un nouveau Traité de l’’Union qui devait réformer les relations entre les républiques soviétiques et le Kremlin vers davantage de fédéralisme et d’autonomie, est de facto annulée.
  • [108]
    Cf. G. Sokoloff, Métamorphoses de la Russie, 1984-2004, Paris, Fayard, 2003, p. 217 sq.
  • [109]
    Il s’agit de la mort de la mère de Vadim survenue à Kharkov.
  • [110]
    L’Instant de ma mort, Fata Morgana, Montpellier, 1994. Cf. ici même la lettre 53.
  • [111]
    L’ambiguïté du titre français, L’arrêt de mort donna lieu à deux traductions possibles : alors que Vadim Kozovoï affirmait que le titre était synonyme de Verdict, la traductrice Irina Stal a préféré la version, « au seuil de la mort ».
  • [112]
    Ce texte, traduit par Serge Zenkine, fut publié dans le célèbre magazine russe.
  • [113]
    C’est par sa belle-sœur que Blanchot pouvait être « apparenté » à Charlotte von Stein.
  • [114]
    Le recueil des essais de Vadim Kozovoï, Poète dans la catastrophe, fut publié à Paris et à Moscou en 1994 aux éditions de l’Institut des Etudes Slaves et Gnosis. Ce recueil n’a pas vu le jour en Français, mais certains fragments ont été repris dans Le monde est sans objet.
  • [115]
    Il s’agit de la mort d’Olga, la mère d’Irène, en septembre 1995.
  • [116]
    Transcription de Maurice Blanchot.
  • [117]
    Il s’agit des Légendes de la rue Potapov.
  • [118]
    Cf. « Pour Maurice Blanchot » in Po&sie n° 82, 1997, repris in Le monde est sans objet, p. 175-180.

1La correspondance de Maurice Blanchot présente quelques traits formels remarquables. Certaines lettres sont datées, d’autres pas. Nous indiquons entre crochets la date du cachet de la poste puis la date indiquée par Blanchot. Il arrive que celle-ci soit erronée.

2Maurice Blanchot abrège souvent les noms propres. Il entre une part de jeu dans ces abréviations : Gorbatchev devient successivement Gorb., Gorby, Gorba, Gorbat, Gorbatch. etc. Nous avons respecté cette singularité en restituant entre crochets la fin du nom propre.

3À côté des titres d’ouvrages soulignés que nous avons indiqués en italiques, Maurice Blanchot souligne certaines expressions. Nous avons maintenu ce signe typographique.

4On trouve plusieurs signatures : de M à Maurice Blanchot en passant par Maurice.

5Maurice Blanchot vouvoie Vadim Kozovoï. Il passe au tutoiement dans une seule lettre [L 142] après laquelle il revient au vouvoiement. La ponctuation et l’usage des majuscules appartiennent à l’auteur.

6Pour alléger l’annotation, nous avons réservé certaines informations générales et particulières pour la chronologie que nous avons placée après la correspondance.

[I. Vadim Kozovoï à Moscou]

[25/11/16] L1

7Le 26 novembre 1976

8Cher Vadim Kozovoï,

9J’ai bien reçu votre livre sur Paul Valéry [1]. Je veux vous en remercier, en vous disant combien j’ai été touché de votre signe de solidarité. Ce signe, recevez-le de moi aussi. Oui, soyons unis par les valeurs de liberté, de fraternité, et souhaitons que la culture, en s’échangeant, nous aide tous à mieux comprendre ce qui est en jeu dans ces mots et par-delà ces mots.

10Avec mes plus cordiales pensées,

11Maurice Blanchot

[29/12/76] L2

12Le 26 décembre 1976

13Cher Monsieur et ami,

14Je reçois votre message d’amitié. J’en suis profondément touché. Il me parle beaucoup. Que nous soyons en rapport par une exigence de justice que les textes poétiques savent transmettre, c’est très important. Nous nous aidons réciproquement au-delà de tout ce qui peut être dit. Quand quelqu’un se lève pour nous faire entendre des paroles vivantes, riches de sens, c’est comme si le cercle des années brûlées traçait autour de l’ami inconnu, le plus précieux, le plus cher, un anneau qui ne se rompra pas.

15Vous êtes cet ami. Puisse ce qui vient vous être favorable : souhait ardent. Je vous dis mon affection.

16Maurice Blanchot

17Restons en rapport.

[14/3/77] L3

18le 10 mars 77

19Cher Vadim Kozovoï

20Je suis très souffrant en ce moment, mais je veux vous dire d’un mot que je suis toujours avec vous, de tout cœur avec vous et qu’il n’est rien que vous n’exprimiez qui ne retentisse en moi profondément. De votre livre sur Valéry, il a été question dans le journal Le Monde, ainsi de ce que vous êtes, de tout votre travail et bien au-delà.

21Comment vous dire tout ce que je ressens pour vous ?

22Maurice Blanchot

23Est-il possible de vous envoyer les livres que vous désirez ? En ce moment, c’est difficile.

[27/4/77] L4

24Le 25 avril 1977

25Cher Monsieur et ami,

26J’ai bien reçu votre carte. Tout ce qui me vient de vous me touche profondément. Je voudrais tant que l’amitié vous crée un espace où, malgré les difficultés propres à un poète, vous trouviez pour votre travail le silence, l’absence de tracas nécessaire à vous avec mon affection

27Maurice Blanchot

28Je vous ai fait envoyer par mon éditeur deux de mes livres. J’espère qu’ils vous parviendront.

[13/6/77] L5

29Le 12 juin 1977

30Cher, très cher ami,

31Je viens d’écrire à René Char, votre ami qui est le mien et, j’ajoute pour ceux qui l’auraient oublié, le grand poète de la Résistance. Soyez assuré que sont proches de vous, dans les circonstances présentes, les plus grands écrivains et intellectuels français. Ils savent qu’ils vous doivent beaucoup ; ils souhaitent ardemment que vous puissiez continuer votre travail de poète et de traducteur, comme ils souhaitent que vous puissiez venir en France pour les rencontrer. Leur voix se fera entendre d’une manière ou d’une autre. Vous n’êtes pas seul. Sachez-le et qu’on le sache autour de vous. Nous sommes tous solidaires de votre destin.

32Avec mon absolu dévouement et ma profonde affection,

33Maurice Blanchot

L6

34juillet 77

35Très cher ami,

36Je vous ai adressé il y a quelques semaines une lettre où je vous exprimais mon amitié, mon admiration et mon soutien. Comme je vous le disais, j’ai écrit aussitôt à René Char. Celui-ci, depuis, m’a répondu. Il comprend parfaitement la situation et vous dit son extrême sympathie. Par lui, et à sa demande, je suis entré en relation avec la collaboratrice de Claude Lévi-Strauss, et je sais tout ce que je souhaitais savoir.

37En ce qui me concerne, par un ami et grâce à un intermédiaire, la personne qui avait publié indûment la « lettre de Moscou » a été mise au courant et a promis d’intervenir auprès du chef de l’Etat à l’occasion de la visite officielle d’un autre chef d’Etat. On sait donc, dans les sphères officielles, tout ce que les intellectuels, les écrivains et les poètes français vous doivent. On souhaite ardemment que vous receviez un visa pour les rencontrer et surtout que, là où vous êtes, vous puissiez continuer votre travail décisif de poète et de traducteur. Pour que cela soit, tout ce qui peut être fait, sera fait. Votre destin est d’une certaine manière notre destin.

38Faites-moi parvenir des nouvelles, si cela est possible, et soyez sûr de mon fraternel attachement.

39Maurice Blanchot

[25/07/77] L7

40le 25 juillet 1977

41A Vadim Kozovoï, mon très cher ami, l’ami de tous les poètes et écrivains français, qui porte en lui l’essence de la poésie, de la force et de la vérité poétiques.

42Nous restons tous auprès de vous. Jamais nous ne vous laisserons seul. Ce serait comme renoncer à nous-mêmes, nous intellectuels, savants, écrivains français de toute tendance.

43Beaucoup de choses sont faites et seront faites. Mais, en dehors de l’action, la pensée est fidèle. Savez-vous que je pense aux jouets de votre plus jeune fils, au talent musical de votre femme, à tout ce qui nous unit, vous et les vôtres ? Il ne sera pas dit que la chaîne de fidélité soit jamais rompue. Elle ne le sera pas, qu’on le sache bien.

44J’ai été heureux que vous receviez quelques-uns de mes livres, heureux de ce que vous m’en dites, heureux surtout que la flamme poétique continue de brûler en vous et ne sera pas éteinte.

45Je vous récrirai. Permettez-moi de vous embrasser, très cher ami

46Maurice Blanchot

[07/11/77] L8

47Le 4 novembre 1977

48Très cher ami,

49J’ai reçu des lettres, j’y ai répondu. Votre mot du 26 octobre. Chacun pense à vous. Le silence porte la pensée, l’amitié. Tous les écrivains français qui vous doivent beaucoup, cherchent comment rendre concrète cette obligation. Ne perdez pas l’espérance – l’espérance au-delà de l’espoir. Seul mon état de santé (excuse vaine) explique mon immobilité, mais des amis me relaient.

50Il y a en vous une grande force à la mesure de ce qu’est pour tous – mais surtout pour quelques-uns – la vie. Ecrivez-moi chaque fois que vous en aurez le désir.

51à vous, à tous les vôtres, je dis ma pensée d’affection.

52Maurice Blanchot

[27/12/77] L9

5325 décembre

54Très cher ami,

55Merci infiniment pour vos deux lettres (dont la belle carte) et l’expression de vos sentiments d’amitié et de fidélité que je partage entièrement. Mes vœux vont vers vous. Vous savez quels ils sont. Je voudrais vous les formuler mieux, si en ce moment une grande angoisse ne m’étreignait : un frère qui m’est très proche doit être opéré dans des conditions critiques. Vous connaissez ce qu’il en est de la souffrance : elle n’est pas égoïste, elle est toujours celle d’Autrui, celle de tous. C’est pourquoi je la confie à votre discrétion et à votre amitié. Les mots s’arrêtent, disant trop, ne disant pas assez.

56A vous, à votre femme, à tous les vôtres, ce qu’il m’est permis de souhaiter, s’adresse sans cesse.

57Fraternellement à vous

58Maurice Blanchot

[21/03/78] L10

59Le 20 mars

60Cher ami,

61Je reçois une lettre datée d’un mois environ. Elle me rassure cependant, même si, à juste titre, vous pensez que nous nous rassurons à bon compte. Peut-être avez-vous su que la plus grande douleur m’avait été donnée (la mort d’un frère qui m’était le plus proche) [2], et cette douleur m’a voué au silence, sans me faire oublier mes amis, et, par conséquent, vous-même d’abord. Une amie vous avait écrit à ma place pour que vous ne croyiez pas que je vous oubliais. Non, je ne vous oublie pas, quoiqu’il me soit difficile de continuer de vivre.

62Vous savez sans doute que Georges Bataille et moi avons été liés durant les 20 dernières années de sa vie par une amitié intellectuelle et humaine jamais interrompue. Il a été peut-être le seul à qui j’aie pu parler et qui a pu me parler. Depuis sa mort, une renommée fallacieuse s’est emparée de lui, caricaturant sa pensée profonde, inquiète, anxieuse et sans espérance. Ce que vous dites du « visage » me fait penser que la lecture d’Emmanuel Levinas, mon ami depuis mon adolescence et, certainement, l’un des plus profonds philosophes de ce temps, confirmerait en profondeur vos réflexions.

63Je suis et resterai de cœur avec vous.

64Maurice Blanchot

[06/06/78] L11

652 Juin 1978

66Très cher ami,

67J’ai bien reçu vos dernières lettres, particulièrement celles du 8 et du 18 mai. Sachez qu’à moi vous pouvez tout dire. C’est là le don et le bonheur de la poésie. Par elle, toute notre intimité s’exprime ; toute notre amitié, agissante, inagissante, reste en éveil et nous rend si proches l’un de l’autre dans la douleur et dans l’élan que rien ne peut, ne doit altérer la confiance que nous nous portons. Et, croyez-le bien, je ne suis pas seul à éprouver ces sentiments : ils sont partagés par l’ensemble des écrivains français – la voix extrême, la lumière. Je suis sûr que vous avez compris que s’il m’arrive de m’exprimer d’une manière emphatique, c’est que ce que je dis ne s’adresse pas seulement à vous, mais à ces lecteurs secrets qui surgissent de la nuit et y retournent.

68J’espère pouvoir vous écrire à nouveau d’une manière plus déterminée. Mais je ne veux pas attendre. Transmettez à votre chère femme mes pensées les plus cordiales, et, quant à nous, restons fidèlement unis dans l’affection.

69Maurice Blanchot

70Monique Antelme vous a écrit plusieurs fois et pense à vous utilement [3].

L12

71Septembre 78

72Très cher Vadim,

73Ce n’est qu’un mot pour vous dire quelle joie j’ai éprouvée à tenir entre mes mains votre livre et combien il est triste pour moi de ne pas pouvoir m’en approcher directement [4]. La traduction, même fragmentaire, va poser des problèmes, mais nous allons essayer de nous en occuper après ce mois d’août où la solitude habituelle se double d’une absence saisonnière qui creuse le vide.

74Je crois que j’ai reçu vos lettres : avec bonheur, avec tourment. Monique vous a fait un premier envoi de livres : il faudra nous dire s’il vous parvient – d’autres alors suivront.

75J’ai été en rapport avec Georges N. [5]

76J’ai lu un livre qui m’a permis de vivre en quelque sorte avec Irène, que je voudrais pouvoir appeler Ira : il hante mes nuits, ce livre ou plutôt ce que je lis au travers [6]. Combien j’aimerais pouvoir vous exprimer à tous deux mon affection fraternelle, l’élan du cœur et de l’esprit.

77Je vous embrasse, chers amis proches

78Maurice Blanchot

[02/10/78] L13

79le 30 septembre 78

80Très cher ami,

81Je loue la poste soviétique grâce à laquelle vos lettres me parviennent rapidement (4 à 5 jours). Je crois avoir tout reçu, récapitulation, extrait, et le meilleur : l’expression de l’amitié. Je ne suis pas aussi content de la poste française qui est lente, surtout lorsque les bonnes volontés s’emploient.

82Votre dernière lettre est amère à l’égard de mes compatriotes. Mais pensez que je n’ai pas d’autres compatriotes que les écrivains, poètes, artistes de tous pays – et il y en a peu.

83Pensez aussi que les conseils sans doute maladroits qu’ils vous donnent (je ne les connais pas), ne sont pas destinés à vous décourager, mais à dire ce qui est aujourd’hui. Ce que nous savons par le philosophe-écrivain et surtout par le peintre, est un test qu’on ne peut négliger.

84Je répète ce que je vous ai écrit : que j’ai été en relation avec Georges, que j’ai appris à connaître Irina par un livre et combien j’admire son courage, son sens aigu de la réalité, son merveilleux humour. Avec elle, vous n’êtes pas seul : ne l’oubliez jamais. Mais ce pauvre Boris [7]

85Nous nous occupons de la traduction. C’est très difficile. Il y a des traducteurs russes qui ne comprennent rien à la poésie ; il y a des traducteurs-poètes qui savent trop mal le russe. Vous comprenez cela. La patience dans l’impatience est votre destin. Monique, cette admirable amie, essaie de trouver une solution.

86L’amitié est rare, vous le savez. Avec René Char, je n’échange de loin en loin que quelques signes, mais nous sommes sûrs de rester unis, par la difficulté de vivre aussi. Ainsi avec vous.

87Cher Vadim, demeurez sûr et confiant : ce n’est pas un conseil, c’est l’appel de l’affection. Répondez-y.

88À vous, à votre chère femme, avec toutes mes meilleures pensées ferventes

89Maurice Blanchot

90Reçu à l’instant lettres des 16 septembre et 25 septembre. Monique a eu aussi votre mot. Vous ai écrit, après réception du livre et les extraits, au début de septembre, par Jacques. Profonde amitié à tous deux.

[11/01/79] L 14

91le 31 décembre 1978

92A vous, chère Irène, cher Vadim, en ces jours qui pourtant ne signifient rien pour nous, mes pensées de fidélité et d’affection – par-delà le temps.

93Maurice Blanchot

94Je crois avoir bien reçu vos lettres, mais les soucis, la fatigue ont suspendu la réponse. Pardonnez-moi.

L15

95Juin 79

96Très cher ami,

97Je pense à vous de tout cœur. Nous avons su ce qui est arrivé, et notre esprit était bouleversé. Puis nous avons eu quelques nouvelles. Croyez que l’amitié ne faiblit pas. Mais je ne puis pas cacher que la solitude me recouvre, celle qui vient du corps, celle qui vient de la pensée. Néanmoins (ou à cause de cela même), je suis aussi près de vous que peut l’être un homme lointain, proche par une communauté invisible.

98Mes vœux les plus fidèles vous accompagnent. Je vous embrasse, et je dis à Ira toute ma confiance, toute mon affection.

99Maurice

100Monique va vous écrire

[22/05/80] L16

101Bien cher ami,

102Non, je ne vous oublie pas. Je pense à vous chaque jour, en admettant qu’il y ait encore des jours, là où je suis, A vous, avec amitié, fidélité, reconnaissance. Je voudrais seulement ici vous dire ma gratitude pour les pages que vous avez écrites sur le grand écrivain, mort il y a vingt ans [8]. Puissiez-vous sentir comme je suis auprès de vous. Pour vous et Ira, mon affection.

103Maurice

104Je ne sais rien de René Char, mais j’imagine qu’il se tient fièrement debout.

[II. Vadim Kozovoï en France]

[11/12/81] L17

105Le 10 décembre

106Très cher Vadim,

107Depuis longtemps, je voulais vous dire mon amitié (on ne le dit jamais assez, dans le sillage du silence qui convient) et vous remercier de votre lettre et de l’effort de clarification que vous avez bien voulu faire pour moi.

108Mais ce qui se passe là-bas est tel que tout semble toujours remis en cause. Même maintenant où l’on prétend que l’on a promis un visa pour Ira, je garde des doutes sur la décision et sur la date où elle sera réellement appliquée. En tout cas, toutes ces péripéties sont typiques. Ce qui est promis n’est jamais sûr et, peut-être, ce qui est refusé n’est-il pas sûr non plus. Il faut donc persévérer, coûte que coûte, mais il y a des instants où cela coûte beaucoup.

109Ecrivez-moi dès que vous en aurez la force. Vous savez combien nous sommes liés, de ce lien invisible que rien ne peut rompre et surtout pas le malheur qui pourtant isole.

110De tout cœur, je vous embrasse.

111Maurice.

112Oui, il semble que cela soit fait. On le savait dans les hautes sphères depuis une huitaine de jours – mais alors pourquoi ces sinistres facéties du KGB ? Et la Pologne ?

[21/2/81] L18

113Le 21-2-81

114Cher Vadim,

115C’est moi qui vous remercie pour votre amitié, pour la compréhension de votre amitié qui accepte tout, même le plus difficile. Vous avez sûrement saisi, par la discrétion qui vous est propre, que l’imminence du désastre me tient à distance de ce monde (du cosmos même) afin d’en être plus proche, de même que nous ne pouvons aborder autrui qu’en l’évoquant comme le plus lointain dont seul le respect de l’éloignement peut sauvegarder, au risque de la perte, l’infinie proximité.

116Rappelez-vous ce que disait Kafka : « Ah, comme je voudrais pouvoir bavarder. » Mais il ne le pouvait pas, et je ne le peux pas. Cela ressenti comme une défaillance essentielle qui nous prive de la quotidienneté des rapports humains.

117Vous serez déçu par ce pays qui a d’une certaine manière disparu et qui n’est pas digne de sa disparition, sauf par quelques livres, l’espace de l’art et le souvenir de certains lieux qui demeurent.

118Je pense avec tristesse à Ira et à André, restés seuls là-bas. Je pense aussi à Boris dont l’avenir est peut-être incertain.

119Et puis je pense à vous.

120Fidèlement,

121M. B.

122Ne serait-il pas important que vous teniez une sorte de journal, de mémento, analogue à l’Italienische Reise de Goethe – sans aucune complaisance bien sûr ?

123Mon salut à Stéphane Tatischeff [9] et à G[eorges] Nivat qui était, je crois, à Paris ces jours-ci.

[13/3/81] L19

124Cher, cher Vadim

125Je pense à vous constamment avec la plus fidèle amitié. Vous le savez. Si je vous le dis, c’est moins pour vous le dire que pour conjurer le silence et ne pas le laisser glisser hors de l’affection.

126A vous de tout cœur.

127Maurice B.

128Comme il est triste de ne pas pouvoir lire vos poèmes dans la langue qui leur appartient. Vous, vous me lisez. Moi, je ne puis vous lire. Quelle cruelle distance.

[4/04/81] L20

129Le 3 avril 81

130Cher Vadim,

131Je viens de recevoir du président du Centre National des Lettres une réponse à ma lettre (où d’ailleurs je parlais de vous comme d’un poète russe et non « soviétique »).

132Faisons abstraction des réserves bureaucratiques. La réponse est positive dans sa dernière partie qui désigne le cadre où une démarche pourrait être faite et surtout en vous proposant un entretien avec Jacques Charpillon (que je ne connais malheureusement pas personnellement).

133Je pense que c’est après l’avoir vu que vous seriez à même de remplir la 4e page de la notice individuelle qui vous vise particulièrement. Naturellement, une recomandation de Julien Green auprès de Charpillon aiderait beaucoup, dans la mesure où il est académicien et bénéficie d’une notoriété internationale.

134Je voudrais vous dire combien je suis désolé de n’avoir pu retrouver votre texte sur Pasternak. J’ai bien sûr gardé toutes vos lettres, mais c’est précisément celle-ci qui échappe, peut-être parce que je l’ai mise à part. Je suis responsable de mon désordre dont les effets sont malheureux, mais qui est aussi, en profondeur, une exigence qui me perdra.

135Il y a la question de la publication de vos poèmes. C’est le plus important et le plus difficile. Il faut y songer.

136A vous, cher Vadim, de tout cœur,

137Maurice Blanchot

138Voici un poème que vous m’avez dédié, transmis par Georges Nivat. Pourrait-il être traduit, au moins pour moi ?

[7/04/81] L21

139Le 6 avril 1981

140Cher Vadim,

141Ressource incompréhensible (dépassant la simple compréhension) de la poésie, votre texte sur Pasternak me vient de lui-même en quelque sorte sous les yeux ; il était là, tout près, alors que je le cherchais au loin. J’y joins les fragments en russe qui l’accompagnaient. Il me revient en mémoire la réflexion provocatrice qu’on lui attribuait : « je n’aime pas la poésie en général » ou « je ne supporte pas les vers ». De même, Georges Bataille : Haine de la poésie. Mais c’est parce qu’elle est insupportable, parce que nous ne la supportons pas, hors de tout acquiescement et de toute facile admiration, qu’elle nous appelle jusque dans le silence qui lui appartient, qu’elle nous contraint à entendre l’inentendu auquel il faut répondre comme question toujours dérobée.

142Pardonnez-moi, bien que j’aie écrit « ne pardonnons pas, ne pardonne qu’à l’innocence ».

143Je suis de tout cœur avec vous.

144Maurice Blanchot.

[24/04/81] L22

145Cher Vadim,

146Je trouve votre texte très beau. Et vous avez donné à la langue française une densité poétique qui vient du fond de vous-même, sans jamais excéder les ressources d’un langage qui est vôtre de part en part. Avez-vous besoin de cette copie ? J’aimerais la regarder encore.

147Comme vous, je prends tout au sérieux (et Michaux aussi, j’en suis sûr) ; c’est pourquoi tout est si difficile.

148Pour le Centre National des Lettres, il est sûrement nécessaire que vous appeliez ce M. Charpillon et que vous le rencontriez. Autrement, il ne se passera rien. C’est la bureaucratie française qui n’est certes pas aussi dangereuse que celle que vous connaissez, mais dont le formalisme juridique ne facilite pas les choses.

149Vous avez été « matraqué par le malheur », comme vous l’écrivez dans votre texte. Mais ce qui est admirable en vous, c’est que vous réussissiez à maintenir dans le découragement inévitable, propre à la vie, propre à votre cri, une forme de courage que rien ne saurait atteindre. La difficulté, c’est que, ici, l’ennemi – les forces hostiles à l’exigence poétique – est moins visible, bienveillant parfois et tel qu’on ne saurait le combattre en face, mais déjà à nos côtés et combattant avec nous.

150Je suis très préoccupé par Boris. Lui aussi porte la marque d’un malheur immérité. Comment remédier à cela ?

151Pensez-vous qu’Ira pourra venir ? Ce serait si bien ; il me semble qu’elle a un jugement si juste pour les choses de la vie. Elle seule a compris que Pasternak ne devait pas signer cette lettre par laquelle il se reconnaissait coupable d’une faute dont il était innocent [10].

152Dites-le moi très simplement. Avez-vous besoin d’argent ? Ce serait un bonheur pour moi que de vous aider un peu,

153Je vous embrasse.

154Maurice.

[04/05/81 (?)] L23

155Le 4 mai

156Très cher Vadim,

157Quel poème ou quels poèmes choisiriez-vous pour qu’ils soient entendus à la radio, en fin de mon texte (que je vous soumettrai, bien sûr) et si le projet réussit. Il faudrait qu’il résonne puissamment dans une harmonie dissonante, vocalement accessible, et capable d’émouvoir cœur et esprit. Interrogez-vous et, si vous avez des doutes, Dupin, Deguy.

158De tout cœur votre ami

159M.

[20/05/81] L24

160Très cher Vadim,

161Je vous écris hâtivement et brièvement, parce que je n’ai pas beaucoup de forces. Je comprends que tout ce que l’on vous dit de Boris vous paraisse insuffisant et irritant. Qu’est-ce qu’un diagnostic, sinon, pour celui qui l’émet, une manière de se dégager de l’incertitude qui autrement l’accablerait ? C’est en aidant celui qui a besoin d’aide qu’on peut le mieux savoir à quel niveau se situe l’anomalie (anomalie, quel mot, comme si nous n’étions pas, nous autres, en dehors de la norme). Puis-je vous demander si Boris parle, entend un peu le français ? Il me semble que vous m’avez dit jadis que vous essayiez de le lui apprendre. L’étrangeté d’un milieu étranger peut lui être très préjudiciable. Qui ne s’y perdrait, surtout s’il subit plus qu’il n’agit. La passivité est un refuge, elle est aussi un don.

162Il est très difficile pour Ira de se rendre compte de la situation. Le grave problème, c’est André [11]. Ah, comme je comprends vos soucis, comme je les partage.

163Jacques Dupin est quelqu’un que j’aime et que j’apprécie beaucoup.

164Plus tard, davantage. Tenez-moi au courant.

165De tout cœur, je vous embrasse.

166Maurice.

[19/06/81] L25

16718 juin 1981

168Très cher Vadim,

169Ce qu’il y a de bouleversant dans la poésie, dans votre poésie, c’est qu’elle atteint des zones inconnues par des voies étrangères. La difficulté d’une traduction, c’est qu’il ne faut pas que le lecteur attribue cette étrangeté à la seule étrangeté d’une langue différente, d’autant plus que le français s’effarouche facilement ou bien s’apaise en invoquant les références devenues habituelles du « dadaïsme » ou du « surréalisme » – ce qui est une grande sottise. Votre poésie est unique. Ou plutôt chacun de vos poèmes. Peut-être n’existez-vous presque pas en dehors du poème. C’est ce qui vous rend la vie si malaisée, si solitaire, même s’il y a en vous une merveilleuse possibilité de partager la vie avec tous.

170Oui, Ira. Pour Boris, pour vous, mais aussi pour elle. Qu’elle en vienne à connaître un autre monde.

171Ici, il y a eu la joie et il y a l’angoisse, à cause des difficultés de toutes sortes.

172Je vous remercie pour ce que vous m’avez donné (vous le sentez, n’est-ce pas ?)

173Et je vous embrasse de tout cœur.

174M.

[08/07/81] L26

175Le 4 juillet 1981

176Très cher Vadim,

177Le Président du Centre National des Lettres vient de m’écrire pour m’informer que vous alliez recevoir une somme de 10 000 Fr. Dites-moi bien toujours si vous avez des difficultés matérielles – c’est ce qu’il y a de plus facile à dire. Les autres sont toujours telles qu’on ne saurait les exprimer ni les passer sous silence sans malentendus, même entre amis les plus proches.

178Avez-vous des nouvelles d’Ira ? Y a-t-il une chance pour qu’elle puisse venir ? Comment se passent les jours et les nuits pour vous, questions qui ne portent que mon plus intime souci ?

179Je pense à vous (vous le savez) et je vous embrasse de tout cœur.

180Maurice

[20/07/81] L27

181Très cher Vadim,

182Comme je partage votre angoisse. Comme je me sens proche de vous qui me parlez dans un mouvement d’amitié sans réserve. Cela, je voulais vous le dire tout de suite. Je contribuerai à l’impression de vos poèmes en russe, c’est la moindre chose ; mais où les feriez-vous éditer ?

183Pour les autres questions, je vous écrirai dès que j’en aurai la force. D’une certaine façon il est facile de répondre, de l’autre impossible.

184Je vous embrasse de tout cœur,

185M. B.

[22/07/81] L28

186Très cher Vadim,

187Que puis-je dire de vos textes ? Des impressions de sensibilité, des pressentiments insuffisants « La poésie ne se laisse pas saisir » dit René Char. Cependant je me sens en accord avec « de craie et d’ardoise », qui me parle intimement, plutôt qu’avec le conte dont la naïveté savante me déconcerte. Mais qui ne connaît pas la langue russe ne connaît que très peu votre création. Manquent surtout le ton et le rythme. Mais quand on lit : « Poésie : le plus court chemin entre deux points de douleur » [12], on ne peut qu’être bouleversé.

188L’anthologie de René Char est belle parce que c’est la voix de René Char, la plupart du temps, qu’on entend [13]. Avez-vous lu ses réflexions parues dans « Le

189Débat » [14] ? C’est très beau, n’est-ce pas, mais qui parle alors ?

190Jamais je n’aurais parlé de Hölderlin, si je ne l’avais lu dans sa langue – de même, Kakfa.

191Donnez-moi des nouvelles, si vous en avez. Nous sommes seuls, c’est inévitable, et pourtant proches de tous.

192De tout cœur, je vous embrasse.

193M. B.

194Avez-vous besoin de vos textes ? Dites-le moi.

[25/07/81] L29

195Bien cher Vadim,

196Nos lettres se croisent. Bien sûr, j’accepte de faire partie de ce comité de « garants » – mais des noms plus illustres ne pourraient-ils pas y figurer aussi ? Pour l’introduction, vous avez compris que je ne me sens pas autorisé à l’écrire – d’abord parce qu’il m’est de plus en plus difficile de rompre le silence, ensuite je suis un novice par rapport à votre œuvre dont la traduction ne suffit pas à me tenir proche ou à la garder dans son étrangeté souveraine que je pressens seulement. D’ailleurs, introduction à quoi ? à l’édition russe ? à une traduction en français ?

197Avez-vous des nouvelles de votre père ? d’Ira qui sait sûrement ?

198Je pense à vous, pensant à la parole de Hölderlin, toujours mal comprise : wozu Dichter zur dürftigen zeit ?

