Notes
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[1]
Popper a écrit deux ouvrages dont l’objet principal est le problème esprit-corps : Knowledge and the Body-Mind Problem, Londres, Routledge, 1994 (publication de conférences prononcées en 1969) ; et avec John Eccles, The Self and Its Brain (désormais SIB), Berlin, Springer, 1977 (dans ce livre, les contributions de Popper et de Eccles sont séparées). Or, dans un ouvrage collectif de quatre volumes consacré à la philosophie de Popper dans son ensemble (Anthony O’Hear (ed.), Karl Popper : Critical Assessments of Leading Philosophers, Londres, Routledge, 2004), une seule contribution, fort brève, est consacrée à l’interactionnisme de Popper, de Jeroen Van Rooijen, et qui ne s’intéresse qu’à un seul argument développé par Popper. Par ailleurs, un article est déjà paru en France sur l’interactionnisme de Popper : Thomas Chabin, « Popper et le problème du corps et de l’âme », Philosophia Scientiae, n° 11, 2007, pp. 159-193. De portée limitée, cet article ne prend pas en compte les dernières idées de Popper sur la question, c’est-à-dire son article-entretien de 1993.
-
[2]
Karl Popper, Peter Arhem, Ingemar B. Lindahl, « A Discussion of the Mind-Brain Problem » (désormais DMB), Theoretical Medicine, vol. 14, 1993, pp. 167-180. Il s’agit d’un entretien où Popper répond aux questions de P. Arhem (biologiste) et I. B. Lindahl (philosophe).
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[3]
Popper dit lui-même que la théorie de l’identité peut donner lieu à des versions panpsychistes (SIB, pp. 199-201).
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[4]
Cet argument se trouve déjà chez William James, « Are We Automata ? », Mind, vol. IV, n° 13, 1879, pp. 1-22.
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[5]
Jeroen Van Rooijen, « Interactionism and Evolution : a Critique of Popper », The British Journal for the Philosophy of Science, vol. 38, 1987, pp. 87-91. Tom Settle, « Van Rooijen and Mayr versus Popper : is the Universe Causally Closed ? », The British Journal for the Philosophy of Science, vol. 40, 1989, pp. 389-403.
-
[6]
Popper se base notamment sur les textes de Schlick et de Feigl disant qu’un processus mental est un processus physique connu par accointance (« acquaintance »), et non par description.
-
[7]
Sur ce point, cf. aussi Popper, L’Univers irrésolu [1982], Paris, Hermann, 1984, pp. 69-72.
-
[8]
David Papineau, Thinking about Consciousness, New York, Oxford University Press, 2002, pp. 232-256.
-
[9]
Popper, L’Univers irrésolu [1982], Paris, Hermann, 1984, pp. 123-125.
-
[10]
Gassendi, Cinquièmes Objections aux Méditations métaphysiques [1647], in Descartes, Œuvres philosophiques, vol. II, Paris, Garnier, 2010, pp. 782-784.
-
[11]
Daniel Dennett, La Conscience expliquée, Paris, O. Jacob, 1993, pp. 52-53 ; Jerry Fodor, « The Mind-Body Problem », in R. Warner and T. Szubka, The Mind-Body Problem, Oxford, Blackwell, 1994, p. 25 ; John Searle, Le Mystère de la conscience, Paris, O. Jacob, 1999, p. 11 ; Jaegwon Kim, Philosophie de l’esprit, Paris, Ithaque, 2008, pp. 48-49.
-
[12]
Pour une analyse plus approfondie de l’essentialisme selon Popper : Alain Boyer, Introduction à la lecture de Karl Popper, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1994, pp. 73-84.
-
[13]
Cela explique l’hostilité des philosophes cartésiens, notamment de Huygens, à l’égard de la théorie newtonienne de la gravitation, puisque celle-ci ne suppose pas que la causalité au sein du monde matériel soit une poussée (Pierre Duhem, L’Évolution de la mécanique [1903], Paris, Vrin, 1992, pp. 32-35 ; Max Jammer, Concepts of Force, Cambridge, Dover, 1999, pp. 147-149).
-
[14]
À cet égard, Descartes parle d’une « étendue de puissance », par opposition à une « étendue de substance » (Lettre à Morus du 15 avril 1649, dans Descartes, Œuvres philosophiques, vol. III, Paris, Garnier, 2010, p. 908). Certaines formulations de Descartes laissent entendre que l’âme se situerait dans la glande pinéale (Les Passions de l’âme, 1649, Art. 34). Mais pour lui, il est clair que l’âme est inétendue (Principes de la philosophie, 1647, Art. 8).
-
[15]
Graphiquement, cette intensité est représentée par la longueur d’un vecteur. Mais, physiquement parlant, l’intensité d’une force n’est évidemment pas une longueur.
-
[16]
Cf. la définition proposée par J.-P. Mathieu, A. Kastler et P. Fleury : « Force : cause physique d’une accélération ou d’une déformation » (Dictionnaire de physique, Paris, Masson, 1991, p. 194).
-
[17]
Sur ce point, voir aussi Popper, L’Avenir est ouvert [1985], Paris, Flammarion, 1995, pp. 106-107.
-
[18]
Daniel Dennett, op. cit., p. 52 ; Jerry Fodor, op. cit., p. 25.
-
[19]
Le physicien Paul Davies explique les choses ainsi : « Une autre inégalité importante relie la détermination de l’énergie et du temps :. Cette expression nous dit que l’énergie E d’un système ne peut être déterminée avec une précision supérieure à ?E pendant une durée inférieure à ?t. Sur une longue durée, ?E peut être faible et l’énergie est alors bien définie, mais sur de courtes périodes, la valeur de l’énergie est très incertaine. Cela signifie que la loi de la conservation de l’énergie, une des lois fondamentales de la physique classique, peut être “fausse” dans la physique quantique, en ce sens qu’on peut “emprunter” une quantité ?E d’énergie pendant une durée ?t » (Paul Davies, Les Forces de la nature, Paris, Flammarion, 1996, p. 66).
-
[20]
D’autres analyses semblent montrer que l’action d’une force non physique (c’est-à-dire dont la source n’est pas un objet physique) sur un système physique ne contredit pas forcément le principe de conservation de l’énergie, y compris en physique classique, à condition de ne pas surdéterminer la formulation de ce dernier. Autrement dit, le problème est de savoir ce que dit exactement ce principe (cf. Edward Averill et Bernard F. Keating, « Does Interactionism Violate a Law of Classical Physics ? », Mind, vol. 90, n° 357, 1981, pp. 102-107).
-
[21]
John Eccles, Comment la conscience contrôle le cerveau, Paris, Fayard, 1997, pp. 175-198.
-
[22]
Popper rejette l’idée que l’esprit est une substance au sens d’une réalité inaltérable qui serait le support non changeant des changements. Mais on peut soutenir qu’il considère l’esprit comme une substance au sens d’une réalité capable d’action autonome.
-
[23]
Sur ce point, voir aussi Popper, L’Univers irrésolu [1982], Paris, Hermann, 1984, p. 122.
-
[24]
Ibid., pp. 118-121.
-
[25]
David Skrbina, Panpsychism in the West, Cambridge, MIT Press, 2005, pp. 249-251.
1Outre ses travaux en épistémologie, Popper a poursuivi une importante recherche en métaphysique, notamment sur la relation esprit-corps, où il a développé une approche interactionniste originale. Le but de cet article est d’éclairer les principaux points de cette approche.
