1 Le 13 juillet 2010, lors du déjeuner offert aux chefs d’État africains invités d’honneur du 14 juillet, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, déclarait : « pour témoigner de notre reconnaissance indéfectible envers les anciens combattants originaires de [ces] pays [anciennement sous souveraineté française], […] nous souhaitons les voir bénéficier désormais des mêmes prestations de retraite que leurs frères d’armes français » en promettant l’« égalité parfaite ». Cette promesse, si elle se réalisait, permettrait à ces anciens combattants, ou à leurs ayants droit, de bénéficier, pour les quelques années qu’il leur reste à vivre, des prestations liées à leur statut au même taux que les nationaux. Ce rétablissement de l’égalité, un demi-siècle après l’adoption de la première loi de « cristallisation », fait suite à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 28 mai 2010. Dans le cadre de la première question prioritaire de constitutionnalité (QPC), celui-ci a déclaré contraire aux droits et libertés constitutionnels le critère de nationalité maintenu, directement ou indirectement, dans l’ensemble des lois de « cristallisation » ou de « décristallisation partielle ». Toutefois, le projet de loi irait plus loin que les exigences du juge constitutionnel qui avait admis la validité d’un critère de résidence modulé selon la « parité des pouvoirs d’achat » dès lors qu’il aurait été appliqué indistinctement aux étrangers résidant à l’étranger et aux Français expatriés.
2 La fin de cette discrimination est en réalité le résultat de 40 années de combats contentieux, menés sur tous les fronts (Conseil d’État, Comité des droits de l’homme des Nations unies, Cour de cassation, Cour de Luxembourg, Halde, Conseil constitutionnel) par des anciens combattants et leurs familles. Même si ces procédures n’ont pas permis de faire reconnaître le caractère discriminatoire du principe même de la cristallisation des pensions, elles ont permis de dénoncer publiquement l’injustice à l’encontre d’anciens fonctionnaires civils et militaires au service de la France..
3 La situation juridique est complexe car la « cristallisation » du montant des pensions, rentes et allocations viagères a été appliquée à des dates différentes selon le pays concerné. Elle a concerné les Vietnamiens et Cambodgiens dès 1958 (article 170 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959) et les Tunisiens et Marocains en 1959 (article 71 de la loi de finances pour 1960 du 26 décembre 1959). L’adoption de ces dispositions visait alors à distinguer les anciens coloniaux des autres nationaux ayant perdu la nationalité car la législation prévoyait la suspension du droit à pension en cas de perte de la qualité de français, et ce y compris par l’accession des ressortissants d’un pays à l’indépendance.
4 Les ressortissants du Sénégal, du Gabon, du Tchad et de Centrafrique ont échappé à la cristallisation jusqu’à l’adoption de la loi du 30 décembre 1974 sur la base d’une jurisprudence du Conseil d’État qui estimait que la loi de cristallisation de 1959 n’était applicable qu’aux nationaux des États « ayant appartenu » (et non appartenant) à l’Union ou à la Communauté française, qualité qu’ils ont conservée avec la Constitution de 1958 (CE Sect., 15 février 1974, Dame Veuve Tamba Samoura, Rec. p.116). Et même après l’adoption de l’article 63 de la loi de 1974, le Conseil d’État a « neutralisé » la cristallisation à leur égard en l’absence de publication au Journal officiel des décrets de revalorisation (v. CE 7 juillet 1981, ministre du Budget c/Cissé, n° 39835). Il faudra donc l’adoption d’une seconde loi (article 22 de la loi de finances rectificative du 31 décembre 1981), fixant rétroactivement au 1er janvier 1975 l’entrée en vigueur de l’article 14 de la loi du 21 décembre 1979, pour leur appliquer la cristallisation (CE, 31 mai 1985, Mme Tine Khady née Dieng).
5 La spécificité du régime de pensions des Algériens, seul concerné par la QPC du 28 mai 2010, est, quant à elle, issue de l’article 15 de la déclaration de principes relative à la coopération économique et financière du 19 mars 1962. Cette stipulation prévoit, dans le cadre des accords d’Évian, que « sont garantis les droits à pensions de retraite ou d’invalidité acquis auprès d’organismes français ». Sur ce fondement, le Conseil d’État a estimé que la loi de cristallisation de 1959 n’était pas applicable aux pensions acquises avant le 3 juillet 1962, date de l’indépendance de l’Algérie (CE, 21 novembre 1969, Dame veuve X, n° 77499, au Rec. ; CE Sect. 15 mars 1972, Dame veuve Sadok Ali, n° 80242, Rec. p. 213) et a, par la suite, censuré un décret du 20 mars 1962 ouvrant un droit à pension aux militaires algériens radiés des cadres (CE 22 mai 1981, M. Bouchenafa, n° 26669). C’est pourquoi, le législateur a adopté l’article 26 de la loi du 3 août 1981 appliquant rétroactivement aux Algériens la « cristallisation » des pensions.