199Pour tous, le temps de la détresse.

200Maurice.

[08/08/81] L30

201Le 7 août.

202Mais, très cher Vadim, s’il n’y avait pas de malentendus, il n’y aurait pas entente ; cela est vrai à tous les niveaux de la vie et de la parole. Kafka écrivait dans son journal : « Brod ne me comprend en rien » ; et pourtant c’était son plus proche ami. L’amitié est au-delà de la compréhension ; de là pour certains, la réserve, la distance et la fidélité à toute épreuve. A moi, vous pouvez tout dire, sans précaution, sans craindre de me blesser, non pas que je sois invulnérable, mais le « je » n’est pas très important pour « moi », et je suis souvent si proche de franchir – il me semble que je l’ai déjà franchie et il m’est difficile, peut-être impossible de revenir vers la quotidienneté – la limite que le rapport avec l’infinité du « pour l’autre », comme le dit E[mmanuel] L[evinas], m’est donné à chaque instant qu’il me reste – don immérité, don qui efface le partage du vivre et du mourir.

203Voilà que je vous ai parlé de moi.

204Pour la traduction de vos poèmes, rappelez-vous comme Schiller et Goethe se seraient moqués de la manière dont Hölderlin essayait de traduire Sophocle, rapprochant les deux langues au point de tension le plus extrême. C’est peut-être vos poèmes les plus intraduisibles qu’il faut tenter de traduire, malmenant pour cela la langue française qui vous appartient plus qu’à beaucoup d’écrivains français.

205Saluons le temps qui nous a permis de nous rencontrer et ayons confiance dans l’avenir qui nous manque.

206De tout cœur, je vous embrasse

207M.

[27/08/81] L31

208Le 27.8.81

209Très cher Vadim,

210Je suis tout de même heureux que vous ayez à nouveau un point d’attache grâce à cet ami exquis qu’est Jacques Dupin et grâce aussi à Paule Thevenin dont je connais le dévouement qu’elle a su montrer à l’égard d’Artaud et de son œuvre.

211Oui, c’est tout à fait vrai : nous ne connaissons pas la poésie russe, si diverse, si proche et si inaccessible. Comment la rapprocher de nous ? Vous le pourriez !

212Mais je vous écris seulement pour vous demander de me donner votre nouvelle adresse et vous dire combien je pense à vous. De tout cœur, je vous embrasse,

213M.

214Comment se fait-il que des Japonais « comprennent » beaucoup mieux Mallarmé que la plupart des Français ? Il est vrai que leur curiosité et même leur avidité littéraire est grande : c’est le seul pays où toute mon œuvre a été traduite – (entendue ? ça je ne le sais pas).

[18/09/81] L32

215Très cher Vadim,

216Je voulais vous écrire plus tôt, empêché par des ennuis de santé. Comme vous avez dû être angoissé par cette disparition de Boris. Moi-même, j’étais par avance inquiet, Paule Thévenin m’ayant écrit (le sachant par Pierre) que Boris avait acquis une certaine autonomie et pouvait aller et venir seul. Je me disais : « Mais on se perd dans Paris, moi-même, je m’y suis perdu, même dans mon quartier. » Avez-vous l’impression qu’il a été traumatisé par cette longue absence ? Porte-t-il son adresse sur lui ? Ce que vous disiez de lui dans la précédente lettre, m’a ému extrêmement. D’une certaine façon, il porte sur son visage notre vérité à tous, même s’il ne le sait pas (mais est-ce que nous le savons nous-mêmes ? Rarement, sinon nous ne vivrions pas).

217Le refus, opposé à Ira, est une déplorable nouvelle – pas tout à fait inattendue cependant. Pour moi, le fait que vous ayez reçu l’autorisation de venir avec Boris, m’a toujours paru un véritable miracle, étant donné le système, miracle dû aussi à votre obstination et à votre connaissance des failles dans ce monde clos. Et que peut-on faire d’ici ? Vous savez que les dirigeants de là-bas détestent Mitterrand, sachant qu’ils n’ont pas de plus ferme adversaire – avec cela, Daniel Vernet a quitté Moscou [15]. Quelle impression a rapportée Ania Chevallier [16] ? Et puis, c’est ou ce sera la guerre ouverte avec la Pologne si admirable dans son imprudence même – assurément, peut-être bientôt, la guerre tout court [17].

218Je voulais vous parler de ce que vous m’avez dit d’une manière si bouleversante sur « l’expérience d’un monde glacial », car cela concerne chacun de nous, cela nous met en présence d’une vérité que je connais au moins depuis 1940. Je remets seulement mes pensées à un peu plus tard.

219A bientôt, très cher Vadim, je vous embrasse avec toute mon affection. Maurice.

220J’aurais aimé savoir ce que vous pensiez de Alex[andre] Zinoviev [18]. Je ne sais pourquoi, je me sens réticent.

[11/09/81] L33

221Très cher Vadim,

222Un mot seulement.

223Je vois mieux quelle a été la direction de votre tentative en 1956-57 et combien elle nous était proche (déjà) [19]. Je n’ai jamais osé vous interroger (cela aurait trop risqué de ressembler à une inquisition), mais c’était pour moi une pensée lancinante.

224Le sort de la Pologne (et dans un sens le sort de tous) se joue maintenant et, depuis un an, se joue toujours maintenant. Il ne faut pas se leurrer : ou bien solidarité risque d’être récupérée ou bien, s’accomplissant jusqu’au bout, elle sera mise « hors légalité » par le pouvoir politique qui est faible, ou se heurtera à l’intervention militaire qui est faible aussi, mais cependant à la longue l’emportera. Walesa et les dirigeants du KOR savent tout cela. Leur principale préoccupation est de durer sans compromission et sans provocation.

225Durer est ce qu’il y a de plus important et de plus difficile. Durer, quand il s’agit de maintenir une enclave de liberté dans un monde de servitude, c’est changer le temps. Vous avez connu cela. J’ai connu cela. Je n’en suis pas sorti intact, ni nous non plus sûrement.

226Je vous embrasse, très cher Vadim,

227Maurice

[28/09/81] L34

228Le 27 sept 1981

229Très cher Vadim,

230Vous dire ma peine pour tous les malheurs qui vous accablent ? Vous le savez, vous ne le savez peut-être pas – j’en perds parfois le sommeil. C’est ma proximité solitaire avec vous.

231Mais cela ne suffit pas à vous aider. Au fond, et c’est peut-être absurde de le dire, je ne discerne toujours pas très bien quelle était la finalité essentielle de votre tentative si obstinée de sortir de la R[ussie], en dehors du souci de l’amitié, de l’espoir pour Boris, de l’exigence d’affirmer votre liberté envers et contre tout. Il me semble qu’il y a quelque chose qui m’échappe (à vous peut-être aussi).

232Ne m’en veuillez pas si j’alerte votre vigilance pour que, lors des entretiens téléphoniques (surveillés, évidemment) avec Ira, vous mainteniez une certaine prudence. Je sais que c’est la vie clandestine ; elle oblige à éviter les défis inutiles. Il y a un dossier contre vous dans ce pays dont vous connaissez les failles, mais aussi les rigueurs imprévisibles. Il est le vôtre par la langue, par la communauté du malheur, par l’impossibilité même d’y vivre. Ne faites rien qui vous interdise tout retour ou vous jette par ce retour dans la masse meurtrière – vous et les vôtres.

233Pour Boris, en dehors de ce traitement qui ne va pas au fond du mal, j’ai pensé à Françoise Dolto. Vous a-t-on parlé d’elle ?

234J’ai été rassuré par ce que vous me dites de Zinov[iev].

235Très cher Vadim, ce ne sont que quelques mots. Je pense à vous de tout cœur, je vous embrasse.

236Maurice.

[21/10/81] L35

237Le 16 octobre 1981

238Très cher Vadim,

239J’ai reçu votre carte d’Antibes et elle me trouble. Si je vous pose des questions, ce n’est pas nécessairement pour que vous y répondiez, mais parce qu’elles sont en moi et que c’est l’amitié qui me conduit à interroger, à exprimer ces interrogation, bien qu’elles vous dépassent peut-être. Je les résume donc à nouveau :

  1. Si vous rentrez en Russie à l’expiration du visa, donc dans des conditions régulières, aurez-vous cependant à craindre quelque chose ? Demeurer un an en France, dans l’Occident, est par soi-même coupable. On vous le demandera (peut-être) : qu’avez-vous fait ? Vous avez eu tel ou tel contact. Vous avez publié un livre dans une maison d’édition dissidente, etc.
  2. Si, sans prolongation du visa, vous restez en France, cela ne signifie-t-il pas que vous renoncez à jamais à la Russie (à tout ce qu’elle représente) et à Ira (pensée difficilement supportable) et à André ? Ou bien, si vous réussissez à rentrer, ne serez-vous pas immédiatement poursuivi, condamné à ce qu’il y a de pire ? Le courage ne suffit pas. Certes, il témoigne de la dignité, mais tout votre avenir d’écrivain et de poète sera anéanti. Naturellement, il se peut que l’on n’ose pas sévir contre vous d’une manière décisive. Nous sommes là dans l’incertitude, et il n’y a pas de réponse.
  3. Boris. J’ose à peine parler de lui, parce qu’il est pour moi « l’être souffrant ». Quand il repousse les consolations et vous dit : « Je ne suis pas ton pauvre petit », il montre qu’il reste en lui un noyau d’humanité supérieure. Mais que vaut le traitement actuel ? Monique me dit que vous ne vous faites aucune illusion. J’ai toujours pensé que le séparer d’Ira et de son environnement était très dangereux. Actuellement, je soupçonne qu’il y a plutôt régression. Mais s’il y a régression, il peut y avoir un jour progression, mais à condition qu’on trouve un traitement approprié – l’équivalent de Bettelheim. Est-ce qu’il parle de sa mère ? Est-ce que son image disparaît dans une indifférence qui le protège ? Qui peut ici répondre pour lui ?
  4. Ira. Voilà une question que je me hasarde à poser. Ne pouvant venir ici, est-ce qu’elle ne souhaite pas que vous reveniez, que vous ne coupiez pas les ponts ? Il faut aussi penser qu’elle est peut-être fatiguée de lutter. Je le dis ; le disant, j’ignore tout. Mais la vie n’est-elle pas très difficile pour elle ?
  5. Vos livres seront publiés – au moins le premier. Deguy me l’affirme [20].
  6. Mitterrand. Vous connaissez la situation. Il est certain que s’il demande à Brej[nev] la prolongation d’un visa, il lui sera politiquement redevable de quelque chose, et Brej[nev] lui demandera en retour quelque chose de plus important. Quand on a un général espion (Zorn) à échanger contre Sakharov, les négociations – horrible marchandage – peuvent être envisagées [21]. Mais autrement… J’ajoute que cela est mon sentiment personnel. Il me semble que Jacques Dupont n’a pas tenu compte de ce facteur politique essentiel.

240Je voudrais que vous sentiez que mes paroles, dans leur franchise excessive, expriment le tourment de mes pensées qui sont celles de ma profonde affection pour vous et de mon souci de voir clair dans la nuit qui nous environne.

241De tout cœur, je vous embrasse, cher, cher Vadim,

242Maurice.

Lettre 218 [29/12/81] L36

243Le 28 décembre 1981

244Cher ami Vadim, je pourrais dire que nous sommes malades, non seulement moralement, mais physiquement de la Pologne avec qui nous lie une amitié séculaire [22]. Son malheur est notre malheur. Mais le dire est déjà indécent. Car nous ne sommes ni opprimés, ni enfermés, ni directement menacés de mort. Les mots sont particulièrement vains, même s’ils expriment une solidarité qui, ne traversant pas les frontières, ne se fait guère entendre.

245Je ne reviens pas sur ce que vous avez écrit dans l’amertume et le désespoir. Vous êtes mon ami et vous le resterez, à qui l’on pardonnerait tout, si pardonner, ce n’était déjà accuser. Ira (autant que j’en puisse juger) est dans une détresse qui l’ouvre à une vérité peut-être partielle, mais évidente. Est-ce que vous vous êtes rendu compte que les relations entre le gouvernement français et le Kremlin sont tendues au possible, que l’échange entre l’ambassadeur de France à Moscou et le vice-ministre soviétique a été quasiment un échange (diplomatique) d’injures. Ce vice-ministre a osé dire que depuis toujours (depuis Pierre le « Grand ») la Pologne appartenait à la Russie – « Oui, vous l’avez opprimée depuis toujours, et nous, nous avons tenté depuis toujours de la libérer – C’est fini, ça, maintenant nous verrons ». Fin de l’entretien.

246Je crois qu’Ira est menacée et que, quoi que vous fassiez, vous êtes menacé. Boris, privé de sa mère et comprenant très bien qu’il pèse sur vous, s’enfonce dans son obscurité.

247La Pologne se soulèvera toujours, même si elle devient, comme le veulent les dirigeants du Kremlin, « une République soviétique ». Mais les Russes, quand se soulèveront-ils ? Pourquoi éprouvent-ils une sorte de Schadenfreude ; quant aux malheurs de ces Polonais toujours rebelles et qui avaient l’audace de ne pas se contenter du droit de grève, mais de vouloir l’appliquer ?

248Il est bien évident que le KGB, en vous octroyant un visa, pensait obtenir quelque chose. Vous avez tenu bon. Mais vous savez bien que le KGB ne lâche jamais sa proie. Ira est maintenant son otage. C’est cela qui m’effraie et me rend malheureux par-dessus tout.

249Je vous embrasse de tout cœur, Maurice.

250Un interlocuteur ? Peut-être Dionys Mascolo qui est l’ami de Monique, de Robert, et le mien.

[07/01/82] L37

251Le 5 Janvier 1982

252Cher Vadim,

253Je reçois votre dernière lettre, elle me laisse incertain. Ce qui est arrivé à Jacques Derrida (un de mes vrais amis) devrait montrer, vous montrer que les gens de l’Est veulent la rupture et qu’ils peuvent se servir des ruses les plus stupides pour marquer leurs intentions [23]. Naturellement, les autorités françaises (que vous jugez d’une manière qui me semble injuste et injustifiée – mais c’est votre droit), ont pu rapidement intervenir. Cependant, le message a été délivré.

254Une chose pour moi très obscure (parce que je ne sais pas tout), ce sont vos relations avec les autorités policières soviétiques. Vous prétendez qu’il y a des règles, mais elles peuvent toujours être tournées. Vous pensez que la haute autorité du KGB redouterait un scandale. Mais les scandales sont précisément fabriqués par les services politiques. Il a un moment où il n’y a plus de règles du jeu. Quand Dubcek [24] est venu naïvement à une réunion dite confraternelle, il a été immédiatement arrêté. Comme l’on dit, il faut une grande cuillère pour souper avec le diable. Etes-vous sûr de n’avoir pas mis la main dans l’engrenage et de ne pas ressentir une pénible impression de devoir « marchander » (c’est votre expression) avec des gens aussi méprisables ?

255Non, il ne s’agit pas de juger le peuple russe, accablé lui aussi de tant de malheurs. Et vous avez raison de dire qu’il ne faut pas céder à des jugements hâtifs et agressifs. Cela est vrai pour moi. Cela est vrai pour vous. Mais il faut bien dire que tout au long de son histoire, le peuple russe a été admirable par sa culture (sa poésie), même aujourd’hui, et détestable par ses régimes politiques. Car il faut être en danger pour accéder à la littérature, à la poésie, danger mortel, danger que la mort, toujours déjà là, nous assigne.

256Je vous embrasse de tout cœur, très cher Vadim,

257Maurice

258Les Feuillets d’Hypnos, cela est resté dans mon souvenir, très beau.

[12/01/82] L38

25912-1-82

260Char ami Vadim, Je suis peiné de vous avoir peiné (c’est peu dire). Je crois que je vous comprends aussi mal que vous me comprenez – malentendu inévitable ; que le malentendu ne devienne pas mésentente.

261Je pense aussi (et depuis toujours) que votre souci de rester là-bas auprès des vôtres et dans le pays malheureux qui ajoute à son malheur propre celui de faire le malheur d’autres pays est ce qu’il y a de meilleur. C’est là la vérité. C’est le mouvement généreux et juste.

262Quand je parle de Dubcek, ce n’est pas déshonorant. Quand je parle de Derrida, ce n’est pas déshonorant. Et qu’est-ce que je veux dire ? Cela simplement : que ce qui est arrivé à Derrida, peut parfaitement arriver à Ira, le jour où l’on jugera votre pression importune. Ce n’est qu’une possibilité, mais elle est effrayante. Si Ira, la courageuse, a peur, ce n’est pas sans raison.

263Vous me permettrez d’oublier tout le reste. Je ne suis pas susceptible. Il est bien qu’un ami me donne des leçons. Seulement chacun suit son chemin, de même que chaque écrivain a son éthique propre.

264Lorsqu’un ami marche sur une corde raide au-dessus de l’abîme, on peut rester silencieux, mais on peut aussi pousser un cri. Ce cri dérange. C’est pourtant celui de l’amitié.

265À vous, de tout cœur,

266M.

[08/02/82] L39

2676-2-82

268Très cher Vadim,

269Enfin le visa. Il faut se réjouir, quoi qu’il en soit. Si les problèmes, hélas, demeurent, c’est une pause – les démons s’éloignent un peu. Oui, j’écrirai à Ira. Et à vous, plus longuement. Mais je suis en ce moment accablé de travail, du moins en considération de mes forces.

270Je vous embrasse de tout cœur.

271Maurice

[19/02/82] L40

272Cher Vadim,

273Un mot seulement pour vous dire que j’ai écrit à Ira, un mot d’amitié qu’il m’a été facile d’exprimer parce que je la ressens profondément, ainsi que Monique. Je parle aussi un peu de Boris, indiquant fermement, au cas où cette lettre serait lue par quelque censeur, que sa présence est indispensable à la guérison de cet enfant. Mais vraiment on ne sait plus où en sont les choses. Chaque jour qui passe est un jour plus sombre. L’oubli, le presque oubli qui tombe sur la Pologne, alors que la répression s’aggrave d’une manière affreuse, est un signe atterrant, comme si personne ne voulait rien faire et s’en tenait à un « ça suit son cours », même si ce cours allait au pire.

274De vous, tristement, je ne sais plus grand-chose. J’ai su le « message » qu’avait reçu Ira des autorités, après qu’on vous eût accordé la prolongation du visa et combien vous en aviez été bouleversé (et justement). Il est bien difficile, à de simples mortels comme nous, de comprendre le jeu de ces gens-là, et même s’il y a là la moindre rationalité. Peut-être la prolongation du visa vous a-t-elle été accordée par les autorités d’ici sans consultation de Moscou, et Moscou l’apprenant a réagi à sa manière habituelle. Parfois, je me demande si Ira pourrait être menacée dans son travail : est-ce possible, à votre avis, ou non ?

275Je voudrais avoir de vos nouvelles, même si rien de nouveau n’intervient. J’ai lu avec émotion votre poème dédié à R[ené] C[har]. Comment va Michaux ? J’ai tant d’amitié inexprimée à son égard.

276Très cher Vadim, je vous embrasse de tout cœur

277M.

[09/03/82] L41

278Le 6 mars 82

279Cher Vadim,

280Un mot seulement, parce que je suis vraiment très fatigué en ce moment. Mais mon silence ne vous dirait pas mon inquiétude au sujet de votre santé. Il y a longtemps que je pressens que vous allez au bout de vos forces. En tout cas, ici, vous pourrez être mieux soigné qu’ailleurs : voilà qui justifierait déjà votre voyage, et presque la séparation d’avec Ira et André dont je partage la douleur. Donnez-moi de vos nouvelles, même si j’en reçois par nos amis.

281Vos poèmes me touchent beaucoup, avec le sentiment malheureux que le français est pour eux une langue défaillante. C’est une langue sans flexion, que la recherche de l’étymologie ne rend pas à ses origines, mais au contraire pousse vers des artifices dont la psychanalyse a abusé. L’image s’y dérobe et dans cette mesure, reste puissante. Seul le rythme, dans son énigme, pourrait n’être pas trahi, mais c’est la vie la plus secrète. Il se pourrait que l’allemand convienne mieux. Mais reconnaissons qu’en général il y a une dégénérescence de cette langue (Heidegger y a contribué, et puis l’usage commun). Les langues dépérissent. La langue russe est certainement très menacée par l’idéologie (est-ce que cela mérite encore ce nom ? Il n’y a peut-être plus de pensée, plus de philosophie ; le salut ne peut venir que de la poésie et peut-être d’une sagesse populaire profonde). La Pologne, rien n’est encore perdu.

282Me permettrez-vous de vous dire que bien des poètes ici ont été blessés par vos jugements sur Mandelstam ? Que vous soyez plus autorisé qu’eux pour en juger ne change rien. Il y a une fraternité poétique qui ne s’explique pas toujours et qu’il faut respecter. Et où est la vérité ?

283Boris, c’est ce qu’il y a de plus douloureux. Et pourtant il faut continuer à espérer. Je vous embrasse de tout cœur, très cher Vadim, M.

284Est-ce qu’il se passe vraiment quelque chose à Moscou ?

285L’explosion d’une usine spatiale ?

286Les attaques contre l’entourage de Brejnev. Mais cela n’est certainement pas le plus important, tout au plus un alibi.

[22/03/82] L42

287Le 21 mars

288Très cher Vadim,

289Non, René Char n’est pour rien, ni directement, ni indirectement, dans mes remarques maladroites et injustifiées sur Ossip Mandelstam. Vous savez que je n’ai que peu de rapport avec R[ené] C[har], et purement poétiques, avec la certitude qu’une grande affection nous unit. Une seule fois, je lui ai parlé de vous à l’époque où, sur votre demande, je lui avais écrit quand l’Express publia désastreusement votre lettre. Il me répondit aussitôt en me disant qu’il vous connaissait depuis longtemps, mais qu’il était trop fatigué (ou trop malade, je ne me souviens pas des termes justes) pour me décrire la complexité de la situation, et il m’invitait à me mettre en relation avec Tina qui me dirait tout. Comme je n’avais, moi non plus, guère de force pour faire cette démarche, c’est Monique qui, avec sa générosité habituelle, appela T[ina] J[olas] laquelle parla de vous avec beaucoup d’amitié, dit votre désir de venir en France, et fit allusion aux rapports parfois orageux avec L’Isle sur Sorgue. Et beaucoup d’autres choses qui se confondent à présent avec ce que vous-même m’avez dit.

290Je trouve votre lettre sur la poésie russe, sur les poètes russes, y compris Mandelstam, très belle. Je ne vois personne autre que vous capable d’écrire avec cette profondeur, cette force bouleversante sur ce qui constitue l’essentiel du génie moderne russe, et donc humain. Pensez que je ne connais pas du tout Khlebnikov. Je crois que c’est votre devoir poétique d’écrire sur ce temps poétique, en tant que poète et non pas en tant que critique : ainsi que le fit Hölderlin dans les préfaces de ses traductions et dans ses lettres.

291Rentrer à Moscou, la seule justification serait Ira, André et le partage d’une détresse commune – mais si revenir, c’est aller dans un camp ou pire ? Ira a-t-elle reçu ma lettre ? La censure est-elle de plus en plus implacable ?

292Que vous essayiez de traduire vos poèmes, c’est un grand mérite et c’est pour nous que vous le faites.

293Avez-vous besoin d’argent ? Dites-le-moi.

294De tout cœur je vous embrasse en vous demandant pardon.

295M.

[10/04/82] L 43

296Le 10 avril

297Très cher Vadim,

298Ah, que j’aime le poème « En route » [25]. Je voudrais vous en dire plus, mais je me borne à vous dire hâtivement que je viens d’écrire à Jean Gattegno (président du Centre National des Lettres) pour que ce Centre s’occupe enfin sérieusement de vous. Certes, (comme vous le savez) mes rapports avec le Centre ne sont pas excellents après mon double refus, mais je n’en tiens pas compte et j’agis comme l’amitié me demande d’agir. Seulement, il faudrait que Michel Deguy qui occupe là-bas une situation officielle vienne appuyer, sans tarder, mes sollicitations. Vous méritez, plus que n’importe qui, pour votre œuvre personnelle, pour le travail de re-création de la poésie française et pour les aspirations de liberté que vous incarnez, une aide qui ne serait qu’un remerciement.

299L’essentiel est que vous vous soigniez d’abord. En Russie, je crains que vous ne soyez livré à l’arbitraire et non au traitement qui est nécessaire. Enfin, je ne désespère pas qu’on puisse faire venir Ira et André. Alors, on trouvera des solutions.

300A bientôt, très cher Vadim, je vous embrasse avec toute mon affection.

301Maurice

302Vous connaissez, bien sûr, toutes les librairies russes de Paris. Les commentaires vous divertiront peut-être [26].

19 avril [21/04/82] L44

303Je ne me sépare qu’à regret de vos poèmes. Mais je pense qu’il faut les faire photocopier par les services d’A[nia] C[hevallier] Ils m’étaient devenus de fidèles compagnons.

304La nostalgie vous donne l’illusion (et l’espérance) que vous rentrerez en Russie, mais c’est dans l’URSS que vous reviendrez, l’URSS, ce nom qui par lui-même est un mensonge.

305Ce qu’attend Ira, je crois, c’est que l’irrésolution cesse et qu’une décision soit prise – bonne ou mauvaise – à laquelle on puisse se tenir. Y a-t-il un moyen pour que je puisse lui écrire avec plus de franchise ?

306Voyez-vous quelquefois les Tatischeff ? Si oui, que pensent-ils au juste, qu’est-ce qui leur paraît le mieux ou le moins mauvais ?

307Très cher Vadim, je suis votre ami, ne l’oubliez pas – et je vous embrasse en ami.

18 avril [21/04/82] L45

308Très cher Vadim,

309Oui, Passage ! Cela a la puissance d’une parole passionnée qui ouvre une brèche. Vers quoi ? Il n’importe. J’ai d’abord pensé qu’il y avait trop d’inversions du même type (répétitives), mais j’avais tort. Le français n’est pas une langue aussi morte qu’on le voudrait.

310J’ai reçu d’Ira (dix jours seulement pour qu’elle me parvienne) une lettre qui m’a rendu heureux. Elle m’a parlé d’André qui est sa consolation, gai, sensible, merveilleux – il apprend le français (n’est-ce pas une sorte de message ?) Elle écrit d’une manière très subtile, faisant comprendre beaucoup plus qu’elle ne dit. Mais, pour elle aussi, l’indécision n’est pas supportable.

311A l’instant, votre lettre (tandis que j’écris) : il y a des transmissions de pensée. J’essaierai de vous dire mon sentiment sur la traduction allemande (La revue Akzente est une excellente revue).

312Mais Bosquet est un imbécile qui ne mérite aucune considération et qui est indigne de sa prétendue origine russe. Deguy peut beaucoup, s’il le veut. Sinon on s’efforcera d’agir de plus haut. De toute façon, vous ne serez pas abandonné.

313Ce qu’il faut 1) que vous vous soigniez 2) que Boris continue son traitement et 3) qu’Ira vienne avec André. Naturellement, ce sont trois impossibilités.

314Mais nous vivons dans l’impossible, dans la nécessité de l’impossible.

315La mère d’Ira est malade. Est-ce grave ?

316La situation s’aggrave en Russie, probablement parce que Brejnev chancelle et surtout parce que cela ne va pas en Pologne. Mais, comme vous dites, à quoi bon les Pourquoi.

317Très cher Vadim, je vous embrasse de tout cœur.

318M.

319Oui, je sais quelque chose de Constantin Bogatyriov [27], abattu il y a six ans près de son domicile par des « inconnus » et mort peu après à l’hôpital.

[22/04/82] L46

320Très cher Vadim,

321Mon sentiment : personne, si grand qu’il soit, fût-il Dieu même, ne peut anéantir l’espérance, celle qui passe par le plus grand désespoir pour marquer son trait ultime, la possibilité messianique. J’ajouterai que cette espérance est en vous, comme espérance poétique, elle ne vous laisse pas tranquille, elle est dans votre existence de Russe et dans ce séjour difficile dans un pays dont vous attendiez trop pour ne pas être déçu, légitimement déçu. Il n’y a pas de pays pour les poètes, il n’y a pas de temps non plus : « à quoi bon les poètes au temps de détresse ». L’absence de temps, l’absence de pays, l’absence des « dieux », voilà ce qui est nécessaire à l’exigence poétique et la rend aussi incertaine qu’absolue dans sa promesse d’effacement, liée à notre disparition qui vient.

322Les Tatischeff, voyez, j’avais pensé à eux. Je renouvelle mes questions sans savoir au reste si d’eux peut venir une réponse. Oui, Ira le dit bien, le petit André est merveilleux, l’oubli ne vient pas et la méchanceté ne l’atteint pas. Voilà à nouveau l’espérance dans le désespoir.

323Je serais présomptueux si je disais que je puis porter un jugement sur la traduction allemande de vos poèmes. Lire Heidegger en allemand est relativement aisé (plus facile que de le lire en français). Lire Hölderlin dans sa langue est une inépuisable exaltation. Ce que je sens seulement dans le travail d’Ingold [28], c’est la vérité du rythme, l’impression fascinante qu’il donne de lire un poème authentiquement allemand, mais dont le sens est dans une autre langue – j’attends encore pour me rapprocher d’un texte, certainement remarquable, et auquel il faut faire confiance.

324Très cher Vadim, je vous embrasse de tout cœur,

325M.

[L47]

326Le 24 avril 82 [29]

327Très cher Vadim,

328Vos poèmes « allemands » commencent à me devenir un peu plus familiers. Est-ce que la rime peut avoir la même portée en Allemand et en Russe ? Ici, la rime allemande (à part une ou deux exceptions) se place très naturellement (sans habileté convenue).

329J’ai parlé du « sens ». Quel est le sens d’un poème ? Il est presque toujours possible de le mettre en prose, ce que j’appelle « le mettre à plat ». Alors, il disparaît. Car, comme l’affirmait Breton (et Saint-Pol Roux), ce qu’un poème veut dire, il le dit.

330Choisissons Mallarmé. Rien de plus facile que de l’aplatir. Par exemple, le sonnet qu’il aimait bien « Sonnet nul si réfléchissant de toutes les façons » (mais ce n’est pas celui que je préfère : « Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx / L’Angoisse ce minuit, soutient lampadophore / etc. » vous connaissez. Si je le mets à plat, nous avons facilement ce schéma (je l’emprunte presque à une lettre à Cazalis qui se rapportait à une première version) [30]. « Dans un salon vide (l’espace, le pur espace), à minuit, quand ne règne que l’Angoisse sans lumière. Ainsi qu’une torche en forme de mains qui ne porterait qu’une flamme éteinte, cette peur du vide ne peut s’atténuer par aucune trace ou vestige du soleil couchant, pas même des cendres qu’on aurait pu y recueillir dans une urne funéraire. Le poète (le Maître, maître des lieux) est parti vers le fleuve de la mort, en emportant avec lui un pur mot (le Styx) qui ne signifie nul objet existant. Toutefois (c’est le si ce n’est que du « Coup de dés »), près de la fenêtre ouverte au Nord, brille très faiblement (« agonise ») le cadre doré d’un miroir où sont sculptées des licornes pourchassant une nymphe (« nixe »). Tout cela va disparaître : c’est comme si la nymphe se noyait dans le reflet nu du miroir où cependant, se fixe la scintillation des sept étoiles de la Grande Ourse (septuor) ». Cf. le « Coup de dés » : sinon que se lève au ciel une constellation, « froide d’oubli et de désuétude », qui idéalise le pari sur le réel dont le courage est d’agencer le suspens- en ce sens « toute pensée émet un coup de dés ». Le sens n’est pas là mais fait sentir que le poème de Mallarmé syntaxiquement parfait est un tout que le manque fissure de toutes parts.

