Notes
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[1]
Mireille Prestini-Christophe est docteur en sciences de l’éducation et directrice du département formation continue et supérieure à l’Institut Social Lille Vauban.
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[2]
Voir à ce propos également l’article d’Annette Langevin, « La construction des bornes d’âge », Revue française des affaires sociales, numéro hors série, octobre 1997 p. 37-54.
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[3]
Nous pouvons appeler période ce temps entre l’entrée et la sortie de la vie de travail telle que définie par la société. La période se définit comme un ensemble constituant l’espace de temps caractérisé par une certaine homogénéité et une cohérence, à laquelle correspond un mode de régulation dominant (idée de révolution en astronomie). Or cet espace-temps correspond à un mode de régulation dominant : s’assumer et faire face aux responsabilités d’une vie professionnelle et d’une vie familiale. Par opposition, la « phase » est un stade, un épisode, à l’intérieur de la période et manifeste des aspects transitoires du changement. La phase révèle des changements partiels, les aménagements ou glissements – sans remise en cause des modalités dominantes de la période. L’analyse des phases se révèle ainsi utile pour approcher le problème de la transition, en tant qu’étape dans le processus de transformation.
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[4]
« Les rythmes de vie marqués par l’appartenance familiale à un état, à une culture de classe ou à une famille sont recouverts ou remplacés par des modèles institutionnels d’existence : entrée ou sortie du système de formation, entrée ou sortie de la vie professionnelle, décision sociopolitique de l’âge de la retraite, et ce tout au long de l’existence… Ce phénomène de recouvrement est particulièrement net dans le « cas de biographie féminine type. Tandis que les hommes continuent à être très largement préservés des événements familiaux, les femmes mènent une double vie contradictoire marquée par le poids de la famille et des institutions » (Ulrich Beck, La société du risque, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2001, p. 283). Sur la question des normes voir également l’ouvrage paru sous la direction de Jacqueline Palmade, L’incertitude comme norme, Paris, PUF, coll. « Psychologie sociale », 2003.
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[5]
Comme le précise Schlanger, « par vocation, nous entendons choix et désir, adhésion volontaire, voire même identification enthousiaste, adéquation intime entre un désir et une nature, épanouissement et réalisation active d’un moi. Nous nous soucions avant tout de savoir si notre occupation présente ou future est bien la nôtre, celle qui nous permettra d’être pleinement nous-mêmes, et si elle répond bien à ce qui nous importe. La vocation moderne se présente comme la tâche éthique d’une vie et cette vie est son champ, son enjeu et le critère de sa réussite. C’est parce que la grande priorité est de réussir sa vie à ses propres yeux qu’il est si important que chacun puisse se reconnaître dans ce qu’il fait » (Schlanger, 1997, p. 26).
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[6]
En France, les formations sanitaires ou sociales préparant à un diplôme d’État sont régies par un numerus clausus, c’est-à-dire par la définition stricte d’un nombre d’étudiants pouvant suivre la formation exigeant une sélection pour entrer dans ces formations.
1 Le terme transmission renvoie à l’idée de passage, de communication, permettant ou ouvrant à de nouvelles possibilités, que celles-ci soient perçues comme positives ou au contraire négatives. Passage de forces permettant ou favorisant la puissance : ce sont les sciences techniques qui sont convoquées dans cette acception (transmission mécanique, transmission acoustique, lignes de transmissions) ; de gènes, de bactéries ouvrant le vaste champ travaillé par la génétique, la médecine et la biologie ; de souvenirs, mettant en jeu un passé et un présent voire un avenir, et cette dynamique crée des possibles ou au contraire des résistances : on parlera alors de mémoire, de transmission intergénérationnelle. L’histoire est bien sûr la discipline phare concernant cette approche, mais la psychanalyse est également très présente tout comme la sociologie avec les concepts d’habitus ou de trajectoire, d’héritage culturel ou moral. Passage d’informations entre un sujet et un autre sujet : il s’agira alors davantage de communication d’information, de relais d’actions (sciences de l’information) à moins qu’il ne s’agisse d’éducation ou de formation. On parlera alors de transmission de savoirs, de transmissions culturelles (sciences de l’éducation, psychologie).