2En philosophie de l’esprit, l’interactionnisme peut se définir comme l’idée selon laquelle le physique et le psychique (ou mental) sont deux types de réalité distincts, capables d’interagir. Cette idée est opposée au physicalisme, et plus généralement à toute théorie qui défend le principe de clôture causale du domaine physique. L’intérêt principal de l’interactionnisme de Popper est de constituer une opposition plus forte que l’interactionnisme de Descartes à toute théorie qui défend le principe de clôture causale. Trop souvent, dans le débat contemporain, l’interactionnisme est réduit à la philosophie de Descartes, dont certaines faiblesses permettent une critique facile. À l’opposé, l’interactionnisme de Popper est peu débattu [1], peu mentionné même, alors que sa situation dans l’histoire lui permet d’intégrer des idées scientifiques modernes, notamment sur la matière et l’évolution.
3Nous voudrions insister sur un point précis, que Popper développe tardivement (en 1993, alors qu’il meurt en 1994) [2], qui est la comparaison minutieuse entre l’esprit et les forces physiques telles que conçues par la science : selon lui, l’esprit n’est pas une réalité physique ; pourtant, sa ressemblance avec une force physique est frappante. Il y a là une piste à suivre pour comprendre la nature de l’esprit.
4Dans un premier temps, nous chercherons à rendre compte des principales critiques adressées par Popper au physicalisme. Dans un second temps, nous présenterons l’apport plus positif de Popper, en particulier son hypothèse que l’esprit est une force.
La critique du physicalisme
5Popper définit le physicalisme en général comme l’idée selon laquelle le monde physique est causalement clos (SIB, p. 51). Selon cette conception, si un événement physique est causalement produit, alors sa ou ses causes sont physiques. Il distingue quatre sortes de physicalisme (SIB, pp. 51-55) :
- Le physicalisme radical, ou béhaviorisme radical, qui nie l’existence des états mentaux. Popper pense notamment à Quine.
- Le panpsychisme, qui admet l’existence d’états mentaux pour tout ce qui est matériel, y compris pour la matière non vivante, mais qui considère ces états comme un simple aspect de la matière (un aspect intérieur), et non comme une réalité distincte pouvant agir sur elle.
- L’épiphénoménisme, qui admet l’existence d’états mentaux pour une partie du monde matériel (pour certains êtres vivants), mais qui rejette l’idée que ces états aient un pouvoir causal sur les états physiques. L’épiphénoménisme peut être une sorte de parallélisme psychophysique, qui conçoit qu’une partie des états physiques s’accompagne d’états mentaux, mais sans aucune action entre ces deux types d’état. Ou bien il peut considérer qu’une partie des états physiques est la cause d’états mentaux, mais sans que ces derniers ne causent quoi que ce soit.
- La théorie de l’identité psychophysique, qui admet l’existence d’états mentaux pour une partie du monde matériel (pour certains êtres vivants), et qui, par opposition à l’épiphénoménisme, considère ces états comme ayant un pouvoir causal sur les états physiques, du fait de l’identité du mental au physique. Popper note que cette identité n’est pas pensée comme devant découler de raisons logiques, c’est-à-dire d’une analyse du contenu des concepts mentaux et physiques : elle est pensée comme devant découler de recherches empiriques, sur le modèle des identifications scientifiques.
6S’agissant de la théorie de l’identité, Popper ne distingue pas l’identité des types et l’identité des exemplaires, cette dernière permettant la multiréalisabilité du mental, défendue par le fonctionnalisme. Toutefois, cela a peu de conséquences, car les critiques qu’il formule à l’égard de cette théorie s’appliquent pour l’essentiel aux deux sortes d’identité.
7S’agissant du panpsychisme, une difficulté plus grande apparaît : de manière générale, le panpsychisme est l’idée qu’une réalité psychique est associée à tout ce qui est matériel, y compris à la matière non vivante. Ainsi, en droit, il est possible de concevoir un panpsychisme qui soit un dualisme interactionniste appliqué à l’ensemble de la nature. L’idée serait que la réalité psychique associée à tout système matériel – à la particule élémentaire, aussi bien qu’au corps de l’homme ou de l’animal – est en interaction avec ce système. Bref, le panpsychisme n’est pas forcément un physicalisme. Popper reconnaît ce point, et justifie sa définition en affirmant que, en fait, les auteurs panpsychistes défendent le principe de clôture causale du monde physique (SIB, p. 68, pp. 516-517). Il cite notamment Spinoza, Theodor Ziehen (1862-1950, neurologue), Bernhard Rensch (1900-1990, biologiste), Conrad Waddington (1905-1975, biologiste). Mais, d’un point de vue logique, le panpsychisme dont parle Popper se rattache alors à l’épiphénoménisme et à la théorie de l’identité, comme un cas particulier de ces théories : il s’agit de l’idée qu’il existe des états mentaux, et que ces états accompagnent tous les états physiques, soit en parallèle ou comme de simples effets (pour l’épiphénoménisme), soit comme identiques aux états physiques en question (pour la théorie de l’identité) [3]. D’ailleurs, parler des états mentaux comme d’un « aspect intérieur » de la matière peut difficilement avoir un autre sens.
8Passons maintenant aux critiques formulées par Popper.
La critique du physicalisme radical
9Au physicalisme radical, Popper adresse la critique suivante : outre le fait que je suis convaincu de posséder des états mentaux, il semble inévitable de devoir interpréter certains comportements d’autrui comme révélateurs de l’existence d’états mentaux. En particulier certains comportements linguistiques, et ce dans un cadre expérimental. Ainsi, Popper prend l’exemple des illusions d’optiques reconnues comme telles par une personne : comment interpréter le fait qu’un homme reconnaisse verbalement que ce qu’il perçoit est différent de ce qui est, sinon comme révélateur de l’existence d’un processus mental chez lui, à savoir une perception (SIB, pp. 63-64) ? Dans ce cas, l’idée est que, par sa parole, l’individu décrit un état mental, tout simplement.
10Selon Popper, le physicalisme radical, dans son lien au béhaviorisme, repose sur une incompréhension de la méthode en science. D’un côté, il est vrai que toute théorie scientifique doit pouvoir être testée par des observations intersubjectives – ce qui conduit la psychologie à s’intéresser aux comportements humains et animaux, notamment aux comportements linguistiques. Mais, d’un autre côté, il n’est pas vrai que tous les énoncés d’une théorie scientifique doivent concerner ce qui est observable : il suffit que, au sein de la théorie, les énoncés qui portent sur l’inobservable aient un lien déductif avec les énoncés qui portent sur l’observable, de telle manière que l’ensemble de la théorie puisse être testée. C’est pourquoi, en physique, on trouve des énoncés qui portent sur des entités inobservables, par exemple les champs de force (SIB, p. 62).
La critique du panpsychisme
11Au panpsychisme, Popper objecte que, selon la physique actuelle, rien ne dit que les atomes ou particules élémentaires possèdent une mémoire. Par exemple, deux atomes du même isotope ont exactement les mêmes propriétés physiques, quel que soit leur passé. Par conséquent, il est douteux qu’ils possèdent une forme de conscience, même primitive (SIB, pp. 69-71). En ce sens, la conception panpsychiste du réel est arbitraire.