331Pourquoi tout cela ? Simplement pour vous parler. Si j’en parlais vraiment, je ne vous écrirais plus. Voilà l’angoisse pour moi et pour vous. Maintenant, pour finir, cette mauvaise traduction de Hölderlin. « Tous les vivants ne sont-ils pas de ta famille ? / et toi pour la servir par la Parque nourri / Alors va ! Avance sans armes / Le long de la vie, ne crains rien. » « Quelle peine, ton cœur » [31].

332M.

[28/04/82] L47 bis

333Très cher Vadim,

334Votre grande lettre, elle me bouleverse ; elle dit la situation, elle dit la décision impossible, elle dit aussi, il me semble, ce que vous avez de plus vrai, votre intériorité que l’extérieur, par souci de ne pas vous montrer, occulte, de sorte que l’on méconnaît le plus souvent qui vous êtes.

335La phrase la plus lourde peut-être : elle concerne les curieux qui par leur attitude pas trop élégante risquent de vous mettre dans une situation lourde de conséquences. Je vous assure que vous pouvez tout me dire par lettre, beaucoup mieux qu’oralement. Cela restera à jamais entre nous.

336Réfléchissez-y. De toutes manières, je vous écrirai. Nous écrire, c’est penser ensemble, c’est nous efforcer d’avancer dans l’obscur de la pensée et maintenir la « veille ».

337De tout cœur, je vous embrasse,

338M.

339Le plus fidèle, le plus sûr ami : J[acques] Dupin.

340Mais vos poèmes, je ne vous les ai renvoyés que pour que vous puissiez en faire un double que je garderais.

[30/04/82] L48

341Très cher Vadim,

342Vous allez être très fâché. Mais ce n’est pas une correction de votre poème, mais une autre version plus mallarméenne, avec – horreur – ponctuation, laquelle en français, sauf exception, aide à scander le rythme. C’est écrit au courant de la plume.

343Pour impressionner Gattegno, il faut insister sur vos travaux de traduction puisqu’ils sont destinés à « glorifier » (bêtise) la culture française et ainsi justifient directement une aide du Centre. Je voudrais aussi tellement que vous puissiez écrire un essai sur la poésie russe – contemporaine ou non – avec vos préférences, avec vos passions.

344Nächstens mehr,

345M.

346Le médecin français qui vous a examiné et a prescrit ce traitement insupportable, lui avez-vous signalé vos « allergies » ? Il y a beaucoup d’autres possibilités d’enrayer le mal. Avez-vous régulièrement de la fièvre, ce qui serait le signe d’une dangereuse évolution ?

347

[En jeunesse seuil de mort] [32]
(Comme un) Désastre en pleine jeunesse,
voici qu’ils (finirent ou furent) furent terreux,
gardant en seuil de mort
l’œil réceptacle de bave lucide-
et deux fois (ils) touchèrent du bout des bottes
la peste fécale
là où, pelucheux poussah, l’ours
mis au rancart
barbotait cabossé du bonnet-
car leur mésange enfant, déployé
en pourceau, s’en allait brouter tripes goulûment
et vite, crapule, s’étrangler de vipères
là-haut, plus pur, ils ne virent du céleste que le soubresaut d’argent,
aérostat,
en jeunesse seuil de mort,
mais ne s’inclinèrent pas devant
la solitude d’oiseau lancé en appât (devant)
par l’homme- bête limpide
dans le froid sans aurore
à tant de frissons.

[03/05/82] L49

348Le 1er mai

349Très cher Vadim,

350Voici : un rédacteur de France Culture me demande si j’accepterais de participer à une enquête sur l’écriture et plus précisément sur le « fait matériel » de l’écriture, c’est-à-dire comment écrivez-vous, sur quelle table, devant quelle fenêtre. Il a déjà interrogé Derrida, Claude Simon, etc. Tentative suicidaire, dit-il, connaissant mon refus du micro, de l’entretien et des vains bavardages sur écrire.

351Mais je me suis dit que je pourrais lui envoyer un petit écrit où, au lieu de parler de moi, je parlerais de Vadim Kozovoï comme représentant de l’espérance poétique dans la Russie contemporaine. Naturellement, je ne sais pas comment vous écrivez, mais je m’en doute : sous la pression de l’orage, dans l’intermittence de la menace et quand la détresse se change en exaltation dénonciatrice.

352On pourrait terminer en lisant un de vos poèmes.

353Dites-moi au plus tôt ce que vous pensez de cette possibilité. Et, si vous êtes d’accord, donnez-moi quelques détails concrets. Naturellement, l’idée elle-même est imbécile, mais il y a là une occasion, et cela forcerait peut-être la main de Trutat [33].

354Je sais à nouveau qu’il y a quelque espoir quant au visa d’Ira. Reprenons courage. Les difficultés matérielles, nous les supporterons.

355De tout cœur, je vous embrasse,

356M.

357Green (dont je reçois un livre) ne pourrait-il pas vous obtenir un Prix de l’Académie ? Il y en a des centaines dont plusieurs fructueux.

[07/05/82] L50

358Très cher Vadim,

359Voici une proposition de texte, sans savoir au reste si l’homme de France Culture l’acceptera, puisque ce qu’il me demande, c’est un entretien (d’1 /4 d’heure 30 secondes !) sur mes moyens matériels d’écriture – ce qui ne peut que rester sans réponse. Naturellement, ce que je dis est très simple, exagérément et intentionnellement simple, puisque cela doit être entendu oralement et qu’il s’agit seulement d’attirer l’attention sur vous, votre nom et votre importance.

360Finalement, je trouve moi aussi, et dans l’ignorance de l’original, qu’Ingold c’est aussi bien que possible (naturellement, il s’agit d’une variation unique, mais éclatée et comme fragmentaire).

361Oui la décision est très difficile à prendre, car elle relève d’abord de votre souhait intérieur qui est de ne pas rompre définitivement avec votre pays.

362Si Ira vient, alors il lui faudra abandonner sa mère, son travail qu’elle ne retrouvera peut-être pas, et ses amis qui comptent aussi, ainsi que Pasternak, la bibliothèque etc. Mais elle peut ne venir que momentanément ; Oui, il y avait une photographie. Je n’en ai pas parlé parce qu’elle m’a beaucoup ému et ce qui émeut a besoin de silence. J’y trouve Boris plutôt beau, un peu crispé comme il arrive lorsqu’on vous photographie. Ira dit que cette photo daterait peut-être de 1978 : donc à l’âge de 13 ans, mais il paraît plus fier, plus mûr.

363Votre première tentative pour venir date donc de 73 ; à cette époque, il semble que vous désiriez seulement rencontrer Char et Michaux, et le séjour ne devait pas être très long. Six mois peut-être.

364Oui, Lang, mais comment ? Le fait d’avoir refusé le Grand Prix National des lettres a eu des conséquences, ainsi que mes exigences avec Derrida. Mais il faut savoir ce que vous êtes porté à décider intérieurement.

365Vous avez vu que Thomas Fer[enczi] [34] allait recevoir un poste important au Monde. L’avez-vous su ?

366Je pense à vous si intensément que je n’ai pour ainsi dire plus d’autres pensées – et aussi à Ira. Tout est si grave. Votre ami au seuil de… M.

[10/05/82] L51

3678 mai (fin de la guerre !)

368Très cher Vadim,

369En hâte, en hâte : voici, complété par ce que vous m’avez écrit (à partir de la page 3), une version plus proche de vos nuits, de nos nuits « Et mystère », oh oui.

370De tout cœur, je vous embrasse.

371M.

372La Pologne, je vous le disais récemment, quelque chose se prépare et, par suite des indications qui nous sont communiquées, on le sait ou plutôt pressent – car la prudence clandestine reste indispensable. Des soldats soviétiques, à Settin.

[12/05/82] L52

373Très cher Vadim,

374Je ne connais pas cet intervenant de France-Culture. Son nom : André Rollin. Il m’a écrit chez Gallimard. Il sait, du moins, que je récuse toute interview et particulièrement devant le micro. Cependant, il persévère sans doute pour avoir mon nom. Son projet est très délimité : non pas un discours sur l’écriture, mais une interrogation sur le « fait matériel », où, quand, comment ? C’est-à-dire, précise-t-il, sur quelle table, devant quelle fenêtre, etc.

375Il dit avoir déjà reçu Derrida, Hélène Cixous, Kenneth White et attend l’inévitable Sollers, puis Claude Simon, Ionesco, etc.

376Pour moi, c’était évidemment un refus, mais j’ai pensé qu’il y avait là une manière de parler de vous, de la poésie, de la poésie russe contemporaine, tout en ne m’éloignant pas trop de son exigence des conditions matérielles.

377Cela pourrait être comme une conclusion des entretiens. Je lui ferai valoir que vous êtes à mes yeux un « génie » poétique et que ce serait pour lui un titre glorieux que de l’avoir fait pressentir aux auditeurs de France-Culture. Si, à la lecture de mes pages, il est ébranlé, je lui dirai de prendre contact avec vous. Sinon, je demanderai à Maurice Nadeau, mon vieil ami de toujours, de publier les textes dans la Quinzaine.

378C’est important que Ferenczy ait pu vous parler d’Ira ; c’est triste qu’il quitte Moscou. Mais ici peut-être pourra-t-il quelque chose pour vous.

379A mon avis Brej[nev] déclinant, c’est de plus en plus la direction militaire qui s’impose là-bas – la seule puissance efficace.

380De tout cœur, je vous embrasse M.

381Ah ! « virevoltant », c’est une réussite même en français, un autre visage poétique [35].

[29/05/82] L53

38228 mai 1982

383Très cher Vadim, je ne vous ai pas écrit, n’ayant pas reçu de réponse de France-Culture, bien que j’eusse demandé à ce personnage à qui j’avais écrit sur vous une lettre exaltante (d’ailleurs, en accord avec mes pensées, seulement plus secrètes, plus étrangères à cette vaine publicité parisienne), une prompte réponse. Je lui avais aussi donné votre adresse, au cas où il aurait souhaité vous rencontrer. Mon texte était rectifié selon vos désirs. Mais j’avais donné pour poèmes (à titre d’exemples) « Et mystère » – « Pour soi-même » – « En route », - « Chêne abattu » ajoutant que vous seul étiez capable de les faire entendre par la scansion de la lecture. J’avais omis « ni fleurs ni couronnes » à cause, vous le savez, d’un passage que je ne savais traduire [36].

384D’ailleurs, qui est ce garçon ? Même pas un être courtois. Oui, je suis d’accord avec vous : tout est noir. J’ai oublié de vous dire que j’avais répondu à Ira pour la remercier de sa lettre et de la photographie, exposer une fois de plus les difficultés de votre situation, et cependant essayer de ne pas la décourager, ne fût-ce que parce que je sens combien elle est digne de la plus pure amitié, au sens où j’entends ce mot.

385C’est quand même un peu rassurant que votre mal ne progresse pas. Un sursis ? C’est notre destin d’être en sursis. Je ne vous ai pas dit que, dans ma vie clandestine de cette période terrible de l’occupation, j’avais connu cette péripétie : collé au mur pour être fusillé, les maquisards ayant à ce moment là donné un assaut, le lieutenant nazi dut suspendre l’exécution [37]. Et comme il ne revenait pas, les soldats « allemands » me firent signe d’en profiter pour disparaître – or qui étaient-ils ? Des Russes, un détachement de l’armée Vlassov. Ainsi, c’est l’humanité russe qui m’a sauvé.

386Je vous récrirai. Persistons dans le noir qui n’est peut-être jamais assez noir – car, enfin, nous savons que nous ne trahirons pas l’amitié jusqu’à l’heure dernière. Que pensez-vous de ce qu’on appelle communément la folie de Hölderlin ? C’était aussi bien l’essence de la poésie. De tout mon cœur à vous, très cher. M.

387Green, si je le puis ; mais vraiment je n’écris presqu’à personne, la solitude m’enserre. Alors, les coups qu’on cherche à me porter, ne frappent que la vanité d’un tombeau. Que faut-il penser d’Andropov [38], etc. ?

[11/06/82] L54

388Très cher Vadim,

389Je dois au moins vous dire que j’ai bien reçu le choix pour l’édition bilingue. Le lire ne suffit pas ou du moins il ne suffit pas de céder à l’illusion d’une lecture pour croire que l’inaccessible est devenu accessible. Que vous soyez voué à la poésie, au point de ne vivre qu’en elle et que par elle et d’être prêt à disparaître quand elle semble se dissiper, c’est ma conviction, ma certitude assurée. Aussi m’associer à cette édition, associer en quelque sorte nos noms dans l’anonymat vers lequel ils tendent, c’est mon souhait fraternel sans que je puisse être sûr de pouvoir y répondre, aussi longtemps qu’un texte ne sera pas écrit. Auparavant, je suis devant le vide et devant l’impossibilité. Je suis si ignorant de la poésie russe et de la place singulière qui est la vôtre, alors que la méconnaissance française, à ce sujet, est si péremptoire. Il faudrait que vous puissiez laisser parler votre génie critique, ne fût-ce que par quelques mots, comme vous l’avez fait récemment (à propos de cette histoire de radio). Car, bien entendu, nous ne voudrions ni l’un ni l’autre nous contenter de généralités louangeuses qui ne pourraient que nous déplaire et même nous offenser. Ceci dit, je reste tout à fait disponible.

390De tout cœur, très cher Vadim, à vous, et comme c’est un bonheur de nous être rencontrés.

391M.

392Si vous voyez J. Dupin, dites-lui comme je suis heureux d’avoir son livre, ainsi que celui qui lui est consacré.

393J’ai envoyé un mot à J. Green.

[07/06/82] L55

3944 ou 5 juin

395Très cher Vadim,

396Un mot seulement pour que mon silence ne vous pèse pas. Vous savez la force et la tendresse de l’amitié entre nous. Je suis comme vous : le « vécu » ne peut se raconter, ni même se dire allusivement qu’entre amis les plus proches. Qu’on essaie d’extorquer de vous des récits de camp montre assez qu’on ne recherche que le pittoresque, l’intéressant – alors que c’est votre vie même, et davantage encore, qui a été en jeu.

397Mais je voulais surtout vous dire que le collaborateur de France-Culture, au retour d’un voyage, a trouvé mes lettres et mes textes, et qu’il en a été bouleversé « c’est tellement proche de ce que je ressens, dit-il ; c’est tellement loin de tout ce je puis lire sous les plumes gélatineuses des autres écrivains ». Il ajoute qu’il fera tout pour que mon texte et vos poèmes soient présents à ce micro de France-Culture : en espérant faire venir V[adim] K[ozovoï] à cette émission. Je lui ai donné votre adresse. Seulement, il se plaint des lenteurs administratives : « on arrive à tout, mais avec une patience infinie ».

398Il semble vraiment sincère.

399Voilà ce que je voulais vous dire. J’ai reçu les poèmes. J’attends d’être un peu libre pour les laisser chanter en moi. Et puis l’on m’écrit de tous côtés pour l’agression dont j’ai été l’objet et que d’ailleurs je prévoyais depuis longtemps [39]. Pour l’instant, je garde le silence. Sans mépris pour personne, je ne puis descendre si bas.

400De tout cœur, très cher, je vous embrasse.

401M.

[23/06/82] L56

40222 juin 82

403Très cher Vadim,

404Peut-être avez-vous su (ou non) qu’il est arrivé ici quelque chose – un accident à ma belle-sœur – et que la nécessité des tâches matérielles – même sortir pour poster une lettre m’est très difficile – a pris le pas sur tout le reste. Voilà donc un silence ajouté à tous les autres. Mais cela ne m’empêche pas de méditer (surtout la nuit, insomniaques que nous sommes, faits ni pour le jour, ni pour la première nuit) sur ce que vous m’écrivez. Surtout, votre dernière lettre où vous envisagez, avec plus de fermeté que jamais, un retour là-bas, si Ira est appelée à y rester. Cela déchire le cœur, il n’y a pas d’autre mot. Mais vos raisons sont malheureusement telles qu’on ne peut – comme on le voudrait – les contredire. Ce que vous dites de Boris, nous l’avons toujours pensé, Monique et moi, mais sans preuve, sans autre pressentiment que celui du danger qu’il y a à séparer un enfant fragile de sa mère, de sa langue et de son monde.

405Ce que vous dites de vous-même, en tant que poète, cette unicité, cette singularité, et en même temps l’inébranlable fraternité : oui, oui, oui – ce petit mot convient seul. Et c’est à partir de là que s’entend mieux votre rigueur à l’égard d’autres écrivains (russes, surtout) ou du moins les perspectives changées sur la « littérature » même.

406Aucun signe d’André Rollin. Il ne semble pas un imposteur. Enfin, ce qui est écrit, est écrit. Il aura servi à cela.

407Et ce qui se passe au Liban – pas de mots assez justes [40].

408De tout cœur, je vous embrasse et pense à vous.

409M.

[02/07/82] L57

410Le 1er Juillet

411Monique a dû quitter Paris pour quelques jours avec son petit-fils en vacances.

412Elle m’a dit qu’elle vous écrirait. Pour moi, presque plus de temps, plus de sommeil, des soucis ménagers, la sollicitude pour un malade, et mes forces qui déclinent.

413Et puis l’horreur de ce qui se passe et rend muet. Où trouver la parole juste (vous le dites) ? Je reçois d’amis et d’inconnus juifs des lettres et des lettres désespérées. Cela me brise le cœur.

414Mais je pense à vous, même si c’est d’une manière apparemment inefficace. j’ai eu la pensée de faire paraître le texte (modifié, amélioré, peut-être tout autre) avec de plus nombreux poèmes dans Le Nouveau Commerce, revue plus durable que les numéros de la Quinzaine. Qu’en dites-vous ? « Voilà », un de vos poèmes qui passe le mieux en français.

415Si vous pouviez venir à bout d’une préface sur la poésie russe « la grande méconnue », c’est exactement ce que j’ai toujours souhaité. Laissez-vous aller ; votre prose en français, lorsque vous ne vous retenez pas, lorsque la passion vous traverse, bouleverse et touche juste. Avez-vous des nouvelles d’Ira ?

416Quelle est cette revue qui vous demande une collaboration qui peut être dangereuse ? Cela m’inquiète.

417A l’instant, votre lettre si sombre, (« l’enfer ») Avez-vous revu des psychiatres ? Ne regardons pas le long avenir, mais le proche avenir – c’est déjà assez lourd.

418Ah, nous en avons si souvent assez de cette vie. Et quand je pense aux Libanais, aux Polonais, aux Russes et aussi aux Israéliens, sur qui va retomber toute la haine dissimulée.

419Je vous embrasse de tout cœur, très cher

420M.

[06/07/82] L58

4216 juillet

422Très cher Vadim,

423Je profite de la possibilité de vous envoyer un mot – hélas, ce n’est que par tous les jours que je suis relié au dehors.

424Ma belle-sœur s’est cassé la jambe ou plutôt le pied. Elle est immobilisée dans le plâtre, et comme elle se chargeait avec une exquise bonne volonté de tout le quotidien, c’est à mon tour d’essayer de l’aider en oubliant que les forces me manquent.

425J’étais inquiet d’Ira, parce que l’on a dit que les communications téléphoniques avec la Russie se raréfiaient.

426Une publication dans « le Nouveau Commerce » ne ferait pas double emploi avec l’édition bilingue.

427Souvent, j’ai publié ainsi des extraits de mes livres.

428Je pressens combien vous êtes malheureux (plus que jamais), sans bien voir pourquoi les choses se sont compliquées récemment avec Boris.

429Le poète : pensons à Hölderlin dans sa détresse. C’est la vôtre et peut-être celle de chacun de nous, même le plus humble. Pour moi (Pour moi ?), je puis bien dire que j’ai été frappé par le « fragment » et à partir de là promis à l’épuisement, voire à l’extermination, de même que H[ölderlin] fut frappé par Apollon.

430Ce qui m’effraie, c’est que le malheur du Liban, et celui des Palestiniens qui erre de-ci delà, devient le malheur d’Israël à l’égard de qui est toujours prête à se réveiller une haine séculaire, un ressentiment millénaire.

431Avec cela, il faut lire des manuscrits pour mon éditeur, et faire semblant d’exister.

432Ecrivez-moi, très cher Vadim. C’est de tout cœur que je vous embrasse. L’affection ne se tarira pas.

433Votre M.

[19/07/82] L59

434Cher Vadim,

435Je persiste à penser que la prolongation du visa reste le plus important. Rompre les ponts, c’est ce que vous avez toujours voulu éviter, surtout si Ira et André restent de l’autre côté.

436Vous avez lu ce que Z[inoviev] écrivait : que les rapports des deux pays sont sur le déclin, et dans la mesure où R[eagan] (ou plutôt ses conseillers – lui n’est rien) cherche une mauvaise querelle à la France parce que celle-ci ne serait pas assez sévère avec Moscou, il est clair que tout devient très difficile.

437Pour l’argent, si vous avez des difficultés, faites m’en part. N’hésitez jamais.

438Je suis inquiet pour votre santé. Ici, cela ne va pas. Au mois d’août, Monique sera peut-être à Paris – mais rien n’est sûr.

439De tout cœur, très cher Vadim, je vous embrasse.

440M.

[27/07/82] L60

44126 Juillet 1982

442Très cher Vadim,

443Ma pensée est simple. Elle vient de l’affection. Et qu’est-ce que je pense dans la profondeur du cœur ? Que rien ne doit être fait qui puisse vous séparer d’Ira et d’André à tout jamais, comme Boris de sa mère. Cette pensée me fait mal – à plus forte raison à vous-même.

444Quand Ira dit adieu à votre mère, à Kharkov, aux amis, quel est donc son pressentiment ? Qu’elle va partir et qu’elle ne reviendra pas ?

445Je me perds en conjectures et en tourments. L’exigence poétique, c’est un autre registre, C’est tout à fait à part.

446J’ai écrit une fois que lorsque Goethe a abandonné Frédérique Brion qui l’aimait et qu’il aimait parce qu’il craignait que sa vocation poétique ne souffrît de cette vie pastorale, il avait commis une faute que nulle grande œuvre ne pouvait effacer. De même, Lawrence disait justement qu’il sacrifierait toujours Notre-Dame de Paris (supposée être le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre) à l’existence d’un enfant innocent. La poésie par rapport à la vie d’autrui, n’a aucun droit – et pourtant elle est essentielle, un essentiel sans justification. C’est ce que savait Kafka, partagé entre des exigences contradictoires – et Proust aussi peut-être.

447Lorsque vous avez traduit en russe Char, Michaux, Mallarmé et tant d’autres, il ne semble pas que vous ayez souffert aussi profondément du tourment de Babel. C’est peut-être que le russe dit plus que ne dira jamais le français. C’est peut-être aussi qu’ici la séparation des langages se double de la séparation des mondes jusque dans l’amitié même, et à cause d’elle. Oui, j’écrirai à Jacques Dupin (quelle est son adresse personnelle ?), mais je veux avoir lu son livre. Et le peu de temps dont je dispose est en partie dispersé par la lecture des manuscrits qui me tombent sur la tête. Je pense comme vous que c’est un être très rare et c’est une chance de l’avoir rencontré.

448Que veut au juste Ira ? Je vous embrasse de tout cœur, très cher Vadim,

449Votre M.

[09/08/82] L61

450Le 7 août

451Très cher Vadim,

452Le 17 août approche [41]. J’y pense sans cesse. Ne savez-vous rien ? J’ai reçu la lettre d’Irène (écrite le 20 juillet, postée le 23 – il n’a fallu qu’une dizaine de jours). Comme elle écrit bien : avec une sensibilité, une finesse qui me touchent infiniment. Mais elle est très triste, c’est évident, elle confirme que, quant à l’autorisation de partir, il n’y a presque pas de chance. Alors, que va-t-il arriver ? Elle allait partir pour Kharkov que vous nommez le « poulailler » où on est au chaud (chaleur humaine) mais qui est si vulnérable et sans défense. Elle me parle de votre bibliothèque dont elle dresse le catalogue et qui porte la marque de votre esprit.

453Le petit André devrait aller à l’école, cette année, à moins que…

454Je pense, comme vous, qu’une crise approche dont personne ne peut prévoir l’ampleur, mais dont les signes se multiplient – ou, pour le dire autrement, nous y sommes déjà, aveugles, ignorants, laissant le désert grandir, sacrifiant les autres à notre impuissance, déjà morts peut-être – mais assez là-dessus, la parole est vaine, lorsqu’elle n’est plus que survivante.

455Dites-moi quelque chose. Je vous embrasse de tout cœur.

456Votre ami brisé,

457M.

[11/08/82] L62

45811 août 82

459Très cher Vadim,

460Eh bien, j’ai eu peur que vous vous soyez trouvé dans cette rue admirable. Goldenberg [42], Monique y a été souvent. Les choses sont telles qu’on ne peut plus rien dire : sinon exprimer une douleur vaine.

461C’est étrange, quand vous m’écrivez, je me sens toujours d’accord avec vous et non pas avec moi-même. Et c’est vrai qu’on n’est jamais pur devant autrui, et un ami comme vous, c’est le cœur d’autrui.

462Il y a de la folie chez Begin, c’est sûr et c’est très inquiétant. Il décourage ceux qui lui sont les plus proches. C’est pourquoi, pour ma part, j’ai choisi le silence qui est aussi une sorte de lâcheté. Tchékhov est au niveau du français, peut-être. J’ai lu dans un journal Khlebnikov traité de « futuriste ».

463Dites-moi tout. C’est comme si la machine infernale était en marche.

464De tout cœur, très cher, je vous embrasse.

465Votre M.

[18/08/82] L63

466Très cher Vadim, je suis bouleversé par l’expression de votre désespoir après la réponse des gens de Grenoble [43]. De toutes manières, ils ne peuvent vous avoir fait travailler pour rien – même si vous n’avez pas de contrat en bonne et due forme. Et puis les gens de théâtre sont souvent très incultes. Comment étiez-vous entré en rapport avec eux ?

467J’ai appris, par hasard (par l’Observateur), qu’on avait joué à Avignon L’Attente l’Oubli. Je sais bien qu’en écrivant et en publiant on abandonne tout droit. Ainsi de même on a joué à New York La Folie du jour, avec un certain succès, paraît-il, mais sans mon accord que je n’aurais jamais donné. Et puis arrive le moment où l’on ne se sent plus qu’un pauvre auteur posthume qui ne peut plus repousser les assauts de la postérité, avant l’oubli définitif.

468La prolongation du visa est tout de même une bonne chose, du moins un sursis, comme dirait Kafka.

469Ce que j’ai écrit, maladroitement, sur les rapports de la poésie et de la vie, n’était qu’une méditation sur l’impossible. Et René Char n’a-t-il pas écrit, au moment de la Résistance, le chant du refus : « Le poète est retourné pour de longues années dans le néant du père… »

470Peu de temps avant sa mort, mon frère m’a dit : « Tu t’es enfermé dans une caverne. » Vous le voyez, les mêmes expressions nous sont réservées. Mais votre isolement est le plus grand.

471Begin n’est pas un fou. Il agit avec une conviction inébranlable, tout à fait comme un zélote et c’est pour Israël que je suis toujours angoissé.

472Je vous embrasse de tout cœur, très cher Vadim,

473Où est Boris en ce moment ?

[25/08/82] L64

474le 23 août 82

475Très cher Vadim,

476Dans vos lettres, hélas, avec le PS, arrivent les catastrophes, comme si, là, veillait le désastre. Ce refus correspond à la prolongation de votre visa, même si celle-ci était décidée depuis longtemps. Est-ce un refus officiel ? Mais vous-même vous en avez essuyé beaucoup. Que faire ? Est-ce que Amalric [44] que vous connaissez ne pourrait pas intervenir au Quai d’Orsay ? Après tout, en ce moment, les soviétiques n’ont pas intérêt à nous être désagréables – à moins que leur état de relative faiblesse ne les rende que plus hargneux.

477La lettre que m’avait écrite récemment Ira était triste, tristesse qui s’exprimait à peine. Elle me parlait de Boris P[asternak]. Je lui ai répondu depuis. Une question que je me pose : sur l’enveloppe, écrivant son adresse, elle inscrit, d’ailleurs en caractères peu lisibles, son nom de jeune fille qui est, je crois, Emelianova. Est-ce pour m’inviter à l’utiliser pour la commodité de la poste : Irina Emelianova. Mais les caractères latins ne conviennent pas non plus.

478Votre poème est un des plus forts que j’aie lus, et je suis heureux du don que vous me faites dans l’amitié qui nous unira toujours. Mais j’espère pouvoir vous en parler. Je lis quelque part : « Le sésame indispensable au « traducteur de poèmes » nous est procuré par Mallarmé : « La poésie consiste à ramener le sens mystérieux de l’existence à ses rythmes essentiels. » Très bien, mais chacun de ces mots est une énigme. Joyce disait à un de mes anciens amis : « nothing is untranslatable ».

479Où en est la question du logement ? Et votre santé résiste-t-elle à tous ces coups ?

480De tout cœur, je vous embrasse.

481M.

[30/08/82] L65

48227 août 82

483Très cher Vadim, En Hongrie, le droit de partir (momentanément, en touriste) est accordé à presque tous – 20 000 Hongrois sont venus cet été en France. L’URSS ne s’en sent pas menacée. Et il y a une certaine circulation de textes. Même certains des miens ont paru officiellement dans des revues.

484Qu’une crise là-bas soit déjà latente ou déjà en œuvre, c’est plus que probable. Les dirigeants ne savent plus quoi penser (ils ne pensent pas du tout, bien sûr), mais ce qui arrive échappe à leur schéma.

485Vous rappelez-vous que, surtout dans les dernières années, Mallarmé était ravagé par l’insomnie. Dans une lettre il écrit : « Les Poètes seuls ont le droit de parler, parce qu’avant coup ils savent. » Et il ajoute : « …Je fais de la Musique, et appelle ainsi non celle qu’on peut tirer du rapprochement euphonique des mots, mais de l’au-delà magiquement produit par certaines dispositions de la parole. Employer Musique dans le sens grec, au fond signifiant rythme entre des rapports ».

486Il est entendu que la langue française peut paraître pauvre (ou abstraite) quant au vocabulaire (dommage que Rabelais…), mais la syntaxe, par ses flexions très subtiles, a des ressources poétiques qui permettent au poème de transcender les mots et d’une certaine façon de les faire disparaître (d’où la prétendue obscurité de Mallarmé contre laquelle il a toujours protesté, comme vous le savez bien).

487Il paraît que j’aurais écrit (je vois cela dans une citation) que le traducteur doit pouvoir prendre sa distance par rapport à ce qu’il traduit – sinon la fascination de l’impossible le paralysera. C’est pourquoi l’auto-produite traduction poétique est un tourment infini. Ce n’est pas la langue française qui vous manque (vous la connaissez merveilleusement), c’est le poème russe qui vous est trop proche, il est votre vie même – comment vous en éloigner suffisamment ? Cela dit, ce qui se fait entendre est déjà tout à fait impressionnant – sauf le rythme peut-être. Et il est peut-être dommage que vous vous priviez des possibilités de la ponctuation qui est plus importante dans la langue française que dans toute autre.

