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Programme de recherche sur l’Intégration des Services pour le Maintien de l’Autonomie. Cette étude a donc montré l’efficacité d’un modèle intégrateur dit de coordination, c’est-à-dire qui ne demande pas de changements structurels importants. Ce modèle comporte six composantes essentielles : un lieu de concertation réunissant les acteurs d’un même territoire, un dispositif d’évaluation standardisée des besoins, un dossier électronique partageable, un guichet d’accès unique, un plan de services individualisé et un coordonnateur de service.
1. Le Québec et sa transition démographique et épidémiologique
1Le présent texte a été rédigé du point de vue des théories et méthodologies des sciences de l’organisation des systèmes de santé et sociaux. Il résume différentes conditions fondamentales de l’évolution du système de santé et de services sociaux du Québec, dont la condition démographique qui fut et est encore motrice de cet important processus évolutif. Malgré l’écart important entre les contextes nord-américain et africain, le lecteur pourra transférer une partie de cette analyse puisque le contexte africain doit plus que jamais faire face aux défis que pose son propre vieillissement démographique.
2Pour des raisons socioculturelles, le Québec fut jusqu’au tournant des années 1960 une société plutôt traditionnelle, dans laquelle l’institution religieuse régulait la vie (Bélanger, Comeau et Métivier, 2000). Alors que le Canada anglais, les États-Unis et une grande partie de l’Europe bénéficiaient d’un fort aggiornamento socioculturel post-Seconde Guerre mondiale, le Québec demeurait en grande partie replié sur lui-même, avec un fort taux de fécondité moyen (Bélanger, Comeau et Métivier, 2000). Les forces de modernisation socioculturelle atteignirent le Québec au moment qu’il est convenu d’appeler la Révolution tranquille, une période de changement radical et très rapide dans les mœurs, ayant eu cours au tournant des années 1960 (Bélanger, Comeau et Métivier, 2000). Si les valeurs guidant cet aggiornamento sont pour l’essentiel partagées avec les autres sociétés comparables, ce qui caractérise le cas québécois est la rapidité unique dans le monde de ce mouvement de modernisation.
3Aujourd’hui, le Québec est une des sociétés parmi les plus sécularisées au monde, avec un taux de fécondité relativement bas, aujourd’hui de 1.59, alors qu’il était de 3.7 en moyenne pour la période du baby-boom (1945-1965) (Institut de la statistique du Québec, 2018). L’effet de cette fécondité réduite est accentué par une espérance de vie moyenne élevée (H : 80.4 ans; F : 84.3 ans) (Institut de la statistique du Québec, 2018). Ainsi, la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans sera de 20.5 % en 2021 et de 28.5 % en 2061. Alors que le début de la perte d’autonomie fonctionnelle arrive en moyenne à 75 ans, avec un second seuil de grande perte d’autonomie qui advient en moyenne autour de 85 ans, et que par conséquent les premiers baby-boomers arriveront en très grand nombre à ces âges à partir de 2020, l’ajustement de l’offre de services aux besoins changeants de cette population a dû s’accomplir rapidement.
4Cet allongement de la vie constitue un formidable succès, un marqueur de la prospérité collective. Ce succès collectif appelle cependant à transformer de façon fondamentale les façons d’organiser les services destinés aux personnes les plus âgées dont l’autonomie peut être diminuée. Dans les sociétés et aux époques où la mort découlait surtout des suites de traumatismes (route, travail, guerre, etc.) ou de maladies infectieuses, les stratégies classiques d’intervention médicalo-centrées et hospitalières occupaient légitimement l’essentiel des efforts publics. De plus, les avancées cliniques sont telles depuis quelques décennies que des maladies historiquement particulièrement mortelles le sont beaucoup moins qu’auparavant – pensons au cancer, reconnu depuis 20 ans comme une maladie chronique. Si on meurt beaucoup moins de cette maladie, elle peut tout de même laisser après son passage des effets fonctionnels durables sur lesquels les systèmes de santé et sociaux se doivent d’intervenir. Cela explique l’importance des approches cliniques dites fonctionnelles, c’est-à-dire centrées sur la restauration ou la compensation des effets fonctionnels de la maladie sur la santé et le bien-être des individus.
5En contexte d’allongement spectaculaire de l’espérance de vie, les caractères chroniques et multidimensionnels des problèmes bio-psycho-sociaux qui marquent le grand âge rendent donc insuffisantes les stratégies traditionnelles d’intervention, caractérisées par la fragmentation disciplinaire et organisationnelle des réponses aux besoins de la population (Roy et al., 2010). Plus qu’insuffisantes, elles sont même souvent délétères au maintien de l’autonomie de ces personnes, tant d’un point de vue clinique que de santé publique (Roy et al., 2010). Au Québec, comme dans nombre de sociétés comparables, le système de santé et de services sociaux a donc été constitué, pour des raisons historiques, dans l’objectif de répondre avant tout aux besoins d’une société jeune, notamment en tant que force de travail (Foucault, 1976).
