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Article de revue

La décristallisation des pensions des anciens militaires africains : et après ?

Pages 40 à 44

Notes

  • [1]
    Camille Évrard, « Du gel au dégel des pensions des anciens militaires subsahariens des armées françaises. Histoire politique, combat juridique et difficultés actuelles », Études de l’Irsem, n° 57, 2018, 52 p. [en ligne].
  • [2]
    « Les spoliés de la décolonisation », Plein droit, n° 56, 2003 [en ligne].
  • [3]
    Loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006, loi de finances pour 2007.
  • [4]
    Autour de 5 % des PMI seulement ont été entièrement décristallisées au bout de deux ans d’application. Le coût de cette réforme calculé par la Cour des comptes est de 87 millions d’euros annuels : 64 pour les PMI et 23 pour la RC. Cour des comptes, « La décristallisation des pensions des anciens combattants issus de territoires anciennement sous la souveraineté française : une égalité de traitement trop longtemps retardée », Rapport public annuel 2010, p. 568 et 572.
  • [5]
    Ibidem, p. 572.
  • [6]
    Art. 211 de la loi de finances n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 pour 2011.
  • [7]
    Le pensionné doit donc en faire la demande et le service des pensions des ressortissants de l’ancienne Communauté réexamine chaque carrière.
  • [8]
    Ibid. Il n’y a pas de forclusion, mais la rétroactivité est soumise à la règle des quatre ans plus l’année en cours.
  • [9]
    Accepter une coépouse signifie forcément « léser » la première, puisque la pension de l’époux décédé est alors divisée. Ces situations, conjuguées à la difficulté d’obtenir des documents d’état civil dans certains pays subsahariens, expliquent les délais parfois longs pour instruire le dossier.
  • [10]
    Entretien avec Moumouni Dahano, à son domicile, Niamey, le 11 avril 2016.
  • [11]
    À cette époque, 4 ans dans l’armée française comme engagé valaient mieux que 3 ans de conscription, au cours desquelles on pouvait être amené à travailler comme un forçat sur des chantiers. Voir Romain Tiquet, Travail forcé et mobilisation de la main-d’œuvre au Sénégal. 1920-1960, PUR, Rennes, 2019.
  • [12]
    Pierre Janin, « Tirailleurs “de brousse” en péril », Politique africaine, 2012, n° 95, p. 147-156.
  • [13]
    Ces dernières sont considérées comme « dette viagère » et ne sont pas imputées au budget des retraites de l’État. Voir par exemple, le rapport pour 2009 en ligne sur www.performance-publique.budget.gouv.fr
  • [14]
  • [15]
    La Cour des comptes tablait, en 2010, sur un coût annuel de 152 millions d’euros pour la décristallisation complète des PMR. Le rapport de 2015 sur les trésoreries des ambassades de France indique qu’en 2012, l’État français a payé 100000 pensions (tous types confondus) pour un coût de 176 millions d’euros : on est donc bien en deçà des prévisions.
  • [16]
    En guise de comparaison : en 2008, 32424 PMR cristallisées avaient été versées (Cour des comptes, 2010, op.cit., p. 572). En 1972, pour les seuls pays d’Afrique subsaharienne concernés (hors Guinée et Madagascar), 42505 PMR l’avaient été.
  • [17]
    Cour des comptes, « Les trésoreries auprès des ambassades de France : une survivance injustifiée », Rapport public annuel 2015, février 2015.
  • [18]
    Sur le « labyrinthe » des services traitants, voir l’étude de 2018 précitée et disponible en ligne.
  • [19]
    Les militaires français de la coopération, servant dans les pays sous l’autorité de l’attaché de défense auprès de l’ambassadeur de France, contribuent dans bien des cas à arrondir les effets d’une administration à la limite de la maltraitance avec les personnes âgées.
  • [20]
    Sur la situation à Ouagadougou, lire l’article de Lamine Traoré : faso24.com/news/paiement-pensions-a-la-tresorerie-de-france-parcours-de-combattant-pour-des-anciens-combattants.
  • [21]
    Entretien avec le consul français à Nouakchott, octobre 2017.
  • [22]
    Aucune dérogation n’est prévue en cas de maladie ou d’extrême faiblesse et, là encore, le réseau de coopérants militaires français installés dans ces pays, y pallie parfois, en attestant l’existence d’anciens combattants souffrants, dans des localités isolées.