488Beckett écrit deux fois son texte, en anglais, en français – par toujours du reste, mais il prétend que ce n’est jamais une traduction.

489Pardonnez-moi d’en finir avec cette question : avez-vous besoin d’argent ? Ne manquez pas de me le dire.

490De tout cœur, je vous embrasse M.

[11/ 09/82] L66

49111-9-82

492Très cher Vadim,

493Votre livre. Il est beau, mais fermé. Avec peine, je déchiffre le cyrillique qui trompe par l’apparentement avec le grec.

494Pour être franc, comme vous me le demandez, fermée aussi votre première version française du texte, au point que la traduction allemande m’est plus proche. Dite ou écrite, telle quelle, elle demande plus qu’une retouche. C’est du moins ma première impression qui peut n’être pas la bonne.

495Sur René Char, faisons silence.

496Je m’essaie à un texte pour votre livre (le bilingue), sans savoir s’il aboutira jamais. Chaque fois, je suis pressé de repartir à zéro (en moi aussi, l’inspiration poétique s’éteint).

497D’Ira, je suis inquiet par-dessus tout. Je vais encore lui écrire. Que se passe-t-il là-bas qui soit plus atroce que ce que nous pressentons ?

498Ah, la tristesse perpétuelle, voilà ce qui nous reste, rapport dernier avec ceux que nous aimons.

499De tout cœur, je vous embrasse,

500M.

501J’oubliais : A. Rollin m’a écrit. Un infarctus l’a frappé – trois mois d’inaction. Il a essayé de vous téléphoner – mauvais numéro. Il m’a proposé de publier le texte qu’il détient dans une revue intitulée « Le Fou » où il joue un rôle, mais à mon avis, pas question.

[17/08/82] L67

502Le 16 sept. 82

503Très cher Vadim,

504On dit que les communications avec Moscou sont rétablies, mais non les communications automatiques. Alors ? Avez-vous dans La Quinzaine l’entretien avec Zinoviev ? C’est un étrange personnage. Quand il dit que lorsqu’il était en Russie, les dirigeants soviétiques lui paraissaient être des imbéciles, mais que maintenant qu’il est en Occident et qu’il peut les comparer aux dirigeants occidentaux, ils lui semblent être des génies : voilà qui ne déplaira pas à Brejnev. J’ai l’impression qu’il est plus soviétique que russe.

505Si G[eorges] Nivat se sent capable de traduire certains de vos poèmes, je crois qu’il ne faut pas le décourager. Il serait intéressant de connaître sa version. Car le poème unique ne peut donner lieu, traduit, qu’à une pluralité peut-être infinie de versions. Et le poème lui-même est déjà traduction, quoique intangible.

506Les poèmes de vous qui me sont les plus proches, me font penser à Rimbaud dont la fureur, l’impatience, la violence sans égard ont cependant une modulation intérieure, une disharmonie mélodique qui nous bouleversent à jamais. Certes, il y a d’autres aspects : virevoltant, l’aile de Hölderlin, le miroité [45]. Scève est pour moi trop intellectuel, beaucoup plus que Mallarmé. Tout cela dit trop rapidement.

507Je pense, je pense à Ira. Je suis effrayé rétrospectivement par les affres qu’en son tout jeune âge André, le pauvre enfant, vous a causées. Vraiment, vous avez tous deux trop souffert trop longtemps.

508A nouveau, internationalement le pire nous attend.

509De tout cœur je vous embrasse, cher Vadim,

510M.

[28/09/82] L68

51126 sept. 82

512Très cher Vadim, le texte pour l’édition bilingue s’achève [46]. Il m’a fallu l’écrire de sang froid, tandis que les événements brouillaient mon regard et obscurcissaient ma pensée. Un dizaine de pages, pour en venir à la seule question qui importe peut-être et qui en tout temps s’est posée : est-ce que la poésie touche à sa fin ? Notre fin aussi.

513J’ai reçu toutes vos lettres. Je les médite. Pourquoi les communications automatiques avec Moscou ont-elles été supprimées ? C’est comme un continent qui s’éloigne à jamais dans les brumes – et personne ne semble s’en soucier.

514De tout cœur à vous, très cher,

515M.

[30/09/82] L69

516le 4 sep. 82

517Très cher Vadim,

518Voici le texte. Rien de plus à en dire. Quelquefois, je pense que je devrais l’envoyer à René Char. Je ne sais pas si c’est une bonne idée. Voulez-vous le demander à Jacques Dupin à qui j’écrirai peut-être bientôt ? Mais ma fatigue est immense. Je voudrais aussi écrire à Ira pour qui j’ai une grande affection, laquelle ne s’exprime pas.

519Je vous embrasse de tout cœur.

520Votre M.

521Où en est l’édition bilingue ? Avez-vous signé un contrat, ou bien s’agit-il d’une vague promesse ?

[13/10/82] L70

522Le 10 octobre

523Très cher Vadim,

524Ce mot pour vous accueillir quand vous reviendrez, et je l’espère moins fatigué, sinon moins abattu. La Pologne, l’étau se resserre : l’inexorable. Et il n’y a pas plus d’issues du côté des bourreaux que du côté des victimes. Un désastre sans transcendance.

525J’ai écrit à Ira. Mais les lettres parviennent-elles ? C’est affreux de la savoir si seule et de ne pas pouvoir répondre à son courage et à sa fierté.

526J’ai lu l’ensemble des traductions renouvelées. Le travail qui a été fait n’a pas été perdu « Virevoltant », merveilleux. Je me demande cependant si les variations sur Lermontov ont leur place dans ce livre : par elles-mêmes, elles subsistent. C’est une difficulté quasi insurmontable que Mallarmé ressentait très bien. Chaque poème demande à être seul : comme par exemple « toi et moi » qui me touche au plus profond – après quoi, je ne puis plus rien lire d’autre [47].

527Ah, j’oubliais : André Rollin a à nouveau écrit, et même téléphoné (mais je n’ai pas répondu) ; je lui ai cependant écrit, lui indiquant que vous êtes momentanément absent (sa nouvelle adresse : 48 rue de Vaugirard, Paris VI, et que vous prendriez contact avec lui – mais rien ne vous y oblige.

528Avez-vous lu dans Le Monde l’article du cher Nivat sur Etkind [48] et son « atelier de traduction » ? J’avoue ne pas comprendre quel est son idéal de traducteur. Il y a aussi dans la revue de Deguy un intéressant texte sur les premiers romantiques allemands et leur exigence de traduction [49]. Qu’il vous le communique.

529Qu’est devenu Boris ? Notre constant souci.

530De tout cœur, je vous embrasse,

531Votre M.

[26/10/82] L71

532Très cher Vadim,

533Il faut distinguer l’homme et le poète Rimbaud, et la poésie. Rimbaud, en tant que tel, détestait le mot solidarité et le mot bonté. Il y avait, en lui, une haine totale, absolue, infinie. Tous ceux qu’il rencontrait étaient ses ennemis. Il accusa toujours. Pas la moindre faiblesse patriotique : « J’ai été avant-hier voir le Prussmas à Vouzier… ça m’a ragaillardi. » Ou bien : « Je souhaite très fort que l’Ardenne soit occupée et pressurée de plus en plus immodérément. » En même temps, ce n’est pas un vagabond sublime, comme on l’a dit trop facilement. Elève, il fut un très bon élève, le premier en tout, et très aimé de ses professeurs.

534Mais sa poésie – rien d’autre ne compte – ne s’aligne sur aucune autre.

535Si vous écriviez des « notes parallèles », ce serait très bien. Le fragmentaire ne prétend jamais avoir l’exclusivité du vrai ; au contraire, il ouvre seulement une brèche.

536Maeght, ce serait beaucoup mieux. Liberté assurée. Pour la Pologne, on croit là-bas que l’invasion sera inévitable. Mais ne croyez pas que rien ne soit fait ici. Des messages militaires (sur lesquels je ne puis m’appesantir) ont été adressés à B[rejnev].

537De tout cœur, je vous embrasse.

538M.

[30/10/82] L72

539Le 29 octobre 82

540Très cher Vadim,

541En même temps que votre lettre du 26 Octobre, j’ai reçu une lettre de Pierre Berès dont je comprends enfin ce qu’il est : le directeur des éditions Hermann, éditions qui depuis longtemps m’avaient demandé des textes sans que je leur réponde.

542En dehors de ses compliments inutiles et de circonstance, et de son intérêt affecté pour mon texte, je n’y entends pas grand’ chose. Il semble qu’il prévoie deux éditions : une illustrée, une autre courante. Est-ce cela ? Quant à mon texte, je voudrais qu’il comprenne qu’il vous appartient, que je l’ai écrit pour vous et que c’est à vous d’en disposer et d’en recevoir « le bénéfice matériel » dont il parle bizarrement. Si malin qu’il soit, il faut qu’il sache qu’il ne nous aura pas par de bêtes louanges. Je ne lui répondrai qu’en accord avec ce que vous souhaitez.

543Ce matin Ma sœur la Vie[50]. J’espère qu’Ania Chevallier vous l’a communiquée.

544Que de traducteurs. Et quelle idée d’avoir choisi « le vers compté et rimé ».

545Avez-vous des nouvelles d’Ira. Et de Boris ? Monique ne va pas bien.

546De tout cœur, je vous embrasse.

547M.

548Maeght ce serait mieux à tous points de vue : le Centre National des Lettres pourrait l’aider.

[05/11/82] L73

549Le 3 nov.

550Très cher Vadim,

551La Gazette Littéraire, que dit-elle ? [51] De toutes manières, c’est grave et ne peut être lu que comme un avertissement. Je crains pour Ira dont je comprends l’angoisse et la partage (je lui écris prudemment, mais peut-être vainement).

552Si Maeght manque de moyens, alors pressons Berès sans exiger de lui plus qu’un contrat normal. Il semble avoir très envie de publier mon texte. Servez-vous de ce désir qu’il a (si vraiment il l’a).

553Donc, Lang a pu quelque chose [52]. Voilà au moins un souci différé. Ne pourrait-il pas aussi intervenir pour Ira ? Naturellement, la situation est bien plus complexe. Il a fallu un an pour faire libérer Valdares [53], alors que les moyens de pression sur Castro étaient nombreux ; l’avantage pour Ira c’est que les tractations peuvent rester secrètes. Pourtant, Mitterrand vient de se charger officiellement du cas Charanski, hélas très difficile [54].

554L’URSS voudrait ne pas envahir la Pologne, mais elle craint d’y être « contrainte ». Alors peut-être les autres membres du Pacte de Varsovie. Mais qui cela tromperait-il ? Avez-vous lu la mise en demeure de Grahski ?

555Bien d’autres choses à dire qu’on ne peut pas dire.

556De tout cœur, je vous embrasse,

557M.

558En dehors de Berès et de Maeght, qui pourrait publier votre livre en édition bilingue ?

559L’Age d’Homme qui vient de recevoir un prix pour Le Montage dont l’auteur me paraît fort suspect [55] ?

[09/11/82] L74

560Le 9 nov.

561Très cher Vadim,

562J’ai reçu une lettre d’Ira. Elle me bouleverse, non pas qu’elle se plaigne, mais je sens la pudeur, la discrétion d’une plainte étouffée. Rien ne peut autant m’atteindre. Et elle espère toujours contre tout espoir. Elle a raison. Il ne faut jamais se décourager. Elle voudrait que j’écrive son adresse en russe, pensant que les lettres arriveront mieux : pouvez-vous me la calligraphier ? Moskva, Potapovskkij 9/11 Kv 28 (?) Est-ce cela ?

563Je vous embrasse de tout cœur,

564Maurice.

565Berès a-t-il donné signe de vie ? C’est peu probable. J’attends une indication de vous pour lui répondre.

[18/11/82] L75

566Mardi

567Très cher,

568Un mot en hâte, il y aurait trop à dire. Un tyran vieillissant, momifié, meurt pour renaître dans un autre qui est le même et peut-être pire [56].

569Et voici que la presse occidentale en parle comme d’un événement extraordinaire, bruisse de mots vains et d’hypothèses sans portée. Sur Andr[opov], c’est particulièrement ridicule, et j’ai entendu Daniel Vernet faire de celui-ci un éloge incompréhensible, surtout de sa part, lui qui n’est pas ignorant. De même Amalric.

570Je me suis demandé si pour vous cela pouvait représenter une pause. Mais And[ropov] c’est le KGB et il vous connaît sûrement. De là mon extrême inquiétude, lorsque j’ai lu que vous aviez chargé Ira de demander des excuses à la Gaz[ette Littéraire]. Vous savez très bien que cette démarche serait une pure provocation qui peut mettre en danger Ira, et augmenter la surcharge qui pèse sur ses épaules. Si vous voulez que cet article ne reste pas sans réponse, un de vos amis pourrait écrire une lettre anonyme d’un lecteur de Tiflis qui, tout en se bornant à des commentaires littéraires, mettrait les choses au point. Bien entendu, elle ne serait pas publiée, mais indiquerait que vous n’êtes pas sans défenseur. Mais le mieux, à mon avis, serait de faire comme si la Gaz[ette Littéraire] n’existait pas.

571J’ai envoyé le contrat à Berès, je l’ai accompagné d’une lettre un peu moins raide où je souligne que la publication de vos poèmes sera un événement et où je réponds à un point qu’il avait soulevé : la traduction du volume dans une autre langue.

572A l’instant, votre lettre. Je vois que nos pensées, une fois de plus, sont proches. Pour Mitt[errand], voici ce qu’il a dit à quelqu’un qui me l’a rapporté : « Il ne se passe pas de semaine où je ne sois l’objet d’une initiative soviet[ique] pour un rapprochement politique – chaque fois, je refuse. » C’est pourquoi il lui est difficile de demander quelque chose, car le « donnant, donnant » est de rigueur. Mais la disparition de B[rejnev] peut offrir des occasions plus tard.

573De tout cœur, je vous embrasse M.

574Mon sentiment (il vaut ce qu’il vaut) : le prétendu maître du Kremlin n’est maître de rien du tout ; pour l’instant, il n’est pas, il n’est qu’au futur, il lui faut faire ses preuves, donner des gages et paraître ne rien concéder, montrant une fermeté ambiguë à laquelle les Occidentaux ne peuvent répondre que par une fermeté égale, quoique différente. De là, la nécessité d’attendre. Le dernier signal envoyé à B[rejnev] a été la menace de la bombe à neutrons.

[25/11/82] L76

575Le 24 nov.

576Très cher Vadim,

577Si peu de force en ce moment. Je vais donc à l’essentiel. La page de P[ierre Souvtchinsky] est très belle [57], et par-delà l’admiration le texte Hölderlinien de Tioutchev [58]. Mais il faut revoir la traduction : on ne peut pas dire : « les instants les plus fatals » – c’est fatal ou ça ne l’est pas. « Célestes » ne peut pas être au féminin. « Heureux, qui visita ce monde, à l’heure fatale (heure-heureux) (ou à l’instant du destin, pour rimer avec « festin », mais ce n’est pas bon – le mieux peut-être : à l’instant fatal) : « par ceux du ciel, les généreux, conviés en égal au festin ».

578Mettre cette page seulement en couverture, c’est la dévaloriser : qu’elle vienne en postface – et puis alors en 4e de couverture. Ou bien en préface, et mon texte en postface. C’est à vous de décider.

579Ai reçu signé par B[erès] la lettre contrat établie par A[nia] C[hevallier]. Donc, de ce point de vue, tout est en règle.

580Pour la politique, laissons cela pour le moment. Si important que cela puisse être, cela relève de la doxa platonicienne, l’opinion qui donne lieu trop souvent au bavardage. Mais quand la vie même y est engagée…

581Par ex. si vous êtes une personnalité – et vous l’êtes – Ira l’est aussi. Fille de l’ami de Paster[nak], rebelle dès son plus jeune âge (comme le rapporte en détails le livre de sa mère), femme d’un écrivain redoutable dont on ne saurait trop se méfier, on la garde en otage. Son cas est donc bien plus difficile que celui de votre amie italienne. Certes, on n’est pas en 1937 ou 1953, mais en URSS on ne sait jamais à quelle date on est.

582Je suis très touché par votre projet de traduire mes récits. Sûrement, leur lecture en russe leur ferait rejoindre leur pays natal. Connaissez-vous les nombreuses remarques de Goethe sur la traduction ? « Dans la traduction ; on doit parvenir jusqu’à l’intraduisible. C’est alors seulement que l’on prend conscience de la nation étrangère et de la langue étrangère ? » Et, dans Dichtung und Wahrheit : « Je respecte le rythme aussi bien que la rime par lesquels seule la poésie devient poésie, mais ce qu’il y a d’agissant au sens le plus profond et le plus fondamental, ce qui est vraiment formateur et générateur de progrès (?) est ce qui demeure du poète quand il est traduit en prose. Car il reste alors le pur contenu accompli. » Les derniers mots demanderaient toute une exégèse.

583Pardon pour mon écriture fébrile. De tout cœur, je vous embrasse,

584Votre M

585Churchill décrit avec son humour britannique et pour se moquer des spécialistes : « L’URSS est une énigme entourée de mystères au sein d’une devinette. »

586Est-ce un échec pour Andropov ? Il semble avoir voulu aller trop vite. Si Galina B.[rejnev] a vraiment hésité à rentrer en Russie, c’est vraiment la guerre des gangs. Mais que valent les rumeurs ? Et que penser de l’enlèvement d’Olga Zinov [iev] à Münich !

[01/12/82] L77

587Mardi.

588Très cher,

589Quel jour est-ce ? Je ne sais. Mais je sens qu’il vous reste à peine deux mois avant que le visa n’expire. De là l’incertitude de votre décision qui, répondant à une situation aussi complexe qu’incertaine, échoue à s’arrêter à une solution précise et déterminée. Ce qui aussi n’encourage pas Ira à prendre des initiatives.

590Mais la passivité est en elle ce qu’elle doit être : sa part de passion juste, la profondeur d’une rébellion à toute épreuve – rébellion non rebelle qui accepte sans accepter et ne dérive pas vers une vaine agitation. Ce qu’on appelle ici, sottement, la résignation russe face à l’oppression, n’est pas du tout ce que l’on croit : c’est une attente droite qui ne renonce à rien. Une blessure aussi, muette et inguérissable, qui est souffrance qui n’en finit pas de souffrir et ne se manifeste pas ou s’exprime aussi bien par une gaîté insolite que par les larmes. Ah, je comprends tellement cela. Il semble que votre analyse quant au sens politique de l’article de la Gaz[ette] Lit[téraire] ait changé. Pourquoi ? Est-ce l’avis de D[aniel] V[ernet] ? Dommage qu’il revienne. C’était un appui pour Ira. A Londres, en outre, il ne fait rien. Moi aussi, j’aime bien Nicole Zand [59].

591Au fond, la question revient, lancinante : qu’allez-vous faire ? Que désirez-vous faire en profondeur ? Il n’y a, à mon avis, qu’une certitude : ne pas vous couper d’Ira ni de votre langue, ni de votre nécessité poétique, sauf à mourir en vain.

592Pour le visa d’Ira, j’avais pensé que l’on pouvait recourir à Edgar Faure qui, comme vous le savez, va à Moscou chargé d’une mission. Il sait un peu le russe, il est affable, d’accès facile (mais pas très sûr) et capable de négocier. Mais comment le joindre ? Les gens du Monde pourraient peut-être intervenir. Il connaît tout et tout le monde.

593Il faut que je travaille un ms [manuscrit] de 900 pages à lire. Ainsi les dernières forces se perdent. Marguerite Duras, en nommant son dernier livre, a très bien dit ce à quoi j’avais à faire : « La maladie de la mort », et elle-même est au bord de la vie. Mais je ne trahirai pas l’amitié en anticipant.

594Embrassez de tout cœur Ira pour moi en lui disant que je lui écrirai. Avec toute mon affection, toujours près de vous, très cher

595Maurice.

596Heureux qui visita le monde, à l’instant fatal [l’heure du destin] : par ceux du ciel, les généreux, convié en égal au festin.

[16/12/82] L78

597Le 16/12

598Très cher,

599le rythme de vos derniers poèmes me semble tout à fait perceptible en français, cette langue opaque à force de transparence et qui se dégrade peu à peu comme la pensée.

600Tout ce que vous m’avez écrit dans votre longue lettre m’est très proche. Sûrement la sensibilité féminine de Pasternak est une sensibilité poétique. Naturellement, le mot « féminin » est un mot approximatif. Mais l’on sent bien que la musicalité féminine, voilà ce qui distingue Mallarmé et Valéry.

601J’ai écrit à Irène. Je lui ai dit que vous verriez peut-être bientôt le Président – cela pour la censure. Amalric est souvent maladroit et je crains qu’il ne nous ait pas rendu service.

602Je retiens des articles de Daniel Vernet (pour qui j’ai sympathie et estime) cette manifestation de « slavisants » fascistes qui ont, sur la Place Rouge, honoré Hitler, sans être le moins du monde importunés.

603Je n’ai aucune confiance dans Andropov : il y a en lui quelque chose de cruel qui correspond à la cruauté du régime. Plus intelligent, oui.

604Ai-je dit « mourir en vain ? » Cela est peut-être vrai pour soi-même, mais la mort de l’ami n’est jamais vaine.

605Avez-vous vu l’accueil qu’on a fait à Voznessenski [60], à l’Unesco, et Tatischeff a écrit de lui : « poète lyrique dont l’originalité et la fraîcheur suscitent un intérêt considérable dès 1958 » (c’est-à-dire deux ans avant la mort de Pasternak) – maintenant, il se présente comme l’héritier et l’ami de Pasternak, et il apporte des fleurs cueillies sur la tombe de celui-ci. Imposture, imposture.

606Vous avez raison : il ne faut jamais céder. Vladimir Boukovsky a eu raison d’écrire – il est vrai qu’il était alors dans le camp : « Oh non, ils ne vont pas directement, comme cela, en face, vous proposer une collaboration. Pour le moment, il ne leur en faut pas tant : il suffira de quelques petites concessions. Ils veulent vous y habituer, aux concessions : à l’idée qu’il faut faire des compromis. Ils vous tâtent avec soin pour voir si vous êtes mûr ou non. Non ? Alors retournez dans votre cave pour y mûrir un peu. Eux, ils ont des siècles devant eux. Sottes gens. » [61]

607Si le KGB est ouvertement compromis dans l’attentat de J[ean] P[aul] II, (celui-ci l’aurait admis), alors on peut penser que ce sont les adversaires d’Andropov qui ont suscité des preuves ou des présomptions.

608Moi aussi, je crains le changement de vie pour Ira. Elle vit, vous vivez dans l’impossible, ou du moins l’extrême possible. Et puis il y a Boris qui est pour elle une blessure peut-être inguérissable. Je crois que Boris, lui aussi, ne peut s’ouvrir qu’à l’élément féminin.

609Adieu, très cher, peut-être « adieu sans retour », mais, aussi longtemps que mon cœur battra, il battra pour Irène, pour André, pour Boris et pour vous qui en êtes le répondant, celui à qui il revient de parler pour nous tous jusqu’à la fin, de trouver et de soutenir le dernier mot.

610Votre M.

[18/12/82] L79

611Le 18 décembre

612Très cher Vadim,

613Mais B[oukovsky] ne prétend donner de leçon à personne, et moi encore moins. Il dit seulement ce qui se passait dans son camp, et surtout l’état d’esprit des dirigeants. Ceux-ci méprisent les Occidentaux, et particulièrement les « sociaux-démocrates ». Mitt[errand] a dû exiger le départ de l’ambassadeur de Moscou [62]. Avez-vous vu que le chef du KGB, nommé du temps de Brej[nev] a été renvoyé ? Le « général » va peut-être sauter. Sera-ce un bien, un mal ? Vraiment on ne sait plus. Un de mes amis, écrivain, jadis communisant, m’a écrit qu’il avait rencontré une jeune Russe dont il avait fait la connaissance à Moscou et qui venait pour la première fois en France. Elle lui a dit que la situation se dégradait d’une manière terrifiante et que le seuil de l’insupportable était proche. C’est comme si elle avait le pressentiment d’une catastrophe dont elle ne pouvait parler, mais qui se lisait sur son visage (Peut-être était-elle désemparée de se trouver en France, et comment a-t-elle eu un visa ?)

614Monique est surprise qu’Ira ait besoin de « pouvoirs généraux » pour tous vos biens. Ici, il y a ce qu’on appelle le régime matrimonial universel, de sorte que tout ce qui est à l’un est à l’autre : le communisme intégral en quelque sorte.

615Huntzinger est quelqu’un de très bien, humain et pas du tout idéologue – peut-être pas assez énergique et pas assez méchant [63]. Mais s’il a promis, il fera quelque chose. Le doute qui m’étreint, c’est qu’Ira ici sera peut-être tout à fait désemparée. La Russie, même sous ce régime ignoble, recèle des trésors de bonté et de beauté.

616Je ne vous quitte pas, cher Vadim, mais la vie peut me quitter – ce qui est vrai pour nous tous. Comme j’aime Michaux, toujours supérieur à lui-même. Oui, pour J[acques] D[errida], mais je vais lui écrire.

617De tout cœur avec vous, M.

[28/12/82] L80

618Très cher Vadim,

619Les jours dits de fêtes sont pénibles – pour vous en particulier, la pensée lointaine, l’amitié lointaine, vos seules compagnes peut-être.

620Quelle misérable tromperie que cette célébration universelle d’Aragon. Je n’en dis pas plus, il ne mérite pas qu’on en dise plus.

621J’ai suggéré, écrivant à J[acques] D[errida], que vous lisiez d’abord vos poèmes en russe. Il n’y aurait pas de meilleure approche.

622Andropov : tout me confirme qu’il n’y a rien à attendre de lui, sinon des pièges et des ruses. Vous vous rappelez que, lors des obsèques de B[rejnev], il a reçu Marchais durant une heure. Il voulait à mon avis essentiellement savoir quoi penser de M[itterrand]. Mais Marchais ne connaît pas du tout celui-ci, qui du reste n’est pas facile à connaître. Il voulait aussi reprendre en main le PCF, trop mou lui semblait-il. Si Cheysson se rend à Moscou (ce que je juge inopportun), peut-être ce voyage sera-t-il une occasion pour vous. Huntziger a laissé la place à des personnes de moindre importance – lui-même ira probablement en Chine, où l’on n’a même pas pu obtenir la libération de la fiancée chinoise d’un diplomate français (malgré nos interventions).

623Mitt[errand] a dit : « Un jour, nous en viendrons à regretter Brejnev. » Il est donc sans illusion.

624Que faut-il reprocher à D[aniel] V[ernet] par rapport à vous et à Irène ? Celle-ci est exigeante en amitié (je le pressens), c’est une de ses grandes qualités. Est-ce que s’éloigner de sa mère lui serait très pénible ? D’ailleurs, aussi longtemps que les communications téléphoniques automatiques ne seront pas rétablies, ce sera un signe, signe que nous sommes plus près de la rupture que de la « détente ».

625Tout à fait de votre avis au sujet du stupide article du général Gallois. Tout au long de la lecture, j’étais irrité. Pour lui, le régime soviétique est un régime comme les autres.

626Khroutch[ev] a été jeté par-dessus bord au moins pour trois raisons 1) l’échec de Cuba 2) la tentative de réformer l’agriculture 3) son intention de se rendre à Bonn. A ce moment-là, les soc[iaux] dém[ocrates] allemands n’étaient pas des partenaires acceptables. Aujourd’hui, on mise sur le pacifisme.

627Ce cher André, il veut toujours gagner, moi j’aimais perdre – c’est aussi difficile l’un que l’autre. Très au point maintenant le texte de P[ierre] S[ouvtchinsky] et la traduction de Tioutchev. La langue allemande a connu au moins trois traductions historiques : la Bible de Luther, l’Homère de Voss, le Shakespeare de Schlegel. Et la France ? presque rien : peut-être le Plutarque d’Amiot, et les traductions de Baudelaire et Mallarmé, supérieures à l’original. Avez-vous vu le succès de la traduction de Finegann’s Wake pourtant souvent illisible ? Le nom de Joyce a dû suffire. Je compare quelquefois Boris à sa fille Lucie [64] : elle était toute jeune, fine, jolie, mais déjà absente (d’abord, parce que personne ne s’occupait d’elle et parce qu’elle était amoureuse de Beckett qui n’avait pas pour elle un regard).

628Je vous embrasse de tout cœur, ainsi qu’Irina. Je ne crois pas que ma lettre à elle adressée arrive jamais.

[01/02/83] L81

6292.2.83

630Très cher Vadim,

631Je travaille en ce moment, de sorte qu’un silence excessif s’établit autour de moi.

632Cela ne m’empêche pas de penser à vous et de vous dire mon plein accord sur votre analyse des événements de là-bas.

633J’ai souvent écrit à Irina. Savez-vous si elle reçoit mes lettres ou si la censure arrête tout ?

634De tout cœur, je vous embrasse.

635M.

[10/01/83] L82

636Le 8 janvier 83

637Très cher Vadim,

638Un mot seulement : il en faudrait beaucoup. J’ai été averti par Monique. C’est le moment de ne pas perdre son sang-froid et de rester maître de soi-même pour bien juger de la situation. Le consulat est évidemment obligé à une prudence qui vient, en partie, de son désarroi par rapport aux changements politiques de là-bas qui sont plus compliqués qu’on ne le croit. Il est possible qu’on se contente d’une prolongation temporaire, afin que l’épée de Damoclès reste suspendue sur votre tête.

639En tout cas, vous connaissez mon sentiment : pas de rupture violente qui vous amènerait à un adieu impossible à Ira, à votre langue, à la Russie poétique. Ne rêvez pas non plus à des vengeances qui, même accomplies, auraient des conséquences désastreuses sur ceux que vous aimez. La mégalomanie n’est pas à l’ordre du jour.

640Quant à Irène, je comprends son indécision malheureuse. Par honnêteté, vous lui avez montré combien il lui serait difficile de vivre ici. Elle reste, aussi, désemparée par vos propres incertitudes et par vos apparentes contradictions. Comment pourrait-elle se décider ?

641Je sais qui est Alia [65]. Que de souffrances pour une même famille. Je n’ignore pas tout à fait Livchits [66], héroïque traducteur, héroïque poète.

642Dans la dernière NRF, il y a une critique assez sévère de la traduction de « Ma sœur, la vie ».

643Ne vous laissez pas troubler par la séance de l’Arc. J’ai vu qu’elle était annoncée convenablement dans le Monde.

644J’écris assez souvent à Irène. Quelques mots. Mais j’ai le sentiment que depuis que je m’efforce de rédiger l’adresse en russe, les lettres arrivent encore moins. Ou bien les spectres veillent.

645De tout cœur, je vous embrasse, très cher

646M.

[14/02/83] L83

647Le 13

648Très cher Vadim,

649Pardon pour mon silence (mais le silence peut-il être pardonné ?). J’ai été à la fois souffrant et dans le travail, ce qui ne va pas très bien ensemble.