6 Ces rappels permettent d’appréhender toute la complexité de la jurisprudence en la matière et pourquoi, même après les lois de « décristallisation partielle » (article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 ; article 100 de la loi de finances pour 2007), lorsqu’un sergent français reçoit annuellement 7 512 € de pension de retraite, un Marocain reçoit 643 €, un Sénégalais 2 681 € et un Djiboutien 3 279 €.
7 Ce cahier ne restitue que des extraits des principales jurisprudences ayant mené au rétablissement annoncé de l’égalité.
Comité des droits de l’Homme (Nations unies), M. Gueye et autres c/France, 6/04/1989 (Communication n° 196/1985)
8 743 tirailleurs sénégalais ont porté, en octobre 1985, devant la scène internationale, par la procédure de « plainte » devant le Comité des droits de l’homme, le caractère discriminatoire de la législation française. Ils ont en effet été frappés rétroactivement, à compter du 1er janvier 1975, par la cristallisation des pensions, en application de l’article 22 de la loi de finances rectificative de 1981. L’organe des Nations unies constate la violation du principe d’égalité devant la loi sans discrimination garanti par l’article 26 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP).
9 « […] 9.2 – Les auteurs sont des militaires retraités de nationalité sénégalaise qui ont servi dans l’armée française avant l’indépendance du Sénégal en 1960. En vertu du Code des pensions militaires de 1951, les militaires retraités de l’armée française, qu’ils fussent Français ou Sénégalais, étaient traités sur un pied d’égalité. Les droits à pension des soldats sénégalais étaient les mêmes que ceux des soldats français jusqu’à ce qu’une nouvelle loi prévoie un traitement différent pour les Sénégalais. En outre, la loi n°79-1102 du 21 décembre 1979 a étendu aux ressortissants de quatre États ayant appartenu à l’Union française, dont le Sénégal, le régime dit de “cristallisation” des pensions militaires, qui s’appliquait déjà depuis le 1er janvier 1961 aux ressortissants des autres États concernés […]
10 9.3 – La principale question soumise au Comité est de savoir si les auteurs sont victimes d’une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte [PIDCP] ou si la différence de traitement en matière de pensions, fondée sur la nationalité française, entre les anciens membres étrangers et français de l’armée française devrait être considérée comme compatible avec le Pacte [PIDCP]. […]
11 9.4 – […] [Il s’agit de] déterminer si la situation rencontrée par les auteurs [de la plainte] relève du champ d’application de l’article 26. Le Comité rappelle que les auteurs ne relèvent pas, d’une manière générale, de la juridiction française, sauf pour ce qui concerne le montant de leurs droits à pension. Il note que la nationalité ne figure pas en tant que telle parmi les motifs de discrimination interdits, qui sont énumérés à l’article 26, et que le Pacte ne protège pas le droit a pension en tant que tel. L’article 26 interdit, en ce qui concerne la protection égale de la loi, toute discrimination, notamment de race, de couleur, […], l’origine nationale, […] ou de toute autre situation. […]
12 9.5 – Pour établir si le traitement des auteurs est fondé sur des critères raisonnables et objectifs, le Comité note que ce n’était pas la question de la nationalité qui avait déterminé l’octroi de pensions aux auteurs, mais les services rendus dans le passé par les intéressés. Ils avaient servi dans les forces armées françaises dans les mêmes conditions que les citoyens français ; pendant les 14 ans qui ont suivi l’indépendance du Sénégal, ils ont bénéficié du même traitement que leurs homologues français aux fins des droits à pension, malgré leur nationalité sénégalaise et non française. Un changement ultérieur de nationalité ne peut en soi être considéré comme une raison suffisante pour justifier une différence de traitement, vu que la base retenue pour l’octroi de la pension était les services identiques qu’avaient rendus les auteurs et les militaires qui étaient demeurés français. Les différences de situation économique, financière et sociale entre la France et le Sénégal ne peuvent pas non plus être invoquées comme justification légitime. Si l’on comparait le cas des militaires de nationalité sénégalaise à la retraite, vivant au Sénégal, et celui des militaires de nationalité française à la retraite vivant au Sénégal, il apparaîtrait qu’ils jouissent des mêmes conditions économiques et sociales. Toutefois, un régime différent leur serait appliqué aux fins des droits à pension. […] Le Comité parvient à la conclusion que la différence de traitement dont les auteurs font l’objet n’est pas fondée sur des critères raisonnables et objectifs et constitue une discrimination interdite par le Pacte.
13 10. Le Comité des droits de l’homme […] est d’avis que les faits de la cause, dans la mesure où ils ont eu des effets après le 17 mai 1984 (date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de la France), font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.
14 11. En conséquence, le Comité est d’avis qu’en vertu des dispositions de l’article 2 du Pacte, 1'État partie est tenu de prendre des mesures effectives pour remédier aux violations dont les intéressés ont été victimes ».