12Cependant, il est clair que cette critique s’applique à tout panpsychisme, physicaliste ou non. Logiquement parlant, elle dépasse donc la question du physicalisme. Nous reprenons cette discussion à la fin de l’article, en essayant de montrer que la position de Popper par rapport au panpsychisme n’est pas si simple.
Premier argument contre l’épiphénoménisme et la théorie de l’identité
13À l’épiphénoménisme, Popper reproche de nier le pouvoir causal de l’esprit, dont la réalité est, selon lui, bien fondée. Mais il applique aussi cette critique à la théorie de l’identité. Celle-ci se présente comme intégrant l’idée d’un pouvoir causal de l’esprit, mais Popper y voit une prétention non justifiée.
14Sa critique repose sur deux arguments. Le premier pose que la théorie de la sélection naturelle, considérée comme la meilleure théorie pour expliquer l’émergence des diverses formes de vie, conduit à rejeter l’épiphénoménisme (SIB, pp. 72-74) [4], ainsi que la théorie de l’identité (SIB, pp. 86-88). Il se résume ainsi :
- La théorie de la sélection naturelle affirme que, au sein d’une population, un caractère qui perdure représente un avantage pour la survie.
- Or, chez l’homme au moins, le caractère avoir-des-états-mentaux existe depuis plusieurs dizaines de milliers d’années.
- Par conséquent, le caractère avoir-des-états-mentaux doit représenter un avantage pour la survie.
- Par conséquent, d’une manière ou d’une autre, les états mentaux doivent avoir une action physique.
- Conclusion : cela contredit l’épiphénoménisme, qui rejette l’idée que les états mentaux ont une action physique. Mais cela contredit aussi la théorie de l’identité, puisque, selon celle-ci, les états mentaux humains n’ont de pouvoir causal que par identité aux états cérébraux. Autrement dit, ils n’ont pas de pouvoir causal en tant que simples états mentaux. S’ils n’existaient pas, cela ne changerait rien au monde physique, et donc à la survie de l’homme.
15Popper ne prend pas en compte cette objection. Toutefois, celle-ci présente une faiblesse évidente : on comprend qu’une propriété secondaire physique, comme la couleur, soit liée à un caractère adaptatif physique, comme le foie humain. Mais on comprend moins bien qu’une propriété secondaire non physique, le caractère avoir-des-états-mentaux, soit liée à un caractère adaptatif physique, en l’occurrence le cerveau humain. De quel type de lien s’agit-il ici ? Un organe a forcément une couleur, utile ou non à la survie. Mais par quelle nécessité un organe devrait-il produire des états mentaux ?
16Une seconde objection à cet argument, de la part de la théorie de l’identité, consiste à rejeter sa conclusion : Popper aurait raison de penser que, selon la théorie de l’identité, les états mentaux n’ont de pouvoir causal que par identité aux états cérébraux. Mais il aurait tort d’en déduire que les états mentaux n’ont pas de pouvoir causal en tant que tels. Le pouvoir causal des états mentaux serait réel, l’idée étant qu’agir en tant qu’état mental ne se distingue pas du fait d’agir en tant qu’état physique, de par l’identité du mental au physique. Au fond, l’erreur de Popper serait de supposer une certaine distinction entre le mental et le physique, et de ne pas appréhender rigoureusement la notion d’identité psycho-physique.
17Cependant, quelque chose semble bien pertinent dans l’argument de Popper. Il est vrai qu’il interprète la théorie de l’identité comme supposant un minimum de distinction entre le mental et le physique. Selon lui, cette distinction correspond à l’idée que le mental est quelque chose de physique sous une certaine apparence, ou encore sous un certain aspect (SIB, p. 54, pp. 81-86) [6]. Il en déduit que, au point de vue de la théorie de l’évolution, le physique sous un certain aspect doit avoir un pouvoir causal propre, qu’il doit faire la différence par rapport au physique tout court (SIB, p. 88), et il ajoute que la théorie de l’identité interdit cela, par le principe de clôture causale du domaine physique (sinon pour éviter une surdétermination des états physiques). L’erreur de Popper, si erreur il y a, consisterait donc à penser que la théorie de l’identité maintient un minimum de distinction entre le mental et le physique, par la notion d’apparence ou d’aspect de la réalité physique. Mais l’argument de Popper soulève au moins une question importante, qui est de savoir ce qu’est précisément cette identité de la théorie de l’identité, et comment il est possible pour cette théorie de se distinguer du physicalisme radical : si les états mentaux sont purement et simplement des états physiques, sans la moindre nuance, pourquoi admettre qu’il existe des états mentaux ? Ou alors, quel est le sens précis de l’affirmation qu’il existe des états mentaux ? Ajoutons que Popper formule son argument contre la première version de la théorie de l’identité, où il est question d’identifier des types. Par rapport à la version plus récente (inspirée par le fonctionnalisme), où il est question d’identifier des exemplaires, et où la multiréalisabilité du mental éloigne d’une identité pure et simple, il semble que son argument ait encore plus de force.
Deuxième argument contre l’épiphénoménisme et la théorie de l’identité
18Le second argument consiste à dire que le rationalisme, entendu comme l’exigence d’argumentation rationnelle en matière de connaissance, conduit à rejeter toute forme de physicalisme (SIB, pp. 75-81) [7]. Nous le résumons ainsi :
- Penser que le respect des normes de la rationalité, c’est-à-dire de la logique formelle et de certains principes méthodologiques, doit jouer un rôle déterminant dans l’adoption d’une thèse implique de penser que le respect de ces normes peut jouer un tel rôle.
- Or, le respect des normes de la rationalité est un processus mental non soumis aux lois de la physique : lors de ce processus, il est clair que nos états mentaux se soumettent à des principes logiques et méthodologiques qui ne sont pas les lois de la physique.
- Par conséquent, cela conduit à penser qu’un processus mental non soumis aux lois de la physique – le respect des normes de la rationalité – peut déterminer un processus physique, à savoir l’exposé verbal d’une thèse.
- Conclusion : cela contredit le principe de clôture causale du domaine physique, donc l’épiphénoménisme et la théorie de l’identité.
19À cette objection, Popper répond ceci : il est probable que, chez l’homme, la capacité d’agir conformément à certaines normes de rationalité soit un caractère sélectionné par l’évolution, du fait de son intérêt pratique. Cependant, considérer que le respect des normes de la rationalité est un processus soumis aux lois de la physique conduit à penser que ces normes elles-mêmes, produites par la pensée humaine, sont déterminées par les lois de la physique. Autrement dit, cela revient à assimiler les normes de la rationalité à des faits, et à penser que ces normes sont ce qu’elles sont du fait que les cerveaux humains sont ce qu’ils sont. Le problème est que nous concevons parfaitement que la majorité des hommes (ou des ordinateurs) puisse faire une même erreur logique. Dans ce cas, il est évident qu’une norme de rationalité est irréductible au fait (Popper, 1977, p. 79).
20Cet argument de Popper est lié à sa conception du langage. Pour Popper, en effet, le langage possède au moins quatre fonctions : 1) exprimer un état interne ; 2) communiquer à quelqu’un cet état interne ; 3) décrire quelque chose, ce qui introduit des normes de vérité et de fausseté ; 4) argumenter, ce qui introduit des normes de validité et d’invalidité (SIB, pp. 57-59). D’après l’argument que nous venons d’exposer, l’épiphénoménisme et la théorie de l’identité ne parviennent pas à rendre compte des fonctions 3) et 4), alors même que ces deux théories admettent l’existence des états mentaux : l’idée est que, si notre esprit est capable de se contraindre à décrire le réel en respectant des normes méthodologiques, et à argumenter en suivant des normes logiques, alors, ce faisant, il est un processus qui n’est pas déterminé par les lois de la physique.