Anciens combattants à l’ONAC de Nouakchott, 2014. Photo de Yero Djigo dans le cadre du projet « Frères d’Harmattan », portfolio et film sur les derniers tirailleurs et goumiers de Mauritanie.

Anciens combattants à l’ONAC de Nouakchott, 2014. Photo de Yero Djigo dans le cadre du projet « Frères d’Harmattan », portfolio et film sur les derniers tirailleurs et goumiers de Mauritanie.

Anciens combattants à l’ONAC de Nouakchott, 2014. Photo de Yero Djigo dans le cadre du projet « Frères d’Harmattan », portfolio et film sur les derniers tirailleurs et goumiers de Mauritanie.

Tous droits réservés.

1 Niamey, février 2017, jour de paie des pensions au consulat de France : les vieillards peuvent attendre leur tour dans la cour intérieure, agréable et ombragée. L’ancien qui vit le plus loin de la capitale, dans la brousse de la région de N’Guigmi, doit parcourir 1500 km aller deux fois par an pour un « contrôle de l’existence ». Nouakchott, octobre 2017 : des vieux, des vieilles, des aidants familiaux, attendent quant à eux à l’extérieur du consulat, pour prouver qu’ils sont encore en vie ; il y a heureusement quelques arbres pour rester à l’ombre, mais rien pour s’asseoir. Certains ont effectué une journée de route pour arriver (Zouérate-Nouakchott 766 km).

2 Pour rencontrer d’anciens militaires mauritaniens et nigériens, il faut fréquenter les Maisons du combattant, sites initialement dédiés aux anciens combattants de l’armée française mais où se mélangent également des vétérans des armées nationales, ainsi que les consulats de France, généralement collés aux ambassades et dédiés aux actes d’état civil ainsi qu’au traitement des pensions, civiles ou militaires. Étudier les trajectoires individuelles de ces anciens et leur parcours militaires entre 1945 et 1980 environ, oblige à s’intéresser à leurs conditions de vie actuelles et à l’histoire de leurs pensions.

3 Le Niger comme la Mauritanie font partie des anciennes colonies subsahariennes de la France ayant le moins fourni de militaires réguliers ou de conscrits durant la période coloniale, et les pensionnés se comptent aujourd’hui en dizaines seulement. Mais l’application des dernières étapes légales de décristallisation des pensions en 2007 et 2011, conjuguée à la transformation simultanée du système de gestion et de paiement des pensions, a contribué ici comme ailleurs à dégrader le quotidien de pensionnés très âgés.

4 Les paramètres (valeur du point, indice, etc.) servant à calculer ou réévaluer les différents types de prestations attribués à d’anciens militaires de l’armée française - retraite du combattant (RC), pension militaire d’invalidité (PMI), pension militaire de retraite (PMR) – ont été figés pour les seuls ressortissants des pays issus des colonies [1]. Cette « cristallisation », intervenue entre la fin des années 1950 et le milieu des années 1970 selon les pays concernés, a conduit à leur accorder des droits amoindris. Un long combat politique et juridique a permis de supprimer cette disposition discriminatoire des textes légaux [2]. Cette « décristallisation » a cependant été fortement limitée dans les faits.

Les limites de la décristallisation

5 Les réformes de 2007 et 2011 sont formellement très proches, mais ne concernent pas les mêmes types de pensions. La première [3] décristallisait la valeur du point des PMI et des RC, c’est-à-dire des pensions dites « du feu », partant du principe que les bénéficiaires étaient plus méritants. L’indice ne pouvait être décristallisé que sur demande effective des ayants droit (anciens combattants concernés) ou ayants cause (conjoints ou enfants survivants), mais sans effet rétroactif. Les rares chiffres disponibles montrent un nombre très faible de demandes, et pour cause : l’information sur la possibilité d’une décristallisation de l’indice a peu circulé et les relais sur place à même d’aider les vétérans ou leurs ayants cause à effectuer leur demande étaient souvent insuffisants [4].

