Couverture de PP_043

Article de revue

Le travailleur médico-social, entre l’institution et les parents

Pages 111 à 124

Notes

  • [1]
    L’auteur est maître-assistant à la Haute École Vinci Institut Parnasse-ISEI à Bruxelles et doctorant en sciences sociales.
  • [2]
    À sa création, « ONE » était le sigle de : Œuvre Nationale de l’Enfance. C’est dans le contexte d’une réforme de l’État belge et de la communautarisation de la matière de la petite enfance que ce sigle a changé de signification et fait désormais référence, en Communauté française de Belgique, à l’Office de la Naissance et de l’Enfance.
  • [3]
    Procréation Médicalement Assistée et Gestation Pour Autrui.
  • [4]
    Ces nouvelles figures de parenté peuvent aussi renvoyer à l’expression d’« autonomisation de la parentalité » de G. Neyrand (2011, p. 8), celle-ci étant « toujours susceptible, selon l’auteur, d’être dégagée du conjugal ».
  • [5]
    Les éléments d’entretiens repris dans la présente contribution sont retranscrits tels quels.
  • [6]
    Si la présentation de la profession de TMS sur le site Internet de l’ONE (www.one.be) fait référence au travailleur médico-social, force est de constater qu’à la consultation prénatale de l’hôpital de la Citadelle, les missions de ce service sont uniquement assurées par des femmes.
  • [7]
    La TMS 1 est âgée de 35 ans. Assistante sociale et sexologue clinicienne de formation, elle travaille depuis 12 ans au sein de la consultation prénatale étudiée.
  • [8]
    L’entretien anamnestique ou anamnèse permet à la TMS de la consultation prénatale de récolter une série d’informations sur la situation psycho-médico-sociale des parents, y compris leurs éventuelles addictions. Ces informations sont mises à disposition de la sage-femme et du gynécologue-obstétricien.
  • [9]
    Aide et Prévention Anténatale Liégeoise de l’Enfance Maltraitée. Outre l’ensemble des TMS et la coordinatrice locale de l’ONE, sont présents aux réunions APALEM deux psychologues (un homme et une femme) et une médecin-psychiatre.
  • [10]
    Service de l’Aide à la Jeunesse.
  • [11]
    La TMS 2 est âgée de 36 ans. Elle est titulaire d’un diplôme d’assistante sociale et suit une formation en thérapie systémique et familiale. Elle travaille au sein de la consultation prénatale étudiée depuis 8 ans.
  • [12]
    Les éléments relatifs au contrôle social proposés par C. Macquet et D. Vrancken rejoignent l’observation faite par D. Garland : « Social controls, situational controls, self-controls – these are the now-dominant themes of contemporary criminology and of the crime control policies […] » (2001, p. 15).
  • [13]
    J. Remy (1996, p. 12) note à ce sujet que « la négociation se fait toujours sous contrainte » et que « l’imposition est toujours présente ».

1Le souci de soutenir la parentalité, d’accompagner les (futurs) parents et d’aider et de protéger les mineurs d’âge a entraîné, au cours des XXe et XXIe siècles, la création de divers services : services d’aide à la jeunesse et de protection judiciaire dans chaque arrondissement de la Communauté française de Belgique, équipes SOS-Enfants, relais parents-enfants, services d’aide et d’intervention éducative, consultations des nourrissons – désormais consultations pour enfants, de 0 à 6 ans –, etc. Catherine Rollet-Vey (2001) approche le contexte historique du développement des initiatives en matière de protection des enfants et procède à un examen des congrès internationaux qui se sont déroulés entre 1880 et 1920 et avaient pour objet l’étude des questions relatives à la santé et la protection de l’enfance. L’auteur précise que, « vers 1880, le taux de mortalité infantile atteignait [...] 166 ‰ en Belgique » (Rollet-Vey, 2001, p. 98) et note que :

2

« Pendant les années 1880, c’est la question de la survie des enfants qui est en jeu, ainsi que l’aspect social : les enfants mal élevés, maltraités ne risquent-ils pas de devenir des adultes inadaptés, voire dangereux ? On se préoccupe des enfants comme d’un capital humain à faire fructifier : il faut investir dans la protection et dans l’éducation de l’enfance en veillant au bon placement des investissements, tout en sachant qu’il s’agit de “placements à longue échéance”, dont il est vain d’espérer des bénéfices à court terme ».
(Rollet-Vey, 2001, pp. 98-99)

3Les congrès internationaux des « Gouttes de lait » – qui furent organisés avant la Première Guerre mondiale – témoignent, selon C. Rollet-Vey, « de l’intérêt accordé par les différents États à une forme rapprochée de protection de la santé des petits enfants » (2001, p. 104). Au fil du temps et des congrès, au-delà de la question du suivi des enfants par des institutions publiques ou privées, la nécessité d’éduquer est également apparue : éducation des mères par la vulgarisation de l’hygiène et de la puériculture mais aussi enseignement de cette dernière aux médecins, aux sages-femmes, aux assistantes maternelles et, plus largement, au grand public (Rollet-Vey, 2001, p. 105).

4Le Guide de médecine préventive du nourrisson et du jeune enfant édité par l’ONE apporte des éléments historiques relatifs au développement de la protection de l’enfance en Belgique :

5

« Lors de sa création en 1917, l’ONE [2] s’est défini comme organisme de protection maternelle et infantile. Cependant, de 1920 à 1980, cette notion de protection concernait essentiellement les risques infectieux ainsi que la malnutrition et le développement général de l’enfant. Dans le cadre d’un vaste mouvement international de prise en compte de la réalité de la maltraitance infantile, à partir des années 1970-1980, l’ONE a développé une politique de prévention de la maltraitance, puis à partir de 1990, de prévention des abus sexuels pour s’orienter à partir des années 2000 vers une démarche de promotion de la bientraitance ».
(Collectif, 2011, p. 315)

6La promotion de la bientraitance est considérée par l’ONE comme la valeur de base de l’intervention des équipes médico-sociales. Le guide précité définit comme suit la bientraitance :

7

« La bientraitance de l’enfant est un processus relationnel, évolutif et dynamique dont l’intention et les actes visent à permettre un développement physique, psychique et social optimal de l’enfant dans son entourage. L’appréciation d’un développement optimal est tributaire des représentations et des normes variant en fonction de l’époque et du contexte culturel et social ».
(Collectif, 2011, p. 319)

8Pour veiller à préserver cette valeur, l’ONE a décidé de miser sur les compétences parentales et précise avoir développé une nouvelle notion, celle de soutien à la parentalité (Collectif, 2011, pp. 319-320).