650Les jours passent, la date approche. Y a-t-il du nouveau ? Hier, une lettre d’Ira qui semble plus optimiste ; elle dit « Oui le jour s’approche et notre destinée va s’éclaircir. » Bientôt l’anniversaire de votre mère ; elle est encore jeune, si l’on ne tient compte que des années et aussi « énergique et belle ».

651Je pense à vous, j’attends de vos nouvelles, même s’il n’y en a pas. Pourquoi Le Monde du Dimanche qui consacre une rubrique (chaque semaine) à un poète, vous ignore-t-il ?

652De tout cœur, je vous embrasse

653Maurice.

[24/02/83] L84

654Très cher Vadim,

655Je suis sur les dents, accablé de travail. Mais tout de même, où en sont les choses pour vous ? Le voyage à Moscou a révélé qu’il n’y avait rien à attendre d’Andr[opov], « un ordinateur », qui se soucie de la France comme d’une guigne. Amalric a-t-il vu Ira ?

656De tout cœur, à vous

657Maurice

[01/03/83] L85

6581-3-83

659Très cher Vadim,

660Je n’ai pas encore lu, ni même reçu la Correspondance à trois [67], mais je l’ai demandée. L’article de N[icole] Z[and] est marqué par le romantisme journalistique. Mais pourquoi faire semblant d’ignorer que Marina et B[oris] P[asternak] s’étaient souvent rencontrés (ne fût-ce qu’à Paris en 1935) et au retour de Marina, plusieurs fois. Mais ils n’étaient pas du tout faits l’un pour l’autre, de « caractères » si différents. Et certes B[oris] P[asternak], dans les jours terribles, a fait ce qu’il a pu, sans cependant l’accueillir chez lui, comme elle lui avait demandé (je crois). Les amours épistolaires de Rilke ont été innombrables : c’était son mode d’aimer (pas le seul, toutefois), préservant ainsi sa solitude. Mais il y aurait beaucoup à dire : dès que la biographie intervient, l’essentiel s’estompe. J’ai cependant l’impression que, quant aux rapports de Marina et de B[oris] P[asternak], votre belle-mère a fait preuve de compréhension et de générosité. Marina est particulièrement aimée en France, peut-être parce que nous nous sentons coupables de l’avoir mal accueillie – mais surtout l’émigration fut féroce. Et puis sa poésie se traduit plus facilement en français. Si vous aviez la force d’écrire quelque chose sur cette Correspondance à trois, peut-être pourrait-on le faire publier dans la Quinzaine, voir dans la NRF ?

661Oui, la décision d’Irène est prise, mais je le crains, celle d’Andropov aussi. Qu’allons-nous devenir ?

662De tout cœur à vous

663M.

[18/03/83] L86

664Très cher Vadim,

665Un mot pour rompre le silence. Au sujet de la correspondance à 3 (que j’ai lue), je rappellerai mon refus obstiné de publier toute correspondance, qu’elle soit ou non d’écrivain. C’est un principe que je ne demande pas à d’autres de partager, mais qui appartient à ma tendance la plus sûre. Tout ce qu’il y a de pénible dans cette correspondance vient, en partie, de là. Et il y a des lettres de Marina écrites pour être publiées – par exemple la lettre posthume à Rilke. De même, Rilke – Pasternak est sans doute le plus pur. Reste que l’intelligence de Marina est surprenante, peut-être la plus intelligente des trois et d’une certaine façon la plus égoïste. Elle se refuse à pressentir que Rilke se meurt (lui-même n’a jamais voulu interroger un médecin sur sa maladie pour ne pas la déterminer dans un savoir médical). Mais, pour le reste, elle sait tout. Qu’elle ne rencontrera jamais Rilke, que Pasternak ne viendra pas et ne doit pas venir. Je crois qu’elle a aimé son mari et qu’elle a su ce qu’il était devenu : même le complice dans l’assassinat du fils de Trotsky. Tout de même, des temps affreux et qui ne se sont pas améliorés.

666Avez-vous besoin d’argent ? Dites-le sans faute. De qui dépend la Cité des Arts ? Lang ou Chirac ? Et Ira ? Les rapports avec l’URSS sont de plus en plus mauvais. Vous avez vu le refus de Bernard Guetta [68], d’ailleurs prévisible. Mitterrand a des entretiens avec Fauvet.

667De tout mon cœur, je vous embrasse

668M.

669A l’instant, par Robert [Antelme], j’apprends que tout serait arrangé pour vous (au Consulat). Dites-moi ce qu’il en est exactement. C’est si important.

[31/03/83] L87

67030 Mars 1983

671Très cher Vadim,

672Pardon pour mon silence, si un silence peut jamais être pardonné. Mais je suis dans un travail comme dans un tombeau d’où ne filtrent que des paroles mortuaires. Mieux vaut les épargner.

673Avez-vous fait la démarche au Consulat ? Peut-être les interventions de Cheysson ou de Cl. Estier ont-elles joué ou joueront-elles comme une sorte de protection [69]. Peut-être préfère-t-on vous savoir en France plutôt que là-bas.

674Ce que vous souhaitez dans votre profondeur me reste obscur comme peut-être à vous-même. Il me semble que tout ce que vous avez obtenu par un combat acharné et obstiné, vous l’avez obtenu finalement contre vous. Au début (vers 1972 ?) vous souhaitiez répondre à l’invitation de René Char que vous aimiez. Mais quand on vous a refusé le visa, plus rien n’a compté que la lutte contre le destin et le régime pour une liberté dont vous ne saviez plus ce qu’elle vous apporterait et vous retirerait. A ce moment, il n’était pas question de Boris. Du moins, pas encore. Votre combat est finalement très proche de celui de K, qui veut, par tous les moyens, parvenir au grand Château, sans savoir si cette fin en vaut la peine et s’il ne s’agit pas d’une sinistre mesure qui l’attire comme l’image trompeuse de l’absolu. Ainsi de la civilisation d’ici qui au reste ne vous déçoit pas, car vous avez toujours su ce qu’elle valait. Mais alors pourquoi ce combat qui s’est imposé à vous sans pourquoi ? Est-ce que vous ne vous êtes jamais demandé si vous ne risquiez pas d’être pour toujours séparé d’Ira, d’André et de la communauté solitaire à hauteur de mort qui était là-bas votre vie même ? Cela ne peut que rester sans réponse.

675Oui, j’ai reçu une lettre d’Ira. Pourriez-vous m’envoyer une enveloppe avec l’adresse en russe ?

676Voilà un petit chèque, je pense que vous pouvez le toucher.

677Ah, j’oubliais : Monique m’a demandé de vous dire qu’elle était partie avec l’enfant (et bien sûr, Robert) pour la durée des vacances scolaires. Elle aimerait aussi écrire à Ira.

678De tout cœur, je vous embrasse et pense à vous.

679M.

[12/04/83] L88

680Très cher V. K.

681J’espère pouvoir écrire longuement bientôt.

682Votre avant-dernière lettre (la longue) m’a frappé comme la vérité. Quant au mot « auteur », je ne saurais vous l’appliquer pas plus qu’à Pasternak, à Kafka ou à moi-même ! Nous sommes des errants plutôt juifs que chevaliers, voués à un destin inconnu. Ainsi était Georges Bataille. Ainsi tous ceux que j’ai aimés.

683J’ai relu les poèmes : Nächstens mehr.

684J’attends pour écrire à Ira que vous ayez des nouvelles d’elle par votre amie. La décision de M[itterrand], même si elle nous fait perdre notre « situation privilégiée » (quelle comédie), a été rendue inévitable. Mais pour vous… Quelle est votre situation légale actuellement ?

685De tout cœur, je vous embrasse

686M.

[27/04/83] L89

68725 avril

688Très cher Vadim,

689Heureusement, j’ai quelques nouvelles par Monique. Sinon, je m’inquièterais encore plus. Mais de toutes manières comment échapper à l’inquiétude ? On sait, du moins par le Spiegel, qu’Andropov renonce à touts représailles contre les Français à Moscou. Quant aux articles de Tatu, je ne crois guère à leurs subtiles déductions [70]. Le maître reste Andropov, et il n’y a pas intérêt à nous en faire douter, outre que tous se valent.

690Je suis très préoccupé par Ira. Pourquoi est-elle si découragée ? A-t-elle de nouvelles raisons de l’être ? Se tourner vers la religion, c’est peut-être comme en Pologne une manière périlleuse de s’opposer au régime. Et puis le manque d’espoir est à la longue insupportable. Que vous a dit au juste l’amie que vous attendiez ?

691Très cher Vadim, parlez-moi aussi de vous. Je sais qu’on vous a fait des propositions de travail que vous n’avez pas cru devoir accepter. J’ai un regret en ce qui concerne la lecture des manuscrits : c’eût été une façon pour vous de prendre pied chez G[allimard] où il est difficile de s’introduire. Et puis tous les écrivains de la NRF, des plus « grands » aux moins grands, ont été des lecteurs acharnés : de Gide à Malraux, etc. ; et combien je reçois de manuscrits (on n’échappe pas à la communauté littéraire).

692Je pense à vous de tout cœur, comme je vous embrasse.

693Votre ami.

694Et Berès ?

695J’ai écrit, il y a quelques jours, à Irène.

[07/05/83] L90

696Cher Vadim,

697Voici copie de la lettre envoyée à Berès, assez comminatoire, il me semble. Je suis absorbé par le travail et bien inquiet de la santé de Robert [Antelme]. J’ai pourtant écrit deux fois à Ira.

698De tout cœur à vous

699Maurice.

[10/05/83] L91

700Très cher Vadim

701Est-il vrai qu’il y a un proverbe russe qu’on pourrait traduire en français sous cette forme : « Le baiser des amants détruit la société. »

702Voilà qui serait le plus beau moyen d’en finir avec Andropov (lequel est en train de menacer la Pologne à nouveau, à nouveau).

703De tout cœur, je vous embrasse

704M.

[19/05/83] L92

705Le 18 mai

706Bien cher Vadim,

707Voici une photocopie de la réponse de Berès. Tout ce qu’on en peut conclure, c’est qu’il tient toujours à publier le livre. Ma lettre menaçante n’aura peut-être pas été inutile.

708Robert est à l’hôpital. Je suis inquiet, c’est un ami si exceptionnel. Vous ne m’avez pas répondu quant à l’authenticité du proverbe russe sur lequel je vous interrogeais et quant à la meilleure traduction à en donner ?

709Le gouvernement n’arrive pas à faire libérer le docteur Augegard [71]. Le pseudo régime de Kaboul avait fait des promesses à Marchais. Mais les Soviétiques ont pris la chose en mains et le gardent comme otage. Ce n’est pas un bon signe pour les tractations à venir.

710De tout cœur, je vous embrasse

711Votre M.

[28/05/83] L 93

71227 Mai.

713Bien cher Vadim,

714En hâte, quelques mots.

715Rien de Moscou. Bernard Langlois (un journaliste d’Antenne 2) a réussi à enregistrer une longue déclaration de la femme de Sakharov, elle dit : On veut le tuer et on veut me tuer – refus de la traiter pour les crises cardiaques qui semblent de plus en plus graves.

716Le proverbe : il est cité (tel quel) par un philosophe ami de Derrida et que je connais aussi ; il se demande si Georges Bataille en a eu connaissance (par son amie Laure qui a fait des séjours à Moscou) : certainement pas. En tout cas, la forme française sous laquelle il est présenté m’a tout de suite paru suspecte, mais il n’a pu être inventé. Je puis lui demander ses sources. Il correspond tout à fait à ce que dit Yseult dans son errance amoureuse : « Nous avons perdu le monde, et le monde, nous. »

717Berès est un bandit, c’est clair, car dans ses lettres à moi, il ne fait aucune réserve.

718Qu’est devenu le texte que j’avais écrit pour la radio à votre sujet ? En le modifiant, on pourrait le proposer à Nadeau, avec des poèmes de vous, bien sûr.

719La traduction, ou la version de vos poèmes en français me laisse constamment penser qu’elle est trop fidèle et trop infidèle.

720De tout cœur, je vous embrasse

721Votre ami

722M.

[06/07/83] L94

723Le 5 juillet 1983

724Très cher Vadim,

725Pardonnez-moi mon silence. Mieux que d’autres, vous en connaissez et vous en admettez la raison. Quand le malheur vous frappe, ce n’est rien. Quand il frappe indûment l’ami le plus proche, la vie s’éloigne aussitôt et ne reste qu’une unique pensée.

726Je veux cependant vous remercier pour les visages si émouvants et si beaux d’Ira et d’André (comme ils se ressemblent). Puis-je les garder encore un peu ?

727La secrétaire de Berès, Catherine Chaleyssin, m’a envoyé pour approbation un spécimen de composition. Je pense qu’on peut l’admettre (hormis les coquilles et fautes d’impression). Voulez-vous lui faire part de mon assentiment ?

728De tout cœur, je vous embrasse

729Maurice.

[12/08/83] L 95

730Très cher Vadim,

731Oui, la douleur.

732Elle ne diminue pas l’amitié, mais elle lui retire l’expression et, à la longue, la vie. Qu’allons-nous devenir ? Pourrons-nous survivre longtemps ?

733Certainement, et pour ce que j’en ai lu, la nouvelle version me paraît, par le rythme, la couleur des mots dans leur assemblage, avoir fait don à la langue française de possibilités poétiques qui lui appartiennent. Cependant, peut-être avez-vous trop privilégié la véhémence sarcastique, le rire de souffrance à la Lautréamont (pour me faire comprendre superficiellement), alors que la poésie nocturne et tendre qui vous est propre aussi, y est peu représentée. Même chez Rimbaud, les deux registres existent. Vous voyez ce que je cherche à dire (maladroitement).

734De tout cœur, je vous embrasse

735Votre ami M.

[29/08/83] L96

73626 août

737Très cher Vadim,

738J’ai lu votre « rapport » destiné au directeur du CNRS – remarquable, évidemment. Mais, pour en tirer un article, il faudrait (il me semble) le remanier et le composer différemment. Les lignes de force (ou de faiblesse) disparaissent sous l’afflux de noms. Ne serait-il pas préférable de partir de noms déjà connus (et d’autant plus méconnus), comme Pasternak, Mandelstam et bien d’autres, en montrant les vicissitudes poétiques auxquelles ils ont été soumis, pour rayonner ensuite vers d’autres noms moins familiers ? Simple suggestion. Le caractère vocal de la poésie russe reste décisif, par rapport à la poésie française qui du moins chez Mallarmé ne se sépare d’une exigence syntaxique qui rompt avec la parole quotidienne. Mais le constat effrayé qu’il énonce : « On a touché au vers », a-t-il un répondant dans la poésie russe ? En tout cas, la nécessité d’une rupture – illimitée – et la conscience heureuse ou malheureuse du naufrage ne peuvent que prendre des formes différentes.

739Evidemment, avec un tel article, les ponts seront définitivement rompus.

740De tout cœur, je vous embrasse

741M.

742Nichts für Ungut !

743Les difficultés : il ne peut pas y avoir une histoire dans la poésie, à proprement parler, et les étiquettes sont sans valeur. Mallarmé n’est pas symboliste (pas plus que Hölderlin n’est romantique). Pourtant, le symbolisme qui a rassemblé d’intéressants épigones a exercé une influence (fâcheuse) surtout en Allemagne. Le surréalisme, c’est autre chose. On en finirait pas d’en parler.

744Une question : dans un régime « totalitaire » j’ai le sentiment que la poésie reste possible mais non le roman comme puissance d’innovation. C’est seulement une interrogation.

[20/09/83] L 97

745Le 20 sept. 1983

746Très cher Vadim,

747L’angoisse monte en moi. L’impossibilité d’agir va de pair avec l’impossibilité de parler. J’ai pourtant reçu les épreuves de chez Hermann. Beaucoup d’erreurs, et j’ai fait aussi des changements personnels. Je demande donc encore une épreuve après correction.

748J’ai relevé certaines coquilles dans vos poèmes de Po&sie[72]. Belin a envoyé une lettre de rectification. Mais qui en général relève les anomalies dans les textes qu’on publie, même s’ils sont en prose ? Dans le petit texte paru dans Le Monde, on a fait dire à Proust le contraire de ce que j’affirmais qu’il avait dit. Or, qui s’en est aperçu ? Un seul lecteur qui m’en a aussitôt averti. Mais je n’ai pas jugé bon de rectifier. A quoi bon ? Et d’ailleurs je ne relis jamais mes textes une fois qu’ils ont paru.

749Mallarmé était très sourcilleux et même pointilleux. Il s’est brouillé courtoisement avec plusieurs éditeurs. Et « le coup de dés » lui est resté inconnu.

750Y a-t-il du nouveau pour vous ? « Nouveau », mot étrange et peut-être déplacé.

751De tout cœur, je vous embrasse

752M. B.

[06/10/83] L98

7532 oct.

754Très cher Vadim,

755Pour l’instant, je ne retiens qu’une chose qui m’a consterné. C’est qu’Ira, trompée par des espérances peut-être illusoires, a donné sa démission de son emploi, décision dont même les moins bien informés savent qu’elle est grave et peut-être tragique. Comment en est-elle arrivée là ?

756Qu’il n’y ait rien à attendre des dirigeants soviétiques et particulièrement d’Andropov (le pire, à supposer qu’il y ait des degrés dans cet ordre), cela a toujours été pour moi une manière d’évidence.

757Le prochain prix Nobel ira à Lech Walesa (des démarches ont lieu dans ce sens – non, la Pologne n’est pas oubliée).

758À vous, avec mon affection désolée

759M.

[24/10/83] L99

760Le 24-10-83

761Très cher Vadim,

762Je renvoie les dernières épreuves, avec quelques corrections et sans être sûr qu’il n’y ait pas de fautes encore (il y en a toujours).

763Je reçois aujourd’hui seulement vos lettres du 10 et 13, mais j’avais reçu hier (avant-hier) une lettre bien plus récente.

764M[itterrand] est à Beyrouth. Ce qui vient de s’y passer est grave, même si la signification circonstancielle reste mal définie – mais sur le fond il n’y a pas de doute [73]. J’ai entendu hier Zagladine durant une heure [74]. La ruse n’est finalement pas très rusée. Mais chaque fois que le nom de M[itterrand] venait sur ses lèvres, il s’arrêtait brusquement ayant peur d’en trop dire.

765Ira et André sont des otages. On ne touchera pas à eux, parce que ce serait une provocation délibérée. Quant à les autoriser à venir… quoi que vous disiez (mais le dites-vous ?) Toutes les choses sont liées. La rencontre a fait de vous une valeur d’échange ; d’où le risque.

766De tout cœur, je vous embrasse dans l’inquiétude et la fidélité.

767M.

[2/11/83] L 100

7681-11-83

769Très cher Vadim,

770Votre livre : mais il ne saurait être « dépassé ». Maintenant qu’il est imprimé et sera bientôt public, il ne vous, il ne nous appartient plus. Il a lieu – il est le lieu qu’il affirme. Le reste – son retentissement – est hasard et non plus nécessité.

771M[itterrand] est d’une fidélité absolue à ses amis (il a été voir Robert à l’hôpital). Il tient ses promesses. Mais il est très secret et n’agit qu’au moment voulu. Ne comptez pas sur ses collaborateurs pour être tenu au courant.

772Zagladine en lui-même n’est rien du tout. C’est un facteur ou un factotum. Il est resté plus de dix jours en France. Ce n’était évidemment pas pour faire du tourisme. De toutes manières, peu de choses.

773Ne vous fiez pas trop à D[aniel] V[ernet]. Ni au Monde.

774De tout cœur, je vous embrasse

775Votre ami M. B.

[05/11/83] L101

776Très cher Vadim,

777J’ai lu votre lettre sur vos effrayants tourments et ceux d’Ira, André à peine né. Je les partage, croyez-le, non pas dans le passé, mais dans le présent car rien ne s’efface. Je crois qu’André était atteint d’une méningite cérébro-spinale, avec coma et septicémie. Qu’il en soit sorti indemne et même rénové pour une enfance surprenante, montre, au moins, que les hôpitaux de Moscou, malgré les erreurs, ne renoncent pas à tout tenter pour sauver ceux qui paraissent déjà perdus.

778Lorsque Boris refusait de vous parler, est-ce qu’il parlait encore à Ira ?

779Sur Thom, je n’en connais guère plus que vous, sinon qu’apparemment nous essayons de creuser les mêmes sillons. Penser selon la discontinuité, penser la discontinuité, rompre avec la nostalgie de l’un, sans cependant céder sur sa nécessité. C’est pourquoi je partage avec Thom l’obligation de ne pas se rendre les choses faciles en relâchant les rapports du scientifique et d’un déterminisme idéalement rigoureux.

780Merci de votre lettre, cher Vadim. Nous sommes d’accord sur l’essentiel. Le reste est peu. Etrange : vous donnez l’impression d’écrire en français comme si cette langue vous était réservée.

781De tout cœur,

782Votre M.

[15/11/83] L102

78318 novembre 1983

784Très cher Vadim,

785Où êtes-vous ? Votre silence m’inquiète. Et Ira, quelles nouvelles ?

786De tout cœur dans l’amitié.

787M.

[26/11/83] L103

788Cher Vadim, Je reçois vos lettres et je vous en remercie. Mais il serait malhonnête de ne pas dire que je perds souvent le fil de votre discours et de votre action. Il y a sûrement de fâcheuses lacunes dans ma tête. Qu’en est-il de cette « rencontre d’il y a 5 jours » dont vous tirez la conséquence qu’on vous a trompé – c’est un mystère pour moi. De même, vous parlez avec les plus grands soupçons d’une Internationale de la Résistance – à quoi pouvez-vous faire allusion et en quoi cela vous concernerait-il ? Vous parlez aussi d’une sorte de société secrète, alors que le point fort de M[itterrand] c’est d’avoir des amitiés ou du moins des connaissances dans les milieux les plus variés, y compris de nombreux industriels qui en principe ne devraient pas l’aimer.

789Vous voulez lui écrire. J’espère que vous vous rendez compte que c’est un esprit classique et que si votre lettre n’est pas très ordonnée et réduite à l’essentiel, il en sera découragé ou en tirera des conclusions défavorables.

790Enfin, cette pétition que vous voudriez voir signée par les personnalités les plus diverses, comment pouvez-vous croire que les Soviétiques y attacheront la moindre importance ? Ils sont habitués aux protestations des Belles Âmes qui ne sont pour eux que des impuissants ridicules. Bien sûr, ils savent que vous [avez] acquis une notoriété significative. Ils savent que vous avez été reçu par le Chef de l’Etat. Mais, en ce moment où la tension est à son comble, ils n’ont aucune raison de lui faire plaisir – c’est d’ailleurs pourquoi M[itterrand] le sachant, n’intervient pas. Il l’a dit lui-même : Je n’exclus pas la possibilité de rencontrer un jour M. Andropov, mais aujourd’hui je n’ai rien à lui dire qu’il ne sache. Et mieux vaut pas de négociation du tout qu’une négociation dont on sait par avance qu’elle échouera.

791Voilà mes pensées, cher Vadim. Vous en avez d’autres. Il est bien difficile de trancher.

792A vous, de tout cœur

793M.

[07/10/83] L104

794J’ajoute à ma lettre trop brève : cela ne doit pas empêcher les tentatives. La devise de la famille d’Orange reste juste : il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. Mais peut-être frappez-vous à trop de portes d’où il résulte qu’on s’aperçoit que vous ne faites confiance à personne. C’est l’erreur de K. dans Le Château – erreur inévitable, erreur qui est probablement notre part de vérité dans l’effort que nous tentons pour aller au-delà d’un monde qui est sans au-delà.

795De tout cœur dans l’amitié, essence de la fidélité.

796M.

797Malheureusement les nouvelles traductions de Kafka ne valent guère mieux. Et comme c’est exagéré, ce rire qu’on lui attribue.

798Je n’ai pas encore lu votre texte imprimé. Il faut, pour cela, un moment propice.

[22/12/83] L105

799Pardonnons-nous mutuellement, très cher, s’il y a quelque chose à pardonner. Depuis six mois que Robert est si malade, c’est à l’angoisse et à la tristesse qu’il nous faut arracher chaque mot. Le malheur isole, et cependant je suis très inquiet pour Boris – dites-moi de lui ce que vous pouvez.

800A vous et à Ira, toute mon affection

801Maurice.

[14/01/84] L106

80213 janvier

803Très cher Vadim,

804Le temps passe, et j’ai tant à faire, et si peu de forces pour le faire. Je suis en retard pour tout. je viens seulement de répondre à Berès qui me demandait comment me faire parvenir le livre et se félicitait du bon accueil qu’il recevait.

805Monique va très mal, elle est tout à fait détruite, mieux vaut ne pas l’appeler. Je lui transmets quelques-unes de vos paroles.

806J’ai reçu d’Ira la meilleure des lettres quant à l’affection. Elle regrette que je ne lui écrive plus et espère. D’André aussi une carte avec des mots français très bien écrits. Il faut que je réponde…

807Ce mot n’est qu’un signe d’affection pour défier le silence.

808De tout cœur

809Maurice.

[27/01/84] L107

81026-1-84

811Très cher Vadim,

812Je l’avoue, j’ai été très choqué par la note du Monde. C’est sottise ou perversité. Qu’est-ce que cela veut dire : « Poète soviétique » ? Soviétique, c’est le nom d’un système et d’un régime. Est-ce que cela leur écorche la langue d’écrire : poète russe, poète de langue russe ?

813N[icole] Z[and] et Amalric ont-ils voulu jouer au plus fin avec les gens de là-bas ? Mais non, tout simplement bêtise – bêtise journalistique.

814Comment s’est passée votre lecture [75] ? Ni Köstler ni Orwell ne sont de grands écrivains ; Nous avons bien connu sa femme Sonia Orwell (morte récemment d’un cancer généralisé) : elle était l’amie de la plupart de mes amis ; je l’ai rencontrée chez G[eorges] B[ataille] et André Masson ; elle était très liée avec M[arguerite] Duras, etc. Je n’ai pas lu 1984 depuis sa publication. M’avait gêné alors le caractère de « science-fiction » de son livre. Köstler avait été condamné à mort en Espagne et passé des jours à attendre la mort. Mais l’histoire de Boukharine [76] reste particulière, dans la mesure où il a discuté âprement avec Vichinsky [77] et s’est refusé, pour l’essentiel, aux aveux publics qu’on attendait de lui. Connaissez-vous le livre de Merleau-Ponty sur son procès – Humanisme et Terrorisme [sic] – évidemment, encore marqué par les illusions de l’époque. Tout à fait d’accord sur Souvarine [78]. Jamais Gaston Gallimard n’aurait dû à l’époque refuser de publier son livre sur Staline, qu’avait proposé à Malraux G[eorges] Bataille. Mais il y avait alors des négociations politiques avec Staline (Laval !). Il faut bien voir qu’alors le combat essentiel, c’était Hitler et le nazisme – et il en a été ainsi jusqu’en 1945. Le principal pressentiment d’Orwell, c’était le langage : le despotisme doit détruire la langue authentique et en imposer une autre – qu’on l’appelle langue de bois ou autrement.

815J’ai écrit à Ira (mais j’ai rédigé l’adresse en caractères latins). Moi aussi, je l’aime beaucoup. Ce qu’elle veut, c’est vous rejoindre : la séparation, elle ne la supporte plus. Le reste est peu de choses. Avez-vous lu, dans Le Débat, le texte d’André Siniavsky « la dissidence comme expérience personnelle » [79] ? J’ai de la sympathie pour lui. Et l’article de Nivat sur le nationalisme russe ? oui, comment s’est passée votre lecture ? Je pense à vous de tout cœur. M.

[16/02/84] L108

81616-2-84

817Très cher Vadim,

818J’ai bien reçu un exemplaire de votre livre. Relisant la lettre par laquelle Berès s’engageait vis-à-vis de moi, je crois qu’il me devait trois exemplaires. Voulez-vous que je lui écrive qu’il vous remette, à vous personnellement, ces 2 exemplaires dont vous ferez ce qu’il vous plaira ? J’avais cru que cette édition de luxe serait bilingue – d’où ma déception, car la langue originale ne peut manquer à la poésie.

819Ira a-t-elle reçu ma lettre ? Je pense que pour vous la disparition d’A[ndropov] ne changera rien. Et il y a plutôt en ce moment, du moins au sujet du Proche-Orient, un certain rapprochement entre Paris et Moscou : l’Amérique ayant commis beaucoup de fautes et mal conseillé Gemayel, sans le soutenir vraiment.

820Autrement, tout reste triste.

821De tout mon cœur, je vous embrasse

822M. B.

823Qu’y a-t-il de vrai dans ce que raconte Voznesdenski, quant à ses rapports d’adolescent avec Pasternak ? Tout ce qu’il écrit m’est pénible.

[27/02/84] L109

82425-2-84

825Très cher Vadim,

826Assez souffrant, je vous écris avant de l’être davantage. Pour Andréani [80], c’est le début du « Livre à venir » (Le Chant des Sirènes, l’Expérience de Proust) qui me semble correspondre à ce qu’il souhaite. Et le texte initial, autant que je m’en souvienne, a dû paraître dans trois numéros successifs de la NRF. Malheureusement je ne garde et ne possède rien, surtout en ce qui concerne mes écrits. Peut-être à la NRF y a-t-il des archives moins désordonnées. En tout cas, ils ont Le Livre à venir qui a été réédité régulièrement et a même paru en Livre de poche : il va paraître prochainement au Portugal, me dit A[nna] C[hevallier].

827Ma lettre à Ira a dû se perdre. Que dit-elle de votre intention de ne pas « l’inviter » ? A la vérité, j’ai mal compris ce passage de votre lettre. Vous devez avoir vos raisons, mais je ne les perçois pas.

828Je me demande si l’antipathie de Brandys ne reflète pas seulement l’antipathie profonde du peuple polonais à l’égard des régimes russes qui ont cherché soit à le dépecer, soit à l’assimiler [81]. Rappelez-vous dans Les Souvenirs de la Maison des Morts, Dost[oïevski] ne s’entend pas du tout avec les aristocrates polonais déportés, comme lui. Tout cela est superficiel, comme l’éternelle question slave, et le partage de la culture russe entre pro et antioccidentaux. Je ne m’y attarde pas un instant. Mais il est possible qu’on ne puisse pas aimer à la fois Hölderlin et Goethe – ce qui ne veut pas dire que l’on rejette l’un aux dépens de l’autre. Je respecte les choix, mais mon optique (ma décision) est tout autre.

829Mai 68, il faut l’avoir vécu.

830Je puis écrire à Berès qu’il me doit encore deux exemplaires et que pour lui épargner l’ennui de me les adresser, il vous les remette et que vous vous chargerez de me les transmettre. Ainsi, s’il y a refus, c’est à moi que ce refus sera opposé.

831De tout cœur à vous

832M.

[08/03/84] L110

833Très cher Vadim,

834Un mot trop bref. Voici la copie de la lettre adressée à Berès. J’espère qu’elle vous parviendra à temps. Tous ces jours, je n’avais personne pour poster le courrier – d’où un fâcheux retard.

835Les rapports de l’URSS et du gouvernement se sont à nouveau altérés. Gromyko [82] n’a pas tenu ses promesses ! L’étonnant, c’est qu’il en fasse. Même le Nicaragua, bien naïf, était « sincèrement » fâché. De même pour vous – on passe des promesses aux menaces, et vice-versa.