15 CONSTAT DE VIOLATION DU PIDCP.
CE, Ass., Avis, 15/04/1996, Mme Doukouré (n° 176399)
16 Malgré la décision rendue par le Comité des droits de l’Homme et contre l’opinion de son commissaire du gouvernement Philippe Martin, le Conseil d’État refuse d’appliquer de manière autonome l’article 26 du Pacte international sur les droits civils et politiques et, par suite, de constater le caractère discriminatoire de la législation française en matière de cristallisation appliquée à cette veuve d’un ancien combattant. Suite à l’affaire Diop, elle obtiendra satisfaction sur le fondement de la Convention européenne des droits de l’homme (CE, 6 févr. 2002, Min. de l’économie, des finances et de l’industrie c/Doukouré, n° 216172).
17 « Il résulte de la coexistence du Pacte relatif aux droits civils et politiques et du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ouverts à la signature le même jour, que l’article 26 […] du premier de ces Pactes [PIDCP] ne peut concerner que les droits civils et politiques mentionnés par ce Pacte et a pour seul objet de rendre directement applicable le principe de non-discrimination propre à ce Pacte.
18 Les dispositions de l’article 26 du Pacte relatif aux droits civils et politiques ne sont donc invocables que par les personnes qui invoquent une discrimination relative à l’un des droits civils et politiques énumérés par ce Pacte.
19 Aux termes de l’article 71-I de la loi du 26 décembre 1959 : “à compter du 1er janvier 1961, les pensions […] dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à […] la France, seront remplacées […] par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites allocations ou pensions, à la date de leur transformation”.
20 Ces dispositions sont relatives à des droits à pension qui ne relèvent pas de la catégorie des droits protégés par le Pacte relatif aux droits civils et politiques. Il en résulte que les personnes visées par cette disposition législative ne peuvent invoquer, au soutien de leur réclamation, le principe d’égalité consacré par l’article 26 du Pacte relatif aux droits civils et politiques ».
21 PUBLICATION DE L’AVIS AU JORF.
CE, Ass., 30/11/2001, min. de la Défense c/M. Diop (n° 212179)
22 C’est par la combinaison de l’article 14 de la CEDH et de l’article 1er de son premier protocole additionnel, dans le prolongement de l’arrêt Gaygusuz c/Autriche (CEDH, 16 sept. 1996) et en admettant leur substitution à l’article 26 du PIDCP, que le Conseil d’État constate le caractère discriminatoire de la principale loi de cristallisation en ce qu’elle instituait « une différence de traitement entre les retraités en fonction de la seule nationalité ». Mais, déjà, le commissaire du gouvernement, Jean Courtial, avait suggéré une interprétation neutralisante de cette disposition sur la base d’un critère de résidence.
23 « Sur la recevabilité du moyen tiré, devant la cour administrative d’appel, de la méconnaissance des stipulations de l’article 14 de la CEDH, combinées avec celles de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention :
24 Considérant que le moyen présenté en appel, tiré par M. Diop de ce que les dispositions précitées de l’article 71 de la loi du 26 décembre 1959 seraient à l’origine d’une différence de traitement entre les anciens agents publics selon leur nationalité, qui ne serait pas compatible avec les stipulations de l’article 14 de la CEDH combinées avec celles de l’article 1er de son 1er protocole additionnel, procédait de la même cause juridique que le moyen développé devant le tribunal administratif, tiré de l’incompatibilité de ces mêmes dispositions avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ouvert à la signature à New York le 19 décembre 1966, qui mettait également en cause la légalité interne de l’acte attaqué ; que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que ce moyen ne constituait pas une demande nouvelle irrecevable en appel ;
25 Sur le bien-fondé du refus de revalorisation de la pension de M. Diop : […]
26 Considérant que […] les pensions [versées aux anciens combattants] constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l’article 1er […] du premier protocole additionnel à la CEDH ;
27 Considérant qu’une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l’article 14 de la CEDH, si elle n’est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d’utilité publique, ou si elle n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
28 Considérant qu’il ressort des termes mêmes de l’article 71 […] de la loi du 26 décembre 1959, que les ressortissants des pays qui y sont mentionnés reçoivent désormais, à la place de leur pension, en application de ces dispositions, une indemnité non revalorisable […] ; que, dès lors […] la Cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que cet article créait une différence de traitement entre les retraités en fonction de leur seule nationalité ;
29 Considérant que les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération différée destinée à leur assurer des conditions matérielles de vie en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées ; que la différence de situation existant entre d’anciens agents publics de la France, selon qu’ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d’États devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l’objet des pensions de retraite, une différence de traitement ; que, s’il ressort des travaux préparatoires des dispositions […] de l’article 71 de la loi du 26 décembre 1959 qu’elles avaient notamment pour objectif de tirer les conséquences de l’indépendance des pays mentionnés à cet article et de l’évolution désormais distincte de leurs économies et de celle de la France […], la différence de traitement qu’elles créent, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de pensions, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif ; que, ces dispositions étant, de ce fait, incompatibles avec les stipulations […] de l’article 14 de la CEDH, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’elles ne pouvaient justifier le refus opposé par le MINISTRE DE LA DÉFENSE à la demande présentée par M. Diop en vue de la revalorisation de sa pension […] ».