2Mais peut-on légitimement réfléchir et convoquer la question de la transmission quand il s’agit d’un acte tel que la décision d’adultes d’entrer en formation, impliquant la personne dans son rapport au monde, aux autres et à elle-même, relatif à un choix qu’elle effectue et qui se situe dans le présent ? Est-il possible de retrouver l’idée de passage et de communication, de forces, et si tel est le cas, entre quelles entités ce mouvement s’effectuerait-il ?
1 – La notion de transmission et le choix professionnel des jeunes
3La question de la transmission a été étudiée par rapport au choix et à l’orientation des jeunes. Des études, essentiellement anglo-saxonnes, notamment celles de Super et de ses collaborateurs, ont mis en évidence l’influence de la famille, par ses transmissions de valeurs notamment, dans les préférences que l’enfant ou le jeune manifeste, dans son entrée dans une profession, dans sa réussite et dans la satisfaction qu’il éprouvera dans cette profession.
4 De nombreux sociologues ont mis en évidence le rôle déterminant de la famille dans la réussite scolaire de l’enfant (Lahire, 1995 ; Van Zanten et Duru-Bellat, 1999 ; Van Zanten, 2000). En dehors de la sphère scolaire, des recherches récentes mettent l’accent sur l’importance du rôle éducatif de la famille, privilégiant le rôle du parent dans les choix et le suivi scolaire de ses enfants. Des recherches travaillent actuellement sur le lien entre pratiques éducatives familiales et gestion du stress, et leurs effets sur le développement cognitif de l’enfant (Bergonnier-Dupuy et Esparbes-Pitre, 2004 ; les travaux du GRIEFE).
5L’enfant acquiert très tôt les attitudes sociales et les valeurs attendues de sa microculture et les préférences pour les secteurs d’activités qui ont de la valeur aux yeux de ses parents. De plus, l’appartenance socioéconomique de sa famille l’amènera à intérioriser des choix possibles ou non en termes de prise de risque, de connaissances des professions, d’investissement, dans la capacité à surmonter les obstacles et à pouvoir être épaulé. De plus, l’attitude éducative de la famille, favorisant plus ou moins l’autonomie, l’indépendance, la prise de risque et accordant plus ou moins de valeur à la réussite professionnelle a des effets essentiels repérables par exemple dans les différences d’orientation entre garçons et filles.
2 – La personne adulte
6Mais qu’en est-il de la question de la transmission par rapport au choix et à l’orientation de l’adulte ?
7La formation d’adultes représente aujourd’hui un enjeu de société : On parle ainsi de « formation tout au long de la vie ». Face aux évolutions socioéconomiques et aux exigences croissantes en termes de qualification, mobilité, implication, efficacité, en un mot d’« employabilité » de la personne, la formation peut apparaître comme un des moyens pour s’adapter aux événements notamment économiques, permettre une conduite de dégagement face aux déterminismes, faire face ou redonner sens à sa vie, pour reconstruire son identité (Dubar, 2002).
8 Cette question, lorsqu’elle est abordée, est très souvent réduite uniquement à sa dimension économique : les individus adultes font une formation si cela leur permet de s’insérer sur le marché du travail, leur rapporte un salaire ou une promotion sociale.
9Le terme « adulte » est défini par deux bornes [2] d’âge de la vie définies par la société, relatives à la vie professionnelle, cadrées elle-mêmes par le processus existentiel de la naissance et de la mort. La vie adulte est celle du travail assumé dans la société. Celui-ci reste, malgré les remises en cause, pilier essentiel de la construction identitaire de la personne et de ce qui fait société.
10La période [3] adulte est celle des grandes orientations et décisions de vie (style de vie, de travail, conjoint, enfant, etc.) qui relèvent de la décision de l’individu lui-même. Ce qui peut être influencé dans le cours d’une vie, ce qui peut être décidé par la personne, notamment à son propos, le sera par l’individu lui-même et non plus par ses tuteurs (parents, enseignants…) qui jusque-là avaient donné leur point de vue et leur accord, voire s’étaient substitués dans les grandes décisions le concernant (notion de mineur). Mais de plus, la personne devra assumer la responsabilité d’autres individus : enfants, collègues, etc. Aussi le terme adulte a-t-il une résonance forte en termes de responsabilité et renvoie-t-il pour la très grande majorité des personnes à cette notion de responsabilité.