2. De la transition épidémiologique à la transition conceptuelle
6Pour faire face aux défis que pose cette transition épidémiologique, il importe dorénavant de prendre davantage en considération l’effet de la chronicité. Une situation chronique est par nature irréductiblement multidimensionnelle(bio-psycho-sociale) et, partant, les réponses aux besoins le sont également. Pour ces usagers, la réponse à leurs besoins ne peut être l’hôpital, ni même les services publics non hospitaliers considérés isolément. En fait, ces situations cliniques multidimensionnelles requièrent des traitements classiques, mais aussi, voire surtout, des services de maintien, de compensation ou de restauration de la perte d’autonomie fonctionnelle découlant de la condition de santé. Cette transition épidémiologique appelle donc une transition dans l’organisation des services, qui devront davantage être continus et globaux, ce qui requiert des pratiques professionnelles mieux coordonnées et des systèmes de santé et de services sociaux mieux intégrés.
7Cette nécessaire révision de l’organisation des services est positivement soutenue par une série de transformations socio-technologiques (dont pharmacologiques et informatiques) favorables au virage ambulatoire et donc à des modèles d’intervention davantage domicilo-centrés, dans lesquels l’hôpital n’est qu’une ressource, ici spécialisée, parmi d’autres. Cette conception vaut pour les usagers âgés, que nous utilisons ici pour illustrer notre propos, mais aussi pour toute personne dont la situation clinique est marquée par la multidimensionnalité et la chronicité, pensons aux personnes atteintes d’un problème de santé mentale, d’une maladie chronique ou d’un handicap, qu’il soit physique, cognitif ou social. Dans les faits, ces clientèles forment déjà le plus important contingent d’usagers des services de santé.
8Les nouveaux modèles conceptuels d’organisation des services pensent aussi les situations cliniques comme complexes, car multidimensionnelles et imbriquées aux conditions de vie des usagers. Ainsi, le virage ambulatoire constitue sur le plan conceptuel une façon de réintroduire le réel (condition de vie, forces et projet de vie des usagers, etc.) dans l’organisation concrète des services de santé et sociaux.
9Il importe aussi de rappeler que l’évolution conceptuelle – dont sont emblématiques le virage ambulatoire et la désinstitutionnalisation (fermeture des asiles aux bénéfices d’une prise en charge à domicile des usagers requérant des soins de longue durée) – répond aussi aux revendications des usagers eux-mêmes. Ceux-ci formulent en effet des revendications politiques à cet effet, notamment en termes d’humanisation des soins et de reconnaissance du caractère global de leur situation de santé. Ainsi, une approche des services de santé et sociaux davantage centrée sur la personne permet de reconnaître le fait que l’usager et ses proches sont les premiers producteurs de santé (Couturier, Bonin et Belzile, 2016). Aujourd’hui, ces revendications ont été formalisées dans des stratégies d’intervention dites person-centered qui sont fondées sur la reconnaissance scientifique de la valeur de la contribution clinique de l’usager à la prise de décision et aux plans de soins qui en découlent.
10Cette transition conceptuelle importe même sur un plan strictement médical, car il est maintenant largement reconnu qu’une meilleure reconnaissance des effets nosocomiaux ou iatrogènes directs et indirects d’une intervention (hospitalière ou asilaire) incapacitante sur l’autonomie des personnes, comme c’est le cas pour les organisations de soins de longue durée, participe également du changement de paradigme en cours. De même, la reconnaissance par le monde médical des déterminants sociaux de la santé et des saines habitudes de vie pour les clientèles présentant une condition biopsychosociale chronique contribue également à cette reconceptualisation de la façon de concevoir les services.
3. De la transition conceptuelle à la transition fonctionnelle
11La reconceptualisation de l’organisation des services que nous évoquons ici prend plusieurs formes fonctionnelles, dont celles de l’intégration des services. La plupart des systèmes de santé dans les pays avancés sont, depuis une trentaine d’années, influencés par l’émergence de ce paradigme. Dans cette perspective, le Québec a développé une politique publique d’intégration des services aux plus âgés en perte d’autonomie fonctionnelle. Cette politique a notamment favorisé la création de « Réseaux de services intégrés pour personnes âgées » (RSIPA) et leur insertion organisationnelle dans les 23 Centres intégrés de santé et de services sociaux, soit les organisations ayant pour mandat de donner tous les services de santé et sociaux publics sous un même toit pour la population d’un territoire.