30 REJET REQUÊTE DES MINISTRES DE LA DÉFENSE ET DE L’ÉCONOMIE – CONFIRMATION ARRÊT DE LA CAA DE PARIS – CONDAMNATION AUX FRAIS IRRÉPÉTIBLES SOUS CONDITION DE RENONCEMENT À L’AJ.
CJCE, ordonnance, 13 /06/2006, Echouikh c/secrétaire d’État aux anciens combattants (aff. C-336/05)
31 Saisie par voie préjudicielle, la Cour de Luxembourg constate que la législation française appliquée à un ancien combattant marocain pour la cristallisation de sa pension militaire d’invalidité est contraire à l’accord d’association euro-méditerranéen entre les Communautés européennes et le Maroc dans une interprétation conforme aux exigences des articles 14 de la CEDH et 1er du protocole additionnel, résultant notamment de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg dans son arrêt Gaygusuz c/Autriche du 16 septembre 1996.
32 « 20. Il ressort du dossier de l’affaire au principal que M. Echouikh, ressortissant marocain né en 1930 et résidant en France, a servi dans l’armée française du 19 août 1949 au 16 août 1964.
33 21. Le 28 janvier 2002, il a sollicité, en application de l’article L. 252-2 du code, le bénéfice d’une pension militaire d’invalidité au titre de séquelles d’une maladie décelée le 26 février 1953 à Saïgon où il se trouvait pour les besoins de son service dans l’armée française.
34 22. Bien que cette demande ait fait l’objet d’un constat provisoire proposant un droit à pension calculé sur la base d’un pourcentage d’invalidité de 10 % imputable à une affection contractée en service, le ministre de la Défense l’a rejetée, par décision du 24 mai 2004, au motif qu’elle relevait de l’article 71 de la loi du 26 décembre 1959, par lequel la République française a cessé, à compter du 1er janvier 1961, de reconnaître tout droit nouveau, au titre dudit code, aux ressortissants des États tiers qui y sont mentionnés, au nombre desquels figure le Royaume du Maroc.
35 23. Le 6 juillet 2004, M. Echouikh a introduit un recours contre cette décision devant le tribunal départemental des pensions militaires du Morbihan.
36 24. À l’appui de son recours, M. Echouikh fait valoir qu’il est constant qu’il réside sur le territoire français et que le fait dommageable invoqué au soutien de sa demande de pension résulte de son service dans l’armée française. Dès lors qu’il remplit ainsi toutes les conditions posées par la réglementation nationale, à l’exception de celle relative à la possession de la nationalité française, pour bénéficier de la prestation sollicitée, ladite décision de rejet violerait le principe de l’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité, énoncé plus particulièrement dans l’accord d’association et la CEDH, dans la mesure où le refus de pension qui lui est opposé est fondé exclusivement sur la circonstance que le demandeur est un ressortissant de nationalité marocaine. […]
37 35. […] il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 40 à 42 de l’accord de coopération, 64 et 65 de l’accord d’association, ainsi que 12 CE et 14 de la CEDH, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’État membre d’accueil refuse d’accorder le bénéfice d’une pension militaire d’invalidité à un ressortissant marocain qui a servi dans l’armée de cet État et réside sur son territoire au seul motif que l’intéressé possède la nationalité marocaine. […]
38 55. […], il est […] de jurisprudence constante que le principe, inscrit à l’article 41, paragraphe 1, de l’accord de coopération, de l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité dans le domaine de la sécurité sociale des travailleurs migrants marocains et des membres de leur famille résidant avec eux par rapport aux propres ressortissants des États membres dans lesquels ils sont ou ont été occupés signifie que les personnes visées par cette disposition doivent être traitées comme si elles étaient des ressortissants des États membres concernés […].
39 57. Doit ainsi être considérée comme incompatible avec ledit principe de non-discrimination l’application aux personnes visées à l’article 41, paragraphe 1, de l’accord de coopération non seulement de l’exigence de la nationalité de l’État membre concerné, mais également de toute autre condition qui n’est pas requise pour les nationaux […].
40 59. Or, en l’occurrence, il est constant que la réglementation nationale en cause au principal empêche l’octroi d’une pension militaire d’invalidité à un ressortissant marocain en raison seulement de la nationalité du demandeur.