9Selon Béatrice Lamboy, le terme de parentalité

10

« apparaît dans la langue française au début des années 1960 au sein du champ psychiatrique et psychanalytique. […]. Dans ce cadre, il fait spécifiquement référence au processus intrapsychique associé au fait d’être parent et permet ainsi de dépasser la distinction habituellement faite entre la fonction maternelle et la fonction paternelle et de présenter ce processus comme une étape du développement psychologique de l’adulte ».
(Lamboy, 2009, p. 32)

11Tout comme B. Lamboy, Élodie Razy (2010, pp. 333-334) souligne également que l’un des intérêts du terme « parentalité » est de neutraliser « les figures parentales sexuées du père et de la mère », permettant de « différencier ce qui pourrait relever indifféremment du père ou de la mère et ne serait donc pas sexué, de ce qui relèverait d’un seul parent ». Le concept permet en outre d’englober « les nouvelles figures de la parenté en Euro-Amérique (homoparentalité, PMA et GPA [3], familles recomposées…) qui impliquent des partenaires différents des père et mère géniteurs » [4] (ibid.). Enfin, « l’autre source non négligeable du concept de parentalité est le terrain, au sens où l’entendent les travailleurs sociaux et médicaux, les enseignants qui rencontrent des enfants accompagnés par des partenaires qui n’entrent pas dans les canons du droit et des représentations dominantes voulant qu’un père et une mère géniteurs soient les seuls responsables d’un enfant donné » (ibid.).

12L’analyse des entretiens [5] réalisés avec des Travailleuses médico-sociales [6] de la consultation prénatale de l’ONE de l’hôpital de la Citadelle à Liège (TMS ci-après) permet d’appréhender ce que recouvrent les notions de parentalité et de soutien à la parentalité. Selon ces TMS, la parentalité renvoie à un processus intrapsychique propre aux personnes qui font montre d’un désir d’enfant. Le soutien à la parentalité concerne quant à lui l’assistance de tiers (proches ou services médico-sociaux) dès que ce processus s’initie.

13Extrait :

14

– Chercheur : Pour toi, qu’est-ce que c’est la parentalité ? Indépendamment de ce que dit l’ONE. Finalement, c’est un mot assez récent. […]. La parentalité, c’est le fait d’être parent ?
– TMS 1 [7] : Oui, mais je pense même, avant même… ce n’est pas le fait que tu accouches et, en tant que papa, que tu aies un bébé. Je pense que ça commence déjà bien avant, mais pour moi je ne parle pas de l’ONE. Pour moi, ça commence du moment où tu as commencé à penser que tu pourrais fonder une famille. Ta parentalité commence déjà puisque c’est déjà un projet qui te travaille et puis alors, c’est la concrétisation d’un couple s’il le souhaite. Donc, être parent, ça commence bien avant la conception. […]. Et, je pense que c’est pas parce que tu as un enfant, que tu es nécessairement un parent aussi.
– Ch. : Et donc, finalement, le soutien à la parentalité, ce serait le fait justement d’aider les personnes qui ne se rendent pas compte, qui ne prennent pas conscience de ce que c’est d’être parent, ce serait les soutenir ?
– TMS 1 : Effectivement, je pense qu’on accompagne vraiment le couple dans ce cheminement pour devenir parents. Parce que c’est vrai qu’au départ, on est toujours deux pour faire un bébé et qu’y a tout ce travail-là de se dire que, dans quelques mois, on ne sera plus deux mais trois ou peut-être c’est simplement que c’est une maman qui est seule parce que bon, les circonstances de la vie ont fait que… ben voilà, elle sera toute seule et qu’elle va passer de toute seule à une famille. Donc, je crois qu’on doit aider dans ce processus-là car tout le monde n’a pas la chance d’avoir effectivement une famille équilibrée et soutenante autour. […]. Et nous, on peut tout entendre sans pour ça poser un jugement de valeur et… voilà. Je pense effectivement qu’on a un grand rôle à jouer dans le soutien à la parentalité.

15L’intervention des TMS se situe au niveau du soutien à la parentalité. Ces dernières décennies, le souci de veiller au maintien de l’enfant dans son milieu familial de vie a pris le pas sur le placement en institution des enfants en danger. Dès lors, comment se négocient les normes de parentalité ? Tenant compte de l’observation de Jean Remy (1996, p. 12) soulignant que « la négociation est un type d’interaction dont on ne peut comprendre le déroulement sans la placer dans un contexte global », deux théories – la biopolitique (Foucault, 2001 ; Fassin, 2006) et le contrôle social (Macquet et Vrancken, 2003) – et le paradigme méthodologique de la transaction sociale (Blanc, 2009, p. 34) sont mobilisés ci-après pour tenter de répondre à cette question. La transaction sociale est intéressante en ce sens que si elle « se manifeste dans les situations d’interaction, elle invite à ne pas négliger le poids des “cadres” qui structurent ces dernières » (Fusulier et Marquis, 2008, p. 17). C’est exactement ce à quoi je m’attelle ci-après en précisant la (bio)politique de l’ONE et en étudiant les interactions TMS-parents.