836Comment va Boris ?

837La poésie est rare, secrète aussi. Le flambeau passe d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre, parfois se réfugie dans les catacombes. Mais intellectuellement, contre-sens compris, il y a toujours un grand attrait entre nos deux civilisations. La civilisation russe nous a énormément enrichis. De là aussi, peut-être, les trompeuses espérances que la Révolution soviétique a fait naître.

838De tout cœur avec vous,

839M.

[18/04/84] L111

840Le 17 avril 1984

841Très cher Vadim,

842Mon silence ne se justifie pas, mais s’explique par de très graves soucis quant à la santé de ma sœur aînée et, aussi, par des nouvelles préoccupations touchant Robert (il a eu une phlébite comme Sakharov, mais inopérable). Il y a un moment où la tentation de s’enfoncer dans la nuit commande tout le reste au point que lui résister devient chaque jour plus difficile.

843Mais, croyez-le, je ne vous oublie pas, ni Boris pour qui je voulais d’abord vous écrire, mais maintenant je n’en ai plus la force, et vous savez évidemment tout ce que l’on peut savoir, et plus encore. Qu’il vous en veuille parce qu’il croit que vous l’avez séparé de sa mère, qu’il en veuille à sa mère même de l’avoir laissé partir et qu’il refuse à présent, par un négativisme dont il n’est pas maître, tout ce qui lui rappelle ce qu’il a perdu, c’est ce que son inconscient (pour employer le mot commode, trop commode) semble avoir décidé désormais.

844Mais, vous-même, où en êtes-vous ? Avez-vous des nouvelles récentes d’Irina ?

845Ah, dites-le moi, s’il vous plaît.

846De tout cœur, je vous embrasse

847Maurice.

[23/03/84] L112

848Très cher Vadim,

849Un mot seulement, comme l’on dit toujours lorsqu’on a envie d’en écrire beaucoup. J’étais inquiet de votre silence, je n’osais le rompre. Je vois que vous êtes mal, vous aussi (un peu soulagé pour Boris). Je voulais donc seulement vous dire que j’ai en effet reçu un paquet de chez Hermann et que je vous l’adresse sans l’avoir ouvert. J’espère qu’il n’a pas manqué à sa foi.

850Dans le nouveau Débat qui a paru hier, il y a encore un article de Nivat – mais je n’ai rien lu [83].

851Donc, M[itterrand] ira bientôt à Moscou.

852Je vous embrasse de tout cœur

853Maurice.

[09/05/84] L113

854Le 8 Mai 1984

855Très cher Vadim,

856C’est bien rare de lire, écrit par vous, le mot victoire [84] – et cela justement quand on célèbre l’anniversaire de ce qui a paru être pour tout l’Occident la fin d’une tragédie qui avait marqué et qui marque encore chacun de nous.

857C’est à mon avis un premier succès, mais il n’y aura victoire que le jour où Ira vous aura rejoint, et, je le crains, nous n’en sommes pas encore là.

858Sur Boris, ce que vous m’avez écrit (contrairement à une précédente lettre) m’a donné de l’espoir. Mais quel est ce « coin » dont vous parlez par allusion, qu’il semble avoir choisi lui-même et qui lui offre comme un refuge ?

859Vos livres, vos archives – c’est un problème quasi insoluble. Pour moi, chaque fois que j’ai changé d’endroit, j’ai toujours abandonné livres et manuscrits, de sorte qu’aujourd’hui seule me reste la mémoire jusqu’au jour où elle me manquera. Mais, évidemment, en Russie, les livres sont un trésor irremplaçable. Jamais les sov[iétiques] n’en accepteront le transfert. La mère d’Ira saurait-elle les garder ?

860J’ai reçu un exemplaire de votre livre bilingue, au lieu des cinq que me promettait le contrat, mais je n’ai plus la force de réclamer.

861Robert a surmonté la crise de la phlébite. La situation reste dramatique. Je donne de vos nouvelles à Monique qui ne me voit presque plus.

862Embrassez Ira et André de ma part. Je songe à eux, à vous de tout mon cœur.

863Maurice

[14/5/84] L114

864Très cher Vadim,

865Je ne vous cache pas que je trouve un peu insolite de s’adresser au Président de la R[épublique] pour obtenir un emploi. Quand il s’agit des droits de l’homme et de la situation des persécutés et des opprimés, oui, puisqu’il est constitutionnellement garant des libertés. C’est ainsi que je lui ai écrit récemment pour qu’il intervienne à nouveau en faveur d’Andreï Sakharov et d’Elena Bonner. Même s’il y a peu de chance de réussite, cela vaut la peine d’essayer, d’essayer encore.

866Il me semble qu’il vaudrait mieux s’adresser à Laurent Fabius, ministre de tutelle du CNRS, ou mieux encore au directeur du CNRS ou à l’un de ses membres éminents (mais il est vrai que nous sommes dans une période de sévère restriction des crédits).

867Enfin je ne suis pas sûr que l’article de L’Observateur dont au moins un paragraphe était fort critique vis-à-vis de la diplomatie française a été bien accueilli par l’Elysée. Pour ma part, je suis étonné que vous révéliez avoir été reçu par F[rançois] M[itterrand], tout en regrettant l’inutilité de cette démarche. Il me semble que la discrétion s’imposait. Mais, je le reconnais, c’est affaire d’éthique personnelle.

868Je comprends la douleur d’Ira : se séparer à jamais de sa mère, de ses amis pour un avenir inconnu, quel sacrifice. Je suis de tout cœur avec elle.

869Pardonnez-moi ma franchise, très cher Vadim, mais l’amitié c’est cela aussi, l’amour de ce qu’on croit vrai et juste.

870Avec toute mon affection

871M. B.

[18/05/84] L 115

87217 mai 84

873Très cher Vadim,

874Votre nouvelle lettre ; qu’il n’y ait pas de malentendu : s’il s’agit d’intervenir pour que Ira et André viennent vous rejoindre ou de demander à M[itterrand] d’intervenir (d’une manière ou d’une autre) en ce sens, bien entendu je signerai. Mais précisément la lettre laisse presque de côté ce sujet essentiel ou ne l’aborde qu’indirectement par rapport à l’emploi. Il faudrait donc modifier la rédaction de la lettre. Certes un emploi est nécessaire pour que vous puissiez transmettre l’invitation (mais, après tout, vous pouvez vous référer à l’emploi qui a été le vôtre au CNRS – simple suggestion peut-être maladroite).

875Je ne sais pas du tout si M[itterrand] ira à Moscou en juin plutôt qu’en automne. Il n’est pas sûr que lui-même ait pris une décision. La situation de Sakharov le préoccupe évidemment. Malheureusement, cela est devenu un enjeu de politique intérieure, comme il arrive si souvent dans ce pays. Le nom de Sakharov est emblématique : les raisons humanitaires ne sont plus qu’un prétexte – alors quelle inhumanité.

876Voyez donc :

877Pour l’emploi, il faudrait une démarche autre.

878Je reçois aujourd’hui les 5 exemplaires – en voulez-vous 3 ?

879De tout cœur, je vous embrasse

880M. B.

881Seul Gallimard me semble remplir pleinement ses obligations, du moins vis-à-vis de moi. Mais peut-être d’autres aussi.

[30/5/84] L116

88229 Mai

883Très cher Vadim,

884Hâtivement. J’ai reçu votre lettre et la nouvelle version qui me convient, je la signe donc volontiers, sans avoir grande illusion sur son efficacité. Car en France la force d’inertie des administrations est grande. A la grâce.

885De même, pour le cher Sakharov : du moins, les interventions de tous les Etats, des Académies, des personnes, devraient avoir pour effet de préserver sa vie. Seulement, les gens de là-bas ne sont pas Dieu (tout de même), et le corps de Sak[harov] peut s’effondrer. On le craint sans doute à l’Elysée. Le bruit court à nouveau qu’il aurait été transporté à l’hôpital dans un état alarmant. Ce voyage aura-t-il bien lieu en juin ? Cheysson a dit à Salon-de-Provence où les 10 étaient réunis, qu’il y avait (outre S[akharov]) de nombreux et graves obstacles. La politique de l’Elysée est de ne pas prendre de décision pour exercer une pression. D’une manière plus générale, que peut-on attendre de ce « Staline du pauvre, + réfrigérant qu’effrayant » selon les termes pour une fois justes d’A[ndré] F[ontaine] [85] ? Peut-être, un certain accord sur l’Irak.

886Votre pauvre ami. Je sens bien que votre cœur est là-bas, et avec raison. Peuple magnifique où il y a encore tant de richesses cachées

887Je vous embrasse dans l’amitié

888M.

[25/06/84] L117

889Très cher Vadim,

890Si ce bonheur se confirme [86], vous savez combien je le partagerai avec vous. Naturellement, ils peuvent toujours retourner en arrière. C’est dans leurs habitudes. Aussi, ne tardez pas à envoyer l’invitation, si vous ne l’avez pas déjà adressée.

891J’étais, vous le savez, peu favorable au voyage. Mais M[itterrand] a tenu ses engagements, et pour la première fois le nom du « professeur Sakharov » a retenti au Kremlin face aux vieillards lugubres qui l’occupent. Et la Pravda, le journal du mensonge, a beau avoir caviardé les propos, cela se saura dans les meilleures régions de l’opinion « publique ». Il faut que les choses soient dites à haute voix. A la longue cette franchise portera des fruits.

892Naturellement, les timides disent : ils vont nous le faire payer. On verra bien. Il n’y a pas de politique juste si l’on abandonne tous jugements moraux.

893Je vous embrasse, très cher, ainsi qu’Ira par avance.

894Maurice

895Naturellement, vous avez lu « Le Monde » comme je le lis maintenant. Parmi les 4 cas humanitaires résolus, « serait également concernée la femme d’un poète qui vit actuellement à Paris ». Dans le « Matin », on ajoute sottement « un poète dissident ». L’éditorial du Monde y fait aussi allusion. C’est l’entretien ici de Cheysson avec l’ambassadeur soviétique qui a préparé la décision. M[itterrand] aussi en aurait parlé. Mais vous saurez tout par Andréani.

[16/7/84] L118

896Le 14 juillet

897Très cher Vadim,

898La joie d’André, même si elle s’expose à des illusions, voilà un don incomparable qui justifie tous les efforts que vous avez accomplis, le plus souvent seul et dans l’incrédulité générale.

899Lorsque Levinas a été naturalisé Français (vers 1935, je crois), je ne l’ai pas félicité, j’ai félicité le pays qui l’accueillait et par là s’enrichissait d’une manière prodigieuse. J’espère qu’André ne deviendra pas un Français comme les autres, mais aidera les Français à l’être autrement, à s’ouvrir à une humanité plus généreuse, plus responsable, plus pathétique aussi. Je suis loin, vous le savez, de me sentir Français avant tout. Aux jours sombres de l’Occupation, j’ai éprouvé certes le sentiment qu’était en péril une culture, un monde qui n’était pas conscient de ses valeurs et était même prêt à les répudier lâchement. Souffrance indicible, souffrance d’être si peu nombreux à refuser l’horreur et à lutter contre elle. Par là, du moins, j’ai appris à comprendre ce que vous ressentez et que, si désespéré qu’il soit, il n’y a jamais de combat inutile.

900C’est pourquoi, je dis : bienvenue à la joie d’André et merci à André pour cette joie qui, sans qu’il le sache, est un bienfait pour tous.

901De tout cœur, très cher, je vous embrasse

902Maurice

[06/08/84] L119

903Le 4 août 1984

904Très cher Vadim,

905Je sais que vous m’écrivez comme vous pensez. Vous avez accompli des efforts désespérés pour faire venir Ira, et maintenant vous avez la certitude qu’Ira, ici, sera très malheureuse. Mais il y a là une contradiction seulement pour les cervelles occidentales qui réfléchissent selon des règles simples. Quand André dans son jeune âge se réjouit de venir, c’est qu’en lui quelque chose pressent un avenir insoutenable s’il demeure. Et puis Ira est courageuse. Vous l’avez à maintes reprises éclairée sur la situation. Elle vient donc en connaissance de cause, ou à peu près. Mais vient-elle ? Le régime donne toujours l’impression de se durcir – c’est peut-être un signe de faiblesse ou d’apparence. La RDA commence lentement à lui échapper (si l’on peut dire).

906Comment êtes-vous ? Donnez-moi des nouvelles. J’écris peu, ayant, entre autres, des problèmes avec mes yeux. Mais je pense toujours à vous avec profonde amitié

907Maurice

[29/08/84] L120

908Mardi,

909Très cher Vadim,

910C’est vrai, je suis trop silencieux. Ce silence malheureux ne s’explique pas seulement par un état de santé sur lequel il serait malséant de m’exprimer, ni par des obligations de travail qui s’accroissent en raison inverse de mes possibilités. Mais je me tais superstitieusement, parce que, aussi longtemps qu’une décision libératrice n’a pas été prise au sujet d’Ira, j’ai peur, oui vraiment peur de troubler les spectres et d’alerter les démons de là-bas. Ce n’est pas seulement – il me semble, il me semble – pour Boris qu’elle vient, c’est aussi que vous avez souhaité ardemment retrouver ceux qui vous sont les plus proches et ce souhait ne peut être que partagé par Ira et André.

911Je me souviens qu’avant que vous ne veniez à Paris, un de vos amis russes disait ici qu’il lui serait personnellement plus facile de trouver du travail pour Ira (malgré sa moins bonne connaissance du français) qu’à vous-même, à cause de votre génie poétique si intransigeant. Hölderlin, non plus, dans des temps plus propices, hors le métier insupportable de précepteur, restait à la merci de quelques rares subventions. Quelle tristesse. L’exil, qui oserait en parler sans l’avoir vécu ? J’ai été en exil durant quatre ans dans mon propre pays, durant l’occupation. Puis, par une exigence intérieure, pendant dix ans à Eze, dans la solitude la plus complète. Cela m’a aidé à comprendre Kafka. Mais l’exil dont vous souffrez et qui est un exil de votre langue même, parmi des gens indifférents, il n’y a pas de plus grand tourment pour un poète.

912Avec toute mon affection, je vous embrasse ainsi qu’Ira

913Maurice.

[04/10/84] L121

914Le 3 octobre

915Très cher Vadim,

916Je voulais justement vous écrire pour vous dire que j’avais été mal en point et que cela seulement expliquait mon silence.

917Mon amitié est inaltérable. Mais c’est elle aussi qui me donne de l’angoisse – voilà que septembre s’en est allé sans faire venir Ira. Je redoute toujours l’imprévu de ce régime que je connais mal, mais dont je n’attends rien de bon. Mais l’espoir que votre ami N[icolas] Kh[ardjiev] [87] puisse franchir la frontière est nouveau et, en tant que tel, réconfortant.

918Que pensez-vous de ce texte de Zinoviev ?

919J’ai pour Cohn-Bendit la sympathie que vous dites. Il y a quelque chose de vrai dans son être même.

920Embrassez Ira de ma part, comme je vous embrasse de tout mon cœur

921Maurice

[22/10/84] L122

922Cher Vadim,

923Nous voici, et vous particulièrement, de plus en plus seuls. Je ne puis rien dire de plus. Ce qui meurt ne laisse pas de trace.

924Il faut qu’Ira vienne le plus tôt possible. Je ne supporte pas de la savoir là-bas.

925Tristement et fidèlement,

926Maurice.

[25/10/84] L123

927Cher Vadim, la douleur, votre douleur, la mienne, c’est tout ce qui nous reste. Est-ce que Ira, ce n’est pas la Russie dans ce qu’elle a de meilleur ?

928Je vous embrasse sans courage, mais avec cœur.

929Maurice.

[09/11/84] L124

930Très cher Vadim,

931Sans nouvelle de vous, accablé par le chagrin, est-ce le silence définitif ?

932Une telle question n’est que l’humble prière de l’ami.

933de tout cœur

934M. B.

[07/12/84] L125

935Le 6 décembre

936Très cher Vadim,

937J’ai gardé le silence, c’est vrai, vis-à-vis de vous, mais précisément parce que je ne gardais pas le silence par ailleurs. J’ai fait ce que j’ai pu, selon les voies qui m’ont paru les meilleures. Mais je n’allais pas le proclamer, d’autant que les résultats ne sont pas encore acquis. Le secret et la discrétion sont des règles de la maison d’édition à son plus haut niveau, et je ne les désapprouve pas. Autrement, ce serait la foire d’empoigne. Il y a déjà tant de clans, et l’on commence à prétendre que j’ai exercé clandestinement une influence qui doit cesser – d’où une convergence d’attaques dont certaines sont infâmes.

938Laissons cela.

939Un point que je n’ai pas abordé en haut lieu parce que je n’y étais pas autorisé, ce sont précisément les archives Pasternak. Je suis sûr que rien n’intéresserait davantage les éditions parce que ce qui leur importe avant tout, c’est ce qui enrichit le fonds. Et pour le travail immense qu’exigerait leur mise au point, je pense que l’aide matérielle ne vous manquerait pas.

940J’ai le sentiment de n’avoir rien écrit à Deguy qui vous fasse tort : au contraire. Ce qui est sûr, c’est que votre présence est indispensable si l’on veut mener à bien une traduction difficile. Sinon on aboutira à un désastre ou on n’aboutira à rien. Quant à la nostalgie, je ne vois pas en quoi un tel mot a pu vous choquer. Ne signifie-t-il pas au sens grec la douleur qu’on éprouve au souvenir des siens dans la difficulté ou l’impossibilité du retour ? Ou encore le sentiment qu’on ne sera jamais à sa place nulle part. Et c’est là notre destin d’écrivain, plus lourd pour vous que pour tout autre.

941Avez-vous vu que les Sov[iétiques] avaient pris la décision de disperser le musée Pasternak [88] ? Par ailleurs, avec le retour de la fille de Staline, avec le bruit fait autour des déserteurs détenus par les Afghans et devenus des prisonniers drogués restitués par la Suisse ou l’Angleterre pour la plus grande gloire de la patrie soviétique, on se rend compte du profit qu’ils sauront tirer de tout ce qui paraîtra encourager leur politique.

942Bien sûr, je ne saurais parler d’Ira sans me tromper. Mais elle n’est pas une « petite bourgeoise », le seul fait qu’elle le proclame montre qu’elle ne l’est pas. Quant à l’ « eschatologie », si eschatologie il y a, je la partage avec vous.

943Vous savez, Kafka a beau être mort, il me semble qu’on le comprend de moins en moins. Des livres récents parus en Allemagne m’en persuadent encore.

944On peut ne pas avoir peur pour soi. On a toujours peur pour ses amis. Et vous êtes pour moi un ami très cher. Je vous embrasse de tout cœur

945M.

946Et Boris ?

[26/12/84] L 126

947Très cher Vadim,

948J’apprends par un de nos proches amis communs qu’il serait arrivé à votre bibliothèque peut-être une atteinte fatale – catastrophe qui atteint directement votre vie même. J’en suis bouleversé. Si la chose a pu se faire, Ira étant encore à Moscou, c’est alors qu’elle-même peut un jour ou l’autre être menacée. Je suis dans un grand tourment, et le vôtre reste sans partage. Qu’est-ce qu’Ira va décider ? C’est dramatique. Faites-moi un signe, je vous prie.

949De tout cœur, très cher ami, je vous embrasse.

[08/01/85] L 127

950le 7 janvier

951Très cher Vadim,

952Je suis environné d’impossibilités, mais, bien sûr, moins graves que les vôtres qui ont toujours dépassé les limites humaines.

953Depuis l’annonce par Le Monde de l’arrivée, en fin de mois, d’Ira et d’André, je pense (avec une sorte d’inexplicable soulagement) que les dés sont jetés. Cependant, mieux vaut attendre qu’elle soit là, avant de donner l’interview à Libération. On ne sait jamais quels commentaires des journalistes, même bien intentionnés, peuvent ajouter à de justes paroles pour rehausser l’événement. Voyez ce qui se passe en Israël. Le transfert des juifs d’Éthiopie est brusquement interrompu, parce qu’un journaliste (et des fonctionnaires) ont trop parlé. Et rappelez-vous l’imprudence de Françoise Giroud, pourtant capable de réflexion [89].

954J’avais été averti par la maison G[allimard] de l’heureuse issue de nos interventions qui ne faisaient que rendre justice à l’avenir de la poésie, en vous et par vous. Étant donné les habitudes de la maison, ce contrat n’est pas ordinaire. Il faut tout de même s’en réjouir.

955Dès qu’Ira sera arrivée, j’espère que nous pourrons nous parler et qu’une ère nouvelle commencera peut-être. Pour Boris, il y aura comme un autre ciel. En attendant, c’est l’hiver russe, moins la Russie.

956Ah, je comprends, mon très cher, combien, pour vous, le mieux et le pire s’entrelacent. Voyez-vous souvent les Tatisch[eff] ? Ils aiment profondément Ira et feront beaucoup pour l’aider – du moins je le crois.

957Je ressens cruellement l’absence de Michaux et, dans un autre ordre, la disparition de Corti qui a publié un de mes livres. Avez-vous des nouvelles de l’auteur du Château d’Argol, très beau livre.

958Je vous embrasse, cher Vadim, dans l’espoir, en dépit de tout.

959Votre M.

[23/01/85] L 128

960Très cher Vadim,

961J’ai été assez malade et, de plus, incapable de communiquer à cause de l’hiver qui m’isole.

9621) Où en est Ira ? C’est ma pensée constante.

9632) Les livres, les archives ?

9643) La promotion de Daniel V[ernet] au Monde ne pourrait-elle pas vous procurer une place dans ce journal ? Non pas de journaliste, tâche qui ne vous conviendrait pas, mais conseiller pour les affaires soviétiques. Personne mieux que vous ne connaît ce monde.

9654) Enfin, notre cher Karol s’est décidé à démasquer Zinov[iev]. Il faut s’attendre à une volte-face de celui-ci, mais son fond stalinien a été pour moi indéniable dès le début. Et dire que de jeunes philosophes, pleins de bonne volonté, se sont fourvoyés au point de mettre sur le même plan Levinas et Zinoviev.

966Non, vous ne serez jamais un émigré, mais plutôt, comme moi, un errant (et dans mon cas un errant qui ne bouge pas).

967Ces Juifs noirs, je les aime. D’où viennent-ils ? Cela est peu important. De loin, de très loin.

968Je vous embrasse, très cher, de tout mon cœur,

969Maurice.

[05/02/85] L 129

970Très cher Vadim,

971Votre texte est excellent, riche de promesses et de propositions. En revanche, le texte d’accompagnement que vous m’avez demandé ne me satisfait guère. Vous en ferez ce que vous voudrez. J’avais l’impression que Michel Deguy qui apprécie votre texte, lui-même poète réputé, directeur de revues de poésie et universitaire de haut rang, serait bien placé pour exprimer un jugement qui impressionnerait.

972La disparition de Souvnitchsky est un deuil pour tous. Il s’en va par le chemin que d’autres suivront bientôt. Il est grand temps qu’Irène vienne ; puisse son départ nécessaire s’accomplir dans les meilleures conditions.

973Vous l’embrasserez de ma part, ainsi qu’André. Pour vous, mes sentiments fervents d’amitié fidèle.

974M

[III. Irène Kozovoï en France]

[16/04/85] L 130

975Mardi ?

976Très cher ami Vadim,

977Rien de ce que vous pensez ne justifie mon silence (seuls la maladie, les faibles forces, et un travail auquel malgré tout je dois faire face). Constamment, je voulais vous écrire, écrire à Ira dont la lettre merveilleuse, si peu conventionnelle, si riche d’impressions personnelles et originales, m’a touché au cœur. Je voudrais tant lui épargner les déceptions, les moments difficiles du destin. Elle est pour moi comme une jeune sœur qui sait tellement plus de choses que moi et qui a traversé avec fierté l’infortune, la détresse, sans perdre un certain sourire. Mais je lui écrirai, comme je vous écrirai.

978Parlez-moi d’elle, de vous, des enfants. Sachez bien que je suis auprès de vous tous avec cette amitié indubitable, ce que les Anciens appelaient la philia, amour toujours offert et jamais découragé. Ce qu’il y a peut-être de meilleur dans les relations humaines.

979Votre Maurice

[07/06/85] L 131

980Très cher Vadim,

981L’amitié n’est pas muette, elle est silencieuse, elle parle par le silence.

982J’aime et j’admire Ira d’aller si studieusement à l’Alliance française. Un jour, elle apportera à cette langue quelque chose de nouveau. Quel merveilleux enfant qu’André. Mais est-ce que la lecture de Gogol n’est pas périlleuse ? À son âge, je lisais à mon père qui souffrait des yeux Dickens, tout Dickens. Cela ne m’a pas influencé, mais cela m’a marqué : les malheurs des enfants, la misère des bas-fonds.

983Nous souffrons de la même insomnie.

984Que pensez-vous de Tarkovski, séparé de son enfant [90] ? Je crois que Gorb[atchev] cherchera à ne pas déplaire aux Occidentaux qui sont peu favorables à la guerre des étoiles. De même, il me semble qu’il y ait un léger rapprochement avec Israël. Mais, bien sûr, le fond ne change pas.

985Je suis fort attristé par la mort de Jankélévitch qui avait précisément écrit un livre sur la mort. Il me paraissait encore si jeune.

986Avez-vous eu un signe de la part du CNRS ? Je crains que non.

987Est-ce qu’il avait toujours été entendu que le séjour de Boris à E[tienne] M[arcel] serait limité ? Cela est très préoccupant.

988Monique vous dit son affection. Sa santé physique et morale est bien mauvaise.

989De tout cœur, je vous embrasse tous trois.

990Maurice

[08/07/85] L 132

991Le 3 juillet 85

992Mes très chers

993Bien inquiet et préoccupé de ne plus avoir de vos nouvelles. J’ai pensé que vous étiez en Suisse, conformément à vos projets. Mais qu’en est-il maintenant ? Quel jugement portez-vous sur la vie ici, et sur ce qui s’est passé là-bas ? Avez-vous retrouvé vos livres et vos manuscrits ? Bref, je pourrais poser des questions et des questions, sans formuler les plus importantes. Où en est le travail, où en est la vie ? Et André et Boris. L’essentiel est que vous sachiez que je pense à vous avec ma fidèle amitié et que je vous embrasse tous deux de tout cœur

994Maurice

[21/08/85] L 133

995Très cher Vadim, je venais de vous écrire une lettre d’inquiétude – votre silence, l’absence pressentie d’Ira, la mort de Tatischeff, et bien d’autres sentiments malheureux – lorsque la vôtre vient de me parvenir. Ma première question : où est André ? Vous ne parlez pas de lui. Du moins, nous savons que notre ami N[icolas] Kh[ardjiev] est vivant (est-il malade ?). Où demeure Ira ? Son appartement existe-t-il toujours ? Ou chez sa mère.

996Quand j’écris à Ira, elle ne doit pas se sentir obligée de me répondre. Mais je lui écris comme à une amie que je voudrais qu’elle soit.

997Ce voyage est tout de même risqué à tout point de vue, et quand elle reviendra, est-ce qu’elle reviendra [91] ?

998Parlez-moi un peu de vous, et de Boris. Je n’ose plus poser de question, mais je vous embrasse dans la fidélité de l’amitié.

999M.

[04/11/85] L 134

10005-11-85

1001Très cher Vadim,

1002Combien j’ai été heureux de recevoir un mot de vous. Votre silence me faisait mal et je ne pouvais le rompre. Est-ce qu’Irène est fâchée contre moi ou déprimée de sa vie mélancolique ?

1003Je suis fort mal en point. C’est naturel, et c’est la vie. Je vous souhaite tout le bonheur possible ou le moins de malheur qui se puisse.

1004Tous deux, tendrement, je vous embrasse.

1005Maurice.

[27/11/85] L 135

1006Très cher Vadim,

1007Merci pour votre lettre et les nouvelles qu’elle m’apporte, bonnes et mauvaises… mais comment vont les enfants ? André ? Boris ? Je pense à eux, vous le savez – ils sont la part fragile de nous-mêmes. Est-ce qu’Ira continue d’aller à l’Alliance française ? Lisant une brève biographie de Levinas, j’ai appris qu’il avait passé la guerre de 14 à Kharkov [92]. Je connaissais son amour du russe et sa familiarité avec les grands classiques russes. Aujourd’hui encore, la pensée de Pouchkine lui fait chaud au cœur. Quand il est arrivé à 17 ans à Strasbourg pour y faire ses études, il n’avait qu’une connaissance très insuffisante du français, alors qu’il savait très bien l’allemand. Il a pourtant préféré l’Université française (heureusement pour lui et surtout pour moi) – ce qui ne l’a pas empêché de passer une année à Fribourg pour y suivre les cours de Husserl et plus tard de Heidegger. Tout cela pour dire que la langue française n’a rien qui puisse effrayer Ira : c’est une question de consentement intérieur. Et vous-même, quel bel exemple.

1008Je me réjouis bien entendu de la « mission » qui vous a été confiée par le CNRS, fût-elle provisoire, car le non-renouvelable peut se renouveler – il suffit, entre temps, que vous publiiez un livre. Mais les critiques de ce prétentieux de Closet (cela s’écrit-il ainsi ?) n’ont pas arrangé les choses.

1009Pour votre bibliothèque, je crois que votre première idée était la meilleure (la faire revenir morceaux par morceaux, clandestinement ou silencieusement, grâce à la valise diplomatique), mais l’aide indispensable vous a manqué – l’incurie diplomatique.

1010Je pense à vous de tout cœur, et vous embrasse ainsi qu’Ira tendrement

1011M.

[27/12/85] [93] L 136

1012Avec tous mes souhaits pour vous deux et pour vous quatre et aussi pour tous vos amis lointains, ainsi que pour tous ceux que la poésie expose et en même temps protège.

1013Je vous embrasse

1014Maurice

[25/03/86] L 137

1015Bien chers tous,

1016Qu’en est-il de vous ? j’ai été très heureux de la lettre d’Ira et du petit mot d’André. J’ai pour eux une grande affection.

1017La mère d’Ira est-elle toujours auprès de vous ?

1018Connaissez-vous Rémond, l’ancien ambassadeur à Moscou et le nouveau ministre des Affaires étrangères ?

1019Où en est votre travail, à supposer qu’une telle question ne soit pas indiscrète ?

1020Affectueusement à vous tous

1021Maurice

[21/04/86] L 138

1022le 21 avril 1986

1023Très cher Vadim,

1024Vous savez combien j’aime Ira. Vous savez combien je souffre de sa souffrance, prêt à tout faire pour l’alléger.

1025Je ne voudrais pas être indiscret, mais il me semble indispensable de mieux connaître les symptômes du mal qui l’afflige. S’agit-il d’une dépression ? Je sais par expérience qu’il n’y a rien de plus douloureux – une douleur qui vous transperce le cœur. Mais elle est en général silencieuse, avec pour effet de retirer toute force pour agir et même pour vivre.

1026Il y a aussi un syndrome qui fait se succéder agitation et dépression. C’est un mal tout autre qu’apaise, en général, l’usage du lithium convenablement dosé.

1027La difficulté est de pouvoir se confier à un médecin prudent. Deguy connaît sûrement Pontalis, psychanalyste certes, mais parfaitement libre à l’égard de sa discipline. Je crois d’ailleurs que vous le connaissez aussi.