41 60. Partant, une telle réglementation apparaît incompatible avec le principe de non-discrimination énoncé à l’article 65, paragraphe 1, premier alinéa, de l’accord d’association. Il découle en effet de ce principe qu’un ressortissant marocain, qui a servi dans l’armée de l’État membre d’accueil sur le territoire duquel il réside et remplit ainsi toutes les conditions requises, à l’exception de celle relative à la nationalité, pour y bénéficier d’une prestation telle que celle en cause au principal, ne saurait se voir refuser le bénéfice de cette dernière en raison seulement de sa nationalité (voir par analogie, notamment, arrêts précités Krid, point 40, et Babahenini, point 31). […]
42 65. […], il suffit de relever à cet égard que l’interprétation que la présente ordonnance consacre en ce qui concerne l’article 65, paragraphe 1, premier alinéa, de l’accord d’association est conforme aux exigences des articles 14 de la CEDH et 1er du protocole additionnel, tels qu’interprétés notamment par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Gaygusuz c/Autriche du 16 septembre 1996 […], de sorte que la Cour fournit à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation nécessaires à l’appréciation, par celle-ci, de la conformité de la réglementation nationale en cause avec les droits fondamentaux dont la Cour assure le respect, tels que ceux garantis par la CEDH.
43 66. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 65, paragraphe 1, premier alinéa, de l’accord d’association doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’État membre d’accueil refuse d’accorder le bénéfice d’une pension militaire d’invalidité à un ressortissant marocain qui a servi dans l’armée de cet État et réside sur son territoire au seul motif que l’intéressé possède la nationalité marocaine. […] ».
CE, Sect. 18/07/2006 Gisti (n° 274664)
44 Suite à l’arrêt Diop de 2001, après avoir demandé un rapport à Anicet Lepors, ancien ministre de la fonction publique et conseiller d’État, le gouvernement de Lionel Jospin a tergiversé au lieu de procéder au rétablissement complet de l’égalité entre anciens combattants. L’article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 a constitué une réponse partielle, consistant à recalculer la valeur du point en fonction d’un critère de parité de pouvoir d’achat et de lieu de résidence.
45 Ce mécanisme a eu pour effet, dans la majorité des cas, de revaloriser au mieux de 20 % les pensions. Alors qu’il était prévu une revalorisation annuelle, le dernier arrêté a été publié en mars 2007 (pour l’année 2006). Comme le constate la Cour des comptes, la réforme de 2002 – présentée comme une mesure « d’équité » – n’a en réalité « pas résolu » la question de l’inégalité « entre Français et étrangers d’une part, entre nationalités concernées d’autre part » en laissant des niveaux de pensions très différents d’une nationalité à l’autre et par l’application de la cristallisation selon le lieu de résidence au moment de la liquidation de la pension (Cour des comptes, « La décristallisation des pensions des anciens combattants », Rapport public annuel 2010, février 2010, p. 564). Pourtant le Conseil d’État n’a rien trouvé à redire à cette réforme – qu’il avait du reste très largement inspirée (au point de renvoyer sa décisin d’Assemblée en Section).
46 Saisi de la légalité des textes d’application de la loi de 2002, il estime que les critères de résidence et de parité des pouvoirs d’achat ne violent pas les stipulations de l’article 14 de la CEDH, combiné à l’article 1er du premier protocole additionnel, compte tenu de la marge d’appréciation laissée en la matière aux États membres par la Convention. Pire, il valide la non application de ces critères aux ressortissants français expatriés à la date de liquidation de leur pension, car cette différence de traitement lui apparaît « de portée limitée » et présenterait des « inconvénients » pour les nationaux. C’est sur ce dernier point que la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2010 s’écartera de la solution retenue par le Conseil d’État.