6 En 2008, une nouvelle mesure modifiant les conditions de réversion des PMI aux veuves faisait évoluer la situation. Alors que, dans les précédents textes, les mariages « reconnus » devaient avoir été contractés avant que le militaire ne quitte l’armée française, désormais, les veuves mariées à des invalides après cette date pouvaient prétendre à une réversion et demander l’ouverture de nouveaux droits. Un rapport de 2010 de la Cour des comptes indique à ce sujet que les demandes furent très limitées par rapport à celles escomptées : 510 dossiers traités contre 3500 entrées anticipées dans le projet de loi de finances 2009 [5].

7 La réforme de 2011 [6], appliquée à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel, alignait automatiquement la valeur du point des PMR africaines sur les françaises, mais conditionnait la décristallisation de l’indice à une demande expresse des intéressés. De plus, elle imposait un délai pour soumettre son dossier : d’abord fixée au 31 décembre 2013, l’échéance fut repoussée d’un an. Le texte prévoyait également la suppression de la condition d’antériorité de mariage pour les veuves des PMR, et cela sans délai de forclusion. Ces mesures en demi-teinte s’expliquent par la logique complexe du calcul des pensions et le temps de traitement qu’elle implique : décristalliser l’indice d’une PRM ou d’une PMI demande de reprendre le déroulement de carrière du pensionné et de revenir à la logique de l’état signalétique et des services, document qui archive tous les éléments d’une carrière militaire [7].

8 Comme il n’y a pas de forclusion opposable aux ayants cause, de nouveaux droits peuvent être constamment ouverts [8], ce qui explique que l’afflux de nouveaux dossiers à traiter, intense dès 2011, ne ralentit pas fin 2014, lorsque le délai de demande de « décristallisation » prend officiellement fin. À la sous-direction des pensions de La Rochelle, on précise la difficulté à traiter l’afflux extraordinaire des demandes, surtout occasionné par la suppression de la condition d’antériorité de mariage pour les veuves des retraités militaires. Or, l’étude de ces dossiers est longue car les éléments manquent souvent pour l’instruction de demandes liées à des cas familiaux extrêmement complexes, en partie du fait de la polygamie [9].

9 Deux vétérans parmi les plus connus au Niger et en Mauritanie, récemment décédés, illustrent la complexité des situations, tant de reconstitutions de carrière que des familles recomposées. Moumouni Dahano a servi dans l’armée française de 1951 à 1962 et subi deux séjours de deux ans en Algérie pendant la guerre. Il fut d’abord mobilisé en tant qu’appelé pour trois ans, puis convaincu de se rengager ; son dernier grade connu dans l’armée française est sergent-chef. Il servit ensuite dans l’armée nigérienne jusqu’en 1971 où il finit adjudant [10]. À sa mort, en juillet 2016, M. Dahano laissa 31 enfants et trois veuves qui pouvaient toucher en théorie chacune un tiers de la moitié de sa pension militaire de retraite. Harouna Samba Boye s’est engagé volontaire [11] en 1947. Il a participé à de nombreuses campagnes et enchaîné les séjours de deux ans à Madagascar, en Indochine, puis dans les Confins mauritaniens entre 1948 et 1958. Il devint adjudant l’année de son transfert dans l’armée mauritanienne, en 1961, puis gravit les échelons dans l’armée puis la garde nationale et prit sa retraite au grade de commandant, en 1982. Décédé début janvier 2019, le commandant Harouna, marié huit fois, laissa 35 enfants.

Nombre de pensions ayants cause et ayants droit confondus

PMR décristallisées du point PMR décrist. du point et de l’indice Sous-total
PMR versées
Nouveaux droits Total Coût
2013 23 286 3 006 (soit 11 %) 26 292 1 180 27 472 58 898 103 €
2014 20 535 3 649 (15 %) 24 184 1 691 25 875 64 747 765 €
2015 17 855 4 567 (20 %) 22 422 2 816 25 238 66 027 268 €
2016 12 359 4 546 (26 %) 16 905 4 245 21 150 61 227 594 €
Nombre de pensions ayants cause et ayants droit confondus

Nombre de pensions ayants cause et ayants droit confondus

Source : Rapports sur les pensions de retraite de la fonction publique. Annexes aux projets de loi de finance 2014 à 2017