1028Quand le mal d’Ira a-t-il pris cette tournure désastreuse ? La plupart du temps, les causes échappent. Seule demeure la souffrance, la difficulté de vivre.

1029J’embrasse Ira, comme je vous embrasse, ainsi qu’André, de tout mon cœur

1030Votre M.

[24/05/86] L 139

1031Ah, certes, cher Vadim, je pense à vous – il n’y a pas d’oubli en moi. Et je pense aussi particulièrement à Ira. Travaille-t-elle toujours ? Et les enfants ?

1032Naturellement, vous savez qu’à la femme du professeur à la Sorbonne, votre ami, on a refusé un visa pour passer quelques jours à Moscou – ce qui prouve que les mécanismes mauvais sont toujours en place. À Gorb[atchev], je ne fais pas une confiance particulière, et il rencontre tant d’obstacles. Le régime est le régime.

1033J’ai lu vos pages dans Po&sie et j’en ai été heureux [94].

1034Donnez-moi des nouvelles de tous, si vous le voulez bien.

1035À vous, avec affection

1036Maurice

[05/06/86] L 140

10375 juin

1038Très cher ami,

1039Mon silence ne vient que de mon état de santé qui m’a posé ces temps-ci trop de problèmes, lesquels, au reste, demeurent irrésolus.

1040Mais, à travers le silence, je pense à vous et à Ira avec une affection qui ne s’est pas toujours exprimée comme il aurait fallu.

1041Quant à la Quinzaine, celui qui la dirige est un de mes plus anciens compagnons d’amitié. C’est un homme juste (de justice et de justesse), et vous savez comme ils sont rares – ici et là.

1042De tout mon cœur, je vous embrasse, comme j’embrasse Ira, dans la fraternité et la fidélité,

1043Maurice

1044Je sais que je puis compter sur votre discrétion : ne dites rien de moi à personne.

[08/07/86] L 141

1045Chère Ira, cher Vadim

1046Je pense à vous de tout cœur : même m’enfonçant dans la nuit, je ne cesse de vous aimer.

1047Maurice

[20/10/86] L 142

104819 oct.

1049Très cher Vadim,

1050Je suis désolé, peiné, chagriné de vous savoir exposé à perdre la lumière, la lecture, la nuit. Je sais ce qu’il en coûte de ne pouvoir lire, écrire avec les aptitudes que nous avions reçues (plutôt qu’acquises).

1051A-t-on donné un nom à votre mal ?

1052Je puis essayer de lire quelques pages de votre livre. Cela me serait précieux.

1053Comment va Ira, et André et Boris ? Ces noms sont dans mon cœur, comme le vôtre.

1054M. B.

[03/01/87] L 143

10552 janvier 1987

1056Très cher Vadim,

1057Je pense à vous de tout cœur, que ce soit dans une année ou dans une autre.

1058À vous, à Ira, aux enfants. Je voudrais tellement que les choses aillent un peu mieux et que votre puissance créatrice ne soit pas altérée par les difficultés extrêmes de la vie.

1059Ira a-t-elle accompli le voyage à Moscou qu’elle projetait ? Que pensez-vous de ce qui se passe là-bas ? Et quelle part faut-il accorder à l’illusion ?

1060Je vous embrasse tous avec ma très fidèle et constante affection.

1061Maurice.

[09/03/87] L 144

10627-2-87

1063Très cher Vadim,

1064Que vous dire qui aille au-delà d’une vérité qui ne nous échappe pas.

1065Pour parler d’instinct, je me méfie beaucoup de ce personnage rusé qui s’appelle Gorb[atchev] et qui oblige les faibles occidentaux à d’autres ruses que certains prennent pour « argent comptant ». Quant à l’Amérique, elle s’effondre momentanément et je n’en suis pas surpris sans m’en réjouir. La dernière rencontre entre Gorb[atchev] et Reagan en Islande a été un abîme d’imbécillité où ont failli sombrer nos dernières défenses.

1066Où allons-nous ? Moi aussi, je préférais Khroutchev, grossier, vulgaire, ex-stalinien, mais capable de mouvements humains, au reste limités et incontrôlés. (Mais il a écrasé Budapest.)

1067Maintenant, Gorb[atchev] est-il si rusé que cela ? Dans la mesure où on voit la ruse, elle n’est pas telle qu’elle puisse tromper. Certes, on se réjouit de ceux qui sont libérés. Toute liberté est bonne, même si les raisons en sont mauvaises. Le drame pour moi se joue dans l’âme (ou l’esprit) des intellectuels russes honnêtes qui n’ignorent pas le double jeu, mais ne peuvent repousser ce qu’on leur offre (parcimonieusement).

1068Le moment viendra où les choses se dévoileront. Mes réserves sont peut-être trop grandes. Mais un homme dont personne n’est capable de juger la « bonne volonté » ne changera pas du jour au lendemain un régime aussi solidement établi. Si j’étais croyant, je dirais : que Dieu vienne en aide au peuple russe qui a tant de mérites et qui a connu tant de souffrances au point que l’avenir ne s’éclaircit pas mais se dissimule.

1069Cela dit et mal dit, je suis heureux pour votre mère, pour la chère Ira, pour les enfants et pour vous, très cher Vadim, qui êtes dans mon cœur.

1070M.

[22/04/87] L 145

1071Le 21 avril

1072Très cher Vadim,

1073Ton texte m’a beaucoup impressionné [95]. Je l’ai lu à plusieurs reprises, toujours avec le même ébranlement. Et la traduction me semble parfaite, au point que l’on ne se rend pas compte que c’est une traduction. L’humour ravageur, comment as-tu fait pour que la langue française l’accueille comme s’il lui était propre ?

1074Reste la forme dialoguée que par un défaut initial j’ai peine à percevoir.

1075M. Guilloux est quelqu’un dont depuis toujours on m’a fait l’éloge [96]. Mais je ne corresponds presque plus avec la maison Gallimard, depuis que celui qui la dirige est exposé à une santé très précaire.

1076À toi et à Ira, mes pensées les plus ferventes.

1077Maurice.

[19/ 05 /87] L 146

1078Le 19 mai 87

1079Très cher Vadim,

1080Oui, envoyez-moi votre avant-propos ou prélude ou interlude. C’est très nécessaire pour l’œuvre elle-même dont l’avant-propos ferait partie. Toutes les qualités de cette œuvre, son côté « génial » (mot que je n’aime pas beaucoup, ni vous) rendent son accès difficile pour n’importe quel lecteur qui n’est pas capable de rompre avec ses habitudes.

1081Deguy m’a écrit. Il me semble qu’il voit très clairement les choses. Mais est-ce que Yannick Guilloux peut à lui seul imposer une publication sans qu’on ait recours au Comité de Lecture.

1082Pour moi qui n’avais de relations qu’avec Claude G[allimard], je me sens très démuni. Mais j’interviendrai de mon mieux.

1083Votre fidèle ami,

1084Maurice.

[29/05/87] L 147

1085Cher Vadim,

1086Pourquoi ne pas donner comme titre général : « Chuchoter plus bas » ?

1087Et dois-je vous l’avouer, quitte à me faire traiter de béotien ou de quelque nom plus malicieux, je me sens plus proche de votre avant-propos que de tout le reste.

1088Par ailleurs j’espérais un peu que, par-delà le propos de l’avant-propos, vous tenteriez, vous plaçant hors de vous-même, de jeter une lumière, fût-elle obscure, sur ces trois contes dialogués. Pourquoi le dialogue ? Cela ne nous renvoie certes pas au théâtre, mais à une forme d’oralité que l’écrit qui est en moi (dans la seule profondeur dont je suis capable) m’empêche, m’interdit d’ « entendre ».

1089Cette difficulté, je ne la surmonterai pas sans votre aide, et une telle aide, je crois que tout lecteur en a besoin.

1090J’ai peur de vous blesser, vous qui êtes extrêmement fort et extrêmement vulnérable.

1091Est-ce que je suis seul à avoir des doutes ? c’est malheureusement fort possible.

1092Comprenez bien que ce n’est pas la minceur de l’ensemble qui fait pour moi problème. Mais c’est peut-être – comment dire ? Un manque apparent de nécessité.

1093Aidez-moi.

1094De tout cœur, je vous embrasse ainsi que la chère Ira. Que dit-elle de ces « textes » ?

[09/06/87] L 148

1095Très cher Vadim,

1096Mais pourquoi ne pas s’adresser à celui qui, hors quelques amis, me semble le plus capable de reconnaître ou au moins de pressentir l’approche d’un Passant considérable ?

1097J’entends Samuel Beckett. Je ne le connais pas personnellement, même si, avec Georges Bataille, et presque contre tous les autres, j’ai été l’un des premiers à dire et à écrire ce qu’il était et ce qu’il allait devenir.

1098La question : encore plus âgé que moi, est-il dans un état physique et moral qui lui permet de lire ? Joyce ne s’intéressait qu’à lui-même, et on ne peut le lui reprocher.

1099Pour ma part, je suis en ce moment un lecteur très insuffisant. Je n’analyse pas tout ce qui manque

1100Mais qu’au moins l’amitié ne fasse pas défaut. De tout cœur, à vous. M.

[15/06/87] L 149

1101J’ai écrit à Claude G[allimard].

[03/07/87] L 150

11024 juillet

1103Cher Vadim,

1104Avez-vous reçu la lettre où je vous disais que j’avais écrit à Claude G[allimard] ? J’aimerais le savoir, car je remets mes lettres au facteur qui vient chaque jour, et comme celui-ci est intérimaire, je ne suis pas sûr qu’il accomplisse convenablement sa tâche.

1105à vous tous, mon amitié fidèle,

1106Maurice.

[28/08/87] L 151

1107Mais, cher Vadim, pourquoi serais-je fâché ? J’ai essayé de vous rendre service, j’ai défendu un texte auquel je croyais peu. Les résultats que j’ai obtenus, loin de vous satisfaire, vous ont irrité. Cette situation a évoqué pour moi tantôt Labiche tantôt Nietzsche.

1108J’ajoute que je suis extrêmement fatigué, et peut-être mon amitié est-elle, aussi, fatiguée.

1109Mes fidèles sentiments pour la chère Ira et pour vous, par-delà les jours et les contingences, l’expression de mon attachement.

1110M. B.

[14/09/87] L 152

1111Très cher Vadim,

1112Ira est-elle revenue d’Israël ? À supposer qu’elle y soit allée. J’aimerais connaître ses impressions.

1113Fidèlement à vous

1114M.

[25/11/87] L 153

1115Le 25 nov. 87

1116Oui, cher Vadim, je pense à vous avec la même amitié persévérante, même si l’expression fait souvent défaut. J’aurais aimé avoir de vos nouvelles, ainsi que des nouvelles d’Ira, si chère à mon cœur. Et les enfants ?

1117Quelles sont les impressions d’Amal[ric] ? Avez-vous gradé là-bas un « pied à terre » ?

1118J’en doute.

1119De tout cœur à vous

1120Maurice.

[10/06/88] L 154

1121Cher Vadim, Ah, je vais vous écrire. Ce que vous dites m’intéresse tellement. Mais il y aura tout de même et toujours des Ligatchev [97].

1122On manifeste et on crie « À bas le KGB » sans que la police intervienne.

1123Je vous embrasse de tout cœur,

1124Maurice.

[20/06/88] L 155

1125Cher Vadim,

1126Vous ai-je dit de ne communiquer mon adresse à personne ? Mais je sais pouvoir compter sur votre discrétion.

1127Ira est-elle partie ? Pas encore sans doute.

1128La mise en cause de Souslov est à mon sens le fait le plus marquant [98].

1129Les soulèvements d’Arménie n’aboutiront pas [99]. Frontières intangibles. Mais l’essentiel est que l’on se soulève.

1130Je vous salue tous dans l’amitié de toujours

1131M.

[12/09/88] L 156

113211 sept.

1133Très cher Vadim,

1134Mais Ira n’est-elle pas revenue ? Sans doute, puisque l’école recommence pour André. Que dira Ira de la Russie ? Et Gorbatchev n’est-il pas menacé (en lui-même et hors de lui-même) ?

1135Et votre travail personnel ?

1136Toutes ces questions disent combien je pense à vous quatre.

1137De tout cœur, je vous embrasse ainsi qu’Ira

1138Maurice.

[26/09/88] L 157

1139Très cher Vadim,

1140Merci pour vos paroles. J’ai toujours le sentiment d’une parenthèse qui peut se fermer. Il y a une fragilité chez Gorb[atchev] et une naïveté chez ceux qui l’admirent exagérément. Mais comme je serais heureux que vos œuvres soient accueillies là-bas et retrouvent leur vrai langage.

1141De tout cœur, je vous embrasse ainsi qu’Ira

1142M.

[06/10/88] L 158

1143Très cher Vadim, comme je suis heureux de votre nomination au CNRS : je vous le dis aussitôt.

1144Oui, toutes ces publications sont stupéfiantes (y compris la critique dirigée contre Gromyko, à l’encontre des éloges officiels de Gorb[atchev]).

1145Ce qui frappe quant à Lénine, c’est, qu’il le voulût ou non, il était lui-même un intellectuel. Certes sa critique de Hegel est superficielle, mais il l’avait lu.

1146Je lirai votre chronique, bien sûr. Mais ne partez pas pour Moscou sans m’en avertir.

1147De tout cœur à vous et à Ira

[26/10/88] L 159

1148Très cher Vadim,

1149Oui, je connais cette lettre de Milena à Brod. Mais connaissez-vous la biographie de Milena, écrite par sa fille (mais non publiée par elle, morte accidentellement). Cette fille raconte qu’un jour elle était tombée amoureuse de quelqu’un qui ressemblait beaucoup à Kafka. Milena lui a dit : jure que tu n’épouseras jamais Kafka, tant le souvenir qu’elle avait gardé de celui-ci était tragique.

1150Vous avez tout a fait raison : les lettres ne sont pas faites pour être publiées.

1151Kafka a détruit toutes celles qu’il a reçues.

1152Comme votre chronique est belle, et comme [elle] témoigne pour un peuple courageux [100].

1153De tout cœur à vous

1154M.

[01/03/89] L 160

1155Très cher Vadim,

1156Comme je suis préoccupé de votre santé. Il y a longtemps que vous pressentiez ce qui pouvait vous arriver. Ira a dû être très inquiète.

1157Je voulais écrire à André pour son anniversaire, mais les forces m’ont manqué. J’ai des hauts et des bas.

1158Sur Kafka viennent de paraître deux livres, l’un de Claude David, l’autre de Pietro Citati. Seul le premier offre de l’intérêt.

1159Il y avait hier, transmis par la télévision soviétique, l’émission du Grand Échiquier. Un chef d’orchestre russe disait des choses extrêmement hardies, comme la nécessité de publier L’Archipel du Goulag, etc. Mais l’on sent toujours la crainte que l’ouverture ne dure pas.

1160Je vous embrasse, ainsi que les enfants

1161Maurice.

1162Est-il indiscret de vous demander des détails sur votre maladie ? Les poumons sans doute qui, depuis le camp, font peser une menace sur vous.

[07/07/89] L 161

1163Juillet 89

1164Très cher Vadim,

1165Quel beau texte dans Po&sie[101], particulièrement vos réflexions face au mausolée de Lénine : c’est bien plus fort que Solj[énitsyne] sur Lénine en Suisse.

1166S[oljénitsyne] reviendra-t-il en URSS ? J’en doute, mais on traduira le Goulag.

1167Quant à votre amicale proposition. Oui, une anthologie serait parfaitement normale. Il y en a une en Amérique où presque tous mes récits ont été traduits (en outre). Je ne la retrouve pas, par suite de mon désordre. Mais je m’en remets à vous pour le choix des textes. Cherchant, je tombe (par surprise) sur un ensemble paru à Bucarest et comprenant l’Espace littéraire et Le Livre à venir (en 1980). Irez-vous seul à Moscou ? Je le pense.

1168Les entretiens de Mitterrand et de Gorb[atchev] ont été très approfondis. « Ne bousculez bouleversez pas l’histoire », lui a conseillé F[rançois] M[itterrand]. Gorb[atchev] ne tient pas à un fil, mais à plusieurs fils. Situation d’un équilibriste toujours en péril. En tout cas, Lénine avait bien prévu que le plus grave problème (à ne pas confier à Staline) serait celui des nationalités.

1169Mes tendres pensées à Ira André et Boris. Et pour vous ma fidèle et confiante amitié

1170Maurice

[07/03/90] L 162

1171Cher Vadim,

1172La Russie ne disparaîtra pas, quoi qu’en pense le directeur du Monde ; elle entrera plus profondément dans son secret et elle connaîtra des soubresauts, des mouvements imprévisibles (Gorb[atchev] montre parfois des visages inquiétants, et les antisémites ont toujours des prétentions).

1173Je pense à vous, à Ira, aux enfants. On célèbre Pasternak sans bien l’entendre et d’une manière trop extérieure [102].

1174Je suis de cœur avec vous tous en ces jours surprenants

1175Maurice

1176J’ai perdu votre adresse et au renseignement on se refuse à la communiquer, car vous êtes sur la liste rouge. D’où mon recours à Gallimard [103].

[03/04/90] L 163

11772 avril 90

1178Cher Vadim,

1179Je pense à vous et à tous les vôtres, croyez-le bien.

1180Et que dites-vous de Gorb[atchev] qui m’inquiète de plus en plus ? Se sert-il de l’armée ou doit-il tenir compte de l’armée où il y a, semble-t-il, beaucoup de désordre ?

1181En tout cas, nous ne pouvons oublier que la Lituanie n’est venue à l’URSS que par le rapt de Staline et son complot avec Hitler.

1182Faites-moi part de votre sentiment et croyez à ma fidèle amitié

1183Maurice.

[8/07/90] L 164

1184Très cher Vadim,

1185Ah oui, je pense à vous, à Ira, aux enfants. Mais beaucoup d’ennuis de santé, touchant mes proches, m’ont rendu encore plus silencieux.

1186Évidemment j’éprouve le plus grand souci pour la Russie. Vous connaissez mon peu de confiance pour Gorb[atchev]. Je crois qu’il en est de même pour certains de nos dirigeants. Mais, étant donné l’avenir incertain, on fait comme si, et on se contente de faux semblants.

1187J’ai lu avec grand intérêt votre texte relatant votre précédent voyage en Russie.

1188Si je puis vous donner des éclaircissements sur Nietzsche, je le ferai volontiers. à vous de tout cœur

1189Maurice B.

[26/07/90] L 165

119022 juillet

1191Très cher Vadim,

1192Cette illustre phrase appartient, à mon avis, au Gai Savoir (les pages posthumes). C’est là que se trouvent l’homme à la lanterne et les affirmations « Nous tous sommes ses meurtriers (Dieu) », avec la suite somptueuse : Comment avons-nous pu vider la mer … etc. Ce thème est du reste emprunté à une nouvelle de Jean-Paul Richter.

1193La phrase que vous citez est dirigée contre les Démons de Dostoïevski pour qui, si Dieu est mort tout est permis. La mort de Dieu pour N[ietzsche] exige au contraire un grand renoncement et une perpétuelle victoire sur nous-mêmes. Peut-être cela nous renvoie-t-il à Par-delà Bien et Mal.

1194Le Gai Savoir amorce en même temps les thèmes de la Mort de Dieu. mais surtout de l’Éternel Retour (Incipit Tragoedia), responsable par son obsession de l’effondrement (si l’on met à part les causes physiques).

1195Je regrette que le désordre de mes livres les soustrait à la réflexion. Les deux livres que Heidegger a consacrés à N[ietzsche], laisse presque entièrement de côté la mort de Dieu. En revanche, je me souviens que le livre de H[eidegger] intitulé « l’Origine de l’Art » contient un chapitre intitulé Dieu est mort.

1196Le journal Le Monde est pour moi une perpétuelle déception.

1197Oui, où allons-nous ?

1198Je pense à vous de tout cœur et chargé Ira de mes meilleures pensées

1199Maurice

[19/10/90] L. 166

1200Cher Vadim

1201Grand merci de votre lettre. Je me faisais des soucis pour vous et pour Ira, les enfants. Il me semble que Le Monde essaie de rectifier les erreurs de Guetta. La nomination de Vernet me semble louable.

1202Merci aussi de ce que vous faites pour mes livres, mais n’y consacrez pas trop de temps.

1203Je vous embrasse tous de tout cœur.

1204M.

1205J’avais perdu votre adresse.

[07/12/90] L. 167

1206Cher Vadim,

1207Vous avez sans doute appris la mort de Robert Antelme. Elle m’a touché au plus profond.

1208J’ai lu vos textes remarquables. Je reste extrêmement méfiant à l’égard de Gorby, le voici qui s’appuie sur l’armée et plus on lui donne de pouvoirs, moins il semble maître des événements.

1209Je suis heureux qu’Ira ait lu L’Arrêt de mort. Merci de me l’avoir dit.

1210Je pense à vous en toute amitié

1211M. B.

[31/01/91] L 168

121231 janvier 91

1213Très cher Vadim, vous savez que je n’ai jamais eu d’illusion sur Gorbat[chev].

1214Sa dérive est en quelque sorte inscrite dans son destin.

1215Mais ce n’est pas cela qui m’importe. Si un texte est nécessaire ou du moins utile, il doit être centré sur les Pays Baltes, leur retour combien légitime à une indépendance qui leur fut confisquée par Hitler et Staline. Ce texte, alors même qu’il ne peut changer les dispositions funestes des dirigeants étrangers, pourra au moins montrer à la Lituanie (patrie d’origine de Levinas) qu’elle n’est pas tout à fait oubliée.

1216A vous fidèlement

1217M.

1218Je fais confiance à Derrida.

[15/02/91] L 169

1219Cher Vadim

1220Merci de votre tirage à part [104]. Je l’avais déjà lu : un peu dépassé, mais très remarquable. J’apprends par Louis-René des Forêts que vous lui avez dit que j’avais signé le texte sur les Pays Baltes. Or, j’ai refusé de le signer. Ou c’est un malentendu ou c’est une usurpation.

1221Pardonnez-moi d’être si ferme et dites à Ira que je pense à elle.

1222Maurice Blanchot

[19/02/91] L 170

1223Lundi 19-2-91 [105]

1224Cher Vadim

1225Je vous réponds brièvement

1226« J’ai confiance en Derrida » voulait dire : si Derrida accepte ce travail, il pourra apporter au texte d’importantes modifications et même le réécrire – en général, il ne signe que ce qu’il écrit lui-même. Mais comment avez-vous pu penser que je m’abritais derrière une personnalité (que j’estime grandement) pour dégager ma responsabilité personnelle ?

1227Quand vous m’avez envoyé la deuxième version du texte, vous ajoutiez : « je vous sais très fatigué : aussi, si vous ne répondez pas, je saurai ce que cela veut dire ».

1228J’ai aussitôt pensé qu’il allait y avoir un malentendu, et je vous ai répondu le jour même (il y a quinze jours) un peu gravement : « je ne me sens pas l’autorité nécessaire pour signer ce texte, même si j’apprécie l’initiative et le fond, mais non la forme. » j’ajoutais : à titre amical (ce qui veut dire non comme signataire) je propose certains changements et notamment « l’ordre ancien » au lieu de l’ordre stalinien, et je vois que vous en avez tenu compte, tout en gardant « organisation fantoche » que je désapprouvais et qui est du pur style stalinien.

1229J’ai mis mon adresse au dos de l’enveloppe, de sorte qu’elle n’a pas pu se perdre (ma lettre).

1230Cher Vadim, vous êtes un poète, vous êtes aussi une volonté extraordinaire. Une force qui va. Je l’entends comme une vertu au sens ancien.

1231Je suis heureux qu’Ira travaille et écrive.

1232à vous,

1233M. B.

[05/08/91] L 171

12343 août

1235Cher Vadim,

1236Comment allez-vous ? Comment vont les vôtres, les enfants et votre femme aimée ?

1237Et que pensez-vous, bien sûr, des événements de Russie ? Peut-on se fier à Eltsine, beaucoup trop vite peut-être qualifié de populiste ? Et Solje[nitsyne] qui s’aperçoit peut-être que les temps changent ?

1238Amitié profonde à tous

1239Maurice Blanchot

[20/08/91] L 172

1240Le 20 août 91

1241Cher Vadim

1242J’ai tenté de vous appeler, mais vous êtes sur la liste rouge [106].

1243Que pensez-vous de ce mini-Coup d’État [107]. Le peuple peut-il se soulever ?

1244Après-demain on signait l’Acte d’Union. Quant à la mauvaise santé de Gorbatch[ev], voilà un prétexte ridicule. Les vacances sont toujours fatales. Mais Khroutch[ev] fut plus surpris. Et après tout Gorb[atchev] est toujours secrétaire du PC, c’est-à-dire 0.

1245Un mot de vous me ferait plaisir. J’embrasse Ira et les enfants

1246M. Blanchot

[26/08/91] L 173

1247vendredi

1248Ah, cher et grand pays, comme disait De Gaulle parlant de la France. Oui, grand peuple russe s’éveillant à la liberté.

1249Mais l’histoire reste obscure. Au début, autant qu’on le sache, quelques centaines de personnes entouraient Eltsine (le seul à n’avoir pas mis en doute le comportement suspect de Gorba[tchev]) les uns ont trompé les autres : quand Boris E[ltsine] a annoncé que les conjurés prenaient la fuite et cherchaient à gagner l’aéroport, ce n’était pas vrai. Mais il était vrai que son second, avec un représentant français, 3 traîtres, et quelques fidèles, gagnait la Crimée [108]. Certes à l’arrivée, il y avait des adversaires qu’on put contourner par des chemins obliques, mais quand on arriva près de la fameuse datcha avec piscine, marbre, etc. une soixantaine de fidèles gardaient Gorba[tchev] et sa famille. Que fut-il dit pendant l’heure d’entretien ? C’est après que Gorba[tchev] a décidé de revenir à Moscou qu’il n’eût jamais dû quitter.

1250Ce qui est sûr, c’est que l’on ne veut plus du communisme, que ce coup de force accompli par des compagnons ou du moins des collaborateurs de Gorbatchev achève de déshonorer.

1251Ah, je suis heureux, mon cher, cher ami. Chose étrange Boris E[ltsine] n’est pas un orateur – d’où vient son rayonnement ? La révolution Française fut le fait de grands orateurs, Danton, Mirabeau. la révolution bolchevique aussi. Gorba[tchev] sait parler, mais on ne l’aime pas.

1252Je partage ma joie avec vous.

1253M. B.

[17/09/91] L 174

1254Sept. 91

1255Chère Irène

1256Cher Vadim,

1257Ah, comme je suis heureux d’être avec vous, dans ces moments qui nous dépassent, où nous sommes à la fois dans la joie et dans l’inquiétude – dans le Terrible au sens de Rilke. Oui, c’est un bonheur d’être ensemble et de nous savoir ensemble, quoi qu’il arrive. J’ai confiance dans ce grand peuple. Mais savions-nous qu’il serait difficile de soutenir de tels bouleversements que nous souhaitions ? la poésie ne nous quittera pas.

1258Du cœur, de tout, avec vous deux.

1259Maurice.

[21/01/92] L 175

1260Ah, cher Vadim, quelle tristesse. Je pressentais ce malheur et je n’osais vous interroger sur le destin que nous subissons en commun, privé et public [109]. Mais croyez bien que ma pensée est toujours auprès de la vôtre, et qu’elle fait signe à Ira comme aux enfants.

1261Il y a quelques semaines, j’ai signé le traité pour Kafka, sachant bien que je vous devais cette décision, fidèle ami.

1262Dites-moi ce que vous pensez de l’avenir. Est-il lisible ? Est-il nécessairement défavorable ? Si j’interroge votre Sphinx, que me répond-il ?

1263Toujours de cœur avec vous et avec Ira

1264Maurice

[21/05/93] L 176

1265Ascension

1266Ah, Chère Ira, cher Vadim, comme j’ai été heureux du signe que vous me faites. Les liens entre nous ne peuvent se rompre.

1267Je vous remercie, bien sûr, des livres russes et des corrections que vous voudrez bien y apporter. Et combien heureux que votre poésie rejoigne sa langue natale.

1268Je vous embrasse tous et ne nous éloignons pas. Chère Ira, comment êtes-vous

1269M. B.

1270N’oubliez pas de me rappeler votre adresse

[21/10/93] L 177

1271Cher Vadim,

1272Grand merci pour votre lettre – à Ira, à vous, aux enfants, toujours vont mes pensées.

1273Grâce à madame Ania Chevalier, j’ai déjà un contrat avec une maison d’édition russe (le nom commence par K) pour la publication d’une anthologie de mes essais (fort bien faite), plus La Folie du Jour (50 000 exemplaires sous la protection de notre ambassade).

1274Je suis heureux bien sûr, pensant que votre poésie commence à être reçue.

1275Je n’arrive pas à me faire une idée juste de Boris E[ltsine]. Mais enfin il vient de sauver la Géorgie (du moins, je l’espère).

1276Écrivons-nous. Tant que la vie nous le permet.

1277Je vous embrasse tous,

1278Maurice

[17/08/94] L 178

1279Très cher Vadim, combien je suis heureux d’avoir de vos nouvelles. Comment vont les enfants, l’aîné ?

1280Moi aussi, je suis inquiet de la Russie. Que pensez-vous de Boris Eltsine ? Est-il malade ? Peu capable ? Clinton est assez insignifiant, et le gouvernement d’ici ne me plaît guère.

1281Dites à Ira que je l’aime, comme je vous aime tous. Mais j’ai tellement à faire, et des choses pas drôles.

1282Je vous embrasse tous

1283Maurice

[19/08/94] L 179

1284Octobre

1285Cher,

1286Pardonnez mon silence, mon écriture (j’écris sur mes genoux) et de mon retard à vous remercier de vos lettres qui me touchent.

1287J’ai apprécié votre texte paru dans le « Monde » (journal qui hélas décline) tout en pressentant qu’on ne vous avait pas laissé toute liberté d’expression.

1288Vous recevrez bientôt un petit livre, et vous êtes le seul à pouvoir en témoigner l’authenticité, puisque je vous ai fait part de l’Événement dans une lettre écrite il y a bien des années [110].

1289Je pense à Ira, à vous, à tous les vôtres, avec une fidèle et profonde amitié.

1290Maurice

[12/10/94] L 180

129119 août 94

1292Très cher

1293Merci pour votre lettre. J’y réponds écrivant sur mes genoux. Dommage qu’André n’ait pas choisi la faculté de Lettres.

1294Connaissez-vous Serge Zenkine ? Il a passé 3 mois à Vannes, m’a adressé la traduction de l’Arrêt de mort, due à Irina Stal ou Staf – malheureusement, le titre est devenu pri smerti (« à l’article de la mort ») [111]. La littérature étrangère (Moscou) a accueilli le texte intégral que S. Zenkine a préfacé.

1295Dans « Nouvelle Revue Littéraire » il a traduit La littérature et le droit à la mort, mais qu’est devenu Kafka [112] ?

1296Je lui ai parlé de vous et de notre si ancienne amitié (sans communiquer votre adresse que je vous remercie de me rappeler).

1297La biographie de Goethe est-elle en français. Nous avons été apparentés à Charlotte von Stein qui ne lui pardonna jamais son voyage solitaire et impromptu en Italie [113], au point qu’à sa mort elle refusa de laisser le cortège funèbre passer sous les fenêtres de G[oethe].