16Concernant la méthodologie employée, les matériaux recueillis l’ont été dans le cadre d’un terrain d’environ deux mois (fin de l’année 2011) qui m’a permis de réaliser six jours d’observation des différents aspects du travail des TMS (entretiens anamnestiques [8], visites à domicile, réunion pluridisciplinaire APALEM [9], réunion d’équipe, soirée d’information « Les jeudis de la naissance », etc.) et du quotidien du service dans lequel elles s’inscrivent. En outre, j’ai réalisé trois entretiens semi-directifs, avec deux TMS et une future mère suivie par la consultation prénatale. Enfin, avant et après la réalisation formelle – ou institutionnelle – du terrain, j’ai régulièrement pu échanger avec une TMS autour de son quotidien professionnel. Pour éprouver la pertinence de la présente analyse, j’ai en outre décidé de la publiciser. J’ai ainsi communiqué celle-ci, par écrit et oralement, aux travailleurs de la consultation prénatale et, dans le cadre d’une journée d’étude, à des intervenants sociaux et des thérapeutes œuvrant dans le secteur de la prise en charge des toxicomanies. Plus récemment, j’ai aussi pu confronter ma recherche avec un public d’étudiantes de la formation en Sage-femme. Les échanges qui s’en sont suivis m’ont jusqu’à présent tous conforté dans mes conclusions.

1 – Présentation de l’institution

17Seize TMS sont attachées au service de l’ONE de l’hôpital de la Citadelle de Liège, douze à la consultation prénatale (celles-ci, assistantes sociales ou infirmières sociales de formation, procèdent au premier entretien, dit anamnestique, au sein du service et réalisent le suivi de la grossesse – les futurs parents sont répartis entre les différentes TMS en fonction de leur domicile), deux en néonatologie (ces TMS, infirmières de formation, ont notamment pour mission d’accompagner les parents pendant le séjour du nouveau-né à l’hôpital et, éventuellement, de leur prodiguer des conseils pour s’en occuper au mieux. Je me suis également laissé dire qu’elles ont une fonction d’observation des comportements des parents et de détection des situations à risques) et deux TMS dites de liaison (ces dernières rendent visite à la mère – à la maternité – après son accouchement, lui remettent notamment le carnet de vaccination et sont disponibles pour répondre à toutes ses questions). Une secrétaire et la coordinatrice locale de l’ONE viennent compléter le tableau.

18Si l’intervention du service n’est pas obligatoire, on peut s’interroger sur les motivations qui poussent de futurs parents à s’y rendre. Ce service public permet d’obtenir la gratuité des rendez-vous chez la sage-femme – l’argent ne doit même pas être avancé par la patiente, ce qui intéresse, semble-t-il, un nombre important de personnes – et un remboursement complet des visites médicales chez le gynécologue. Concrètement, les futurs parents qui souhaitent un rendez-vous gynécologique sont également dirigés vers le service de l’ONE de l’hôpital de la Citadelle et il leur est précisé que, munis du carnet qui leur sera remis, toutes les visites seront gratuites. Un rendez-vous est donc pris avec ce service et les personnes sont reçues par une TMS pour un premier entretien, dans les murs du service. De mes observations, ce premier contact ONE-bénéficiaire a pour but de constituer le dossier, de communiquer quelques informations – orales ou via la remise de brochures et le carnet de la mère – aux futurs parents mais aussi de détecter les cas à risques, à travers les déclarations (parmi l’ensemble des questions posées, il est demandé aux futurs parents s’ils fument du tabac et/ou consomment de l’alcool, des drogues et/ou des médicaments) ou via le repérage de certains comportements suspects. Lorsque la TMS identifie une situation potentiellement à risques, l’intervention m’est apparue « davantage contrainte », surtout au niveau de la visite à domicile proposée à l’issue de l’entretien et réalisée ultérieurement par la TMS référente (du domicile des parents). Ainsi, concernant la situation d’une future mère âgée de quinze ans et hospitalisée suite à une grave brûlure sur une partie du corps, la TMS l’ayant reçue en premier entretien dira, à l’issue de celui-ci, à ses collègues : « Visite à domicile pas vraiment souhaitée mais quand même cochée. Vu la situation, ça s’impose. »

2 – Définition des normes de parentalité et biopolitique

19Au fil de l’examen des observations et des entretiens recueillis, il est apparu que la future mère toxicomane peut être considérée comme le « contraire du bon parent », comme le mauvais parent potentiel. La future mère toxicomane doit faire l’objet de toutes les attentions de la part des TMS, au contraire des futurs parents qui pourraient être qualifiés de bien insérés socialement, c’est-à-dire diplômés de l’enseignement supérieur, occupant un emploi rémunéré, ne consommant pas, à la connaissance des TMS, de substances psychotropes et se présentant, généralement à deux, aux rendez-vous de l’hôpital. Comme me disait une des TMS, « c’est vrai que tu ne vas pas faire la même action auprès de personnes inégales que… auprès d’une maman qui est avocate ou enseignante, enfin voilà, je vais dire, ça ne demande pas le même encadrement ». D’ailleurs, quand ces personnes font l’objet d’un suivi prénatal par l’ONE, elles apparaissent plus investies dans leur parentalité. Une autre TMS me rapporte l’épuisement qu’elle ressent lorsqu’elle se rend à domicile chez des futurs parents médecins ou enseignants : « Ils ont un autre… ils vont plus loin dans la, dans le raisonnement, donc ils viennent… mais, même s’ils sont formés, quand tu as ton propre gosse, tu as plein de questions qui viennent, ils veulent vraiment, comme pour leurs études, être informés au mieux, etc. Les autres, quand on arrive chez eux, qu’on leur demande s’ils ont des trucs à poser comme questions : “non”. » Lors des entretiens anamnestiques auxquels j’ai assisté, j’ai pu remarquer que les TMS étaient très attentives aux situations de dépendance aux produits stupéfiants et veillaient à la mise en place d’un suivi régulier de ces situations. Ainsi, alors que je lui parle de la mission « SOS Enfants » du service dans lequel elle s’inscrit, la TMS interviewée aborde le profil des parents à risques :