21Cet argument est aussi lié au concept poppérien de Monde 3 : pour Popper, les normes de la rationalité, quoique produites par la pensée humaine, tendent à s’imposer à elle. C’est pourquoi Popper leur confère une existence autonome, ni physique (Monde 1) ni psychologique (Monde 2). Elles font partie du Monde 3, le monde des produits de l’esprit humain (SIB, pp. 38-41). D’où l’affirmation répétée de Popper que les considérations sur le Monde 3 apportent une lumière nouvelle sur le problème esprit-corps (SIB, p. 47. DMB, pp. 170-171). Selon Popper, cette lumière nouvelle correspond au fait que les produits de l’esprit humain sont des objets abstraits, ni physiques ni psychologiques, qui ont pourtant une action sur le monde physique via les processus psychologiques, c’est-à-dire les états mentaux. Par exemple, il peut s’agir de concepts et de normes logico-mathématiques qui aboutissent à la construction d’ordinateurs, via l’effort mental des ingénieurs qui construisent ces ordinateurs. Le fait qu’il s’agisse de concepts et de normes montre qu’il s’agit d’objets abstraits, en l’occurrence de contenus de pensée, irréductibles à l’expression physique de ces contenus ou à leur saisie mentale (SIB, pp. 38-39). Le fait que ces normes et concepts influencent le monde physique vaut comme un critère de réalité (SIB, pp. 9-10). Enfin, l’idée que cela suppose un effort mental est évidente. Conclusion, pour Popper, l’influence du Monde 3 sur le Monde 1 prouve l’existence du Monde 2.
Troisième argument contre l’épiphénoménisme et la théorie de l’identité
22Enfin, outre les deux arguments centrés sur le pouvoir causal de l’esprit, Popper reproche à l’épiphénoménisme et la théorie de l’identité de présupposer une correspondance terme à terme entre le mental et le cérébral, alors que ce que nous connaissons du mental semble s’opposer à cette idée (SIB, pp. 88-93). Son analyse peut se résumer comme suit :
- Certaines de nos expériences conscientes, sinon toutes, sont uniques, au sens où elles ne se répètent jamais à l’identique au cours de notre vie. Ainsi, l’expérience de percevoir un objet déjà perçu précédemment constitue une expérience originale, car elle s’accompagne d’un sentiment particulier de déjà-vu. De même, l’expérience de faire telle ou telle phrase a quelque chose d’original, car il est probable que nous ne prononçons certaines phrases qu’une fois dans notre vie, même si c’est en utilisant des mots déjà utilisés (pour cet exemple, voir SIB, p. 119).
- Or, une loi de corrélation entre des événements ne peut relier que des occurrences de propriétés générales, non de propriétés uniques. En physique, par exemple, la loi de Newton relie la force gravitationnelle à la masse des corps et à la distance entre ces corps : dans ce cas, les propriétés physiques données sont générales, même si elles admettent telle ou telle quantité selon les cas.
- Par conséquent, il ne peut pas exister de lois de corrélation entre les états mentaux et les états cérébraux.
- Par conséquent, il est arbitraire de penser que, à chaque état mental doit correspondre un état cérébral – qui serait son double, sa cause, ou bien qui serait identique à lui. Autrement dit, d’un point de vue empirique, rien ne fonde l’hypothèse d’une correspondance terme à terme entre le mental et le cérébral.
- Conclusion : l’épiphénoménisme et la théorie de l’identité ne possèdent pas de base empirique. Cela ne veut pas dire que ces théories soient réfutées par l’expérience, mais qu’elles sont arbitraires eu égard à l’expérience.
23Un philosophe physicaliste pourrait reconnaître une certaine valeur à l’argument de Popper tout en considérant que d’autres arguments montrent que le physicalisme possède une base empirique solide. En ce sens, pour David Papineau, l’ensemble de la physique et de la biologie fournit une base empirique suffisante à l’adoption du principe de clôture causal du domaine physique. Papineau mentionne notamment la capacité de la physique à réduire les forces apparemment spéciales à un petit nombre de forces fondamentales, et le fait que, en biologie, depuis plus d’un siècle, personne n’a été capable de montrer l’existence de forces propres au vivant [8]. Cependant, même s’il s’agit là de raisons fortes en faveur du principe de clôture causale du domaine physique, cela ne constitue pas une réponse directe à l’argument de Popper : l’idée de lois de corrélation entre les états mentaux et les états cérébraux reste suspecte. De plus, il semble évident qu’un argument inductif comme celui de Papineau se discute. Certes, jusqu’à maintenant, personne n’a été capable de montrer l’existence de forces propres au vivant. Mais la réduction des phénomènes biologiques aux phénomènes physiques est elle-même relative. Popper mentionne ce point [9].
L’hypothèse interactionniste
24Par opposition au physicalisme, Popper pense que le physique et le mental sont deux types de réalité distincts, capables d’interagir. Pour l’interactionnisme, le défi est au moins d’apporter une réponse convaincante aux objections classiques à son encontre. Aussi, il semble intéressant d’exposer les principaux points de l’interactionnisme de Popper en rapport à ces objections : une interaction entre le physique et le mental est-elle compréhensible, étant donné ce que nous connaissons de la causalité ? Est-elle compatible avec la science, dès lors que celle-ci énonce des principes de conservation ? Enfin, l’émergence d’un esprit non physique à partir de la réalité physique est-elle concevable, s’il est vrai que le mental et le physique sont deux types de réalité distincts ?
25Dans The Self and Its Brain (1977), Popper aborde longuement ces trois questions. Mais son article de 1993 apporte de nouveaux éléments de réponse, qui conduisent à reposer la question du panpsychisme.
Le rejet de l’approche essentialiste de la causalité
26L’objection la plus classique contre l’interactionnisme consiste à penser que, si l’esprit et le corps sont deux types de réalité distincts, l’action de l’un sur l’autre est incompréhensible, et donc impossible. À partir de l’idée dualiste (du moins cartésienne) que l’esprit est inétendu, par opposition à la matière, on affirme que l’interaction entre une réalité inétendue et une réalité étendue est incompréhensible. Au xviie siècle, on trouve cette objection chez Gassendi [10] et d’autres correspondants de Descartes. Aujourd’hui, on la trouve chez un grand nombre d’auteurs, à tel point qu’on pourrait la prendre pour argent comptant [11].
27Pour Popper, cette objection repose sur une conception essentialiste de la causalité, méthodologiquement illégitime, par opposition à une conception conjecturale, méthodologiquement légitime. La première, en effet, se veut ultime, alors que la seconde se sait révisable (SIB, pp. 171-173, pp. 181-182). Pourquoi penser qu’une réalité inétendue et une réalité étendue ne peuvent pas interagir ? Pourquoi penser que cela est strictement impossible ? Dès lors qu’il est question de fonder une impossibilité qui vaudrait pour la totalité du réel, un philosophe ne peut s’appuyer sur la seule expérience. Par conséquent, cette croyance doit faire appel à la saisie intuitive de l’essence de la causalité, une saisie qui se veut infaillible, prétention illégitime pour Popper, tant en philosophie qu’en science. Certes, l’intuition peut guider nos conjectures, et celles-ci sont nécessaires car le réel comporte des aspects cachés. Mais l’intuition ne suffit pas : il faut aussi et surtout examiner les conséquences de nos conjectures, pour voir s’il y a ou non cohérence avec certaines idées et certains faits [12].