47 « Considérant que […] si ces stipulations [de l’article 14 de la CEDH et de l’article 1er de son premier protocole additionnel] ont pour objet d’assurer un juste équilibre entre l’intérêt général et, d’une part, la prohibition de toute discrimination fondée notamment sur l’origine nationale et, d’autre part, les impératifs de sauvegarde du droit de propriété, elles laissent cependant au législateur national une marge d’appréciation, tant pour choisir les modalités de mise en œuvre du dispositif de révision des prestations versées aux ressortissants des pays placés antérieurement sous la souveraineté française résidant hors de France que pour juger si un tel dispositif trouve des justifications appropriées dans des considérations d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi ;
48 Considérant, en premier lieu, que les dispositions législatives [article 68 de la loi du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002] et celles du décret et de l’arrêté [du 3 novembre 2003] contestés, pris pour leur application, sont relatives à des droits à pension qui ne relèvent pas de la catégorie des droits protégés par le Pacte relatif aux droits civils et politiques ; qu’il suit de là que les personnes visées par ces dispositions ne peuvent utilement invoquer, au soutien de leur réclamation, le principe d’égalité consacré par l’article 26 du Pacte relatif aux droits civils et politiques ; […]
49 Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte des dispositions de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002, éclairées par leurs travaux préparatoires, qu’elles ont notamment pour objet d’assurer aux titulaires des prestations mentionnées au I dudit article, versées en remplacement de la pension qu’ils percevaient antérieurement, des conditions de vie dans l’État où ils résident en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées ou leur permettant d’assumer les conséquences de leur invalidité ; qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, ces dispositions instaurent, à cette fin, un critère de résidence, apprécié à la date de liquidation de la prestation, permettant de fixer le montant de celle-ci à un niveau, différent dans chaque État, tel qu’il garantisse aux intéressés résidant à l’étranger un pouvoir d’achat équivalent à celui dont ils bénéficieraient s’ils avaient leur résidence en France, sans pouvoir lui être supérieur ; […] ; que les dispositions des I, II et III de cet article poursuivent un objectif d’utilité publique en étant fondées sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi ; que si le critère de résidence susmentionné n’est pas applicable aux ressortissants français qui résidaient à l’étranger à la date de liquidation de leur pension, cette différence de traitement, de portée limitée, relève de la marge d’appréciation que les stipulations précitées de l’article 14 de la [CEDH] réservent au législateur national, eu égard notamment aux inconvénients que présenterait l’ajustement à la baisse des pensions déjà liquidées de ces ressortissants français qui ont vocation à résider en France ; que, par suite, les dispositions des I, II et III de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002, ainsi que celles du décret et de l’arrêté contestés qui ont été prises pour leur application, ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l’article 14 de [CEDH] ; […] »
Halde, 9/10/2006, Gisti, Catred, LDH (délibérations n° 2006-217 et 2006-218)
50 Saisie dès 2005, la Halde considère, après la sortie du film Indigènes et l’annonce par le président de la République Jacques Chirac de la revalorisation totale des « prestations du sang » (retraite du combattant, pensions militaires d’invalidité), que le dispositif de « décristallisation partielle » issu de l’article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 maintient une différence de traitement à raison de la nationalité, contraire au principe de non discrimination.
51 Après l’adoption de l’article 100 de la loi de finances pour 2007, elle maintient son constat de discrimination dans une nouvelle recommandation et dénonce le fait que les anciens combattants concernés doivent expressément faire la demande de revalorisation totale, ce qui en pratique prive d’effectivité cette disposition pour nombre d’entre eux (recommand. n° 2007-44, 5 mars 2007). Selon la Cour des comptes, moins de 1 000 des 18 000 bénéficiaires potentiels ont réellement sollicité cette revalorisation intégrale en 2007 et 2008.
52 « 14. Dans sa décision du 18 juillet 2006, le Conseil d’État reconnait que le fait de n’appliquer un critère de résidence qu’aux étrangers constitue une différence de traitement. Cependant, il considère que cette application a “une porté limitée” et qu’elle “relève de la marge d’appréciation que les stipulations précitées de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales réservent au législateur national, eu égard notamment aux inconvénients que présenterait l’ajustement à la baisse des pensions déjà liquidées de ces ressortissants français qui ont vocation à résider en France.”
53 15. Il n’en reste pas moins que l’existence d’une différence de traitement à raison de la nationalité pose difficulté au regard de la Convention européenne, mais aussi des accords euro-méditerranéens d’association entre la communauté européenne et les pays du Maghreb.
54 22. […] dans la mesure où le dispositif instauré par l’article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002, d’une part, maintient une différence de traitement à raison de la nationalité, et d’autre part, introduit une condition de résidence qui n’est pas applicable aux ressortissants français, il apparait contraire au principe de non discrimination garanti notamment par les accords conclus entre les Communautés européennes et l’Algérie, le Maroc et la Tunisie.
55 22. Eu égard au maintien d’une discrimination à raison de la nationalité dans le calcul des pensions civiles et militaires de retraite et des pensions de réversion, la haute autorité recommande au Premier ministre, au ministre de la défense, au ministre des affaires étrangères, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, au ministre de la fonction publique, au ministre délégué au budget et à la réforme de l’État et au ministre délégué aux anciens combattants, de prévoir un dispositif de revalorisation des pensions civiles et militaires de retraite, de la retraite du combattant, des pensions civiles et militaires d’invalidité et des pensions de réversion supprimant toute discrimination à raison de la nationalité.
56 24. Au regard de cette recommandation, le Collège demande au Premier ministre de consulter la haute autorité sur les projets de réforme qui seront engagés et ce, conformément à l’article 15 alinéa 4 de la loi n° 2004- 1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ».
TA Bordeaux, 8/10/2008, Qessaoui (n° 704480)
57 Sur le fondement de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg (v. supra l’arrêt Echouikh), le tribunal administratif de Bordeaux annule, dans une série de six jugements, des refus de revalorisation de pensions militaires de retraite postérieurs à l’entrée en vigueur de l’article 100 de loi de finances pour 2007 opposés à d’anciens tirailleurs marocains. Il valide toutefois, dans un septième jugement, un refus opposé à un ressortissant sénégalais ne relevant pas de ces accords. Il prononce aussi des injonctions de verser aux anciens combattants concernés des arrérages depuis 2003 selon les modalités qu’il définit.