11 L’environnement et le contexte social, affectif et psychosocial, fournissent à l’individu des valeurs, des normes, des représentations qui vont d’une part lui délimiter les différentes périodes de sa vie : l’entrée à l’école, l’entrée dans la vie active, le départ à la retraite, mais également lui assigner des responsabilités en tant qu’élève, en tant que salarié, en tant que parent et conjoint, lui fournir les normes individuelles et sociales, c’est-à-dire les cadres de référence à partir desquels il se déterminera [4], choisira, décidera librement.
12L’enjeu pour la personne adulte dans la société hypermoderne est donc une injonction à être soi (Ehrenberg, 1998 ; Boutinet, 1998), une injonction de réalisation de soi dans un cadre défini par la société [5]. Cette liberté d’être soi n’est pas un choix mais une exigence de la société, et cette liberté reporte sur l’individu toutes les responsabilités des conséquences ou des effets de son choix.
3 – La décision d’adultes d’entrer en formation
13Pourtant un adulte ne s’engage-t-il pas dans une formation longue et qualifiante si cette formation lui permet non seulement d’obtenir un nouveau statut, d’acquérir de nouvelles connaissances, mais aussi pour transmettre une certaine vision de sa compréhension du monde et du rôle qu’il doit y jouer ? Ainsi, si la formation peut être un moyen d’adaptation pour l’individu à la société par l’évolution de ses compétences, ne peut-elle pas être comprise également comme une nouvelle manière de construire du lien, d’apporter en tant qu’individu, par la place et le rôle professionnel que l’on assume une transmission d’une certaine façon de voir le monde, de le comprendre et de le construire, d’être « les uns avec les autres » (De Singly, 2004) ?
14 Pour mener cette réflexion, il est apparu intéressant de mener un travail de recherche à partir de 48 entretiens de personnes adultes rencontrées en amont d’une formation qualifiante dans le secteur sanitaire ou social, c’est-à-dire au cours de la phase de sélection [6] ou au tout début de la formation. Cette population est composée de 42 femmes et 6 hommes se situant de façon différente sur le marché du travail : soit en y étant exclus (chômeurs ou mères de famille), soit de façon très précaire et fragile (situation de vacataires, intérimaires, emplois-jeunes, etc.), soit au contraire en contrat à durée indéterminée.
15Après l’analyse de leurs discours il a été possible de définir 3 groupes selon la dynamique dans laquelle les personnes s’inscrivaient.
16Le groupe promotion, constitué de 16 personnes qui décident de s’engager dans une formation pour mieux promouvoir leur engagement professionnel et l’approfondir. Ce sont des personnes insérées de façon stable et durable sur le marché du travail, souvent les plus âgées de notre population. La formation va leur permettre d’accéder à une autre fonction professionnelle et de vivre une promotion sociale. Ce groupe concerne essentiellement la formation de cadres de santé.
17 Le groupe reconversion, formé de 13 personnes rencontrées lors de la sélection orale à l’entrée de la formation d’assistant social, qui décident d’entrer en formation pour trouver une autre voie, une autre orientation professionnelle. Elles sont également plutôt en situation stable sur le marché du travail, mais celui-ci ne répond plus au sens qu’ils donnent à leur vie.
18Le groupe insertion, comprenant 19 personnes rencontrées au moment de la sélection ou à l’issue de la préparation aux concours sociaux ou paramédicaux. Ces personnes, souvent les plus jeunes de la population, connaissent un statut précaire sur le marché du travail (emploi-jeune, CES, etc.) et sont à la recherche d’un emploi stable et pérenne mais également de qualité et qui correspond à leurs attentes et à leurs projets de vie.