20

– Chercheur : Et les gens… quand tu rencontres les futurs parents, ils ne le savent pas que vous êtes une équipe SOS. Donc, ils ne savent pas que si vous détectez quelque chose…
– TMS 1 : Si, parce qu’on travaille en transparence avec le parent. Donc, une fois qu’on a détecté… parce que, pour ça, il faut les rencontrer… et bon, y’a des choses qui se voient directement lors de l’anamnèse mais y’a des choses… qu’on ne découvre qu’au fur et à mesure que l’on va chez les gens. Donc, là, on dit toujours comment on travaille. Donc, par exemple, si ce sont des parents toxicomanes, ils parlent directement… ils parlent souvent spontanément parce qu’ils nous connaissent, ils savent qu’on travaille avec le SAJ [10] en anténatal.

21Je note aussi, à propos d’une maman aveugle qu’elle suit, que la TMS précise qu’il y a des choses à mettre en place pour cette personne, « alors qu’elle n’est pas toxicomane, qu’elle a peut-être un entourage familial ». Et puis, certains comportements de toxicomanes ne peuvent pas être tolérés par la TMS : « Si c’est un tout petit logement, que la mère est toxicomane et qu’elle laisse traîner tout son attirail… on a encore vu le cas ici dernièrement d’une petite fille qui avait saisi la ligne de coke de sa mère parce que sa mère avait laissé traîner sa “crasse”. Donc, ça, je pense que non, qu’il faut être vigilant. » L’autre TMS avec laquelle je me suis entretenu semble partager cette analyse : « On est quand même Équipe SOS-Enfants, donc on a quand même la nécessité de bien veiller au bien-être de l’enfant et de se tracasser justement… du contexte… familial, psychologique, etc., dans lequel l’enfant va arriver. Donc, c’est vrai qu’il y a certains critères sur lesquels on ne transige pas. Par exemple, si c’est une maman toxicomane ou, je vais dire, consommatrice d’alcool assez poussée ou qui n’a pas de logement… ce sont des critères bien définis qui nous font interpeller le service de l’aide à la jeunesse ou l’équipe SOS-Enfants. »

22L’échange suivant est à nouveau éclairant.

23

– Chercheur : Et, de manière générale, les gens savent que vous êtes aussi Équipe SOS-Enfants ?
– TMS 2 [11] : Donc, en fait, ce n’est pas dit clairement comme ça quand ils viennent. Ils viennent à la consultation prénatale ONE. Maintenant, il faut bien dire que les personnes qui sont à problèmes, style maman toxicomane… notre action est connue au sein de ces milieux-là.

24Dans la catégorie des « mauvais » parents présumés, on peut ajouter, à côté de la maman consommatrice de produits stupéfiants, celle qui présente une consommation abusive d’alcool et celle qui ne dispose pas de logement. Dans ce dernier cas, le placement, dès la sortie de la maternité, va de soi et est lié à un contexte matériel défaillant. Concernant la mère toxicomane et/ou alcoolo-dépendante, l’identification au mauvais parent doit être mise en lien avec la personne elle-même et non uniquement avec son environnement matériel de vie.

25La future mère interviewée note aussi l’attention portée par la TMS à la consommation de produits psychotropes : « Elle est venue ici faire sa visite avant et puis, elle viendra faire sa visite après. […]. En réalité, elle visite la chambre, elle regarde si je me pique pas ou si je ne vis pas comme une dingo ou si je commence pas à boire une pompe à bière entière. Donc voilà, en théorie, elle regarde quand même l’environnement du futur bébé. Avec nous, elle rentre, elle voit les bouteilles sur le bar. Elle dit : “Vous laissez ça là alors que le nouveau-né va arriver.” En même temps, tant que je le bois pas. »

26L’objet du contrôle des TMS observées et interrogées est essentiellement la personne toxicodépendante – au sens large – et leur tentative de régulation va s’opérer auprès de cette personne, enceinte, considérée comme nécessiteuse de leur aide en raison de sa consommation ou de sa fragilité toxicomaniaque. Les professionnelles suivent en cela les directives données par l’ONE.

27Pour procéder à l’analyse des matériaux recueillis, il est utile de revenir à certains écrits de Michel Foucault autour de la médecine, qu’il qualifie de « stratégie biopolitique » (2001, p. 210). Le philosophe français se situe à un niveau d’analyse macrosociale puisqu’il tend à démontrer qu’un système global de contrôle et de régulation existe, dont le fonctionnement des institutions étatiques est le reflet. Dans « La naissance de la médecine sociale » (Foucault, 2001), M. Foucault parle, entre autres choses, d’un processus de médicalisation, qu’il définit comme étant « le fait que l’existence, la conduite, le comportement, le corps humain s’intègrent à partir du XVIIIe siècle dans un réseau de médicalisation de plus en plus dense et important qui laisse échapper de moins en moins de choses » (Foucault, 2001, p. 208), et d’une économie de la santé, « c’est-à-dire l’intégration de l’amélioration de la santé, des services de santé et de la consommation de santé dans le développement économique de sociétés privilégiées » (ibid.).

