Po&sie 2005/1 N° 111

Couverture de POESI_111

Article de revue

Tête hantée

Pages 61 à 62

1Clayton Eshleman fête ses 70 ans cette année. Bon anniversaire, Clayton !

2Ce grand poète américain, directeur de la revue Sulfur (qu’il a cessé de faire paraître l’an dernier) a publié une centaine d’ouvrages. Correspondant de la revue, nous l’avons à maintes reprises traduit.

3

[Bacon, études]
Tu veux retrouver la plénitude originelle ?
Re-tourne au chaos.
Tue ton existence profane.
Deviens un crâne en chocolat, enveloppé de linge blanc, aux dents couturées,
aux orbites bouchées d’un obus.
La brève aurore d’avant l’existence ?
La mort est un rite de passage, non une fin.
En vol, une érection devient l’Arbre du Monde.
Je suis un corbeau perché dans le feuillage de mon squelette dispersé.
Des raclures des griffes de Satan, j’ai fait un tas
où me poser.
Un animal entre dans une grotte, il en ressort un homme.
Un homme entre dans une grotte et laisse son animal sur la paroi.
L’animal sur la paroi : cosmétiques de la terre, cosmosétiques, fard
de l’espace intérieur.
Tête hantée.
Front de bois brut.
Mon œil gauche un blush sang et sperme.
Globe oculaire : lièvre en boule dans une cage.
Crète de cheveux Mohawk durcie de suie.
L’intérieur de la tête, version traquée de l’autre.
La mandale sur la mâchoire, limace de la mâchoire mâle, balle castrée de la
mâchoire prognathe.
Œil cratère lunaire.
Cible de l’œil.
Œil fermé sous un cerveau qui suscite des geysers et fait se déchirer
les fontanelles.
Je suis sans mâchoire avec de longues, longues oreilles, ma gorge me remonte
jusqu’aux yeux.
Tête hantée.
Moustache de bave et de glaise.
Visage de vagues, de foules serpentines.
Visage volière, aire de ratons laveurs et de chouettes.
Rivage de l’œil, sable mouvant d’un regard.
Et maintenant George Dyer – une tête qui hante s’il en fut –
tournée pour montrer de profil
le continent à la racine sectionnée de son visage, déterré par un croc,
orifice bandé de paupières et favoris.
Dyer décédé aux lèvres de bourdons.
Dyer au nez de cône glacé piqué de sang.
Crâne et son nimbus d’or et d’acier germanique.
Joyeux Noël, M. Viol, je suis ici pour interroger l’auréole de
vos poumons.
Ici pour orner vos côtes de boutons de métal, de revers de velours.
Tête soumise à la division rotative, œil unique, bouche et terrine
d’oreilles.
Dieu s’est retiré au fond du crâne du Diable d’où il enflamme des fils
d’araignée dans le trou glorieux de l’humanité.
Derrière le visage, Bosch actionne la pompe : la bouche se balafre
jusqu’à l’œil, l’œil se dessèche, jardin confit d’amanites déchiquetées
et de sables aveugles.
Gouffre du visage, cimetière élevé contre le chaos.
Cerveau, baquet de moelle plein des mains des scientifiques
découpées en cubes.
Tête d’os, d’esprit, tête non brisée.
Tête détruite et intacte comme un œuf de granite.
Cou lynché en bouquet de langues, invisible aux garçons qui mettent le feu
à ses orteils.
Envolée de l’œil humain qui rumine en excrétant.
Après-ski de la bouche de George Dyer planté dans la glace.
Combien de blanc faut-il pour une tête ? Peut-il assimiler la suprêmétie,
les cieux. Peut-il monter le champ de bataille rougi du regard-pince
de l’homme aux prises avec son frère ?
Puis-je émettre l’aboiement indicible et vérifier que le blanchiment racial ne
parviendra jamais à enclore la communauté des âmes ?
Tête sur son corps de poils, tête d’homoncule, regard alchimique d’un corps
de poils à travers quoi le mastic du visage est broyé.


Date de mise en ligne : 01/10/2016

https://doi.org/10.3917/poesi.111.0061

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