4 – Le fait-déclencheur
19À partir des entretiens menés, il a pu être repéré que le discours des personnes se référait à un « fait déclencheur » qui les a amenées à prendre la décision d’entrer en formation. Ce fait déclencheur pouvait être :
- en lien avec la sphère familiale, comme la naissance d’un enfant :
ou à propos d’un accident ou d’une maladie :Et puis en fait, c’est pas que j’ai été déçue par la profession, mais on ne passe pas beaucoup de temps avec les patients. Au fur et à mesure, j’ai pris un chemin différent, je me suis intéressée à toutes les professions qu’il y avait autour, en fait. Et puis, j’ai eu Luc mon fils et puis là ç’était un changement définitif. Ça a fait vraiment un gros boum ! En revenant de ma grossesse, j’ai vraiment pris la décision de manière définitive.J’ai eu des problèmes de santé… J’ai vécu des expériences, j’ai eu des problèmes de santé… Ça fait que vous mûrissez. Vous apprenez un peu à voir les choses autrement. J’ai eu des problèmes de santé vers 16-17 ans. J’ai eu une scoliose et j’ai été opéré du dos plusieurs fois. J’ai été opéré la dernière année de maîtrise. L’opération n’avait pas bien marché. Je me suis fait réopérer l’année dernière. On m’a tout enlevé, j’avais du matériel. On m’a enlevé le matériel que j’avais dans le dos. Je me suis remis en question cette année, c’est ça. - dans la sphère professionnelle, comme un licenciement ou l’échec à un concours :Mais au bout d’un moment, la vie fait qu’on ne peut pas attendre une année un résultat de concours sachant qu’on est beaucoup. Enfin, la dernière fois que j’ai passé le CAPES, je l’ai tenté quatre fois, et trois fois où j’attendais un résultat, parce que la première fois on y va comme ça, sans avoir rien préparé. C’est vrai qu’en allant jusqu’à la maîtrise, je ne m’étais pas posé du tout la question : ça va être dur d’entrer dans la vie active. Pour moi c’était, pour l’instant tout roule, donc il n’y a pas de souci. Et finalement, c’est pas si simple que ça. Et c’est vrai que le CAPES, le plus dur ç’a été un échec, la vie… enfin c’est normal qu’on ait des échecs dans sa vie, ça fait rebondir, on grandit et puis on élargit ses compétences. Mais il y a eu une période où, après les échecs au CAPES, je n’ai plus ouvert un bouquin, parce que… j’adorais lire.
- dans la sphère personnelle, par exemple avoir un métier après avoir élevé les enfants ou encore avoir plus de responsabilité professionnelle :Donc maintenant je me dis : la dernière est bien lancée au collège, je vais avoir 39 ans cette année, donc je me dis : j’ai quand même encore 20 ou 25 ans de bon entre guillemets, je peux me lancer dans une carrière professionnelle, c’est pas complètement aberrant… J’ai pas mal réfléchi à ce que je voulais faire, je ne voulais pas retourner dans mon ancien métier qui est l’informatique de gestion, parce que il faut suivre, ça a beaucoup évolué … Ça ne me tentait pas tellement, et puis vu tout ce que j’ai fait en étant disponible pour les enfants, ça m’a quand même incitée à me tourner vers les métiers du social.Alors je pense que, pour ma part, c’est un cheminement qui s’est fait très progressivement puisque, de toute façon, tout au long de mon cursus professionnel, j’ai évolué très progressivement, à mon rythme, en sachant que je suis divorcée depuis longtemps, avec deux enfants à charge, et j’ai décidé de faire la formation. À l’époque, quand j’ai décidé de faire la formation, je ne savais pas encore si j’allais aller en IFSI en tant que faisant fonction ou si j’allais faire fonction de cadre sur le terrain. Néanmoins, j’avais envie de m’inscrire dans une dynamique d’établissement, de mettre des choses en place, de pouvoir faire évoluer, et de pouvoir faire passer, je pense, ma conception du soin et mes valeurs. Plus de responsabilité aussi. […] Je pense que justement en faisant la formation cadre, je vais pouvoir davantage m’inscrire dans une dynamique et amener les gens progressivement vers un changement…
5 – La décision d’adulte d’entrer en formation : transmettre une certaine vision du métier
20 L’analyse des faits déclencheurs a permis de repérer que certains faits relevaient d’une opportunité ou d’une occasion à saisir, c’est-à-dire un fait qui survient à propos, au bon moment, dans les bonnes circonstances ou d’une chance à saisir à ne pas laisser passer. Dans ce cas, le fait représente la recherche d’une nouvelle réalisation de soi et d’implication au travail tout en restant dans le même cadre d’interprétation du monde et de son implication dans le monde. C’est la volonté de vouloir transmettre ses compétences et une certaine idée ou une certaine conception du métier qui devient centrale.