58 « Considérant que M. Qessaoui, de nationalité marocaine, a servi au sein de l’armée française et a été rayé des contrôles de l’armée active le 9 avril 1958 ; qu’en rémunération de ses services, il a obtenu le bénéfice d’une pension militaire de retraite par arrêté du 26 décembre 1958 ; qu’en raison de sa nationalité marocaine, sa pension a été transformée en une indemnité personnelle et viagère, par application des dispositions précitées de l’article 71-I de la loi du 26 décembre 1959 portant loi de finances pour 1960 ; que lors de la liquidation de sa pension, le requérant résidait au Maroc ; que, par application des dispositions précitées de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002, l’indemnité qui était versée à l’intéressé a été revalorisée par référence à un coefficient proportionnel au rapport des parités de pouvoir d’achat dans le pays de résidence et des parités de pouvoir d’achat de la France ; que, par lettre du 21 juin 2007, reçue le 25 juin suivant, M. Qessaoui a sollicité la revalorisation de sa pension militaire de retraite à concurrence des montants dont il aurait bénéficié s’il avait eu la nationalité française, ainsi que le versement des arrérages qu’il estime lui être dus, augmentés des intérêts capitalisés ; que par sa requête, il demande d’annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre de la défense sur cette demande et d’enjoindre au ministre de la défense que lui soit versée une pension de retraite à taux plein, outre les intérêts moratoires capitalisés et les arrérages sur quatre ans à compter de sa demande du 25 juin 2007, ainsi que les majorations pour enfants ;
59 Sur les conclusions à fin d’annulation : […]
60 Considérant […] que les militaires constituent des “travailleurs” au sens des stipulations de l’article 65 de l’accord précité, telles qu’interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes dans son ordonnance C-336/05 du 13 juin 2006 ; […]
61 Considérant que l’article 65 de l’accord précité interdit toute discrimination fondée sur la nationalité ; que la règle d’égalité de traitement, telle qu’interprétée de manière constante par la Cour de justice des Communautés européennes, prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ; qu’en particulier, selon les arrêts 63/86 du 14 janvier 1988 et C-350/96 du 7 mai 1998, est discriminatoire une disposition nationale qui prévoit une distinction fondée sur le critère de la résidence, lequel critère risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres ; qu’il suit de là que les dispositions précitées de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002, qui, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, prévoient une différence entre le montant des prestations vieillesses versées aux retraités marocains en fonction d’un critère de résidence à la date de la liquidation de leur pension et excluent de l’application de ce critère les ressortissants français, sont incompatibles avec les stipulations de l’article 65 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part ; que, dès lors, les dispositions de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 ne pouvaient justifier le refus opposé par le Ministre de la défense à la demande de M. Qessaoui en vue de la revalorisation de sa pension ; que, par suite, sans qu’il soit besoin pour le tribunal de statuer sur les autres moyens de la requête, la décision attaquée doit être annulée ;
62 Sur les conclusions à fin d’injonction :
63 Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. Qessaoui peut prétendre à la revalorisation de sa pension militaire de retraite ; que le montant doit en être fixé par référence au taux applicable aux ressortissants français titulaires d’une pension militaire de retraite ; que M. Qessaoui sollicite la revalorisation de sa pension à compter de la réception de sa demande préalable auprès du ministre de la défense, soit le 25 juin 2007, ainsi que les arrérages sur une période de quatre ans avant cette date ; qu’il y a lieu, dès lors, d’enjoindre à l’État, pour la période postérieure au 25 juin 2003, de verser à M. Qessaoui les arrérages correspondant à la différence entre le montant ainsi fixé et celui qui a déjà été versé à l’intéressé ainsi que les intérêts moratoires dus en application de l’article 1153 du code civil et qui courent à compter de la réception de sa demande, soit le 25 juin 2007 ; qu’en outre, M. Qessaoui a demandé la capitalisation des intérêts à l’administration par lettre du 21 juin 2007, reçue le 25 juin suivant ; qu’il y a lieu de faire droit à cette demande de capitalisation qui prend effet à compter du 25 juin 2008, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, et, le cas échéant, à chaque échéance annuelle à compter de cette date. »
64 ANNULATION DÉCISION IMPLICITE DU MINISTRE REJETANT LA DEMANDE DE REVALORISATION D’UNE PENSION MILITAIRE DE RETRAITE. VERSEMENT, POUR LA PÉRIODE POSTÉRIEURE AU 25 JUIN 2003, D’ARRÉRAGES AINSI QUE LES INTÉRÊTS CAPITALISÉS. CONDAMNATION À 1 000 € EN APPLICATION DES DISPOSITIONS DE L’ARTICLE 37 DE LA LOI DU 10 JUILLET 1991 ET DE L’ARTICLE L. 761-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE, SOUS RÉSERVE RENONCEMENT À PERCEVOIR LA SOMME CORRESPONDANT À LA PART CONTRIBUTIVE DE L’ÉTAT AU TITRE DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE.