10 Ces deux vétérans étaient des figures de la cause des anciens combattants car ils cumulaient de longues années de service, assez pour prétendre à la PMR, et avaient connu des campagnes très dures, qui leur avaient ouvert le droit à la RC. Ils illustraient aussi, avec leur famille nombreuse, ce qu’évoque Pierre Janin dans son article sur les anciens tirailleurs « chefs de cour », faisant vivre plusieurs personnes [12]. Le sort des épouses dépendra de l’issue du traitement de leur dossier et du temps qu’il prendra ; mais ces exemples remettent à leur juste place les modalités vétilleuses de la décristallisation face à la pénibilité des parcours militaires de soldats coloniaux.

Un coût relatif pour l’État français

11 On peut faire l’hypothèse que les dispositions entrées en vigueur depuis 2007, qui soumettent la décristallisation complète à une demande des intéressés, limitée dans le temps, permettent à l’État de faire des économies. L’article 211 de la loi de finances pour 2011 prévoyait d’ailleurs un suivi du « surcoût » lié à la décristallisation des PMR et détaillant la part provenant de l’alignement du point et celle de l’indice. Les traces de ce suivi permettent de se rendre compte de l’ampleur des demandes de décristallisation de l’indice et des nouveaux droits liés aux dispositions pour 2011, mais il n’existe pas de statistiques disponibles par pays, et les informations ne concernent pas le coût de décristallisation des PMI et des RC [13].

12 Les estimations pour la première année d’application sont clairement énoncées : « Au 31 août 2011, la sous-direction des pensions du ministère de la Défense a reçu 5 209 demandes de décristallisation ou de nouveaux droits rentrant dans le cadre de l’article 211. Ce volume est tout à fait cohérent avec l’ordre de grandeur retenu lors des prévisions. En effet, l’hypothèse qui avait été retenue était que 20 % des pensionnés concernés (soit environ 6000 personnes) feraient une demande de décristallisation de leur indice au cours de l’année 2011[14]. »

13 Dans les rapports successifs sur les pensions de retraite de la fonction publique adossés aux projets de loi de finances, on peut suivre l’évolution du nombre et du « surcoût » des pensions décristallisées et des nouveaux droits ouverts [15] [voir tableau]. Ces quelques chiffres montrent la baisse globale du nombre de PMR versées, liée naturellement au décès des ayants droit. En parallèle, les nouveaux droits augmentent, sans doute en lien avec la réforme concernant les veuves et la levée de la forclusion. On observe par ailleurs l’augmentation chaque année de la proportion des PMR ayant fait l’objet d’une demande de décristallisation de l’indice : comme le nombre global des anciens pensionnés baisse, cela accentue le pourcentage des PMR complètement décristallisées. Après un pic en 2015, le coût total décroît et continuera vraisemblablement à décliner à mesure des décès des derniers pensionnés concernés [16].

14 Depuis 2017, le « surcoût » lié à la décristallisation des pensions n’est plus suivi dans ces rapports. Pourtant, à cette date, des demandes de décristallisation d’indice étaient encore en cours de traitement. Pour les ayants cause, un bon connaisseur du dossier en Mauritanie indiquait, en 2017, que le délai de traitement des dossiers pour les veuves était d’environ quatre ans. D’après le service des pensions encore cristallisées de la Direction générale des finances publiques, la situation en septembre 2017 était contrastée. Les demandes de décristallisation complète restaient minoritaires : de l’ordre de 12 % en Mauritanie, 6 % au Niger et 7 % au Burkina Faso, elles atteignaient 15 % au Mali et au Tchad.

15 Les différentiels observés peuvent être liés à la plus ou moins grande compétence des Offices nationaux des anciens combattants pour encadrer les demandeurs, ainsi qu’au nombre de pensionnés et à la bonne volonté des personnels consulaires, qui se sont parfois directement impliqués dans le montage des dossiers individuels. En outre, de nombreux éléments sont venus compliquer la situation des pensionnés.