28Ne peut-on retrouver dans l’attention portée par l’ONE à la future mère toxicomane ce que M. Foucault met en évidence ? La définition de ce qu’est un bon parent ne vient pas des intervenants médico-sociaux eux-mêmes. Certes, ils peuvent être amenés à participer à des groupes de travail et/ou de réflexion mais l’ONE, en tant qu’administration, impose toujours la marche à suivre, ce que confirme d’ailleurs une TMS : « Souvent, quand il y a une réflexion qui se fait au niveau de tel ou tel thème, il y a souvent des TMS de terrain qui sont appelées pour… donner un peu leur avis et leurs réflexions, justement par rapport à ce qui est proposé théoriquement et par rapport à la réalité du terrain. Donc voilà. Mais, c’est vrai que dans un second temps, une fois que c’est passé, il y a édition des documents et puis alors on te dit : “Ben voilà, c’est à appliquer.” Donc voilà, tu dois… prendre connaissance des documents et… les appliquer au mieux dans ton travail au quotidien avec les familles. »

29Didier Fassin (2006, p. 36) revient sur la notion de bio-politique et note :

30

« La “biopolitique”, en tant qu’elle est – littéralement – une politique de la vie, c’est-à-dire une politique qui a le vivant pour objet et les vivants pour sujets, [Foucault] l’a au fond déplacée pour en faire essentiellement une politique des populations, celle qui mesure et régule, construit et produit des collectivités humaines à travers des taux de mortalité et des programmes de planification familiale, à travers des règles d’hygiène et des contrôles des flux migratoires. »

31Mais, selon l’anthropologue français,

32

« plus que la vie en tant que telle, ce qui intéresse alors Michel Foucault, ce sont les pratiques sociales qui s’exercent sur les corps et les populations et qui, bien entendu, influent sur le cours des existences individuelles et histoires collectives : c’est donc le gouvernement des corps et le gouvernement des populations, plutôt que le gouvernement de la vie – du vivant et des vivants – en somme ».
(Fassin, 2006, p. 36)

33D. Fassin (2006, p. 40) précise que les investigations qu’il mène se situent à une frontière entre la vie biologique et la vie sociale. L’auteur considère qu’il faut peut-être tenir compte d’une orientation nouvelle – qu’il qualifie de morale – dans l’exploration des biopolitiques. Selon lui, il ne s’agit pas de définir des normes et des valeurs mais d’examiner comment celles-ci se constituent dans un cadre historique et géographique donné. Je ne reviens pas ici sur le cadre qui a présidé à la mise en place de différentes politiques en faveur du soutien des familles pour lutter contre la mortalité infantile et renvoie le lecteur à l’introduction. Mais on peut voir, par rapport aux précisions apportées par D. Fassin, que la figure du toxicomane dangereux pour les autres, à prendre en charge, à réguler – en ce compris au sein de l’ONE – s’inscrit dans un contexte historique et géographique récent de stigmatisation « sociétale » de la consommation, par un certain nombre d’individus, de produits stupéfiants (Rosenzweig, 2001, pp. 7-11). Cependant, le maintien dans le milieu familial de vie doit constituer la norme et le placement des enfants en institution l’exception. La TMS est donc régulièrement aux prises avec des « exigences contraires » (Remy et Foucart, 2013, p. 45), puisqu’elle doit veiller à protéger l’enfant à naître de ses propres parents. Dès lors, comment déterminer le nouveau-né qui sera placé ou pas ? Cela ne peut se faire qu’au terme d’échanges sociaux entre la TMS et les parents et en cas d’échec des négociations.

3 – Relation TMS-futurs parents, contrôle social et transaction sociale

34La relation qui se crée entre une TMS et les futurs parents se situe sur un mode spécifique, résultant de ce que chacun des interactants est dans la relation qui se construit. Ainsi, une TMS interviewée me précise ce qui suit : « Moi, d’habitude, je donne souvent un petit coup de fil. Puis, je les vois aux alentours de 6 mois de grossesse. Puis, on voit comment ça se passe au niveau de l’entretien. Si je sens que la maman a peut-être encore envie qu’on se revoie ou si, moi, j’ai peut-être envie de repréciser une chose ou l’autre, on se redonne un rendez-vous, ça dépend un peu, c’est vraiment au cas par cas. […]. Une situation n’est pas l’autre, une dame n’est pas l’autre, chacun a son vécu, c’est vraiment du cas par cas […]. Voilà, je vais dire, y’a quand même une construction d’un lien qu’on essaie de faire avec eux, ben je vais dire, dans l’idée de les accompagner au mieux dans leur projet d’avoir ce bébé-là. […]. Mais voilà, c’est essayer vraiment, avec les moyens de la personne, de l’aider à construire ce lien de parentalité et de commencer à envisager leur parentalité durant la grossesse et de voir un peu justement comment ils se construisent par rapport à ça. […]. »

35Cette individualisation de l’intervention de la TMS se retrouve également dans une « scène » que j’ai pu observer dans le cadre d’une visite à domicile. Il s’agit d’un échange entre la TMS et la future mère et d’une forme de négociation autour des sorties avec le bébé à l’extérieur et de la pratique du portage (il s’agit pour la personne de recourir à un porte-bébé ventral). Dans le cadre de l’entretien qui a eu lieu – et qui me semble pouvoir être qualifié de détendu (nous sommes en effet assis dans les divans du salon et je ne ressens aucune tension chez les deux interlocutrices) –, la future mère explique à la TMS que le plus difficile, à sa sortie de la maternité, sera de conduire sa fille aînée, âgée de trois ans, jusqu’à l’arrêt du car scolaire, tout en y emmenant en même temps son nouveau-né. Il est en effet préconisé de ne pas sortir le bébé les premiers jours qui suivent la naissance, ce d’autant plus, dans le cas qui nous intéresse, que l’accouchement est programmé en pleine période hivernale. La TMS a bien conscience que la maman ne pourra pas respecter ce qui est généralement prescrit et lui propose dès lors de recourir au portage, ce qui permet de garder le bébé contre soi, le rassure, lui tient chaud et apparaît davantage indiqué que le landau dans la situation de cette mère. Celle-ci n’a toutefois pas confiance en cette pratique et maintient sa position, malgré les explications données par la TMS quant à la sécurité du système. L’important étant finalement que l’enfant soit bien protégé pendant ses sorties, la TMS ne s’opposera pas davantage à la bénéficiaire et lui recommandera de veiller à habiller chaudement le bébé. Dans la situation observée, la TMS semble avoir atteint son objectif à partir du moment où, tout en respectant les choix de la personne, elle a réussi à lui faire prendre conscience de la nécessité de bien couvrir son bébé s’il doit sortir les premiers jours suivant sa naissance.