21C’est le cas de Marie-Hélène, infirmière, 38 ans, trois enfants : « Quand je suis revenue au bout de 5 ans de disponibilité, j’avais un autre regard. Je me suis aperçue qu’il y avait des choses qui avaient beaucoup évolué, qu’il y avait des choses que j’avais envie de changer. ».
22De Françoise, infirmière, 36 ans, mariée, un enfant : « Oh, cette décision y’a, euh, déjà longtemps que je l’avais prise parce que, euh, quand j’étais infirmière, euh, j’étais vraiment très attirée par tout ce qui était encadrement des étudiants en service. Et, euh, j’avais le projet de devenir référente des étudiants infirmiers, euh, quand ils viennent en stage en service. J’adorais transmettre mon métier. Et puis après, il y a eu un appel à candidature pour l’IFSI. Et puis, comme moi je voulais devenir formatrice, j’ai posé ma candidature et puis ça a marché quoi. ».
23 Sylvie, infirmière, 37 ans divorcée, deux enfants : « Vu le changement de mentalité en intra-hospitalier, je me suis retrouvée avec une équipe de jeunes qui n’avaient pas du tout la même perception que moi des soins, les mêmes valeurs. Je me suis sentie en désaccord avec moi-même, j’ai cherché une autre voie pour être plus à l’aise avec ce que je fais et ce que je pense. La pédagogie, c’est donc quelque chose qui m’intéressait avant puisque j’avais quand même pensé à saisir des opportunités, et éventuellement faire de la formation adulte, de la formation continue, en rapport avec ce que j’avais fait moi comme formation. ».
24Ou encore de Jean-Pierre, 45 ans, infirmier, trois enfants : « J’étais intéressé par l’hygiène. J’ai entrepris aussi une formation pour devenir infirmier hygiéniste, il me semblait qu’il y avait des lacunes là-dedans, et pour pouvoir apporter certaines choses. Et, c’est vrai qu’en tant qu’ASH et aide-soignant, pouvoir dire à l’autre ça, c’est pas forcément bien la hiérarchie la plus haute ; à grade égal, c’est ce que j’ai ressenti dans mon quotidien. C’est plus facile. Une fois infirmier hygiéniste, je devais m’adresser à des cadres. Plus maintenant, puisque je suis cadre. ».
6 – La décision d’entrer en formation : transmettre des valeurs
25D’autres faits déclencheurs, par contre, ont provoqué un choc, une rupture auxquels les personnes ne s’attendaient pas. Ils sont clairement repérés, nommés, identifiés et chargés d’une forte intensité. Ce sont des événements qui amènent les personnes à comprendre le monde, la valeur de la vie de façon radicalement nouvelle et à envisager alors leur place et leur rôle de façon très différente. Cet événement va les amener à modifier leur compréhension du monde et leur place dans le monde, et va avoir des répercussions essentielles en termes d’avenir. Dans ce cas, c’est la transmission de valeurs qui est en jeu pour l’individu, ainsi que le fait d’avoir un rôle, notamment professionnel, qui correspond à ces valeurs et permet ainsi une cohérence de soi.