28Ainsi, selon Popper, même s’il est avéré que, au sein du monde physique, seules des entités semblables peuvent interagir, cela ne constitue pas une preuve de l’impossibilité d’autres formes d’interaction, notamment pour la relation psycho-physique. En invoquant en plus le principe de clôture causale du domaine physique, cela serait une preuve. Mais il est évident que ce principe est aussi une conjecture, nourrie des succès de l’approche réductionniste en biologie, et non une vérité indiscutable.
29D’ailleurs, dès 1977, s’agissant des interactions au sein du monde physique, Popper fait remarquer que des entités différentes peuvent interagir : pour la physique moderne, en effet, l’action d’un corps sur un autre est médiatisée par un champ, qui est quelque chose de différent d’un corps possédant une masse, une charge électrique, etc. Pour employer le vocabulaire de la causalité, cela veut dire qu’un corps est la cause d’un certain champ (gravitationnel, électrique, etc.), puis que ce champ est la cause de l’accélération d’un autre corps (SIB, p. 182). On peut répondre à Popper qu’un champ est une entité spatiale, comme un corps, ce qui permettrait de conserver l’idée que seules des entités semblables peuvent interagir. Mais Popper apporte un élément supplémentaire en 1993, en soulignant le fait que les champs dont il est question, ici, sont des champs de force, et que la notion de force en physique semble irréductible à celle de matière, comme s’il y avait une sorte de dualité au sein même du monde physique.
30Avant d’aborder ce point, notons que, selon Popper, Descartes est lui-même à l’origine de l’approche essentialiste de la causalité, et donc de difficultés artificielles pour l’interactionnisme. En défendant une conception essentialiste de la matière comme étendue et mouvement, Descartes est en effet conduit à penser la causalité au sein du monde matériel comme une poussée, c’est-à-dire comme un contact qui transmet une certaine quantité de mouvement [13]. Par conséquent, l’idée que l’âme agirait sur le corps autrement que par une poussée apparaît comme purement ad hoc. Non pas illogique, car il pourrait exister plusieurs types de causalité dans la nature, mais suspecte, car opposée à la vision mécaniste d’ensemble que Descartes applique lui-même au monde vivant (SIB, pp. 176-182).
La comparaison de l’esprit à une force physique
31Ainsi, pour Popper, l’approche essentialiste de la causalité est illégitime, ce qui permet de penser qu’une relation causale entre un esprit non physique et un système physique est possible, même si cette relation est différente de la causalité au sein du monde physique. Cependant, dans l’article de 1993, Popper rapproche ces deux sortes de causalité, en comparant l’esprit, conçu comme non physique, à une force physique. Paradoxalement, c’est la causalité au sein du monde physique qui est alors envisagée sous un jour nouveau.
32Popper considère d’abord six propriétés de l’esprit, et affirme qu’elles sont aussi des propriétés des forces physiques (DMB, p. 168). Pour un philosophe interactionniste : 1) Un esprit est localisé, au sens où il agit sur un corps, du moins sur une partie d’un corps – chez l’homme, sur le cerveau. 2) Cependant, un esprit est aussi inétendu, au sens où il faut distinguer l’esprit lui-même et le lieu de son action. Ainsi, pour Descartes, et contrairement à ce que certaines interprétations rapportent, la glande pinéale n’est pas le lieu où l’âme se situerait, mais le lieu où elle agit [14]. 3) Un esprit est incorporel : par opposition à un corps, il n’a pas de masse. 4) Cependant, il est capable d’agir sur les corps, d’abord sur le cerveau, puis indirectement sur l’ensemble de l’organisme et sur d’autres corps. 5) Un esprit est dépendant d’un corps, au sens où son activité semble dépendre de la vie du corps. 6) Il est aussi capable d’être influencé par les corps, par l’intermédiaire du cerveau.
33De même, selon Popper : 1) Une force physique est localisée, au sens où elle agit sur tel ou tel corps. 2) Cependant, elle est aussi inétendue, au sens où, à tel ou tel point, elle possède une intensité, c’est-à-dire une détermination quantitative non étendue [15]. 3) Une force physique est incorporelle, au sens où elle n’a pas de masse. 4) Cependant, elle est capable d’agir sur les corps, puisqu’elle est la cause de l’accélération des corps [16]. 5) Une force physique est dépendante d’un corps, car elle est produite par un corps. 6) Elle est aussi capable d’être influencée par les corps, car son intensité à tel ou tel point est déterminée par le ou les corps en présence.
34Puis Popper considère deux autres propriétés des forces physiques, et établit à nouveau une comparaison avec l’esprit (DMB, pp. 168-169, p. 172) : 7) Une force physique présente un caractère vectoriel, 8) ainsi qu’une extension temporelle. Le point 8) ne pose pas problème : en chaque point d’un champ, une force peut varier d’intensité de manière continue, ce qui correspond à un processus temporel. De même, si un processus mental n’a pas d’extension spatiale, il a une extension temporelle au sens où il possède une durée. Une perception, un souvenir, un désir, etc., ont une durée. Le point 7), lui, semble plus délicat. En physique, une force est représentée par un vecteur. Cela ne veut pas dire qu’une force soit étendue. Cela correspond au fait qu’une force est orientée dans une direction de l’espace, qu’elle possède un sens spatial. En philosophie, l’intentionnalité d’un état mental se définit comme la propriété de cet état de porter sur quelque chose. Selon Popper, cette propriété est comparable au caractère vectoriel d’une force :
Je veux dire que dans toutes les expériences mentales, il y a ce qu’on appelle l’intentionnalité. Cette intentionnalité est comme une force. Elle est orientée vers quelque chose, comme un vecteur. L’intentionnalité est réellement un vecteur. Cela veut dire que ces forces ont l’intention de provoquer quelque chose possiblement. C’est cela l’intentionnalité. Elles ont le pouvoir de provoquer quelque chose.
36Sans réduire l’intentionnalité à l’intention d’agir, Popper semble ici envisager la vie mentale comme ayant pour but final d’agir. En ce sens, l’intention d’agir serait l’intentionnalité privilégiée. Ainsi, pour le mental, le fait de viser quelque chose qui oriente l’action serait comparable, pour une force physique, au fait d’avoir un sens spatial qui oriente son action.
37Popper va plus loin dans la comparaison : dès lors qu’une force physique présente un caractère vectoriel, elle possède une détermination quantitative. Cependant, une force physique est inétendue (1 newton n’est pas 1 mètre). Sa détermination quantitative correspond donc à une intensité, et la longueur du vecteur-force ne fait que symboliser cette intensité. De même, Popper va jusqu’à penser que nos intentions ont une intensité, ce qui semble renvoyer à l’expérience psychologique d’avoir plus ou moins d’intérêt pour quelque chose :
Tout individu est conscient de lui-même comme d’une force centrale qui dirige, ou comme d’un centre qui est un complexe de forces : d’intentions ayant des intensités variables ; d’attentes, d’anticipations, de souhaits, de peurs, d’amours, de haines, d’espoirs, de curiosités, etc.