La violence administrative

16 L’administration française a en effet subi un vaste plan de re-concentration des services dédiés à la gestion et au paiement des pensions. Auparavant, la Trésorerie générale de l’étranger (TGE) gérait administrativement et versait les pensions via des trésoreries des ambassades de France (TAF) [17]. Présentes dans presque tous les pays africains et maghrébins (à l’exception de la Mauritanie et de la République centrafricaine), elles faisaient office de service déconcentré puisqu’elles suivaient les dossiers et payaient les pensions. Un vaste mouvement de fermeture des TAF s’est opéré de 2007 à 2017 – les dernières (Sénégal, Tunisie, Maroc, Gabon, Algérie, Djibouti) sont sur le point de l’être, – ce qui a pour conséquence la centralisation du suivi des dossiers des pensions à la TGE centrale de Nantes, ainsi que le transfert de la responsabilité du paiement aux régies des ambassades de France.

17 En réponse à la ferme critique de la Cour des comptes sur les dépenses en personnel expatrié dans les TAF, les ministres des finances et du budget pointaient en 2015 le cas précis du traitement des pensions dites décristallisées et payées en monnaies locales par ces services décentralisés, en estimant que leur prise en charge par la TGE de Nantes demanderait un délai supplémentaire. En théorie bien sûr, ce qu’une trésorerie faisait, une régie d’ambassade était à même de le faire ; il est toutefois clair que les compressions de personnel ont eu un effet néfaste sur la relation aux pensionnés. Il y a de moins en moins de fonctionnaires compétents sur place pour expliquer aux anciens combattants les éventuels problèmes de traitement de leurs dossiers. Il n’est pas rare que certains, venus de loin pour toucher leur dû, repartent les mains vides… D’autres encore sont privés de revenus pendant plusieurs mois, parce que la communication entre les différents services traitants est extrêmement lente ou parce qu’ils ne comprennent pas quelle démarche débloquerait la situation [18]. Du fait d’un fort turn-over, les régisseurs méconnaissent la situation des anciens combattants et semblent obsédés par la fraude aux pensions ; ils voient d’abord chez les vieux militaires qui viennent renouveler leurs droits des imposteurs en puissance [19].

18 Cette logique de renforcement des contrôles a transformé le quotidien des pensionnés. D’une part, la TGE a poussé à la bancarisation du versement des pensions, d’autre part les modalités des contrôles de l’existence se sont alourdies. Au Niger, on a poussé les pensionnés vivant loin des consulats à opter pour le versement de leur pension sur un compte bancaire, faute de pouvoir la toucher mensuellement dans les relais en région, comme ils le faisaient avant la décristallisation [20]. En Mauritanie, la bancarisation est devenue obligatoire mais plusieurs anciens rencontrés, qui ont dû ouvrir un compte uniquement pour toucher les quelque 750 euros annuels, admettent mal des frais de gestion exorbitants.

19 En parallèle, l’exigence de certificats de vie ou de contrôle de l’existence est devenue plus stricte depuis 2015 [21]. Le gain obtenu par la bancarisation censée limiter les déplacements est perdu du fait de l’obligation de venir prouver qu’on est vivant. Les personnes âgées de 80 à 100 ans et qui parfois habitent à plus de 500 km de la capitale doivent ainsi se présenter tous les 5 mois et ce, dans les pays sahéliens où les routes sont particulièrement fatigantes [22]. On se demande d’ailleurs quel texte autorise ces dispositions, dans la mesure où le décret du 13 décembre 2013, relatif au contrôle de l’existence des titulaires de pensions et d’avantages de vieillesse résidant hors de France, stipule que ces contrôles ne peuvent avoir lieu plus d’une fois par an.

20 La vie quotidienne des pensionnés, aujourd’hui très vieux, est ainsi parsemée de nombreuses humiliations. Les modalités complexes, le labyrinthe administratif, la distance, le manque de relais pour les explications en découragent beaucoup de déposer des recours, voire de continuer la lutte pour l’égalité des droits – sur la Sécurité sociale par exemple. Faute de publication de rapports récents sur la décristallisation complète et en l’absence de centralisation des recours, l’invisibilisation de ces situations ne fait que croître.