1298Embrassez Ira qui est si profondément associée à notre amitié. À vous, à vous tous

[13/2/95] L 181

1299Très cher Vadim,

1300Je suis fort inquiet de ce que vous dites trop discrètement de votre santé. tesvous sûr du chirurgien qui vous opérera ? Sans doute. Ne livrez pas ce qu’il y a de plus précieux en vous à un opérateur insuffisant.

1301Quant à votre livre d’essais, s’agit-il d’essais philosophiques, politiques, poétiques [114] ? Peut-être Le Seuil vous offrirait plus de garanties (s’adresser à Wahl)

1302Sur la Russie, vous m’avez beaucoup enrichi.

1303Je vous embrasse, comme j’embrasse Ira et les enfants.

[03/07 ?/95] L 182

1304Cher Vadim,

1305Dans ce que l’on dit, tout ne peut être erroné. Eltsine, sans en avoir les moyens veut-il s’élever jusqu’à l’ombre de Staline ? À mon sens, il ne durera pas, mais donne à penser que la Russie n’est pas gouvernable, sauf par le crime et l’ignorance des droits de l’homme.

1306Votre avis me serait très précieux.

1307Tendres pensées à vous

1308Maurice.

[?/?/95] L 183

1309Très cher Vadim,

1310Vous ne dites rien de votre santé. Va-t-on vous opérer ? Ou est-ce fait ?

1311J’ai demandé de vos nouvelles à M[adame] Chevallier.

1312Pauvre Ira, que de tristesse [115].

1313Je vous embrasse de tout cœur.

1314Maurice.

[27/03/97] L 184

131527 mars

1316Très cher Vadim,

1317Je suis avec vous de tout cœur, comme avec Ira. Je vous écrirai bientôt.

1318À Saint-Petersbourg, je crois, sous la surveillance de M[adame] Chevallier, a paru une partie de mon œuvre (hélas, pas assez de récits) 2 volumes. Je recopie mal : Literatura na swiecie) [116].

1319Mais ce qui compte, c’est le cœur entre nous

1320Tous ensemble.

1321M.

[19/09/97] L 185

132217/9

1323Cher Vadim,

1324Comme je suis heureux de vous retrouver. Votre amitié m’est précieuse. Entre temps est venu le médecin. Bientôt, je rentre chez moi. La volonté n’est pas inutile.

1325Parlez-moi du livre d’Ira et de vos projets plus précisément [117].

1326Il y a une part de moi-même qui est cartésienne, une autre russe peut-être, à la façon de Rilke.

1327J’arrête, je divague, mais du fond du cœur je suis avec vous, cher cher ami.

1328Je vous embrasse, ainsi qu’Ira et les enfants.

[06/01/98] L 186

1329le 6-1-98

1330Très cher Vadim,

1331Oui, j’ai bien reçu Po&sie avec votre texte que j’ai apprécié [118]. Chaque mois, je reçois Po&sie, une revue qu’il faut lire.

1332Merci pour tout ce que vous m’écrivez. Mais les enfants ? qui n’en sont plus.

1333Mes pensées vont à Ira, à vous, à la Russie incertaine.

1334Écrivez-moi, j’en suis heureux

1335Moi aussi, je vous embrasse

1336M. B.

[Maurice Blanchot]

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[Maurice Blanchot]


Date de mise en ligne : 01/10/2016

https://doi.org/10.3917/poesi.112.0007

Notes

  • [1]
    En 1976, Vadim Kozovoï publie une traduction commentée des écrits sur l’art de Paul Valéry, aux éditions Iskousstvo.
  • [2]
    Cf. C. Bident, Maurice Blanchot, partenaire invisible, Champ Vallon, 1998, p. 507.
  • [3]
    Monique Antelme, épouse de Robert Antelme et grande amie de Maurice Blanchot.
  • [4]
    Il s’agit sans doute du recueil de Vadim Kozovoï, Sursis d’orage publié en russe en 1978 aux éditions de l’Age d’Homme.
  • [5]
    Georges Nivat, né en 1935, écrivain, traducteur et professeur de littérature russe à l’université de Genève. Cf. Irina Emélianova, Légendes de la rue Potapov, Fayard 2004, p. 148 sq.
  • [6]
    Otage de l’éternité. Mes années avec Pasternak, Olga Ivinskaïa, Fayard 1978.
  • [7]
    Né en 1965, Boris Kozovoï est le fils aîné d’Irina et Vadim Kozovoï.
  • [8]
    Il s’agit de Boris Pasternak mort en 1960. Sur la mort de Pasternak, cf. Légendes de la rue Potapov, op. cit., p. 166 sq.
  • [9]
    Stéphane Tatischeff (1934-1985) professeur de littérature russe à l’École des langues orientales. Stéphane Tatischeff et sa femme ont accueilli chez eux Vadim et Boris à leur arrivée en France pendant plusieurs mois.
  • [10]
    Cf. la lettre à Kroutchev évoquée dans Les légendes de la rue Potapov, p. 126-127.
  • [11]
    Andréi Kozovoï, né en 1975, fils cadet d’Irène et de Vadim, était encore en URSS avec sa mère.
  • [12]
    Cf. « De craie et d’ardoise », in Hors de la colline, p. 73. Blanchot modifie le texte : « entre deux points de douleur la poésie est la voie la plus courte ».
  • [13]
    Cf. La planche de vivre, Paris, Gallimard, 1981.
  • [14]
    Il s’agit de l’entretien avec France Huser paru dans Le Débat, Gallimard, n° 14, juillet- août 1981.
  • [15]
    Daniel Vernet, correspondant indépendant à Moscou à partir de 1977, puis directeur des relations internationales au journal Le Monde, est l’auteur de nombreux ouvrages sur la Russie. Indiquons Vivre à Moscou, des deux côtés du miroir (1984) et URSS (1990).
  • [16]
    Alors administratrice du bureau des droits d’auteur à la maison Gallimard.
  • [17]
    En mars 1981, la répression d’une occupation des militants de Solidarnosc à Bydgoszcz en faveur de la légalisation de Solidarnosc Rurale est réprimée très violemment par 200 policiers et pousse la base à une grève générale illimitée. Le Bureau Politique du POUP dénonce Solidarnosc pour « avoir créé une situation d’anarchie » ; une majorité de la direction veut même déclarer l’Etat d’urgence et envoyer la troupe contre le syndicat. Jaruzelski, chef de l’armée, s’y oppose et menace de démissionner. Pour faire face à cette pression et contrer la politique de collaboration prônée par Walesa, se développe au sein de Solidarnosc un courant « radical » autour d’Andrzej Gwiazda, de Marian Jurczyk, le candidat le plus populaire à la direction de Solidarnosc en opposition à Walesa et de Rulewski, un des militants de Bydgoszcz. En septembre 1981, au congrès de Solidarnosc, ces trois candidats rassemblent 45 % des voix. En automne 1981, sous prétexte d’aider à résoudre la crise de distribution alimentaire, des officiers sont envoyés dans les campagnes d’abord, dans les villes ensuite, pour se préparer à prendre les postes clés à travers le pays.
  • [18]
    Alexandre Zinoviev (1922). Ecrivain dissident : expulsé d’URSS en 1978, il y retrouve sa citoyenneté en 1990 et rentre en Russie en 1999 pour y défendre une position « stalinienne ». Parmi ses nombreux ouvrages traduits en français, on indiquera Les hauteurs béantes, 1976, Homo sovieticus, 1990 ; Les confessions d’un homme en trop, 1990 ; La suprasociété globale et la Russie, 2000
  • [19]
    En 1956-1957, Vadim Kozovoï participe à un groupe clandestin d’étudiants de l’université de Moscou qui tentaient, après le XXème congrès du Parti, d’agir en faveur de la libéralisation du régime. Tous les membres du groupe furent arrêtés et condamnés à différentes peines. Vadim fut interné pendant six ans dans le camp de Mordovie. C’est là qu’il fait la connaissance d’Irina Emélianova internée avec sa mère à la suite de la publication du Docteur Jivago. Cf. Les légendes de la rue Potapov, op. cit., p. 229 sq.
  • [20]
    C’est la première mention du projet qui aboutira à Hors de la colline, recueil de Vadim qui sera publié en 1984 chez Hermann dans la traduction de J. Dupin et M. Deguy avec la postface de M. Blanchot et les illustrations d’Henri Michaux.
  • [21]
    Andrei Sakharov (1921-1989). Physicien, il fut un des inventeurs de la bombe H soviétique (1953). Militant des droits de l’homme et prix Nobel de la Paix en 1975. Dissident, placé en résidence surveillée à Gorki de 1981 à 1986, il est élu au premier congrès des députés des peuples en 1989. Elena Bonner épousa Andreï Sakharov en 1972 et devint son ambassadrice dans le monde. En janvier 1980, Sakharov est assigné à résidence. A son tour, Elena le sera jusqu’en 1985. Après la mort du scientifique en 1989, elle est restée une figure de l’intellectuelle engagée. Elle est actuellement conservatrice du musée Zakharov à Moscou.
  • [22]
    Au début du mois de décembre, l’occupation de l’Ecole des Pompiers de Varsovie est réprimée de manière brutale avec l’intervention des forces spéciales de la police et des hélicoptères. Il s’agit d’un ballon d’essai : sans riposte majeure de la part du mouvement ouvrier, Jaruzelski sait que la voie est libre. Dans la nuit du dimanche 13 au lundi 14 décembre 1981, l’armée polonaise coupe toute communication, bloque les routes et arrête les dirigeants nationaux et régionaux de Solidarnosc réunis à Gdansk. Les troupes d’élite sont envoyées dans les centres stratégiques de Solidarnosc : les chantiers Lénine, Nowa Huta, les usines Ursus, Katowice et les principales mines de Silésie. Les travailleurs résistent avec grèves et occupations mais la grève générale ne se concrétise pas. Une chape de plomb brise l’organisation de la classe ouvrière polonaise jusqu’en 1989, date à laquelle Jaruzelski cèdera le pouvoir à Solidarnosc.
  • [23]
    Lors d’un voyage fin 1981, Jacques Derrida est enfermé quelques jours dans une prison tchèque alors qu’il soutenait sur place les intellectuels dissidents de la Charte 77. Il sera libéré le 1er janvier 1982. Cf. Cahiers de l’Herne Jacques Derrida, 2005, p. 603.
  • [24]
    Dubcek Alexander (1921-1992). Homme politique tchèque. Au début de 1968, Dubcek est nommé secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque. Lorsque les tanks soviétiques envahissent la Tchécoslovaquie le 21 août, Dubcek est arrêté par le KGB et emmené en URSS avec d’autres personnalités politiques. A la suite de négociations particulièrement délicates, il sera relâché.
  • [25]
    Hors de la colline, op. cit., p. 27.
  • [26]
    Une page du quotidien Le Matin consacrée aux librairies russes de Paris est jointe à la lettre.
  • [27]
    Le long poème « Encore une variation » (Hors de la colline, p. 101 sq.) est dédié à la mémoire de Constantin Bogatyriov, traducteur de Rilke en russe assassiné par des agents du KGB en 1976.
  • [28]
    Ingold traducteur en Allemand de Vadim Kozovoï dans le numéro 3 de la revue Akzente.
  • [29]
    Jointes à la lettre 47 deux feuilles extraites du Nouvel Observateur du 24 avril 1982 : le Cahier de lectures de Claude Roy intitulé Pouchkine, pas mort, URSS suit. Blanchot a souligné la phrase : « le culte des poètes en URSS n’a je crois d’équivalent nulle part au monde » et il ajoute une remarque : « Claude Roy est un très gentil garçon, mais.. »
  • [30]
    Il s’agit de la lettre du samedi 18 Juillet 1868 envoyée d’Avignon. Mallarmé y évoque ce sonnet « inverse : je veux dire que le sens, s’il en a un (mais je me consolerais du contraire grâce à la dose de poésie qu’il renferme, ce me semble) est évoqué par un mirage interne des mots mêmes ». Cf. Mallarmé Œuvres complètes, Paris, Pléiade, édition Marchal, 1998, p. 730-732.
  • [31]
    Il s’agit du poème Dichtermut, Courage poétique dont on connaît trois versions. Maurice Blanchot traduit le premier quatrain : « Bist denn du nicht verwandt allen Lebendigen ? / Nährt zum Dienste denn nicht selber di Parze dich ? Drum ! so wandle doch wehrlos / Fort durchs Leben und sorge nicht ». Cf. Hölderlin, Poèmes / Gedichte, Aubier, 1943.
  • [32]
    Telle est la version de Ni fleurs ni couronnes dans l’adaptation de J. Dupin et M. Deguy : « comme désastre ils furent en leur jeunesse gris / au seuil de mort gardant comme crachoir l’œil lucide / d’un bout de bottes deux fois touchèrent la peste fécale / où pelucheux poussah l’ours au rancart barbotte cabossé / du bonnet / car leur moustique poupon s’est déployé pourceau / broutant tripes pour quatre et va vite crapule / s’étouffer de vipères / plus pur que bleu des ciels ils virent un soubresaut / d’argent là-haut du dirigeable / en jeunesse seuil de mort / mais point ne s’inclinèrent devant la solitaire amorce / d’oiseau lancé au frisquet cent frissons par / l’homme-bête limpide ». Hors de la colline, op. cit. p. 87.
  • [33]
    Homme de théâtre et « metteur en voix » à France Culture.
  • [34]
    Thomas Ferenczi journaliste du Monde alors en poste en URSS.
  • [35]
    Hors de la colline, op. cit, p. 41.
  • [36]
    Hors de la colline, respectivement, p. 97, p. 115 (sous le titre de « Solitude » ?) p. 19, p. 9, et p. 87.
  • [37]
    Cf. L’instant de ma mort, Fata Morgana, 1994.
  • [38]
    Youri Andropov (1912-1984) fut à la tête du KGB de 1967 à 1982. En 1982 il succède à Brejnev comme secrétaire général du PCUS et comme président du soviet suprême. Il occupera ces fonctions jusqu’en 1984 et soutiendra l’ascension de Gorbatchev au sein du bureau politique.
  • [39]
    Cf. les remarques de Christophe Bident in Maurice Blanchot, partenaire invisible, op. cit, p. 543-544.
  • [40]
    Le 3 juin 1982 dans la soirée, l’ambassadeur d’Israël à Londres est abattu par un membre du groupe Abou Nidal. Le 4 juin, dans l’après-midi, l’aviation israélienne pilonne le stade municipal de Beyrouth, arsenal principal de l’OLP qui riposte dans la soirée par des tirs d’artillerie sur la Galilée. Simultanément, Béchir Gémayel est averti de l’imminence de la grande offensive israélienne. Le 6 juin, Tsahal s’empare du château de Beaufort, de Tyr, Natabiyé et Hasbaya. Elle poursuit sa progression et investit le Chouf puis atteint l’aérodrome de Khaldé le 9 juin d’où elle commence à bombarder Beyrouth. Le 13 juin, elle parfait l’encerclement de la capitale en occupant Baabda. En une semaine, les Palestiniens perdent 2000 hommes.
  • [41]
    Il s’agit du jour de l’expiration des visas temporaires de Vadim et Boris.
  • [42]
    Le 9 août 1982 un attentat à la bombe fait 6 morts et 22 blessés, rue des Rosiers, devant le restaurant Goldenberg.
  • [43]
    Le théâtre de Grenoble avait refusé d’utiliser la traduction des Trois Sœurs par Vadim Kozovoï.
  • [44]
    Jacques Amalric était alors correspond du Monde à Moscou et Tiflis.
  • [45]
    Hors de la colline, op. cit., p. 41 et 57 sous le titre « Ton aile ».
  • [46]
    Il s’agit de « La parole ascendante, ou Sommes-nous encore dignes de la poésie ? » que Blanchot rédige pour la postface de Hors de la colline, p. 119-27.
  • [47]
    Hors de la colline, op. cit, p. 21.
  • [48]
    Efim Etkind (1918-1999) écrivain, traducteur et théoricien de la traduction, il fut forcé à l’exil par le KGB en 1974 et devint professeur à la Sorbonne.
  • [49]
    « La théorie spéculative de la traduction », essai d’Antoine Berman publié dans Po&sie, n° 22, 1982.
  • [50]
    Recueil de Pasternak publié chez Gallimard le 21 octobre 1982.
  • [51]
    L’article de la Gazette littéraire paru en octobre 1982 attaquait les traductions de Rimbaud par Vadim Kozovoï. Il s’agissait probablement d’un avertissement visant à dissuader Kozovoï de ne pas revenir en URSS.
  • [52]
    Jack Lang fut ministre de la Culture de François Mitterrand de 1981 à 1992.
  • [53]
    Après son arrestation en 1960 pour terrorisme, une grande campagne internationale avait été lancée pour obtenir la libération d’Armando Valladares. Durant sa détention, il fit semblant d’être invalide et un fauteuil roulant fut envoyé par la Croix Rouge Internationale. En 1982, le gouvernement de François Mitterrand, intervint auprès de Cuba pour obtenir sa libération et envoya Régis Debray qui réussit à convaincre le gouvernement de La Havane. Cf. Armando Valladares, Prisonnier de Castro, Grasset Fasquelle, 1979 ; Mémoires de prison, Paris, Albin Michel, 1985.
  • [54]
    Nathan Charansky, ancien dissident « refuznik » de l’URSS devenu par la suite champion de la cause de démocratisation du Moyen-Orient, sera ministre du gouvernement d’Ariel Sharon dont il démissionnera le 1er mai 2005.
  • [55]
    Le Montage de Vladimir Volkoff venait d’obtenir le Grand Prix du Roman de l’Académie Française.
  • [56]
    Leonid Brejnev est mort le 10 novembre 1982.
  • [57]
    Souvtchinsky : musicologue d’origine soviétique. Immigré en France. Grand ami de Vadim Kozovoï dont il a publié la correspondance avec Pasternak. Blanchot fait référence au texte qui sera publié en russe dans le journal Pensée russe le 2 août 1984. Ce texte est inédit en français.
  • [58]
    Il s’agit du poème « Cicéron » de Féodor Tioutchev (1803-1873) : « Heureux qui vécut sur la terre / Les grandes heures du destin, / Puisque les dieux le convièrent / Comme un égal à leur festin ». (1830, traduction de Dimitri Sesemann in Poésie russe, anthologie du xviiie au xixe siècle présentée par E. Etkind, La Découverte, Maspero, 1983.
  • [59]
    Nicole Zand était alors correspondante du Monde à Moscou.
  • [60]
    Voznessenski : poète russe né à Moscou en 1933. La lecture des poèmes de Voznessenski à la Mutualité avait rencontré un grand succès. Cf. A. Voznessenski, Au vent virtuel, Mémoires, Caractères, 2005.
  • [61]
    Vladimir Boukovsky a passé douze ans dans les goulags et hôpitaux psychiatriques d’URSS sous Brejnev. A sa grande stupéfaction, il sera échangé- en 1977 - par Brejnev et Pinochet contre le communiste chilien Luis Corvalan. En 1982, il publie Les pacifistes contre la paix, nouvelle lettre aux Occidentaux (Robert Laffont).
  • [62]
    Le 4 avril 1983, 47 diplomates et résidents soviétiques sont expulsés parce qu’ils sont soupçonnés d’espionnage. Cf. « Mitterand, l’URSS et la Russie », in Mitterand et la sortie de la guerre froide, Paris, PUF, 1998, p. 23-61 et surtout p. 31.
  • [63]
    Jacques Huntzinger était alors le secrétaire chargé des relations internationales au sein du parti socialiste. Il s’était réjoui de l’installation des fusées Pershing américaines sur le territoire de la RFA, en réponse aux SS 20 soviétiques car il pensait que le règlement de la question allemande serait ainsi repoussé de vingt ans.
  • [64]
    Cf. James Knowlson, Beckett, Actes Sud, p. 152 sq.
  • [65]
    Il s’agit d’Adriana Efron (1912-1975) qui passa dix-huit années en exil après son retour en URSS en 1937. Cf. Les légendes de la rue Potapov, p. 261-328.
  • [66]
    Benedikt Livchits (1886-1938) poète futuriste et traducteur de poésie française fusillé par Staline. Ses mémoires, L’archer à un œil et demi : histoire du futurisme russe (L’Âge d’homme, Lausanne, 1971), traitent de la période cruciale, entre 1911 et 1914, de l’effervescence artistique en Russie et constituent un document essentiel sur la première avant-garde russe.
  • [67]
    La Correspondance à trois, Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak, Marina Tsvétaïeva. Paru chez Gallimard en 1983 traduit par Philippe Jaccottet et Lily Denis.
  • [68]
    Bernard Guetta : né en France en 1951. Journaliste, entre autres, au Nouvel Observateur. Correspondant du journal Le Monde à Varsovie de 1980 à 1983. A écrit, entre autres, L’URSS de Gorbatchev.
  • [69]
    Claude Cheysson était alors ministre des Affaires étrangères. Il avait accompagné François Mitterrand lors de son premier voyage en URSS.
  • [70]
    Michel Tatu, soviétologue, souvent sollicité pour ses analyses.
  • [71]
    Médecin français en Afghanistan détenu par le pouvoir de Kaboul.
  • [72]
    Les poèmes de Hors de la colline traduits par J. Dupin et M. Deguy ouvraient le numéro 26 de la revue Po&sie, p. 2-22.
  • [73]
    En septembre 1983, la « guerre de la Montagne » oppose Chrétiens et Druzes. Ceux-ci prennent le contrôle de la région du Chouf.
  • [74]
    Né en 1927, Vadim Zagladine fut journaliste à Novoé Vrémya (1957-1960) puis à Problemy Mira i sotsializma (1960-1964) avant de devenir premier vice- responsable de la section internationale du CC du PCUS (1967-1988). Il fut conseiller de Gorbatchev de 1988 à 1991.
  • [75]
    Vadim Kozovoï avait lu ses poèmes le 12 janvier 1984 dans la petite salle du théâtre de Chaillot.
  • [76]
    Homme politique russe et théoricien du marxisme né en 1888 et mort en 1938. Après avoir participé au mouvement bolchevik de 1906 il est exilé en Suisse, rencontre Lénine à Cracovie et vit aux Etats-Unis où il publie un journal, Novy Mir (Nouveau Monde). Revenu à Moscou en 1917, il est élu au comité central du parti bolchevique et au Comité exécutif du Komintern. Rédacteur en chef de la Pravda de 1917 à 1929, il rédige à la demande de Lénine l’ABC du Communisme (1920) et la Théorie du matérialisme historique (1921). Au début de 1937 il est victime des grandes purges staliniennes et condamné à mort pour « activités fractionnelles droitières- trotskistes ».
  • [77]
    Accusateur public des bolcheviks lors des trois procès de Moscou, Vichinsky (1883-1954) fut le théoricien de ce « droit prolétarien » dont le cœur était que des aveux suffisent à condamner un prévenu.
  • [78]
    Souvarine (1895-1984). Souvarine anime à partir de mai 1919 le Comité de la III° Internationale et publie peu après le Bulletin Communiste. Après la fondation du P.C.F., il en devient un dirigeant de premier plan, ainsi que de l’Internationale Communiste. Dès 1924, il s’oppose au stalinisme mais il rompt avec Trotski en 1929.Il est l’auteur d’un Staline. Cf. A contre-courant, Ecrits, (1925-1939), Denoël, 1985.
  • [79]
    Alexandre Siniavsky (1925-1997). Écrivain dissident soviétique. Arrêté en 1965 et condamné à la détention de 1966 à 1973. Arrivé en France, il obtient un poste à la Sorbonne comme professeur invité.
  • [80]
    Jacques Andréani, né en 1929 : ambassadeur de France puis premier secrétaire d’ambassade à Moscou en 1961.
  • [81]
    Romancier et essayiste polonais, 1916-2000. Cf. De mémoire, Gallimard, 2003 et Les Nouveaux cahiers franco-polonais de l’université de Paris IV- Sorbonne, n°1 : « Autour de la vie et de l’œuvre de Kazimierz Brandys », Paris-Varsovie, 2002.
  • [82]
    Gromyko (1909-1989) : ministre des Affaires étrangères de l’URSS de 1957 à 1985 puis président du Praesidium du soviet suprême de 1985 à 1988.
  • [83]
    Il s’agit de l’article de Georges Nivat, « Pour la culture russe » [réponse à Milan Kundera], publié dans Le Débat, n° 29, mars 1984, pp. 183-185.
  • [84]
    Il s’agit de la première promesse d’un visa pour Irène et son fils André.
  • [85]
    Alors directeur du Monde.
  • [86]
    Irène Kozovoï a obtenu son visa.
  • [87]
    Nicolas Khardjiev (1903-1996) : critique littéraire, spécialiste de l’avant-garde et russe et collectionneur. Grand ami de Vadim Kozovoï et admirateur de sa poésie.
  • [88]
    Après la mort du poète, la datcha qui ne lui appartenait pas fut récupérée par les pouvoirs soviétiques qui refusèrent de conserver les manuscrits et les biens du poète.
  • [89]
    Cf. lettre 42 p. 27 et lettre de Vadim p. 107.
  • [90]
    Tarkovski (1930-1986). Le cinéaste avait été condamné à une expérience analogue à celle de la famille Kozovoï. Il était parti s’exiler en Italie tandis que sa femme était restée avec son fils en URSS.
  • [91]
    Ira était rentrée au mois d’août d’un voyage organisé pendant 5 jours pour revoir ses parents.
  • [92]
    Ville natale de Vadim Kozovoï.
  • [93]
    Il s’agit d’une carte de vœux portant une reproduction des Jeunes filles au piano de Renoir.
  • [94]
    Il s’agit de « l’Oasis », publié dans le numéro 37 de Po&sie, 1986.
  • [95]
    Il s’agit peut-être du dialogue « Discernement » qui sera publié dans Po&sie n° 46 en 1989 et repris dans Le monde est sans objet, p. 149 sq.
  • [96]
    Yannick Guilloux : journaliste au Monde, rédacteur chez Gallimard, à l’époque directeur de la section de littératures étrangères.
  • [97]
    Ligatchev, né en 1920, ce communiste orthodoxe, membre du Politburo fut responsable à l’idéologie jusqu’en 1988. Il s’opposera à Gorbatchev sur la Glasnost, l’économie et la politique étrangère. Co-fondateur du Parti Communiste de Russie dont il sera député.
  • [98]
    Souslov (1902-1982) apparatchik et idéologue du Comité central, membre du Politburo ; « protecteur » d’Andropov et de Gorbatchev. Souslov soutint Kroutchev en 1957 contre Malenkov et il a joué un rôle déterminant dans la destitution de Kroutchev et la nomination de Brejnev en 1964.
  • [99]
    Du 27 au 29 février 1988 les nationalistes arméniens, opposés aux Azéris, organisent des manifestations pour le rattachement à l’Arménie du Haut Karabakh. Les heurts violents aboutiront au pogrom de Soumgait (banlieue de Bakou) et à un exode croisé des deux communautés. Le 18 juillet 1988, le soviet suprême d’URSS rejettera la possibilité de modifier les frontières du Nagorno-Karabakh.
  • [100]
    Il s’agit du « Retour en URSS », publié par Vadim dans Le Monde.
  • [101]
    Il s’agit du texte intitulé « Discernement » publié par Vadim dans le numéro 49 de Po&sie et reproduit partiellement dans Le monde est sans objet, op. cit, p. 149 sq.
  • [102]
    Il s’agit du centenaire de la naissance de Boris Pasternak célébrée en grande pompe à Moscou en février.
  • [103]
    La lettre fut envoyée aux éditions Gallimard.
  • [104]
    Cf. « Une anarchie en ébullition », in Le Débat 1991, n° 1, p. 4-25.
  • [105]
    En janvier 1991 à Vilnius des chars soviétiques se mobilisent pour écraser une tentative de rébellion. Profondément bouleversé par cette nouvelle qui marquait le retour des pires méthodes soviétiques, Vadim composa une pétition de soutien qui fut signée par de nombreux intellectuels français, dont Jacques Derrida. Cette pétition fut soumise à Maurice Blanchot.
  • [106]
    Il s’agit du premier coup de téléphone adressé par Maurice Blanchot à Vadim Kozovoï.
  • [107]
    Le 19 août, à 7 h 20 (heure de Moscou), alors que le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev est en vacances en Crimée, l’agence TASS annonce qu’il est « incapable d’assumer ses fonctions » pour « raisons de santé » et qu’il est remplacé par le vice-président Guennadi Ianaiev. Celui-ci est à la tête d’un Comité pour l’instauration de l’état d’urgence. Le putsch est soutenu notamment par le chef du KGB Vladimir Krioutchkov et le ministre de la Défense Dmitri Iazov. Les putschistes proclament l’état d’urgence pour six mois, le rétablissement de la censure, et font entrer les chars de l’armée dans la capitale. Vers midi les blindés encerclent la Maison blanche (siège du parlement). Retranché dans le Parlement de Russie bloqué par les blindés, Boris Eltsine, élu deux mois plus tôt à la présidence de la république soviétique de Russie, appelle à la désobéissance civile et à la grève générale. Les bassins miniers de Russie, d’Ukraine et de Biélorussie cessent le travail. Paris, Washington et Londres expriment leur inquiétude. Le 20 août, 100 000 personnes manifestent à Leningrad, tandis que 180 blindés font mouvement vers la ville. A Moscou, 50.000 manifestants autour du Parlement russe bravent le couvre-feu décrété en fin de soirée. A 17 heures, Boris Eltsine annonce qu’il prend le commandement des forces armées en Russie. La signature, prévue le 20 par Mikhaïl Gorbatchev, d’un nouveau Traité de l’’Union qui devait réformer les relations entre les républiques soviétiques et le Kremlin vers davantage de fédéralisme et d’autonomie, est de facto annulée.
  • [108]
    Cf. G. Sokoloff, Métamorphoses de la Russie, 1984-2004, Paris, Fayard, 2003, p. 217 sq.
  • [109]
    Il s’agit de la mort de la mère de Vadim survenue à Kharkov.
  • [110]
    L’Instant de ma mort, Fata Morgana, Montpellier, 1994. Cf. ici même la lettre 53.
  • [111]
    L’ambiguïté du titre français, L’arrêt de mort donna lieu à deux traductions possibles : alors que Vadim Kozovoï affirmait que le titre était synonyme de Verdict, la traductrice Irina Stal a préféré la version, « au seuil de la mort ».
  • [112]
    Ce texte, traduit par Serge Zenkine, fut publié dans le célèbre magazine russe.
  • [113]
    C’est par sa belle-sœur que Blanchot pouvait être « apparenté » à Charlotte von Stein.
  • [114]
    Le recueil des essais de Vadim Kozovoï, Poète dans la catastrophe, fut publié à Paris et à Moscou en 1994 aux éditions de l’Institut des Etudes Slaves et Gnosis. Ce recueil n’a pas vu le jour en Français, mais certains fragments ont été repris dans Le monde est sans objet.
  • [115]
    Il s’agit de la mort d’Olga, la mère d’Irène, en septembre 1995.
  • [116]
    Transcription de Maurice Blanchot.
  • [117]
    Il s’agit des Légendes de la rue Potapov.
  • [118]
    Cf. « Pour Maurice Blanchot » in Po&sie n° 82, 1997, repris in Le monde est sans objet, p. 175-180.

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