12Ainsi, l’aide à domicile, les soins post-hospitaliers et les soins prolongés sont inscrits dans un continuum unique de services, allant du début de la perte d’autonomie fonctionnelle jusqu’aux soins palliatifs. Les divers dispositifs d’intégration des services visent tous à créer les conditions de développement de la continuité des parcours cliniques à partir d’une stratégie d’intégration à la fois structurelle, fonctionnelle, informationnelle et clinique (Couturier et al., 2013 ; Somme et al., 2011). Un système ainsi intégré a pour effet attendu une meilleure continuité des services observable par des parcours de service cohérents, tant du point de vue des usagers, des organisations, que des professionnels.
13Une importante synthèse de connaissances (Reid et al., 2002) a identifié trois plans logiques de la continuité : 1) informationnelle, soit l’accès aux informations utiles à la bonne marche clinique des services, 2) d’approche, soit la cohérence des diverses interventions découlant de la prise en compte de la multidimensionnalité des conditions chroniques de la personne âgée, et 3) relationnelle, soit l’expérience de soin vécue par les usagers qui se réalise en appui sur des relations humaines significatives et stables dans le temps avec un intervenant privilégié. Ces trois dimensions de la continuité requièrent l’articulation sur le plan opérationnel de pratiques professionnelles, de dispositifs informationnels et de procédures d’action reconnues. Cela nécessite des instruments cliniques standardisés, des politiques publiques claires et cohérentes, des modes de financement intégrateur, etc., mais aussi une capacité adaptative de ces dispositifs aux contours singuliers de chaque situation, ce qui explique pourquoi la gestion de cas attire autant l’attention.
14L’intégration des services est donc une modalité d’organisation des services qui vise à créer les conditions d’une articulation rigoureuse de l’ensemble des ressources requises pour une réponse globale aux besoins des personnes âgées en perte d’autonomie fonctionnelle, quelle que soit l’origine de ces ressources (publiques, privées, familiales ou associatives). Ainsi, l’intégration des services apparaît comme une manière de concevoir et d’agencer des ressources traditionnellement autonomes sur les plans fonctionnels, politiques et financiers en facilitant la transmission d’informations, la coordination des interventions et la collaboration managériale à l’intérieur et entre ces ressources (Kodner et Kyriacou, 2001). Une telle mise en cohérence facilite l’atteinte d’un but clinique ou organisationnel commun à ces acteurs cliniquement interdépendants (Contandriopoulos, Denis, Touati et Rodriguez, 2001). Ainsi se dessine un système de santé intégrant une variété d’entités (individus, équipes, organisations) provenant de différents secteurs d’activités (santé, services sociaux, scolaires, réadaptation, etc.) et déployant de multiples liens fonctionnels entre elles (de communication, de collaboration, d’échange d’information, etc.).
15Cette interdépendance de facto (Trouvé et al., 2010), au moins du point de vue de l’usager, peut être conceptualisée comme étant le fait d’un réseau de soins. Cette mise en réseaux requiert des médiateurs (coordonnateurs de parcours, navigateurs, gestionnaires de cas, etc.), des dispositifs de soutien à la médiation (outils cliniques communs, systèmes d’information partagés, etc.) et des conditions opérationnelles soutenant la coordination (règles communes d’accès aux services notamment). De nombreux modèles conceptuels ont été proposés pour soutenir l’implantation de dispositifs intégrateurs. L’analyse de Valentijn et ses collaborateurs (2015) a permis de dégager six dimensions sur lesquelles il importe d’agir pour intégrer concrètement les services :
- La dimension systémique, qui requiert des changements notamment au niveau des lois, des modes de financement et des structures de gouvernance.
- La dimension organisationnelle, qui requiert la création d’organisations de soins responsables de l’intégration les services.
- La dimension professionnelle, qui requiert la création de dispositifs soutenant la collaboration interprofessionnelle et la coordination des parcours cliniques.
- La dimension clinique, qui requiert le déploiement d’outils cliniques (évaluation, planification, etc.) adaptés au projet intégrateur.
- La dimension normative, qui requiert l’engagement de tous les partenaires à l’égard de normes et de valeurs communes (par exemple une intervention de soutien à l’autonomie plutôt que strictement curative).
- La dimension fonctionnelle, qui requiert le déploiement de dispositifs soutenant concrètement l’intégration des services (par exemple un système de traçabilité des aides techniques).
17De manière plus opérationnelle, ces transformations dans l’organisation des services prennent le plus souvent la forme de dix dispositifs concrets (Béland et Hollander, 2011 ; Wodchis et al., 2015). Chacun de ces dispositifs peut et doit prendre une forme opérationnelle adaptée au contexte national, régional et local de sa mise en œuvre.