39De cette comparaison entre l’esprit et les forces physiques, Popper ne tire pas la conclusion que l’esprit serait une force physique : alors que l’action d’une force physique est stéréotypée et prévisible, calculable même, c’est-à-dire associée à une loi mathématique, l’activité de l’esprit est, selon lui, créatrice et imprévisible (SIB, pp. 15-16. DMB, pp. 178-179). Popper ne tire pas non plus la conclusion inverse, qu’une force dite « physique » serait est en réalité de nature psychique, puisqu’il rejette le panpsychisme. Sa conclusion est seulement que l’esprit et les forces physiques ont plusieurs propriétés en commun (DMB, p. 169). Mais cela a pour conséquence importante de rendre inopérante l’objection la plus classique contre l’interactionnisme : l’existence des forces physiques montre qu’il existe des entités localisées mais inétendues et incorporelles, et pourtant capables d’agir sur les corps, ce que cette objection tient pour impossible (DMB, p. 169).
40Nous pouvons tirer deux autres conclusions de l’analyse de Popper. La première est que l’esprit, tel que conçu par l’interactionnisme, n’est plus aussi étrange qu’il y paraît au point de vue de la science, puisque cette dernière admet déjà l’existence d’entités comparables : les forces physiques. Pour Popper, et en réponse à Ryle, l’esprit est bien une sorte de « fantôme dans la machine », c’est-à-dire un pilote invisible de l’organisme (SIB, p. 105 ; DMB, p. 170). Mais les forces physiques ont aussi un caractère fantomatique, en tant que causes inétendues et incorporelles d’effets physiques (DMB, p. 168) [17]. La deuxième est que, dans le cadre d’une approche émergentiste de l’esprit, qui est celle de Popper, la parenté entre l’esprit et les forces physiques semble indiquer une piste de recherche : si l’esprit est comparable aux forces physiques, s’il est aussi une sorte de force, ou de complexe de forces, alors il est envisageable qu’il émerge à partir des forces physiques.
La question du principe de conservation de l’énergie
41Une autre objection classique contre l’interactionnisme concerne le principe de conservation de l’énergie. Elle se résume comme suit : un esprit non physique ne peut agir sur un système physique qu’en modifiant l’énergie totale de ce dernier. Or, cela contredit le principe de conservation de l’énergie, qui est un principe fondamental de la physique actuelle. Par conséquent, l’action d’un esprit non physique sur un système physique est impossible [18]. Comme précédemment, la réponse de Popper est double.
42D’une part, elle consiste à voir dans cette objection une approche essentialiste des choses : le principe de conservation de l’énergie est un principe scientifique, c’est-à-dire une conjecture non falsifiée par l’expérience. Il n’est pas un dogme s’imposant a priori à la connaissance humaine. Ainsi, pour la science comme pour la philosophie critique (par opposition à la philosophie dogmatique), il est parfaitement envisageable que ce principe ne s’applique qu’à certaines parties de la nature, c’est-à-dire qu’il soit limité à une certaine catégorie de systèmes. En ce sens, Popper écrit :
44D’autre part, en ne considérant que le monde physique, Popper fait remarquer que le principe de conservation de l’énergie ne correspond pas à ce que présuppose l’objection anti-interactionniste, c’est-à-dire à la conservation à tout instant d’une quantité parfaitement déterminée d’énergie (pour un système isolé). Dans le cadre de la physique actuelle, en effet, c’est-à-dire de la physique quantique, ce principe a seulement une valeur statistique, au sens où l’énergie d’une particule présente une certaine indétermination (SIB, p. 541, pp. 564-565). Concrètement, cela fait que, dans certaines conditions, une particule peut momentanément posséder une énergie suffisante pour franchir une barrière de potentiel, sans la recevoir d’une source quelconque, ce qui constitue une violation du principe de conservation de l’énergie au sens classique du terme [19]. Conclusion, il se produit déjà au sein du monde physique ce que l’objection considère comme impossible [20].
45Co-auteur de The Self and Its Brain avec Popper, John C. Eccles développe ainsi une théorie de l’interaction psychophysique dont l’idée centrale est que l’esprit agit sur le cerveau par des processus quantiques de type effet tunnel, violant le principe de conservation de l’énergie au sens classique, mais non au sens quantique. Selon lui, l’esprit agit sur l’ensemble du cortex cérébral, au niveau des boutons synaptiques reliant les neurones, en augmentant momentanément la probabilité de l’exocytose (qui libère certaines molécules), par quoi les neurones agissent les uns sur les autres. Ce faisant, il contrôle partiellement l’activité du cortex, tout en respectant le principe de conservation de l’énergie dans sa version quantique [21]. Cela revient à dire que le cerveau humain est constitué de telle manière que des phénomènes engageant une quantité très faible d’énergie, au niveau des boutons synaptiques, peuvent permettre de déclencher d’autres phénomènes engageant une quantité importante d’énergie. Cela permet à des processus quasi-indétectables d’avoir un effet détectable (SIB, pp. 565-566).
La question de l’émergence de l’esprit
46Si, pour Popper, l’esprit et les forces physiques ont plusieurs propriétés en commun, l’esprit n’est cependant pas une force physique, au sens où son activité est créatrice et imprévisible. Cela revient à dire que l’esprit possède une propriété spécifique : alors que les forces physiques semblent totalement déterminées par les corps qui en sont la source, l’esprit possède une certaine autonomie par rapport au corps dont il dépend (DMB, pp. 169-170). Autrement dit, son activité n’est pas complètement déterminée par ce corps [22]. Par exemple, cela veut dire que l’activité intellectuelle de l’esprit se détermine elle-même en cherchant à respecter les normes de la rationalité, plus généralement en ayant rapport au Monde 3 (voir ci-dessus). Dès lors, un problème particulier d’émergence se pose pour l’interactionnisme de Popper.
47Du fait de la nature philosophique de ce problème, il ne s’agit pas de retracer le détail des étapes qui ont conduit des particules élémentaires à l’esprit humain, compris comme force autonome : une telle entreprise serait scientifique ou historique. Il s’agit de montrer la possibilité d’une telle émergence, avec la difficulté particulière d’intégrer l’apparition de forces nouvelles, qui plus est autonomes. Une difficulté à laquelle échappe le physicalisme. Popper propose plusieurs éléments de réponse.
48Le premier consiste à faire remarquer que l’impossibilité de l’émergence de forces nouvelles n’est pas prouvée, ni même prouvable. Ce genre de preuve dépasse de loin les résultats de la science, ainsi que ses capacités, même si elle utilise une méthode réductionniste dans l’approche des problèmes, car une méthode réductionniste ne prouve pas une ontologie réductionniste (SIB, p. 18) [23]. Quant à une preuve de type philosophique, dès lors qu’il est question d’une impossibilité, on voit mal comment elle pourrait éviter l’essentialisme, condamné par Popper. Cependant, ce premier élément de réponse montre seulement que l’idée d’une émergence de forces nouvelles est logiquement compatible avec la science actuelle. Aussi, Popper propose d’autres arguments, plus positifs, pour soutenir cette idée.
49Un deuxième élément de réponse consiste à souligner le fait qu’il existe déjà une pluralité de forces physiques, découvertes progressivement par la science, ce qui permet de penser que notre univers est susceptible de contenir encore d’autres forces. En ce sens, Popper écrit que le monde mécanique est « ouvert » au monde électrique, et que chacun de ces mondes est « ouvert » au monde nucléaire, c’est-à-dire à des forces qui ne sont ni gravitationnelles ni électromagnétiques (SIB, p. 542). Cela dit, cette pluralité ne concerne que les forces physiques, dont le mode d’action est stéréotypé et calculable. Il n’est pas encore question de forces autonomes.