26 C’est l’histoire d’Anne-Sophie, secrétaire, 35 ans, mariée, deux enfants : « Ça fait un moment. J’ai eu un état déclencheur, il y a six ans. J’ai eu une petite fille trisomique et je me bats encore aujourd’hui pour l’intégrer et j’ai vraiment envie de voir comment ça se déroule, j’ai vraiment envie d’aider ces gens comme moi, j’ai pu aider ma fille dans l’intégration et pas dans l’exclusion. À une autre dimension, c’est à peu près la même chose finalement. On voit tout différemment. On voit tout différemment… quand on a quelque chose qui nous attaque directement, on a envie de réagir encore plus. »
27Ou de Caroline, 28 ans, célibataire, sans enfant, qui a un lourd passé médical : « Je me dis : c’est vrai, on en a parlé à l’oral, rencontrer des personnes qui sont dans le même cas que moi, ça peut nous aider, ça peut créer des liens encore plus forts. »
28De Virginie, 39 ans, divorcée, deux enfants avec une lourde histoire conjugale : « Je vais bientôt avoir 40 ans je me dis : si je veux être utile à quelqu’un pour quelque chose ou pour des associations enfin moi je ne sais pas, il faut que je m’y mette maintenant parce que c’est pas à 70 ans que je vais être active enfin je pourrais l’être mais beaucoup moins. »
29C’est l’histoire également de Christine, 27 ans, mariée, sans enfant qui a échoué contre toute attente par trois fois au CAPES d’allemand : « Donc j’avais fait tous les échelons, j’avais travaillé comme bénévole aussi dans les écoles maternelles et ça m’a vraiment plu et c’était déjà là plusieurs années que j’étais vacataire, donc je savais que j’étais faite pour l’enseignement. Je sentais qu’il y avait quelque chose qui se passait avec les enfants, une osmose c’était vraiment, et puis je me suis mise au CAPES et ben là oh ! Déception. »
30 Après une période de dépression, elle décide de se reprendre en main et de choisir de se faire aider par une conseillère d’orientation. « J’ai beaucoup de contacts avec les gens, je suis quelqu’un qui parle beaucoup mais qui sait écouter aussi, donc je lui avais dit : assistante sociale, éducateur, enfin quelque chose comme ça. Je voulais rester aussi au niveau de l’aide, de passer quelque chose, un savoir, une aide. »
Conclusion
31Dans le cadre de cet article, nous avons pu, de façon trop concise, repérer que la question de la transmission est au cœur de la reprise de formation chez la personne adulte, que ce soit par la transmission d’une vision du métier ou/et par la transmission de valeurs. Ainsi, après le mouvement de transmission de la famille sur l’enfant des valeurs liées au travail, à la profession, à l’attitude face aux risques, etc., particulièrement prégnantes à la fin de l’adolescence au moment de l’orientation, ce mouvement se transforme, se déploie à l’âge adulte pour se diriger vers la société dans son ensemble. Le travail n’est plus seulement un choix personnel, il est aussi le moyen d’avoir un rôle et une place correspondant à une vision du monde, à un projet de vie, à une croyance en la transmission de certaines valeurs par son choix professionnel et son rôle au travail.
32 Le concept de transmission est, dans cette problématique, proche du terme « vocation », non pas dans le sens d’appel transcendant auquel je dois répondre et me soumettre, mais dans le sens d’un droit universel, celui d’être soi, que l’on gagne par le faire : la liberté d’être tout ce que l’on peut être et de développer ce qu’on est en puissance afin de devenir pleinement soi. Ce devoir envers soi-même aura le même effet qu’un devoir social altruiste, puisque l’épanouissement de chacun contribuera au bien commun. On est ici face à l’individualisme qui porte le droit de chacun à une existence qui ne soit pas étrangère à son goût et à son désir. Il peut ouvrir à d’autres formes de liens de solidarité, mais celles-ci sont désormais revendiquées, multiples, choisies et non plus assignées. De plus, elles sont et doivent être reconnues, dans la société d’aujourd’hui, par les autres pour pouvoir être assumées par la personne. L’individualisme dans cette acception crée du lien (De Singly, 2003) et ne signifie pas, comme on peut le lire trop souvent, égoïsme et repli sur soi. Ainsi, l’individualisme ne signifie pas je ne sais quel triomphe de l’« individu » sur le « collectif », car l’individu ne remplace pas le collectif, parce que, pas plus aujourd’hui qu’hier, « il n’y a d’identité du Je sans identité du Nous » (Elias), mais aussi parce que, ce qui est en question, c’est le remplacement d’une forme sociale par une autre, d’invention de nouvel idéal du lien social combinant la liberté de chacun et la solidarité entre tous, la création de nouveaux modes de faire et de nouveaux modes de transmettre.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
- AUBERT Nicole (Éds) (2004). L’individu hypermoderne, Toulouse, érès.