- Un point d’entrée unique aux services, à partir duquel se mettent en œuvre des procédures communes, prévisibles et cohérentes d’accès aux services.
- Un outil d’évaluation standardisée des besoins, informatisé, télé-accessible et inter-opérable. Une telle évaluation commune crée un inter-langage utile à la mise en cohérence d’actions par nature diverses.
- Un système de classification des besoins permettant une gestion clinico- administrative des ressources en fonction des besoins cliniques de la population desservie plutôt qu’en fonction d’une logique centrée sur les besoins des organisations ou des professionnels.
- Un dossier clinique informatisé facilitant la collaboration interprofessionnelle, inter-organisationnelle et intersectorielle.
- La désignation de coordonnateurs dédiés (gestionnaires de cas, navigateurs, etc.) permettant d’adapter le dispositif intégrateur aux caractéristiques singulières de la situation clinique.
- Un plan de services individualisé permettant de rendre explicites les objectifs cliniques. Cette explicitation des objectifs permet le consentement éclairé de l’usager aux services proposés, mais aussi d’en évaluer l’efficience.
- Une stratégie de coordination inter-organisationnelle et interprofessionnelle requérant la constitution de continuum de services prévisibles.
- Un travail en équipe interprofessionnelle.
- Un engagement des médecins de famille dans le projet intégrateur.
- Un mode de financement intégrateur.
19Ces dispositifs ont tous fait l’objet de centaines d’expérimentations locales, souvent évaluées par des équipes de recherche. Dans l’une des plus importantes études nord-américaines sur l’intégration des services, Hébert et ses collaborateurs (2010) ont implanté ces principes pour le contexte québécois dans un modèle fonctionnel implanté à l’échelle d’une région. Ce modèle, connu sous le nom de PRISMA [1], a été évalué (processus et impact) à partir d’un protocole de recherche quasi expérimentale (Hébert et al., 2010), puis a été expérimenté en France (Somme et al., 2008 ; Bloch et Hénaut, 2014). L’étude expérimentale québécoise a montré une baisse de 6.2 % du déclin fonctionnel, et de 13.7 % de son incidence, ainsi qu’une baisse de 50 % des besoins non comblés. De plus, la satisfaction et le sentiment d’autonomisation des usagers exposés à l’innovation se sont significativement accrus. Tout cela a résulté en une baisse des visites aux urgences et des hospitalisations évitables. Ces effets ont été obtenus à coûts constants, sauf coûts d’implantation (Hébert et al., 2010).
Conclusion
20S’il va sans dire que ces dispositifs sont mal adaptés aux contextes des pays africains, dont la population demeure jeune malgré son engagement actuel dans une transition démographique, certains apprentissages faits dans le contexte québécois méritent néanmoins d’être ici discutés pour une adaptation vers le contexte africain.
21Le premier réside dans la quantité importante de temps que la transformation de l’organisation des services requiert. Le Québec conduit des réorganisations majeures de son système de santé et de services sociaux depuis près de vingt ans, et de toute évidence il ne sera pas prêt pour absorber le choc démographique dont l’apogée sera 2020 et la décennie suivante. Il faut donc agir tôt.
22Le second apprentissage concerne les priorités de développement des systèmes de santé et de services sociaux. S’il va sans dire que l’hôpital demeure une ressource de santé précieuse, au Québec comme en Afrique, les pays de ce vaste continent pourraient, à l’instar de l’analogie du téléphone cellulaire qui s’est installé sans attendre la couverture filaire complète de l’Afrique, mettre en priorité les solutions de demain plutôt que celles d’hier, en privilégiant les approches intersectorielles misant sur l’articulation des approches de santé publique, les soins primaires, la concertation ONG-services publics, le soutien aux familles, etc., plutôt que de tout miser sur un modèle hospitalo-centré dont on connaît bien les limites partout dans le monde. Reconceptualiser l’organisation des services, au Québec comme en Afrique, nécessite de penser le développement des systèmes de santé autrement, en privilégiant des services de proximité qui maximisent la mise en cohérence des forces vives de chacune des sociétés, plutôt que d’espérer le développement d’une médecine à l’américaine, coûteuse et surtout largement inappropriée aux transitions démographique et épidémiologique.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes
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[1]
Programme de recherche sur l’Intégration des Services pour le Maintien de l’Autonomie. Cette étude a donc montré l’efficacité d’un modèle intégrateur dit de coordination, c’est-à-dire qui ne demande pas de changements structurels importants. Ce modèle comporte six composantes essentielles : un lieu de concertation réunissant les acteurs d’un même territoire, un dispositif d’évaluation standardisée des besoins, un dossier électronique partageable, un guichet d’accès unique, un plan de services individualisé et un coordonnateur de service.