36Sur base des matériaux recueillis, le septième chapitre proposé par C. Macquet et D. Vrancken dans leur ouvrage sur les formes de l’échange (2003, pp. 214-230), ayant pour titre « Vers une configuration sociétale postmoderne », est particulièrement intéressant. Ils y décrivent trois formes de régulation [12] que je mets en lien avec le traitement « au cas par cas » réalisé par les TMS de la consultation prénatale. Cependant, chaque lien fait est complété par une analyse en termes de transaction sociale. Comme le souligne M. Blanc citant J. Remy, celle-ci « est définie comme une interaction spécifique incluant : “échange-négociation-imposition, telle est la trilogie de base” » (Blanc, 2009, p. 30 ; Remy, 1996, p. 11). J. Remy note que « les protagonistes arrivent avec des demandes différentes et, surtout, avec des possibilités d’imposition différentes » et qu’« ils arrivent à un accord par ajustements successifs » (Remy et Foucart, 2013, p. 37). C’est ce que montre d’ailleurs l’extrait ci-avant autour de la question du portage.

37La première forme de régulation postmoderne proposée par C. Macquet et D. Vrancken concerne la gestion des risques. Ils précisent que « la gestion des risques nous oriente vers une société non plus de la discipline ou de la normalisation des déviances mais bien vers une société de la surveillance des choix de vie » (Macquet et Vrancken, 2003, p. 215). U. Beck est ensuite mobilisé dans la mesure où celui-ci « associe la notion de style de vie à celle d’un essai afin de maîtriser et gérer tel ou tel risque. Pour lui, le style de vie acquiert une légitimité à mesure que l’individu qui l’adopte peut faire la preuve de sa capacité à juguler un risque, obtenant ainsi un droit de cité de la part des autres » (Macquet et Vrancken, 2003, p. 216). Enfin, C. Macquet et D. Vrancken s’intéressent aux « acteurs des garants méta-sociaux ». À ceux-ci, il « est demandé de négocier l’ampleur des déviances individuelles et ce, d’une manière particulière : les styles de vie déviants sont tolérés mais les déviants doivent convaincre les experts que leur style de vie ne constitue pas un risque pour les normaux » (Macquet et Vranken, 2003, p. 217). Il y a donc négociation et le parallèle peut être fait avec la transaction sociale dont M. Blanc (2009, p. 30) souligne qu’elle « est un paradigme méthodologique qui oriente le regard du sociologue vers les conflits ouverts ou larvés, les rapports de forces, les jeux informels, les “négociations silencieuses”, etc. ». Dans l’extrait d’interview qui suit, la négociation se déploie mais elle est précédée d’échanges (avec les parents, le médecin traitant, la consultation des nourrissons) et d’évaluations qui permettent d’orienter celle-ci. On retrouve ainsi les deux premiers éléments de la trilogie de J. Remy. L’imposition intervient à deux moments, avant la négociation [13], quand les parents se voient contraints d’accepter l’aide qui leur est proposée vu leur profil défini comme à risques et en cas d’échec définitif des négociations. Dans ce cas, l’imposition ultime se fait en dehors de tout cadre négocié. C’est en effet la justice qui peut décider du placement de l’enfant, dès sa naissance. Comme le précise J. Remy (1996, p. 15), « l’obligation juridique n’est pas première » et « l’échange repose d’abord sur une obligation morale ».

38

Extrait d’interview – TMS 2 : « Maintenant, voilà, comme je te disais tout à l’heure, je peux très bien arriver dans une famille quart-monde qui fait ce qu’il peut avec leurs petits moyens et que, finalement, les enfants sont bien traités, et, dans ces cas-là, justement, quand y’a d’autres enfants, tu as un contact avec la consultation de nourrissons, je vais dire, pour un peu voir quoi. Maintenant, il arrive parfois qu’on ait des contacts avec le médecin traitant, enfin, tu vois, ça dépend un peu de la situation et donc, on essaie vraiment d’évaluer au cas par cas si je puis dire. Parce que tu vas peut-être pour telle raison mettre tel ou tel service en place que pour une autre famille, tu ne le feras pas parce que ça va peut-être amener une crispation de la famille et peut-être faire en sorte que les choses évoluent moins bien peut-être que si les services n’étaient pas présents. »

39Le deuxième type de régulation postmoderne concerne le fait d’inclure, de faire participer et la norme de santé. C. Macquet et D. Vrancken soulignent qu’« une nouvelle norme se développe dans nos sociétés contemporaines ou postmodernes : la norme de santé. […] l’objectif de promotion de la santé s’est ajouté à celui de la guérison » (Macquet et Vrancken, 2003, p. 218). Ceux-ci (ibid., p. 223) précisent en outre le contenu de la transaction entre l’autorité publique et l’usager : « votre marge de manœuvre en échange d’une évaluation de votre style de vie par nos agences ». Et ils concluent sur cette deuxième forme de régulation comme suit :

40

« Par cette transaction, les autorités, les experts cessent de rechercher à tout prix la guérison ou la réhabilitation du déviant potentiel. Par contre, ils organisent l’équivalent d’un monitoring des groupes à risque ou des styles de vie à risques. Le déviant devient un objet d’attention et l’ensemble du style de vie se voit ainsi pris sous la loupe d’une évaluation permanente ».
(ibid.)

41On peut voir, à travers les éléments d’entretiens présentés, que les TMS de la consultation prénatale procèdent à un monitoring social des personnes toxicodépendantes et réalisent une transaction sociale en tant que « processus qui comprend de l’échange et de la négociation, du rapport de force et de l’imposition » (Gibout, Blanc et Foucart, 2009, p. 7), mais aussi en tant qu’arrangement provisoire et pas nécessairement formalisé (Blanc, 2009, p. 27). Il suffira en effet que le style de vie se modifie et qu’un nouveau risque soit détecté pour qu’une nouvelle négociation s’engage.