50Un troisième élément de réponse porte sur les limites de l’entreprise de réduction en science : selon Popper, cette entreprise montre que, malgré certains succès, les réductions sont rarement complètes. Autrement dit, il semble impossible de déduire certaines propriétés appartenant à un niveau de réalité donné à partir des propriétés appartenant aux niveaux inférieurs. En particulier certaines propriétés des vivants (unicellulaires) à partir des propriétés des molécules ; certaines propriétés des molécules à partir des propriétés des atomes ; et certaines propriétés des atomes à partir des propriétés des particules élémentaires (SIB, pp. 16-18). Même la réduction de la chimie à la physique est loin d’être complète (SIB, pp. 18-19, pp. 27-28) [24]. Si certaines propriétés appartenant à un niveau de réalité donné sont réellement non déductibles à partir des propriétés appartenant aux niveaux inférieurs, cela permet de penser que des forces nouvelles, non déductibles à partir des autres forces, peuvent émerger. D’ailleurs, les « propriétés » dont nous parlons sont déjà, pour l’essentiel, des sortes de force, du moins de capacité, de propension. Il s’agit par exemple de la capacité de telle ou telle molécule organique d’opérer certaines actions au sein de la cellule, ou de la propension de tel ou tel isotope à se désintégrer avec une probabilité bien précise.
51Le problème de cet argument est qu’il n’est jamais facile de se fonder sur une irréductibilité de fait pour conclure à une irréductibilité de droit, ce que Popper semble pourtant faire. Après tout, on peut toujours penser que la complexité des processus en question fait que des calculs exacts sont impossibles à effectuer – ce qui expliquerait l’échec des réductions complètes en science –, au lieu de conclure à l’irréductibilité en droit des différents niveaux de réalité.
52Un quatrième élément de réponse, selon nous le plus intéressant, concerne les degrés de conscience, ainsi que l’inconscient cognitif. Dès l’ouvrage de 1977, Popper défend l’idée qu’il existe des degrés de conscience chez l’homme, ainsi que chez certains animaux : nous expérimentons nous-mêmes l’existence de degrés de conscience en étant plus ou moins éveillés, en ayant une activité plus ou moins attentive. Par analogie, on peut donc penser que certains animaux ont des épisodes conscients à un certain degré (SIB, pp. 29-30, pp. 437-448). Dans l’article de 1993, Popper reprend cette question, cette fois-ci en y mêlant la considération des forces (DMB, pp. 171-173, pp. 176-179). Le raisonnement est le suivant : il est évident qu’il existe des degrés de conscience. De ce point de vue, l’activité automatique, dite « inconsciente », n’est pas radicalement séparée de l’activité consciente, car elle est proche de l’activité mobilisant un faible degré de conscience (si elle n’est pas elle-même une activité mobilisant un degré infime de conscience). D’où la difficulté qu’il y a à statuer sur le caractère purement physique ou non de l’activité automatique, et de ce qu’on appelle « l’inconscient » cognitif. Mais, en termes de force, cela veut dire que l’esprit conscient, compris comme une force autonome, n’est pas radicalement séparé d’autres forces agissant par automatisme, de manière stéréotypée et prévisible, ressemblant par là aux forces physiques. En ce sens, l’hypothèse que l’esprit est une force, ou un complexe de forces, s’accompagne naturellement d’une autre hypothèse, qui permet d’envisager une transition entre les forces douées d’autonomie et les forces physiques. Cela ne prouve évidemment pas que des forces douées d’autonomie existent, et qu’elles ont émergé à partir des forces physiques. Mais cela montre que cette hypothèse n’a rien d’invraisemblable, dès lors qu’une transition est concevable entre ces deux types de force.
La question du panpsychisme
53Pour terminer, il nous faut revenir sur la question du panpsychisme.
54Nous savons que Popper rejette cette théorie, qu’il réduit à une forme du physicalisme. Pourtant, à condition d’éviter cette réduction, sa conception de l’esprit n’est pas éloignée du panpsychisme. Deux raisons à cela. La première est que, pour lui, l’esprit et les forces physiques ont de nombreuses propriétés en commun. La seconde est que l’idée qu’il existe des degrés de conscience dans la nature permet d’envisager l’existence de degrés de conscience extrêmement faibles, que les plantes (du moins les cellules végétales), les bactéries, voire des systèmes physiques plus élémentaires pourraient posséder. Certes, l’objection de Popper semble valable, selon laquelle la physique actuelle ne montre rien qui ressemble à une mémoire chez les atomes ou les particules élémentaires. Cependant, dans le monde vivant, l’activité automatique est souvent interprétée comme nécessitant une forme de mémoire. Il est donc naturel de faire l’hypothèse que l’activité hyper-automatique des systèmes matériels inertes soit aussi liée à une forme de mémoire. En ce sens, quand une force dite « physique » agit selon une certaine loi, cela reviendrait à dire qu’elle agit selon une certaine mémoire.
55Popper considère que le panpsychisme est l’ennemi de l’émergence, car le panpsychisme soutient que l’esprit existe de tout temps, dès le niveau des systèmes matériels les moins complexes (SIB, p. 15, p. 69). Cependant, on peut estimer que cette critique est exagérée : certes, le panpsychisme semble s’opposer à l’idée d’une émergence de l’esprit à partir de quelque chose qui ne serait en rien psychique. Mais son intérêt est justement de concevoir une émergence sans ce saut ontologique difficilement compréhensible [25]. C’est pourquoi, en recherchant une transition entre les forces physiques et les forces douées d’autonomie, nous pensons que Popper se rapproche des vues panpsychistes.
56Evidemment, si la philosophie poppérienne de l’esprit se rapproche du panpsychisme, il ne peut s’agir que d’un panpsychisme non physicaliste, où le proto-psychisme associé à un système matériel interagit avec lui. Mais précisément, malgré des différences évidentes avec l’interaction psychophysique, les forces dites « physiques » et les systèmes matériels interagissent.
57Ces remarques n’ont pas pour but de défendre le panpsychisme, qui soulève divers problèmes. Leur objet est d’abord de montrer que le rapport de Popper au panpsychisme est moins simple qu’il n’y paraît. Il est aussi de comprendre que toute enquête sur l’origine de l’esprit dans la nature rencontre la question du panpsychisme, dès lors que cette enquête admet l’existence de degrés de conscience.
58Ainsi, il semble que les arguments de Popper en faveur de l’interactionnisme soient intéressants à un double niveau : d’une part, parce qu’ils montrent que les critiques physicalistes de l’interactionnisme versent parfois dans l’essentialisme, abandonnant par là l’esprit scientifique ; d’autre part, parce qu’ils nourrissent une hypothèse métaphysique par l’analyse de notions scientifiques modernes, notamment la notion de force. Ces arguments, ajoutés aux critiques que Popper adresse au physicalisme, permettent donc de conclure que l’interactionnisme poppérien mérite un examen approfondi dans le débat contemporain.