Conseil constitutionnel, 28/05/010, consorts Labane (n° 2010-1 QPC)
65 Saisi le 14 avril 2010 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité introduite par la veuve et l’orphelin d’un ancien combattant algérien, le Conseil constitutionnel juge contraire au principe d’égalité les dispositions législatives applicables aux Algériens qui laissent subsister une différence de traitement avec les ressortissants français résidant dans le même pays étranger. Dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d’État, il valide en revanche les critères de résidence et de parité des pouvoirs d’achat dès lors qu’ils seront appliqués indistinctement aux étrangers qu’aux Français expatriés. Il tire par ailleurs les conséquences de sa déclaration d’inconstitutionnalité.
66 « SUR LA CONSTITUTIONNALITÉ DES DISPOSITIONS CONTESTÉES :
67 8. Considérant que l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
68 . En ce qui concerne l’article 26 de la loi du 3 août 1981 et l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 :
69 9. Considérant que les dispositions combinées de l’article 26 de la loi du 3 août 1981 et de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 ont pour objet de garantir aux titulaires de pensions civiles ou militaires de retraite, selon leur lieu de résidence à l’étranger au moment de l’ouverture de leurs droits, des conditions de vie en rapport avec la dignité des fonctions exercées au service de l’État ; qu’en prévoyant des conditions de revalorisation différentes de celles prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite, elles laissent subsister une différence de traitement avec les ressortissants français résidant dans le même pays étranger ; que, si le législateur pouvait fonder une différence de traitement sur le lieu de résidence en tenant compte des différences de pouvoir d’achat, il ne pouvait établir, au regard de l’objet de la loi, de différence selon la nationalité entre titulaires d’une pension civile ou militaire de retraite payée sur le budget de l’État ou d’établissements publics de l’État et résidant dans un même pays étranger ; que, dans cette mesure, lesdites dispositions législatives sont contraires au principe d’égalité ;
70 . En ce qui concerne l’article 100 de la loi du 21 décembre 2006 :
71 10. Considérant que l’abrogation de l’article 26 de la loi du 3 août 1981 et de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 a pour effet d’exclure les ressortissants algériens du champ des dispositions de l’article 100 de la loi du 21 décembre 2006 ; qu’il en résulte une différence de traitement fondée sur la nationalité entre les titulaires de pensions militaires d’invalidité et des retraites du combattant selon qu’ils sont ressortissants algériens ou ressortissants des autres pays ou territoires ayant appartenu à l’Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France ; que cette différence est injustifiée au regard de l’objet de la loi qui vise à rétablir l’égalité entre les prestations versées aux anciens combattants qu’ils soient français ou étrangers ; que, par voie de conséquence, l’article 100 de la loi du 21 décembre 2006 doit également être déclaré contraire au principe d’égalité ;
72 11. Considérant que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, les dispositions législatives contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
73 - SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D’INCONSTITUTIONNALITÉ :
74 12. Considérant que l’abrogation de l’article 26 de la loi du 3 août 1981, de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 et de l’article 100 de la loi du 21 décembre 2006 a pour effet de replacer l’ensemble des titulaires étrangers, autres qu’algériens, de pensions militaires ou de retraite dans la situation d’inégalité à raison de leur nationalité résultant des dispositions antérieures à l’entrée en vigueur de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 ; qu’afin de permettre au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité constatée, l’abrogation des dispositions précitées prendra effet à compter du 1er janvier 2011 ; qu’afin de préserver l’effet utile de la présente décision à la solution des instances actuellement en cours, il appartient, d’une part, aux juridictions de surseoir à statuer jusqu’au 1er janvier 2011 dans les instances dont l’issue dépend de l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelles et, d’autre part, au législateur de prévoir une application des nouvelles dispositions à ces instances en cours à la date de la présente décision. »
75 DÉCLARATION DE NON-CONFORMITÉ À LA CONSTITUTION DE L’ARTICLE 26 DE LA LOI N° 81-734 DU 3 AOÛT 1981 DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 1981 ; L’ARTICLE 68 DE LA LOI N° 2002-1576 DU 30 DÉCEMBRE 2002 DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2002, À L’EXCEPTION DU PARAGRAPHE VII ET ARTICLE 100 DE LA LOI N° 2006-1666 DU 21 DÉCEMBRE 2006 DE FINANCES POUR 2007, À L’EXCEPTION DU PARAGRAPHE V, À COMPTER DU 1ER JANVIER 2011.