Date de mise en ligne : 18/07/2019

https://doi.org/10.3917/pld.121.0042

Notes

  • [1]
    Camille Évrard, « Du gel au dégel des pensions des anciens militaires subsahariens des armées françaises. Histoire politique, combat juridique et difficultés actuelles », Études de l’Irsem, n° 57, 2018, 52 p. [en ligne].
  • [2]
    « Les spoliés de la décolonisation », Plein droit, n° 56, 2003 [en ligne].
  • [3]
    Loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006, loi de finances pour 2007.
  • [4]
    Autour de 5 % des PMI seulement ont été entièrement décristallisées au bout de deux ans d’application. Le coût de cette réforme calculé par la Cour des comptes est de 87 millions d’euros annuels : 64 pour les PMI et 23 pour la RC. Cour des comptes, « La décristallisation des pensions des anciens combattants issus de territoires anciennement sous la souveraineté française : une égalité de traitement trop longtemps retardée », Rapport public annuel 2010, p. 568 et 572.
  • [5]
    Ibidem, p. 572.
  • [6]
    Art. 211 de la loi de finances n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 pour 2011.
  • [7]
    Le pensionné doit donc en faire la demande et le service des pensions des ressortissants de l’ancienne Communauté réexamine chaque carrière.
  • [8]
    Ibid. Il n’y a pas de forclusion, mais la rétroactivité est soumise à la règle des quatre ans plus l’année en cours.
  • [9]
    Accepter une coépouse signifie forcément « léser » la première, puisque la pension de l’époux décédé est alors divisée. Ces situations, conjuguées à la difficulté d’obtenir des documents d’état civil dans certains pays subsahariens, expliquent les délais parfois longs pour instruire le dossier.
  • [10]
    Entretien avec Moumouni Dahano, à son domicile, Niamey, le 11 avril 2016.
  • [11]
    À cette époque, 4 ans dans l’armée française comme engagé valaient mieux que 3 ans de conscription, au cours desquelles on pouvait être amené à travailler comme un forçat sur des chantiers. Voir Romain Tiquet, Travail forcé et mobilisation de la main-d’œuvre au Sénégal. 1920-1960, PUR, Rennes, 2019.
  • [12]
    Pierre Janin, « Tirailleurs “de brousse” en péril », Politique africaine, 2012, n° 95, p. 147-156.
  • [13]
    Ces dernières sont considérées comme « dette viagère » et ne sont pas imputées au budget des retraites de l’État. Voir par exemple, le rapport pour 2009 en ligne sur www.performance-publique.budget.gouv.fr
  • [14]
  • [15]
    La Cour des comptes tablait, en 2010, sur un coût annuel de 152 millions d’euros pour la décristallisation complète des PMR. Le rapport de 2015 sur les trésoreries des ambassades de France indique qu’en 2012, l’État français a payé 100000 pensions (tous types confondus) pour un coût de 176 millions d’euros : on est donc bien en deçà des prévisions.
  • [16]
    En guise de comparaison : en 2008, 32424 PMR cristallisées avaient été versées (Cour des comptes, 2010, op.cit., p. 572). En 1972, pour les seuls pays d’Afrique subsaharienne concernés (hors Guinée et Madagascar), 42505 PMR l’avaient été.
  • [17]
    Cour des comptes, « Les trésoreries auprès des ambassades de France : une survivance injustifiée », Rapport public annuel 2015, février 2015.
  • [18]
    Sur le « labyrinthe » des services traitants, voir l’étude de 2018 précitée et disponible en ligne.
  • [19]
    Les militaires français de la coopération, servant dans les pays sous l’autorité de l’attaché de défense auprès de l’ambassadeur de France, contribuent dans bien des cas à arrondir les effets d’une administration à la limite de la maltraitance avec les personnes âgées.
  • [20]
    Sur la situation à Ouagadougou, lire l’article de Lamine Traoré : faso24.com/news/paiement-pensions-a-la-tresorerie-de-france-parcours-de-combattant-pour-des-anciens-combattants.
  • [21]
    Entretien avec le consul français à Nouakchott, octobre 2017.
  • [22]
    Aucune dérogation n’est prévue en cas de maladie ou d’extrême faiblesse et, là encore, le réseau de coopérants militaires français installés dans ces pays, y pallie parfois, en attestant l’existence d’anciens combattants souffrants, dans des localités isolées.

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