59Certes, la position de Popper est minoritaire dans ce débat, du fait qu’elle rejette nettement le principe de clôture causale du domaine physique. Mais le physicalisme a ses propres difficultés. Et il nous semble intéressant, pour le physicalisme contemporain, de se confronter à l’interactionnisme contemporain, qui a changé depuis Descartes.
Notes
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[1]
Popper a écrit deux ouvrages dont l’objet principal est le problème esprit-corps : Knowledge and the Body-Mind Problem, Londres, Routledge, 1994 (publication de conférences prononcées en 1969) ; et avec John Eccles, The Self and Its Brain (désormais SIB), Berlin, Springer, 1977 (dans ce livre, les contributions de Popper et de Eccles sont séparées). Or, dans un ouvrage collectif de quatre volumes consacré à la philosophie de Popper dans son ensemble (Anthony O’Hear (ed.), Karl Popper : Critical Assessments of Leading Philosophers, Londres, Routledge, 2004), une seule contribution, fort brève, est consacrée à l’interactionnisme de Popper, de Jeroen Van Rooijen, et qui ne s’intéresse qu’à un seul argument développé par Popper. Par ailleurs, un article est déjà paru en France sur l’interactionnisme de Popper : Thomas Chabin, « Popper et le problème du corps et de l’âme », Philosophia Scientiae, n° 11, 2007, pp. 159-193. De portée limitée, cet article ne prend pas en compte les dernières idées de Popper sur la question, c’est-à-dire son article-entretien de 1993.
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[2]
Karl Popper, Peter Arhem, Ingemar B. Lindahl, « A Discussion of the Mind-Brain Problem » (désormais DMB), Theoretical Medicine, vol. 14, 1993, pp. 167-180. Il s’agit d’un entretien où Popper répond aux questions de P. Arhem (biologiste) et I. B. Lindahl (philosophe).
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[3]
Popper dit lui-même que la théorie de l’identité peut donner lieu à des versions panpsychistes (SIB, pp. 199-201).
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[4]
Cet argument se trouve déjà chez William James, « Are We Automata ? », Mind, vol. IV, n° 13, 1879, pp. 1-22.
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[5]
Jeroen Van Rooijen, « Interactionism and Evolution : a Critique of Popper », The British Journal for the Philosophy of Science, vol. 38, 1987, pp. 87-91. Tom Settle, « Van Rooijen and Mayr versus Popper : is the Universe Causally Closed ? », The British Journal for the Philosophy of Science, vol. 40, 1989, pp. 389-403.
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[6]
Popper se base notamment sur les textes de Schlick et de Feigl disant qu’un processus mental est un processus physique connu par accointance (« acquaintance »), et non par description.
-
[7]
Sur ce point, cf. aussi Popper, L’Univers irrésolu [1982], Paris, Hermann, 1984, pp. 69-72.
-
[8]
David Papineau, Thinking about Consciousness, New York, Oxford University Press, 2002, pp. 232-256.
-
[9]
Popper, L’Univers irrésolu [1982], Paris, Hermann, 1984, pp. 123-125.
-
[10]
Gassendi, Cinquièmes Objections aux Méditations métaphysiques [1647], in Descartes, Œuvres philosophiques, vol. II, Paris, Garnier, 2010, pp. 782-784.
-
[11]
Daniel Dennett, La Conscience expliquée, Paris, O. Jacob, 1993, pp. 52-53 ; Jerry Fodor, « The Mind-Body Problem », in R. Warner and T. Szubka, The Mind-Body Problem, Oxford, Blackwell, 1994, p. 25 ; John Searle, Le Mystère de la conscience, Paris, O. Jacob, 1999, p. 11 ; Jaegwon Kim, Philosophie de l’esprit, Paris, Ithaque, 2008, pp. 48-49.
-
[12]
Pour une analyse plus approfondie de l’essentialisme selon Popper : Alain Boyer, Introduction à la lecture de Karl Popper, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1994, pp. 73-84.
-
[13]
Cela explique l’hostilité des philosophes cartésiens, notamment de Huygens, à l’égard de la théorie newtonienne de la gravitation, puisque celle-ci ne suppose pas que la causalité au sein du monde matériel soit une poussée (Pierre Duhem, L’Évolution de la mécanique [1903], Paris, Vrin, 1992, pp. 32-35 ; Max Jammer, Concepts of Force, Cambridge, Dover, 1999, pp. 147-149).
-
[14]
À cet égard, Descartes parle d’une « étendue de puissance », par opposition à une « étendue de substance » (Lettre à Morus du 15 avril 1649, dans Descartes, Œuvres philosophiques, vol. III, Paris, Garnier, 2010, p. 908). Certaines formulations de Descartes laissent entendre que l’âme se situerait dans la glande pinéale (Les Passions de l’âme, 1649, Art. 34). Mais pour lui, il est clair que l’âme est inétendue (Principes de la philosophie, 1647, Art. 8).
-
[15]
Graphiquement, cette intensité est représentée par la longueur d’un vecteur. Mais, physiquement parlant, l’intensité d’une force n’est évidemment pas une longueur.
-
[16]
Cf. la définition proposée par J.-P. Mathieu, A. Kastler et P. Fleury : « Force : cause physique d’une accélération ou d’une déformation » (Dictionnaire de physique, Paris, Masson, 1991, p. 194).
-
[17]
Sur ce point, voir aussi Popper, L’Avenir est ouvert [1985], Paris, Flammarion, 1995, pp. 106-107.
-
[18]
Daniel Dennett, op. cit., p. 52 ; Jerry Fodor, op. cit., p. 25.
-
[19]
Le physicien Paul Davies explique les choses ainsi : « Une autre inégalité importante relie la détermination de l’énergie et du temps :. Cette expression nous dit que l’énergie E d’un système ne peut être déterminée avec une précision supérieure à ?E pendant une durée inférieure à ?t. Sur une longue durée, ?E peut être faible et l’énergie est alors bien définie, mais sur de courtes périodes, la valeur de l’énergie est très incertaine. Cela signifie que la loi de la conservation de l’énergie, une des lois fondamentales de la physique classique, peut être “fausse” dans la physique quantique, en ce sens qu’on peut “emprunter” une quantité ?E d’énergie pendant une durée ?t » (Paul Davies, Les Forces de la nature, Paris, Flammarion, 1996, p. 66).
-
[20]
D’autres analyses semblent montrer que l’action d’une force non physique (c’est-à-dire dont la source n’est pas un objet physique) sur un système physique ne contredit pas forcément le principe de conservation de l’énergie, y compris en physique classique, à condition de ne pas surdéterminer la formulation de ce dernier. Autrement dit, le problème est de savoir ce que dit exactement ce principe (cf. Edward Averill et Bernard F. Keating, « Does Interactionism Violate a Law of Classical Physics ? », Mind, vol. 90, n° 357, 1981, pp. 102-107).
-
[21]
John Eccles, Comment la conscience contrôle le cerveau, Paris, Fayard, 1997, pp. 175-198.
-
[22]
Popper rejette l’idée que l’esprit est une substance au sens d’une réalité inaltérable qui serait le support non changeant des changements. Mais on peut soutenir qu’il considère l’esprit comme une substance au sens d’une réalité capable d’action autonome.
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[23]
Sur ce point, voir aussi Popper, L’Univers irrésolu [1982], Paris, Hermann, 1984, p. 122.
-
[24]
Ibid., pp. 118-121.
-
[25]
David Skrbina, Panpsychism in the West, Cambridge, MIT Press, 2005, pp. 249-251.