- DURU-BELLAT Marie (2003). « Les causes sociales des inégalités de l’école », Comprendre, Paris, PUF, octobre.
- De SINGLY François (2003). Les uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Paris, Armand Colin.
- DURU-BELLAT Marie et VAN ZANTEN Agnès (1999). Sociologie de l’école, Paris, Colin.
- ELIAS Norbert (1991). La société des individus, Paris, Fayard.
- LAHIRE Bernard (1995). Tableaux de familles : heurs et malheurs scolaires en milieux populaires, Paris, Gallimard/Le Seuil, coll. « Hautes Études ».
- PRESTINI-CHRISTOPHE Mireille (2005), La décision d’adultes d’entrer en formation : un rapport à l’événement biographique ? Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, sous la direction de F. DANVERS, Lille 3 Université Charles de Gaulle, décembre 2005.
- SCHLANGER Judith (1997). La vocation, Paris, Le Seuil.
- VAN ZANTEN Agnès (2003), L’école, l’état des savoirs, Paris, La Découverte.
Mots-clés éditeurs : formation, décision, transmission, fait déclencheur, adulte
Notes
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[1]
Mireille Prestini-Christophe est docteur en sciences de l’éducation et directrice du département formation continue et supérieure à l’Institut Social Lille Vauban.
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[2]
Voir à ce propos également l’article d’Annette Langevin, « La construction des bornes d’âge », Revue française des affaires sociales, numéro hors série, octobre 1997 p. 37-54.
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[3]
Nous pouvons appeler période ce temps entre l’entrée et la sortie de la vie de travail telle que définie par la société. La période se définit comme un ensemble constituant l’espace de temps caractérisé par une certaine homogénéité et une cohérence, à laquelle correspond un mode de régulation dominant (idée de révolution en astronomie). Or cet espace-temps correspond à un mode de régulation dominant : s’assumer et faire face aux responsabilités d’une vie professionnelle et d’une vie familiale. Par opposition, la « phase » est un stade, un épisode, à l’intérieur de la période et manifeste des aspects transitoires du changement. La phase révèle des changements partiels, les aménagements ou glissements – sans remise en cause des modalités dominantes de la période. L’analyse des phases se révèle ainsi utile pour approcher le problème de la transition, en tant qu’étape dans le processus de transformation.
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[4]
« Les rythmes de vie marqués par l’appartenance familiale à un état, à une culture de classe ou à une famille sont recouverts ou remplacés par des modèles institutionnels d’existence : entrée ou sortie du système de formation, entrée ou sortie de la vie professionnelle, décision sociopolitique de l’âge de la retraite, et ce tout au long de l’existence… Ce phénomène de recouvrement est particulièrement net dans le « cas de biographie féminine type. Tandis que les hommes continuent à être très largement préservés des événements familiaux, les femmes mènent une double vie contradictoire marquée par le poids de la famille et des institutions » (Ulrich Beck, La société du risque, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2001, p. 283). Sur la question des normes voir également l’ouvrage paru sous la direction de Jacqueline Palmade, L’incertitude comme norme, Paris, PUF, coll. « Psychologie sociale », 2003.
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[5]
Comme le précise Schlanger, « par vocation, nous entendons choix et désir, adhésion volontaire, voire même identification enthousiaste, adéquation intime entre un désir et une nature, épanouissement et réalisation active d’un moi. Nous nous soucions avant tout de savoir si notre occupation présente ou future est bien la nôtre, celle qui nous permettra d’être pleinement nous-mêmes, et si elle répond bien à ce qui nous importe. La vocation moderne se présente comme la tâche éthique d’une vie et cette vie est son champ, son enjeu et le critère de sa réussite. C’est parce que la grande priorité est de réussir sa vie à ses propres yeux qu’il est si important que chacun puisse se reconnaître dans ce qu’il fait » (Schlanger, 1997, p. 26).
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[6]
En France, les formations sanitaires ou sociales préparant à un diplôme d’État sont régies par un numerus clausus, c’est-à-dire par la définition stricte d’un nombre d’étudiants pouvant suivre la formation exigeant une sélection pour entrer dans ces formations.