42Enfin, la troisième forme de régulation postmoderne renvoie à l’autocontrôle et à la gestion des émotions. C. Macquet et D. Vrancken notent à ce propos ce qui suit :

43

« […], gérer ses émotions, potentialiser son self-control, c’est l’“ABC” de la rencontre avec l’autre, de la négociation de ses rôles, de son identité et cela dans presque toutes les sphères d’activités : face à son employeur, à son partenaire de vie, ses enfants, ses amis, ses concurrents économiques, etc. C’est en fait l’une des contraintes psychologiques majeures des sociétés de services ».
(2003, p. 226)

44Revenant à l’entretien que j’ai eu avec une future mère, je constate que sa TMS a pu l’aider dans la gestion de ses émotions dans le cadre de la relation difficile, voire conflictuelle qu’elle entretenait avec sa diabétologue, médecin qui portait de nombreux jugements de valeur à son égard. Ainsi, concernant sa TMS, la future mère note : « Je ne sais pas si elle va dans le sens pour calmer la personne. En tout cas, le but, c’est de calmer et elle m’a calmée. Mais, franchement, elle avait l’air empathique dans euh… elle comprenait quand même. D’ailleurs, après, c’est elle qui m’a retéléphoné et qui m’a dit : “Écoutez, j’ai changé, j’ai pris un autre rendez-vous.” Voilà quoi. “Parce que vous voir comme ça, je vous ai jamais vu comme ça.” » Réponse sur question du chercheur : « Et le but c’est pas que j’arrive là avec une boule au ventre et que je sorte de là avec les larmes aux yeux. […]. Demain, je vais voir une nouvelle [diabétologue], ben j’ai pas de boule au ventre. J’ai juste peur parce qu’elle [la précédente diabétologue] est dans le même couloir. » Et la future mère reprend, pour conclure sur ce point, les termes apaisants de la TMS : « Écoutez, ne vous inquiétez pas, vous pouvez venir près de nous, dans le bureau. »

45Dans ce cas, la transaction sociale implique des interactions antérieures, parfois douloureuses, la nécessité d’une négociation de son rôle à travers une gestion interne de ses émotions, soutenue par la TMS, notamment à travers la proposition faite à la future mère de rejoindre un espace d’attente alternatif (Remy et Foucart, 2013, p. 44), en l’occurrence le bureau des TMS. Dans ce cas, on repère aussi le rôle de « tiers » de la TMS qui permet à la transaction de se constituer (Remy et Foucart, 2013, p. 45).

4 – En guise de conclusion

46Compte tenu du caractère restreint de la présente recherche (durée du terrain et nombre d’entretiens et d’observations réalisés), qui pourrait être comparée à une première étude exploratoire, deux éléments sont présentés à titre de conclusion provisoire. D’une part, le concept de biopolitique permet d’éclairer l’attention portée par l’institution « ONE » à la personne toxicodépendante et future mère. D’autre part, tenant compte des directives institutionnelles et de l’échange quotidien qu’elle a avec les futurs parents, la TMS réalise une transaction sociale qui implique une forme de négociation des risques et des profits et module son intervention en fonction de la personne en présence, de ses activités déviantes et de ses actions pour (r)entrer dans la norme dominante.

47Cette analyse rejoint les points développés par des chercheurs ayant étudié des dispositifs français de soutien à la parentalité. Dans un article publié en 2010 dans la revue Psychotropes autour du Réseau Maternité et Addictions œuvrant en Alsace, M. Reichert et al. proposent l’examen d’un cas clinique qui témoigne de la transaction sociale qui s’opère entre les professionnels et les parents toxicodépendants. Ainsi, les auteurs relèvent notamment qu’un des objectifs principaux de ce réseau est de « proposer un suivi personnalisé, global et spécialisé coordonné permettant le bon déroulement de la grossesse, la naissance d’un enfant à terme en évitant que celui-ci ne soit séparé de sa mère à la naissance » (Reichert et al., 2010, p. 41). Cet article ne revient cependant pas sur le contexte sociétal ayant présidé à la mise en place du réseau, se bornant simplement à énoncer que ce dernier est financé par l’Agence Régionale de Santé depuis quelques années. G. Neyrand (2011), quant à lui, examine plus globalement le dispositif de parentalité, dans une perspective socio-historique, et souligne notamment la « fonction sociopolitique » de celui-ci (2011, pp. 141-149). À ce sujet, G. Neyrand note que « l’officialisation, en 1999, de la promotion de la parentalité en outil de gestion sociale par la volonté institutionnelle de mise en réseaux des acteurs intervenant dans le champ parental, marque officiellement une nouvelle conception de la place des enfants dans notre système social, allant de pair avec le renforcement de leur rattachement aux parents » (2011, p. 141). De manière plus générale, les éléments rappelés par G. Neyrand à titre de conclusion renvoient à mes propres observations :

48

« Devenue une affaire trop complexe et trop importante pour rester gérée dans le seul cadre familial, [la parentalité] a vu se développer en parallèle les multiples discours censés la définir dans ses différentes dimensions, les processus amenant la diversification de ses acteurs et la complexification de ses situations, ainsi que les procédures visant à la soutenir mais aussi à contrôler ce qui lui était socialement désigné comme participant de sa fonction ; c’est-à-dire une socialisation des enfants qui leur éviterait tout débordement intempestif et tout accroc aux règles régulant les comportements dans l’espace public ».
(2011, p. 150)

49G. Neyrand souligne enfin qu’il faut sans doute « décharger quelque peu la parentalité des responsabilités excessives qui lui ont été généreusement attribuées » (2011, pp. 150-151) et que l’attention doit aussi porter sur les instances intervenant dans la socialisation secondaire des individus et les conditions de vie des familles.

Je souhaite sincèrement remercier le Professeur Maurice Blanc pour sa relecture de l’article et les conseils prodigués.

Bibliographie

Bibliographie

  • Blanc, M. (2009). Genèse et fécondité heuristique de la transaction sociale, Pensée plurielle, 20, pp. 25-36.
  • Collectif (2011). Prévention et petite enfance. Guide de médecine préventive du nourrisson et du jeune enfant. Office de la Naissance et de l’Enfance.
  • Fassin, D. (2006). La biopolitique n’est pas une politique de la vie, Sociologie et sociétés, 2(38), pp. 35-48.
  • Foucault, M. (2001). La naissance de la médecine sociale, Dits et écrits II. 1976-1988. Paris : Quarto Gallimard, pp. 207-228.
  • Fusulier, B. et Marquis, N. (2008). La notion de transaction sociale à l’épreuve du temps, Recherches sociologiques et anthropologiques, 2(39), pp. 3-21.
  • Garland, D. (2001). The Culture of Control. Crime and Social Order in Contemporary Society. Oxford: Oxford University Press.
  • Gibout, C., Blanc, M. et Foucart, J. (2009). Transactions sociales et sciences de l’homme et de la société, Pensée plurielle, 20, pp. 7-11.
  • Lamboy, B. (2009). Soutenir la parentalité : pourquoi et comment ? Différentes approches pour un même concept, Devenir, 1(21), pp. 31-60.
  • Macquet, C. et Vrancken, D. (2003). Les formes de l’échange. Contrôle social et modèles de subjectivation. Liège : Les Éditions de l’Université de Liège, Sociopolis.
  • Neyrand, G. (2011). Soutenir et contrôler les parents. Le dispositif de parentalité. Toulouse : Erès.
  • Razy, E. (2010). La famille dispersée (France/Pays Soninké, Mali). Une configuration pluriparentale oubliée ?, L’autre. Cliniques, cultures et sociétés, 3(11), pp. 333-341.
  • Reichert, M., Weil, M. et Lang, J.-P. (2010). Prendre en soin une femme enceinte usagère de substances psycho-actives en Alsace : le réseau maternité et addictions, Psychotropes, 3(16), pp. 33-46.
  • Remy, J. (1996). La transaction, une méthode d’analyse : contribution à l’émergence d’un nouveau paradigme, Environnement et Société, 17, pp. 9-31.
  • Remy, J. et Foucart, J. (2013). La transaction sociale : une manière de faire de la sociologie, Pensée plurielle, 33-34, pp. 35-51.
  • Rollet-Vey, C. (2001). La santé et la protection de l’enfant vues à travers les congrès internationaux (1880-1920), Annales de démographie historique, 1(101), pp. 97-116.
  • Rollet-Vey, C. (2004). Enfances en difficulté, Le Mouvement social, 4 (209), pp. 3-7.
  • Rosenzweig, M. (2001). L’envers de la drogue. Une imposture démasquée. Bruxelles : Labor, coll. « Quartier libre ».

Notes

  • [1]
    L’auteur est maître-assistant à la Haute École Vinci Institut Parnasse-ISEI à Bruxelles et doctorant en sciences sociales.
  • [2]
    À sa création, « ONE » était le sigle de : Œuvre Nationale de l’Enfance. C’est dans le contexte d’une réforme de l’État belge et de la communautarisation de la matière de la petite enfance que ce sigle a changé de signification et fait désormais référence, en Communauté française de Belgique, à l’Office de la Naissance et de l’Enfance.
  • [3]
    Procréation Médicalement Assistée et Gestation Pour Autrui.
  • [4]
    Ces nouvelles figures de parenté peuvent aussi renvoyer à l’expression d’« autonomisation de la parentalité » de G. Neyrand (2011, p. 8), celle-ci étant « toujours susceptible, selon l’auteur, d’être dégagée du conjugal ».
  • [5]
    Les éléments d’entretiens repris dans la présente contribution sont retranscrits tels quels.
  • [6]
    Si la présentation de la profession de TMS sur le site Internet de l’ONE (www.one.be) fait référence au travailleur médico-social, force est de constater qu’à la consultation prénatale de l’hôpital de la Citadelle, les missions de ce service sont uniquement assurées par des femmes.
  • [7]
    La TMS 1 est âgée de 35 ans. Assistante sociale et sexologue clinicienne de formation, elle travaille depuis 12 ans au sein de la consultation prénatale étudiée.
  • [8]
    L’entretien anamnestique ou anamnèse permet à la TMS de la consultation prénatale de récolter une série d’informations sur la situation psycho-médico-sociale des parents, y compris leurs éventuelles addictions. Ces informations sont mises à disposition de la sage-femme et du gynécologue-obstétricien.
  • [9]
    Aide et Prévention Anténatale Liégeoise de l’Enfance Maltraitée. Outre l’ensemble des TMS et la coordinatrice locale de l’ONE, sont présents aux réunions APALEM deux psychologues (un homme et une femme) et une médecin-psychiatre.
  • [10]
    Service de l’Aide à la Jeunesse.
  • [11]
    La TMS 2 est âgée de 36 ans. Elle est titulaire d’un diplôme d’assistante sociale et suit une formation en thérapie systémique et familiale. Elle travaille au sein de la consultation prénatale étudiée depuis 8 ans.
  • [12]
    Les éléments relatifs au contrôle social proposés par C. Macquet et D. Vrancken rejoignent l’observation faite par D. Garland : « Social controls, situational controls, self-controls – these are the now-dominant themes of contemporary criminology and of the crime control policies […] » (2001, p. 15).
  • [13]
    J. Remy (1996, p. 12) note à ce sujet que « la négociation se fait toujours sous contrainte » et que « l’imposition est toujours présente ».
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.84

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions